Décision

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Leblanc et Hydro-Arbre enr. (Fermée)

2007 QCCLP 5150

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Hyacinthe

10 septembre 2007

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

258392-62B-0503

 

Dossier CSST :

122553068

 

Commissaire :

Me Marie Danielle Lampron

 

Membres :

Bertrand Delisle, associations d’employeurs

 

Noëlla Poulin, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

Michel Leblanc

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Hydro-Arbre enr. (fermée)

 

Partie intéressée

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 21 mars 2005, monsieur Michel Leblanc (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 7 février 2005 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 15 novembre 2004 et déclare qu’à la suite de l’événement du 18 avril 2002, le travailleur est devenu capable d’exercer son emploi depuis le 12 novembre 2004; elle confirme aussi une remise de dette pour les indemnités versées du 10 mai au 12 novembre 2004.

[3]                Par cette décision, la CSST déclare également irrecevable une demande de révision logée par le travailleur le 8 décembre 2004 concernant l’atteinte permanente qui découle de la lésion professionnelle et le montant de l’indemnité pour préjudice corporel y rattaché.

[4]                Le travailleur et sa procureure sont présents à l'audience du 24 avril 2007. Le dossier a été pris en délibéré le 11 juin 2007, après réception des documents médicaux requis à l’audience et confirmation de la procureure du travailleur qu'il n’y avait pas d’autres documents pertinents à transmettre.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                Le travailleur demande de retenir les conclusions médicales du Dr Filiatrault, neurologue, quant à l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles qui découlent de sa lésion professionnelle et de déclarer qu’en raison de celles-ci, il est incapable d’exercer son emploi prélésionnel et a droit à la poursuite des indemnités de remplacement du revenu ainsi qu’à une indemnité pour préjudice corporel plus élevée.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]                Les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont d’avis qu’il est prématuré de se prononcer sur la question de la capacité du travailleur à exercer son emploi de même que sur l’atteinte permanente et l’indemnité pour préjudice corporel, car le médecin qui a charge, le Dr Duranceau, ne s’est pas prononcé sur les conclusions énoncées au rapport d’évaluation médicale du Dr Roy quant à l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion professionnelle, alors que ces conclusions sont en contradiction avec le rapport final du Dr Duranceau sur la question des limitations fonctionnelles et ne peuvent, compte tenu de la preuve, avoir un caractère liant.

[7]                Les membres sont d’avis de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle obtienne l’opinion du Dr Duranceau sur les conclusions du Dr Roy quant à l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion professionnelle reconnue et de permettre à la CSST, en cas d’avis divergent, de demander un avis au Bureau d'évaluation médicale sur ces questions.

LA PREUVE ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[8]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si, en raison des limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion professionnelle d’avril 2002, le travailleur est capable d’exercer son emploi prélésionnel, et si sa demande de révision concernant l’atteinte permanente et l’indemnité pour préjudice corporel est recevable.

[9]                Le tribunal doit, de façon préalable, décider de l’identification du médecin qui a charge du travailleur et, selon cette conclusion, de la portée des conclusions médicales de ce médecin quant à l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles qui résultent de la lésion professionnelle subie par le travailleur en avril 2002.

[10]           L’article 199 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) fait état de la notion de médecin qui a charge du travailleur sans toutefois la définir :

199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:

(…)

 

Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.

__________

1985, c. 6, a. 199.

 

 

[11]           Dans Marceau et Gouttière Rive-Sud Fabrication inc.[2], la Commission des lésions professionnelles retient que le médecin qui a charge est un médecin qui est choisi par le travailleur[3] et qui l’examine, établit un plan de traitement et assure le suivi médical du dossier. La jurisprudence reconnaît que différents médecins peuvent successivement exercer ce rôle pour une même lésion[4], mais qu’il n’y a qu’un seul médecin qui a charge du travailleur à la fois[5].

[12]           Le tribunal considère, pour les motifs ci-après exposés, que le Dr Duranceau est le médecin qui a charge du travailleur au sens de la loi.

[13]           Le 18 avril 2002, le travailleur est victime d’un accident du travail. Il consulte un médecin pour la première fois le 3 juillet 2002. Le Dr Duranceau pose alors le diagnostic de contusion à la cuisse gauche et entorse lombaire. S’ajoutera ensuite le diagnostic de contusion lombaire. Le Dr Duranceau effectue le suivi médical tout au long du dossier et établit un plan de traitement (médication, traitements de physiothérapie etc.).

[14]           En août 2002, le travailleur est référé au Dr Roy, orthopédiste, qui prescrit une résonance magnétique de la cuisse gauche, qui ne sera pas effectuée, compte tenu du refus de la réclamation par la CSST. Le travailleur est aussi référé en neurologie.

 

[15]           En janvier 2003, le Dr Filiatrault, neurologue, procède à une étude électromyographique (EMG) et retient le diagnostic de neuropathie surale gauche. Le Dr Filiatrault note qu’à l’examen clinique, il y a aussi une atteinte du nerf fémoro-cutané antérieur et latéral de la cuisse gauche et que ces nerfs sont toutefois mal étudiés par les conductions nerveuses standard. Il prescrit une médication pour pallier à la douleur neuropathique ressentie.

[16]           Le Dr Duranceau souscrit aux conclusions du Dr Filiatrault. Il réfère de plus le travailleur en plastie. En juin 2003, le Dr C. Lampron[6], plasticienne, examine le travailleur et une consultation est demandée à nouveau en orthopédie, au Dr Pouliot, pour une évaluation des problèmes suivants : douleur dorsale et cervicale, paresthésie nerf fémorocutané et sural.

[17]           En juillet 2003, le Dr Pouliot examine le travailleur. Tout en notant qu’une scintigraphie osseuse est négative et qu’il y a évidence de neuropathie surale (sensitif) à l’étude EMG, le Dr Pouliot conclut à un « patron de douleur chronique avec sous utilisation et hypersensibilité » et « évidence de quelques composantes non organiques et factices à l’examen », et que le problème n’est pas orthopédique. Des traitements de physiothérapie sont proposés pour un reconditionnement global ainsi qu’une consultation en Clinique de la douleur ou en physiatrie.

[18]           En janvier 2004, le Dr Duranceau fait état qu’une consultation en physiatrie a été faite en octobre 2003.

[19]           En janvier 2004, la Commission des lésions professionnelles accepte la réclamation du travailleur à titre d’accident du travail lui ayant causé une contusion à la jambe gauche avec neuropathie surale gauche[7]. Les diagnostics d’entorse lombaire et d’entorse cervicale n’ont toutefois pas été reconnus comme reliés à l’événement.

[20]           En mars 2004, le Dr Duranceau prescrit des traitements de physiothérapie en raison des diagnostics suivants : entorse lombaire, lombo-sciatalgie gauche et neuropathie cuisse gauche.

[21]           En mars 2004, le Dr Besner, orthopédiste, examine le travailleur à la demande de la CSST qui désire un avis en vertu de l’article 204 de la loi[8] sur les questions médicales de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle acceptée.

[22]           Le Dr Besner émet l’avis qu’en relation avec l’événement, le travailleur a subi une contusion à la cuisse gauche et qu’il présente, au point de vue sensitif, une altération de la sensibilité dans le territoire du nerf fémoro-cutané et du nerf sural gauche. Le DBesner est d’avis que l’examen démontre plusieurs signes non organiques. Il retient l’existence d’une atteinte permanente[9], mais aucune limitation fonctionnelle considérant son examen clinique normal.

[23]           Le 6 avril 2004, dans un avis complémentaire demandé par la CSST sur la question de la date de consolidation et de la nécessité ou suffisance des traitements, le Dr Besner émet l’avis que la lésion professionnelle était consolidée au jour de son examen le 16 mars 2004 sans nécessité de traitements additionnels.

[24]           Le 26 avril 2004, conformément à l’article 205. 1 de la loi, la CSST achemine au Dr Duranceau le formulaire de rapport complémentaire aux fins d’obtenir son avis sur les conclusions du Dr Besner sur les 4 dernières questions médicales énoncées à l’article 212 de la loi[10]. La CSST informe également le travailleur de l’envoi de cette lettre au Dr Duranceau.

[25]           Le 29 avril 2004, la CSST rapporte ainsi une conversation téléphonique avec le Dr Duranceau : « discuté de l’expertise, médecin se dit d’accord avec, il rencontre le travailleur demain et va la compléter et la poster ».

[26]           Le 7 mai 2004, dans un rapport final[11], le Dr Duranceau consolide la lésion au 10 mai 2004, avec un diagnostic d’entorse lombaire, contusion à la cuisse gauche avec douleur qui persiste. Le Dr Duranceau indique alors que la lésion entraîne une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et qu’il ne produira pas le rapport d’évaluation en conformité avec le Barème des dommages corporels[12] ni ne réfère le travailleur à un autre médecin pour ce faire, soulignant que le patient a déjà vu un expert, le Dr Besner.

 

[27]           Le 19 mai 2004, la CSST informe le travailleur qu’à la suite de la production du rapport final du Dr Duranceau, il doit se trouver un médecin qui fera l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles dans un délai de deux semaines, à défaut de quoi, l’indemnité de remplacement du revenu sera suspendue.

[28]           Le 9 juin 2004, le travailleur informe la CSST qu’il n’a pas trouvé de médecin pour son rapport d’évaluation médicale et que son médecin traitant communiquera avec la CSST à ce propos.

[29]           Le 17 juin 2004, sur un formulaire de « demande de consultation », le Dr Duranceau réfère le travailleur au Dr Roy pour l’« évaluation demandée par la CSST ».

[30]           Le 13 septembre 2004, le Dr Roy, orthopédiste, examine le travailleur. Dans son rapport d’évaluation médicale du 4 octobre 2004, le Dr Roy retient les mêmes pourcentages de déficits anatomo-physiologiques que ceux retenus par le Dr Besner quant à l’atteinte permanente et émet l’avis qu’il n’y a aucune limitation fonctionnelle en relation avec l’atteinte sensitive du nerf fémoro-cutané et de l’atteinte sensitive du nerf sural gauche.

[31]           Le 15 novembre 2004, la CSST détermine que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 12 novembre 2004 et qu’il n’a plus droit aux indemnités de remplacement du revenu. La CSST lui consent de plus une remise de dettes pour la période du 10 mai au 12 novembre 2004, considérant qu’il n’était pas informé du fait qu’il était capable d’exercer son emploi.

[32]           Le 16 novembre 2004, la CSST détermine qu’à la suite de la lésion professionnelle, l’atteinte permanente qui a été établie par son médecin est de 1,60 %, incluant le pourcentage pour douleurs et perte de jouissance de la vie. 

[33]           Le travailleur a demandé la révision de ces décisions, entre autres motifs que le Dr Filiatrault procédera à l’évaluation de ses séquelles, considérant qu’un neurologue est mieux qualifié pour ce faire.

[34]           La CSST a rejeté les arguments soumis par le travailleur au motif qu’il ne pouvait contester l’opinion du médecin qui a charge au sens de la loi, d’où le présent litige.

[35]           Le 28 novembre 2005, le Dr Filiatrault procède à une étude EMG qui révèle une réinnervation au niveau des myotomes L4-L5 gauches, sans dénervation active, et une neuropathie surale gauche. L’étude EMG qu’il effectue le 20 avril 2006 est au même effet. À l’examen clinique, il note une allodynie dans le territoire du nerf fémoro-cutané latéral de la cuisse gauche, réinnervation et neuropathie surale gauche et est d’avis que le tout est définitif et irréversible. Il précise que ce n’est pas une expertise neurologique.

[36]           Le 30 mars 2007, le Dr Filiatrault, neurologue, examine le travailleur. Dans son expertise neurologique, ce médecin conclut qu’il y a eu « sous-évaluation majeure du problème relié à la neuropathie du nerf fémoro-cutané et latéral de la cuisse gauche », car il n’y a pas seulement neuropathie, mais une douleur de causalgie majeure qui doit être indemnisée au-delà de la neuropathie simple.

[37]           Dans son bilan des séquelles, le Dr Filiatrault retient que la lésion professionnelle a entraîné les déficits anatomo-physiologiques suivants : 0 % pour atteinte des tissus mous au membre inférieur gauche sans séquelle fonctionnelle, 4 % pour atteinte du nerf fémoro-cutané latéral de la cuisse gauche de classe III (code 114405), 0,5 % pour atteinte du nerf sural (plantaire externe gauche) de classe II (code 114815) et 30 % pour une causalgie majeure affectant le membre inférieur gauche au territoire du nerf fémoro-cutané latéral de la cuisse gauche, de classe III (code 121255).

[38]           Après avoir analysé l’ensemble de la preuve et pris en considération la jurisprudence en la matière, le tribunal ne peut souscrire aux conclusions de la CSST quant au caractère liant des conclusions du Dr Roy concernant les séquelles de la lésion professionnelle.

[39]           Il ressort, en effet, de la preuve au dossier ainsi que du témoignage du travailleur, que durant toute la période en cause, à savoir de la première consultation médicale en juillet 2002 jusqu’à la date où la CSST a rendu ses décisions en novembre 2004, c’est le Dr Duranceau qui a exercé le rôle de médecin qui a charge du travailleur, assurant à la demande de ce dernier, qui l’a choisi, un suivi médical régulier avec référence, au besoin, à différentes spécialités (orthopédie, plastie, neurologie, physiatrie).

[40]           Bien que le Dr Roy ait déjà par le passé examiné le travailleur, il ressort de la preuve que le travailleur a été examiné par la suite par un second orthopédiste, le Dr Pouliot, et que tout au long du dossier, le médecin qui a charge du travailleur est toujours demeuré le Dr Duranceau.

[41]           De plus, bien qu’il ait indiqué à la CSST être d’accord avec les conclusions du Dr Besner, comme au même moment, le Dr Duranceau précisait qu’il rencontrerait le travailleur le lendemain et produirait par la suite le rapport complémentaire, ce qu’il n’a pas fait, transmettant plutôt un rapport final, indiquant au contraire, que la lésion professionnelle a entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, le tribunal retient de la preuve que le Dr Duranceau a changé d’opinion sur la question des séquelles et qu’il n’était plus d’accord avec les conclusions du Dr Besner lorsqu’il a complété son rapport final.

[42]           L’article 203 de la loi précise ce que doit contenir le rapport final émis par le médecin qui a charge du travailleur :

203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

 

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:

 

1°   le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2°   la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

3°   l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[43]           La preuve démontre que sur réception du rapport final, la CSST ne s’est d’ailleurs pas considérée liée, au sens de l’article 224 de la loi[13], par l’accord verbal du Dr Duranceau sur les conclusions du Dr Besner. Elle a demandé au travailleur de se faire évaluer par le médecin de son choix et a considéré que le travailleur avait choisi le Dr Roy, de sorte que ce dernier était le médecin qui a charge en vertu de la loi, d’où les décisions rendues sur cette base.

[44]           La jurisprudence reconnaît, en effet, que le médecin consulté par un travailleur à la demande de son propre médecin peut, en certains cas, être considéré comme un médecin qui a charge au sens de la loi, de sorte que le travailleur ne peut contester le rapport de ce médecin[14]. On a, par exemple, refusé à un travailleur de choisir un deuxième médecin (un physiatre), après qu’une décision ait été rendue concernant l’atteinte permanente établie à la suite d’une évaluation faite par son premier médecin (un orthopédiste), considérant que cette façon de faire constitue un mode de contestation non prévu à la loi, qui, s’il était accepté, conduirait à une surenchère inacceptable[15].

[45]           Retenons cependant que chaque est un cas d’espèce qui doit être analysé en fonction des éléments qui le particularisent.

[46]           Compte tenu que dans le présent dossier, le travailleur ne savait pas par qui il devait se faire évaluer et qu’après différentes démarches, il s’en ait remis à nouveau au Dr Duranceau, comme l’indique la demande de consultation faite par ce dernier le 17 juin 2005, le tribunal considère qu’en ce faisant, le Dr Duranceau a alors repris son « chapeau » de médecin qui a charge au sens de la loi, orchestrant ainsi pour le travailleur le suivi de l’évaluation des séquelles de la lésion professionnelle.

[47]           Or, dans Di Carlo et Pharmaprix Bureau Central[16], la Commission des lésions professionnelles retient notamment que lorsque le médecin qui a charge indique dans son rapport final ses conclusions quant à l’une des questions médicales énoncées à l’article 212 de la loi, le médecin qui procédera à l’évaluation des séquelles doit alors respecter les limites de son mandat et ne peut, directement ou indirectement, substituer son opinion à celle du médecin référant quant au bien-fondé de certaines des questions médicales retenues par celui-ci et qu’en pareil cas, l’avis du second médecin ne peut avoir un caractère liant en vertu de l’article 224 de la loi.

[48]           Dans Lapointe et CLP[17], la Cour d’appel du Québec a d’ailleurs annulé les décisions rendues par les différentes instances, considérant qu’elles étaient manifestement déraisonnables, la CSST ne pouvant pas se considérer liée par le contenu du rapport préparé par le spécialiste à la demande du médecin qui a charge, puisque ce rapport contredisait le rapport final de ce médecin et qu’il n’avait pas communiqué à la travailleuse selon les termes de l’article 203 de la loi.

[49]           Dans Das et Plastiques Balcan ltée[18], la Commission des lésions professionnelles a aussi conclu que la CSST ne pouvait être liée par l’opinion du médecin qui a charge qui change d’idée, sans explication, en se ralliant à l’avis du médecin vers qui il avait dirigé le travailleur pour l’évaluation des séquelles découlant de la lésion professionnelle alors qu’il avait lui-même indiqué la présence de limitations fonctionnelles dans son rapport final. On y précise également que pour qu’un changement d’opinion lie la CSST, la nouvelle opinion doit être claire et étayée afin que l’on puisse comprendre les raisons qui amènent le médecin à modifier son opinion.

[50]           Ainsi, dans le présent dossier, bien que le Dr Roy ait émis un avis qui va dans le même sens que celui du Dr Besner, comme ses conclusions vont dans le sens contraire de celles émises par le Dr Duranceau dans son rapport final, et que c’est en raison de ce rapport final que la demande de consultation a été faite par le médecin qui a charge du travailleur, le tribunal considère qu’avant de se considérer liée par les conclusions du Dr Roy, la CSST aurait dû s’informer auprès du Dr Duranceau pour connaître son opinion à la suite des conclusions opposées du Dr Roy.

[51]           En effet, comme il ressort de l’ensemble des dispositions de la loi que le législateur a voulu accorder un rôle primordial aux conclusions émises par le médecin qui a charge du travailleur sur les questions médicales énoncées à l’article 212 de la loi, puisqu’il a même interdit au travailleur de les contester vu le caractère liant indiqué à l’article 224 de la loi, le tribunal considère que sans ce retour à l’opinion du médecin qui avait charge du travailleur, la CSST ne pouvait être liée par les conclusions énoncées par le Dr Roy et rendre valablement les décisions qu’elle a rendues.

[52]           Considérant que les notes cliniques qui ont été transmises après l’audience, à la demande du tribunal, ne permettent pas de connaître l’opinion du Dr Duranceau à la suite du rapport d’évaluation médicale du Dr Roy, alors que les conclusions de ce dernier contredisent celles émises par le Dr Duranceau dans son rapport final, il s’ensuit que les décisions de la CSST étaient prématurées.

[53]           Considérant que le Dr Filiatrault précise que les rapports d’études EMG ne constituent pas une expertise neurologique et ne doivent pas être utilisés comme tel, et que l’on ignore toujours, au moment de son expertise de mars 2007, l’opinion du Dr Duranceau sur les conclusions du Dr Roy, le tribunal considère que la preuve ne permet pas de conclure, d’une manière prépondérante, que l’opinion du Dr Filiatrault ait un caractère liant au sens de l’article 224 de la loi sur les questions de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[54]           Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le tribunal considère donc qu’il est prématuré de se décider de la capacité du travailleur à exercer son emploi prélésionnel ainsi que des séquelles et de l’indemnité pour préjudice corporel.

[55]           Comme l’article 377 de la loi permet au tribunal de rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu et que l’article 351 de la loi oblige la CSST à rendre ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas, le tribunal considère qu’il y a lieu, en l’espèce, de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle obtienne l’opinion du Dr Duranceau sur les conclusions du Dr Roy quant à l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion professionnelle reconnue, et de permettre à la CSST, si elle le désire, en cas d’avis divergent ou laissant place à interprétation, de demander un avis au Bureau d'évaluation médicale sur ces questions.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête du travailleur, monsieur Michel Leblanc;

DÉCLARE recevables les demandes de révision logées par le travailleur en décembre 2004 à l’encontre des décisions rendues les 15 et 16 novembre 2004;

ANNULE la décision rendue le 7 février 2005 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

ANNULE les décisions rendues initialement les 15 et 16 novembre 2004 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

DÉCLARE prématuré de se prononcer sur les questions en litige;

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu’elle obtienne l’opinion du Dr Duranceau sur les conclusions émises par le Dr Roy dans son rapport d’évaluation médicale d’octobre 2004 quant à l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion professionnelle reconnue et autorise la CSST, si elle le désire, en cas d’avis divergent ou laissant place à interprétation, de demander un avis au Bureau d'évaluation médicale.

 

 

__________________________________

 

Marie-Danielle Lampron

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Mélanie Danakas

ReprésentantE de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           91084-62-9709, 1999-10-22, H. Marchand

[3]           L’article 192 de la loi établit que le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix.

[4]           Guillaume c. C.L.P., C.S. 500-17-024444-054, 2005, 12-14, M.A. Caron, j.c.s.

[5]           Fortin et Société Groupe Emb Pepsi Canada, [2004] C.L.P. 168

[6]           Aucun lien de parenté connue avec la soussignée

[7]           195952-62B-0212, 2004-01-12, Alain Vaillancourt

[8]           «  204 : La CSST peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion (…) ».

[9]           0 % à titre de déficit anatomo-physiologique (dap) pour atteinte des tissus mous de la cuisse gauche sans séquelles fonctionnelles ni changement radiologique, 1 % pour atteinte sensitive de classe II du nerf fémoro-cutané gauche (code 114334), 0,5 % pour atteinte sensitive de classe II du nerf sural gauche (code 114824)

[10]          Art 212 : (…) : 1 le diagnostic; 2°la date ou la période prévisible de consolidation; 3 la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits; 4°l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur; 5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

[11]         Le dossier ne contient aucun rapport complémentaire

[12]         Règlement sur le barème des dommages corporels, (1987) 119 G. O. II, 3845

[13]          « art 224 : Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 ».

[14]         Gagné et Pyrotex ltée [1996] C.A.L.P. 323 ; Landry et Centre d’accueil Émilie Gamelin, [1995] CALP 1049 ; Vézina et Entreprise d’électricité NT ltée, 247694-71-0411, 2006-02-21, C. Racine, révision rejetée, 2006-11-09, A. Suicco

[15]         Fontaine et Lemieux mobilier de bureau inc., 28317-62-9104, 1993-04-29, G. Perreault; Desharnais et Compagnie minière Québec Cartier, 95037-09-9803, 1998-11-23, C. Lessard

[16]         145258-71-0008, 2002-06-07, L. Crochetière; voir aussi Gagnon et CSST, [2005] C.L.P. 798

[17]         C.A. Montréal, 500-09-013413-034, 2004-03-19, jj. Forget, Dalphond, Rayle, (03LP-313)

[18]         228495-72-0402, 2005-10-25, F. Juteau

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