Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Bouchard et Rocoto ltée

2014 QCCLP 3610

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay

19 juin 2014

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

505168-02-1303

 

Dossier CSST :

129906053

 

Commissaire :

Jean-Marc Hamel, juge administratif

 

Membres :

Rodrigue Lemieux, associations d’employeurs

 

Germain Lavoie, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Pierre Bouchard

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Rocoto limitée

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]          Le 8 mars 2013, monsieur Pierre Bouchard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 25 janvier 2013 à la suite d'une révision administrative.

[2]          Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 18 septembre 2012 et déclare que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le ou vers le 29 mars 2012 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi)[2].

[3]          L’audience s’est tenue le 11 octobre 2013 à Saguenay, et ce, en présence du travailleur et de son procureur. Rocoto limitée (l’employeur) était représenté par sa procureure ainsi que la CSST.

[4]          Suivant l’audience, divers documents ont été acheminés au greffe du tribunal dont une déclaration faite devant témoin par un représentant de l’employeur accompagnée d’annexes. La procureure de la CSST s’est objectée au dépôt de ces documents.

[5]          Le 1er novembre 2013, le tribunal jugeait toutefois que ceux-ci étaient pertinents au présent litige et en autorisait le dépôt. La procureure de la CSST a par après demandé à ce qu’une conférence téléphonique soit tenue afin qu’elle puisse avoir l’opportunité de pouvoir interroger hors cour le représentant de l’employeur. Cela lui a été accordé.

[6]          Par la suite, la procureure de la CSST a renoncé à contre-interroger le représentant de l’employeur et a déposé des notes. Par après, les autres procureurs ont également produit les leurs et le délibéré a été entrepris.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[7]          Le travailleur demande au tribunal de déclarer qu’il a subi, le ou vers le 29 mars 2012, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 17 mai 2006 et qu’il a droit aux prestations prévues à la loi.

[8]          Il demande également de déclarer qu’il a droit à l’indemnité de remplacement du revenu pleine, et ce, suivant l’article 51 de la loi.

LES FAITS

[9]          De la preuve documentaire et testimoniale présentée, la Commission des lésions professionnelles retient ce qui suit.

[10]       Le travailleur est âgé de 56 ans. Il a travaillé comme technicien pour l’employeur pendant de nombreuses années.

[11]        En octobre 2005, le travailleur subit une chirurgie personnelle en regard d’une ténosynovite sténosante du majeur gauche. Par la suite, ce dernier reprend son travail régulier.

[12]       Le 17 mai 2006, le travailleur ressent une douleur à la base du majeur de la main gauche, et ce, après avoir maintenu dans les airs quelques minutes une transmission dont le poids est estimé à environ 100 livres.

[13]       Cette réclamation est acceptée en relation avec un diagnostic d’entorse métacarpophalangienne du majeur gauche.

[14]       Par après, un membre du Bureau d'évaluation médicale retient le diagnostic de ténosynovite sténosante du majeur gauche probable. Il considère que la lésion du travailleur n’est pas consolidée et que des soins ou traitements sont toujours nécessaires.

[15]       Par la suite, la Commission des lésions professionnelles entérine un accord et déclare que le diagnostic de la lésion du 17 mai 2006 est une aggravation d’une ténosynovite sténosante, qui est une condition personnelle préexistante[3].

[16]        Subséquemment, le travailleur subit une chirurgie en relation avec sa lésion professionnelle. Celle-ci est par après consolidée avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[17]       En août 2008, le travailleur est examiné par le docteur André Léveillé, plasticien et membre du Bureau d'évaluation médicale en regard de la question du déficit anatomophysiologique et des limitations fonctionnelles.

[18]       Il émet l’avis que le travailleur conserve  un déficit anatomophysiologique important et des limitations fonctionnelles tout aussi importantes.

[19]       Subséquemment, la CSST lui détermine un emploi convenable de commis aux pièces avec une formation. Une décision de capacité à exercer l’emploi convenable est rendue en avril 2009.

[20]        Le 2 avril 2010, le travailleur consulte son médecin. Ce dernier écrit que le travailleur ne peut utiliser sa main gauche de façon répétée et doit cesser ses activités quand les douleurs apparaissent.

[21]       Le 28 juillet 2010, le médecin du travailleur pose les diagnostics d’épicondylite à gauche et à droite. Par la suite, la CSST accepte la réclamation de ce dernier en regard d’une épicondylite au coude gauche. Elle décide par après que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 27 août 2010, soit une épicondylite à droite.

[22]        Le 8 septembre 2010, malgré que la récidive, rechute ou aggravation du mois de juillet 2010 ne soit pas encore consolidée, la CSST écrit au travailleur que suite au rapport médical du 2 avril 2010, il n’y a pas lieu de reconsidérer la décision portant sur sa capacité à exercer l’emploi convenable.

[23]       Cependant, afin de maintenir la capacité de travail du travailleur, la CSST accepte une mesure proposée par une biomécanicienne, soit l’utilisation d’un outil d’aide pour le clavier ordinateur. Ce qui, écrit la CSST, permettra de diminuer les contraintes observées lors de l’analyse du poste de travail qui a été réalisée précédemment.

[24]       L’employeur demande par la suite la révision de cette décision qui est infirmée à la suite d’une révision administrative. Elle déclare que l’organisme n’était pas justifié de rembourser un outil pour l’utilisation du clavier ordinateur.

[25]       Par après, le dossier du travailleur chemine et l’épicondylite gauche est consolidée, suite à un avis du Bureau d'évaluation médicale, et ce, sans atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles. Une décision de capacité à exercer l’emploi convenable déjà déterminé est rendue, et ce, au 14 juin 2011.

[26]       Le 19 mars 2012, le travailleur consulte son médecin. Il lui mentionne qu’il a fait plusieurs entrées à l’ordinateur chez l’employeur et que sa condition a empiré. Dans les notes cliniques du 21 mars 2012, le médecin du travailleur écrit qu’il en a discuté avec un médecin de la CSST.

[27]       Le 28 mars 2012, le médecin du travailleur écrit dans ses notes de consultation que le médecin de la CSST lui a suggéré de remplir un rapport d’aggravation de la condition du travailleur.

[28]       Le médecin du travailleur écrit que l’employeur a retourné le travailleur à la maison, puisqu’il était incapable de faire son travail en raison de douleurs qui s’étendent maintenant dans tout le membre supérieur.

[29]        C’est dans ce contexte que le médecin du travailleur remplit, le 29 mars 2012, un rapport médical CSST mentionnant une aggravation de la ténosynovite sténosante du majeur gauche du travailleur.

[30]        Le médecin note à ce moment-là une baisse de mobilité sévère du majeur gauche et écrit que les quatrième et cinquième doigts sont moins mobiles. Il documente plus amplement ses constatations dans ses notes cliniques.

[31]       Le médecin note également une aggravation de la douleur qu’il relie aux tâches de travail et écrit que le travailleur doit cesser son travail pour une durée d’un mois.

[32]        Le 18 septembre 2012, la CSST refuse la réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 29 mars 2012, d’où le présent litige.

[33]        En prévision de l’audience, le procureur du syndicat achemine au greffe du tribunal un rapport d'expertise médicale rédigé le 7 mars 2013 par le docteur Naji Abinader, chirurgien orthopédiste. Ce dernier avait déjà examiné le travailleur en juin 2011.

[34]       Le docteur Abinader mentionne l’impact d’une déformation vicieuse et non fonctionnelle au niveau du majeur gauche sur le fonctionnement des  autres doigts. Il est par ailleurs d’avis que le travailleur a effectué un retour au travail inapproprié et sans changement adéquat.

[35]       Il considère que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 29 mars 2012, et ce, même s’il n’a pas constaté de changement objectif entre son examen de 2011 et celui de 2013. À son avis, la lésion du travailleur n’est pas consolidée et nécessite une amputation du majeur gauche.

[36]        À l’audience, le travailleur explique les difficultés qu’il a à effectuer son travail de commis aux pièces et à faire des entrées sur l’ordinateur de la façon dont il doit le faire, soit avec un crayon.

[37]        Cette méthode de travail a par la suite été cessée, mais cela n’a pas donné les résultats escomptés, puisqu’il n’était pas suffisamment compétitif.

[38]       D’autre part, il rapporte qu’au mois de mars 2012, il a consulté son médecin puisque sa condition s’était davantage détériorée, et ce, suite à son retour au travail comme commis aux pièces pour l’employeur.

[39]       Ainsi, en plus de douleurs importantes éprouvées au site lésé et à d’autres doigts de la main gauche, la douleur se fait également ressentir au membre supérieur et à la région des omoplates.

[40]       Suivant l’audience, comme déjà dit, divers documents ont été déposés, dont une déclaration faite devant témoin par un représentant de l’employeur accompagnée d’annexes.

[41]        Ce dernier écrit que pour l’année 2009, le travailleur a effectué 51 heures au cours du mois d’octobre et que c’est suite à l’ouverture d’un poste vacant de commis aux pièces qu’il a demandé son droit de retour au travail.

[42]        Par la suite, dans une lettre datée du 14 octobre 2009, adressée au travailleur, l’employeur l’avise qu’il ne correspond pas aux exigences du poste. Des griefs alors sont formulés.

[43]       C’est dans ce contexte que le syndicat et l’employeur sont finalement arrivés à un accord afin d’accorder plus de temps au travailleur afin d’être formé à titre de commis aux pièces. Celui-ci a terminé sa formation au poste de commis aux pièces le ou vers le 15 mars 2010.

[44]       Dans cette déclaration, faite devant témoin, le représentant de l’employeur mentionne que le travailleur a œuvré en 2010 pour un total de 792,63 heures pour l’employeur, mais n’a pas travaillé en 2011.

[45]       En 2012, celui-ci n’a effectué que 84,56 heures, et ce, qu’au cours du mois de mars.

L’AVIS DES MEMBRES

[46]        Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis d’accueillir la requête du travailleur.

[47]       Ils considèrent que ce dernier a démontré, par une preuve jugée prépondérante, qu’il a subi, et ce, le 29 mars 2012, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 17 mai 2006 et qu’il a droit aux prestations prévues à la loi.

[48]       Ils sont aussi d’avis que le travailleur a démontré, par une preuve jugée prépondérante, qu’il a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, entre autres, suivant l’article 51 de la loi.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[49]        La Commission des lésions professionnelles doit d’abord déterminer si le travailleur a subi, et ce, le ou vers le 29 mars 2012, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 17 mai 2006 et s’il a droit aux prestations prévues à la loi.

[50]        Elle décidera ensuite si le travailleur a droit à l’application de l’article 51 de la loi.

[51]        L’article 2 de la loi définit ainsi la notion de lésion professionnelle :

 

 

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[52]       La loi ne définit pas ce que constitue une récidive, rechute ou aggravation. Il faut retenir, comme le rappelle la jurisprudence[4] du tribunal, le sens courant des termes, soit une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes.

[53]        Selon cette même jurisprudence[5], le travailleur doit démontrer, par une preuve jugée prépondérante, que la récidive, rechute ou aggravation est reliée à l’événement d’origine. On ne peut présumer de cette relation et le témoignage seul du travailleur, pour établir la relation, est insuffisant. Il faut une preuve médicale pour établir celle-ci.

[54]        Cette même jurisprudence a défini les paramètres pour déterminer s’il existe une relation entre la récidive, rechute ou aggravation alléguée et l’événement initial.

[55]        Le tribunal tient compte de la gravité de la lésion initiale, du diagnostic posé initialement et celui retenu au moment de la récidive, rechute ou aggravation, de la continuité de la symptomatologie et de l’existence ou non d’un suivi médical et du retour au travail, avec ou sans limitations fonctionnelles.

[56]       Il tient également compte de la présence ou de l’absence d’une atteinte permanente, de la présence ou de l’absence de conditions personnelles, de la compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la récidive, rechute ou aggravation et du délai qui s’est écoulé entre les deux lésions. 

[57]        Selon cette même jurisprudence[6], aucun de ces paramètres n’est à lui seul décisif, mais une analyse globale de la situation s’impose.

[58]       Le tribunal est d’avis, en l’espèce, que la preuve prépondérante administrée permet de reconnaître que le travailleur a subi, et ce, le 29 mars 2012, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 17 mai 2006.

[59]       À cet égard, le médecin du travailleur, dans son rapport médical et ses notes cliniques du 29 mars 20012, mentionne des signes objectifs d’une récidive, rechute ou aggravation, dont une baisse de mobilité sévère du majeur gauche.

[60]       De plus, le médecin du travailleur écrit que les quatrième et cinquième doigts sont moins mobiles. Ce dernier note également une aggravation de la douleur qu’il relie aux tâches de travail et écrit que celui-ci doit cesser son travail pour une durée d’un mois.

[61]       Cela témoigne, de l’avis du tribunal, d’une détérioration de l’état de ce dernier, d’autant que ce médecin, qui connaît bien la condition du travailleur, n’avait jamais documenté cela antérieurement.

[62]       En outre, comme l’écrit le docteur Abinader, le travailleur a tenté d’effectuer ses fonctions tant bien que mal, et ce, malgré que son poste de travail n’ait pas été adapté à sa condition.

[63]       La CSST l’a d’ailleurs reconnu alors qu’elle a accepté une mesure proposée par une biomécanicienne, soit l’utilisation d’un outil d’aide pour le clavier ordinateur. Ce qui, écrit la CSST, devait permettre de diminuer les contraintes observées lors de l’analyse du poste de travail qui a été réalisée précédemment.

[64]       De plus, le tribunal note qu’il existe un lien temporel entre l’accroissement des douleurs au site lésé et la reprise du travail. Cela oriente vers une relation entre cette reprise du travail et la détérioration de l’état du travailleur.

[65]       En outre, rappelons que la lésion initiale a nécessité une intervention chirurgicale et a laissé une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles importantes et que la compatibilité des symptômes allégués avec la lésion initiale est démontrée.

[66]       Il y a donc lieu de conclure que la détérioration de l’état du travailleur, constatée le 29 mars 2012, est en relation avec la lésion professionnelle initiale, et ce, d’autant qu’aucune autre cause n’a été ici démontrée.

[67]       Ainsi, force est donc de conclure que cette condition découle plus probablement de la lésion initiale que de toute autre cause.

[68]        Au surplus, comme le rappelle le tribunal dans l’affaire Dubé et Entreprises du Jalaumé enr. (Les)[7], il n’est pas strictement requis de démontrer la présence de signes nouveaux qui soient purement objectifs en matière de récidive, rechute ou aggravation.

[69]       En effet, la preuve de la réapparition ou de l’intensification de signes cliniques déjà présents, même partiellement objectifs ou purement subjectifs, suffit, lorsqu’ils sont fiables.

[70]       En outre, le tribunal apprécie que le lien de causalité entre la récidive, rechute ou aggravation alléguée et la lésion professionnelle initiale peut aussi ici se déduire par une présomption de fait, tirée d’indices graves, précis et concordants, prouvés en l’espèce.

[71]       Ainsi, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, la preuve tant médicale[8] que testimoniale démontre que la récidive, rechute ou aggravation alléguée est en relation avec l’événement d’origine.

[72]       Le tribunal doit maintenant examiner si le travailleur a droit à l’application de l’article 51 de la loi. Cet article se lit comme suit :

51.  Le travailleur qui occupe à plein temps un emploi convenable et qui, dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l'exercer, doit abandonner cet emploi selon l'avis du médecin qui en a charge récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.

 

 

Le premier alinéa ne s'applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d'avis que celui-ci n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur.

_________

1985, c. 6, a. 51.

 

[nos soulignements]

 

 

[73]       Il n’est pas remis en cause que le tribunal puisse se saisir de cette question, même si le litige concerne initialement un litige en regard d’une récidive, rechute ou aggravation.

[74]       En effet, en vertu de l’article 377 de la loi, la Commission des lésions professionnelles peut rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu. En outre, les parties ont eu l’occasion de faire valoir leurs prétentions à cet égard.

[75]       Cet article 377 de la loi se lit comme suit :

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

[nos soulignements]

 

 

[76]        L’article 51 de la loi mentionne quatre conditions d’ouverture pour s’appliquer :

-       occuper à plein temps un emploi convenable;

-       abandonner cet emploi dans les deux ans suivant le début d’exercice;

-       abandonner cet emploi suivant l’avis du médecin qui a charge;

-     obtenir un avis du médecin qui a charge à l’effet que le travailleur n’est pas raisonnablement en mesure d’occuper l’emploi convenable ou que celui-ci comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur.

 

[77]        En l’espèce, tel qu’il appert du dossier, une décision de capacité à exercer un emploi convenable a été rendue le 14 avril 2009.

[78]       Dans les faits, toutefois, le travailleur a commencé à exercer son travail à plein temps pour l’employeur dans un poste de commis aux pièces seulement qu’à la mi-mars 2010, et ce, suivant la déclaration devant témoin d’un représentant de l’employeur accompagnée d’annexes.

[79]       Cette déclaration du témoin n’a pas été contredite et le tribunal la juge probante, et ce, en l’absence de preuve de faits prouvés démontrant que ces éléments de preuve ne sont pas fiables. En outre, sont joints à cette déclaration, des documents qui documentent la déclaration du témoin et qui n’ont pas été contredits non plus.

[80]       Le travailleur n’a donc pas occupé un emploi convenable à plein temps avant la mi-mars 2010. Or, au début du mois d’avril 2010, le médecin du travailleur mentionne que le travailleur ne peut utiliser sa main gauche de façon répétée et qu’il doit cesser les activités quand les douleurs apparaissent.

[81]       Cela démontre très certainement que le médecin du travailleur était alors d’avis que ce dernier ne pouvait alors pas être raisonnablement en mesure d’effectuer cet emploi convenable ou que celui-ci comportait un danger pour la santé et la sécurité d’intégrité physique du travailleur.

[82]       Le tribunal en est d’autant convaincu que la CSST, suite à ce rapport médical, bien qu’elle ait refusé de reconsidérer sa décision en date du 8 septembre 2010, a accepté une mesure proposée et validée, soit d’utiliser un outil d’aide à l’utilisation du clavier d’ordinateur, puisque, écrit-elle, cette mesure permettra de diminuer les contraintes observées lors de l’analyse du poste de travail du travailleur.

[83]       C’est donc dire que, même à ce moment-là, la CSST ne considérait pas que le travailleur pouvait être raisonnablement en mesure d’effectuer cet emploi convenable, ou était raisonnablement en mesure d’occuper l’emploi convenable, ou était d’avis que celui - ci comportait un danger pour la santé et la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur.

[84]       La CSST aurait plutôt dû, à ce moment-là, rendre une décision reconsidérant celle précisant que le travailleur était capable d’exercer l’emploi convenable ou en rendre une selon l’article 51 de la loi, car il était alors manifeste que celui-ci ne pouvait alors exercer son emploi convenable.

[85]       L’organisme le reconnaît presque explicitement en rendant une décision sur une mesure de travail le 8 septembre 2010, et ce, soit de permettre au travailleur d’utiliser un outil d’aide à l’utilisation du clavier d’ordinateur, puisque, écrit-elle, cette mesure permettra de diminuer les contraintes observées lors de l’analyse du poste de travail de ce dernier. 

[86]        Il doit être noté que cette dernière décision de la CSST a été rendue alors que l’organisme avait déjà précédemment décidé que le travailleur avait subi une récidive, rechute ou aggravation au niveau de l’épicondylite gauche en juillet 2010 et que cette lésion n’était pas encore consolidée.

[87]        Par après, suivant la décision donnant suite à l’avis du Bureau d'évaluation médicale qui consolidait la récidive, rechute ou aggravation de juillet 2010, en date du 14 juin 2011, et ce, sans atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles, le travailleur est retourné travailler 84,56 heures pour l’employeur en mars 2012.

[88]        C’est par la suite que le travailleur a déposé une réclamation pour faire reconnaître qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 29 mars 2012 et dont le tribunal a déjà traité précédemment.

[89]       Dans son rapport médical et ses notes du 29 mars 2012, le médecin du travailleur fait clairement voir que cet emploi comporte des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique de ce dernier, puisqu’il documente que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation de sa condition. Le tribunal l’a d’ailleurs reconnu.

[90]       La Commission des lésions professionnelles conclut que c’est à compter de la mi-mars 2010 que doit être computé le délai prévu à l’article 51 de la loi, puisque c’est à compter de ce mois-là que le travailleur a commencé à occuper un emploi à plein temps pour l’employeur.

[91]       Il a cependant subi une récidive, rechute ou aggravation acceptée par la CSST au mois de juillet 2010 et, pour le tribunal, il y a eu interruption de la période de deux ans prévue à l’article 51 de la loi.

[92]        En effet, le travailleur est alors dans l’incapacité d’exercer l’emploi convenable en raison d’une récidive, rechute ou aggravation survenue et, pendant cette période, il ne peut continuer d’exercer son emploi.

[93]       Il y a ici interruption de la même façon qu’il y a suspension du droit du travailleur de recevoir une indemnité de remplacement du revenu pour recherche d’emploi lorsqu’il subit une récidive, rechute ou aggravation et que son année de recherche d’emploi n’est pas complétée.

[94]       Ainsi, comme dit, en l’espèce, le travailleur était alors dans l’incapacité d’exercer l’emploi convenable en raison d’une récidive, rechute ou aggravation survenue et, pendant cette période, il ne pouvait continuer d’exercer son emploi, de sorte qu’il il y a eu interruption de la période de deux ans prévue à l’article 51 de la loi.

[95]       Le tribunal estime que l’interprétation qu’il retient s’harmonise avec l’article 1 de la loi qui a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires:

1.  La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.

 

[nos soulignements]

 

 

[96]       Le tribunal en vient d’autant à cette conclusion qu’elle s’accorde avec l’article 351 de la loi[9]. En outre, le caractère social de la loi justifie une interprétation large et libérale de ces dispositions conformément à l’article 41 de la Loi d’interprétation[10]. Ces articles se lisent comme suit :

351.  La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.

 

Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.

__________

1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.

 

[nos soulignements]

 

41. Toute disposition d'une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d'imposer des obligations ou de favoriser l'exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.

 

Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l'accomplissement de son objet et l'exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.

 

S. R. 1964, c. 1, a. 41; 1992, c. 57, a. 602.

 

[nos soulignements]

 

 

[97]       Ainsi, de l’avis du tribunal, l’approche qu’il retient permet d'atteindre l'objectif de la loi qui est la réparation des lésions professionnelles et de leurs conséquences.

[98]       La Commission des lésions professionnelles conclut donc que les conditions d’application de l’article 51 de la loi sont ici remplies. Dans les circonstances, la requête du travailleur est accueillie.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Pierre Bouchard, le travailleur;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 25 janvier 2013 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 29 mars 2012 et qu’il a droit aux prestations prévues à la loi, entre autres, suivant l’article 51 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

 

Jean-Marc Hamel

 

 

 

 

Me Adam Minier

GAGNON, TREMBLAY AVOCATS

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Lise Turcotte

BÉCHARD, MORIN, AVOCATS

Représentante de la partie intéressée

 

 

Me Stéphanie Lefrançois

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]          RLRQ, c. A-3.001.

[2]           La CSST a ici d’abord jugé recevable la demande de révision déposée par le travailleur.

[3]           Rocoto ltée et Bouchard, C.L.P. 304193-02-0611, 4 mai 2009, J.-M. Hamel.

[4]           Lapointe et Compagnie minière Québec-Cartier, [1989] C.A.L.P. 38.

[5]           Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P. 19.

[6]           Précitée, note 5. Voir aussi: Bisson et Wal-Mart Canada (Commerce détail), 2012 QCCLP 5886.

[7]           C.L.P. 380599-01A-0906, 21 septembre 2009, G. Tardif.

[8]           L’opinion du docteur Abinader sur cette question va également en ce sens, et ce, même s’il ne l’écrit pas de cette manière.

[9]           Dans l’affaire Simon c. Commission scolaire de l’Or-et-des-Bois, 2006 QCCA 507, la Cour d’appel du Québec rappelait que cette disposition s’applique tant à la CSST qu’à la Commission des lésions professionnelles.

[10]          RLRQ, c. I-16.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.