Di Vito et Garage Matte, s.e.n.c. |
2012 QCCLP 2955 |
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[1] Le 19 janvier 2012, monsieur Mario Di Vito (le travailleur) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), rendue le 22 décembre 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST conclut, dans un premier temps, que la réclamation du travailleur a été produite dans le délai légal et qu’elle est recevable. Dans un second temps, la CSST déclare que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 21 janvier 2011.
[3] Une audience est tenue à Longueuil, le 3 avril 2012. Le travailleur est présent et représenté et Garage Matte SENC (l’employeur) est présent. Un délai a été accordé au travailleur afin de produire un complément de preuve médicale (protocole opératoire). L’affaire a été mise en délibéré le 12 avril 2012.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle le 21 janvier 2011, pour laquelle un diagnostic de hernie inguinale gauche a été émis le 1er février 2011.
LES FAITS
[5] Le travailleur est âgé de 72 ans. Il exerce le métier de mécanicien depuis 1956.
[6] Le 1er février 2011, le travailleur consulte le docteur Irwin Rodier, pour un problème de hernie inguinale gauche. Celui-ci ne remplit pas de rapport médical.
[7] Le 22 août 2011, le docteur Rodier rédige les notes manuscrites suivantes, une première adressée à la CSST et une seconde adressée à l’employeur :
Dear Sirs, (CSST)
I saw Mr. Mario di Vito on Feb 1 2011. He told me that he lifted a few heavy "van" tires and felt pain in left lower quadrant on Jan 21 2011. He was at work. I examined him and diagnozed a moderately longe left inguinal hernia. He was referred to Dr Jean Tchervenkov, a surgeon at Westmount medical specialists. The size of the hernia was not great enough to operate on at the time.
Manager,
To : Garage Matte,
Montreal
I examined Mr. Mario Di Vito today regarding his left inguinal hernia. It is considerably larger than in Feb 2011 and is very incomfortable. It needs to be repaired as soon as is possible.
Until such time as he undergoes repair, he should be given only light work to do so as not to increase, further, the size of his hernia.
[8] Le 15 septembre 2011, le docteur Jean I. Tchervenkov, chirurgien, procède à une cure de hernie inguinale gauche incarcérée. Au protocole opératoire, il indique que le diagnostic postopératoire est une hernie inguinale gauche indirecte incarcérée.
[9] Le 20 septembre 2011, le docteur Tchervenkov mentionne, sur une note adressée à l’employeur, que le travailleur sera en convalescence pendant une période de dix semaines et qu’il pourra reprendre son travail le 6 décembre 2011.
[10] Le 13 octobre 2011, un Avis de l’employeur et demande de remboursement fait état d’un événement survenu au travailleur le 21 janvier 2011, dans les circonstances suivantes :
En réparant un pneu d’une camionnette, j’ai levé le pneu pour le poser, et c’est là que c’est arrivé. Je me suis fais une hernie.
[11] Sur ce formulaire, il est également indiqué que le travailleur a avisé l’employeur le 21 janvier 2011 et qu’il a cessé de travailler le 15 septembre 2011.
[12] Le 7 novembre 2011, la CSST refuse la réclamation du travailleur, au motif qu’elle n’a pas été produite dans le délai légal de six mois.
[13] Le 22 décembre 2011, en révision administrative, la CSST déclare que la réclamation du travailleur est recevable puisqu’elle a été produite environ un mois après le moment où il avait un intérêt réel et actuel à produire une réclamation. Cependant, elle conclut que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 21 janvier 2011, pour les motifs suivants :
Aux fins de rendre sa décision, la Révision administrative constate qu’aucun rapport médical, selon la formule prescrite par la Commission, n’est au dossier. En l’absence d’un diagnostic liant la Commission, la Révision administrative ne peut vraisemblablement conclure à une lésion professionnelle.
Au surplus, même en considérant le diagnostic de hernie inguinale gauche apparaissant à la lettre du 22 août 2011, le délai de consultation médicale et le délai pour cesser de travailler ne permettraient pas de conclure à une lésion professionnelle.
[14] Le travailleur témoigne à l’audience. Il signale que son fils est son employeur. Il explique que le 21 janvier 2011, il installait, sur une camionnette placée sur un monte-charge, un pneu monté sur sa jante. Alors qu’il effectuait cette manœuvre, il a ressenti une douleur à l’aine gauche. Il a immédiatement avisé son fils et il a consulté le docteur Rodier, le 1er février 2011. Celui-ci n’a pas rempli de rapport médical étant donné que la hernie était petite. Cependant, au cours des mois qui ont suivi, elle a grossi, de sorte qu’il a dû consulter de nouveau en août 2011. C’est à ce moment que le docteur Rodier l’a dirigé en chirurgie, auprès du docteur Tchervenkov. Le travailleur affirme qu’il n’avait aucune douleur à l’aine gauche avant cet événement. Il a repris le travail en décembre 2011.
L’AVIS DES MEMBRES
[15] Le membre issu des associations d’employeurs retient que l’absence d’un rapport médical « CSST » ainsi que le délai de consultation ne permettent pas de conclure que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 21 janvier 2011. Il est d’avis que sa requête devrait être rejetée.
[16] Le membre issu des associations syndicales retient que la preuve révèle que le travailleur a consulté une première fois le 1er février 2011 et qu’il a attendu au mois d’août 2011 pour consulter de nouveau, parce qu’il est demeuré au travail. Il estime que la preuve non contredite milite en faveur de l’acceptation de la réclamation du travailleur et que sa requête devrait être accueillie.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[17] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle sous forme d’un accident du travail le 21 janvier 2011.
[18] L’accident du travail est défini à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[19] Tout d’abord, le tribunal constate que la CSST, en révision administrative, a déterminé que la réclamation du travailleur a été produite dans le délai de six mois prévu à la loi et qu’elle est recevable.
[20] Par ailleurs, en ce qui concerne le fait « qu’aucun rapport médical, selon la formule prescrite par la Commission, n’est au dossier », le tribunal se réfère aux motifs suivants, retenus par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Ganotec inc. et Charette[2]:
[19] La loi, à son chapitre VI, contient 28 articles relatifs à la procédure d’évaluation médicale. Ces dispositions ne sont pas de simples règles de procédure. Elles constituent le cadre juridique détaillé à l’intérieur duquel le médecin qui a charge fait d’abord connaitre le diagnostic et les autres conclusions qu’il retient après avoir examiné un travailleur.
[20] L’article 199 de la loi oblige le premier médecin qui prend charge d’un travailleur à produire une attestation précisant le diagnostic qu’il retient ainsi que son opinion sur la période prévisible de consolidation de la lésion :
199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:
1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou
2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.
Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.
1985, c. 6, a. 199.
[21] Ce n’est pas sans raisons si le document exigé par l’article 199 est qualifié d’attestation par le législateur. C’est parce qu’il a pour but d’attester du fait qu’un médecin a examiné le travailleur et qu’une blessure ou une maladie a été diagnostiquée. Pour ce faire, il est essentiel que le document existe et qu’il contienne le nom et la signature du médecin qui le produit.
[22] Le tribunal est d’accord avec le juge administratif Jean-François Martel qui écrit, dans l’affaire Beaucaire et Municipalité de St-Joseph-du-Lac2 :
« Le dépôt d’une attestation médicale émanant du médecin qui a charge du travailleur blessé est un élément nécessaire à la prise en considération initiale de toute demande en vue d’obtenir les avantages prévus à la loi, selon la procédure de réclamation instaurée au chapitre VIII de la loi, tout comme à la détermination subséquente des droits des parties impliquées est tributaire des autres rapports médicaux souscrits par le ou les médecins ayant pris le travailleur en charge ».
[23] Il n’est pas nécessaire de décider si l’utilisation du formulaire prescrit par la CSST est une condition de validité de l’attestation médicale. La Commission des lésions professionnelles a déjà décidé qu’un document manuscrit, produit par le médecin qui a charge, peut être valide s’il est, par ailleurs, conforme aux exigences de l’article 199 et qu’il est transmis à l’employeur3.
[24] Il est toutefois contraire à la loi de reconnaître une lésion professionnelle en l’absence de tout document produit par un médecin et contenant les informations requises par l’article 199 de la loi.
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2 C.L.P. 166237-64-0107, 195115-64-0211, 26 mai 2004
3 Poirier et Macco Organiques et CSST, C.L.P. 238408-62C-0407, 22 juin 2006, N. Tremblay
[21] En l’espèce, le tribunal estime que le document manuscrit, produit à la CSST par le médecin traitant, le 22 août 2011, ainsi que la note du 20 septembre 2011 émanant du docteur Tchervenkov contiennent suffisamment d’éléments pour être considérés conformes aux exigences de l’article 199 de la loi et, par conséquent, valides.
[22] Ainsi, le diagnostic qui lie la Commission des lésions professionnelles aux fins de rendre la présente décision est celui de hernie inguinale indirecte gauche.
[23] L’événement allégué du 21 janvier 2011 est confirmé par le médecin traitant dès la première consultation, qui a lieu le 1er février 2011. Le délai de dix jours pour consulter s’explique par le fait que les symptômes étaient relativement mineurs au cours de cette période.
[24] En second lieu, le travailleur a fourni un effort important le 21 janvier 2011 lorsqu’il a soulevé, à bout de bras, un pneu de camionnette.
[25] Même s’il s’agit d’un geste qu’il pose à l’occasion, cela n’empêche pas qu’il puisse être qualifié d’évènement imprévu et soudain. Cette notion est interprétée de manière large et elle peut inclure différentes situations, telles qu’un faux mouvement, un effort excessif ou un mouvement mal exécuté. [3]
[26] La Commission des lésions professionnelles rappelait, dans l'affaire Martin et Saturn Isuzu de Trois-Rivières inc.[4], qu'exclure de la définition d'accident du travail les activités posées dans le cadre normal du travail apparaît un illogisme certain. Un événement imprévu et soudain peut très bien survenir dans le cours des activités normales de travail.
[27] Finalement, il appert, de l’opinion non contredite du docteur Rodier, que le fait d’avoir soulevé un pneu lourd en hauteur, le 21 janvier 2011, a entraîné une hernie inguinale gauche.
[28] Par conséquent, à la lumière de la preuve soumise à son appréciation, la Commission des lésions professionnelles conclut que la hernie inguinale indirecte gauche du travailleur est une lésion professionnelle survenue par le fait d’un accident du travail le 21 janvier 2011.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Mario Di Vito, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 22 décembre 2011, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 21 janvier 2011, à savoir une hernie inguinale indirecte gauche.
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Johanne Landry |
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Me Richard A. Moss |
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Représentant de la partie requérante |
AVIS :
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