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ORDRE DES PSYCHOLOGUES DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N° : |
33-14-00444 |
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DATE : |
Le 27 janvier 2017 |
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LE CONSEIL : |
Me MYRIAM GIROUX-DEL ZOTTO |
Présidente |
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M. ANDRÉ DESCHAMBAULT, psychologue |
Membre |
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Mme MADELEINE QUINTAL, psychologue |
Membre |
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Mme SUZANNE CASTONGUAY, M. Ps., psychologue, ès qualités de syndique adjointe de l'Ordre des psychologues du Québec |
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Partie plaignante |
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c. |
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M. JEAN-PIERRE ALLAIRE, M. Ps., psychologue (permis no : 03560-83) |
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Partie intimée |
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION RECTIFIÉE |
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Conformément à l’article 142 du Code des professions, le Conseil a INTERDIT LA divulgation, LA publication ET LA diffusion des pièces SP-9, sp-12, sp-13, sp-14, sp-16, sp-20 et SI-2 ainsi que le nom des personnes mentionnées dans la plainte et dans les documents déposés en preuve, de même que de tout renseignement permettant de les identifier, ET CE, Pour assurer la protection de leur vie privée. |
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Considérant que la décision sur culpabilité et sanction rendue le 7 octobre 2016 comporte une erreur matérielle à la conclusion à l’égard de la recommandation de supervision faite au Conseil d’administration de l’Ordre;
Considérant que le Conseil peut d’office rectifier une erreur matérielle dans une décision qu’il a rendue, conformément à l’article 161.1 du Code des professions;
En conséquence, le Conseil rectifie la décision rendue le 7 octobre 2016 pour y substituer le mot sessions par le mot dossiers, conformément à la recommandation apparaissant au paragraphe 122 de la décision.
INTRODUCTION
[1] La plainte disciplinaire à la base du présent recours reproche à l’intimé d’avoir utilisé le paranormal dans l’exercice de sa profession concernant deux clientes, ce qui ne constitue pas une pratique selon des principes scientifiques et professionnels généralement reconnus en psychologie et de façon conforme aux règles de l’art de la profession.
[2] Plus précisément, dans le cadre de son suivi psychothérapeutique auprès de ces deux clientes, l’une adolescente de 13 ans souffrant notamment d’hallucinations et l’autre, une personne adulte atteinte d’un cancer incurable en phase terminale, l’intimé leur recommande de consulter un médium qu’il connaît et qu’il consulte déjà pour lui-même depuis plusieurs années. Pour la cliente atteinte d’un cancer, l’intimé va jusqu’à la conduire chez ce médium afin qu’elle et lui puissent le consulter.
AVANT-PROPOS SUR LE CHANGEMENT DE PRÉSIDENCE |
[3] Le 25 mars 2014, la syndique adjointe, Mme Suzanne Castonguay (la plaignante), dépose au Conseil de discipline de l’Ordre des psychologues (le Conseil) une plainte à l’encontre de l’intimé.
[4] Le 11 mars 2015, le Conseil, présidé par Me Serge Vermette, se réunit pour l’audition sur culpabilité et sanction à l’égard de l’intimé.
[5] D’entrée de jeu, la plaignante demande au Conseil de modifier les chefs 1 et 2 de la plainte disciplinaire.
[6] Du consentement des parties, le Conseil, séance tenante, autorise la production de la plainte modifiée.
[7] L’intimé enregistre alors un plaidoyer de culpabilité sur les trois chefs d’infraction énumérés à la plainte modifiée.
[8] Le Conseil le déclare coupable, séance tenante, des chefs d’infraction tels que libellés dans la plainte modifiée en vertu de l’article 5 du Code de déontologie des psychologues.
[9] Il prononce également la suspension conditionnelle des procédures quant aux renvois aux articles 4, 7 et 41 du Code de déontologie des psychologues ainsi qu’à l’article 59.2 du Code des professions sur chacun des chefs.
[10] Du consentement des parties, le Conseil procède immédiatement à l’audition au sujet de la sanction.
[11] L’audition sur la sanction se poursuit les 17 mars et 20 avril 2015.
[12] Au terme de l’audition du 20 avril 2015, le Conseil prend la cause en délibéré.
[13] Le 17 septembre 2015, Me Serge Vermette démissionne du Bureau des présidents des conseils de discipline (BPCD) et, par le fait même, se dessaisit de la présente plainte avant qu’une décision sur sanction soit rendue.
[14] Le 13 octobre 2015, la présidente en chef du BPCD tient une conférence de gestion avec les avocats des deux parties afin de vérifier leur position sur la suite à donner à ce dossier.
[15] Lors de cette conférence de gestion, il a été offert et accepté qu’un nouveau président de Conseil prenne connaissance de l’enregistrement des audiences tenues les 11 mars, 17 mars et 20 avril 2015 et poursuive le délibéré, afin de rendre la décision qui s’impose, de concert avec les deux autres membres du Conseil.
[16] À la suite de la réception des enregistrements, la présidente en chef du BPCD, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés à l’article 118.5 du Code des professions, désigne Me Myriam Giroux-Del Zotto comme nouvelle présidente de Conseil.
[17] Ces mesures sont dans l’intérêt des parties ainsi que d’une saine administration de la justice disciplinaire.
LA PLAINTE
[18] Les reproches formulés à la plainte modifiée sont ainsi libellés :
1. À Rimouski, vers avril 2012, dans le cadre d'un suivi psychothérapeutique avec une adolescente de 13 ans, et alors que cette dernière avait des hallucinations visuelles et auditives, et avait été hospitalisée en psychiatrie, notamment du 15 au 20 mars 2012, il n'a pas eu une conduite irréprochable, n'a pas respecté les principes scientifiques généralement reconnus en psychologie et n'a pas agi avec compétence en affirmant notamment à sa cliente et/ou à ses parents que l'adolescente pouvait avoir un « don » paranormal, en lui suggérant des émissions de télévision, une conférence sur le sujet et de la lecture sur le paranormal, de même qu'en lui demandant de taire ses hallucinations visuelles et auditives auprès de son psychiatre traitant, contrevenant ainsi aux articles 4, 5, 7 et 41 du Code de déontologie des psychologues, R.Q., chapitre C-26, r. 212, ainsi qu'à l'article 59.2 du Code des professions, chapitre C-26;
2. À Rimouski, vers avril 2012, dans le cadre d'un suivi psychothérapeutique avec une adolescente de 13 ans, et alors que cette dernière avait des hallucinations visuelles et auditives, et avait été hospitalisée en psychiatrie, notamment du 15 au 20 mars 2012, il n'a pas eu une conduite irréprochable, n'a pas respecté les principes scientifiques généralement reconnus en psychologie et n'a pas agi avec compétence en recommandant à sa cliente et/ou à ses parents de consulter un médium qu'il connaissait et consultait lui-même, allant même jusqu'à leur remettre le numéro de téléphone de ce dernier, contrevenant ainsi aux articles 4, 5, 7 et 41 du Code de déontologie des psychologues, R.Q., chapitre C-26, r. 212, ainsi qu'à l'article 59.2 du Code des professions, chapitre C-26;
3. À Rimouski, vers avril 2013, dans le cadre d'un suivi psychothérapeutique avec une femme de 34 ans, il n'a pas eu une conduite irréprochable, n'a pas respecté les principes scientifiques généralement reconnus en psychologie et n'a pas agi avec compétence en recommandant à sa cliente de consulter un médium, allant même jusqu'à faire le trajet en voiture jusqu'en Gaspésie avec sa cliente dans le but que lui-même et sa cliente puissent consulter ledit médium, contrevenant ainsi aux articles 4, 5, 7 et 41 du Code de déontologie des psychologues, R.Q., chapitre C-26, r. 212, ainsi qu'à l'article 59.2 du Code des professions, chapitre C-26;
(Reproduction intégrale sauf pour le nom des personnes)
LE CONTEXTE
[19] L’intimé est membre de l’Ordre des psychologues du Québec (l’Ordre) depuis 1983.
[20] De 1983 à 2009, il exerce sa profession auprès d’une clientèle adulte qui présente différents problèmes de santé physique et mentale. Ses clients sont suivis en bureau privé ou dans le réseau public de la santé. Son expérience avec la clientèle infantile et juvénile se résume à celle acquise durant ses études de maîtrise.
[21] En 2009, l’intimé accepte de travailler en psychiatrie infantile et juvénile au sein de l’équipe multidisciplinaire de psychiatrie du CSSS Rimouski-Neigette, malgré qu’il soit peu familier avec cette clientèle, tout en continuant à offrir ses services professionnels en bureau privé auprès d’une clientèle adulte.
[22] Avant d’être embauché, l’intimé informe le CSSS Rimouski-Neigette de son inconfort à traiter une clientèle infantile et juvénile. L’intimé doute de ses compétences à suivre une telle clientèle. Pour l’aider à relever ce nouveau défi professionnel, deux de ses collègues psychologues lui offrent de superviser son travail et l’intimé accepte finalement d’exercer sa profession dans ce contexte.
[23] Durant sa première année de service, les deux collègues de travail chargés de superviser l’intimé quittent l’équipe de psychiatrie. L’intimé se retrouve seul, mais il continue de faire partie de l’équipe multidisciplinaire pour les clients suivis au CSSS Rimouski-Neigette. Malgré tout, il a de la difficulté à exercer sa profession auprès d’une clientèle infantile et juvénile dans un contexte de ressources humaines limitées au sein de l’équipe de psychologie.
[24] Au mois de mai 2011, l’intimé est assigné au dossier d’une adolescente de 13 ans qui est médicamentée, notamment en raison d’hallucinations visuelles et auditives. Le Dr Simon Bégin, psychiatre traitant de cette adolescente, demande à ce que celle-ci obtienne rapidement un suivi psychologique.
[25] Un suivi psychologique est requis afin de travailler sur le mécanisme de clivage utilisé par l’adolescente, sur ses troubles de comportement ainsi que pour évaluer la situation familiale dans laquelle celle-ci évolue. Aucun diagnostic définitif n’a encore été posé concernant cette adolescente qui accepte mal son état de santé.
[26] Depuis juillet 2011, l’adolescente est hébergée à l’unité de vie l’Anse, à Rimouski, qui fait partie du Centre jeunesse du Bas-Saint-Laurent (le Centre jeunesse) à la suite d’une tentative de suicide et en raison d’un contexte familial difficile lié à la séparation de ses parents. L’intimé rencontre l’adolescente au CSSS Rimouski-Neigette ou au Centre jeunesse et l’adolescente est presque toujours accompagnée lors des rencontres.
[27] Le 15 mars 2012, l’intimé rencontre l’adolescente qui est accompagnée d’une intervenante du Centre jeunesse. L’adolescente ne va pas bien : les hallucinations sont omniprésentes, des voix lui disent de se tuer, elle fait des cauchemars et se dit épuisée. Préoccupé par l’état général de sa cliente, l’intimé informe le psychiatre responsable de son suivi et des démarches sont entreprises pour qu’elle soit hospitalisée.
[28] Le 19 mars 2012, l’intimé rend visite à l’adolescente qui est hospitalisée au département de psychiatrie et constate que celle-ci dort beaucoup en raison de l’augmentation de la dose de ses antipsychotiques. Toutefois, les hallucinations ont diminué.
[29] Le 20 mars 2012, l’état de l’adolescente s’est amélioré, les hallucinations ont grandement diminué et celle-ci retourne au Centre jeunesse où elle est hébergée.
[30] Au début du mois d’avril 2012, l’intimé revoit l’adolescente qui est accompagnée de sa mère. Lors de cette rencontre, l’adolescente confie à l’intimé qu’elle croit avoir un don paranormal, car elle voit et entend des gens que les autres ne voient pas. L’intimé lui dit qu’il se pourrait qu’elle ait un don. Il demande à l’adolescente de ne pas discuter avec son psychiatre traitant de la présence de ses hallucinations visuelles et auditives pour que celui-ci n'augmente pas la dose d’antipsychotiques, ce qui la rendrait plus somnolente.
[31] Lors de cette rencontre d’avril 2012, l’intimé informe l’adolescente qu’il connaît un médium capable de déterminer si elle a un don et lui transmet les coordonnées de cette personne, qu’il connaît et consulte déjà lui-même depuis plusieurs années. L’intimé informe également l’adolescente de la tenue d’une conférence donnée par ce même médium et l’invite à consulter des livres et des émissions au sujet des phénomènes paranormaux.
[32] Le 23 avril 2012, la directrice des services de réadaptation du Centre jeunesse dépose une plainte écrite à la commissaire aux plaintes et à la commissaire à la qualité des services du CSSS Rimouski-Neigette (la commissaire) concernant la conduite de l’intimé lors de ses interventions auprès de cette adolescente.
[33] À la suite de la réception de la plainte, la commissaire recommande à la Direction des ressources humaines du CSSS Rimouski-Neigette (la DRH) d’entreprendre une enquête administrative concernant la pratique professionnelle de l’intimé.
[34] Vers le 24 février 2012, lors d’une conversation téléphonique avec une cliente adulte qu’il suit en pratique privée depuis 2011, l’intimé apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du foie incurable avec un pronostic de 2 ou 3 mois de vie. Il s’agit d’un deuxième cancer pour cette femme de 34 ans qui est mariée et mère d’un petit garçon de trois ans.
[35] En effet, en 2011, elle consulte pour la première fois l’intimé pour un problème de phobie sporadique (parler devant les gens) et l’informe alors qu’elle est en rémission d’un cancer du sein diagnostiqué en 2009.
[36] En février 2012, lorsqu’elle consulte l’intimé, elle souhaite que celui-ci l’accompagne jusqu’à sa mort qu’elle accepte difficilement.
[37] L’intimé mentionne à sa cliente qu’il n’a pas d’expérience professionnelle dans l’accompagnement de personne mourante et la réfère à une autre collègue de travail plus expérimentée en la matière.
[38] La cliente de l’intimé ne réussit pas à rejoindre cette autre collègue et convainc finalement l’intimé de la suivre. Celui-ci accepte mais il ressort des notes psychologiques de l’intimé qu’il est anxieux à l’idée de rencontrer cette cliente pour discuter de sa maladie, de sa mort et de la vie après la mort.
[39] Le 24 avril 2012, la cliente consulte l’intimé qui lui recommande de rencontrer un médium qui habite en Gaspésie. La cliente se montre d’abord sceptique face à cette recommandation mais elle accepte finalement de s’y rendre sachant qu’elle n’a plus rien à perdre, vu sa mort imminente. Elle tente par tous les moyens de sauver sa vie.
[40] Durant la rencontre du 24 avril 2012, l’intimé communique avec le médium qu’il connaît et consulte déjà lui-même depuis plusieurs années. Par la suite, l’intimé conduit sa cliente chez ce médium afin que lui-même et sa cliente le consultent.
[41] Le 1er mai 2012, l’intimé est suspendu, avec solde, de ses fonctions de psychologue par la DRH, et ceci, aux fins de mener l’enquête administrative.
[42] Le 3 juillet 2012, l’intimé démissionne du CSSS Rimouski-Neigette.
[43] Le 5 juillet 2012, la commissaire dépose une plainte à l’Ordre au sujet de la conduite de l’intimé lors de ses interventions auprès de l’adolescente. C’est la plaignante qui reçoit la plainte.
[44] Dans le cadre de son enquête, la plaignante prend notamment connaissance du dossier psychologique de l’adolescente détenu par le CSSS Rimouski-Neigette, des notes personnelles de l’intimé au sujet de celle-ci, ainsi que du dossier de l’enquête administrative menée par le CSSS Rimouski-Neigette.
[45] Le 27 février 2013, la plaignante rencontre l’intimé dans le cadre de son enquête au sujet de ses interventions psychothérapeutiques auprès de l’adolescente de 13 ans.
[46] Durant cette rencontre, la plaignante apprend que l’intimé blâme ses supérieurs de l’avoir choisi pour intervenir auprès de jeunes et qu’il avait l’intention de préciser le diagnostic de l’adolescente en la référant à un médium. L’intimé lui confie aussi que les discussions entourant le paranormal ne répondaient qu’aux interrogations de sa cliente sur le sujet dans le cadre d’une relation d’aide et qu’elles n’avaient pas été initiées par lui.
[47] Vers la troisième semaine suivant la rencontre du 27 février 2013, une seconde plainte est déposée à l’Ordre au sujet de l’exercice de la profession de l’intimé.
[48] La seconde plainte porte sur les interventions psychothérapeutiques de l’intimé auprès de la jeune femme de 34 ans atteinte d’un cancer incurable. C’est la plaignante qui reçoit la plainte.
[49] Le 5 décembre 2013, la plaignante rencontre l’intimé dans le cadre de son enquête. À ce moment, l’intimé précise à la plaignante que c’est sa cliente qui a insisté pour consulter le médium, sachant qu’elle n’avait plus rien à perdre.
[50] À la fin de sa rencontre avec l’intimé, la plaignante note que celui-ci est en colère. Au surplus, il menace de remettre le permis d’exercice que lui a délivré l’Ordre et de prendre sa retraite.
POSITION DES PARTIES AU SUJET DES SANCTIONS
La plaignante
[51] La plaignante propose que la décision au sujet de la sanction comporte les recommandations suivantes au Conseil d’administration de l’Ordre :
· La supervision de l’intimé pour au moins dix dossiers, incluant les deux dossiers visés par la plainte pour laquelle le Conseil est saisi, et ce, pour une période minimale d’un an ou jusqu’à la satisfaction du superviseur;
La plaignante explique cette recommandation par les motifs exposés ci-après :
- pour s’assurer que l’intimé maîtrise bien les limites entre ses croyances personnelles et les principes scientifiques et professionnels généralement reconnus en psychologie et conformes aux règles de l’art de la profession;
- pour s’assurer que l’intimé maîtrise bien les limites de la relation entre un psychologue et son client;
- pour s’assurer que l’intimé apprenne à identifier et à intervenir adéquatement dans les situations où il peut y avoir débordement du cadre thérapeutique.
· La réussite du cours relatif à la déontologie professionnelle des psychologues offerte par l’Ordre dans un délai d’un an de la décision sur sanction.
[52] De plus, elle soumet l’imposition des sanctions suivantes relativement à chacun des chefs de la plainte :
· Chef 1 : Une radiation de cinq mois;
Une amende de 3 000 $.
· Chef 2 : Une radiation de cinq mois;
Une amende de 3 000 $.
· Chef 3 : Une radiation de quatre mois;
Une amende de 2 000 $.
[53] Enfin, la plaignante propose d’imposer à l’intimé les modalités suivantes au sujet de la sanction :
· Que les périodes de radiation soient purgées de manière concurrente;
· Que l’intimé soit condamné à tous les frais du dossier incluant les frais d’expert et de publication;
· Que la présente décision soit publiée dans le journal de l’Ordre ainsi que dans les journaux locaux des régions de Trois-Rivières, Shawinigan, Mont-Joli et Saint-Tite dans lesquelles l’intimé travaille.
[54] Pour justifier les sanctions qu’elle recommande d’imposer à l’intimé, la plaignante cite plusieurs décisions[1].
L’intimé
[55] D’entrée de jeu, l’intimé allègue qu’il est d’accord à ce qu’une période de supervision lui soit imposée aux motifs invoqués par la plaignante ainsi qu’avec l’obligation de réussir le cours relatif à la déontologie professionnelle des psychologues offerte par l’ordre dans un délai d’un an de la décision sur sanction.
[56] L’intimé convient aussi de la publication de la présente décision selon les termes proposés par la plaignante.
[57] Par contre, il précise que la supervision de dix dossiers devrait s’étaler sur une période de six mois plutôt que sur une période d’un an.
[58] L’intimé est d’accord à ce qu’au terme de la période de supervision, un rapport soit remis au Conseil d’administration par le superviseur désigné.
[59] Cependant, l’intimé informe le Conseil qu’il ne consent pas aux autres sanctions proposées par la plaignante parce qu’il estime qu’elles sont trop sévères. Selon lui, cela irait à l’encontre de la finalité du droit disciplinaire qui n’est pas de punir le professionnel, mais de protéger le public.
[60] Au soutien de ses prétentions, l’intimé invoque plusieurs décisions[2] et prétend que les sanctions suivantes par chef devraient lui être imposées :
· Chef 1 : Une radiation d’un mois.
· Chef 2 : Une radiation d’un mois.
· Chef 3 : Une amende de 2 000 $.
[61] L’intimé souligne qu’une radiation de cinq mois, comme celle suggérée par la plaignante, aurait pour conséquence de lui faire perdre toute sa clientèle puisqu’il ne peut interrompre son suivi psychologique pour une aussi longue période. Par ailleurs, il allègue que la radiation d’un mois lui permettrait de prendre plus facilement les arrangements nécessaires avec son employeur, étant donné que ce délai s’apparente davantage à une période de vacances.
[62] Concernant les frais et les déboursés, l’intimé soutient que la date d’audition du 10 mars 2015 a été annulée en raison de la non-disponibilité des témoins de la plaignante. Conséquemment, il ne devrait pas avoir à débourser les frais liés à cette audition.
[63] Également, l’intimé prétend qu’il ne devrait pas assumer les frais d’expertise, considérant qu’il a reconnu sa culpabilité au sujet de tous les manquements disciplinaires de la plainte dès sa première rencontre avec la syndique adjointe dans le cadre de son enquête, soit avant le dépôt de la plainte.
QUESTIONS EN LITIGE
A) Le Conseil doit-il maintenir les objections à la preuve fondées sur le ouï-dire et/ou sur la pertinence et formulées par l’intimé quant aux pièces SP-9, SP-12, SP-13, SP-14 et SP-16?
B) Quelle est la sanction juste et appropriée dans les circonstances de la présente affaire pour chacun des chefs reprochés à l’intimé?
ANALYSE
A) Le Conseil doit-il maintenir les objections à la preuve fondées sur le ouï-dire et/ou sur la pertinence et formulées par l’intimé quant aux pièces SP-9, SP-12, SP-13, SP-14 et SP-16?
[64] À l’audition, l’intimé formule une objection fondée sur le ouï-dire quant au contenu des pièces SP-9, SP-12, SP-13 et SP-14.
[65] Concernant les paragraphes 2 et 3 de la pièce SP-12, l’avant-dernier paragraphe de la page 2 de la pièce SP-14 ainsi que la pièce SP-16, l’intimé allègue que les informations qui s’y retrouvent ne sont pas pertinentes à la plainte disciplinaire pour laquelle le Conseil est saisi.
[66] Quant à elle, la plaignante prétend que la preuve par ouï-dire est recevable au stade de l’audition sur sanction et particulièrement lorsque l’intimé enregistre un plaidoyer de culpabilité comme c’est le cas ici.
[67] La plaignante allègue l’article 143 du Code des professions énonçant les larges pouvoirs du Conseil. Cette disposition se lit ainsi :
« 143. Le conseil de discipline a le pouvoir de décider toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Il peut recourir à tous les moyens légaux pour s'instruire des faits allégués dans la plainte. »
[68] À l’audition, le Conseil a pris les objections de l’intimé sous réserve quant à l’ensemble de ces pièces.
[69] Par conséquent, les objections fondées sur le ouï-dire ainsi que celles fondées sur la non-pertinence seront tranchées individuellement, basées sur les principes exposés subséquemment.
[70] Tout d’abord, le Tribunal des professions dans l’affaire Psychologues c. Fortin[3] établit clairement que la prohibition du ouï-dire est la règle en droit disciplinaire sous réserve d’une preuve de nécessité et de fiabilité qui sont les critères élaborés par la jurisprudence à la lumière de l’article 2870 du Code civil du Québec (C.c.Q.).
[71] Cependant, il y a lieu de souligner que cette affaire s’inscrit dans le contexte d’une audition sur culpabilité.
[72] Or, la jurisprudence[4] énonce qu’au stade de la sanction, les règles applicables sont plus souples que lors de la culpabilité et permettent l’usage d’éléments de preuve par ouï-dire.
[73] Toutefois, comme l’énonce le Tribunal des professions dans l’affaire Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Pétrin[5], les circonstances entourant la déclaration extrajudiciaire doivent donner à celle-ci des garanties suffisamment concluantes pour pouvoir s'y fier afin que son admission n'équivaille pas à un cas clair de déni de justice naturelle ou d'iniquité procédurale.
[74] La Cour suprême du Canada[6] explique bien l’objectif visé par l’exigence de fiabilité de la façon suivante :
"(…) L'exigence de fiabilité sera remplie si la déclaration relatée a été faite dans des circonstances qui fournissent des garanties suffisantes de fiabilité. Tout particulièrement, les circonstances doivent neutraliser les dangers en matière de preuve qui ont de tout temps été associés au ouï-dire (…)"
[75] Le Conseil tranchera les objections prises sous réserve à la lumière de ces principes.
[76] Les décisions du Conseil quant aux objections formulées au sujet des pièces SP-9, SP-12, SP-13, SP-14 et SP-16 sont exposées dans le tableau qui suit précédées de l’identification et d’une description sommaire de chacune des pièces en vue d’une meilleure compréhension :
Identification et description de la pièce dont la preuve du contenu a été prise sous réserve |
Nature de l’objection formulée par l’intimé et décision du Conseil |
SP-9 - Courriel du 23 avril 2012 : Plainte que la directrice des services de réadaptation du Centre jeunesse du Bas-Saint-Laurent (la directrice) envoie à la commissaire aux plaintes du CSSS Rimouski-Neigette au sujet de l’intimé. La directrice rapporte les déclarations extrajudiciaires que lui ont faites trois intervenantes du Centre jeunesse. |
Nature de l’objection : ouï-dire. Décision : objection maintenue. Devant le Conseil, le document a été produit en preuve par la plaignante qui a obtenu la pièce SP-9 dans le cadre de son enquête, mais ce n’est pas elle qui a recueilli les déclarations. L’intimé ne s’objecte pas à ce que la plaignante produise la pièce en preuve, mais il s’objecte à ce que le contenu de celle-ci soit établi par la plaignante. Le Conseil estime que la plaignante n’a pas fait la preuve que les déclarations extrajudiciaires telles que rapportées par la directrice sont nécessaires et fiables. À ce titre, il n’y a pas eu de preuve pour établir l’impossibilité de la directrice à venir témoigner. Au surplus, il n’y a pas eu de preuve au sujet des conditions dans lesquelles cette pièce a été conçue ni sur les mesures prises pour s’assurer que les déclarations rapportées dans le document correspondaient effectivement aux propos tenus par les différents témoins mentionnés dans la pièce. |
SP-12 - Lettre du 31 mai 2012 Réponses du psychiatre traitant de l’adolescente de 13 ans aux questions posées par le directeur des programmes psychiatrie, santé mentale, enfance-jeunesse-famille et santé publique par intérim du CSSS Rimouski-Neigette. |
Nature de l’objection : ouï-dire et pertinence. Décision quant à la pertinence : rejette l’objection. Les paragraphes 2 et 3 de SP-12 sont en lien direct avec le chef 1 de la plainte pour lequel l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité. Décision quant à la preuve par ouï-dire : objection maintenue. Devant le Conseil, le document a été produit en preuve par la plaignante qui a obtenu la pièce SP-12 dans le cadre de son enquête. L’intimé ne s’objecte pas à ce que la plaignante produise la pièce en preuve, mais il s’objecte à ce que le contenu de celle-ci soit établi par la plaignante. De l’avis du Conseil, la plaignante n’a pas fait la preuve pour justifier la nécessité d’autoriser une telle preuve. De plus, la plaignante n’a pas fait la preuve que les réponses du psychiatre, telles que colligées à la pièce SP-12, sont fiables. En effet, il n’y a pas eu de preuve pour établir les conditions dans lesquelles cette pièce a été conçue ni sur les mesures prises pour s’assurer que ce qui était rapporté dans le document correspondait effectivement aux réponses du psychiatre. |
SP-13 - Lettre du 6 juin 2012 Résumé de l’enquête menée par le Centre jeunesse du Bas-Saint-Laurent au sujet de l’intimé signé par le directeur de la protection de la jeunesse et par la directrice.
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Nature de l’objection : ouï-dire. Décision : objection maintenue. Devant le Conseil, le document a été produit en preuve par la plaignante qui a obtenu la pièce SP-13 dans le cadre de son enquête, mais ce n’est pas elle qui l’a signée. L’intimé ne s’objecte pas à ce que la plaignante produise la pièce en preuve, mais il s’objecte à ce que le contenu de celle-ci soit établit par la plaignante. D’abord, la plaignante n’a pas fait la preuve de la nécessité pour le Conseil d’autoriser une telle preuve. Également, il ressort du 2e paragraphe de la page 4 de cette pièce que le résumé émane d’informations qui ont circulé à travers l’unité de vie de l’Anse par les adolescentes, certains membres de l’équipe et la chef de la réadaptation depuis le début de l’hiver 2012. À cet égard, le Conseil note, entre autres, que l’information au sujet de l’identité des personnes, qui ont rapporté les informations qui se trouvent à SP-13, est vague et imprécise. Il en est de même pour le moment où ces informations ont été transmises. De l’avis du Conseil, ceci empêche l’intimé d’assigner les personnes concernées, advenant qu’il veuille le faire, ce qui porte atteinte à son droit à une défense pleine et entière. Enfin, la fiabilité du contenu de SP-13 n’a pas été établie devant le Conseil, notamment parce qu’il n’a pas été démontré comment les déclarations extrajudiciaires ont été obtenues ainsi que la méthode utilisée pour s’assurer de la conformité de ce qui a été écrit avec les propos tenus par les différents témoins. |
SP-14 - Rapport de l’enquête que la conseillère en relations de travail au CSSS Rimouski-Neigette a mené au sujet de l’intimé à la suite de la plainte déposée à la commissaire locale aux plaintes du CSSS Rimouski-Neigette.
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Nature de l’objection : ouï-dire et pertinence Décision quant à la pertinence : objection maintenue. Le Conseil note que les informations qui se trouvent à ce paragraphe ne sont pas liées aux manquements disciplinaires formulés dans la plainte pour laquelle le Conseil est saisi. Décision quant à la preuve par ouï-dire : objection rejetée. Devant le Conseil, le document a été produit en preuve par la plaignante qui a obtenu la pièce SP-13 dans le cadre de son enquête, mais ce n’est pas elle qui a mené l’enquête résumée dans cette pièce. L’intimé ne s’objecte pas à ce que la plaignante produise la pièce en preuve, mais il s’objecte à ce que le contenu de celle-ci soit établi. À cet égard, le Conseil rappelle que la plaignante a fait témoigner à l’audition la conseillère en relations de travail, celle qui a mené l’enquête. Dans son témoignage, elle a informé le Conseil qu’elle est membre du Barreau et que c’est elle qui a rédigé la pièce SP-14. Elle a aussi indiqué qu’elle avait participé à toutes les rencontres qui sont rapportées dans le document. Au surplus, elle a expliqué en détail la méthode utilisée pour mener son enquête, pour noter les informations reçues ainsi que la façon dont elle a procédé pour rédiger son rapport et s’assurer que les informations correspondaient bien aux propos tenus par les différents témoins rencontrés. Ce faisant, le Conseil est d’opinion que la plaignante a offert une preuve claire et convaincante pour établir que le contenu de la pièce SP-14 était fiable. Au surplus, le Conseil juge qu’il aurait été déraisonnable d’exiger que la plaignante assigne à l’audience sur sanction tous les témoins nommés dans la pièce SP-14 dans le contexte où l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité. |
SP-16 - Rapport de conversation téléphonique du 6 septembre 2013 entre la plaignante et la psychiatre de l’adolescente. |
Nature de l’objection : ouï-dire. Décision : objection maintenue. Il ressort effectivement de la pièce SP-16 que les informations ne sont pas reliées aux reproches formulés à l’intimé dans la plainte pour laquelle celui-ci a enregistré un plaidoyer de culpabilité. |
B) Quelle est la sanction juste et appropriée dans les circonstances de la présente affaire pour chacun des chefs reprochés à l’intimé?
[77] Les critères d’imposition de la sanction disciplinaire sont clairement établis dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault[7] de la Cour d’appel qui prévoit ceci :
[37] La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier. Chaque cas est un cas d'espèce.
[38] La sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre les objectifs suivants: au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession (Latulippe c. Léveillé (Ordre professionnel des médecins), [1998] D.D.O.P. 311; Dr J. C. Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et al, 1995 CanLII 5215 (QC CA), [1995] R.D.J. 301 (C.A.); et R. c. Burns, 1994 CanLII 127 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 656).
[39] Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier. Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif…Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire.
[78] La Cour d’appel[8] s’était également prononcée de la façon suivante au sujet du privilège que constitue l’exercice d’une profession :
[75] (…) Le public n’est-il pas en droit de croire que les ordres professionnels prennent toutes les mesures pour éviter que certains de leurs membres, dont l’honnêteté a été mise en doute, ne puissent offrir leurs services au public?
« L’exercice d’une profession est un privilège et non un droit[9], qui comporte des obligations corrélatives, notamment celle de respecter les exigences édictées par l’Ordre. En acceptant de devenir membre de cet Ordre, le professionnel acquiert le privilège de pratiquer sa profession, mais il doit également assumer toutes les responsabilités qui en découlent, incluant le risque de se voir imposer l’une ou plusieurs des sanctions prévues au Code des professions[10]. »
[79] En ce qui concerne l’exemplarité et la dissuasion découlant de la sanction, le Tribunal des professions[11] rappelle à ce sujet :
[35] La décision du Conseil comporte un volet d’exemplarité et de dissuasion. Il s’agit de l’un des objectifs reconnus dans le cadre de l’imposition d’une sanction en droit disciplinaire. Le caractère exemplaire d’une sanction n’est pas réservé aux cas où il y a lieu de faire cesser une pratique généralisée ou lorsqu’une situation nouvelle pourrait devenir répandue chez les pairs, à défaut d’envoyer un message à la communauté professionnelle.
[36] La notion d’exemplarité trouve également son fondement dans la gravité de l’infraction, dans son caractère répétitif et dans la nécessité d’assurer la protection du public. À cet égard, le Conseil rappelle que l’effet dissuasif et exemplaire d’une sanction ne doit pas être un concept statique et doit être modulé à la lumière de l’évolution de la société et de la pratique de la médecine. Le Conseil impose des sanctions qui véhiculent un message clair que la négligence dans la rédaction des protocoles opératoires constitue une infraction grave qui ne peut être tolérée.
[80] La Cour suprême du Canada[12] précise que la notion de dissuasion générale représente un facteur pertinent, parmi d’autres, pour l’établissement d’une pénalité dans l’intérêt public. La dissuasion générale remplit une fonction à la fois prospective et préventive. Dans cet arrêt, la Cour ajoute que le poids à donner à la dissuasion générale variera d’une affaire à l’autre et relève du pouvoir discrétionnaire de l’organisme spécialisé qui détermine les sanctions.
Application des principes au présent dossier
Facteurs objectifs
[81] Les gestes reprochés à l’intimé aux trois chefs de la plainte contreviennent à l’article 5 du Code de déontologie des psychologues qui est libellé comme suit:
5. Le psychologue exerce sa profession selon des principes scientifiques et professionnels généralement reconnus et de façon conforme aux règles de l'art en psychologie.
[82] Le rapport d’expert de Mme Tiziana Costi, psychologue, confirme le fait qu’il n’est pas dans les normes de pratique d’un psychologue de référer un client à un médium ou de le conduire chez ce médium pour une consultation.
[83] En matière de gravité objective, pour le Tribunal des professions dans l’affaire Pelletier c. Médecins[13], l’application d’une technique non reconnue par la littérature scientifique constitue une faute déontologique grave pour un professionnel et les autres membres de la profession doivent recevoir un message clair sur les conséquences de poser de tels gestes.
[84] Trois chefs d’infraction sont formulés contre l’intimé dans la plainte. Les infractions se sont déroulées en avril 2012 et en avril 2013. Il ne s’agit donc pas d’actes isolés.
[85] De plus, les trois chefs d’infraction de la plainte impliquent deux clientes vulnérables.
[86] Les deux premiers chefs concernent une adolescente de 13 ans résidant en Centre jeunesse à la suite de la séparation de ses parents et d’une tentative de suicide. Cette adolescente pour laquelle plusieurs diagnostics sont envisagés, dont celui de bipolarité, présente notamment des problèmes d’hallucinations auditives et visuelles. Elle est suivie par l’intimé à la demande de son psychiatre traitant et non de sa propre initiative. L’adolescente est donc vulnérable en raison de son jeune âge, de son état de santé, mais également en raison de son contexte familial.
[87] Le troisième chef vise une autre cliente, soit une personne adulte atteinte d’un cancer en phase terminale. Cette cliente est mère d’un petit garçon de 3 ans et a déjà souffert d’anxiété dans le passé. Elle est donc vulnérable à cause de son état de santé, mais également à cause de sa situation familiale.
Les facteurs subjectifs
[88] Le Conseil retient comme facteurs atténuants les éléments suivants :
· L’intimé a plaidé coupable à la première occasion;
· Il n’a pas d’antécédents disciplinaires.
[89] Les autres éléments à prendre en considération sont exposés aux paragraphes subséquents.
[90] Le 3 juillet 2012, l’intimé démissionne du CSSS Rimouski-Neigette, mais il pratique toujours sa discipline en pratique privée. Aucune preuve n’a été administrée devant le Conseil pour établir que l’intimé avait subi des pertes financières en lien avec la plainte disciplinaire. Au contraire, selon la plaignante, l’intimé travaillerait dans les quatre régions suivantes : Trois-Rivières, Shawinigan, Mont-Joli et Saint-Tite.
[91] L’intimé souligne le contexte difficile dans lequel il s’est retrouvé vu le manque de support en raison de ressources humaines limitées au sein de l’équipe de psychologie du CSSS de Rimouski-Neigette puisque durant sa première année de services, les deux collègues de travail chargés de le superviser quittent l’équipe de psychiatrie.
[92] À cet effet, le Conseil estime que cet élément fait partie du contexte particulier relatif aux deux premiers chefs de la plainte. Il doit être pris en compte à titre de facteur atténuant puisque l’intimé avait accepté l’emploi au sein de l’équipe de psychologie du CSSS de Rimouski-Neigette sachant qu’il serait supervisé.
[93] Cependant, le Conseil ne peut passer sous silence le fait que l’intimé n’était pas complètement seul au sein du CSSS de Rimouski-Neigette. En effet, il a continué de faire partie d’une équipe multidisciplinaire qui incluait notamment un psychiatre pour le suivi des clients du CSSS de Rimouski-Neigette.
[94] Au surplus, l’intimé avait respectivement 29 et 30 ans d’expérience variée comme psychologue, au moment de ses inconduites. De l’avis du Conseil, cet élément est un facteur aggravant, considérant la nature des infractions qui lui sont reprochées.
[95] L’intimé ajoute que son employeur connaissait l’inconfort qu’il avait à suivre une clientèle infantile et juvénile, mais il a tout de même accepté de l’engager. Le Conseil s’interroge sur la signification à donner à ce commentaire qui peut constituer une forme de déresponsabilisation de la part de l’intimé.
[96] L’intimé souligne la présence constante d’un adulte auprès de l’adolescente, un parent ou un éducateur, au moment de ses rencontres avec elle. De l’avis du Conseil, cette particularité n’a pas pour effet de rendre sans conséquence la conduite reprochée à l’intimé à l’égard de cette jeune fille. Tout au plus, ce fait illustre la vulnérabilité de l’adolescente que l’intimé était chargé d’accompagner. Le Conseil ne peut donc inférer de ce fait aucun élément atténuant pour la détermination de la sanction.
[97] Également, l’intimé invoque l’absence d’intention malicieuse de sa part à l’égard de l’adolescente et les bonnes interventions qu’il a faites auprès d’elle et du psychiatre durant le suivi psychologique. Quant à l’intention de l’intimé, il ne s’agit pas d’un élément pertinent dans la détermination des sanctions surtout dans le contexte où l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité. Concernant les autres interventions de l’intimé, le Conseil rappelle qu’il n’est pas saisi d’une plainte à l’égard de ces autres interventions. Par conséquent, il ne peut prendre en considération ces autres interventions pour atténuer les sanctions à être imposées à l’intimé, considérant que celles-ci n’ont aucun lien avec celles qui lui sont reprochées.
[98] De la même façon, quant au chef 3 de la plainte, l’intimé mentionne qu’il avait informé sa cliente de son inexpérience dans l’accompagnement de personne mourante. Il prétend que c’est sa cliente qui l’a convaincu, avec insistance, de la suivre malgré tout. Encore une fois, le Conseil se préoccupe de l’interprétation à donner à cette allégation qui laisse entendre que l’intimé a été victime de sa cliente. De l’avis du Conseil, c’est au professionnel qu’incombe l’obligation de s’enquérir de ses responsabilités avec compétence.
[99] À cet égard, il ressort des notes psychologiques de l’intimé (Pièce SP-19), que l’intimé était anxieux à l’idée de rencontrer cette jeune femme atteinte d’un cancer incurable pour discuter avec elle de sa maladie, de sa mort et de la vie après la mort. Or, il est opportun de rappeler que l’intimé avait l’obligation déontologique de s’acquitter de ses responsabilités professionnelles avec compétence. À défaut, il aurait été souhaitable qu’il s’abstienne de suivre cette cliente.
[100] Enfin, toujours quant au chef 3 de la plainte, l’intimé témoigne qu’il a conduit sa cliente chez le médium par compassion pour elle. Il soutient que sa conduite constituait un acte de charité humaine. Le Conseil rappelle à l’intimé l’importance de faire la distinction entre les gestes acceptables dans une relation qui s’inscrit dans un cadre personnel de ceux que l’on peut poser dans une relation qui s’inscrit dans un cadre professionnel. Quoique le Conseil soit sensible aux sentiments que l’intimé éprouvait à l’égard de sa cliente mourante, les explications données par celui-ci ne peuvent constituer une justification valable de sa conduite dans le contexte d’une relation professionnelle.
[101] Au surplus, le Conseil estime approprié de souligner que les services d’un psychologue ne constituent pas un acte de charité humaine. Le client est en droit de s’attendre à recevoir un service professionnel qui respecte les principes reconnus par cette discipline.
[102] Les conséquences probables des inconduites de l’intimé sont pour le Conseil un indicateur de la gravité de ce qui lui est reproché. Que les conséquences se soient produites ou non ne constituent dans les faits, ni un facteur aggravant ni un facteur atténuant. Ce qui importe pour le Conseil ce sont les conséquences qui étaient raisonnablement prévisibles à la suite de l’inconduite de l’intimé.
[103] L’intimé ne conteste pas le rapport d’expert, pièce SP-20, déposé par la plaignante.
[104] Il ressort du rapport d’expert, pièce SP-20, que le rôle d’un psychologue en est un d’accompagnement dans le processus de compréhension et d’acceptation de la problématique du client, de soutien et d’aide pour ramener le client à la réalité et l’aider à gérer et à contrôler sa maladie ainsi qu’à mieux accepter les traitements proposés, le cas échéant.
[105] Plus spécifiquement, les éléments suivants au sujet de l’adolescente sont mentionnés dans le rapport:
· L’intimé n’apporte pas l’aide appropriée à sa cliente afin que celle-ci compose avec sa problématique de santé en entretenant l’idée qu’elle avait un don;
· Les manquements reprochés à l’intimé étaient susceptibles d’entraîner du clivage à l’égard du psychiatre et d’intensifier les résistances de la cliente face à son diagnostic et au traitement.
[106] Pour la cliente adulte atteinte d’un cancer en phase terminale, il est précisé dans le rapport d’expert, pièce SP-20, toute l’importance que revêt pour un psychologue le fait de garder une distance et une neutralité avec son client afin que ses croyances ou ses problèmes personnels n’interfèrent pas dans le suivi psychologique que celui-ci offre à sa cliente. L’experte est d’opinion que l’intimé a été incapable de respecter cette distance relativement à cette cliente.
[107] Il n’y a pas eu de représentations de la part des parties au sujet du risque de récidive de l’intimé. Toutefois, le Conseil estime qu’il existe un risque, advenant que l’intimé se retrouve dans une relation thérapeutique où il se sent démuni ou incompétent face à l’aide à apporter à un client ou lorsque ce client présente des hallucinations. En effet, il ressort de l’ensemble de la preuve que le paranormal fait partie des croyances personnelles de l’intimé. D’ailleurs, il consultait déjà lui-même la personne médium qu’il donne en référence aux deux clientes visées par la plainte. De plus, l’intimé écoute des émissions au sujet des enfants ayant des dons, fait des lectures sur les phénomènes paranormaux et est au courant de la tenue d’une conférence sur le sujet.
[108] Devant le Conseil, l’intimé admet qu’il connaissait ce médium avant 2009. Le Conseil retient aussi les commentaires de l’intimé à l’effet que cette personne médium était « pleine de bon sens » et le fait que l’intimé se questionne au sujet des clients souffrant d’hallucinations pour savoir s’ils ont des dons paranormaux plutôt qu’un mauvais contact avec la réalité.
[109] Les décisions suivantes exposent les différentes sanctions imposées dans des dossiers similaires à celui-ci :
· Psychologues (Ordre professionnel des) c. Malenfant, 2012 CanLII 94221 (QC OPQ)
- Chef 1 : n’a pas tenu compte des principes scientifiques généralement reconnus en psychologie en acceptant un mandat lui demandant sa présence à un processus d’exorcisme et son évaluation professionnelle de ce processus pratiqué à l’égard de Mme X (amende 1 000 $);
- Aucun antécédent;
- Recommandation conjointe des parties.
· Psychologues (Ordre professionnel des) c. Nantel, 2002 CanLII 61802 (QC OPQ)
- Chef 2 : dans le cadre d’un suivi psychothérapeutique avec sa cliente, Mme X, l’intimée a utilisé une approche thérapeutique inadéquate fondée sur les vies antérieures, la télépathie et le chamanisme (amende 1 000 $);
- Un antécédent disciplinaire s’apparentant au chef 2, mais pas de récidive;
- Recommandation conjointe des parties.
· Psychologues (Ordre professionnel des) c. Dubue, 2003 CanLII 71720 (QC OPQ)
- Chef 1 : l'intimé a fait défaut de tenir compte des principes scientifiques généralement reconnus en psychologie en procédant à « l'analyse des champs énergétiques » et à « l'analyse des blocages énergétiques au niveau du cœur, du thymus et du plexus » de sa cliente, madame X (amende 600 $);
- Chef 2 : l'intimé a fait défaut de tenir compte des principes scientifiques généralement reconnus en psychologie en traitant sa cliente, madame X, par l'exercice dit de « guérison du nœud karmique » et par celui dit de « l'harmonisation du corps, du cœur et des chakras » (une réprimande en plus du paiement des déboursés);
- L'intimé n'a pas d'antécédents disciplinaires;
- Recommandation conjointe des parties.
· Pelletier c. Médecins, 2003 QCTP 18 (CanLII)
- Chef 1 : en procédant de façon inappropriée, intempestive et contraire aux données de la science médicale à des traitements répétitifs d’injections multiples des tissus mous loco-régionaux (désignés sous le vocable de mésothérapie), entre le 18 janvier 1985 et le 23 juillet 1998, sur une cliente (radiation 5 mois);
- Chef 2 : en procédant de façon inappropriée, intempestive et contraire aux données de la science médicale à des traitements répétitifs d’injections multiples des tissus mous loco-régionaux (désignés sous le vocable de mésothérapie), entre le 24 août 1994 et le 20 août 1998, sur une autre cliente (radiation 5 mois);
- Les périodes de radiation devant être purgées concurremment;
- Condamne l’intimé au paiement des déboursés devant le Comité.
· Psychologues (Ordre professionnel des) c. Lesage, 2004 CanLII 72706 (QC OPQ)
- Chef 1 : dans le cadre d'une relation thérapeutique avec sa cliente, l'intimé a manqué de modération et n'a pas respecté les principes scientifiques généralement reconnus en psychologie dans ses interventions visant à favoriser une régression chez cette dernière (amende de 1 000 $);
- Chef 2 : dans le cadre d'une relation thérapeutique avec sa cliente, l'intimé n'a pas respecté les principes scientifiques généralement reconnus en psychologie en ayant utilisé le conjoint de celle-ci à titre de co-thérapeute ou, s'il s'agissait plutôt d'une thérapie de couple, s'est placé en situation de conflit d'intérêts en acceptant d'assumer ce suivi alors que la conjointe était déjà une cliente (recommandation au Bureau de l'Ordre d'imposer à l'intimé 20 rencontres de supervision permettant la mise à jour des principes scientifiques en matière de psychothérapie dans son champ de pratique et une revue des principes déontologiques régissant la profession).
· Médecins (Ordre professionnel des) c. Bisson, 2011 CanLII 22902 (QC CDCM)
- Chef 1 c) et 2 b) : en procédant intempestivement et contrairement aux données de la science médicale, chez deux patientes, à une technique de transfert de gras, malgré la mise en garde publiée à ce sujet par le Collège des médecins du Québec et l’avis du bureau du syndic qui lui avait été adressé (radiation de 5 mois pour chacun des deux chefs à purger concurremment);
- L'intimé n'a pas d'antécédents disciplinaires.
· Médecins (Ordre professionnel des) c. Poulin, 2004 CanLII 66483 (QC CDCM)
- Chef 8 : en adoptant une conduite thérapeutique laxe, erratique et non fondée sur des principes scientifiques, relativement à monsieur R, entre le 25 mars et le 13 mai 2003, et pour lequel docteur Jean-Pierre Chiasson avait recommandé en janvier 2003 l’abstinence totale et permanente d’alcool, de drogue et de jeu pathologique (radiation permanente);
- L'intimé est âgé de 58 ans et n'est plus inscrit au tableau de l'ordre du Collège des médecins du Québec.
· Chiropraticiens (Ordre professionnel des) c. Lemay, 2015 CanLII 11684 (QC OCQ)
- Chef 1 : a publié ou a permis que soit publiée dans le quotidien Le Soleil, une annonce publicitaire intitulée « l’otite », laquelle contient des informations non fondées sur des principes reconnus par la science chiropratique (une réprimande);
- Chef 2 : a publié ou a permis que soit publiée sur son site internet intitulé La Vie Chiropratique.com une rubrique publicitaire intitulée : « sept étapes pour prévenir les infections de l’oreille chez l’enfant « otite » », laquelle contient des informations non fondées sur des principes reconnus par la science chiropratique (une réprimande);
- L’intimée a été induite en erreur par un article paru dans le Journal de Montréal et rédigé par le président de l’Association des chiropraticiens du Québec.
[110] Le Conseil constate que les recommandations de sanctions présentées par les parties sont éloignées l’une de l’autre.
[111] La jurisprudence soumise de part et d’autre fait également état d’une disparité importante.
[112] Également, la plupart des décisions données en référence par l’intimé entérinent des recommandations conjointes qui ne sont pas des affaires récentes.
[113] Quant aux décisions de la plaignante, la plupart d’entre elles ont été rendues il y a longtemps, mais il ne s’agit pas de recommandations conjointes.
[114] Face à une telle situation, il y a lieu de réitérer le commentaire du Tribunal des professions dans l’affaire Lapointe c. Legros[14] quant à l’importance pour le Conseil de s’assurer que les sanctions imposées sont encore dissuasives aujourd’hui :
« La tendance actuelle des comités de discipline d’imposer des sanctions plus sévères pour des infractions auxquelles, dans le passé, correspondaient des peines plus clémentes, ne doit pas nécessairement amener le Tribunal à intervenir, car il incombe toujours en effet aux comités de discipline d’assurer la protection du public et de tenter de dissuader les membres de la professions (sic) de commettre le même genre d’infractions. Et le Tribunal ne doit pas ignorer ce phénomène « qui doit le guider dans l’évolution d’une jurisprudence adaptée » à notre époque.
[…]
Le Comité de discipline, dont deux pairs font partie, n’a pas mal apprécié la conduite de l’appelant en rendant la sanction dont appel. Il a, à la lumière de l’évolution des mœurs dans la société contemporaine évalué la sanction la plus appropriée pour lui donner entre autre un caractère d’exemplarité et de dissuasion vis-à-vis des autres professionnels de la santé d’aujourd’hui, et ce dans le but de protéger le public d’aujourd’hui contre une telle conduite de la part des psychiatres traitants. »
[115] Dans cette même affaire, le Tribunal des professions rappelle l’importance de l’exemplarité et du caractère dissuasif que doit notamment revêtir la sanction, et ce, dans le but de protéger le public. À cette occasion, il s’exprime ainsi :
« C’est le public, c’est-à-dire l’ensemble de la population, que le législateur entend protéger, davantage que la victime elle-même, comme en droit civil. L’exemplarité et la force de la dissuasion constituent des moyens d’atteindre l’objectif ultime de la protection du public.»
[116] Dans l’affaire Deveaux c. Avocats (Ordre professionnel des)[15], le Tribunal des professions mentionne que le Conseil doit tenir compte du contexte pour déterminer la sanction juste et appropriée.
[117] Ainsi, à la lumière des circonstances particulières du présent dossier, des décisions en semblables matières et de l’ensemble des motifs exposés précédemment, le Conseil est d’avis que les sanctions suivantes par chef doivent être imposées à l’intimé afin d’assurer l’exemplarité et la force de dissuasion :
· Chef 1 : une radiation de trois mois;
· Chef 2 : une radiation de trois mois;
· Chef 3 : une radiation de trois mois et une amende de 2 000 $.
[118] Prises dans son ensemble, ces sanctions permettent d’atteindre l’objectif de protection du public dans le contexte de l’époque actuelle.
[119] La radiation prive effectivement la clientèle de l’intimé de ses services professionnels, mais cette conséquence n’en fait pas une sanction disproportionnée ou inappropriée comme le relève si bien le Tribunal des professions dans l’affaire Pelletier c. Médecins précitée.
[120] Le Conseil ne peut retenir l’argument de l’intimé qui demande qu’une radiation d’un mois lui soit imposée sur les deux premiers chefs de la plainte seulement, considérant que ce délai peut se comparer à un délai de vacances pour sa clientèle. Quoique le Conseil comprenne la préoccupation de l’intimé, les conséquences de la sanction pour le professionnel ne sont pas le seul élément à prendre en considération dans la détermination de la sanction juste et appropriée. Entre autres, la gravité objective des infractions, la grande vulnérabilité des clientes visées par la plainte ainsi que le risque de récidive de l’intimé militent en faveur d’une radiation plus longue.
[121] Également, en regard du chef 3, le Conseil estime qu’il y a lieu de joindre une période de radiation à l’imposition de l’amende, considérant que l’intimé est allé jusqu’à reconduire sa cliente chez le médium qu’il connaissait déjà depuis plusieurs années, ce qui augmentait encore plus le rapport de force de l’intimé par rapport à sa cliente. De plus, une fois rendu sur place, l’intimé consulte le médium pour lui-même au vu et au su de sa cliente vulnérable ce qui ajoute au pouvoir de conviction de l’intimé à faire adhérer sa cliente à ses croyances personnelles. Les autres membres de la profession doivent savoir que ces comportements sont inadmissibles dans le cadre d’une relation professionnelle.
[122] Au surplus, le Conseil estime qu’il est approprié de faire les recommandations suivantes au Conseil d’administration de l’Ordre, tel que le proposent les parties :
· La supervision de l’intimé pour dix dossiers sur une période d’un an plutôt que six mois en vue de mieux protéger le public;
· L’obligation pour le superviseur de fournir un rapport de supervision au Conseil d’administration de l’Ordre;
· L’obligation pour l’intimé de suivre le cours relatif à la déontologie offert par l’Ordre dans l’année suivant la date de la présente décision.
[123] Quant aux déboursés du 10 mars 2015, après vérification auprès de l’Ordre, il s’avère qu’aucun frais n’a été engagé relativement à cette journée d’audition annulée en raison de l’indisponibilité des témoins de la plaignante.
[124] Concernant les frais de l’expertise de la plaignante, le Conseil estime que c’est à l’intimé de les assumer. D’ailleurs, l’intimé ne conteste pas cette expertise.
[125] Même si l’intimé a reconnu ses manquements disciplinaires dès la première rencontre qu’il a eue avec la plaignante, celle-ci ne pouvait présumer du plaidoyer que l’intimé allait enregistrer au moment de l’instruction de la plainte. Ce faisant, elle était justifiée de prendre les moyens nécessaires pour satisfaire à son fardeau de la preuve et éclairer le Conseil qui doit notamment décider de la gravité objective des infractions reprochées.
DÉCISION
EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, LE 11 MARS 2015 :
A DÉCLARÉ l’intimé coupable des chefs 1, 2 et 3 de la plainte en vertu de l’article 5 du Code de déontologie des psychologues;
A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant aux renvois aux articles 4, 7 et 41 du Code de déontologie des psychologues ainsi qu’à l’article 59.2 du Code des professions à l’égard des chefs 1, 2 et 3 de la plainte.
ET CE JOUR :
IMPOSE à l’intimé les sanctions suivantes :
· Sous le chef 1 : une période de radiation temporaire de trois mois à être purgée concurremment;
· Sous le chef 2 : une période de radiation temporaire de trois mois à être purgée concurremment;
· Sous le chef 3 : une radiation de trois mois à être purgée concurremment et une amende de 2 000 $.
RECOMMANDE au Conseil d’administration de l’Ordre :
· D’obliger l’intimé à suivre le cours relatif à la déontologie et au professionnalisme offert par l’Ordre dans l’année suivant la date de la présente décision;
· D’obliger l’intimé à se soumettre à une supervision pour dix dossiers sur une période d’un an;
· D’obliger le superviseur à fournir un rapport de supervision.
CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, incluant ceux de la publication d’un avis de la présente décision, dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel et dans tout autre lieu où celui-ci a exercé ou pourrait exercer sa profession.
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____________________________________ Me Myriam Giroux-Del Zotto Présidente
____________________________________ M. André Deschambault, psychologue Membre
____________________________________ Mme Madeleine Quintal, psychologue Membre
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Me Pascal A. Pelletier |
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Avocat de la partie plaignante |
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Me Julie-Véronique Allaire |
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Avocate de la partie intimée |
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Dates d’audience : Date de reprise du délibéré : |
11 mars et 17 mars, et 20 avril 2015 10 juin 2016 |
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[1] Psychologues (Ordre professionnel des) c. Lesage, 2009 CanLII 91253 (QC OPQ); Médecins (Ordre professionnel des) c. Bisson, 2011 CanLII 22902 (QC CDCM); Médecins (Ordre professionnel des) c. Poulin, 2004 CanLII 66483 (QC CDCM); Pelletier c. Médecins, 2003 QCTP 18 (CanLII).
[2] Villadiego c. Lair, 1992 CanLII 8402 (QC TP); Lecourt c. Guertin-Besner, 1996 CanLII 12247 (QC TP); Lecourt c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 1996 CanLII 12152 (QC TP); Gagnon c. Branchaud, 1997 CanLII 17287 (QC TP); Bernard c. Corriveau, 2006 CanLII 53506 (QC CDBQ); Psychologues (Ordre professionnel des) c. Nantel, 2002 CanLII 61802 (QC OPQ); Psychologues (Ordre professionnel des) c. Dubue, 2003 CanLII 71720 (QC OPQ); Psychologues (Ordre professionnel des) c. Malenfant, 2012 CanLII 94221 (QC OPQ).
[3] 2004 QCTP 1, D.D.O.P. 400 (T.P.).
[4] St-Laurent c. Médecins (Ordre professionnel des), [1998] D.D.O.P. 271 à 311; Lapierre c. Psychologues, [1995] D.D.O.P. 307 (T.P.); Acupuncteurs c. Dang, 2004 CanLII 72355 (QC OAQ).
[5] 1998 QCTP 1708 (CanLII).
[6] R. c. Hawkins, (1996) CanLII 154 (CSC), 3 R.C.S. 1043.
[7] 2003 CanLII 32934 (QC CA).
[8] Salomon c. Comeau, 2001 CanLII 20328 (QC CA), 500-09-008571-994, 12 février 2001.
[9] Belhumeur c. Savard, C.S. Montréal 500-05-002939-831, 13 mai 1983 (Appel rejeté, 1988 CanLII 719 (QC CA), [1988] R.J.Q. 1526 (C.A.)); Dupont c. Dentistes, 2003 QCTP 77 page 15 (CanLII).
[10] Médecins (Ordre professionnel des) c. Nguyen, 2015 CanLII 60203 (QC CDCM).
[11] Mercier c. Médecins (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 89 (CanLII).
[12] Cartaway Resources Corp. (Re), [2004] 1 RCS 672, 2004 CSC 26 (CanLII).
[13] Précitée note 1.
[14] 1996 CanLII 12235 (QC TP).
[15] 2011 QCTP 211 (CanLII).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.