Décision

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Caisse d'économie Desjardins Laurentide c. Larivée

2015 QCCS 4410

 

JP1124

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-MAURICE

 

Nº :

410-17-001264-147

 

 

 

DATE :

28 septembre 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

RAYMOND W. PRONOVOST, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

CAISSE D'ÉCONOMIE DESJARDINS LAURENTIDE

Demanderesse

 

c.

 

STEVE LARIVÉE

et

NATHALIE VENNES

Défendeurs

et

ROBERT FER ET MÉTAUX S.E.C.

Requérante

et

L'OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA

CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE SHAWINIGAN

Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Il s'agit d'une requête en rétractation de jugement présentée par la requérante à l'étape de la réception demandant au tribunal de suspendre l'effet du jugement rendu par la greffière spéciale le 8 octobre 2014. 

Les faits

[2]           La requérante a poursuivi le défendeur et d'autres personnes dans le dossier (R - 1) 500-17-081478-144 pour un montant de 1 410 959,82 $. Le 20 mars 2014, un bref de saisi avant jugement a été émis dans ce dossier, autorisant la saisie de l'immeuble faisant l'objet du présent dossier appartenant au défendeur Steve Larrivée.

[3]           Le 24 mars 2014, la saisie avant-jugement a été pratiquée sur ledit immeuble.

[4]           Le 28 mars 2014, le procureur de la demanderesse (R-4) avisa le procureur de la requérante que la demanderesse détenait une sûreté sur ledit immeuble et il écrivait :  

« Ma cliente, la Caisse d'Économie Laurentide, étant détentrice d'hypothèque mobilière et immobilière sur tous les actifs saisis contre Steve Larivée, veuillez prendre note que ma cliente fera valoir ses droits de créancière hypothécaire advenant le cas où, des procédures en saisie-exécution étaient entreprises contre les actifs mobiliers et immobiliers sous garantie de M. Steve Larivée. »

[5]           Certains défendeurs du dossier de Montréal contestèrent la saisie avant jugement et des jugements ont été rendus. Le défendeur Steve Larivée n'a pas contesté. À la suite de ces jugements, le procureur de la demanderesse écrivait le 6 mai 2014 (R-5) :

« En conséquence, nous vous demandons de bien vouloir prendre acte de ces hypothèques de sorte que si votre cliente ne considère pas retirer d'équité sur l'un ou l'autre des biens saisis de M. Steve Larivée, nous nous interrogeons s'il n'y aurait pas lieu de laisser tomber les procédures contre M. Larivée, à défaut d'équité sur ces biens. »

[6]           Aucune réponse ne fut donnée à cette lettre. Le 15 septembre 2014, la demanderesse présentait une requête en délaissement forcé et prise en paiement dans le présent dossier. Le 8 octobre 2014, la greffière spéciale rend jugement autorisant la demanderesse à prendre en paiement l'immeuble.

[7]           Le 18 mars 2015, la demanderesse fit signifier une requête en opposition afin de distraire dans ledit dossier (R-1). C'est à la suite de cette requête que la requérante a pris connaissance du jugement dans le présent dossier.

Procédures

[8]           La requérante demande la rétractation de ce jugement pour quatre motifs, soit :

a)             que l'immeuble était sous saisi et que la greffière spéciale ne pouvait ordonner le transfert de propriété;

b)             que la saisie avait été publiée à l'encontre de l'immeuble obligeant la demanderesse à mettre en cause la requérante;

c)             que la demanderesse l'aurait induite en erreur en lui laissant croire qu'elle n'exécuterait pas ses droits hypothécaires sur l'immeuble tant que la requérante n'aurait pas entrepris des mesures de saisie-exécution contre l'immeuble;

d)             qu'à titre de créancière saisissante de l'immeuble, la requérante avait de l'intérêt dans l'immeuble et que la demanderesse devait mettre en cause la requérante dans ses procédures en délaissement.

[9]           À la suite de cette requête en rétractation, la demanderesse a présenté une requête en rejet aux motifs suivants :

-               La requérante est une créancière ordinaire qui ne détient aucun droit réel sur l'immeuble;

-               La saisie avant jugement qu'elle a fait publier contre l'immeuble n'a jamais été validée;

-               La demanderesse était en droit d'exercer son recours hypothécaire;

-               Au surplus, l'affidavit joint à la requête ne supporte pas les allégations de cette dernière.

Décision

[10]        Avant de se prononcer sur les moyens énoncés par la requérante, il y a lieu de regarder la position de la demanderesse. Est-ce que la demanderesse pouvait, sans aviser la requérante, exercer son droit de devenir propriétaire de l'immeuble des défendeurs?

[11]        Pour le procureur de la demanderesse, celle-ci n'avait aucune obligation d'aviser la saisissante. Son préavis a été dûment enregistré le 16 juillet 2014. Si la requérante voulait être avisée, elle aurait dû faire une inscription de son adresse conformément à l'article 3022[1] du Code civil du Québec.

[12]        De ce fait, elle aurait été avisée lors de l'enregistrement du préavis des intentions de la demanderesse de se faire déclarer propriétaire. En effet, en vertu de l'article 3017[2] C.c.Q., ce n'était pas à la demanderesse à aviser le créancier saisissant, mais c'est l'officier de la publicité des droits qui doit le faire conformément audit article 3017 C.c.Q.

[13]        Le tribunal se permet de citer quelques extraits de l'auteur Louis Payette[3] :

«  205. (…) L'officier de la publicité des droits est tenu de l'aviser de la survenance d'une saisie ou de l'exercice d'un recours hypothécaire dans la mesure où le créancier prioritaire a fait au préalable inscrire son adresse au registre approprié. (…);

288. Une première indication se manifeste à l'article 3017 C.c.; cet article demande à l'officier de la publicité de dénoncer aux créanciers qui ont inscrit leur adresse la survenance de toute saisie ou inscription de préavis d'exercice de recours hypothécaire (…);

318. (…)  Les autres créanciers hypothécaires ayant inscrit leur adresse sont avisés et peuvent intervenir pour voir au respect de leur propre droit de préférence dans la collocation. (…);

1566. (…) L'officier de publicité des droits a le devoir d'aviser la personne titulaire d'une hypothèque immobilière de la survenance d'une saisie de l'immeuble, si cette personne a préalablement requis l'inscription de son adresse au registre foncier (…); »

[14]        Un dernier extrait:

«1658.  Un immeuble est saisi. Le créancier hypothécaire doit-il signifier le préavis au créancier saisissant? Il n'a pas cette obligation : le tiers créancier saisissant a indéniablement un intérêt, mais la saisie ne lui confère aucun droit réel dans le bien; ici l'intérêt ne suffit pas; le saisissant n'est pas un «débiteur» ni une « personne contre laquelle [le créancier] entend exercer son droit». Si le tiers saisissant souhaite être avisé d'un éventuel préavis - ou d'une éventuelle requête en délaissement forcé - il a la faculté de requérir de l'officier de publicité d'inscrire son adresse (art. 3022 C.c.): celui-ci aura alors le devoir de l'aviser (art. 3017 C.s.) »

[15]        C'est ce qu'a décidé la juge Pierrette Rail[4] et la juge Christine Alary[5] a décidé dans le même sens à savoir que la saisie avant jugement n'est pas opposable à la caisse et qu'un créancier hypothécaire n'est pas privé de son droit d'exercer ses recours sur le bien grevé.

[16]        Dans ce cas, la banque n'a pas requis l'inscription de son adresse et elle conclut que l'officier de la publicité des droits n'avait pas d'obligation de l'aviser.

[17]        De plus, notre collègue Louis Lacoursière[6] écrit :

« [18]  Or, le Code civil du Québec n'impose pas au créancier hypothécaire dont le rang est antérieur de signifier à ceux qui viennent après lui le préavis d'exercice.  L'inscription du préavis doit être «dénoncée» conformément au livre De la publicité des droits[7].  Le législateur a donc plutôt prévu, au chapitre des Devoirs et fonctions de l'officier de la publicité des droits, une obligation de notifier[8].

[19]  Le créancier hypothécaire ne saurait, en l'absence de dispositions précises en ce sens au Code civil du Québec ou d'un engagement de sa part, avoir l'obligation de signifier sa requête en délaissement forcé et prise en paiement au créancier hypothécaire de rang postérieur.

[20]  Ensuite, c'est l'article 2779 C.c.Q. qui prévoit les recours des créanciers hypothécaires subséquents auprès de celui qui entend exercer une prise en paiement :

2779. Les créanciers hypothécaires subséquents ou le débiteur peuvent, dans les délais impartis pour délaisser, exiger que le créancier abandonne la prise en paiement et procède lui-même à la vente du bien ou le fasse vendre sous contrôle de justice; ils doivent, au préalable, avoir inscrit un avis à cet effet, remboursé les frais engagés par le créancier et avancé les sommes nécessaires à la vente du bien.

L'avis doit être signifié au créancier, au constituant ou au débiteur, ainsi qu'à celui contre qui le droit hypothécaire est exercé et son inscription est dénoncée, conformément au livre de la publicité des droits.

Les créanciers subséquents qui exigent que le créancier procède à la vente du bien doivent, en outre, lui donner caution que la vente se fera à un prix suffisamment élevé qu'il sera payé intégralement de sa créance.

[18]        Donc, si même un créancier hypothécaire postérieur n'a pas à être avisé du préavis d'exercice ou de la requête en délaissement, il serait un peu anormal que la demanderesse ait l'obligation de signifier tant le préavis d'exercice que la requête en délaissement au créancier saisissant.

[19]        La demanderesse n'avait pas d'obligation d'aviser la requérante. Sur ce seul point, la requête en rejet doit être accordée.

[20]        En conséquence, la greffière spéciale avait le pouvoir de transférer la propriété, la demanderesse n'était pas obligée de mettre en cause la requérante.

[21]        De plus, le tribunal ne partage pas l'opinion du procureur de la requérante quant à l'interprétation à donner à la lettre du 28 mars 2014 (R-4).

[22]        En plus, le 6 mai 2014, le procureur de la demanderesse lui écrit pour connaître sa position, la requérante n'a jamais communiqué avec le procureur de la demanderesse par la suite. 

[23]        Si la requérante avait inscrit son adresse au registre approprié comme le prévoit le Code civil, elle aurait été avisée. La requérante se devait de faire une inscription de son adresse au registre approprié, ce qu'elle n'a pas fait.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[24]        ACCUEILLE la requête en rejet;

[25]        REJETTE la requête en rétractation de la requérante;

[26]        AVEC DÉPENS.

 

 

__________________________________

RAYMOND W. PRONOVOST, J.C.S.

 

Me Richard Lambert

Lambert, Therrien, avocats

Procureur de la demanderesse

 

Me Charles Daviault

Gowling, Lafleur, avocats

Procureur de la requérante

 

Date d’audience :

8 septembre 2015

 

 



[1]   « 3022. Les créanciers prioritaires ou hypothécaires, ou leurs ayants cause, les titulaires d'un droit réel, les époux ou conjoints unis civilement qui publient une déclaration de résidence familiale ou les bénéficiaires de cette déclaration, ou encore toute autre personne intéressée, peuvent requérir, de la manière prévue par les règlements, l'inscription de leur adresse afin que l'officier leur notifie certains événements qui touchent leur droit. Ils ne peuvent, toutefois, requérir cette inscription en regard d'un droit publié à l'index des noms du registre foncier.

    L'inscription d'une adresse sur le registre foncier vaut pour une période de 30 ans; elle peut être renouvelée. Celle qui est faite sur le registre des droits personnels et réels mobiliers vaut tant que subsiste la publicité du droit auquel elle se rapporte.

    Les réquisitions d'inscription d'une adresse ne sont soumises à aucune exigence d'attestation. »

 

[2]   « 3017. L'officier est tenu de notifier, dans les meilleurs délais, à chaque personne qui a requis l'inscription de son adresse, que le bien sur lequel son droit est publié est l'objet d'un préavis d'exercice d'un droit hypothécaire ou d'un préavis de vente pour défaut de paiement de l'impôt foncier. Il fait de même lorsqu'un avis exige l'abandon de la prise en paiement ou lorsque le bien doit être vendu sous l'autorité de la justice ou, s'il s'agit d'un immeuble, a été adjugé pour défaut de paiement de l'impôt foncier ou fait l'objet d'une saisie; l'officier indique, le cas échéant, le lieu et la date de la vente.

    Une telle notification doit être faite au procureur général lorsqu'il s'agit d'un bien grevé d'une hypothèque ou s'il s'agit d'une créance prioritaire publiée en faveur de l'État. Elle doit aussi être faite à La Financière agricole du Québec et à la Société d'habitation du Québec lorsqu'il s'agit d'immeubles grevés d'hypothèques publiées en leur faveur.

    La personne qui a requis l'inscription d'une adresse électronique est réputée avoir été notifiée sur simple preuve de la transmission, à cette adresse, des renseignements exigés de l'officier. »

 

[3]   Louis Payette, Les Sûretés réelles dans le Code civil du Québec, 4e éd. Éditions Yvon Blais.

[4]     Compagnie d'assurance Manufacturière c. Société Immobilière Goyer inc., REJB1997-02927.

[5]     Banque Nationale du Canada c. Stéphane Ste-Croix et al. 2010, QCCS6127

[6]     Pierre-Paul Laferrière c. Gestion Claude-Léon inc. et al. 2008 QCCS4472.

[7]     Art. 2757, alinéa 2 C.c.Q.

[8]     « 3017 C.c.Q. L'officier est tenu de notifier, dans les meilleurs délais, à chaque personne qui a requis l'inscription de son adresse, que le bien sur lequel son droit est publié est l'objet d'un préavis d'exercice d'un droit hypothécaire ou d'un préavis de vente pour défaut de paiement de l'impôt foncier. Il fait de même lorsqu'un avis exige l'abandon de la prise en paiement ou lorsque le bien doit être vendu sous l'autorité de la justice ou, s'il s'agit d'un immeuble a été adjugé pour défaut de paiement de l'impôt foncier ou fait l'objet d'une saisie; l'officier indique, le cas échéant, le lieu et la date de la vente. »

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