Décision

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Droit de la famille — 141800

2014 QCCS 3553

 

JB4438

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-12-280026-059

 

 

 

DATE :

Le 19 juillet 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

CHRISTIAN J. BROSSARD, J.C.S.

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C... K...

Demanderesse

c.

G... S...

Défendeur

et

X

Y

Mis-en-cause

 

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JUGEMENT

(sur demande d’accès)

______________________________________________________________________

 

A.            APERÇU

[1]           C... K... et G... S... sont les parents divorcés de X, 13 ans, et de Y, 11½ ans.

[2]           La Mère a la garde des enfants depuis la rupture du couple, il y a plus de neuf ans de cela.

[3]           Après sept ans d’absence, le Père demande aujourd’hui des droits d’accès à l’égard de ses enfants.

[4]           X, Y et la Mère s’y opposent, au motif que les enfants ne souhaitent pas avoir de contact avec leur père.

B.           CONTEXTE

[5]           En 2006, le divorce des parties est prononcé. X et Y ont alors respectivement 5 ans et 3½ ans.

[6]           Le jugement de divorce entérine une entente entre les parties (toutes deux représentées par avocat) selon laquelle la garde de X et de Y est confiée à la Mère. Au sujet des accès du Père, l’entente énonce expressément ceci :

[Le Père] désire ne pas avoir de droits d’accès aux enfants;[1]

[7]           En outre, il est convenu que le Père, prestataire de l’assistance-emploi, ne versera pas de pension alimentaire pour le bénéfice des enfants.

[8]           À partir de 2008, la Mère fait vie commune avec un nouveau conjoint. X et Y ont alors respectivement 7 ans et 5 ou 6 ans. En 2010, le couple se marie. Ils sont encore ensemble aujourd’hui.

[9]           De 2006 à 2013, le Père n’a aucun contact avec ses enfants.

[10]        En avril 2013, le Père entame son recours en vue de l’obtention de droits d’accès à l’égard de X et Y, à raison de :

Ÿ     une fin de semaine sur deux;

Ÿ     deux semaines pendant les vacances estivales;

Ÿ     une semaine durant la période des Fêtes; et

Ÿ     diverses autres périodes fériées ou journées spéciales.

C.           DROIT APPLICABLE

[11]        Pour qu’un tribunal puisse envisager la modification d’une ordonnance de garde, la Loi sur le divorce[2] requiert qu’il s’assure d’abord qu’un changement est survenu dans les ressources, les besoins ou, d’une façon générale, dans la situation de l’enfant depuis le jugement antérieur[3]. Il doit s’agir d’un changement significatif, qui touche l’enfant de façon importante et qui ne doit pas avoir été prévu à l’époque du jugement ni avoir pu être prévu raisonnablement[4].

[12]        Dans la mesure où l’existence d’un tel changement est établie, le tribunal doit alors disposer de la demande de modification en ne considérant que l’intérêt de l’enfant[5]. Cet intérêt est défini en fonction du changement[6], tout en tenant compte des autres facteurs qui se rapportent à l’intérêt de l’enfant[7]. L’intérêt des parents n’entre pas en ligne de compte.

[13]        Au nombre des éléments que le tribunal doit prendre en considération pour apprécier l’intérêt de l’enfant, les suivants sont plus particulièrement pertinents aux fins de la disposition de la requête du Père[8] :

Ÿ     la relation entre l’enfant et chacun des parents;

Ÿ     la recherche d’une maximisation des contacts entre l’enfant et les deux parents, dans la mesure où cela n’est pas incompatible avec l’intérêt de l’enfant[9];

Ÿ     l’entente déjà conclue au sujet de la garde et des droits d’accès;

Ÿ     la recherche d’une stabilité pour l’enfant;

Ÿ     le désir exprimé par l’enfant, selon son âge et dans la mesure où cela ne va pas à l’encontre de son intérêt.

D.           POSITION DES PARTIES

1.            Le Père

[14]        Le Père affirme qu’en 2006, il est profondément affecté par les procédures en divorce et par le comportement de la Mère à son égard, il est en état de choc. De plus, l’exercice des droits d’accès dont il bénéficie avant le divorce donne constamment lieu à des conflits avec la Mère. Il juge alors préférable de ne plus voir les enfants. C’est pour cela, dit-il, qu’au moment du divorce en 2006, il choisit de ne pas demander de droits d’accès.

[15]        Le Père priorise dès lors sa santé et consulte pour l’aider à gérer la « pression ». Deux années lui sont nécessaires pour accepter la situation - le divorce - et « passer à autre chose ». Pendant cette période, dit-il, il n’a rien à apporter aux enfants. Il se dit maintenant en bonne santé, et ce, depuis cinq ou six ans.

[16]        Le Père déclare que s’il n’envoie ni lettres ni cadeaux à X et Y par la suite, c’est qu’il croit que la Mère et son conjoint les jetteront et parce que les enfants ne tentent pas eux-mêmes de communiquer avec lui, par l’envoi de lettres ou de photos par exemple.

[17]        Le Père affirme également que s’il ne cherche pas à communiquer avec X et Y avant 2013, c’est pour laisser le champ libre à la Mère et pour qu’elle puisse élever les enfants, encore jeunes, en toute quiétude. Il ajoute qu’il ne sait pas où les joindre. Toutefois, il reconnaît ne pas avoir essayé de les trouver (par ailleurs, selon la Mère, son numéro de téléphone portable demeure le même depuis avant le divorce).

[18]        Aujourd’hui, le Père souhaite voir ses enfants. Il affirme qu’il veut les voir grandir, d’autant plus qu’ils sont maintenant en âge de pouvoir communiquer plus aisément avec lui. Il dit vouloir leur donner l’amour d’un père et leur montrer son affection. Il insiste sur le droit d’un père de voir ses enfants.

[19]        Le Père se dit disposé à ce que les accès soient établis progressivement. Dans sa requête, il consent à ce que les premières visites soient supervisées, toutefois il tient un discours contraire à l’audience.

[20]        Par ailleurs, le Père explique que s’il ne tente pas d’obtenir de l’information au sujet de X et Y depuis qu’il a initié ses procédures, c’est qu’il n’en a pas le temps en raison de ses études.

2.            La Mère

[21]        Du point de vue de la Mère, le Père a rompu les liens avec X et Y. Avant la séparation, elle lui a pourtant offert de maintenir une relation « amicale », mais il a réagi agressivement envers elle. Il a choisi de ne plus voir ses enfants.

[22]        X et Y ont aujourd’hui une vie familiale stable auprès de la Mère et de son conjoint, lequel prend soin d’eux et voit à leurs besoins avec la Mère. Les enfants évoluent bien au sein de cet environnement et ils sont heureux.

[23]        La Mère s’inquiète de l’influence que peut avoir le Père sur X et Y. Néanmoins, elle s’en remet à la décision des enfants s’ils veulent avoir des contacts avec leur père. Actuellement, ce n’est pas le cas. Elle affirme s’être assurée auprès de X et Y qu’ils se sentent libres de décider en toute liberté.

[24]        En plaidoirie, l’avocat de la Mère souligne l’importance que le Père donne à ce qu’il considère être ses droits, sans se soucier de ses obligations envers X et Y, incluant ses obligations alimentaires.

3.            X et Y

[25]        X et Y sont représentés par avocat. Le mandat qu’ils confient à ce dernier est clair : ils ne veulent aucun contact avec le Père.

E.            ANALYSE

[26]        L’avocat du Père décrit ainsi le changement significatif qui justifierait de reconsidérer les droits d’accès : à l’époque du divorce, le Père est en état de choc, en détresse; il s’est depuis repris en main et fait des études, bref sa situation psychologique n’est plus la même.

[27]        L’argument ne convainc pas. Le Père ne fait pas la démonstration qu’un changement significatif est survenu depuis l’entente et le jugement de 2006 qui justifie de reconsidérer ses droits d’accès à l’égard de X et Y.

[28]        De l’avis du Tribunal, à l’époque du divorce et pendant les sept années qui suivent, le Père fait passer son intérêt avant celui de X et Y. Il confond ses choix avec les besoins de ses enfants. Il fait de même aujourd’hui.

[29]        La décision du Père au moment du divorce de ne pas demander et exercer de droits d’accès n’est pas prise dans l’intérêt de X et Y. Par la suite, il ne tente pas de maintenir ou de rétablir les contacts avec eux. Les explications au sujet de sa santé émotive pendant les deux années qui suivent ne justifient pas qu’il coupe tout lien avec ses enfants. En outre, elles n’expliquent pas les cinq années de silence ultérieures, durant lesquelles il ne tente pas de communiquer avec X et Y. Il est surtout apparent du témoignage du Père qu’il se désintéresse de ses enfants.

[30]        Il ne suffit pas pour le Père de déclarer aujourd’hui, maintenant que les enfants sont plus âgés, qu’il veut désormais leur offrir l’amour d’un père, pour qu’il en résulte un changement justifiant de considérer l’octroi de droits d’accès. Le Père ne démontre pas que X et Y ont aujourd’hui un besoin plus grand de contacts avec leur père qu’en 2006 et durant les sept années suivantes (ou que leurs besoins à cet égard étaient moindres à l’époque). Il ne démontre pas non plus qu’il peut leur offrir plus que ce qu’il pouvait leur offrir à l’époque et depuis.

[31]        Le Père ne convainc pas qu’il entend désormais s’investir plus auprès de X et Y et accorder une priorité à leurs besoins. Certains faits tendent plutôt à démontrer le contraire. Depuis 2013, il n’a pas eu le temps de prendre des nouvelles de ses enfants, en raison de ses études, dit-il. Lorsque la demande lui est faite de permettre à la Mère de voyager seule avec les enfants, il n’y consent pas, sous prétexte d’attendre de connaître le sort de son recours.

[32]        Bref, le témoignage du Père convainc plutôt le Tribunal que c’est essentiellement pour des motifs qui lui sont propres qu’il fait la démarche actuelle pour obtenir des droits d’accès et non parce qu’il souhaite réellement apporter une contribution au bien-être de X et Y. Il ne paraît pas sincère à cet égard.

[33]        En définitive, le Père ne démontre tout simplement pas qu’il est survenu un changement important depuis 2006, dans les besoins de X et Y, dans ce qu’il peut leur apporter ou autrement dans la situation des enfants.

[34]        Il n’y a donc pas lieu à ce moment de modifier le jugement de 2006 au sujet des droits d’accès.

* *

[35]        Cela dit, même si le Père avait fait la démonstration d’un changement significatif, il ne démontre pas pour autant que l’intérêt de X et Y justifie de leur imposer des contacts qu’ils refusent, d’autant que leur refus est compréhensible dans les circonstances, ce que reconnaît le Père.

[36]        Le Tribunal doit prendre en considération le désir d’un enfant qui a entre 8 et 12 ans[10]. Ce désir devient largement déterminant lorsque l’enfant a atteint l’âge de 12 ans[11]. Le juge n’est toutefois pas lié si d’autres facteurs indiquent fortement qu’il n’est pas dans son intérêt de donner suite à sa volonté.

[37]        En l’occurrence, le refus exprimé par X et Y va-t-il à l’encontre de leur intérêt? Prenant en compte chacun des facteurs énoncés précédemment[12], le Tribunal répond par la négative, considérant plus particulièrement le désintéressement démontré dans le passé par le Père envers X et Y, le fait que sa démarche actuelle vise apparemment à répondre à son propre désir plutôt qu’aux besoins des enfants, l’absence de démonstration concrète d’une volonté sincère de s’investir auprès d’eux et le fait que X et Y évoluent depuis maintenant six ans, une période plus longue que celle passée auprès du Père, au sein d’un milieu familial stable et qui répond apparemment à tous leurs besoins.

* *

[38]        Le Tribunal ne saurait donc faire droit à la demande de droits d’accès du Père à ce moment.

[39]        Cela dit, la Mère ne doit pas faire obstacle[13] au souhait que pourraient exprimer X et Y, actuellement ou en vieillissant, d’avoir des contacts ou des communications avec leur père ou des communications de sa part. Le Tribunal invite la Mère à encourager X et Y à s’ouvrir à de tels contacts ou communications, par écrit, par téléphone, en personne ou autrement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Rejette la Requête du défendeur pour droits d’accès amendée du père, G... S...;

Le tout, sans frais, vu la nature du litige.

 

 

 

 

__________________________________

CHRISTIAN J. BROSSARD, J.C.S.

 


 

Me Golshad Darroudi

Brouillard Bibeau Gariépy & Associés

Procureur de la demanderesse

 

Me Massimo Patrizi de Simone

Procureur du défendeur

 

Me Isabel Brault

Procureure des enfants

 



[1]     Consentement à jugement sur les mesures accessoires au divorce annexé au jugement de divorce, 16 mars 2006, clause 3.

[2]     Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.).

[3]     Id., art. 17 (5).

[4]     Gordon c. Goertz, [1996] 2 R.C.S. 27, par. 10-13.

[5]     Loi sur le divorce, art. 17 (5).

[6]     Id.

[7]     Gordon c. Goertz, préc., note 4, par. 17-19 et 49.

[8]     Gordon c. Goertz, préc., note 4, par. 49; Droit de la famille - 071132, 2007 QCCA 697 (CanLII), par. 11; Droit de la famille - 112338, 2011 QCCS 4005, par. 48.

[9]     Loi sur le divorce, art. 17 (9); Gordon c. Goertz, préc., note 4, par. 24.

[10]    Droit de la famille - 071666, 2007 QCCS 3415, par.39; Droit de la famille - 072074, 2007 QCCS 4038.

[11]    Droit de la famille - 07832, 2007 QCCA 548, par. 28; Droit de la famille - 121147, 2012 QCCA 917, par. 3.

[12]    Supra, titre C. DROIT APPLICABLE.

[13]    La preuve ne démontre pas qu’elle le fasse actuellement.

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