Trépanier c. R. |
2016 QCCA 388 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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N° : |
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(500-36-007929-162) |
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(500-01-072674-127) |
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DATE : |
3 mars 2016 |
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BERNARD TRÉPANIER |
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APPELANT - Accusé - requérant |
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c. |
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SA MAJESTÉ LA REINE |
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INTIMÉE - Poursuivante - mise en cause |
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et |
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L'HONORABLE YVAN POULIN, J.C.Q. |
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MIS EN CAUSE - intimé |
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et |
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FRANK ZAMPINO |
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DANIEL GAUTHIER |
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PAOLO CATANIA |
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ANDRÉ FORTIN |
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PASQUALE FEDELE |
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MARTIN D’AOUST |
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PASCAL PATRICE |
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LES CONSTRUCTIONS FRANK CATANIA & ASSOCIÉS INC. |
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MIS EN CAUSE - Accusés - mis en cause |
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[2] Pour décider de l’appel, il nous faut examiner les circonstances en cause au regard du principe fondamental et bien établi de l'impartialité des cours de justice. Nous réaffirmons l'importance de ce principe. En termes simples, la confiance du public dans notre système de justice prend sa source dans la conviction fondamentale que ceux qui rendent justice doivent non seulement toujours le faire sans partialité ni préjugé, mais doivent également être perçus comme agissant de la sorte.
[3] Si l’impartialité du juge est une composante essentielle du système judiciaire canadien, cette impartialité doit néanmoins être présumée. Par conséquent, bien que l'impartialité judiciaire soit une exigence stricte, c'est à la partie qui invoque l'inhabilité d’un juge qu'incombe le fardeau d'établir que les circonstances permettent de conclure que le juge en cause doit être récusé[1].
[4] Il existe une norme en droit canadien pour décider d’une telle question, soit celle formulée il y longtemps dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie[2] et réitérée constamment par la suite[3] :
... la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le juge], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »
[5] Cette norme exige une crainte raisonnable de partialité fondée sur des motifs sérieux, vu la forte présomption d’impartialité dont jouissent les tribunaux. L’application de cette norme dépend aussi largement des faits propres à chaque affaire.
[6] En l’occurrence, la principale crainte soulevée par l’appelant par rapport au juge Poulin concerne son rôle comme procureur fédéral dans le cadre d’enquêtes policières visant directement ou indirectement Me Rock. Selon l’appelant, le juge Poulin aurait pu alors développer un préjugé défavorable à l’égard de Me Rock, préjugé qui se serait révélé lors de certaines déclarations de ce dernier à l’occasion de procès intéressant des clients de Me Rock.
[7] Il faut préciser qu’aucune de ces enquêtes n’a mené à des accusations contre Me Rock. De plus, il n’y a aucune preuve au dossier établissant que le juge Poulin aurait une animosité à l’égard de Me Rock ou qu’il entretiendrait des préjugés défavorables à son endroit résultant des enquêtes susmentionnées ou de leur interaction comme procureurs lors de procès. Il s’agit seulement de soupçons qui ne s’appuient sur aucune preuve concrète si ce n’est que quelques échanges entre procureurs qui ne révèlent rien de particulier ou d’inusité.
[8] La Cour suprême du Canada nous met en garde contre les allégations de partialité judiciaire fondée sur des soupçons. Dans R. c. S. (R.D.)[4] on peut lire ce qui suit à cet égard :
… la jurisprudence anglaise et canadienne appuie avec raison la prétention de l'appelant selon laquelle il faut établir une réelle probabilité de partialité car un simple soupçon est insuffisant. Voir R. c. Camborne Justices, Ex parte Pearce, [1954] 2 All E.R. 850 (Q.B.D.); Metropolitan Properties Co. c. Lannon, [1969] 1 Q.B. 577 (C.A.); R. c. Gough, [1993] 2 W.L.R. 883 (H.L.); [R. c.] Bertram, [[1989] O.J. No. 2123 (QL)], à la p. 53; [R. c.] Stark, [[1994] O.J. No. 406 (QL)], au par. 74; [R. c.] Gushman, [[1994] O.J. No. 813 (QL)], au par. 30.
(nous soulignons)
[9] Dans son jugement du 25 janvier 2016, le juge Poulin affirme n’entretenir aucun préjugé défavorable à l’égard de Me Rock. Il ajoute d’ailleurs ce qui suit aux paragraphes 19 et 20 de son jugement :
[19] En l’espèce, Me Rock n’a été accusé de rien et il va sans dire que le fait qu’il ait été observé par des policiers dans le cadre de filatures en 2008 n’entache pas son honnêteté, sa probité et son intégrité. Aucune hostilité ou animosité ne caractérisait nos relations lorsque j’étais avocat et aucune apparence de partialité ne peut raisonnablement être inférée du fait que les filatures aient été portées à mon attention dans le cadre de mes fonctions de l’époque. À ma connaissance, aucun geste illégal ne lui a été reproché par qui que ce soit.
[20] Il importe de réitérer que les enquêtes, incluant celles auxquelles réfère le requérant, sont menées par les policiers et non les procureurs. Aucun élément particulier de nature à susciter un préjudice défavorable à l’égard de Me Rock ne m’a été révélé dans ces affaires. Et rien ne démontre que j’aurais outrepassé mon rôle de procureur ou adopté un comportement inapproprié dans l’exercice de mes fonctions, et ce, à quelque moment que ce soit.
(nous soulignons)
[10] Aucun élément de preuve ne nous a été soumis qui permet de remettre en question ces affirmations. Les craintes de l’appelant sont uniquement fondées sur des soupçons et de la conjecture.
[11] Dans ces circonstances, et sur le fondement du dossier devant nous, nous sommes tous d’avis qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique ne conclurait pas que le juge Poulin, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste à l’égard de l’appelant.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[12] REJETTE l’appel.
[1]
R. c. S. (R.D.),
[2]
Committee for Justice and Liberty
c. Office national de l’énergie,
[3] Voir, notamment, Bande indienne de Wewaykum c. Canada, supra, note 1, par. 74.
[4] R. c. S. (R.D.), supra, note 1, par. 112.
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