9245-4859 Québec inc. c. Martel Events, s.a.s. |
2016 QCCS 4550 |
||||||
JM 2497 |
|||||||
|
|||||||
CANADA |
|||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
||||||
|
|||||||
N°: |
500-17-095034-164 |
||||||
|
|
||||||
|
|||||||
DATE : |
Le 22 septembre 2016 |
||||||
|
|||||||
|
|||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
JEAN-FRANÇOIS MICHAUD, J.C.S. |
|||||
|
|||||||
|
|||||||
9245-4859 QUÉBEC INC. |
|||||||
Demanderesse |
|||||||
c. |
|||||||
MARTEL EVENTS S.A.S. - et - EXTENSION S.A.R.L. |
|||||||
Défenderesses |
|||||||
|
|||||||
|
|||||||
JUGEMENT (moyen déclinatoire) |
|||||||
|
|||||||
|
|||||||
[1] Les défenderesses demandent le rejet de la demande au motif que cette Cour n’aurait pas compétence pour entendre cette affaire.
[2] Des allégations de la demande et des pièces au soutien de celles-ci, le Tribunal retient ce qui suit.
[3] La demanderesse, dont le siège social est au Québec, agit à titre d’entreprise productrice du Salon Art Monaco qui est un salon d’art contemporain de la Côte d’Azur. En vue de ce salon, qui devait se tenir en juillet 2015 à l’Espace Fontvieille à Monte-Carlo, Monaco, la demanderesse a des discussions avec les défenderesses pour le montage de chapiteaux et leur aménagement. Précisons que le siège social des défenderesses est situé dans le sud de la France.
[4] À la suite d’une réunion tenue le 16 juin 2015 à Monaco, les services des défenderesses sont retenus par la demanderesse[1] :
14. Une réunion a eu lieu à Monaco, le ou vers le 16 juin 2015, en présence de Monsieur St-Pierre [représentant de la demanderesse], Monsieur Tronconi et Monsieur Navarro, ce dernier ayant été invité à la réunion par Monsieur Tronconi;
15. Au cours de cette réunion, Monsieur Tronconi a confirmé à la demanderesse que les deux défenderesses s’unissaient afin d’effectuer leur prestation de services en partenariat;
16. Monsieur Tronconi s’est également entretenu à ce sujet par téléphone avec Monsieur Johnessco Rodriguez, actionnaire et administrateur de la demanderesse, confirmant que les défenderesses prenaient le mandat ensemble, tel qu’il appert notamment du courriel de Monsieur Tronconi du 18 juin 2015, transmis à Monsieur St-Pierre, pièce P-5;
[5] Il n’existe aucun contrat écrit entre les parties, si ce n’est la signature de devis préparés par les défenderesses et qui ont été contresignés par la demanderesse[2]. Ces devis ne comportent aucune indication quant au droit applicable.
[6] La demanderesse allègue que les défenderesses ont fait défaut d’exécuter la prestation de services requise d’elles. Elle leur reproche divers problèmes liés aux installations fournies. Plusieurs exposants insatisfaits auraient présenté des demandes d’indemnisation pour lesquelles la demanderesse réclame compensation. De plus, une exposante se serait même blessée lors d’une chute pour laquelle elle recherche une indemnité de la demanderesse.
[7] La demanderesse présente une réclamation de 839 177 $ qui se détaille comme suit :
· Solde impayé à la défenderesse Martel............................ 38 595 €
· Réclamation pour blessures corporelles d’une exposante (pièce P-7)................................................................................................ 254 259 €
· Réclamations de certains exposants (pièce P-11)........... 80 789 €
· Autres réclamations d’exposants (pièce P-12)................. 203 300 €
· Coûts additionnels encourus par la demanderesse............ 5 650 €
· Sous-total............................................................................... 543 998 € / 789 177 $ [3]
· Atteinte à la réputation.............................................................................. 50 000 $
· Total............................................................................................................ 839 177 $
[8] L’article 3148 du Code civil du Québec établit les critères de rattachement en ce qui concerne la compétence internationale des tribunaux québécois relativement aux actions personnelles à caractère patrimonial. Dans le présent cas, le seul élément susceptible de conférer compétence aux tribunaux québécois est l’existence d’un préjudice subi au Québec, selon le 3e alinéa :
3148. Dans les actions personnelles à caractère patrimonial, les autorités québécoises sont compétentes dans les cas suivants:
1° Le défendeur a son domicile ou sa résidence au Québec;
2° Le défendeur est une personne morale qui n’est pas domiciliée au Québec mais y a un établissement et la contestation est relative à son activité au Québec;
3° Une faute a été commise au Québec, un préjudice y a été subi, un fait dommageable s’y est produit ou l’une des obligations découlant d’un contrat devait y être exécutée;
4° Les parties, par convention, leur ont soumis les litiges nés ou à naître entre elles à l’occasion d’un rapport de droit déterminé;
5° Le défendeur a reconnu leur compétence.
Cependant, les autorités québécoises ne sont pas compétentes lorsque les parties ont choisi, par convention, de soumettre les litiges nés ou à naître entre elles, à propos d’un rapport juridique déterminé, à une autorité étrangère ou à un arbitre, à moins que le défendeur n’ait reconnu la compétence des autorités québécoises.
(le Tribunal souligne)
[9] Il est bien établi qu’il n’est pas nécessaire que le préjudice soit lié à l’endroit où le fait dommageable est survenu ou la faute commise. De plus, le préjudice purement économique peut servir de facteur de rattachement en application de l’article 3148(3) du Code civil du Québec[4].
[10] Les parties ont des vues divergentes quant à savoir si le préjudice de la demanderesse a été réellement subi au Québec. Selon la demanderesse, c’est le cas puisque son patrimoine s’est appauvri au Québec du fait qu’elle a dû débourser des sommes pour pallier les manquements des défenderesses au moment du salon (5 650 €) et qu’elle devra indemniser les réclamants. Elle ajoute que sa réputation est aussi affectée, ce qui implique qu’elle subit un préjudice au Québec.
[11] Pour leur part, les défenderesses plaident que même si le patrimoine de la demanderesse est affecté au Québec, il demeure que le préjudice a été réellement subi à l’extérieur du Québec.
[12] La Cour d’appel, dans l’affaire Option consommateurs c. Infineon Technologies, a.g.[5], a eu à se prononcer sur la notion de préjudice subi au Québec. Monsieur le juge Kasirer distingue le préjudice subi au Québec de celui qui est simplement comptabilisé au Québec, lieu du patrimoine du demandeur :
[65] [traduction] Il faut établir une distinction entre [le préjudice] et le « dommage », qui représente la conséquence subjective du préjudice se rapportant à la mesure de réparation nécessaire pour compenser la perte. Par conséquent, en précisant qu’« un préjudice y a été subi » comme facteur de rattachement pertinent, le paragraphe 3148(3) vise à identifier le situs réel du « préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe » (article 1607 C.c.Q.), et non le situs du patrimoine dans lequel la conséquence de ce préjudice est comptabilisée.
(le Tribunal souligne)
[13] La Cour suprême du Canada, dans la même affaire, se dit en accord avec cette interprétation de la Cour d’appel[6] :
[47] Cette application du C.c.Q ne constitue pas, comme l’affirment les appelantes, un élargissement nouveau ou injustifié de la compétence des tribunaux du Québec. Au contraire, elle s’appuie sur le libellé du par. 3148(3) et sur la jurisprudence. Comme l’a affirmé notre Cour au par. 58 de l’arrêt Spar Aerospace, « [e]st amplement étayée la thèse selon laquelle l’art. 3148 prévoit une large assise juridictionnelle. »
[14] Les auteurs Patrick Ferland et Serge Gaudet[7] sont d’avis que le préjudice, depuis l’affaire Infineon, ne doit pas être simplement comptabilisé au Québec afin que les tribunaux québécois soient compétents :
Dans l'arrêt Option Consommateurs c. Infineon Technologies a.g., la Cour d'appel et la Cour suprême en sont arrivées à une solution permettant de concilier les préoccupations à la source de ces deux tendances jurisprudentielles qui concluent que les tribunaux québécois sont compétents lorsqu'un préjudice financier est réellement subi au Québec, mais qu'ils ne le sont pas lorsqu'un tel préjudice, subi ailleurs, n'est que comptabilisé au Québec, lieu du patrimoine du demandeur. Cette approche nous semble à la fois respecter la lettre du Code et éviter de conférer une compétence potentiellement exorbitante aux tribunaux québécois.
(le Tribunal souligne)
[15] Ce résumé est conforme à l’état du droit[8].
[16] Dans le présent dossier, les réclamations auxquelles fait face la demanderesse découlent des installations des défenderesses montées à Monaco. De plus, les pertes financières que la demanderesse aurait subies résultent également des événements survenus à Monaco durant l’été 2015. Le simple fait que ces réclamations aient un impact sur le patrimoine de la demanderesse au Québec ne suffit pas pour conclure que le préjudice y a été subi. Comme précisé dans l’affaire Infineon, la comptabilisation de ce préjudice au Québec n’est pas suffisante.
[17] Reste la question de l’atteinte à la réputation. Il est vrai qu’il est possible que celle-ci survienne en partie au Québec[9], mais il ressort que les plaintes proviennent d’exposants situés un peu partout dans le monde. Bref, cette atteinte n’est pas limitée au Québec.
[18] De plus, il serait déraisonnable que les tribunaux québécois se saisissent de cette affaire pour statuer sur le préjudice subi en raison de l’atteinte à la réputation, alors que cette atteinte est indissociable des autres préjudices qui ont pris naissance à Monaco et pour lesquels les tribunaux québécois ne sont pas compétents.
[19] L’article 491 du Code de procédure civile prévoit que le Tribunal prend en considération les principes directeurs de la procédure lorsqu’il décide de sa compétence internationale :
491. La demande pour que le tribunal québécois décline sa compétence internationale, sursoie à statuer ou rejette la demande pour cause d’absence de compétence internationale est proposée, comme tout moyen préliminaire.
Outre les dispositions du Code civil, le tribunal qui décide de sa compétence internationale prend en considération les principes directeurs de la procédure.
(le Tribunal souligne)
[20] Or, il irait à l’encontre de ces principes et, notamment, du principe de proportionnalité et d’une bonne administration de la justice, que les tribunaux québécois se prononcent sur l’atteinte à la réputation alléguée par la demanderesse, alors qu’ils ne sont pas compétents pour entendre le reste du dossier. L’article 18 du Code de procédure civile énonce :
18. Les parties à une instance doivent respecter le principe de proportionnalité et s’assurer que leurs démarches, les actes de procédure, y compris le choix de contester oralement ou par écrit, et les moyens de preuve choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigé, proportionnés à la nature et à la complexité de l’affaire et à la finalité de la demande.
Les juges doivent faire de même dans la gestion de chacune des instances qui leur sont confiées, et ce, quelle que soit l’étape à laquelle ils interviennent. Les mesures et les actes qu’ils ordonnent ou autorisent doivent l’être dans le respect de ce principe, tout en tenant compte de la bonne administration de la justice.
(le Tribunal souligne)
[21] Rappelons que le montant réclamé pour l’atteinte à la réputation est de 50 000 $, soit un montant nominal en comparaison de la valeur totale de la réclamation qui s’élève à 839 177 $.
[22] En conclusion, le Tribunal est d’avis qu’il n’a pas compétence puisque le préjudice allégué par la demanderesse n’a pas été subi au Québec, suivant l’article 3148(3) du Code civil du Québec, et que l’atteinte à la réputation invoquée est indissociable des autres préjudices pour lesquels les tribunaux québécois ne sont pas compétents. Il n’est pas justifié, dans les présentes circonstances, que les tribunaux québécois se saisissent de cette affaire.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[23] ACCUEILLE la présente demande en exception déclinatoire;
[24] DÉCLARE que la Cour supérieure du Québec n’est pas compétente pour entendre le recours intenté par la demanderesse;
[25] REJETTE l’action intentée par la demanderesse;
[26] AVEC FRAIS DE JUSTICE.
|
||
|
__________________________________ JEAN-FRANÇOIS MICHAUD, J.C.S. |
|
|
||
Me Catherine Dubé DS Avocats Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l. |
||
Procureurs de la demanderesse |
||
|
||
Me Quentin Leclercq Lecours, Hébert avocats inc.
|
||
Procureurs des défenderesses |
||
|
||
Date d’audience : |
Le 13 septembre 2016 |
|
[1] Demande introductive d’instance en dommages.
[2] Pièce P-9.
[3] La somme des montants réclamés par la demanderesse totalise 582 593 € et non 543 998 €, tel qu’allégué par la demanderesse au paragraphe 67 de sa demande introductive d’instance. Elle semble avoir omis d’additionner le solde impayé de 38 595 € qu’elle réclame également.
[4] Infineon Technologies c. Option consommateurs, [2013] 3 S.C.R. 600, par. 45.
[5] 2011 QCCA 2116
[6] Infineon Technologies c. Option consommateurs, préc., note 4.
[7] « Le droit international privé », dans Collection de droit 2015-2016, École du Barreau du Québec, vol. 6, Contrats, sûretés, publicité des droits et droit international privé, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, à la page 277.
[8] Voir également Green Planet Technologies Ltd. c. Corporation Pneus OTR Blackstone/OTR Blackstone Tire Corporation, 2013 QCCA 56, par. 9-11.
[9] Spar Aerospace c. American Mobile Satellite, [2002] 4 R.C.S. 205, par. 26.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.