Ulissi et Bétons Préfabriqués Trans-Canada inc. |
2014 QCCLP 4628 |
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[1] Le 25 mars 2014, monsieur Marcello Ulissi (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 20 mars 2014, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare recevable la demande de révision produite par le travailleur le 31 janvier 2014 à l’encontre de la décision qu’elle a initialement rendue le 10 octobre 2013. En effet, malgré que la CSST conclut que ladite demande de révision n’a pas été produite à l’intérieur du délai prévu par les dispositions de l’article 358 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), elle est d’avis que le travailleur a démontré un motif raisonnable permettant de le relever de son défaut.
[3] Quant au fond du litige, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 10 octobre 2013 et déclare qu’il y a lieu, à compter du 8 octobre 2013, de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu qui est versée au travailleur.
[4] Une audience s’est tenue devant la Commission des lésions professionnelles à Drummondville le 23 juillet 2014 en présence du travailleur et de sa procureure. Bétons Préfabriqués Trans-Canada inc. (l’employeur) est absent lors de cette audience et il n’a fait connaître aucun motif valable pour justifier son absence. Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles a procédé à l’instruction de la présente affaire en son absence, comme le permettent les dispositions de l’article 429.15 de la loi.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST ne pouvait, en conformité avec les dispositions de l’article 142 de la loi, suspendre le versement de son indemnité de remplacement du revenu. Il demande donc au tribunal de reconnaître qu’il a droit de recevoir une indemnité de remplacement du revenu entre le 8 octobre 2013 et le 10 février 2014.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs partagent le même avis dans le présent dossier.
[7] Ils considèrent que le travailleur a démontré une raison valable pour ne pas s’être présenté à l’examen médical qui avait été requis par la CSST le 8 octobre 2013. En effet, la preuve démontre que le travailleur était incarcéré à cette date. Ils estiment donc que le travailleur n’a pas omis ou refusé, sans raison valable, de se soumettre à un examen médical prévu par les dispositions de la loi. En conséquence, ils émettent l’opinion que la CSST ne pouvait se prévaloir des dispositions de l’article 142 de la loi pour suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit.
[8] De plus, les membres se disent surpris que la CSST ait considéré que l’incarcération du travailleur constitue un motif valable permettant de le relever de son défaut d’avoir demandé la révision de la décision rendue le 10 octobre 2013 à l’intérieur du délai prévu par les dispositions de la loi et que du même souffle elle considère que cette même incarcération ne constitue une raison valable pour ne pas s’être présenté à l’examen médical requis.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si la CSST pouvait suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit.
[10] La suspension d’une telle indemnité est prévue par les dispositions de l’article 142 de la loi qui stipule :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274.
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[nos soulignements]
[11] Avant tout, le tribunal tient à rappeler que c’est le versement de l’indemnité de remplacement du revenu qui peut être suspendu et non le droit même du travailleur à une telle indemnité.
[12] Il est également important de souligner que la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles prévoit que les dispositions de l’article 142 de la loi doivent être interprétées restrictivement puisque celles-ci constituent une dérogation au droit du travailleur de bénéficier du versement d’une indemnité de remplacement du revenu lorsqu’il est incapable d’exercer son emploi en raison de la lésion professionnelle qu’il a subie[2].
[13] De plus, la jurisprudence rappelle également que les dispositions de l’article 142 de la loi constituent un moyen de coercition permettant à la CSST d’intervenir lorsqu’un travailleur refuse ou néglige de se conformer à ses obligations légales. Dans les circonstances, une telle mesure coercitive doit être utilisée par la CSST de façon judicieuse[3].
[14] Afin de statuer sur le litige qui est soumis au tribunal en l’instance, celui-ci juge à propos à ce stade-ci de faire un court résumé des éléments de preuve pertinents.
[15] Le travailleur qui occupe un emploi de journalier pour le compte de l’employeur est victime d’un accident du travail le 14 février 2011 alors qu’il chute au sol après avoir glissé sur une flaque d’huile au moment où il s’affaire à transporter un treillis métallique.
[16] Lors de cet accident, le travailleur subit des lésions au genou gauche et à la colonne cervicale. Les diagnostics retenus initialement sont ceux d’entorse au genou gauche et d’entorse cervicale. Cependant, après une investigation approfondie, les diagnostics de déchirure du ménisque interne du genou gauche et de hernie discale au niveau C7-D1 seront retenus en lien avec l’événement du 14 février 2011.
[17] Il est également pertinent de noter que le travailleur développera également une lésion psychique, soit un trouble de l’adaptation, qui sera également reconnue comme étant en lien avec les conséquences de l’événement qui est survenu au travail en date du 14 février 2011.
[18] Le 18 septembre 2013, la CSST fait parvenir au travailleur deux avis de convocations pour qu’il se présente à des examens médicaux qui sont requis en conformité avec les dispositions de l’article 204 de la loi qui stipule :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
[19] En effet, le travailleur doit rencontrer la docteure Guylaine Proteau, psychiatre, le 8 octobre 2013 pour une évaluation en lien avec sa lésion psychique. Le travailleur est également convoqué pour une évaluation de sa condition physique auprès du docteur Louis-Serge Rheault, chirurgien orthopédiste, le 21 octobre 2013. Le travailleur ne se présente pas à ces deux examens médicaux puisqu’il est incarcéré.
[20] En effet, le travailleur est arrêté pour deux infractions criminelles qu’il aurait commises en date du 29 septembre 2013. Il est alors détenu jusqu’à sa comparution qui a lieu le 30 septembre 2013. Lors de cette comparution, il appert que la procureure de la couronne s’oppose à sa remise en liberté. Dans les circonstances, il est prévu que l’enquête concernant sa remise en liberté ait lieu le 1er octobre 2013. Ladite enquête sur la remise en liberté sera reportée au 8 octobre 2013 et le travailleur décide alors de plaider coupable aux deux infractions qui lui sont reprochées. Il est alors condamné à une sentence de prison de 154 jours qui doit se terminer le 10 mars 2014. Il est cependant admissible à une libération conditionnelle après avoir purgé les deux tiers de sa peine, soit à compter du 18 janvier 2014.
[21] La preuve démontre également que le travailleur devait se présenter pour une rencontre avec l’agente d’indemnisation et la conseillère en réadaptation de la CSST en date du 3 octobre 2013. Bien entendu, il ne s’est pas présenté pour cette rencontre puisqu’il était en détention à cette date. En constatant l’absence du travailleur, l’agente d’indemnisation de la CSST a tenté de communiquer avec celui-ci par téléphone, mais il appert que les numéros qu’elle avait n’étaient plus en service à ce moment. Dans les circonstances, l’agente d’indemnisation de la CSST a fait parvenir au travailleur une lettre le convoquant à une nouvelle rencontre le 29 octobre 2013.
[22] La Commission des lésions professionnelles précise immédiatement que le travailleur n’a pas pris connaissance des différentes lettres qui lui ont été envoyées par la CSST pendant sa période d’incarcération. En effet, il souligne qu’à cette époque, il était célibataire et qu’il vivait seul dans un petit appartement. Le courrier s’est donc empilé pendant la durée de son absence.
[23] Le 9 octobre 2013, la CSST est avisée que le travailleur ne s’est pas présenté à l’examen médical prévu la veille avec la docteure Proteau. La CSST décide alors de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit et elle rend une décision à cet effet le 10 octobre 2013 qui se lit ainsi :
L’indemnité de remplacement du revenu que nous vous versons est suspendue à compter du 8 octobre 2013, en vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles puisque le 8 octobre 2013 vous avez, sans raison valable, omis ou refusé de vous soumettre à l’examen médical demandé par la CSST avec Dre Proteau.
Nous pourrons reprendre le versement de l’indemnité dans la mesure où le motif qui en a justifié la suspension n’existera plus. [sic]
[24] Le 15 octobre 2013, la CSST fait parvenir une nouvelle convocation au travailleur afin qu’il se soumette à un nouvel examen médical avec la docteure Proteau en date du 14 novembre 2013. De plus, puisque le travailleur ne s’est pas présenté à l’examen médical qui devait être réalisé par le docteur Rheault le 21 octobre 2013, la CSST lui fait parvenir une nouvelle convocation pour un examen avec ce médecin qui doit avoir lieu le 25 novembre 2013. Encore une fois, le travailleur ne se présentera pas à ces deux nouvelles convocations puisqu’il est toujours incarcéré.
[25] Le travailleur étant de nouveau absent à la rencontre prévue le 29 octobre 2013 avec l’agente d’indemnisation et la conseillère en réadaptation de la CSST, l’agente tente à nouveau de joindre le travailleur par téléphone, mais elle n’obtient aucune réponse aux différents numéros de téléphone qu’elle possède pour joindre celui-ci. Dans les circonstances, elle fait parvenir une nouvelle lettre au travailleur lui demandant de communiquer avec elle dans les plus brefs délais.
[26] Le travailleur ne s’étant pas présenté aux nouveaux examens médicaux auxquels il avait été convoqué, la CSST lui fait parvenir une lettre en date du 2 décembre 2013 lui indiquant qu’elle considère qu’il se désintéresse de son dossier et qu’elle procèdera donc à la fermeture de son dossier.
[27] Le 5 décembre 2013, la CSST reçoit une lettre qui a été rédigée par le travailleur le 28 novembre 2013. Dans cette lettre, il informe l’agente de la CSST responsable de son dossier qu’il est présentement incarcéré au Centre de détention de Montréal (Bordeaux), qu’il reçoit des soins adéquats et qu’il fait ses exercices pour sa lésion au genou gauche.
[28] Le travailleur explique qu’il n’avait pas fait parvenir cette lettre avant cette date pour deux raisons. Dans un premier temps, il souligne qu’il avait mandaté l’avocat qui le représentait dans ses dossiers de nature criminelle pour que celui-ci communique avec l’agente de la CSST pour l’informer de sa situation. Il appert que celui-ci a omis de remplir son mandat, ce que le travailleur a appris seulement lorsqu’il a été libéré en janvier 2014. Deuxièmement, il explique qu’il a été transféré dans cinq établissements de détention différents en raison de problèmes de surpopulation carcérale et qu’il ne disposait alors pas de moyens pour communiquer adéquatement avec la CSST.
[29] Au sujet de ces transferts d’un établissement de détention à un autre, le travailleur précise que lorsqu’il arrivait dans un nouvel établissement, il prenait la peine d’informer les responsables de son dossier avec la CSST et de la nécessité de prendre des arrangements pour son suivi médical. Malheureusement, il ne réussissait jamais à obtenir une réponse positive avant son transfert dans un autre établissement et il devait alors recommencer le processus à zéro.
[30] Après avoir pris connaissance de la lettre du travailleur, le 5 décembre 2013, l’agente d’indemnisation de la CSST lui fait parvenir la lettre suivante qu’elle adresse au Centre de détention de Montréal :
Nous avons bien reçu votre lettre nous informant de votre situation.
Vos indemnités sont suspendues depuis le 8 octobre 2013 car, vous ne vous êtes pas présenté aux expertises médicales.
Nous vous ferons parvenir de nouvelles convocations à des expertises.
Par la présente, nous vous demandons de communiquer avec nous dès votre sortie de prison afin de nous communiquer vos coordonnées et de faire un suivi médical. [sic]
[31] À la date où il est admissible à une libération conditionnelle après avoir purgé les deux tiers de sa peine, soit le 18 janvier 2014, le travailleur est libéré.
[32] Le 20 janvier 2014, il communique donc avec l’agente d’indemnisation de la CSST afin de l’informer qu’il a été libéré. La note évolutive rédigée par l’agente mentionne notamment :
- ASPECT PSYCHOSOCIAL :
T était incarcéré du 29 septembre au 18 janvier 2014.
Dit qu’il souhaite se présenter aux expertises et à notre rencontre. Il est très déçu et honteux des événements.
T dit qu’il a connu une mauvaise période et qu’il souhaite s’en sortir rapidement.
- ASPECT LÉGAL :
L’informe que ses IRRs sons suspendues.
Je vais demande de nouvelles expertises et T devra s’y présenter pour que je puisse reprendre le versement de ses IRRs [sic]
[33] Le 23 janvier 2013, la CSST fait parvenir une nouvelle convocation au travailleur afin que celui-ci rencontre le docteur Mario Giroux, chirurgien orthopédiste, en date du 29 janvier 2014 à 11 heures. L’agente tente également de communiquer avec le travailleur par téléphone afin de l’informer de ce rendez-vous. Elle laisse des messages dans une boîte vocale à trois reprises, soit les 23, 28 et 29 janvier 2014, mais elle n’obtient aucun retour d’appel de la part du travailleur. Il appert en effet que le numéro de téléphone que possédait alors l’agente de la CSST n’était pas le bon numéro pour rejoindre le travailleur.
[34] Le travailleur explique avoir pris connaissance de l’avis de convocation le matin du 29 janvier 2014. Il s’est donc rendu immédiatement au bureau du docteur Giroux à Trois-Rivières, ce qui représente un trajet en voiture d’environ une heure. Pour le plus grand malheur du travailleur, il est arrivé au bureau du docteur Giroux avec environ 15 minutes de retard et ce dernier a refusé de le rencontrer en raison d’un horaire chargé. Le travailleur communique donc avec l’agente d’indemnisation de la CSST alors qu’il se trouve toujours au bureau du docteur Giroux, et ce, afin de l’informer de la situation. L’agente parle alors avec la secrétaire du docteur Giroux pour lui expliquer la situation particulière du travailleur et tenter que le docteur Giroux accepte de rencontrer ce dernier. Cela s’avère malheureusement impossible, mais la secrétaire accepte de fixer un nouveau rendez-vous au travailleur le 10 février 2014. Finalement, le travailleur se présentera à ce rendez-vous et la CSST reprendra le versement d’une indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date.
[35] Le 20 mars 2014, à la suite d’une révision administrative, la CSST rend une décision par laquelle elle confirme la décision qu’elle a initialement rendue en date du 10 octobre 2013 puisqu’elle estime que le travailleur n’a pas démontré une raison valable pour expliquer son omission de se présenter à l’examen médical requis par la CSST le 8 octobre 2013.
[36] C’est donc en fonction de l’ensemble de la preuve rapportée ci-haut que la Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST était fondée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur avait droit pour la période du 8 octobre 2013 au 10 février 2014.
[37] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles tient à préciser qu’elle considère que son analyse doit se limiter à l’étude des motifs qui ont entraîné l’absence du travailleur à l’examen médical du 8 octobre 2013. En effet, malgré que le travailleur se soit absenté à d’autres examens médicaux ainsi qu’à des rencontres prévues avec l’agente d’indemnisation et la conseillère en réadaptation de la CSST, il appert que la décision rendue vise uniquement l’absence lors de l’examen prévu le 8 octobre 2013.
[38] Le tribunal retient que le travailleur s’est absenté lors de cet examen pour les motifs suivants : il a été arrêté le 29 septembre 2013 pour des infractions criminelles qu’il a commises ce jour et il a été détenu jusqu’à sa comparution devant le tribunal le lendemain, soit le 30 septembre 2013. Lors de cette comparution, il y a eu une objection à sa remise en liberté et l’enquête visant ladite remise en liberté devait se dérouler le 1er octobre 2013. Cette dernière a cependant été remise au 8 octobre 2013 et le travailleur a alors décidé de plaider coupable et a été immédiatement condamné à une peine d’incarcération. Il appert donc que le 8 octobre 2013, le travailleur s’est présenté au Palais de justice afin de subir son enquête pour remise en liberté, mais qu’il a préféré régler ses dossiers en plaidant coupables aux infractions qui lui étaient reprochées.
[39] La Commission des lésions professionnelles considère que ces circonstances constituent une raison valable pour avoir omis de se présenter à l’examen médical qui avait été demandé par la CSST.
[40] Le présent tribunal note d’ailleurs que quelques décisions ont été rendues par la Commission des lésions professionnelles dans lesquelles il a été décidé que l’incarcération d’un travailleur constitue une raison valable pour avoir omis de se présenter à un examen médical et que dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’appliquer les dispositions de l’article 142 de la loi.
[41] Dans l’affaire Groupe Platinium Construction inc. et St-Germain[4], la Commission des lésions professionnelles s’exprimait de la façon suivante à ce sujet :
[67] La Commission des lésions professionnelles doit répondre à deux questions. D’abord, est-ce que la CSST était justifiée de suspendre les indemnités du travailleur à la suite de son absence à l’examen médical du 14 août 2002? Ensuite, la procédure d’évaluation médicale mise en place par la CSST est-elle conforme et régulière et, en conséquence, la CSST est-elle liée par les conclusions médicales du BEM?
[68] La preuve non contredite démontre que le travailleur a été incarcéré du 3 juin 2002 au 30 août 2002. C’est durant cette période qu’il est convoqué pour être examiné par un membre du BEM, d’abord le 13 juin 2002 puis, vu son absence au premier rendez-vous, le 14 août 2002.
[69] Dans les deux cas, le travailleur a omis de se présenter à cet examen médical. À première vue, la CSST était donc bien fondée de suspendre les indemnités. […]
[70] Toutefois, cette disposition donne à la CSST le pouvoir de suspendre les indemnités dans le cas où le travailleur omet de se soumettre à un examen médical sans raison valable. Le tribunal est d’avis que l’incarcération du travailleur du 3 juin 2002 au 30 août 2002 constitue une raison valable.
[42] La Commission des lésions professionnelles a également conclu de façon similaire dans les affaires Griffith et Signalisation J.-P. 2000 inc.[5], Relizon Canada inc. et Boileau[6] ainsi que Berthelot et Rosario Poirier inc.[7].
[43] Au surplus, le soussigné ne peut que manifester sa surprise devant l’inconstance de la CSST face à l’interprétation de la notion de « raison valable » justifiant une absence à un examen médical. En effet, tel qu’il appert de l’extrait suivant de la décision rendue par le tribunal dans l’affaire Côté et Constructions L.P.G. inc.[8], la CSST considère que l’incarcération d’un travailleur constitue une raison valable pour avoir omis de se présenter à un examen médical :
[11] Le 8 septembre 2004, la CSST suspend l’indemnité de remplacement du revenu alléguant que le travailleur a omis, sans raison valable, de se soumettre à un examen médical. Toutefois, le 29 octobre 2004, la CSST reconsidère sa décision et reprend le versement de l’indemnité. Elle estime que l’incarcération du travailleur justifie l’absence au rendez-vous médical.
[44] Enfin, le soussigné souligne qu’il aurait été préférable que le travailleur avise immédiatement la CSST de son incarcération, ce qui aurait sûrement évité bien des désagréments autant pour le travailleur que pour l’agente de la CSST. Il appert cependant que le travailleur avait mandaté son avocat pour qu’il avise l’agente de la CSST, mais ce dernier a malheureusement omis de remplir son mandat.
[45] À ce sujet, le présent tribunal partage entièrement les propos tenus par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Guay et Pomerleau inc.[9] à l’effet que l’omission, par le travailleur, d’aviser rapidement la CSST de son incarcération n’est pas un motif permettant la suspension du versement de son indemnité de remplacement du revenu :
[34] À la lumière de la preuve offerte, la Commission des lésions professionnelles considère qu’il n’existe pas de motif donnant ouverture à la réduction ou la suspension du paiement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 1er décembre 2011 au 14 janvier 2012.
[35] D’abord, tel que le souligne la CSST, le fait d’être incarcéré dans un centre de détention n’est pas un motif pour appliquer la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu. Dès lors, le fait que le travailleur ait tardé à en informer la CSST, ne justifie pas en soi la suspension au sens du premier alinéa de l’article 142 de la loi.
[46] En résumé, la Commission des lésions professionnelles considère donc que le travailleur a démontré une raison valable pour expliquer son absence à l’examen médical du 8 octobre 2013. En conséquence, la CSST ne pouvait suspendre le versement de son indemnité de remplacement du revenu en conformité avec les dispositions de l’article 142 de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête produite par monsieur Marcello Ulissi, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 20 mars 2014, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail ne pouvait suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 8 octobre 2013;
DÉCLARE que le travailleur a droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu pour la période du 8 octobre 2013 au 10 février 2014.
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Michel Letreiz |
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Me Marie-Soleil Guérard |
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TOURIGNY, MAGAZZU, DROLET AVOCATS |
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Représentante de la partie requérante |
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[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Voir notamment : Prévost Car inc. et Lamothe, C.L.P. 155022-03B-0102, 4 septembre 2001, G. Marquis, requête en révision rejetée, 17 décembre 2001, P. Simard; El Haiba et Versalab inc., C.L.P. 357245-62B-0808, 28 mai 2009, R. M. Goyette; CHSLD Vigi Mont-Royal et Monthervil, 2013 QCCLP 4849; Bouhellal et Ville de Québec, 2014 QCCLP 3469.
[3] Voir notamment : Barkley et Service Sani-Tri Cogesis inc., 2011 QCCLP 2578; L.M.L. Électrique (1995) ltée et Blouin, 2014 QCCLP 51.
[4] C.L.P. 196223-63-0212, 17 mars 2004, D. Lajoie.
[5] C.L.P. 168389-72-0109, 31 mars 2003, N. Lacroix.
[6] C.L.P. 359775-71-0810, 1er novembre 2010, M. Denis.
[7] 2012 QCCLP 1053.
[8] C.L.P. 268027-04-0507, 29 janvier 2008, D. Lajoie.
[9] 2012 QCCLP 5974.
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