Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Sherbrooke

Le 28 février 2006

 

Région :

Estrie

 

Dossier :

195260-05-0212-2

 

Dossier CSST :

122369671

 

Commissaire :

Me Micheline Allard

 

Membres :

Bertrand Delisle, associations d’employeurs

 

René Duval, associations syndicales

 

 

Assesseure :

Muguette Dagenais, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Mark Hart

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Shermag inc. (Division Scotstown)

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 2 décembre 2002, monsieur Mark Hart (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 novembre 2002 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 25 octobre 2002 donnant suite à l’avis du Comité spécial des présidents formé en vertu de l’article 231 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et déclare que le travailleur n’est pas porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire.

[3]                L’audience s’est tenue les 25 novembre et 6 décembre 2005 à Sherbrooke en présence du travailleur et de sa représentante. La compagnie Shermag inc. (Division Scotstown) (l’employeur) était également représentée.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                Le travailleur demande de reconnaître que l’asthme dont il est atteint constitue une maladie professionnelle et qu’il a droit aux prestations prévues par la loi.

LA PREUVE

[5]                Le 26 octobre 2001, le travailleur, alors âgé de 53 ans, débute un emploi de concierge pour l’employeur dont les activités consistent à fabriquer des meubles en bois. Il travaille à l’établissement de Scotstown.

[6]                Le 27 février 2002, la docteure Annie Roberge, médecin traitant du travailleur, prescrit de la médication pour des problèmes respiratoires : Ventolin, Flovent et Nasacort.

[7]                Des tests de fonction respiratoire effectués en avril 2002 montrent la présence d’un syndrome obstructif léger avec une hyperréactivité bronchique d’intensité légère à modérée. La docteure Roberge pose un diagnostic d’asthme et demande une consultation au docteur Pierre Larivée, pneumologue.

[8]                Le 16 mai 2002, le docteur Larivée évalue le travailleur. Il note des antécédents d’atopies avec rhume des foins mais sans histoire d’asthme. Il rapporte l’apparition de symptômes d’asthme en décembre 2001. À la lumière de la symptomatologie et des tests de fonction respiratoire, il confirme le diagnostic d’asthme. Il considère qu’une composante professionnelle doit être éliminée. Il suspecte en effet la présence de sensibilisants des voies respiratoires dans le milieu de travail récent du travailleur, en particulier la colle à bois. Il demande que le dossier du travailleur soit dirigé au Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke.

[9]                Le 24 mai 2002, le travailleur présente une réclamation à la CSST. Il allègue que l’asthme dont il est porteur découle de son travail de concierge exercé chez l’employeur. Il indique avoir travaillé dans un environnement de poussière de bois, de colle, de solvant et de teinture. Il mentionne avoir éprouvé des problèmes respiratoires à compter de novembre 2001.

[10]           En juillet 2002, le travailleur est évalué par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke formé des docteurs Raymond Bégin, André Cantin et Pierre Larivée, pneumologues.

[11]           Dans un rapport initial du 16 août 2002, le comité confirme le diagnostic d’asthme à la lumière des tests de fonction respiratoire et des symptômes.

[12]           Le comité rapporte des antécédents de fièvre des foins de longue date.

[13]           À la suite de la révision des fiches signalétiques de l’établissement de l’employeur, le comité considère que la colle à bois polyvinyle acétate est un sensibilisant potentiel qui pourrait avoir contribué à l’asthme du travailleur. Le comité recommande de procéder à des tests de provocation spécifique en usine selon le protocole habituel avec une semaine de contrôle en laboratoire et deux semaines en usine.

[14]           Cependant, dans une lettre du 26 août 2002 adressée au docteur Bégin, le président du comité, le travailleur mentionne qu’il ne pourra subir les tests de provocation spécifique chez l’employeur puisque son lien d’emploi est rompu depuis le 18 mars 2002.

[15]           Dans un avis du 20 septembre 2002, le comité rapporte que le travailleur ne souhaite pas se soumettre aux tests de provocation en usine compte tenu de l’entente intervenue avec son employeur mettant fin au lien d’emploi. Dans ce contexte, le comité ne reconnaît pas de maladie professionnelle pulmonaire chez le travailleur.

[16]           Le 3 octobre 2002, le Comité spécial des présidents composé des docteurs Marc Desmeules, Jean-Jacques Gauthier et Gaston Ostiguy, pneumologues, entérine la conclusion du Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke et ne reconnaît pas de maladie professionnelle pulmonaire chez le travailleur.

[17]           Par une décision du 25 octobre 2002, la CSST donne suite à l’avis du Comité spécial des présidents et déclare que le travailleur n’est pas porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire.

[18]           Dans sa demande de révision du 7 novembre 2002, le travailleur écrit n’avoir jamais eu l’intention de refuser les tests de provocation spécifique en usine demandés par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke.

[19]           Par une décision rendue le 29 novembre 2002 à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme sa décision initiale. Le travailleur dépose alors une contestation à la Commission des lésions professionnelles.

[20]           À la suite des démarches entreprises par le travailleur, des tests de provocation spécifique en usine sont prévus pour juin 2003 puis annulés par la suite. La CSST décide d’attendre la décision de la Commission des lésions professionnelles sur le bien-fondé de la contestation du travailleur.

[21]           Dans une lettre du 1er octobre 2003 adressée à la Commission des lésions professionnelles, le docteur Larivée, en sa qualité de médecin traitant, recommande que le dossier du travailleur soit dirigé au service de pneumologie de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal pour investigation appropriée à savoir des tests de provocation en milieu de travail ou en laboratoire.

[22]           À la suite d’une requête déposée par l’employeur, à laquelle le travailleur consent, la Commission des lésions professionnelles rend l’ordonnance suivante le 31 octobre 2003 :

ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de prendre les mesures nécessaires pour que le travailleur, monsieur Mark Hart, soit soumis à des tests de provocation spécifique et que le Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke puis un comité spécial des présidents rendent un avis sur le diagnostic et, le cas échéant, sur les autres sujets mentionnés à l’article 230 de la loi;

 

ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de transmettre à la Commission des lésions professionnelles, à l’attention de la commissaire soussignée, les avis ainsi obtenus.

[23]           Le 14 janvier 2004, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke revoit le travailleur.

[24]           Dans son rapport, le comité rappelle que le produit sensibilisant suspecté est le polyvinyle acétate, une colle adhésive utilisée dans la fabrication des meubles à l’usine de l’employeur. Il est mentionné que le travailleur n’avait pas à travailler directement avec cette colle mais qu’il était exposé aux odeurs de ce produit dans son travail d’entretien ménager. Le comité demande donc de diriger le dossier du travailleur à la clinique d’asthme de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal afin que des tests de provocation spécifique en laboratoire avec le produit sensibilisant soient exécutés.

[25]           Dans une lettre du 23 février 2004 adressée au comité, le docteur Jean-Luc Malo, pneumologue à la clinique d’asthme de l’Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, conclut que l’histoire du travailleur peut suggérer de l’asthme professionnel. Il écrit qu’il obtiendra les fiches signalétiques des types de bois, des peintures et des colles utilisés par l’employeur. Une fois ces informations obtenues, les tests de provocation bronchique spécifique seront exécutés.

[26]           Dans un rapport du 22 juillet 2004 adressé au comité, la docteure Catherine Lemière, pneumologue à la clinique d’asthme professionnel du service de pneumologie de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, décrit les tests de provocation bronchique spécifique en laboratoire auxquels elle a procédé. Le travailleur a été exposé à deux agents sensibilisants qui étaient présents dans son milieu de travail à savoir le formaldéhyde et la colle polyvinyle acétate. Des tests ont ensuite été effectués en milieu de travail les 28 et 29 juin 2004. L’investigation a été complétée par une exposition à de la poussière de bois mélangée, à savoir du merisier, du chêne et de l’érable.

[27]           La conclusion de la docteure Lemière se lit ainsi :

Les tests que nous avons effectués chez monsieur Hart n’ont pas montré d’asthme professionnel. Il y a certainement un asthme personnel en revanche. Ceci dit nous n’avons pas réussi à reproduire la symptomatologie de monsieur Hart, le patient mentionnant que son milieu de travail a changé et il est à noter que ça fait quand même longtemps que monsieur Hart n’a plus travailler [sic]. Donc il faut interpréter ce résultat avec prudence.

[28]           Le 17 septembre 2004, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke émet l’avis suivant :

Essentiellement, ce dossier nous démontre que monsieur Mark Hart est asthmatique, qu’il présente une hypersensibilité démontrée par les tests d’allergies mais qu’il ne présente pas de sensibilisation aux produits habituellement retrouvés dans le milieu de travail concerné, soit l’usine de meubles Shermag. Il n’y a aucune allergie au bois. Aucune allergie au formaldéhyde utilisé dans les colles. Les tests de provocation réalisés en milieu de travail ont également été négatifs.

 

Dans le contexte, le comité conclut donc qu’il n’y a pas d’asthme professionnel chez ce réclamant et à la limite, le comité considère que monsieur Mark Hart présente un asthme et que cet asthme a pu être aggravé temporairement en milieu de travail par les irritants non spécifiques de ce milieu. Encore une fois, il n’y a pas de sensibilisation aux produits selon les tests du docteur Catherine Lemière et par conséquent le comité ne reconnaît donc pas d’asthme professionnel.

 

1) Déficit anatomo-physiologique : aucun.

2) Limitations fonctionnelles : aucunes.

3) Tolérance aux contaminants : aucune exposition aux irritants non spécifiques comme pour tout asthmatique.

[29]           Le 14 octobre 2004, le Comité spécial des présidents formé des docteurs Marc Desmeules, André Cartier et Gaston Ostiguy, pneumologues, entérine cet avis.

[30]           À l’audience, le travailleur rend le témoignage suivant.

[31]           Son horaire de travail chez l’employeur était de 16 h à 23 h du lundi au jeudi et de 19 h à minuit le vendredi.

[32]           Son travail consistait, dans l’usine, à balayer le plancher dans les passages et autour de la machinerie ainsi que vider les barils contenant des poussières et des rebuts de bois.

[33]           Il nettoyait les salles de toilette, la cafétéria et les bureaux.

[34]           À la bouilloire, il insérait un long bâton dans les copeaux de bois pour les faire chuter.

[35]           Dans l’atelier de peinture, il passait le balai. Aux deux semaines, il nettoyait le four où se trouvaient deux ventilateurs. Il a porté un petit masque à partir de décembre 2001.

[36]           Lorsqu’il débutait à 16 h, l’usine était en opération jusqu’à 17 h.

[37]           La nuit, il se rendait à l’établissement en cas d’alarme.

[38]           Il a commencé à éprouver des problèmes respiratoires deux semaines après le début de son emploi. En décembre 2001, il avait de la difficulté à respirer et à dormir.

[39]           Au travail, ses difficultés respiratoires se manifestaient surtout aux endroits suivants : la machine Weeke et l’atelier de peinture où la poussière était très fine.

[40]           Le travailleur fait entendre monsieur Alain Marquis. Ce dernier rend le témoignage suivant.

[41]           À titre d’inspecteur à la CSST, il a été en charge de l’établissement de l’employeur à Scotstown de 2001 à mars 2005.

[42]           En novembre 2002, il a reçu une plainte de l’association accréditée concernant l’émission de poussière de bois par une machine automatisée connue sous le nom de Weeke et utilisée pour façonner des pièces.

[43]           À la demande de monsieur Marquis, un technicien du CLSC de la région concernée a, en janvier 2003, fait l’échantillonnage des poussières de bois aux postes de travail de l’établissement et ce, de jour, pendant la production. Il s’est avéré que la norme d’empoussiérage n’était pas respectée pour trois postes.

[44]           Le premier poste était celui d’opérateur de la machine Weeke. L’ajustement des brosses et du ventilateur de la machine a réglé le problème rapidement.

[45]           Les deux autres postes étaient ceux d’opérateurs au sablage de finition. En modifiant la méthode de travail, le temps de sablage a diminué et la norme a été respectée.

[46]           En 2003, les conduits de ventilation et les bouches d’aspiration pour les sableuses à courroie ont été modifiés. Les tuyaux d’aspiration au-dessus de la machine Weeke l’ont été également. Il s’agit des deux seuls endroits où l’aménagement des conduits a été changé.

[47]           Monsieur Marquis souligne qu’il n’y avait pas de problème quand l’équipement ne fonctionnait pas puisqu’il n’y avait pas d’émission de poussière à ce moment-là.

[48]           Il mentionne que les changements apportés par l’employeur concernaient la configuration du système de ventilation. Ceci n’a pas d’impact sur la puissance ou la capacité du système globalement.

[49]           Les rapports d’interventions de monsieur Marquis ayant fait suite à la plainte de novembre 2002 sont déposés.

[50]           Cette plainte constituait la première relativement à l’empoussiérage.

[51]           Avant novembre 2002, les échantillonnages effectués pour le programme de prévention de l’établissement ont toujours montré le respect de la norme.

[52]           Le docteur Pierre Larivée témoigne à la demande du travailleur. Il est reconnu expert en pneumologie. Il est membre du Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke depuis 1995.

[53]           Il explique que la façon la plus formelle ou optimale d’exclure la possibilité d’un asthme professionnel lorsqu’un travailleur est exposé à des sensibilisants potentiels et à des irritants non spécifiques consiste à faire des tests de provocation en usine. Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke applique un protocole qui est de deux semaines en usine et une semaine de contrôle en laboratoire. À partir du résultat des tests, le Comité peut conclure s’il y a aggravation de l’asthme en milieu de travail et si le profil d’aggravation suggère plus un asthme professionnel avec présence de sensibilisants ou un asthme personnel avec présence d’irritants non spécifiques.

[54]           Par ailleurs, si un agent spécifique sensibilisant est identifié dans le milieu de travail, le travailleur est d’emblée dirigé à la clinique d’asthme de l’Hôpital du Sacré-Cœur pour des tests de provocation en laboratoire.

[55]           Dans le cas du travailleur, il n’y a pas eu de tests précoces en milieu de travail. Le comité a en effet interprété la lettre du 26 août 2002 comme un désistement de la part du travailleur. Il n’est pas rare que des travailleurs se désistent. À la suite de la décision interlocutoire du tribunal, le dossier a été dirigé à la clinique de pneumologie de l’Hôpital du Sacré-Cœur pour que l’investigation jugée pertinente par les pneumologues experts en asthme occupationnel soit effectuée.

[56]           Comme les tests exécutés en laboratoire et en usine par la docteure Lemière n’ont pas montré de réactions suggestives d’un asthme occupationnel, elle a conclu que l’asthme du travailleur n’était pas d’origine professionnelle tout en précisant que les résultats des tests devaient être interprétés avec prudence.

[57]           La prudence recommandée par la docteure Lemière vise un changement dans les conditions de travail au moment où les tests en usine ont été effectués. Elle vise aussi le fait que lorsqu’un travailleur atteint d’asthme est retiré du milieu de travail depuis longtemps, il est possible que ce soit plus difficile de reproduire l’apparition des symptômes. À l’occasion, les tests peuvent ne pas être concluants.

[58]           Lorsqu’il a émis son avis, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke a tenu compte de la prudence recommandée par le docteur Lemière. L’origine professionnelle de l’asthme du travailleur n’étant pas démontrée, le comité a conclu à l’absence de maladie professionnelle.

[59]           L’asthme du travailleur est donc de nature personnelle. Il a pu être aggravé pendant la période d’exposition à des irritants non spécifiques en milieu de travail.

[60]           Le docteur Larivée n’est pas en mesure de dire si les modifications au système de ventilation ont influencé les résultats des tests en usine.

[61]           Contre interrogé au sujet des antécédents de rhinite allergique et rhume des foins du travailleur, le docteur Larivée reconnaît que ce dernier était probablement porteur d’un asthme latent. Cet asthme personnel s’est exprimé au travail où le travailleur a été exposé à des irritants. Ses antécédents le prédisposaient à développer de l’asthme.

[62]           L’employeur fait entendre monsieur Alain Bélisle.

[63]           Il est ingénieur de formation. À titre de chargé de projet pour l’employeur, il est responsable notamment de la ventilation et de l’équipement.

[64]           En 2001 et 2002, il travaillait trois jours par semaine à l’établissement de Scotstown.

[65]           Les activités consistent en la fabrication de meubles en bois. Les essences utilisées sont le merisier, l’érable et le frêne.

[66]           Il y a un seul quart de travail de 7 h à 17 h, du lundi au jeudi et de 7 h à 11 h le vendredi. Il peut y avoir du temps supplémentaire le soir sur la colleuse.

[67]           Le travailleur ne faisait pas de nettoyage de 16 h à 17 h. Pendant cette période, il se préparait pour son travail qu’il débutait à 17 h.

[68]           Dans l’usine, il balayait le passage. Dans la chambre à peinture, il faisait le ménage et balayait la poussière de scellant deux fois par semaine.

[69]           L’employeur lui a demandé, le 15 mars 2002, de faire le nettoyage, au moyen d’un jet d’air, du four utilisé pour sécher les meubles peints, mais il ne l’a jamais fait.

[70]           À partir de 17 h, la seule machinerie en opération est le dépoussiéreur qui sert à aspirer la poussière à la source.

[71]           À compter de 2000, le système de ventilation procurait 17,6 changements d’air à l’heure. La puissance du système est demeurée la même au cours des années subséquentes.

[72]           Monsieur Bélisle était présent lors des tests effectués en usine en juin 2004. Pendant les tests, il y avait recirculation de l’air à l’intérieur pour reproduire les mêmes conditions que celles présentes de novembre à mars. Le travailleur a accompli toutes ses tâches pendant l’exécution des tests.

[73]           En juin 2004, les équipements, les produits (bois, peinture, scellant) étaient les mêmes qu’en 2001 et 2002, sauf la colle. L’employeur a transmis à l’Hôpital du Sacré-Cœur un échantillon de la colle polyvinyle acétate utilisée en 2001 et 2002 pour les tests en laboratoire.

[74]           Concernant la poussière émise à la machine Weeke, le problème ayant fait l’objet d’une plainte à la CSST se manifestait seulement lorsqu’elle fonctionnait.

[75]           En ce qui a trait aux sableuses rotatives, les méthodes de travail ont été modifiées afin de diminuer l’émission de poussière.

[76]           Pour les deux sableuses horizontales, une seconde bouche d’aspiration a été installée. À cette fin, un conduit a été prolongé à proximité des sableuses afin de permettre une plus grande aspiration. D’autre part, l’aspiration a été diminuée au planeur et à la moulurière.

[77]           Il n’y a eu aucune modification sur la puissance du système globalement.

[78]           La salle de peinture a son système de ventilation pour évacuer les émanations de solvants à l’extérieur et admettre de l’air frais. Ce système est distinct du système général. En juin 2004, il était identique à celui existant en 2001 et 2002.

[79]           Il n’y a aucun cas d’asthme dans les usines de l’employeur comptant deux cents travailleurs. Les mêmes produits sont utilisés dans tous les établissements.

[80]           En contre-interrogatoire, monsieur Bélisle indique que les copeaux de bois que le travailleur devait dégager à la bouilloire, proviennent des bois utilisés dans l’usine.

[81]           À la machine Weeke, il y a aussi du débitage de panneaux de particule, c’est-à-dire des résidus de bois collé provenant du fournisseur Tafisa.

[82]           Le docteur André Mathieu, médecin généraliste, témoigne pour l’employeur.

[83]           Il partage l’avis du Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke selon lequel l’asthme du travailleur est de nature personnelle.

[84]           Il rappelle que le travailleur était porteur d’un asthme latent, non symptomatique avant novembre 2001.

[85]           Dans l’exercice de son travail chez l’employeur, le travailleur a été exposé à des irritants non spécifiques et il a alors éprouvé des symptômes de son asthme.

[86]           L’exposition à des irritants non spécifiques n’est pas la cause de l’asthme. Elle ne fait qu’entraîner des symptômes chez tout individu porteur de cette maladie.

[87]           Il considère qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de la prudence recommandée par la docteure Lemière compte tenu que le système de ventilation globale de l’usine n’a pas été modifié après mars 2002. Il est aussi d’opinion que si le travailleur avait déjà été sensibilisé aux agents spécifiques, il aurait dû réagir rapidement lors des tests en laboratoire où il a été exposé à des concentrations élevées des agents.

[88]           Les antécédents de fièvre des foins du travailleur constituent un facteur favorable au développement de son asthme personnel.

[89]           Il considère donc que même s’il avait été optimal que des tests en usine soient faits de manière précoce, les tests exécutés par le docteur Lemière sont concluants.

L’AVIS DES MEMBRES

[90]           Les membres issus des associations d’employeurs et syndicales sont d’avis que la requête du travailleur doit être rejetée. Ils considèrent en effet que les tests exécutés par la docteure Lemière sont probants. Ils estiment que la preuve prépondérante tant factuelle que médicale démontre que l’asthme du travailleur n’a pas été causé par son travail chez l’employeur. Enfin, ils sont d’avis que les manifestations symptomatiques d’un asthme personnel en raison de l’exposition à des irritants non spécifiques en milieu de travail ne correspondent pas à une maladie professionnelle au sens de la loi.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[91]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’asthme dont souffre le travailleur constitue une maladie professionnelle.

[92]           Cette notion est ainsi définie à l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[93]           Le mode de preuve de la maladie professionnelle est prévu aux articles 29 et 30 de la loi se lisant ainsi :

29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[94]           En vertu de l’article 29 et de l’annexe I de la loi, un travailleur atteint d’asthme bronchique et qui effectue un travail impliquant une exposition à un agent spécifique sensibilisant est présumé atteint d’une maladie professionnelle.

[95]           Dans le présent dossier, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke a ciblé le polyvinyle acétate à titre d’agent spécifique sensibilisant auquel le travailleur a été exposé dans l’exercice de son travail pour l’employeur.

[96]           Ainsi que le signale le comité, bien que le travailleur n’ait pas travaillé directement avec ce produit, il était exposé à ses vapeurs.

[97]           À partir des fiches signalétiques concernant l’établissement de l’employeur, le docteur Lemière a identifié un second agent spécifique sensibilisant auquel le travailleur a été exposé dans son travail à savoir le formaldéhyde.

[98]           Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles considère que le travailleur bénéficie de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi.

[99]           Cette présomption peut cependant être renversée par une preuve prépondérante d’absence de relation entre l’exposition à l’agent spécifique sensibilisant et l’asthme diagnostiqué.

[100]       De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, la preuve offerte permet le renversement de la présomption.

[101]       En effet, les tests de provocation bronchique spécifique exécutés en laboratoire à la clinique d’asthme de l’Hôpital du Sacré-Cœur ont été négatifs tant pour le polyvinyle acétate que pour le formaldéhyde. Au cours de ces tests, il n’est apparu aucune fluctuation significative du VEMS lors de l’exposition à ces produits.

[102]       Malgré la prudence recommandée par la docteure Lemière dans la conclusion de son rapport, la Commission des lésions professionnelles estime probante l’opinion de ce médecin sur l’origine non professionnelle de l’asthme du travailleur.

[103]       D’une part, les six pneumologues des deux comités ont jugé les tests valables et ainsi conclu à l’absence d’asthme professionnel et ce malgré la cessation du travail depuis mars 2002. La simple possibilité d’une difficulté occasionnelle à reproduire la symptomatologie qu’a évoquée le docteur Larivée à l’audience ne convainc pas le tribunal que les tests sont non concluants.

[104]       D’autre part, le docteur Mathieu a expliqué que si le travailleur avait déjà été sensibilisé aux agents spécifiques, il aurait réagi rapidement compte tenu des concentrations élevées auxquelles il a été exposé en laboratoire.

[105]       La preuve prépondérante établit donc l’absence de relation entre l’asthme du travailleur et les deux agents spécifiques sensibilisants de prime abord suspectés comme pouvant être à son origine. La Commission des lésions professionnelles en conclut donc que la présomption de maladie professionnelle ne s’applique pas en faveur du travailleur.

[106]       Dès lors, il lui appartenait de faire la preuve, conformément à l’article 30 de la loi, que son asthme est caractéristique de son travail ou directement relié aux risques particuliers de ce dernier.

[107]       Il n’y a aucune preuve que l’asthme constitue une maladie caractéristique du travail exercé par les travailleurs des usines de fabrication de meubles en bois. En effet, aucune étude épidémiologique en ce sens n’a été déposée.

[108]       La Commission des lésions professionnelles considère que la preuve ne permet pas davantage de conclure que l’asthme du travailleur est directement relié aux risques particuliers de son travail.

[109]       Ainsi que déjà mentionné, les tests de provocation spécifique en laboratoire ont montré l’absence de relation entre l’asthme du travailleur et l’exposition à la colle polyvinyle acétate de même que le formaldéhyde.

[110]       Les tests en laboratoire ont aussi montré l’absence de relation pour les poussières des bois suivants : merisier, chêne et érable.

[111]       En outre, les tests en milieu de travail se sont également avérés négatifs.

[112]       La représentante du travailleur a allégué que les tests en milieu de travail n’étaient pas probants compte tenu que ce milieu n’était plus le même en juin 2004 à la suite de l’installation en 2003 d’un système de ventilation beaucoup plus puissant qu’auparavant.

[113]       Avec respect, la Commission des lésions professionnelles considère cette prétention non fondée. À cet égard, la Commission des lésions professionnelles retient du témoignage de monsieur Marquis que les modifications apportées à la configuration du système de ventilation n’avaient pas d’impact sur la capacité du système.

[114]       De plus, suivant le témoignage de monsieur Bélisle, la capacité du système de ventilation n’a pas été modifiée depuis 2000.

[115]       Les seuls changements apportés à la ventilation ont consisté au prolongement d’un conduit à proximité des sableuses horizontales pour permettre l’aspiration des poussières sur un deuxième côté de ce poste en diminuant par ailleurs l’aspiration au planeur et à la moulurière.

[116]       La machine Weeke et les sableuses rotatives ont fait l’objet de changements au niveau de l’ajustement dans le premier cas et de la méthode de travail dans le second.

[117]       La Commission des lésions professionnelles prend en compte le fait que la machine Weeke et les sableuses émettent de la poussière lorsqu’elles fonctionnent, ce qui n’était pas le cas après 17 h lorsque le travailleur effectuait son travail dans l’usine.

[118]       La Commission des lésions professionnelles estime donc probants les tests exécutés par la docteure Lemière en usine puisque la preuve établit de manière prépondérante que les conditions de travail tant sur le plan de l’environnement que des produits utilisés par l’employeur étaient les mêmes. Incidemment, bien que le frêne et les panneaux de particules de bois provenant de Tafisa n’aient pas fait l’objet de tests en laboratoire, ces produits étaient tout de même présents lors des tests en milieu de travail.

[119]       Les tests négatifs en milieu de travail, malgré leur exécution sur une période de 48 heures seulement, ont aussi été retenus par les membres des deux comités pour conclure que l’asthme du travailleur n’était pas d’origine professionnelle.

[120]       Les membres des comités, d’autre part, ont indiqué que l’asthme de nature personnelle du travailleur avait pu, à la limite, être aggravé temporairement en milieu de travail par des irritants non spécifiques à ce milieu. En d’autres termes, tel qu’en a témoigné le docteur Larivée, l’asthme du travailleur s’est exprimé dans son milieu de travail.

[121]       Comme l’a mentionné la Commission des lésions professionnelles à plus d’une reprise, la simple manifestation d’une condition personnelle au travail ne constitue pas une maladie professionnelle. Cet énoncé vaut également pour un asthme devenu symptomatique à la suite de l’exposition à des irritants non spécifiques en milieu de travail[2].

[122]       Le travailleur n’a donc pas souffert d’une maladie professionnelle de sorte qu’il n’a pas droit à des prestations en vertu de la loi.

[123]       En terminant, la Commission des lésions professionnelles tient à préciser qu’elle n’entend pas discuter des arguments de la représentante du travailleur sur les agissements de la CSST ou du président du Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke dans le présent dossier puisque tel n’est pas l’objet du litige.

[124]       Le malentendu au sujet des tests en usine découlant de la lettre du travailleur du 26 août 2002 a été réglé par la décision interlocutoire rendue par la Commission des lésions professionnelles dans le présent dossier. Les tests exécutés en laboratoire et en usine par la docteure Lemière répondent à l’ordonnance du tribunal.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Mark Hart, le travailleur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 29 novembre 2002 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’asthme dont est atteint le travailleur ne constitue pas une maladie professionnelle.

 

 

__________________________________

 

Me Micheline Allard

 

Commissaire

 

 

 

 

Mme Myriam Sainson

MYRIAN SAINSON

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Jean-François Pagé

HEENAN BLAIKIE

Représentant de la partie intéressée

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001.

[2]          Tanguay et Cegep Beauce-Appalaches, [1998] C.L.P. 374 ; Beaulieu Canada et Guay, C.L.P. 118220-62B-9906, 8 février 2002, N. Blanchard; Philippe et Témilac inc., C.L.P. 176519 - 01A-0201, 31 janvier 2003, J. Landry.

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