QUÉBEC RÉGIE DE L’ÉNERGIE
D-2015-201 |
P-110-2962 |
10 décembre 2015 |
|
|
|
PRÉSENT :
Simon Turmel
Régisseur
Linda MacCulloch
Demanderesse
et
Hydro-Québec
Défenderesse
Plainte déposée
en vertu de l’article
[1] Le 24 août 2015, la Régie de l’énergie (la Régie) reçoit une plainte de madame Linda MacCulloch (la Plaignante), datée du 20 août 2015, à l’encontre d’une décision rendue le 6 juillet 2015 par Hydro-Québec agissant dans ses activités de distribution d’électricité (le Distributeur).
[2] Dans cette décision, le Distributeur indique à la Plaignante que si elle ne désire pas un compteur de nouvelle génération[1] elle est admissible à l’option de retrait, c’est-à-dire qu’elle peut plutôt choisir un compteur sans émission de radiofréquences (compteur non communicant). Il précise que des frais d’installation et des frais mensuels de relève sont par ailleurs applicables à l’option de retrait.
[3] À la suite d’une correspondance de la Régie du 25 août 2015, dans laquelle cette dernière l’informe de décisions récentes qu’elle a rendues relativement à des plaintes similaires, la Plaignante confirme, le 31 août 2015, qu’elle maintient sa plainte contre le Distributeur.
[4] Le 2 septembre 2015, la Régie transmet une copie de la plainte au Distributeur. Elle lui demande de lui transmettre le dossier d’examen interne qu’il possède sur cette plainte, conformément à la Loi sur la Régie de l’énergie[2] (la Loi).
[5] Le 15 septembre 2015, le Distributeur dépose à la Régie le dossier d’examen interne de cette plainte. Il l’informe qu’il maintient la position communiquée à la Plaignante le 6 juillet 2015. De plus, compte tenu des faits au dossier, il indique qu’il n’est pas disposé à entreprendre une démarche de conciliation avec cette dernière.
[6] Le même jour, la Régie avise les parties qu’en l’absence d’une demande formelle pour la tenue d’une audience, une décision sera rendue sur étude du dossier tel que constitué. Elle demande également aux parties de lui faire parvenir tout complément de preuve et d’argumentation, s’il y a lieu, au plus tard le 6 octobre 2015.
[7] Le 16 septembre 2015, la Régie reçoit copie d’un courriel du 15 septembre 2015 adressé au Distributeur, dans lequel la Plaignante conteste le résumé des faits établi par ce dernier dans le dossier d’examen interne.
[8] Le 5 octobre 2015, la Plaignante dépose à la Régie des arguments additionnels. Le Distributeur fait de même le 6 octobre 2015. La Régie entame son délibéré à cette date.
[9] La plainte soulève la question suivante : est-ce que le Distributeur applique correctement les Conditions de service d’électricité[3] (les Conditions de service) en concluant que la seule alternative pour la Plaignante, si elle refuse l’installation d’un compteur de nouvelle génération, consiste en l’installation d’un compteur non communicant?
[10] La Plaignante est titulaire de l’abonnement pour l’électricité fournie à sa résidence située au […] à Saint-Narcisse.
[11] Le 11 novembre 2014, le Distributeur avise la Plaignante qu’il installera prochainement un compteur de nouvelle génération à sa résidence. Il l’informe de la possibilité d’opter pour un compteur non communicant, si elle ne désire pas un compteur de nouvelle génération, et que des frais d’installation et des frais mensuels de relève sont applicables à cette option.
[12] Le 11 décembre 2014, Capgemini, mandataire du Distributeur pour l’installation des compteurs de nouvelle génération, complète pour la Plaignante le formulaire d’adhésion à l’option de retrait.
[13] Le 17 décembre 2014, le Distributeur confirme à la Plaignante son adhésion à l’option de retrait.
[14] Le 29 décembre 2014, en réponse à cette dernière correspondance, la Plaignante avise le Distributeur qu’elle ne permet pas, pour le moment, l’installation d’un compteur non communicant. Elle demande le report de l’installation, puisqu’elle entend consulter un avocat afin de connaître ses droits quant au choix qui lui est proposé. Selon la conclusion à laquelle en viendra son avocat, elle indique qu’elle envisage la possibilité de s’alimenter en électricité à partir de l’énergie solaire et d’utiliser le gaz propane. Enfin, la Plaignante demande au Distributeur de laisser le compteur électromécanique en place jusqu’à la fin du déploiement des compteurs de nouvelle génération qui est prévue pour 2017. Elle optera alors pour le compteur non communicant si c’est le seul choix acceptable qui se présente à ce moment.
[15] Le 28 mars 2015, la Plaignante transmet au Distributeur un « Quatrième avis de non consentement » à l’installation d’un compteur de nouvelle génération ou d’un compteur non communicant.
[16] Le 6 juillet 2015, le Distributeur rend sa décision à l’égard de cet avis de non - consentement de la Plaignante.
[17] La plaignante refuse l’installation d’un compteur de nouvelle génération pour des raisons de santé et de sécurité. Elle a communiqué son refus au Distributeur à quatre reprises depuis 2011.
[18] La Plaignante indique que des études scientifiques indépendantes présentent les effets négatifs des radiofréquences sur la santé et recommandent l’application du principe de précaution. Elle réfère la Régie à divers documents qui traitent de la question[5].
[19] La Plaignante mentionne qu’elle ressent les effets des ondes depuis plus d’un an. Dans les différents documents joints à sa plainte, elle fait état de son état de santé et de son droit à la vie privée.
[20] Sur le plan de la sécurité, la Plaignante fait mention d’incendies, tant au Québec qu’en Californie, causés par des compteurs de nouvelle génération. Elle allègue que ces appareils ne sont pas certifiés par la Canadian Standards Association (CSA), ni par les Laboratoires des assureurs du Canada (ULC), autorités qui élaborent des normes de sécurité.
[21] À l’égard du compteur non communicant, elle est d’avis qu’il peut avoir un impact sur la santé en raison de « l’énergie sale » qu’il émet.
[22] La Plaignante souhaite donc conserver son compteur électromécanique. Elle ne croit pas l’argument du Distributeur selon lequel ces compteurs ne sont plus fabriqués. Elle invoque l’expérience de la Californie où plus de 50 000 compteurs électromécaniques auraient été installés par la Pacific Gas & Electric Company, à la suite d’une décision de la California Public Utilities Commission.
[23] Enfin, la Plaignante indique que le remplacement de son compteur, sans son consentement, aurait pour effet de porter atteinte à ses droits garantis par la Charte des droits et libertés de la personne[6].
[24] Le Distributeur allègue que l’installation d’un compteur de nouvelle génération constitue la nouvelle offre de référence.
[25] Il rappelle que, à la suite de la décision D-2012-128[7] de la Régie, il est autorisé à installer un compteur non communicant comme alternative au compteur de nouvelle génération. Il ajoute que la Régie a écarté la possibilité de maintenir en place les compteurs électromécaniques aux motifs que ces compteurs avaient, pour la plupart, dépassé leur durée de vie comptable, qu’ils n’étaient plus fabriqués et que, de ce fait, l’approvisionnement de ces compteurs et des pièces nécessaires à leur réparation n’était plus assuré.
[26] Il mentionne également que, dans sa décision D-2015-082[8], la Régie s’est dite d’avis que le refus du Distributeur de réinstaller un compteur électromécanique est conforme aux Conditions de service.
[27] Dans les circonstances, selon le Distributeur, la Plaignante n’a qu’une alternative si elle refuse l’installation d’un compteur de nouvelle génération, soit l’installation d’un compteur non communicant, en vertu de l’article 10.4 des Conditions de service. Il ajoute que les frais applicables à cette option de retrait sont fixés à l’article 12.5 des Tarifs et conditions du Distributeur[9] (les Tarifs).
[28] Par ailleurs, le Distributeur soumet que les avis de non-consentement que la Plaignante lui a fait parvenir ne lui sont pas opposables dans la mesure où elle souhaite continuer à bénéficier du service d’électricité. Il cite à cet égard la décision D-2015-077 de la Régie[10].
[29] En conséquence, le Distributeur demande à la Régie de rejeter la plainte.
[30] La Régie a une compétence exclusive pour examiner toute plainte d’un consommateur concernant l’application d’un tarif ou d’une condition de distribution d’électricité par le Distributeur, en vertu de l’article 31(1) (4o) de la Loi. Lorsqu’elle est saisie d’une plainte, la Régie applique les articles 98 et 101 de la Loi rédigés comme suit :
« 98. Lorsque la Régie examine la plainte, elle vérifie si l’application des tarifs et des conditions de […] distribution d’électricité […] a été suivie par le […] distributeur.
[…]
101. Lorsque la Régie considère la plainte fondée, elle ordonne au […] distributeur d’appliquer, dans le délai qu’elle fixe, les mesures qu’elle détermine concernant l’application des tarifs et des conditions; elle peut également en établir la date d’application ».
[31] La Régie doit respecter ce cadre juridique aux fins de l’examen de la plainte soumise par la Plaignante. Ainsi, la Régie doit s’assurer que le Distributeur a correctement appliqué les dispositions des Conditions de service relatives à l’installation des compteurs de nouvelle génération et à l’option de retrait.
[32] Le premier alinéa de l’article 10.1 des Conditions de service mentionne que « l’électricité livrée au client est mesurée au moyen de l’appareillage de mesure fourni et installé par Hydro-Québec ». Dans sa décision D-2012-128, la Régie a approuvé l’offre de référence[11] du Distributeur pour l’appareillage de mesure, à savoir l’installation de compteurs de nouvelle génération sur tout le territoire qu’il dessert[12]. Cette offre de référence est en vigueur depuis le 1er décembre 2012[13]. Le Distributeur est donc en droit de changer le compteur électromécanique de la Plaignante par un compteur de nouvelle génération.
[33] Il est toutefois possible pour un client, en vertu de l’article 10.4 des Conditions de service, de se prévaloir de l’option de retrait, c’est-à-dire de choisir un compteur sans émission de radiofréquences déterminé par le Distributeur. Le premier alinéa de cet article se lit comme suit :
« 10.4. Le client peut choisir un compteur sans émission de radiofréquences déterminé par Hydro-Québec. Ce client doit alors en faire la demande par écrit à Hydro-Québec et payer les « frais initiaux d’installation » et les « frais mensuels de relève » prévus aux tarifs d'électricité pour chaque abonnement. Cette demande peut être faite en tout temps ». [nous soulignons]
[34] Dans sa décision D-2012-128, la Régie a décidé que l’option de retrait répondait au choix personnel de ceux qui ne voudraient pas se prévaloir de l’offre de référence du Distributeur. Elle mentionnait que l’option de retrait, étant une mesure d’exception, devait s’inscrire en dehors du cadre de l’offre de référence. Enfin, elle se disait convaincue que le maintien des compteurs électromécaniques pour les clients demandant l’option de retrait n’était pas viable[14].
[35] En vertu de l’article 10.4 des Conditions de service, la seule option disponible au client comme alternative à l’installation d’un compteur de nouvelle génération est donc l’installation d’un compteur non communicant. Le client ne peut exiger le maintien en place d’un compteur électromécanique.
[36] En conséquence, la décision du Distributeur de refuser à la Plaignante qu’elle conserve son compteur électromécanique est conforme aux Conditions de service. La demande de la Plaignante à cet égard doit donc être rejetée.
[37] La Plaignante invoque son droit à la vie privée et indique qu’elle refuse l’accès au Distributeur sur sa propriété pour remplacer son compteur actuel par un compteur de nouvelle génération ou par un compteur non communicant.
[38] Or, ce refus n’est pas opposable au Distributeur, dans la mesure où la Plaignante souhaite continuer à bénéficier du service d’électricité, tel que la Régie l’indiquait récemment dans ses décisions D-2015-077, D-2015-089 et D-2015-134[15]. En effet, l’appareillage de mesure, dont le compteur, est fourni par le Distributeur et est la propriété de ce dernier[16].
[39] De plus, en vertu des articles 13.1 et 13.2 des Conditions de service, le Distributeur a un droit d’accès à ses installations. Ces articles se lisent comme suit :
« 13.1 L’accès à l’appareillage de mesure est une condition préalable à la livraison de l’électricité à un client.
Hydro-Québec et ses représentants doivent pouvoir pénétrer sur la propriété desservie dans les cas suivants :
1º pour rétablir ou interrompre le service ou la livraison de l’électricité;
2º pour procéder à l’installation, l’exploitation, l’inspection, l’entretien, la réparation, la modification ou l’enlèvement de l’équipement appartenant à Hydro-Québec;
3º pour vérifier si l’utilisation de l’électricité par le client est conforme aux dispositions contenues aux articles 8.1, 8.2, 18.8, 18.16 et 18.19;
4º pour effectuer le relevé des compteurs.
Hydro-Québec peut pénétrer sur la propriété desservie, en tout temps, lorsque la continuité du service et de la livraison de l’électricité ou la sécurité l’exigent, et entre 8 h et 21 h tous les jours, sauf les dimanches et jours fériés, pour toute autre raison.
L’autorisation préalable d’Hydro-Québec doit être obtenue avant de procéder à des travaux d’aménagement ou de modification sur la propriété desservie ou sur les installations, de nature à empêcher ou à entraver l’exercice du droit d’accès prévu au présent article.
Intervention sur les équipements d’Hydro-Québec
13.2 Le client ne peut entraver le bon fonctionnement des installations, de l’appareillage et de l’équipement d’Hydro-Québec et il lui est interdit d’en faire usage et d’y effectuer quelque manœuvre ou quelque intervention que se soit, à moins qu’il n’obtienne une autorisation expresse d’Hydro-Québec ». [nous soulignons]
[40] Comme indiqué au premier alinéa de l’article 13.1 des Conditions de service, l’accès à l’appareillage de mesurage est une condition préalable à la livraison de l’électricité. Si un client ne se conforme pas à cet article, le Distributeur serait en droit d’interrompre le service d’électricité, en vertu du premier alinéa, paragraphe 6o, et du deuxième alinéa, paragraphe 4o, de l’article 12.3 des Conditions de service, qui se lisent comme suit :
« 12.3 Sous
réserve de l’article
[…]
6o Hydro-Québec n’est pas autorisée à installer ses équipements sur la propriété desservie, dont l’appareillage de mesure et de contrôle ou les droits et installations requis pour le scellage, le mesurage et le contrôle n’ont pas été consentis à Hydro-Québec;
[…]
Hydro-Québec peut également refuser de fournir ou de livrer de l’électricité ou en interrompre le service ou la livraison dans les cas suivants :
[…]
4º les représentants d’Hydro-Québec n’ont pas les accès prévus à l’article 13.1 ». [nous soulignons]
[41] En ce qui a trait aux préoccupations exprimées par la Plaignante relativement aux risques pour la santé humaine en raison de la présence de compteurs de nouvelle génération, la Régie rappelle que, par sa décision D-2012-127[17], elle a autorisé l’installation de tels compteurs sur la base de la preuve qui lui a été soumise et à laquelle le Secrétaire de la Régie réfère dans sa lettre du 25 août 2015. Tel qu’il est également souligné dans cette lettre, la Régie ne peut, dans le cadre de l’examen d’une plainte, modifier les dispositions des Conditions de service ou des Tarifs.
[42] En définitive, puisque la Régie est d’avis que le Distributeur a correctement appliqué les Conditions de service dans le présent dossier, la Plaignante doit maintenant décider si elle exerce ou non l’option de retrait.
[43] Pour ces motifs,
La Régie de l’énergie :
REJETTE la plainte.
Simon Turmel
Régisseur
Hydro-Québec représentée par Me Simon Turmel.
[1] Également connu sous le nom de « compteur intelligent ».
[2] RLRQ, c. R-6.01.
[3] En vigueur le 3 octobre 2014.
[4] Dossier d’examen interne du Distributeur du 15 septembre 2015. Correspondance de Mme MacCulloch des 15 septembre et 5 octobre 2015.
[5] Le rayonnement électromagnétique de radiofréquences et la santé des Canadiens, Rapport du Comité permanent de la Santé de la Chambre des communes, juin 2015; Margaret E. Sears, Le point de vue médical sur l’hypersensibilité environnementale, mai 1997; EMFscientist.org, Appel International : Les scientifiques demandent une protection efficace contre les expositions à des champs électromagnétiques d’ondes non-ionisantes, 11 mai 2015; Directive de l’Association médicale autrichienne pour le diagnostic et le traitement des problèmes de santé et des maladies liés aux champs électromagnétiques (syndrome CEM), Vienne, 3 mars 2012; Lettre de l’American Academy of Pediatrics à la Federal Communications Commission et la U.S. Food and Drug Administration, 29 août 2015; Smart Meter Emissions and the Antenna Effect (Updated), EMFactsConsultancy, June 10, 2014; Textes du magazine « La Maison du 21e siècle » : Les effets nocifs des compteurs intelligents reconnus, 13 novembre 2013, Radiofréquences : le professeur Paul Héroux témoigne, 11 juillet 2014, La Californie savait les compteurs intelligents nocifs, 26 mars 2015, Électrosmog : le comité fédéral de la santé veut protéger les enfants et autres hypersensibles, 17 juin 2015, Les compteurs intelligents causent le cancer, selon Igor Belyaev, 5 octobre 2015.
[6] RLRQ, chapitre C-12.
[7] Dossier R-3788-2012. Le Distributeur cite les par. 41, 64, 65 et 70 de la décision D-2012-128.
[8] Dossier P-110-2699.
[9] En vigueur le 3 octobre 2014.
[10] Dossier P-110-2847.
[11] À l’article 3.1 des Conditions de service, l’offre de référence est définie comme étant la « proposition faite au requérant pour alimenter une installation électrique, dont le contenu est déterminé par Hydro-Québec ».
[12] Dossier R-3788-2012, décision D-2012-128, au par. 64.
[13] Dossier R-3788-2012, décision D-2012-145.
[14] Dossier R-3788-2012, décision D-2012-128, aux par. 65, 92 et 93.
[15] Décision D-2015-077, par. 31 à 37, dossier P-110-2847; décision D-2015-089, par. 26 à 30, dossier P-110-2839; décision D-2015-134, par. 34 à 38, dossier P-110-2922.
[16] Conditions de service, articles 10.1 (premier alinéa) et 3.1 (définition de « appareillage de mesure »).
[17] Dossier R-3770-2011.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.