Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Lapierre et Hôtel Queen 2000

2013 QCCLP 6848

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

25 novembre 2013

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

435435-08-1104

 

Dossier CSST :

136471984

 

Commissaire :

Michel Moreau, juge administratif

 

Membres :

Rodney Vallière, associations d’employeurs

 

Jean-Pierre Valiquette, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Carole Lapierre

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Hôtel Queen 2000

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Docteur Joseph Eid

 

            Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 8 avril 2011, madame Carole Lapierre (le travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 18 mars 2011, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 24 janvier 2011 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 16 décembre 2010 et qu’elle n’a donc pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           Une conférence préparatoire a eu lieu le 26 avril 2012, en prévision de l’audience qui s’est tenue à Val-d’Or le 18 juin 2012 et qui s’est poursuivie le 11 septembre 2013. La travailleuse et son représentant étaient présents, de même que Hôtel Queen 2000 (l’employeur) représenté par sa procureure. Le docteur Joseph Eid était également présent à titre de partie intervenante. Le dossier est mis en délibéré le 11 septembre 2013.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           La travailleuse demande au tribunal de reconnaitre qu’elle a subi une maladie professionnelle le 16 décembre 2010, dont le diagnostic est un syndrome du canal carpien bilatéral.

LES FAITS

[5]           L’employeur exploite un établissement hôtelier comprenant un bar salon. L’endroit est aménagé avec des tables, des chaises, une piste de dance ainsi qu’un grand comptoir formant un angle, où s’assoient les clients pour boire leurs consommations.

[6]           La travailleuse y occupe, depuis l’automne 2006, un poste de barmaid sur le quart de soirée, soit de 18 h à 3 h du matin. Son horaire comprend alternativement 27 et 36 heures de travail par semaine, selon qu’elle travaille les dimanches, mercredis et jeudis ou les lundis, mardis, vendredis et samedis. Il lui arrive également de faire du remplacement.

[7]           Les soirées en début de semaine sont moins achalandées et ne requièrent que la présence d’une barmaid. À compter du mercredi, une serveuse de plancher s’ajoute ainsi que le propriétaire de l’établissement, lequel vient donner un coup de main au service des consommations. Nous y reviendrons. Notons que le mercredi est une soirée d’animation karaoké fort achalandée et que des spectacles de musique sont présentés du jeudi au samedi.

[8]           Les tâches de la travailleuse consistent essentiellement à servir les consommations au comptoir et à tenir la caisse enregistreuse. Les préférences de la clientèle sont la bière et les spiritueux, sensiblement dans la même proportion. La bière est conservée au frais dans des réfrigérateurs situés derrière le comptoir.

[9]           Les grosses bouteilles occupent les tablettes du bas, alors que les petites sont rangées sur celles du haut. La travailleuse les prend dans le réfrigérateur avec la main droite, son côté dominant. La manœuvre implique une brève exposition de la main droite au froid (37° F), ainsi qu’une préhension des doigts sur le corps ou le goulot de la bouteille. La force exercée par les doigts est plus importante pour les grosses bouteilles. Dans sa description de tâches, la travailleuse écrit d’ailleurs : « J’effectue toujours le même mouvement (répétitif) et avec les grosses bouteilles la pesanteur y parait sur les poignet [sic] et les bras ».

[10]        La travailleuse ouvre les bouteilles avant de les servir. Pour cela, elle utilise le décapsuleur situé sous le comptoir et y coince le culot du bouchon et en exerçant une pression contre la bouteille. Cette manœuvre requiert un effort contre résistance des poignets (déviation cubitale). Pour gagner du temps, la travailleuse ouvre souvent deux bouteilles à la fois, une dans chaque main.

[11]        Selon les circonstances, elle dévisse aussi manuellement les bouchons. La manœuvre, simulée lors de l’audience, montre qu’elle empoigne fermement le bouchon de la main droite dans un mouvement de torsion, alors que la main gauche effectue une rotation inverse avec la bouteille.

[12]        Les bouteilles vides sont rangées dans la caisse placée sous le comptoir. Une fois la caisse remplie, la travailleuse la transporte à deux mains par les ouvertures latérales aménagées dans les parois. Elle les empile dans un espace de rangement situé au fond du salon.

[13]        Les spiritueux sont servis en fixant un compteur de débit sur le goulot. Ce dispositif permet de verser la juste quantité d’alcool (½ ou 1 once). La travailleuse retourne la bouteille dans un mouvement de pronation de la main droite. Elle répète cette manœuvre avec un autre type d’alcool s’il s’agit de préparer un cocktail. Le tribunal observe des postures de préhension pleine main sur la bouteille ainsi que des mouvements de rotation du poignet droit.

[14]        Les verres sales sont rangés dans un panier que la travailleuse place ensuite dans le lave-vaisselle. Une fois les verres propres, elle sort le panier et prend 2 ou 4 verres à la fois, qu’elle replace sur le comptoir ou sur les tablettes situées en-dessous. Cette tâche sollicite principalement les doigts et les poignets des deux mains.

[15]        Les soirées de faible achalandage, la travailleuse fait le service au comptoir et aux tables en utilisant parfois un cabaret pour les grosses commandes. Les autres soirées, elle s’occupe strictement des clients au comptoir et fournit les consommations à la serveuse de plancher. Notons que l’établissement compte des appareils de loterie vidéo et que la travailleuse paie les gains à même une caisse prévue à cette fin.

[16]        Toutes variétés confondues, la travailleuse estime servir plus de 800 consommations par semaine. Notons qu’à une certaine époque, elle préparait aussi des smoked-meat (une dizaine par semaine), mais que ce service a été abandonné puisqu’il n’était pas rentable. Au fil du temps, la travailleuse développe des engourdissements aux mains. Nous y reviendrons.

[17]        Monsieur Jacques Piché, propriétaire de l’établissement, témoigne à l’audience. Il produit des relevés de caisse (pièce EF-3) couvrant la période du 6 au 13 janvier 2011, qui indique le nombre de consommations vendues ainsi que les recettes réalisées à chaque journée. Il affirme que cette période est représentative d’une semaine de vente normale et que le chiffre d’affaires, avoisinant 8 000 $ par semaine, varie assez peu tout au long de l’année. Pour une semaine donnée, il ramène le nombre de consommations vendues à 620 et non pas à plus de 800, comme le prétend la travailleuse.

[18]        Monsieur Piché confirme que les soirées du mercredi au samedi inclusivement sont les plus achalandées. Lors de ces soirées, la barmaid est accompagnée d’une serveuse de plancher, alors que lui-même s’active derrière le comptoir à compter de 21 h 30. Il fournit les commandes de bières à la serveuse de plancher via un espace appelé le « pit ». Au besoin, une employée habituée des lieux et attablée en tant que cliente vient en renfort. Monsieur Piché dit s’occuper de transporter les caisses vides dans l’arrière-boutique.

[19]        Selon ce qu’il a pu observer, la travailleuse utilise surtout le décapsuleur pour ouvrir les bouteilles de bières et se sert rarement du plateau pour servir la clientèle. Plus souvent qu’autrement, c’est lui qui sort le panier de verres du lave-vaisselle.

[20]        Après la fermeture, vers 3 h 15 du matin, la travailleuse n’a qu’à faire son inventaire et à nettoyer le comptoir. Le ménage du bar salon est effectué par un employé de nuit qui remplit également les réfrigérateurs.

[21]        Monsieur Piché reconnait avoir eu connaissance des problèmes d’engourdissement aux mains de la travailleuse. Il reconnait également que deux autres barmaids ayant travaillé pour lui et selon le même horaire que celui de la travailleuse ont éprouvé des problèmes similaires aux mains dans l’exercice de leurs fonctions. Il précise toutefois qu’aucune d’elle n’a déposé de réclamation à la CSST.

[22]        Madame Hélène Boisvert témoigne à l’audience, à la demande de la travailleuse. Elle est l’une des deux barmaids identifiées par monsieur Piché et elle a travaillé pendant 7 ans chez l’employeur. Incidemment, elle travaillait sur le quart de soirée en alternance avec la travailleuse. Ses tâches étaient les mêmes, soit servir les consommations et transporter les caisses de bières. Elle ouvrait souvent les bouteilles de bières à la main.

[23]        Selon elle, la soirée du vendredi était la plus achalandée. Le nombre de consommations vendues pouvaient atteindre jusqu’à 300 bières et 150 spiritueux. Les soirées du mercredi et du samedi étaient également occupées.

[24]        Madame Boisvert est de dominance droitière et est née en 1975. Ses symptômes douloureux aux mains apparaissent en 2007, dans l’exercice de ses fonctions, alors qu’elle est dans la jeune trentaine. En 2008, elle subit une chirurgie de décompression pour un syndrome du canal carpien bilatéral. Le docteur Joseph Eid a pratiqué cette opération.

[25]        Madame Boisvert n’a pas produit de réclamation à la CSST, car selon son entourage, son problème d’engourdissements aux mains ne serait pas couvert par la CSST. Sur la base de ces informations, elle n’a donc entrepris aucune démarche. Le docteur Eid n’a pas davantage formulé d’opinion quant à la causalité professionnelle de cette lésion.

[26]        Elle affirme ne souffrir d’aucune maladie particulière et ne prend pas de médication. Sauf pour la marche, elle ne pratique aucun sport. Madame Boisvert est retournée aux études et travaille depuis comme préposée aux bénéficiaires.

[27]        L’autre barmaid ayant aussi présenté un syndrome du canal carpien bilatéral est madame R. M. L’information médicale disponible au dossier montre qu’il s’agit d’une jeune femme de 25 ans, droitière, qui a subi un électromyogramme en 2008. Cet examen a mis en évidence un syndrome du canal carien bilatéral plus prononcé à droite. La travailleuse témoigne que madame R. M. travaillait sur le même quart de soirée qu’elle et que ses engourdissements aux mains sont aussi apparus dans l’exercice de ses fonctions.

[28]        Pour sa part, la travailleuse mentionne que ses symptômes apparaissent au cours de l’année 2009. Elle développe des engourdissements aux mains, qui s’accentuent au fil des mois. Cette condition gêne son travail et son sommeil.

[29]        La docteure Louise Charest est le médecin de famille de la travailleuse depuis une vingtaine d’années. Comme elle suspecte un syndrome du canal carpien, elle demande une évaluation en neurologie et lui prescrit un arrêt de travail d’une semaine. Un électromyogramme réalisé le 16 novembre 2010 met en évidence une neuropathie sensitive et motrice bilatérale au nerf médian, le côté droit étant plus symptomatique.

[30]        Au mois de décembre suivant, la docteure Charest prolonge l’arrêt de travail. Le diagnostic de la lésion est un syndrome du canal carpien très symptomatique. Elle ne croit pas que la travailleuse sera en mesure de retourner à son emploi de barmaid.

[31]        La docteure Charest revoit la travailleuse le 10 février 2011. Elle note que les douleurs aux mains sont toujours présentes et que : « 3 filles avec qui elle travaillait ont le même problème » (pièce T-2).

[32]        Devant l’échec du traitement conservateur, elle réfère la travailleuse en orthopédie pour évaluer l’opportunité d’une décompression chirurgicale. Elle répond au refus de la CSST par la lettre suivante :

[…]

 

Madame Lapierre travaille depuis 2006 comme « barmaid ». Elle travaille entre 27 et 36 heures par semaines et fait aussi des remplacements occasionnels en surplus. Elle doit donc utiliser constamment ses poignets de façon répétitives ce qui, à mon avis, a contribué grandement à l’apparition des tunnels carpiens. Elle ne présente pas d’autres problèmes de santé sauf un léger embonpoint et elle a eu un bilan thyroïdien qui est normal.

 

[…]

 

[notre soulignement]

 

 

[33]        Le docteur Joseph Eid, chirurgien orthopédiste, est le médecin qui avait charge de la travailleuse entre les mois d’avril 2011 et de mars 2012. Il témoigne à l’audience à la demande de cette dernière. Il justifie de 13 années d’expérience comme chirurgien orthopédiste dans un établissement hospitalier. Le tribunal a reconnu la qualité de témoin expert du docteur Eid.

[34]        Il voit la travailleuse une première fois le 28 avril 2011. La réponse positive aux signes de Phalen et de Tinel est suggestive d’un syndrome du canal carpien bilatéral. Le docteur Eid note que les symptômes sont plus prononcés du côté droit. Il reconduit l’arrêt du travail jusqu’à ce que la travailleuse soit opérée.

[35]        Le docteur Eid pratique une décompression au poignet droit le 24 mai 2011. Il explique à l’audience que l’option chirurgicale n’est envisagée qu’en cas d’échec du traitement conservateur où lorsque les douleurs sont importantes. Comme l’arrêt de travail, le port d’une attelle et les infiltrations n’ont donné aucun résultat, il a recommandé la chirurgie.

[36]        Le suivi évolutif montre qu’après un soulagement temporaire, les symptômes de la travailleuse réapparaissent sous formes d’engourdissements à la main droite. Au questionnaire, celle-ci affirme pourtant ne souffrir d’aucune maladie systémique. Incidemment, le docteur Eid avait demandé un bilan sanguin et thyroïdien qui s’était avéré sans particularité. On notait également l’absence de toute condition diabétique ou rhumatismale. Le docteur Eid a donc exclu l’hypothèse d’une maladie particulière quant à la cause des engourdissements de la travailleuse.

[37]        À l’audience, celui-ci explique que le nerf médian ainsi que les 9 tendons participant aux mouvements des doigts passent tous dans un étroit défilé appelé le canal carpien. La sollicitation indue de ces tendons peut entrainer une inflammation venant diminuer d’autant l’espace disponible dans le canal carpien. L’effet compressif occasionné par le phénomène inflammatoire sur le nerf médian est à l’origine des engourdissements aux doigts de la main. Les mouvements à risque sont ceux impliquant l’extension et la flexion de la main et des doigts ainsi que ceux de déviation et de torsion du poignet.

[38]        L’étiologie du syndrome du canal carpien peut donc s’expliquer par des facteurs biomécaniques reliés à l’activité professionnelle, dit le docteur Eid. L’âge constitue également un facteur susceptible d’entrainer un tel syndrome. Avec le temps, les tendons deviennent moins élastiques et on observe un durcissement par calcification du ligament annulaire du carpe, que l’on retrouve à la face palmaire du poignet. La prévalence du syndrome du canal carpien est de trois femmes pour un homme, souligne le docteur Eid.

[39]        Il revoit la travailleuse le 22 septembre 2011. Celle-ci ne rapporte aucune amélioration notable de sa condition douloureuse. Au fil du suivi médical, le docteur Eid témoigne avoir compris que la travailleuse exerçait un travail de barmaid et qu’elle attribuait ses engourdissements aux mains à ses tâches de travail. Ceci explique cette note qu’il a inscrite au rapport médical destiné à la CSST : « Tunnels carpien plus probablement en relation direct avec son travail. (Mvt répétés des 2 poignet en torsion » [sic] [notre soulignement].

[40]        Le docteur Eid témoigne en être arrivé à cette conclusion après avoir écarté les autres causes. Il n’exclut cependant pas l’existence d’une composante mixte provenant à la fois de la gestuelle exécutée à son travail de barmaid et du fait que la travailleuse était une femme âgée de 45 ans au moment de l’apparition de ses symptômes.

[41]        Généralement, le repos des tendons lésés suffit à régler le problème d’engourdissement. Au besoin, un traitement par infiltration ou une chirurgie de décompression peut s’avérer nécessaire pour que la situation rentre dans l’ordre. En l’instance toutefois, les opérations pratiquées sur la travailleuse n’ont apporté aucun résultat. Le docteur Eid précise que seulement 2 % des gens n’obtiennent aucune amélioration notable après avoir été opéré pour un syndrome du canal carpien. Il croit que la travailleuse fait malheureusement partie de cette exception.

[42]        Selon le docteur Eid, l’effet compressif ou irritatif découlant du phénomène inflammatoire a probablement entrainé des dommages permanents aux structures internes du nerf médian, par ischémie des fibres nerveuses. Une telle lésion nécessite des soins spécialisés en microchirurgie qui ne garantissent aucun succès. Il partage donc la recommandation portant sur l’opportunité d’une consultation en milieu universitaire suggérée par le docteur Gilles-Roger Tremblay, et dont il sera question plus loin.

[43]        Un second électromyogramme réalisé au mois de février 2012, montre toujours un déficit de conduction sensitive et motrice bilatéral au nerf médian. Le docteur Eid remplit un rapport final le 13 mars 2012 et retient un diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral. Le suivi du dossier est confiée au docteur Richard Jodoin, chirurgien plasticien.

[44]        Au mois de mai 2012, le docteur Jodoin pratique une nouvelle décompression au poignet droit. Le poignet gauche est opéré au mois de juin suivant. Ces deux chirurgies ainsi que les traitements de physiothérapie n’améliorent guère la condition de la travailleuse. Ses engourdissements sont réapparus et la réveillent la nuit. Le docteur Jodoin écrit : « Explications données à la patiente qu’il est possible qu’elle soit dans le petit pourcentage de personnes qui ne répondent pas aux chirurgies et que le dommage soit intrinsèque au nerf […] » [notre soulignement] (pièce EF-1).

[45]        Le docteur Jodoin revoit la travailleuse une dernière fois le 15 octobre 2012. Cette dernière est toujours incommodée par ses malaises aux mains. Ayant épuisé les ressources thérapeutiques disponibles en plastie, il donne congé à la travailleuse et la réfère à son médecin de famille. Le docteur Jodoin note également ceci : « Elle fait partie malheureusement du 2 % de patients qui ne répondent pas au traitement chirurgical. » [notre soulignement] (pièce EF-1).

[46]        Le 12 juillet 2013, le docteur Gilles Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste, examine la travailleuse en vue de fournir un rapport motivé portant sur la causalité professionnelle de la lésion en cause. Le tribunal note que la description de tâches apparaissant dans son rapport correspond essentiellement à celle fournie par la travailleuse à l’audience.

[47]        Le rapport du docteur Tremblay indique que les symptômes de la travailleuse se sont accentués au fil du temps : « Par la suite, les engourdissements sont devenus de plus en plus fréquents et sont apparus durant le jour aussi, surtout lorsqu’elle manipulait les bouteilles. ». Concernant la condition actuelle de la travailleuse, on peut lire ceci :

ÉTAT ACTUEL :

 

À l’heure actuelle, madame Lapierre continue de présenter des douleurs significatives à la face palmaire des deux poignets, plus marquées à droite qu’à gauche.

 

Elle a aussi un engourdissement assez profond du pouce, de l’index et du majeur, encore une fois plus marqué à droite qu’à gauche.

 

Il y a une faiblesse de préhension au niveau des deux mains qui, souvent, lui fait échapper des objets.

 

Madame Lapierre n’a jamais eu de problème avec sa thyroïde.

 

Sa fonction rénale est normale.

 

Elle n’a pas de problème d’enflure au niveau des extrémités.

Elle ne prend pas d’hormone à l’heure actuelle et vient de débuter sa ménopause par des irrégularités menstruelles mineures.

 

Elle n’utilise que des Tylenols Arthrite.

 

 

[48]        Selon le docteur Tremblay, les mouvements répétés et/ou soutenus de flexion résistée des doigts ainsi que ceux impliquant l’extension, la flexion ou la déviation prononcée du poignet constituent des facteurs de risque reconnus dans le développement du syndrome du canal carpien. Il ajoute que l’exposition au froid, le port de gants compressifs et les vibrations sont des cofacteurs de risque associés. Dans le cas de la travailleuse, il conclut à l’existence probable d’une relation causale entre son syndrome du canal carpien et son travail de barmaid : « […] nous croyons qu’il y a suffisamment de facteurs de comorbicité présents dans le travail de madame Lapierre depuis 2005 pour justifier qu’elle a développé un syndrome du tunnel carpien bilatéral ».

[49]        La recommandation formulée par le docteur Tremblay, à laquelle a référé précédemment le docteur Eid, se lit comme suit :

[…] si les symptômes deviennent trop persistants, à ce moment elle devra être référée en milieu universitaire pour avoir une exploration des nerfs médians sous microscope pour procéder à une neurolyse interfasciculaire afin de s’assurer qu’il n’y a plus aucune compression.

 

 

[50]        Il s’agit là des principaux éléments de preuve retenus par le tribunal qui doit maintenant déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[51]        Par l’entremise de son représentant, la travailleuse mentionne que la preuve médicale soumise établit une relation causale probable entre son syndrome bilatéral du canal carpien et les exigences de son travail. En effet, les deux médecins spécialistes qui l’ont examinée ainsi que son médecin de famille sont tous d’avis que ses engourdissements aux mains découlent vraisemblablement de son travail de barmaid. En outre, deux autres employées ayant exercé des fonctions similaires chez l’employeur ont aussi présenté un syndrome du canal carpien bilatéral.

[52]        La travailleuse souligne que lors du service des consommations, elle exécute toujours les mêmes mouvements des poignets et des doigts. Il en est notamment ainsi pour les postures de préhension sur les bouteilles et les mouvements de torsion des poignets exercés pour les décapsuler. Selon la preuve soumise, la répétition soutenue de ces gestes constitue un facteur de risque reconnu dans le développement du syndrome du canal carpien. N’étant porteuse d’aucune maladie personnelle pouvant autrement expliquer ses symptômes, elle aurait donc été victime d’une maladie professionnelle découlant directement des risques particuliers de son travail.

[53]        Pour sa part, la procureure de l’employeur écarte d’emblée la survenance d’un accident du travail, puisque les symptômes se sont installés graduellement sur une période de plusieurs mois. Également, la travailleuse ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi, car le syndrome du canal carpien n’est pas l’une des lésions identifiées dans cette disposition (tendinite, bursite, ténosynovite).

[54]        Elle soumet que l’opinion du docteur Eid se fonde sur un aperçu sommaire du poste de travail, et non sur une description détaillée des tâches réellement exercées par la travailleuse. La même remarque s’impose quant aux conclusions du docteur Tremblay. En effet, ce dernier considère que la travailleuse exécute un travail répétitif, alors que la preuve démontre le contraire. Selon la procureure de l’employeur, la prémisse de départ étant erronée, il n’y a pas lieu d’accorder de valeur probante à ces deux opinions.

[55]        La preuve démontre plutôt que du personnel supplémentaire s’ajoute lors des soirées de fort achalandage, diminuant d’autant la charge de travail de la travailleuse. Lors des autres soirées, celle-ci bénéficie de périodes de répit entre chaque service. De plus, la travailleuse n’a pas à effectuer les tâches lourdes consistant à vider le panier de verres, transporter les caisses de bières ou bien effectuer le remplissage des réfrigérateurs. Globalement, la travailleuse exécute une variété de tâches sans cadence de travail imposée.

[56]        En l’instance, il semble plus probable que les engourdissements aux mains de la travailleuse proviennent d’une condition personnelle typique chez les femmes d’âge comparable au sien. Elle cite un extrait de l’ouvrage intitulé Pathologie médicale de l’appareil locomoteur[2] voulant qu’on retrouve ce syndrome trois fois plus souvent chez les femmes que chez les hommes (moyenne arrondie). Ce même extrait précise également que les facteurs occupationnels associés au syndrome du canal carpiens sont notamment les mouvements forcés et répétitifs des mains ainsi que les postures contraignantes des poignets et des mains. On peut aussi lire que la répétitivité apparait comme un facteur de risque plus important que la force.

[57]        La procureure de l’employeur réfère le tribunal à la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles en matière de syndrome du canal carpien. Dans l’affaire Boivin et Nickel’s[3] impliquant une serveuse justifiant de 35 années de service dans la restauration, la Commission des lésions professionnelles avait rejetés la réclamation pour un syndrome du canal carpien droit au motif que la travailleuse effectuait peu de tâches « nécessitant des mouvements de flexion, d’extension ou encore de déviation cubitale de son poignet droit ». De fait, les tâches exécutées par la travailleuse impliquaient « plutôt une sollicitation de l’épaule et du membre supérieur droit tout entier ». La Commission des lésions professionnelles ajoutait également ceci : « Le tribunal note au surplus que le syndrome développé est bilatéral et que madame Boivin est porteuse d’une condition prédisposante importante, à savoir une surcharge pondérale […] ».

[58]        L’affaire Da Cruz et Hôtel Bonaventure Hilton[4] concerne un serveur barman comptant plusieurs années de service et ayant produit une réclamation pour un syndrome du canal carpien bilatéral. Ici encore, la Commission des lésions professionnelles avait refusé cette demande, notamment parce que les tâches accomplies ne présentaient pas « un caractère de répétitivité accompagnée de force et de postures contraignantes, retenues dans la doctrine médicale, comme constituant des facteurs de risque de développer une syndrome du canal carpien bilatéral ». On peut également lire dans cette décision qu’aucun médecin n’avait établi « de relation causale entre le diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral et le travail de barman dans le présent dossier ».

[59]        Dans l’affaire Bélisle et Restaurant Mikes[5], la Commission des lésions professionnelles rappelle que la décision à être rendue « repose sur une analyse de la preuve présentée et non sur des mouvements à risques identifiés par la jurisprudence comme étant à l’origine d’un syndrome du canal carpien ». Elle précise qu’on « ne peut s’en remettre à la jurisprudence citée, mais doit plutôt analyser chaque cas d’espèce qui lui est soumis en tenant compte de la preuve factuelle et médicale prépondérante » [notre soulignement].

[60]        Dans l’affaire Simmons Canada inc. et Niding[6], un travailleur exécutant des mouvements de flexion et d’extension des poignets ainsi que de pince digitale, reconnus comme exerçant une pression sur le nerf médian, voit sa réclamation pour un syndrome du canal carpien bilatéral refusée au motif qu’il n’a pas « exécuté suffisamment longtemps les tâches de fermeur de matelas […] ». De fait, sur une période de six mois, celui-ci n’a travaillé que le tiers de son temps à ce poste.

[61]        Dans cette même décision, la Commission des lésions professionnelles mentionne que la preuve des risques particuliers du travail « se fait par une analyse des structures anatomiques atteintes et par une identification des facteurs biomécaniques, physiques ou organisationnels sollicitant ces structures ». Elle ajoute ceci : « Le tribunal devra également tenir compte, dans son analyse, des caractéristiques personnelles du travailleur, de l’importance de l’exposition aux facteurs de risques en terme de durée, d’intensité ou de fréquence. ».

[62]        La procureure de l’employeur soumet finalement qu’aucune inférence ne peut être tirée de la situation des deux anciennes barmaids ayant présenté un syndrome du canal carpien, d’autant plus qu’aucune d’elle n’a soumis de réclamation à la CSST.

L’AVIS DES MEMBRES

[63]        Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête de la travailleuse et de déclarer que le syndrome du canal carpien dont elle est porteuse constitue une maladie professionnelle.

[64]        En l’instance, la preuve démontre que les sollicitations indues des tendons participant aux mouvements de la main et des doigts sont susceptibles d’entrainer une inflammation pouvant léser le nerf médian par effet compressif. Or, le service des consommations au poste de barmaid sollicite essentiellement les poignets, les mains et les doigts dans différents axes de travail. Il en est ainsi pour sortir et prendre les bouteilles, les ouvrir, préparer les consommations et les servir aux clients; s’ajoute à cela le rangement des verres sales et propres, le déplacement des caisses de bière et les tâches de nettoyage au comptoir. Par ailleurs, la travailleuse ne souffre d’aucune maladie contributive.

[65]        De plus, la réclamation de la travailleuse est supportée par l’opinion favorable de deux médecins spécialistes ainsi que par celle de son médecin de famille, alors que l’employeur n’a soumis aucune preuve médicale pouvant démontrer le contraire. Enfin, deux autres barmaids ayant occupé le même poste de travail ont développé des malaises similaires à ceux de la travailleuse. L’ensemble de ces éléments permet d’établir l’existence d’une relation causale probable entre le syndrome du canal carpien et le travail de barmaid.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[66]        Le diagnostic en cause, un syndrome du canal carpien bilatéral, n’est pas contesté par les parties. Aux fins de rendre une décision sur la réclamation de la travailleuse, ce diagnostic lie le tribunal.

[67]        Le litige porte sur la reconnaissance d’une maladie professionnelle. En effet, les parties n’ont soumis aucun argument voulant que les circonstances entourant l’apparition des symptômes de la travailleuse puissent constituer un accident du travail ou que le diagnostic de syndrome du canal carpien soit une blessure.

[68]        L’article 29 de la loi établit une présomption de maladie professionnelle et se lit comme suit :

29.  Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

[69]        Les maladies identifiées à l’annexe I comprennent la tendinite, la bursite et la ténosynovite. Comme le syndrome du canal carpien n’est pas une maladie visée par cette disposition, la travailleuse ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle[7].

[70]        L’article 30 de la loi prévoit que la maladie caractéristique d’un travail particulier ou découlant directement des risques particuliers de ce même travail constitue une maladie professionnelle :

30.  Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[71]        L’hypothèse d’une maladie caractéristique du travail n’a pas été débattue par les parties. En l’instance, la travailleuse a plutôt articulé ses efforts pour démontrer que l’exercice de son travail de barmaid comportait des risques particuliers compatibles avec le développement de son syndrome du canal carpien bilatéral.

[72]        Selon la preuve soumise, le syndrome du canal carpien découle d’une agression sur le nerf médian. La littérature médicale reconnait que les phénomènes compressifs provoqués par des maladies particulières, par l’effet de l’âge ainsi que par des facteurs biomécaniques, constituent autant de causes pouvant être à l’origine de ce syndrome.

[73]        La travailleuse exerce un emploi de barmaid depuis quatre ans. En moyenne, elle travaille une trentaine d’heures par semaine, sans compter les périodes de remplacement. Le nombre de consommations servies par semaine n’a pas été établi de manière précise. La travailleuse l’estime à plus de 800 par semaine, alors que l’employeur ramène ce nombre à environ 620 consommations.

[74]        Le tribunal doute que les relevés de caisse (pièce EF-3) produits par l’employeur soient représentatifs du nombre de consommations vendues par semaine. Monsieur Piché affirme que son chiffre d’affaires moyen est de 8 000 $ par semaine, alors que ses ventes totalisent un montant moindre de 5 053 $ (montant arrondi), pour la semaine comprise entre le 6 et le 12 janvier 2011 inclusivement. Cette diminution apparente du volume des ventes s’explique sans doute par le fait qu’il s’agisse de la première semaine suivant la fin de la période des Fêtes. L’estimation de la travailleuse voulant que plus de 800 consommations soient servies par semaine s’accorde donc mieux avec le chiffre d’affaires déclaré par l’employeur.

[75]        Cela dit, en considérant la présence de la serveuse de plancher et de monsieur Piché, le tribunal retient que la travailleuse sert au moins 400 consommations par semaine. Cette tâche requiert de manipuler des bouteilles de différents formats. Les structures des mains et des poignets sont donc sollicitées dans différents axes de travail et dans une combinaison de mouvements impliquant à la fois des postures de préhension, de flexion, d’extension et de torsion. Certes, la fluidité de la gestuelle montre qu’aucun de ces mouvements n’a préséance sur les autres. Dans l’ensemble toutefois, il s’agit essentiellement d’un travail manuel mettant à contribution les mains, les poignets et les doigts.

[76]        Les mouvements susceptibles d’entrainer un syndrome du canal carpien sont l’extension et la flexion de la main et des doigts, ainsi que ceux de déviation et de torsion du poignet. La jurisprudence produite par l’employeur indique que les mouvements forcés et répétitifs des mains, ainsi que les postures contraignantes des poignets et des mains constituent des facteurs de risque reconnus dans le développement de ce syndrome, alors que pour le docteur Gilles Roger Tremblay, ce sont les mouvements répétés et/ou soutenus de flexion résistée des doigts, ainsi que ceux impliquant l’extension, la flexion ou déviation prononcée du poignet. L’exécution de ces mouvements mobilise les tendons circulant en concurrence avec le nerf médian à l’intérieur du canal carpien. La répétitivité de ces mêmes mouvements provoque l’irritation et l’inflammation de ces tendons créant ainsi un effet compressif sur le nerf médian.

[77]        La majorité des tâches de travail accomplies par la travailleuse comportent des facteurs de risque reconnus dans le développement du syndrome du canal carpien. Il en est ainsi pour la préhension de la main et des doigts exercée sur les bouteilles, les mouvements de torsion des poignets pour verser les spiritueux et décapsuler les bouteilles de bières, ainsi que la manutention des caisses vides et pleines; s’ajoute à cela la manutention des verres (du lave-vaisselle aux tablettes) et l’entretien du comptoir.

[78]        Selon les trois médecins qui ont examiné la travailleuse, dont deux spécialistes, le travail de barmaid qu’exerce cette dernière est probablement responsable de ses engourdissements aux mains. Cette avenue a été retenue après l’élimination de l’hypothèse d’une maladie personnelle contributive. Rappelons que le bilan de santé réalisé au cours du suivi médical n’a pas révélé l’existence d’une telle maladie chez la travailleuse.

[79]        Dans l’affaire Brasserie Labbat ltée et Trépanier[8], la Commission des lésions professionnelles mentionne que l’établissement d’une relation causale entre les risques particuliers et un diagnostic relève en grande partie de la preuve médicale d’expertise. Sans abandonner pour autant son rôle d’adjudication en faveur des médecins, le tribunal ne voit aucune raison d’aller à l’encontre de l’opinion unanime formulée par ces derniers, surtout lorsque la preuve démontre l’exercice d’un travail comportant des facteurs de risque reconnus dans le développement de la maladie en cause et que les autres possibilités ont été écartées par des tests spécifiques. Rappelons que la preuve de la causalité professionnelle ne relève pas de la certitude scientifique, mais plutôt de la balance des probabilités.

[80]        Le tribunal ne peut également passer sous silence qu’avant la travailleuse, deux employées ayant effectué le même genre de travail, selon le même horaire et dans des conditions d’exécution tout à fait similaires (l’une d’elle, madame Boisvert, travaillait en parallèle avec la travailleuse) ont développé un syndrome bilatéral du canal carpien. Joint à l’ensemble de la preuve soumise au tribunal, cet autre élément renforce l’idée que la maladie de la travailleuse découle probablement de son travail.

[81]        Tout comme le docteur Eid l’a mentionné, le tribunal n’exclut pas la contribution d’une composante personnelle chez la travailleuse dans le développement de son syndrome du canal carpien. En effet, il ressort qu’un durcissement et une perte d’élasticité aux pourtours du canal carpien puissent se développer au fil des années et provoquer une compression sur le nerf médian. Dans l’affaire Rajotte et 2428-8524 Québec inc.[9], la Commission des lésions professionnelles mentionne que dans l’hypothèse d’une maladie multifactorielle, il faut alors rechercher si le travail a joué un « rôle significatif et déterminant dans l’évolution défavorable de la maladie ». En l’instance, la réserve exprimée par le docteur Eid ne change en rien son opinion voulant que le travail soit le principal facteur responsable de la maladie de la travailleuse. C’est aussi ce que croit le tribunal.

[82]        Il ressort également que la travailleuse fasse malheureusement partie de la mince fraction de 2 % des gens qui ne répondent pas favorablement au traitement chirurgical. Cet avis est partagé par les spécialistes Eid et Jodoin. Cependant, rien dans la preuve soumise ne permet d’inférer que cette condition particulière rendait la travailleuse plus vulnérable au développement d’un syndrome du canal carpien. Le cas échéant, il appartiendra à l’employeur de faire valoir ses droits relatifs à l’imputation des couts de la présente maladie professionnelle.

[83]        La requête de la travailleuse est accueillie.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de madame Carole Lapierre, la travailleuse;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 18 mars 2011, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse a subi une maladie professionnelle le 16 décembre 2010, dont le diagnostic est un syndrome du canal carpien bilatéral;

DÉCLARE que la travailleuse a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en regard de ce diagnostic.

 

 

__________________________________

 

Michel Moreau

 

 

 

 

Monsieur Marc Bouchard

MARC BOUCHARD, CONSULTANT

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Marie-Claude Poirier

ADP SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE (dir.), Pathologie médicale de l'appareil locomoteur, 2e éd., Saint-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 2008.

[3]           C.L.P. 362576-63-0811, 22 juillet 2009, I. Piché.

[4]           C.L.P. 292044-71-0606, 3 juillet 2008, D. Lévesque.

[5]           C.L.P. 306932-64-0612, 24 janvier 2008, M. Montplaisir.

[6]           2011 QCCLP 3986.

[7]           Green et Société canadienne des postes, [1993] C.A.L.P. 1682; Société canadienne des postes et Grégoire-Larivière, [1994] C.A.L.P. 285, révision rejetée, [1995] C.A.L.P.1120; Paquette et Terminal & câble T.C. inc., [1997] C.A.L.P. 212.

[8]           [2003] C.L.P. 1485.

[9]          [2006] C.L.P. 1388. Voir également Roy et Komatsu international (Canada) inc., [2001] C.L.P. 244; Abitibi Consolidated inc. et Marinoff, C.L.P. 189092-32-0208, 30 juillet 2004, M.-A. Jobidon.

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