Décision

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Protection de la jeunesse — 191256

2019 QCCQ 1756

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

[...]

LOCALITÉ DE

[...]

« Chambre de la jeunesse »

N° :

525-41-028237-147

 

DATE :

25 mars 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

LUCIE GODIN, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

Dans la situation de: X

Née le [...] 2008

 

Directrice de la protection de la jeunesse

Requérante

-et-

A

-et-

B

Parents mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR DEMANDE EN PROLONGATION OU RÉVISION D’ORDONNANCE (article 95 de la Loi sur la protection de la jeunesse)

 ET SUR DEMANDE EN DÉCLARATION DE LÉSION DE DROITS

(articles 2.3, 2.4, 3, 8, 11.1, 62, 91 de la Loi sur la protection de la jeunesse L.R.Q. c.P 3401; articles 1, 39, et 49 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne L.R.Q. C.c-12; articles 7 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés Loi de 1982 sur le Canada, annexe B, 1982 (R-U) ch. 11; articles 19 et 20 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant)

______________________________________________________________________

 

MISE EN GARDE : La Loi sur la protection de la jeunesse interdit la publication ou la diffusion de toute information permettant d’identifier un enfant ou ses parents. Quiconque contrevient à cette disposition est passible d’une amende (art. 11.2, 11.2.1 et 135 L.p.j.).

 

 

[1]           Le Tribunal est saisi de deux demandes.

[2]           La première fut déposée le 30 novembre 2017 par la Directrice de la protection de la jeunesse (DPJ) dans laquelle elle allègue que la situation de l’enfant exige une prolongation de l’ordonnance rendue le 13 mars 2017 dans laquelle le Tribunal ordonnait l’hébergement de l’enfant en centre de réadaptation pour une période de neuf mois, soit jusqu’au 13 décembre 2017.

[3]           Dans le cadre de l’audition de cette demande en prolongation et révision d’ordonnance, le 10 octobre 2018, le procureur de l’enfant dépose une demande en déclaration de lésion de droits.

[4]           La demande de la DPJ n’est pas contestée sur le fond.

[5]           Par contre, les parents contestent les recommandations.

[6]           L’objet de leur contestation est lié aux mesures recommandées, plus particulièrement, au suivi social. Les parents demandent la fermeture du dossier. Par contre, ils demandent à être soutenus pour que leur enfant puisse bénéficier d’un suivi en psychologie.

[7]           Les deux demandes ne peuvent pas être dissociées.

[8]           Le Tribunal analysera la preuve dans son ensemble et statuera sur chacune des demandes.

[9]           La preuve a été présentée de manière successive et conjointe pour les deux demandes.

[10]        Le 1er mars 2018, la mère et le père ont admis certains faits allégués à la demande en révision et prolongation présentée par la DPJ, en ont nié d’autres et ont exprimé leur accord avec les recommandations présentées.

[11]        Le 24 janvier 2019, suite à l’audition de la preuve, les parents ont exprimé leur position à la demande en déclaration de lésion de droits présentée par le procureur de l’enfant. Ils souhaitent le support de la Directrice afin que leur enfant puisse bénéficier des services du Centre A, mais demandent la fermeture du dossier vu le long délai qui s’est écoulé entre la première recommandation de la Directrice, en octobre 2017, et la nouvelle recommandation, le 24 janvier 2019.

[12]        La DPJ conteste le bien-fondé de la demande en déclaration de lésion de droits. Elle soumet qu’elle a agi en conformité avec les protocoles prévalant en la matière, qu’elle n’a commis aucune faute et qu’elle n’est pas responsable des délais d’attente pour qu’un enfant reçoive les suivis requis.

[13]        Saisi de deux demandes, soit la demande en prolongation ou révision de l’ordonnance rendue le 13 mars 2017 et la demande en déclaration de lésion de droits présentée par le procureur de l’enfant, le Tribunal traitera de ces deux demandes, en premier sur le bien-fondé de la demande en vertu de l’article 95 de la Loi sur la protection de la jeunesse, par la suite la demande en déclaration de lésion de droits.

DEMANDE EN PROLONGATION ET RÉVISION DE L’ORDONNANCE RENDUE LE 13 MARS 2017

Situation de l’enfant

[14]        Le Tribunal prend en compte les admissions formulées par la mère et par le père, de même que la preuve documentaire, et conclut que la demande en vertu de l’article 95 est bien fondée en faits et en droit, en conséquence, accueille la demande, déclare que la sécurité et le développement de l’enfant demeurent compromis pour les motifs allégués.

[15]        Le Tribunal retient les éléments suivants :

[16]        En conformité de l’ordonnance rendue le 31 août 2015, l’enfant est hébergée en centre de réadaptation, foyer de groupe A, jusqu’au 23 juin 2016, moment où elle réintègre son milieu familial maternel.

[17]        Alors que l’enfant est confiée à sa mère, celle-ci demande de l’aide à la DPJ. Elle se sent alors dépassée par les besoins de sa fille et préoccupée de ne pas pouvoir y répondre, et ce, vu les nombreuses difficultés de l’enfant qui ont d’ailleurs été préalablement identifiées par la DPJ, soit son trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité et son trouble de l’attachement.

[18]        La mère demande le placement de sa fille.

[19]        Le père n’est pas alors en mesure d’assumer son enfant.

[20]        La DPJ intègre alors l’enfant au foyer de groupe A, lieu où elle a déjà résidé.

[21]        L’enfant réside à cette unité jusqu’au 21 novembre 2017, alors qu’elle est confiée à son père.

[22]        Pendant son séjour [au foyer de groupe A], elle a été abusée sexuellement par une autre résidente. Nous y reviendrons dans l’évaluation de la preuve dans la demande en déclaration en lésion de droits.

[23]        La DPJ allègue que l’enfant est connue pour des difficultés d’attachement et soumet que son placement en centre de réadaptation en janvier 2017 est venu la fragiliser à nouveau. Les parents et l’enfant, par le biais de leurs procureurs, soumettent que c’est l’abus sexuel dont elle a été victime qui l’a fragilisée.

[24]        L’enfant est demeurée anxieuse et inquiète, particulièrement, lors des contacts avec ses parents.

[25]        La relation entre les parents s’est améliorée. Ils ont des relations harmonieuses et exemptes de conflit.

[26]        Le père a maintenu sa stabilité au plan organisationnel et sur le plan de sa santé mentale.

[27]        Il a accepté de participer à une évaluation de ses capacités parentales. Il collabore avec les intervenants.

[28]        La mère reconnait que sa collaboration avec l’intervenante sociale, depuis le changement de personne autorisée par la Directrice, est plus difficile.

[29]        En mars 2017, la grand-mère maternelle a demandé de reprendre les contacts avec l’enfant, ce qui fut autorisé. La grand-mère voit alors l’enfant lors de ses sorties chez ses parents.

[30]        Le 25 août 2017, la DPJ retient un signalement concernant l’enfant qui est victime de gestes à caractère sexuel avec contacts de la part d’une autre personne.

[31]        Des démarches sont alors effectuées à l’IVAC afin que l’enfant puisse bénéficier de services spécialisés au Centre A.

[32]        Lors des représentations au Tribunal le 24 janvier 2019, l’enfant n’avait toujours pas commencé un suivi auprès du Centre A.

[33]        Le 21 novembre 2017, l’enfant a été confiée à son père.

DEMANDE EN DÉCLARATION DE LÉSION DE DROITS

[34]        Vu la position exprimée par la Directrice de la protection de la jeunesse, le Tribunal devra répondre à la question suivante : Les faits invoqués justifient-ils une lésion de droit malgré les arguments de non-responsabilité soumis par la DPJ?

[35]        Pour répondre à la question, le Tribunal retient les éléments suivants :

1.    Contexte de protection :

[36]        Pour une compréhension complète de la situation de l’enfant, il convient de revoir sa situation dans son contexte de protection depuis le début de l’intervention de la DPJ, et ce, de manière chronologique.

[37]        La DPJ est impliquée dans la vie de l’enfant depuis le mois de juin 2013.

[38]        Le 12 mai 2014, le Tribunal déclare la sécurité et le développement de l’enfant compromis en vertu de l’article 38b) 2) de la Loi sur la protection de la jeunesse.

[39]        Alors que l’enfant avait été confié à sa grand-mère paternelle suite à la signature d’une entente sur mesures volontaires, le Tribunal ordonne que l’enfant soit confiée à sa mère. Il ordonne certaines autres mesures visant à corriger la situation, notamment, que l’enfant reçoive tous les soins et services de santé requis par son état, particulièrement, une aide psychologique. Le tout pour une période d’une année.

[40]        Le 9 juillet 2015, la DPJ présente une demande en urgence puisqu’elle allègue que l’enfant adopte des comportements sexualisés et inquiétants.

[41]        Le Tribunal ordonne alors son hébergement obligatoire provisoire en centre de réadaptation. Elle est alors confiée en centre de réadaptation au foyer de groupe A.

[42]        Le 31 août 2015, le Tribunal procède à l’audition au fond de la demande en révision d’ordonnance.

[43]        Dans le cadre de cette enquête, la demanderesse, Directrice de la protection de la jeunesse, dépose un rapport de fermeture, daté du 14 avril 2015, concernant un signalement dont le principal alinéa est basé sur l’article 38d) 1) (gestes à caractères sexuels de la part d’une autre personne)[1].

[44]        Dans ce rapport, l’auteure mentionne que l’enfant a dévoilé, en décembre 2014, qu’elle goutte aux parties génitales de son cousin Y, âgé de neuf ans, et que celui-ci lui fait la même chose. Elle rapporte des contacts sexuels avec sa cousine Z.

[45]        La DPJ conclut que les faits sont fondés, mais que cette situation ne place pas l’enfant en situation de compromission au sens de l’article 38d) 1).

[46]        L’auteure mentionne que les mesures actuellement appliquées dans le cadre du suivi dans la situation de compromission de l’enfant suffisent à assurer la protection de X, et ce, eu égard à la présente situation signalée.

[47]        L’intervenante sociale assignée à la situation de l’enfant précise qu’elle fera une demande à l’IVAC si cela s’avère indiqué (D-2[2]).

[48]        Le Tribunal bénéficie de l’évaluation psychologique de l’enfant qui conclut que l’enfant souffre d’un TDAH et qu’elle souffre d’un trouble de l’attachement, attachement insécure.

[49]        L’auteure du rapport recommande qu’un travail d’éducation à la sexualité soit fait auprès de l’enfant afin d’éviter que d’autres situations de comportements sexuels inappropriés ne se reproduisent.

[50]        Le Tribunal ordonne alors l’hébergement de l’enfant en centre de réadaptation jusqu’au 30 juin 2016. L’enfant est alors confiée au foyer de groupe A.

[51]        En conformité de l’ordonnance rendue le 31 août 2015, l’enfant réintègre son milieu familial maternel le 23 juin 2016.

[52]        Dès l’automne 2016, la mère verbalise aux intervenants sociaux être épuisée par l’ampleur de ses responsabilités devant les comportements de l’enfant et se sent dépassée par l’ampleur des exigences à répondre adéquatement aux besoins de l’enfant.

[53]        Dès le début de janvier 2017, la mère exprime ne plus pouvoir assumer au quotidien ses responsabilités à l’égard de l’enfant. En conséquence, elle demande son placement en centre de réadaptation.

[54]        Le 23 janvier 2017, sept mois après le retour de l’enfant auprès de sa mère, saisi d’une demande en urgence, l’honorable juge Patrice Hurtubise ordonne l’hébergement obligatoire provisoire de l’enfant en centre de réadaptation en prenant acte qu’elle sera hébergée au foyer de groupe A.

[55]        Le 13 mars 2017, saisi d’une demande en révision de l’ordonnance rendue le 31 août 2015, le Tribunal procède à l’audition au fond.

[56]        La preuve révèle alors que l’enfant était vulnérable en raison des ruptures qu’elle avait vécues et de son trouble de l’attachement. L’enfant avait alors besoin de stabilité et sa situation requérait la présence d’adultes sécurisants et encadrants pour qu’elle puisse cheminer et se développer positivement.

[57]        La DPJ soumettait que bien que le père n’était pas alors en mesure d’assumer ses responsabilités parentales au quotidien, il acceptait de collaborer avec les intervenants et de se soumettre à une évaluation de ses capacités parentales.

[58]        Le Tribunal ordonne son hébergement en centre de réadaptation pour une période de neuf mois, soit jusqu’au 13 décembre 2017.

[59]        Durant son séjour en centre de réadaptation, l’enfant est victime d’abus sexuel.

2.    Contexte dans lequel la demande en déclaration de lésion de droits est présentée :

[60]        En novembre 2017, la DPJ dépose donc une demande en révision et prolongation de l’ordonnance rendue le 13 mars 2017.

[61]        L’audition de la demande est fixée au 1er mars 2018.

[62]        Le 30 novembre 2017, dans l’attente de cette audition, la DPJ dépose une requête en vertu de l’article 76.1 de la Loi sur la protection de la jeunesse dont l’audition a lieu le 1er décembre 2017.

[63]        L’enfant, confiée à son père depuis le 21 novembre 2017, sera maintenue auprès de lui par ordonnance prononcée le 1er décembre 2017.

[64]        L’enfant est toujours confiée à son père.

[65]        En préparation de l’audition du 1er mars 2018, la DPJ transmet aux parties un consentement à jugement et un rapport en vue d’une demande de révision ou prolongation d’ordonnance sans audition[3].

[66]        Le contenu de ce rapport, plus particulièrement les deux paragraphes rapportant les faits concernant un signalement retenu par la DPJ le 25 août 2017, alerte le procureur de l’enfant.

[67]        On lit à ces paragraphes :

Le 25 août 2017, un signalement est retenu, car X est victime de gestes à caractère sexuel avec contact de la part d’une autre personne. Les parents déplorent grandement la situation, mais ils sont rassurés de savoir que X n’a plus de contact avec l’autre jeune fille, âgée de 12 ans. Toutefois, ils demeurent préoccupés et verbalisent leurs inquiétudes quant au maintien de leur fille dans son milieu de vie actuel.

Des démarches sont effectuées à l’IVAC pour que X puisse bénéficier de services spécialisés au Centre A afin d’être plus outillée sur le plan de la sexualité et ainsi diminuer le risque d’une nouvelle victimisation ou le risque qu’elle adopte des comportements sexuels inadéquats.[4]

(nos caractères gras)

[68]        Le procureur de l’enfant informe alors le procureur de la DPJ qu’elle refuse de procéder en l’absence des parties.

[69]        Lors de l’audition du 1er mars 2018, Me Doherty exprime se questionner sur la possibilité éventuelle de demander au Tribunal de déclarer que les droits de l’enfant ont été lésés.

[70]        Le Tribunal reporte l’audition pro forma pour fixer une date d’audition de longue durée pour les motifs apparaissant au procès-verbal.

[71]        Le Tribunal poursuit donc l’enquête les 16 et 25 juillet 2018.

[72]        Le 25 juillet 2018, Me Doherty annonce avoir l’intention de déposer, au nom de l’enfant, une demande en déclaration de lésion de droits.

[73]        Le 10 octobre 2018, elle dépose sa demande.

[74]        Dans sa procédure, la demanderesse demande au Tribunal de déclarer que les droits de l’enfant ont été lésés en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, de la Chartre québécoise sur les droits et libertés de la personne, de la Chartre canadienne des droits et libertés et en vertu de la Convention des Nations unies relatives aux droits de l’enfant.

[75]        En conséquence, elle demande au Tribunal d’ordonner les correctifs suivants :

1.    Que l’enfant reçoive sans délai les services spécialisés en lien avec la victimisation d’abus sexuels;

2.    Si le service n’est pas disponible au sein de l’organisme préconisé, [centre A], que l’enfant puisse bénéficier des services d’un psychologue spécialisé en la matière, au privé, et ce, aussi longtemps que jugé nécessaire par les professionnels traitants;

3.    Que les informations en lien avec les accusations criminelles portées contre l’agresseur soient transmises aux parents de l’enfant afin que ceux-ci puissent accompagner et soutenir leur enfant dans l’éventualité d’un procès;

4.    Que le Directeur de la protection de la jeunesse s’assure de l’application de règles strictes en matière d’encadrement et de surveillance aux ressources intermédiaires à qui il confie des enfants en besoin de protection en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse.

[76]        La DPJ admet l’essentiel des faits allégués à la demande, elle en nuance certains et soumet que la DPJ n’est nullement responsable de l’abus sexuel vécu par l’enfant.

[77]        Bien que la situation d’abus sexuel ne soit pas niée, la DPJ soumet que le foyer [de groupe A], suite à ces événements, s’est prêté à une enquête administrative qui a révélé que l’encadrement et la surveillance de ce foyer sont stricts et sans reproche.

[78]        La DPJ soumet que l’intervenante sociale a évalué le signalement en procédant conformément au protocole en la matière.

[79]        Le fait que l’enfant ait été amenée le 25 août 2017 au Centre A en présence des sergents-détectives sans avoir été préalablement préparée et sans que ses parents en aient été informés est aussi conforme, selon la DPJ, au protocole applicable en la matière.

[80]        La DPJ soumet aussi que l’enfant a été évaluée, que des services ont été identifiés et offerts à l’enfant, que ses parents sont ouverts à ce que l’enfant reçoive ces services, et que le fait que l’enfant, après un délai de quatorze mois, soit toujours en attente de services n’est pas attribuable à la DPJ. Cette dernière n’est pas responsable des délais d’attente dans l’obtention des services.

[81]        La mère fait une admission générale des faits allégués à la demande et exprime son accord avec les conclusions recherchées par la demanderesse.

[82]        Le père admet l’essentiel des faits allégués à la demande et en nuance certains. Il exprime son accord avec les conclusions recherchées par la demanderesse.

3.    Contexte de la lésion alléguée :

[83]        Le 19 août 2017, alors que X est hébergée en centre de réadaptation, au foyer [de groupe A], conformément à l’ordonnance rendue le 13 mars 2017, la DPJ reçoit un signalement concernant l’enfant en lien avec une situation d’abus sexuel de la part d’une autre personne.

[84]        Le signalement reçoit le code 3, ce qui, selon l’intervenante sociale, signifie que l’évaluation peut attendre, et ce dans la présente situation, puisque l’agresseur avait déjà été déplacé.

[85]        Le 24 août 2017, l’intervenante sociale retient un signalement concernant trois ou quatre jeunes filles de la même unité que celle où est hébergée X.

[86]        Le 25 août 2017, lors de l’entrevue vidéo de ces autres victimes, le nom de X est mentionné : elle serait parmi les victimes.

[87]        Le 25 août 2017, madame [intervenante 3], intervenante sociale, retient le signalement concernant X en lien avec une situation d’abus sexuel.

[88]        L’auteur des abus sur X et les autres victimes est une jeune fille résidant elle-même au foyer [de groupe A].

[89]        Elle est plus âgée que X.

[90]        Elle aurait été déplacée dans un centre correspondant à son groupe d’âge.

[91]        Précisons que le foyer [de groupe A] est une ressource de type intermédiaire désignée pour les jeunes âgés de six à onze ans, inclusivement.

[92]        La preuve n’a pas permis de déterminer la date exacte de son déplacement. Par contre, selon l’intervenante sociale, elle a été déplacée avant la réception du signalement concernant l’enfant, et ce, compte tenu de son âge.

[93]        Bien que nous sommes amenés, dans l’état de cette preuve, à conclure qu’il serait raisonnable de penser que l’auteure de l’abus a été déplacée alors qu’elle avait atteint l’âge de douze ans, nous n’en avons aucune preuve puisqu’aucun des témoins présentés par la DPJ n’est en mesure de nous donner la date du déplacement de l’enfant.

[94]        La preuve concernant les abus sexuels, l’évaluation du signalement et la décision de fermeture de ce dossier découlent de la preuve documentaire déposée sous la cote D-13[5] à l’audition tenue le 16 juillet 2018.

[95]        Ce rapport ne faisait pas partie de la preuve documentaire déposée par la DPJ en vue de l’audition de la demande orientée par la DPJ sans audition.

[96]        Il importe de souligner que si l’audition de la demande en vertu de l’article 95 avait procédé en l’absence des parties tel que requis par la DPJ, le Tribunal n’aurait jamais pu prendre connaissance de ce rapport (D-13).

[97]        Il appert du rapport de fermeture (D-13) que X a été rencontrée le 25 août 2017 au Centre A en présence des sergentes-détectives, madame Lanie Chateauneuf et madame Brigitte Dufresne, suite au déclenchement de l’entente multisectorielle (pages 1 et 2 de D-13).

[98]        L’auteure du rapport note qu’au cours de l’entrevue :

X dévoile qu’une jeune fille qui était hébergée au foyer [de groupe A] proposait des défis sexuels aux autres jeunes filles du foyer, défis qui consistait à s’embrasser sur la bouche, toucher avec les mains aux parties intimes d’une autre fille sur et sous les vêtements de même que toucher aux parties intimes avec la bouche. X nous dit candidement « elle voulait voir si on était game, si on était capable ».

La fillette mentionne que ce genre d’événements se déroulait à l’insu des éducateurs, parfois au sous-sol, parfois au salon, parfois le matin, parfois le soir. Elle ajoute qu’il y a eu plusieurs situations auxquelles elle participait avec plusieurs autres filles. Elle soutient que la jeune fille de 12 ans était celle qui initiait les jeux sexuels et proposait les défis.[6]

(nos caractères gras)

[99]        Dans son témoignage, l’intervenante sociale, madame [intervenante 3], mentionne que les abus se seraient déroulés sur une période de cinq à six mois.

[100]     Le moment où les abus débutent correspond à la date à laquelle la jeune agresseur a intégré le foyer.

[101]     Suite au départ de l’agresseur, les intervenants du foyer voient de la fébrilité dans les comportements des jeunes et des jeunes entre eux.

[102]     Les éducateurs questionnent donc les jeunes résidentes et reçoivent alors leurs verbalisations menant au signalement le 19 août 2017.

[103]     Madame [intervenante 3], intervenante sociale membre d’un groupe spécialisé dans l’évaluation de tels signalements, commence son intervention.

[104]     Le 24 août 2017, elle procède de concert avec les intervenants du Centre A et les enquêteurs du [service de police A] à une première entrevue.

[105]     Durant cette première entrevue, le nom de X est mentionné et madame [intervenante 3] conduira l’enfant au Centre A pour une entrevue.

[106]     L’intervenante mentionne avoir interpelé la responsable du foyer [de groupe A], madame [intervenante 4], en lui rappelant l’importance de ne pas permettre aux jeunes filles de communiquer entre elles afin d’éviter toute contamination, tant avant le départ pour [le centre A] qu’au retour.

[107]     [Intervenante 3], intervenante sociale, précise que dans de telles situations d’abus sexuel, le mot d’ordre est de ne plus poser de question aux jeunes afin de laisser les intervenants de l’équipe des agressions sexuelles de procéder à leur investigation.

[108]     Il appert du témoignage de madame [intervenante 3] qu’elle-même n’a pas avisé ou préparé l’enfant avant de se rendre avec elle au Centre A pour subir un interrogatoire vidéo.

[109]     Elle ne croit pas que l’enfant ait été avisée ou préparée par un autre intervenant, sauf peut-être la responsable du foyer.

[110]     La responsable du foyer de groupe témoignera du fait qu’aucun intervenant de la DPJ ne lui a demandé de préparer l’enfant à l’entrevue ni à son déplacement pour ladite entrevue.

[111]     Le 25 août 2017, le père de X appelle au foyer [de groupe A] afin d’informer les intervenants qu’il partait du travail pour aller chercher sa fille, et à ce moment, un intervenant lui aurait dit que sa fille n’était pas présente, qu’il aurait des informations plus tard. Il n’a donc pas été informé de la situation au moment de son appel.

[112]     Le père témoigne qu’il a été surpris de ne pas avoir été mis au courant de la situation.

[113]     Bien qu’il ait été informé que sa fille était accompagnée par un intervenant, il a été surpris que la mère ou lui n’aient pas été au courant de la situation et qu’ils n’aient pas pu accompagner leur fille au poste de police.

[114]     Le père précise qu’il a appris la situation en même temps, tant de la part de sa fille que de l’intervenante sociale, [intervenante 3].

[115]     Pour sa part, madame [intervenante 2], personne autorisée par la DPJ dans la situation de X, apprend, le vendredi après-midi 25 août, par le père, qu’il ne peut venir récupérer sa fille puisqu’elle n’est pas au foyer. Sa fille est en interrogatoire mené par des policiers.

[116]     Madame [intervenante 2] témoigne avoir appelé au foyer pour en connaitre davantage sur la situation concernant l’enfant. On lui a alors brièvement expliqué qu’il s’agissait d’une situation d’abus sexuel sans donner plus de détails.

[117]     Madame [intervenante 2] ne sait pas, à ce moment, si l’enfant est témoin ou victime des abus.

[118]     Selon le témoignage de l’intervenante, madame [intervenante 2], ce n’est que le 29 août 2017 qu’elle en saura davantage. Elle retourne alors un appel téléphonique laissé par [intervenante 3].

[119]     Madame [intervenante 3] témoigne qu’elle n’a pas réussi à rejoindre la mère de X le soir du 25 août puisque le numéro de téléphone qu’elle avait à son dossier n’était pas le bon.

[120]     Lors de l’appel téléphonique entre madame [intervenante 2] et madame [intervenante 3], le 29 août 2017, madame [intervenante 2] donne le nouveau numéro de téléphone de la mère de X qui sera rejointe le surlendemain.

[121]     La mère a précisé avoir informé la Directrice de son nouveau numéro de téléphone et la preuve révèle que madame [intervenante 2] avait ce numéro de téléphone dans son dossier. Par ailleurs, l’information n’était pas accessible aux autres intervenants de la DPJ.

[122]     Madame [intervenante 2] mentionne que la mère a été rejointe par monsieur [intervenant 5], intervenant à l’évaluation des signalements, et par madame [intervenante 3] le 1er septembre 2017, ce qui fut confirmé par la mère.

[123]     Par contre, la mère avait été mise au courant par le père et la grand-mère paternelle dès le vendredi soir 25 août 2017. Ils lui ont transmis le peu d’informations qu’ils avaient alors.

[124]     Dès que la mère a été informée de la situation par le père et la grand-mère, elle tente de rejoindre l’intervenante, madame [intervenante 2], le soir même, de même que les responsables du foyer de groupe afin d’avoir des explications.

[125]     Elle n’a pas rejoint madame [intervenante 2] et son interlocuteur au foyer de groupe lui a répondu que la situation était confidentielle.

[126]     Dans son témoignage concernant la situation d’abus, l’évaluation du signalement, l’intervenante sociale, madame [intervenante 2], reprend le document déposé sous la cote D-13 et explique que les événements sont survenus sur une période d’environ six mois à l’insu des éducateurs du foyer de groupe.

[127]     Le Tribunal rappelle que n’eut été du refus du procureur de l’enfant de procéder en l’absence des parties, les parents, le procureur de l’enfant, ni le Tribunal n’auraient eu connaissance de ce rapport et de l’abus dont l’enfant a été victime.

[128]     L’intervenante, madame [intervenante 2], explique que, bien que le signalement ait été retenu, le dossier a été fermé puisque l’enfant était sous une ordonnance de protection de la jeunesse et puisque les services étaient mis en place.

[129]     Mentionnons que les services ne sont toujours pas mis en place, soit dix-sept mois après que la Directrice ait indiqué dans son rapport que de toute évidence cette enfant avait besoin d’un suivi en psychologie et avait identifié le Centre A.

[130]     Dès que le père a appris les événements d’abus dont sa fille avait été victime, il a mentionné aux intervenants ses réticences à ce que sa fille demeure au foyer et il espérait récupérer sa fille le plus rapidement possible.

[131]     Concernant le fait que les parents n’ont pas été avisés de la situation ni du fait que l’enfant allait être déplacée pour une déclaration et une entrevue avec des sergents-détectives, l’intervenante sociale, madame [intervenante 3], mentionne qu’ « il est fréquent de procéder sans aviser le parent pour diverses raisons, notamment, pour éviter que les enfants subissent de la pression et pour éviter qu’il y ait de la contamination même si le parent est protégeant ».

[132]     L’intervenante sociale n’a pas déposé de règle administrative ou n’a pas justifié cette position sur quelque principe que ce soit, sauf le principe de préserver le travail d’évaluation des intervenants de l’équipe d’évaluation des abus sexuels.

[133]     Par contre, l’intervenante mentionne qu’ils ont pris l’habitude, même lorsque l’enfant est dans un milieu neutre, d’aviser le parent après l’entrevue ou une fois l’enfant rendu là-bas. Elle n’a pas précisé non plus sur quelle règle elle s’appuyait pour procéder ainsi.

[134]     Lorsque le père se rend au foyer pour venir chercher sa fille, malgré qu’on lui ait dit qu’elle n’était pas présente, l’intervenante sociale, madame [intervenante 3], témoigne du fait que le père a bien réagi à l’annonce de la situation, mais qu’il se questionnait à savoir s’il était pertinent que sa fille reçoive des services.

[135]     Le père a aussi témoigné qu’au moment où la situation lui est annoncée, il se questionnait sur la négligence des éducateurs du foyer.

[136]     La mère a affirmé catégoriquement qu’elle veut que sa fille reçoive des services en lien avec les abus sexuels qu’elle a subis.

[137]     La mère a aussi témoigné avoir été hors d’elle lorsqu’elle a appris la situation de la part de la grand-mère paternelle, d’autant plus que, vu que sa fille avait déjà subi des abus sexuels par le passé, elle tenait pour acquis qu’il devait y avoir une mention à cet effet au dossier de sa fille. En conséquence, elle précise que dans ce contexte, la surveillance aurait dû être adéquate.

[138]     La DPJ nie formellement que la surveillance n’était pas adéquate. Au contraire, le procureur de la DPJ soumet que cette surveillance était effectivement adéquate.

[139]     Concernant les délais d’attente, l’intervenante, madame [intervenante 3], explique le délai en précisant que le Centre A est un organisme vraiment spécialisé dont le délai d’attente pour obtenir les services dépasse fréquemment les six mois d’attente.

[140]     L’intervenante mentionne qu’il y a toujours possibilité de faire affaire avec un psychologue au privé, mais ce n’est pas tous les psychologues qui ont la capacité de travailler en victimisation d’agressions sexuelles.

[141]     Concernant les services d’un psychologue affilié à la clinique socio-juridique de Sainte-Justine, le critère d’admissibilité serait, selon l’intervenante sociale, que l’enfant présente des symptômes graves de choc post-traumatique. Toujours selon l’intervenante sociale, ce ne serait pas le cas de l’enfant.

[142]     Concernant l’enquête administrative dont la ressource a fait l’objet, l’intervenante, madame [intervenante 3], précise qu’avant de commencer une telle enquête, le résultat de l’évaluation du signalement doit être connu.

[143]     Dans la présente situation, les faits se sont avérés fondés pour six jeunes filles.

[144]     Madame [intervenante 3] n’est pas en mesure de préciser la date à laquelle cette enquête administrative a eu lieu, mais elle se souvient que c’était après la fermeture de sa propre évaluation, soit vers le 7 septembre 2017.

[145]     Madame [intervenante 3] a précisé le nom des personnes présentes à cette rencontre, soit elle-même, un autre intervenant ayant procédé à l’évaluation des signalements, monsieur [intervenant 5], chef des ressources intermédiaires, madame [intervenante 4], chef de service de la ressource en cause, madame [intervenante 6], intervenante qui s’occupe du foyer [de groupe A], ainsi que les travailleurs sociaux de chaque enfant.

[146]     Les parents n’ont pas été convoqués à cette rencontre.

[147]     Questionnée sur l’existence d’un protocole visant à informer les parents des conclusions d’une telle enquête, l’intervenante sociale, madame [intervenante 3], n’est pas au courant de la façon dont les parents sont mis au courant des lacunes dans la surveillance de leur enfant ni de ce qui a été fait pour que de telles situations ne se reproduisent plus. Il n’y a pas de protocole précis pour informer les parents.

[148]     Madame [intervenante 4], chef de service du foyer de groupe A, décrit cette ressource comme une ressource intermédiaire offrant des services de réadaptation accueillant des enfants de six à douze ans dans un milieu de vie normalisant.

[149]     Les éducateurs relèvent exclusivement de madame [intervenante 4].

[150]     Les règles de surveillance mentionnent qu’il doit toujours y avoir deux intervenants en présence avec une proximité visuelle et pas de jeu dans les chambres les portes fermées.

[151]     Elle précise que les éducateurs à l’embauche ont une formation collégiale ou universitaire en relation d’aide, intervention en délinquance, travail social, et ont aussi des formations qui leur sont offertes dans le cadre de leurs fonctions.

[152]     Le témoin précise que l’enquête administrative à laquelle la ressource s’est soumise a révélé que l’encadrement était très étroit et suffisant.

[153]     Selon le témoin, les événements ont pu se produire malgré le niveau élevé de surveillance à la ressource, et ce, compte tenu de la problématique de l’agresseur, laquelle, selon le témoin toujours, avait une délinquance très structurée.

[154]     Selon le témoin, les agressions ont pu se produire au sous-sol ou à l’étage, à plusieurs reprises puisque d’après elle l’agresseur, dont les agirs étaient planifiés, profitait du fait que les éducateurs en présence allaient répondre au téléphone, à la porte ou autre pour passer à l’acte.

[155]     Rappelons que les gestes d’agression décrits incluaient des baisers aux parties génitales sur ou sous les vêtements.

[156]     Elle précise que le ratio d’éducateurs pour une capacité maximale de neuf enfants est de deux intervenants en présence le jour, deux le soir et un la nuit. Au moment des événements, sept enfants étaient hébergés dans la ressource.

[157]     Le témoin explique aussi la manière de faire entre les intervenants de la DPJ et les intervenants du foyer lors de verbalisations d’abus sexuel impliquant des résidents au foyer.

[158]     Un signalement doit être fait.

[159]     Lorsque le signalement est retenu, les intervenants du foyer doivent se retirer et laisser les intervenants de la DPJ en évaluation du signalement faire leur travail.

[160]     Dans les faits, le témoin, madame [intervenante 4], a su quelques heures avant que X soit amenée au Centre A pour être interrogée et personne ne lui a demandé de préparer spécifiquement l’enfant.

[161]     Quant aux services reçus, rappelons que conformément au rapport déposé sous la cote D-13, bien que les faits aient été déclarés fondés, la DPJ conclut que cela ne place pas l’enfant en besoin de protection puisque l’auteure des agressions ne réside plus dans le foyer à qui est confiée l’enfant ayant été déplacée préalablement au signalement en raison de son âge. L’enfant devait donc avoir atteint l’âge de douze ans.

[162]     De plus, le dossier est fermé puisque les parents sont ouverts à recevoir les services d’aide identifiés et proposés par la DPJ.

[163]     Sur ce point, il est fait mention dans le rapport de fermeture déposé sous D-13 :

Il est évident que cet enfant doit recevoir des services spécialisés au niveau de la sexualité. X est une enfant plus vulnérable que d’autres enfants du même groupe d’âge, considérant son vécu familial, ses diagnostics, mais aussi sa victimisation.[7]

(nos caractères gras)

[164]     L’intervenante, madame [intervenante 3], confirme que le dossier fut fermé avant même de savoir si les services identifiés par la DPJ, offerts aux parents, auxquels l’enfant a droit, ont effectivement été mis en place.

[165]     Une demande de référence pour l’IVAC a été remplie et l’enfant est toujours sur une liste d’attente pour recevoir le suivi d’aide psychologique dispensé par le Centre A.

[166]     L’intervenante sociale, madame [intervenante 2], témoigne, le 25 juillet 2018, avoir envoyé la documentation à l’IVAC et avoir reçu une attestation d’acceptation le 8 décembre 2017.

[167]     Elle précise que vers la fin de janvier 2018, elle a reçu un appel [du centre A] pour évaluer les besoins de X. Il lui est alors précisé que l’attente était de six à huit mois.

[168]     L’intervenante, madame [intervenante 2], a témoigné qu’elle a contacté à nouveau l’organisme le 21 mars 2018 et le 22 mai 2018 pour savoir quel était le délai d’attente pour l’enfant, et l’organisme lui a précisé qu’il restait environ deux à trois mois d’attente. Elle contacte à nouveau [le centre A] le 12 juillet 2018 alors que, selon la dernière communication en mai 2018, le délai d’attente n’était que de deux mois. L’enfant est toujours en attente de ce service le 24 janvier 2019.

[169]     L’intervenante prévoyait, lors de son témoignage du 25 juillet 2018, que les services seraient disponibles en début septembre 2018.

[170]     La responsable du foyer [de groupe A], madame [intervenante 4] a pour sa part, lors de son témoignage du 25 juillet 2018, précisé que deux jeunes filles concernées par les abus, toujours résidentes du foyer de groupe, ont débuté leur thérapie [au centre A].

[171]     La preuve ne révèle pas les raisons pour lesquelles l’enfant est toujours en attente.

[172]     Dans le rapport déposé sous la cote D-13, il est fait mention que les policiers ont rencontré l’agresseur, que des accusations ont été portées et qu’elle est soumise au respect de conditions dont celle de ne plus entrer en contact avec la victime.

[173]     La preuve ne révèle aucunement où est rendue cette procédure ni si l’enfant devra être appelée à témoigner dans cette procédure. Aucun des intervenants n’a été en mesure de le révéler.

LE DROIT

La loi :

[174]     Loi sur la protection de la jeunesse :

2. La présente loi a pour objet la protection de l’enfant dont la sécurité ou le développement est ou peut être considéré comme compromis.

En outre, elle complète les dispositions du Code civil portant sur l’adoption d’un enfant domicilié au Québec ou hors du Québec.[8]

2.3. Toute intervention auprès d’un enfant et de ses parents en vertu de la présente loi doit:

a)  viser à mettre fin à la situation qui compromet la sécurité ou le développement de l’enfant et à éviter qu’elle ne se reproduise;

b)  privilégier, lorsque les circonstances sont appropriées, les moyens qui permettent à l’enfant et à ses parents de participer activement à la prise de décision et au choix des mesures qui les concernent.

Une personne, un organisme ou un établissement à qui la présente loi confie des responsabilités envers l’enfant et ses parents doit favoriser la participation de l’enfant et de ses parents ainsi que l’implication de la communauté.

Les parents doivent, dans la mesure du possible, participer activement à l’application des mesures pour mettre fin à la situation qui compromet la sécurité ou le développement de leur enfant et pour éviter qu’elle ne se reproduise.[9]

2.4. Les personnes à qui la présente loi confie des responsabilités envers l’enfant ainsi que celles appelées à prendre des décisions à son sujet en vertu de cette loi tiennent compte, lors de leurs interventions, de la nécessité:

1°  de traiter l’enfant et ses parents avec courtoisie, équité et compréhension, dans le respect de leur dignité et de leur autonomie;

2°  de s’assurer que les informations et les explications qui doivent être données à l’enfant dans le cadre de la présente loi doivent l’être en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension;

3°  de s’assurer que les parents ont compris les informations et les explications qui doivent leur être données dans le cadre de la présente loi;

4°  de permettre à l’enfant et à ses parents de faire entendre leurs points de vue, d’exprimer leurs préoccupations et d’être écoutés au moment approprié de l’intervention;

5°  de favoriser des mesures auprès de l’enfant et de ses parents en prenant en considération qu’il faut agir avec diligence pour assurer la protection de l’enfant, compte tenu que la notion de temps chez l’enfant est différente de celle des adultes, ainsi qu’en prenant en considération les facteurs suivants:

a)  la proximité de la ressource choisie;

b)  les caractéristiques des communautés culturelles;

c)  les caractéristiques des communautés autochtones, notamment la tutelle et l’adoption coutumières autochtones.[10]

3. Les décisions prises en vertu de la présente loi doivent l’être dans l’intérêt de l’enfant et dans le respect de ses droits.

Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation.[11]

5. Les personnes à qui la présente loi confie des responsabilités envers l’enfant doivent l’informer aussi complètement que possible, ainsi que ses parents, des droits que leur confère la présente loi et notamment du droit de consulter un avocat et des droits d’appel prévus à la présente loi.

Lors d’une intervention en vertu de la présente loi, un enfant ainsi que ses parents doivent obtenir une description des moyens de protection et de réadaptation ainsi que des étapes prévues pour mettre fin à cette intervention.

6. Les personnes et les tribunaux appelés à prendre des décisions au sujet d’un enfant en vertu de la présente loi doivent donner à cet enfant, à ses parents et à toute personne qui veut intervenir dans l’intérêt de l’enfant l’occasion d’être entendus.

7. Avant qu’un enfant ne soit transféré d’une famille d’accueil ou d’une installation maintenue par un établissement qui exploite un centre de réadaptation à une autre famille d’accueil ou à une installation maintenue par un autre établissement qui exploite un centre de réadaptation, les parents de l’enfant et celui-ci, s’il est en mesure de comprendre, doivent être consultés.

L’enfant doit recevoir l’information et la préparation nécessaires à son transfert.

8. L’enfant et ses parents ont le droit de recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats sur les plans à la fois scientifique, humain et social, avec continuité et de façon personnalisée, en tenant compte des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’organisation et au fonctionnement de l’établissement qui dispense ces services ainsi que des ressources humaines, matérielles et financières dont il dispose.

L’enfant a également le droit de recevoir, aux mêmes conditions, des services d’éducation adéquats d’un organisme du milieu scolaire.

De plus, l’enfant et ses parents ont le droit d’être accompagnés et assistés par une personne de leur choix lorsqu’ils désirent obtenir des informations ou lorsqu’ils rencontrent le directeur ou toute personne qu’il autorise.[12]

11.1. L’enfant, s’il est hébergé par un établissement en vertu de la présente loi, doit l’être dans un lieu approprié à ses besoins et au respect de ses droits, compte tenu des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’organisation et au fonctionnement de l’établissement ainsi que des ressources humaines, matérielles et financières dont il dispose.[13]

62. Lorsque le tribunal ordonne l’hébergement obligatoire d’un enfant, il charge le directeur de désigner un établissement, qui exploite un centre hospitalier ou un centre de réadaptation ou qui recourt à des familles d’accueil, à qui l’enfant peut être confié et de voir à ce que l’hébergement s’effectue dans des conditions adéquates.

Tout établissement qui exploite un centre de réadaptation ou un centre hospitalier, désigné par un directeur conformément aux dispositions du présent article ou du paragraphe b de l’article 46, est tenu de recevoir l’enfant visé par l’ordonnance. Celle-ci peut être exécutée par tout agent de la paix.

L’établissement qui exploite un centre de protection de l’enfance et de la jeunesse doit transmettre une copie du dossier de l’enfant au directeur général de l’établissement désigné qui exploite un centre de réadaptation.

Lorsque le tribunal ordonne l’hébergement obligatoire d’un enfant, le directeur peut autoriser des séjours d’au plus 15 jours chez le père ou la mère de l’enfant, chez une personne significative, notamment les grands-parents et les autres membres de la famille élargie, ou en famille d’accueil, en autant que le séjour s’inscrit dans le plan d’intervention et respecte l’intérêt de l’enfant.

Le directeur ou une personne qu’il autorise en vertu de l’article 32 peut, en vue de préparer le retour de l’enfant dans son milieu familial ou social, autoriser des séjours prolongés de l’enfant chez son père ou sa mère, chez une personne significative pour lui ou en famille d’accueil, dans les 60 derniers jours de l’ordonnance d’hébergement obligatoire.[14]

91. Si le tribunal en vient à la conclusion que la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis, il peut, pour la période qu’il détermine, ordonner l’exécution de l’une ou de plusieurs des mesures suivantes:

a)  que l’enfant soit maintenu dans son milieu familial ou qu’il soit confié à l’un ou à l’autre de ses parents, et que les parents fassent rapport périodiquement au directeur sur les mesures qu’ils appliquent à eux-mêmes ou à leur enfant pour mettre fin à la situation qui compromet la sécurité ou le développement de l’enfant;

b)  que l’enfant et ses parents participent activement à l’application de l’une ou l’autre des mesures qu’il ordonne;

c)  que certaines personnes qu’il désigne n’entrent pas en contact avec l’enfant;

d)  que l’enfant n’entre pas en contact avec certaines personnes qu’il désigne;

e)  que l’enfant soit confié à d’autres personnes;

f)  qu’une personne qui travaille pour un établissement ou un organisme apporte aide, conseil ou assistance à l’enfant et à sa famille;

g)  que l’enfant soit confié à un établissement qui exploite un centre hospitalier ou un centre local de services communautaires ou à un organisme afin qu’il y reçoive les soins et l’aide dont il a besoin;

h)  que l’enfant ou ses parents se présentent à intervalles réguliers chez le directeur pour lui faire part de l’évolution de la situation;

i)  que l’enfant reçoive certains soins et services de santé;

j)  que l’enfant soit confié à un établissement qui exploite un centre de réadaptation ou à une famille d’accueil, choisi par l’établissement qui exploite le centre de protection de l’enfance et de la jeunesse;

k)  que l’enfant fréquente un milieu scolaire ou un autre milieu d’apprentissage ou qu’il participe à un programme visant l’apprentissage et l’autonomie;

l)  que l’enfant fréquente un milieu de garde;

l.1)  que certains renseignements ne soient pas divulgués aux parents ou à l’un d’eux ou à toute autre personne qu’il désigne;

m)  qu’une personne s’assure que l’enfant et ses parents respectent les conditions qui leur sont imposées et fasse rapport périodiquement au directeur;

n)  que l’exercice de certains attributs de l’autorité parentale soit retiré aux parents et qu’il soit confié au directeur ou à toute autre personne que le tribunal aura désignée;

o)  qu’une période de retour progressif de l’enfant dans son milieu familial ou social soit fixée.

Le tribunal peut faire toute recommandation qu’il estime dans l’intérêt de l’enfant.

Le tribunal peut ordonner plusieurs mesures dans une même ordonnance, en autant que ces mesures ne soient pas incompatibles les unes avec les autres et qu’elles soient ordonnées dans l’intérêt de l’enfant. Il peut ainsi, dans son ordonnance, autoriser le maintien des relations personnelles de l’enfant avec ses parents, ses grands-parents ou une autre personne, selon les modalités qu’il détermine; il peut également prévoir plus d’un endroit où l’enfant serait hébergé et indiquer les périodes de temps pendant lesquelles l’enfant doit demeurer hébergé à chacun de ces endroits.

Si le tribunal en vient à la conclusion que les droits d’un enfant en difficulté ont été lésés par des personnes, des organismes ou des établissements, il peut ordonner que soit corrigée la situation.[15]

92. Lorsque le tribunal ordonne l’exécution d’une mesure à l’égard d’un enfant, il confie la situation de l’enfant au directeur qui voit alors à l’exécution de la mesure.

Tout établissement et tout organisme du milieu scolaire sont tenus de prendre tous les moyens à leur disposition pour fournir les services requis pour l’exécution des mesures ordonnées. Il en est de même des personnes et des autres organismes qui consentent à appliquer de telles mesures.[16]

93. Une décision ou une ordonnance du tribunal est exécutoire à compter du moment où elle est rendue et toute personne qui y est visée doit s’y conformer sans délai.[17]

[175]     Charte des droits et libertés de la personne :

1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.

Il possède également la personnalité juridique.[18]

39. Tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l’attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner.[19]

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.[20]

[176]     Charte canadienne des droits et libertés :

 Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.[21]

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

Note marginale : Irrecevabilité d’éléments de preuve qui risqueraient de déconsidérer l’administration de la justice

(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.[22]

[177]     Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant :

Article 19

1. Les Etats parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.

2. Ces mesures de protection doivent comprendre, selon qu'il conviendra, des procédures efficaces pour l'établissement de programmes sociaux visant à fournir l'appui nécessaire à l'enfant et à ceux à qui il est confié, ainsi que pour d'autres formes de prévention, et aux fins d'identification, de rapport, de renvoi, d'enquête, de traitement et de suivi pour les cas de mauvais traitements de l'enfant décrits ci-dessus, et comprendre également, selon qu'il conviendra, des procédures d'intervention judiciaire.

Article 20

1. Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l'Etat. < 2. Les Etats parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale.

3. Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalahde droit islamique, de l'adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d'une certaine continuité dans l'éducation de l'enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique.[23]

- La jurisprudence pertinente :

Concernant les principes directeurs à une évaluation de lésion de droits en protection de la jeunesse :

[178]     Dans Protection de la jeunesse-187666[24], le juge Jacques Nadeau réfère, sur cette question, au paragraphe 87 de son jugement, à une décision du juge André Denis de la Cour supérieure :

[87] Moreover, Mr. Justice André Denis of the Superior Court puts the Youth Protection Act in the following legislative context:

[100] La L.p.j. doit être lue à la lumière de l’ensemble des lois existantes et non comme une création autonome redéfinissant les droits et exigences de la personne.

(…)

[110] En résumé, il résulte d’une lecture empirique des lois québécoises en matière d’enfance, la chronologie suivante :

a) la Charte des droits et libertés de la personne qui énonce les droits fondamentaux;

b) le Code civil qui établit le droit commun;

c) la Loi sur les services de santé et les services sociaux, loi générale qui organise le réseau de la santé et des services sociaux et répartit les droits et obligations des bénéficiaires et des intervenants;

d) toute autre loi particulière et notamment ici, la L.p.j. qui s’applique à un enfant dont la sécurité et le développement sont compromis.

[111] La Charte, le Code civil, la Loi sur les services de santé et les services sociaux continuent à s’appliquer même quand la L.p.j. est susceptible d’être prise en compte. Ces lois sont inter-reliées et ne peuvent être lues indépendamment les unes des autres.

[112] En tout ou en partie, la Charte, le Code civil et la Loi sur les services de santé et les services sociaux sont aussi des lois d’ordre public.

(our emphasis)

[179]     Et, au paragraphe 88 de son jugement, le juge Nadeau réfère à un article de doctrine écrit par Me Sophie Papillon :

[88] In an article5 dealing with the notion of a child’s rights having been wronged («lésion de droits»), Me Sophie Papillon cites an article written by Me Claude Boies which gives a broad interpretation of the rights of a child which can be subject to such a violation:

Enfin, précisons qu’une lésion de droits semble viser non seulement les différents droits et principes prévus par la LPJ, mais également ceux qui le sont dans la Charte. C’est notamment ce qu’invoquait Me Claude Boies dans un article sur le recours en lésion de droits, centrant son argumentation sur l’article 3 de la LPJ selon lequel toute décision doit être prise dans l’intérêt de l’enfant et dans le respect de ses droits. Selon cet auteur, l’intérêt de l’enfant est indissociable des droits prévus dans la Charte et la référence aux « droits » de cet article ne peut faire autrement qu’englober les droits fondamentaux prévus dans celle-ci. Poussons l’argument plus loin : les droits pouvant faire l’objet d’une lésion pourraient également viser les droits prévus dans la Charte canadienne des droits et libertés ou dans la Convention relative aux droits de l’enfant. La même réflexion s’impose quant au Code civil du Québec ainsi qu’à toute loi qui prévoit des droits relatifs aux enfants soumis au régime de la LPJ, telle la Loi sur l’instruction publique.

(our emphasis)

1)    La preuve nécessaire pour conclure à une lésion de droits

[180]     Aux paragraphes 122 et 123 du même jugement, monsieur le juge Nadeau, concernant la preuve nécessaire pour conclure à une lésion de droits, réfère :

[122] As well intentioned as the Director of Protection and her mandataries may be, this is not a factor which prevents a «lésion de droits» from being declared by the Court:

[45] La procureure de la Directrice de la protection de la jeunesse plaide la bonne foi. Cet argument est sans valeur et cela pour deux motifs. D'une part, une faute peut être commise sans intention de nuire : une personne peut donc léser les droits d'un enfant, sans en poursuivre le dessein. Il faut en effet distinguer le comportement à l'origine de la lésion de la lésion elle-même. Il y a lésion de droits - ce qui est fautif - dès que les droits d'un enfant ne sont pas respectés, peu importe la bonne ou la mauvaise foi de l'auteur de l'atteinte.

 [123] With respect to the qualification of the Director’s obligation as being limited to one of means and not of result given that its representatives often are on the line of fire and are required to act in urgent fashion, Madame Justice Marie Pratte rebuts this argument in the following terms15:

[216] De plus, la qualification juridique de l'obligation de la Directrice ne permet pas de justifier l'atteinte aux droits de X. En effet, la détermination de l'intensité d'une obligation contractuelle, extracontractuelle ou même déontologique est utile pour établir si la personne qui s'y est engagée a, ou non, commis une faute. Ce n'est pas la question qui se pose ici. Il ne s'agit pas, en l'espèce, de décider de la faute ou de la responsabilité des personnes impliquées dans cette intervention, mais plutôt de savoir si les droits de l'enfant ont été lésés à cette occasion. L'angle d'analyse n'est donc pas le même.

Dans le premier cas, il faut analyser la conduite du débiteur par rapport à ses obligations contractuelles ou légales, ou encore par rapport aux normes de comportement qui s'appliquent à lui, alors que dans le second, il faut apprécier les actions ou les inactions en fonction des droits et de l'intérêt de l'enfant.

[217] Dès lors, ce qui importe lorsque l'on est confronté à une allégation de violation de droits, c'est d'abord d'identifier les droits concernés, et ensuite de bien examiner si, dans les faits, ils ont été respectés. La Directrice de la protection de la jeunesse ayant le devoir de respecter les droits de l'enfant au même titre que la police a le devoir de respecter les droits du détenu, l'analogie peut en effet être faite avec la problématique de la violation des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés qui prévaut en matière pénale : il y aura violation des droits si ceux-ci n'ont pas été respectés et la gravité de la conduite attentatoire de la police ne sera prise en compte qu'au stade de la détermination du remède approprié.[25]

(our emphasis)

2)    Les responsabilités légales de la DPJ

[181]     Dans Protection de la jeunesse-1710194[26], la juge Dominique Wilhelmy écrit :

[40] La Loi sur la protection de la jeunesse est une loi réparatrice qui doit recevoir une interprétation large et libérale et les ordonnances rendues par le Tribunal ont pour but de mettre fin à la situation de compromission et s’assurer que l’enfant concerné reçoive tous les services auxquels il a droit.

[41] Un des droits reconnus à l’enfant dans la Loi sur la protection de la jeunesse et la jurisprudence est celui de recevoir des services de santé adéquats et lorsque ce droit est constaté, défini et requis dans une ordonnance d’un Tribunal, la Directrice de la protection de la jeunesse a l’obligation d’en assurer l’exécution, et ce, sans délai.

[42] Le juge Mario Gervais, dans une décision rendue en 2009, indiquait que la Directrice de la protection de la jeunesse agit comme maître d’oeuvre dans l’exécution d’une ordonnance et : « constitue la pierre angulaire de la complémentarité entre l’autorité judiciaire et l’autorité sociale ».9

(…)

[55] Les obligations qui incombent à la Directrice de la protection de la jeunesse, en regard des décisions du Tribunal, découlent des articles 92 et 93 de la Loi sur la protection de la jeunesse, et dans l’impossibilité d’exécuter une décision, la loi a prévu un mécanisme de révision qui n’a pas été utilisé dans le présent dossier.

[56] Dès le mois de mars, la Directrice de la protection de la jeunesse savait qu’il lui était impossible de respecter le délai fixé par le Tribunal pour l’obtention de l’évaluation globale de X et pourtant, aucune demande n’a été soumise au Tribunal pour faire modifier la décision du 6 janvier 2017.

Conclusion

[57] Après avoir pris connaissance de façon exhaustive de la preuve, de la doctrine et de la jurisprudence, le Tribunal conclut que les droits de X, au respect de la décision prononcée par le Tribunal en janvier 2017, et aux services de santé et sociaux appropriés à sa situation dans un délai raisonnable, ont été lésés.

(soulignements et caractère gras ajoutés; références omises)

3)    Pouvoir du Tribunal en matière de lésion de droits

[182]     Dans Protection de la jeunesse-164620[27], le juge Nadeau précise :

[235] La jurisprudence a établi que le pouvoir du Tribunal en pareille matière est un pouvoir qui s’apparente à un pouvoir de surveillance et de contrôle.

[236] Il est également reconnu par la jurisprudence que le Tribunal peut intervenir en matière de lésion de droits, et ce, même en l’absence de preuve de dommages, la violation d’un droit constituant en soi un préjudice.

[237] Voici comment la juge Marie Pratte se prononce à ce sujet :

[142] Il y a donc lésion de droits au sens de la Loi sur la protection de la jeunesse lorsqu'une personne, un organisme ou un établissement porte atteinte aux droits d'un enfant en ne les respectant pas.

(…)

[145] Tout d'abord, l'atteinte à un tel droit ne doit pas être confondue avec le préjudice qui peut en découler. Il est en effet possible que les droits d'un enfant aient été lésés, mais que ce dernier n'en subisse plus de préjudice au moment où le Tribunal examine la question. Cet état de fait ne doit pas fausser l'analyse. Celle-ci ne doit tenir compte que des éléments ayant constitué l'atteinte : il faut dès lors se replacer à l'époque de la lésion alléguée et isoler les faits lésionnaires de leurs conséquences.

[146] Les droits d'un enfant peuvent donc avoir été lésés sans que preuve ne soit faite de l'existence, pour l'enfant, de séquelles tangibles. L'existence d'un préjudice actuel n'aura de conséquences que sur une éventuelle mesure correctrice.

 [238] Quant à la norme de conduite applicable aux intervenants sociaux, la juge Pratte tient les propos suivants :

[212] Il faut néanmoins préciser que personne, au sein de la Direction de la protection de la jeunesse, n'a agi de mauvaise foi. On a réagi de façon immédiate, en utilisant la façon de faire habituelle, dans un cas qui, justement, était inhabituel et qui, de ce fait, méritait une attention plus particulière.

[213] Par ailleurs, pour justifier la façon dont les intervenantes ont agi, la procureure de la Directrice de la protection de la jeunesse, s'appuyant sur un jugement du juge Denis Saulnier, soutient que la Directrice n'a qu'une obligation de moyens et que ses interventions doivent être appréciées en tenant compte du fait que ses acteurs sont sur la ligne de feu et agissent souvent dans l'urgence.

 [239] Poursuivant son analyse, celle-ci tire les constats suivants :

[216] De plus, la qualification juridique de l'obligation de la Directrice ne permet pas de justifier l'atteinte aux droits de X. En effet, la détermination de l'intensité d'une obligation contractuelle, extracontractuelle ou même déontologique est utile pour établir si la personne qui s'y est engagée a, ou non, commis une faute. Ce n'est pas la question qui se pose ici. Il ne s'agit pas, en l'espèce, de décider de la faute ou de la responsabilité des personnes impliquées dans cette intervention, mais plutôt de savoir si les droits de l'enfant ont été lésés à cette occasion. L'angle d'analyse n'est donc pas le même. Dans le premier cas, il faut analyser la conduite du débiteur par rapport à ses obligations contractuelles ou légales, ou encore par rapport aux normes de comportement qui s'appliquent à lui, alors que dans le second, il faut apprécier les actions ou les inactions en fonction des droits et de l'intérêt de l'enfant.

[217] Dès lors, ce qui importe lorsque l'on est confronté à une allégation de violation de droits, c'est d'abord d'identifier les droits concernés, et ensuite de bien examiner si, dans les faits, ils ont été respectés. La Directrice de la protection de la jeunesse ayant le devoir de respecter les droits de l'enfant au même titre que la police a le devoir de respecter les droits du détenu, l'analogie peut en effet être faite avec la problématique de la violation des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés qui prévaut en matière pénale : il y aura violation des droits si ceux-ci n'ont pas été respectés et la gravité de la conduite attentatoire de la police ne sera prise en compte qu'au stade de la détermination du remède approprié

             (caractère gras ajoutés; références omises)

4)    Les principes généraux encadrant le droit aux soins

[183]     Dans la décision 500-05-005022-916[28], le juge écrit :

[Droit aux services] L'enfant a droit de recevoir des services de santé, des services sociaux ainsi que des services d'éducation adéquats, sur les plans à la fois scientifique, humain et social, avec continuité et de façon personnalisée, compte tenu des dispositions législatives et réglementaires relatives à l'organisation et au fonctionnement de l'établissement ou de l'organisme du milieu scolaire qui dispense ces services ainsi que des ressources humaines, matérielles et financières dont il dispose.

L'obligation de fournir les services et soins appropriés est une obligation de moyens. L'évaluation de la conduite doit être celle de la personne prudente et raisonnable.

(…)

Il n'est pas normal non plus que les défendeurs n'aient pas tenu le demandeur informé des interventions qu'ils effectuaient, et ce, malgré l'obligation qu'ils avaient en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l'article 5 de la Loi sur la protection de la jeunesse.

Les défendeurs n'étaient pas sans ignorer que c'était M. Quenneville qui avait la garde de Stéphane. Il était inquiet pour son fils. (…)

Aucune explication n'a été donnée par les défendeurs sur leur mutisme. Pourtant, il semble au Tribunal que cette information était d'autant plus importante que les contacts étaient inexistants en l'absence de volonté de Stéphane qu'il y en ait. Face à une obligation légale sans équivoque, laisser le père-gardien dans l'ignorance la plus totale des interventions auprès de l'enfant constitue, pour les défendeurs, un manquement grave à leurs obligations, constituant une faute répondant à l'exigence de l'article 35 de la Loi sur la protection de la jeunesse.

(soulignements et caractère gras ajoutés; références omises)

ANALYSE

[184]     Les faits invoqués soulevant des éléments de lésion de droits sont les suivants :

[185]     Suite au prononcé de l’ordonnance du 13 mars 2017, l’enfant intègre le foyer de groupe A pour une période de neuf mois.

[186]     Depuis avril 2015, la DPJ connait les difficultés de l’enfant reliées à son vécu et à sa santé :

-       TDAH;

-       Problème d’attachement;

-       Abus sexuels antérieurs;

-       Victimisation.

[187]     Malgré sa vulnérabilité, elle n’a pas été protégée adéquatement.

[188]     L’enfant a été victime d’abus sexuels de la part d’une autre résidente.

[189]     Les abus ont été répétitifs sur une période de six mois.

[190]     Sa situation a été signalée à la DPJ qui a retenu le signalement le 25 août 2017.

[191]     Le 24 janvier 2019, au moment des représentations devant le Tribunal, le suivi de l’enfant au Centre A n’avait toujours pas débuté, et ce, malgré le fait que la DPJ a fermé le dossier de l’enfant pour l’abus sexuel compte tenu du fait, notamment, que les services étaient supposément mis en place.

[192]     L’enfant a été maintenue dans le milieu où les abus sont survenus.

[193]     Bien que l’agresseur ait été retiré, le milieu non protégeant est demeuré le même puisque les intervenants du foyer et les intervenants de la DPJ continuent de prétendre que tout a été bien fait et dans le respect de leurs normes et protocoles.

[194]     Non seulement les intervenants ont eu besoin de six mois pour se rendre compte de la problématique d’abus impliquant cinq autres jeunes filles, mais la DPJ a laissé perdurer la situation puisque les services nécessaires n’ont pas été mis en place en temps opportun.

[195]     Le père et la mère de l’enfant n’ont pas été informés adéquatement de la situation le 25 août ni même après avoir demandé des informations.

[196]     L’enfant n’a pas été préparée avant d’être amenée devant des sergents-détectives pour faire un interrogatoire vidéo le 25 août 2017.

[197]     Il ressort de la doctrine et de la jurisprudence que le Tribunal peut intervenir en matière de lésion de droits même en l’absence de séquelles puisque la seule violation d’un droit constitue en soi un préjudice.

[198]     Les intervenants soumettent que l’enfant n’a pas été orientée à l’Hôpital Sainte-Justine puisqu’elle ne satisfaisait pas à un critère préalable, soit celui de présenter des manifestations de choc post-traumatique.

[199]     Ils en concluent ainsi puisque l’enfant ne démontre pas, à leurs yeux, de telles manifestations. Or, les intervenants n’ont jamais soumis l’enfant à une telle évaluation.

[200]     La doctrine et la jurisprudence ont affirmé à plus d’une reprise que la faute n’a pas à être prouvée. L’absence de faute ne peut donc pas être invoquée pour repousser une lésion de droits.

[201]     En l’espèce, les articles suivants de la Loi sur la protection de la jeunesse n’ont pas été respectés :

Article 2.3 a)

[202]     Bien que la DPJ ait conclu que les faits étaient fondés et que l’enfant avait été victime d’abus sexuels par une jeune résidente du foyer, elle ferme malgré tout le dossier puisque l’agresseur a été déplacé et que les services ont supposément mis en place.

[203]     L’enfant est déjà connue comme une enfant vulnérable pour sa victimisation puisqu’elle a déjà subi des abus sexuels (paragraphe 163 de ce jugement).

[204]     La seule intervention de la part de la DPJ a été de déplacer l’agresseur, et ce, dû à son âge.

[205]     Puisque toute intervention auprès de l’enfant et de ses parents vise à mettre fin à la situation qui compromet la sécurité ou le développement de l’enfant et à éviter que cette situation se reproduise, force est de conclure que la DPJ n’a pas pris les moyens pour que cette situation cesse ou ne se reproduise plus.

 

Article 2.4

[206]     Tout d’abord, le premier alinéa de cet article précise la nécessité de tenir compte des éléments suivants :

1)    De traiter l’enfant et ses parents avec courtoisie, équité et compréhension dans le respect de leur dignité et de leur autonomie;

2)    De s’assurer que les informations et les explications qui doivent être données à l’enfant le soient en termes adaptés à son âge et à sa compréhension;

3)    De s’assurer que les parents aient compris les informations et les explications qui doivent leur être données dans le cadre de la présente loi;

4)    De permettre à l’enfant et à ses parents de faire entendre leur point de vue, d’exprimer leurs préoccupations et d’être écoutés au moment approprié de l’intervention;

5)    De favoriser des mesures auprès de l’enfant et de ses parents en prenant en considération qu’il faut agir avec diligence pour assurer la protection de l’enfant en tenant compte que la notion de temps chez l’enfant est différente de celle de l’adulte et en prenant en considération des facteurs de proximité des ressources.

[207]     Or, dans les faits, les parents ont exprimé leurs préoccupations : le père a partagé son questionnement sur la négligence des éducateurs du foyer et son inquiétude que sa fille demeure dans ce foyer, demandant qu’elle lui soit confiée. La mère a demandé que sa fille reçoive des services vu les abus sexuels subis. Toutefois, les intervenants n’ont aucunement tenu compte des préoccupations des parents. L’enfant est demeurée au même foyer, elle n’a pas reçu d’aide et les intervenants soumettent, malgré tout, que tout a été fait correctement.

[208]     Dix-sept mois se sont écoulés sans que l’enfant reçoive les services identifiés par la DPJ. Parallèlement, elle ferme le dossier puisque les services sont, selon ses prétentions, mis en place.

[209]     Nous reviendrons sur les délais d’obtention des services.

[210]     Il s’est écoulé trois mois entre le moment où le père a exprimé ses préoccupations et sa demande que sa fille lui soit confiée. Force est de conclure que les parents ont été entendus, mais ils n’ont pas été écoutés.

[211]     Dans les faits et selon la preuve, l’enfant et ses parents n’ont pas non plus été traités avec courtoisie, équité et compréhension, dans le respect de leur dignité et de leur autonomie.

[212]     L’enfant n’a pas été préparée à donner une déclaration en vidéo et à être questionnée par des sergents-détectives. Elle n’a pas non plus été supportée ou encadrée par ses parents.

[213]     D’autre part, non seulement les parents n’ont pas été informés en temps utile et nécessaire, mais les intervenants ont refusé de les informer quand ils l’ont demandé. Plus particulièrement, la mère n’a été contactée par un intervenant que le 1er septembre, soit près d’une semaine après le 25 août 2017.

[214]     Les intervenants ont justifié cette situation en disant ne pas avoir son numéro de téléphone, que le numéro de téléphone au dossier n’était pas bon. Or, la mère avait donné son numéro de téléphone à l’intervenante sociale déléguée de la DPJ dans la présente situation. En somme, l’argument s’est avéré faux et a été déterminé ainsi en preuve à l’audience.

[215]     Dans un tel contexte, il apparait clair que les parents n’ont pas été écoutés et qu’aucun intervenant n’a considéré leurs préoccupations.

[216]     Les intervenants n’ont pas agi avec diligence pour assurer la protection de l’enfant.

Article 3 

[217]     La preuve révèle que la DPJ connaissait les besoins spécifiques de cette enfant depuis avril 2015, entre autres sa vulnérabilité et sa fragilité, puisqu’elle avait été victime d’abus sexuels dans le passé.

[218]     Malgré tout, durant toute cette période, les parents étaient impliqués auprès de l’enfant et collaboraient avec les intervenants.

[219]     Ils n’étaient pas visés par ce nouveau signalement.

[220]     La DPJ, dans ce contexte d’abus sexuels, bien qu’elle reconnaisse la vulnérabilité de l’enfant et ses besoins spécifiques, n’a pas pris des décisions guidées par les critères et facteurs qui doivent être pris en compte dans l’intérêt de l’enfant.

Article 5

[221]     La preuve a révélé que ni l’enfant ni ses parents n’ont été informés de leurs droits dans le cadre de l’intervention en date du 25 août 2017.

[222]     Bien que les parents n’étaient aucunement visés par les abus sexuels, non seulement on ne les a pas informés de la situation d’abus que vivait leur fille, mais on a refusé de les informer lorsqu’ils l’ont demandé et on a même empêché qu’ils puissent être présents pour réconforter et supporter leur enfant.

[223]     L’intervenant a même dit à la mère que la situation était « confidentielle » afin de justifier sa position de ne pas la tenir informée. Or, les parents sont des parties dans le dossier de leur fille et cet argument de « confidentialité » n’était certainement pas approprié.

[224]     La DPJ soumet que le refus d’informer les parents dans une telle situation est justifié par l’application d’une manière de faire, d’une procédure non écrite et non prouvée à l’audience. Les intervenants expliquent qu’il est fréquent de procéder ainsi sans avertir les parents.

[225]     L’intervenante sociale a même précisé qu’ils ont pris « l’habitude » d’informer les parents seulement après l’entrevue.

[226]     Cette manière de faire soulève la question suivante : une directive, une manière de faire peuvent-elles être invoquées si elles sont contraires à la loi?

[227]     Dans L’Administration publique québécoise et le processus décisionnel, l’auteur Jean-Pierre Villagi décrit la directrice ou norme administrative dans les termes suivants :

La directive ou norme administrative est une des formes de la manifestation de l'activité administrative des autorités publiques. Au cours des dernières années, l'afflux de directives de toutes sortes émises par des organismes administratifs n'a cessé de croître. Au plan conceptuel, ces directives échappent à la hiérarchie classique de l'ordre législatif. Elles ne sont ni une loi, ni un règlement, du moins pas tout à fait un règlement. Selon l'approche généralement admise, elles ne constituent que l'une des formes de l'exercice du pouvoir discrétionnaire que peut exercer une autorité administrative. [29]

[228]     L’auteur poursuit :

La directive constitue une norme juridique hiérarchiquement inférieure à la loi et au règlement. Il est acquis que la directive ne peut aller à l'encontre de la loi ou d'un règlement (Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3). Ainsi, la loi et le règlement prévaudront toujours sur la directive (Jacobs c. Office de stabilisation des prix agricoles, [1982] 1 R.C.S. 125). En ce sens, la directive ne lie pas le tribunal. [30]

 

[229]     Il réfère ensuite à la décision Dlugosz c. Procureur général du Québec[31] et cite le juge Paul-Arthur Gendreau de la Cour d'appel qui dit ceci, relativement à la portée générale de la directive[32] :

J'ajouterai enfin que le pouvoir d'adopter des politiques ou directives est quelquefois explicite dans la loi, mais cela ne change rien à leur caractère propre; elles auront toujours pour effet de régler l'administration de celui qui l'édicte et non de "toucher aux droits ou obligations des tiers" (référence omise)

[230]     Monsieur Villaggi ajoute, un peu plus loin :

Le fait que le ministre soit libre d'adopter ces directives n'empêche pas le pouvoir judiciaire d'en contrôler la légalité.[33]

[231]     Une directive est un énoncé de politique. On ne peut donc lui attribuer la force d’une règle de droit.

[232]     Dans les faits, aucune preuve n’a été présentée relative à cette politique, directive ou manière de faire.

[233]     Il va de soi, et selon la preuve présentée, que la procédure suivie par les intervenants sociaux est une manière de faire non-écrite transmise par la pratique.

[234]     Tout règlement, toute politique, toute directive doit respecter la loi.

[235]     Une directive découle d’une loi et doit respecter la loi. La loi prime sur une directive, un protocole, une manière de faire non écrite ou une pratique établie par l’usage.

Article 6

[236]     Les parents voulaient être informés et pouvoir intervenir pour supporter leur enfant, mais les intervenants ont refusé d’agir en ce sens. Les intervenants ont fait en sorte que les parents ont été maintenus dans l’ignorance, l’inquiétude et l’incertitude quant à leur fille.

[237]     Le père a manifesté son inquiétude à ce que sa fille demeure [au foyer de groupe A]. Il a aussi manifesté son inquiétude face à la négligence des éducateurs.

[238]     Dans un premier temps, en n’informant pas les parents conformément à la loi, ces derniers ont été maintenus dans l’ignorance et l’incertitude.

[239]     Dans un deuxième temps, bien que le père ait pu exprimer ses inquiétudes, les intervenants sont demeurés sourds quant aux craintes du père puisqu’ils n’en ont pas pris compte dans leurs décisions.

[240]     Le Tribunal réitère que les parents ont été entendus, mais qu’ils n’ont pas été écoutés.

Article 7

[241]     Bien que dans la présente situation il ne s’agisse pas d’un transfert de centre d’hébergement, on parle quand même d’un droit à l’information et à la préparation nécessaire qui appartient à l’enfant. Cela n’a pas été respecté malgré le fait qu’il s’agissait d’une situation particulière qui rendait l’enfant inquiète et anxieuse.

Article 8

[242]     La jurisprudence est unanime à cet égard, et ce depuis de nombreuses années : pour que des services soient jugés adéquats, ils doivent non seulement répondre aux besoins de l’enfant, mais par ailleurs être offerts dans un délai raisonnable.

[243]     Cela n’a pas été le cas.

[244]     D’autre part, bien que la situation de vulnérabilité de l’enfant était connue et qu’elle se trouvait en centre de réadaptation pour recevoir, entre autres, certains services répondant à ses besoins, on constate maintenant que, au contraire, elle a plutôt été abusée sexuellement dans la ressource qui l’hébergeait, et ce, durant plusieurs mois (cinq à six).

[245]     Ces abus sont survenus sous les yeux des intervenants puisque ces derniers ont l’obligation, en fonction des règles de surveillance de l’établissement : qu’il y ait toujours deux intervenants en présence des enfants avec une proximité visuelle.

[246]     Par ailleurs, les jeux dans les chambres alors que la porte est fermée sont interdits.

[247]     Comme les intervenants affirment que leur surveillance était adéquate et rencontrait les règles, et que par ailleurs ils n’avaient que sept enfants à surveiller sur un maximum possible de neuf, cela revient à dire que bien que les abus aient eu lieu sous leurs yeux, ils n’ont quand même rien vu.

[248]     Clairement les intervenants n’ont pas agi dans le respect des règles qui les gouvernent ni de la LPJ.

[249]     L’intervenante, madame [intervenante 3], a même déclaré à l’audience que le fait que l’agresseur ait été déplacé avait réglé la situation et que le dossier était donc fermé. Or, la réponse aux besoins d’un enfant victime d’abus sexuels n’est pas simplement en lien avec le déplacement de l’agresseur. Ce déplacement ne fait qu’éliminer la source du problème ponctuel. Ses besoins doivent plutôt être évalués par rapport à la situation de l’enfant en tant que victime. Ainsi, les aspects physiques et psychologiques sont très importants.

[250]     La responsable du foyer de groupe a expliqué que tout avait été bien fait de sa part, que les règles de surveillance sont strictes, qu’une enquête administrative a révélé qu’aucune faille n’était identifiée. Par contre, le récit donné par l’enfant de la manière dont ont été commis les abus et en quoi ils consistaient n’a pas été remis en question.

[251]     L’explication donnée par madame [intervenante 4], chef de service du foyer de groupe A, est incompatible avec la nature des abus commis.

[252]     Le temps nécessaire pour procéder aux abus décrits exige davantage en temps que le temps requis pour un éducateur d’aller répondre au téléphone ou à la porte.

[253]     Il ne faut pas non plus perdre de vue que les abus se sont produits sur une période de cinq à six mois.

[254]     La délinquance structurée de l’agresseur alléguée par la responsable du foyer soulève bien d’autres questions, notamment :

-       Le foyer de groupe n’était certes pas une unité adéquate pour répondre aux besoins de cette jeune enfant agresseur avec une structure délinquante aussi structurée que celle décrite par la responsable du foyer de groupe;

-       Le maintien de cet enfant dans cette unité mettait en péril les autres résidentes et n’était certes pas adéquat pour répondre aux besoins tant de la jeune agresseur que des autres jeunes confiés à ce foyer ni dans le respect de leurs droits;

-       Comment une jeune fille de 11 ans a-t-elle réussi à contourner la surveillance d’adultes aussi bien formés, diplômés et décrits comme des professionnels en la matière, et ce, pendant six mois?

[255]     Les explications données par la responsable du foyer de groupe ne sont pas retenues. La conclusion est claire, les intervenants n’ont pas agi dans le respect des règles qui les gouvernent ni de la Loi sur la protection de la jeunesse.

Article 11.1

[256]     La preuve révèle que la DPJ connaissait les besoins spécifiques de cette enfant, sa vulnérabilité. La preuve révèle aussi qu’elle n’a pas reçu un suivi en conséquence et que ce lieu ([foyer de groupe A]) n’était pas approprié à ses besoins et au respect de ses droits.

[257]     Par ailleurs, la preuve révèle que la tenue de dossiers des intervenants de cette ressource apparait être inadéquate et incomplète puisqu’aucun des intervenants n’a été capable, à l’audience, de confirmer la date à laquelle l’agresseur aurait quitté la ressource (date de déplacement) ni même son âge précis à ce moment.

Article 62

[258]     L’hébergement de l’enfant ne s’est pas effectué dans des conditions adéquates. Les faits apparaissent clairs à l’effet qu’il y a eu un manque de surveillance et d’encadrement, et cela, sur une très longue période, soit de cinq à six mois.

[259]     Au lieu de rassurer l’enfant et de lui apporter un milieu stable et encadrant, cet environnement l’a fragilisée puisqu’elle y a été abusée à nouveau, et ce, sur une longue période.

Article 69

[260]     Alors que personne ne s’est rendu compte des abus sexuels qui ont eu lieu sur une période de cinq à six mois, peut-on raisonnablement croire que la DPJ a communiqué régulièrement avec l’enfant afin de s’assurer de bien connaitre ses conditions de vie et que, d’autre part, elle s’est rendue sur les lieux pour ce faire?

Article 92

[261]     L’article précise que tous les moyens à leur disposition doivent être pris pour fournir les services requis pour l’exécution des mesures ordonnées. Or, il apparait évident que tous les moyens n’ont pas été pris et que les services requis n’ont pas été offerts à l’enfant. Deux autres enfants victimes ont, pour leur part, commencé à recevoir des services dans un délai plus raisonnable, soit en juillet 2018.

[262]     La DPJ n’a pas non plus référé l’enfant à la clinique sociojuridique de l’Hôpital Sainte-Justine prétextant que l’enfant ne présentait pas le prérequis pour accéder à ce service, et ce bien que l’enfant n’a pas été évaluée sur ce point. Ce constat découle uniquement des observations des intervenants sociaux.

Article 93

[263]     La DPJ se devait d’agir sans délai à l’égard de l’enfant. Cela n’a pas été le cas.

[264]     Malgré tous les faits susmentionnés, la DPJ continue d’argumenter qu’elle n’est pas responsable des délais dans l’obtention d’un suivi au Centre A ni des critères d’admissibilité d’un enfant à un service.

 

 

[265]     POUR CES MOTIFS,

[266]     LE TRIBUNAL :

[267]     ACCUEILLE la demande en prolongation et révision de l’ordonnance prononcée le 13 mars 2017;

[268]     DÉCLARE que la situation de l’enfant exige une révision et prolongation d’ordonnance;

[269]     EN CONSÉQUENCE :

[270]     CONFIE l’enfant à son père;

[271]     ORDONNE qu’aide, conseil et assistance soient apportés à l’enfant et à sa famille;

[272]     PREND ACTE de la volonté de la mère et du père de continuer à collaborer avec la Directrice;

[273]     LE TOUT pour une période d’une année, soit jusqu’au 25 mars 2020;

[274]     Et concernant la demande en déclaration de lésion de droits,

[275]     ACCUEILLE la demande;

[276]     DÉCLARE que les droits de l’enfant ont été lésés par la DPJ en vertu :

-       des articles 2.3, 2.4, 3, 5, 6, 7, 8, 11.1, 62, 69, 92 et 93 de la Loi sur la protection de la jeunesse;

-       des articles 1, 39 et 49 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne;

-       des articles 7 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés;

-       des articles 19 et 20 de la Convention des Nations unies relatives aux droits de l’enfant;

-       et par conséquent, en vertu de l’article 91 de la Loi sur la protection de la jeunesse;

[277]     Et en vertu des pouvoirs accordés par l’article 91 de la loi, ORDONNE les mesures correctives suivantes, et ce, dans le meilleur intérêt de l’enfant et dans le but d’éviter, par des moyens concrets, qu’une situation identique se reproduise :

[278]     ORDONNE que l’enfant reçoive sans délai les services spécialisés en lien avec la victimisation d’abus sexuels;

[279]     ORDONNE au Directeur de la protection de la jeunesse du CIUSSS A de s’assurer, si le service n’est pas disponible au sein de l’organisme préconisé, soit le Centre A, de retenir les services d’un psychologue spécialisé en la matière au privé, et ce, aussi longtemps que jugé nécessaire par le professionnel traitant. Dans un tel cas, les coûts seront assumés en totalité par le DPJ;

[280]     ORDONNE au Directeur de la protection de la jeunesse du CIUSSS A d’informer adéquatement les parents de l’enfant de toute éventualité où celle-ci sera impliquée dans le processus judiciaire criminel enclenché à l’égard de l’agresseur;

[281]     ORDONNE au Directeur de la protection de la jeunesse du CIUSSS A de s’assurer de l’application de règles strictes en matière d’encadrement et de surveillance aux ressources intermédiaires à qui il confie des enfants en besoin de protection en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse;

[282]     ORDONNE au Directeur de la protection de la jeunesse du CIUSSS A de s’assurer de former les intervenants adéquatement à cet effet;

[283]     ORDONNE au Directeur de la protection de la jeunesse du CIUSSS A de rédiger un protocole en matière d’évaluation pour motif d'abus sexuels qui soit conforme à la loi;

[284]     RECOMMANDE que ce protocole soit rédigé en collaboration avec la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse;

[285]     ORDONNE que ce protocole fasse l’objet d’une formation spécifique des intervenants assignés à l’équipe spécialisée en évaluation de signalements pour motif d’abus sexuel, et ce, dans un délai maximal de six (6) mois à compter de ce jour, soit au plus tard le 25 septembre 2019;

[286]     Compte tenu du non-respect de nombreuses dispositions de la Loi sur la protection de la jeunesse, ADRESSE un blâme au Directeur de la protection de la jeunesse du CIUSSS A en lien avec sa gestion de l’ensemble de la situation;

[287]     ORDONNE la signification du présent jugement au ministre de la Santé et des Services sociaux;

[288]     ORDONNE la signification du présent jugement au Procureur général du Québec;

[289]     ORDONNE la signification du présent jugement à la Commission de protection des droits de la personne et des droits de la jeunesse;

[290]     CONFIE, pour les fins d’exécution de la présente ordonnance, la situation de l’enfant, X, à la Directrice de la protection de la jeunesse du CIUSSS A.

 

 

 

 

                                                                                SIGNÉ À VILLE A

                                                                                Ce 25e jour de mars 2019

 

                                                                                                     

 

______________________

LUCIE GODIN, J.C.Q.

 

Me Nicolas L’Archevêque-Roy

Procureur de la DPJ

 

Me Karine Doherty

Procureure de l'enfant

 

Me Karine Dallaire

Procureure de la mère

 

Date d’audience :

24 janvier 2019

 

LG/if



[1] D-2 Rapport de fermeture, rédigé par madame [intervenante 1], personne autorisée par la DPJ, daté du 14 avril 2015.

[2] D-2 Rapport de fermeture, rédigé par madame [intervenante 1], personne autorisée par la DPJ, daté du 14 avril 2015.

[3] D-11 Rapport présenté à la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, en vue d’une demande de révision ou prolongation d’ordonnance sans audition, rédigé par madame [intervenante 2], personne autorisée par la DPJ, daté du 30 octobre 2017.

[4] D-11 Rapport présenté à la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, en vue d’une demande de révision ou prolongation d’ordonnance sans audition, rédigé par madame [intervenante 2], personne autorisée par la DPJ, daté du 30 octobre 2017, p. 3.

[5] D-13 Rapport de fermeture, rédigé par madame [intervenante 3], intervenante sociale, daté du 8 septembre 2018.

[6] D-13 Rapport de fermeture, rédigé par madame [intervenante 3], intervenante sociale, daté du 8 septembre 2018, p. 2.

[7] D-13 Rapport de fermeture, rédigé par madame [intervenante 3], intervenante sociale, daté du 8 septembre 2018, p. 2.

[8] Loi sur la protection de la jeunesse, article 2.

[9] Loi sur la protection de la jeunesse, article 2.3.

[10] Loi sur la protection de la jeunesse, article 2.4.

[11] Loi sur la protection de la jeunesse, article 3.

[12] Loi sur la protection de la jeunesse, articles 5, 6, 7 et 8.

[13] Loi sur la protection de la jeunesse, article 11.1.

[14] Loi sur la protection de la jeunesse, article 62.

[15] Loi sur la protection de la jeunesse, article 91.

[16] Loi sur la protection de la jeunesse, article 92.

[17] Loi sur la protection de la jeunesse, article 93.

[18] Charte des droits et libertés de la personne, article 1.

[19] Charte des droits et libertés de la personne, article 39.

[20] Charte des droits et libertés de la personne, article 49.

[21] Charte canadienne des droits et libertés, article 7.

[22] Charte canadienne des droits et libertés, article 24.

[23] Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, articles 19 et 20.

[24] 2018 QCCQ 8260, juge Jacques A. Nadeau, 4 octobre 2018.

[25] 2018 QCCQ 8260, juge Jacques A. Nadeau, 4 octobre 2018.

[26] 2017 QCCQ 16185, juge Dominique Wilhelmy, 15 décembre 2015.

[27] 2016 QCCQ 8556, juge Jacques A. Nadeau, 5 avril 2016.

[28] 500-05-005022-916, juge Jean Normand, 30 novembre 1995.

[29] VILLAGI, Jean-Pierre, L’Administration publique québécoise et le processus décisionnel, Des pouvoirs au contrôle administratif et judiciaire, Éditions Yvon Blais, 2005, page 75.

[30] Ibid, page 84.

[31] [1987] R.J.Q. 2312 (C.A.)

[32] VILLAGI, Jean-Pierre, L’Administration publique québécoise et le processus décisionnel, Des pouvoirs au contrôle administratif et judiciaire, Éditions Yvon Blais, 2005, page 86.

[33] Ibid, page 97.

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