Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

9256-0929 Québec inc. c. Turcot

2015 QCCA 241

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-024932-147

(500-17-080326-138)

 

DATE :

Le 9 février 2015

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L'HONORABLE

MANON SAVARD, J.C.A.

 

 

9256-0929 QUÉBEC INC.

REQUÉRANTE - Mise en cause

c.

 

BRIGITTE TURCOT

MARTIN ROY

INTIMÉS - Requérants

et

 

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

            MISE EN CAUSE - Défenderesse

 

PSB BOISJOLI INC.

            MISE EN CAUSE - Mise en cause

 

MNP LTÉE

           MISE EN CAUSE - Mise en cause en reprise d’instance

 



 


 

 

JUGEMENT

 

 

[1]           La requérante sollicite la permission de faire appel du jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Danielle Grenier)[1], qui, le 21 novembre 2014, a accueilli la requête en révision judiciaire des intimés d’une décision de la Commission des relations du travail[2] et a déclaré cette dernière compétente pour entendre la demande des intimés relativement à l’application des articles 96 et 97 de la Loi sur les normes du travail[3].

Validité de la signification de la requête pour permission d’appeler

[2]           Le 22 décembre 2014, la requérante signifie sa requête pour permission d’appeler par télécopieur au procureur qui représentait les intimés en première instance et devant la Commission des relations du travail et la produit au greffe de la Cour la même journée.

[3]           À l’audience, la procureure des intimés soutient que la requête pour permission d’appeler est irrecevable au motif que cette demande n’a pas été signifiée « à la partie adverse », tel que requis par l’article 494 C.p.c.[4]. Selon elle, une telle requête doit être signifiée à la partie elle-même et non au procureur qui l’avait représentée en première instance, et de surplus par télécopieur.

[4]           À mon avis, cette prétention est sans valeur.

[5]           La procureure des intimés a raison de souligner que le Code de procédure civile distingue les formalités de signification d’une demande pour permission d’appeler et d’une inscription en appel. En vertu de l’article 495 C.p.c., l’inscription en appel doit être signifiée à la partie adverse ou à son procureur, tandis que, selon l’article 494 C.p.c., la demande pour permission d’appeler doit être signifiée à la partie adverse. La doctrine n’explique pas cette distinction et les parties n’ont recensé aucune décision sur cette question.

[6]           L’article 499 C.p.c. énonce que, avant la comparution au greffe des appels, les actes de procédure peuvent, en certaines circonstances, être signifiés au procureur qui représentait l’intimé en première instance :

499. L'intimé doit produire un acte de comparution au greffe des appels dans les 10 jours qui suivent la réception de l'inscription par ce greffe ou, suivant le cas, dans les 10 jours qui suivent la réception par l'intimé de la copie du jugement autorisant l'appel.

 

 

Avant cette comparution, les actes de procédure destinés à l'intimé peuvent être signifiés au procureur qui représentait l'intimé en première instance, à moins d'une disposition qui exige la signification à la partie elle-même.

 

[Je souligne]

499. Within 10 days following receipt at the Appeals Office of the inscription or, as the case may be, within 10 days following receipt by the respondent of the copy of the judgment authorizing the appeal, the respondent must file a written appearance with the Appeals Office.

 

Before such appearance, the proceedings intended for the respondent may be served upon the attorney who represented the respondent in the court of first instance, failing a provision of law which requires service on the party himself.

[7]           Selon le premier alinéa, cette règle vise les dossiers formés par une inscription en appel et ceux qui découlent d’une permission d’appeler. Dans le premier cas, c’est le dépôt de l’inscription au greffe de première instance qui enclenche le processus d’appel et qui rend applicables les règles de procédure propres à l’appel[5]. Dans le deuxième cas, c’est le jugement qui autorise l’appel qui tient lieu de l’inscription en appel (art. 494, al. 4 C.p.c.). Vu le libellé du premier alinéa, l’application du second alinéa de l’article 499 C.p.c. me semble limitée aux seuls actes de procédure déposés une fois le processus d’appel enclenché et ne vise donc pas la requête pour permission d’appeler.

[8]           Dans ce dernier cas, soit avant que le processus d’appel ne soit enclenché, je suis d’avis que l’article 78 C.p.c. trouve application. Cet article, que l’on retrouve au chapitre des règles générales de la procédure écrite, énonce :

78. À moins d'une disposition contraire, tout acte de procédure d'une partie doit être signifié aux procureurs des autres parties, ou aux parties elles-mêmes si elles n'ont pas de procureur, sans quoi il ne peut être régulièrement produit; s'il contient une demande qui doit être présentée à un juge ou au tribunal, il doit être accompagné d'un avis de la date de cette présentation, et la signification doit en avoir été faite au moins un jour juridique franc avant cette date sauf au cas d'urgence où le juge peut abréger le délai.

 

Toute partie qui produit un acte de procédure doit y mentionner son adresse.

 

[Je souligne]

78. Failing provision to the contrary, any written proceeding of a party must be served upon the attorneys of the other parties, or upon the parties themselves if they have no attorney, otherwise it cannot be regularly filed; if it contains a demand which must be presented to a judge or to the court, it must be accompanied by a notice of the date of such presentation, and the service must have been made at least one clear juridical day before such date, except in a case of urgency when the judge may allow a shorter time.

 

Every party filing a written proceeding must mention his address therein.

[9]           Notons que le juge Hilton, dans un autre contexte, a lui aussi renvoyé aux formalités prévues à l’article 78 C.p.c. alors qu’il analyse la date de production d’une requête pour permission d’appeler. Il écrit :

[15] I frankly doubt that even the Court could adopt a rule of practice to the same effect as the Registry’s practice, let alone the Registry itself, since to do so is in conflict with what the Code of Civil Procedure provides. Accordingly, the Registry must henceforth apply the requirements for the service and filing of written proceedings in compliance with the requirements of article 78 C.C.P. and, where it is sought to file motions for leave to appeal, with the third paragraph of article 494 C.C.P.[6]

[Je souligne]

[10]        Selon moi, on ne peut interpréter l’article 494 C.p.c. comme constituant « une disposition contraire » au sens de l’article 78 C.p.c. qui obligerait la signification à la partie elle-même de la requête pour permission d’appeler.

[11]        D’abord, en matière de déchéance de droit, il est raisonnable d’interpréter les dispositions du Code de procédure civile de manière à protéger les droits du justiciable[7].

[12]        Ensuite, dans Proulx c. Côté[8], la Cour décide qu’une requête en rétractation de jugement en vertu de l’article 484 C.p.c. peut être valablement signifiée aux procureurs de la partie bien qu’il énonce qu’une telle requête doit être signifiée « à toutes les parties en cause ». Selon le juge Mayrand, seule la mention d’une signification « à la partie elle-même »[9] aurait constitué une « disposition contraire » au sens de l’article 78 C.p.c. Il ajoute :

[…] Il ne serait pas logique d’être plus exigeant pour reprendre un procès en partie que pour en appeler de ce jugement. Or, l’inscription en appel peut être signifiée à l’avocat plutôt qu’à la partie (C.p.c., art. 495, 1er alinéa).

[13]        La même logique s’applique à l’égard de la requête pour permission d’appeler : rien ne justifie d’être plus exigeant pour requérir une permission d’appeler que pour en appeler de plein droit d’un jugement, d’autant que cela ne cause aucun préjudice.

[14]        Le fait que l’article 494 C.p.c. limite la signification de la requête pour permission d’appeler « à la partie adverse » alors que l’article 495 C.p.c. permet la signification de l’inscription en appel « à la partie adverse ou à son procureur » n’est pas incompatible avec une telle conclusion et, compte tenu de l’ensemble des textes, on ne peut y voir qu’une inattention du législateur.

[15]        Également, je ne peux retenir l’argument de la procureure des intimés voulant que la requête pour permission d’appeler soit assimilée à une requête introductive d’instance; ce n’est pas la requête qui tient lieu d’inscription d’appel, mais le jugement autorisant l’appel (art. 494, al. 4 C.p.c.). Elle ne constitue pas la « requête introductive d’instance » de l’appel. Dès lors, sans me prononcer sur son bien-fondé, la jurisprudence citée par la procureure des intimées selon laquelle une requête introductive d’instance ne peut être signifiée au procureur d’une partie par télécopieur n’est d’aucun secours[10].

[16]        Je terminerai cette section en soulignant que la distinction actuelle entre les formalités de signification prévues aux articles 494 et 495 C.p.c. ne tiendra plus sous le nouveau Code de procédure civile puisque l’article 358 prévoit que, tant la déclaration d’appel que la demande de permission d’appeler, devront être signifiées à l’intimé et notifiées à l’avocat qui le représentait en première instance :

358. La déclaration d’appel, y compris, le cas échéant, la demande de permission, est signifiée à l’intimé et notifiée à l’avocat qui le représentait en première instance avant l’expiration du délai d’appel. Elle est également notifiée dans ce même délai aux personnes intéressées à l’appel à titre d’intervenant ou de mis en cause.

L’intimé, les intervenants et les mis en cause doivent, dans les 10 jours de la notification, déposer un acte de représentation indiquant le nom et les coordonnées de l’avocat qui les représente ou, dans le cas d’absence de représentation, un acte indiquant ce fait. Cependant, s’il est joint à la déclaration d’appel une demande pour obtenir la permission d’appeler, les intervenants et les mis en cause ne sont tenus de le faire que dans les 10 jours du jugement qui accueille cette demande ou, le cas échéant, de la date à laquelle le juge a pris acte du dépôt de la déclaration.

L’avocat qui représentait l’intimé en première instance est tenu, s’il n’agit plus pour l’intimé, de le dénoncer sans délai à l’appelant, à l’intimé et au greffe.

358. The notice of appeal, including, if applicable, the application for leave to appeal, is served on the respondent and notified to the lawyer who represented the respondent in first instance before the expiry of the time limit for appeal. It is also notified, before the expiry of that time limit, to persons with an interest in the appeal as intervenors or impleaded parties.

Within 10 days after notification, the respondent, the intervenors and the impleaded parties must file a representation statement giving the name and contact information of the lawyer representing them or, if they are not represented, a statement indicating as much. If an application for leave to appeal is attached to the notice of appeal, the intervenors and the impleaded parties are only required to file such a statement within 10 days after the judgment granting leave or after the date the judge takes note of the filing of the notice of appeal.

 

The lawyer, who represented the respondent in first instance, if no longer acting for the respondent, must so inform the respondent, the appellant and the office of the Court of Appeal without delay.

 

[17]        Pour toutes ces raisons, je suis d’avis que la requête pour permission d’appeler de la requérante a été dûment signifiée aux intimés, conformément aux exigences de l’article 494 C.p.c.

Analyse du fond de la requête pour permission d’appeler

[18]        La lecture de la requête et du jugement me convainc que la question en jeu relative à la compétence de la Commission des relations du travail se qualifie comme une question qui mérite l’attention de la Cour, au sens où l’entend l’article 26, al. 2 C.p.c.

[19]        J’estime par ailleurs qu’il y a lieu de gérer l’instance et que le pourvoi procède sans mémoire selon la voie accélérée.

[20]        Vu les règles 54 et 55, des Règles de la Cour d'appel du Québec en matière civile, qui se lisent :

54. Désertion. Lorsque l'exposé et les documents qui tiennent lieu du mémoire de la partie appelante ne sont pas signifiés et produits dans le délai établi, l'appel est réputé déserté, les dispositions de l'article 503.l du Code de procédure civile, avec les adaptations nécessaires, trouvant ici application.

 

54. Abandonment. Where the appellant's argument and documents standing in lieu of the factum are not served and filed within the established time limit, the appeal shall be deemed to be abandoned and article 503.1 of the Code of Civil Procedure (chapter C-25) shall apply, with the necessary modifications.

 

55. Forclusion. Lorsque l'exposé et, le cas échéant, les documents qui tiennent lieu du mémoire de la partie intimée ne sont pas signifiés et produits dans le délai établi, elle est forclose de les produire, les dispositions de l'article 505 du Code de procédure civile, avec les adaptations nécessaires, trouvant ainsi application.

55. Foreclosure. Where the respondent's argument and, if applicable, documents standing in lieu of the factum are not served and filed within the established time limit, the respondent shall be foreclosed from filing and article 505 of the Code of Civil Procedure (chapter C-25) shall apply, with the necessary modifications.

 

 

POUR CES MOTIFS, LA SOUSSIGNÉE :

[21]        ACCORDE la permission de faire appel;

[22]        ACCUEILLE la requête pour permission d'appeler;

[23]        ORDONNE à la partie requérante maintenant appelante, après avoir fait signifier copie à la partie intimée, de déposer au greffe au plus tard le 3 mars 2015, cinq exemplaires d'un exposé n'excédant pas 15 pages, des pièces qui auraient normalement formé les Annexes I, II et III du mémoire et de ses sources;

[24]        ORDONNE à la partie intimée, après avoir fait signifier copie à la partie appelante, de déposer au greffe, au plus tard le 24 mars 2015, cinq exemplaires d'un exposé n'excédant pas 15 pages, d'un complément de documentation et de ses sources;

[25]        ORDONNE aux parties de déposer leur exposé sur un format 21,5 cm X 28 cm (8 X 11 pouces), rédigé à au moins un interligne et demi (sauf quant aux citations qui doivent être à interligne simple et en retrait), avec des caractères à l'ordinateur de douze points, le texte ne devant pas compter plus de douze caractères par 2,5 cm, l'utilisation de la police ARIAL-12 étant fortement recommandée;

[26]        ORDONNE que les documents déposés par les parties soient paginés de façon continue, ou soient séparés par des onglets, et comprennent une page de présentation et une table des matières;

[27]        DÉFÈRE le dossier au Maître des rôles pour qu'il fixe l'audition d'une durée de 90 minutes (45 minutes pour la partie appelante et 45 minutes pour la partie intimée) lorsqu'il sera en état.

[28]        LE TOUT, frais à suivre.

 

 

 

 

 

MANON SAVARD, J.C.A.

 

Me Jean El Masri

El Masri Avocat Inc.

Pour la requérante

 

Me Jessica Laforest

Rivest, Tellier, Paradis, Commission des normes du travail

Pour les intimés

 

Me Annick Dupré (absente)

Commission des relations du travail

Pour la mise en cause Commission des relations du travail

 

Me Gary Rivard

BCF

Pour la mise en cause MNP Ltée

 

Date d’audience :

Le 13 janvier 2015

 

 

 



[1]     Turcot c. Commission des relations du travail, 2014 QCCS 5580.

[2]     Turcot c. 9256-0929 Québec inc., 2013 QCCRT 0554.

[3]     RLRQ, c. N-1.1.

[4]     Puisque la procureure des intimés n’avait pas préalablement avisé la requérante de son moyen préliminaire, un délai a dû être accordé à cette dernière pour répondre à ce moyen préliminaire. Il va sans dire qu’un tel délai aurait pu être évité, et les fins de la justice mieux servies, si la requérante avait été avisée en temps opportun de l’existence de ce moyen préliminaire plutôt que de l’apprendre après avoir complété sa plaidoirie sur le fond de sa requête pour permission d’appeler.

[5]     Watier c. Watier, [1990] R.D.J. 364, 370 (C.A.).

[6]     Droit de la famille - 132870, 2013 QCCA 1797 (j. Hilton).

[7]     Denis Ferland et Benoît Émery, Précis de procédure civile du Québec, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 2003, p. 60.

[8]     Proulx c. Côté, [1978] C.A. 536.

[9]     L’article 407 C.p.c. est un exemple d’une telle disposition.

[10]    Chambre des huissiers de justice du Québec c. Milunovic, 2010 QCCQ 3516; Ghanotakis c. Clôt et Associés, 2006 QCCQ 13638.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.