Décision

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Modèle de décision ( 81/2 x 11)

Rehel et Abb Combus. Engineering (fermé)

2007 QCCLP 2813

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Rimouski

9 mai 2007

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent

et Côte-Nord

 

Dossier :

282677-01B-0602-2

 

Dossier CSST :

127890762

 

Commissaire :

Me Raymond Arseneau

 

Membres :

Mme Ginette Denis, associations d’employeurs

 

M. Pierre Boucher, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Dr Marc Mony

______________________________________________________________________

 

 

 

Stéphane Rehel

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Abb Combus. Engeneering (Fermé)

 

Acier N.G.P. inc. (Fermé)

 

Babcock & Wilcox Canada

 

Checo Construction

 

Construction Del-Nor inc.

 

Construction GDM inc.

 

Construction Norcan inc. (Faillite)

 

Constructions E.D.B. inc.

 

Les Contracteurs Qualmec inc.

 

Corp. Construction National

 

Énergie Thermique AG inc. (Fermé)

 

Les Entreprises GAD Mécanique inc.

 

Entreprises Connolly & Twizell inc.

 

Entretien Industriel N-S inc.

 

Entretien Paramex inc.

 

Ganotec inc.

 

Gastier inc.

 

G.B. Mécanique ltée (installation)

 

Groupe Gastier inc.

 

Groupe Gmca inc. (Faillite)

 

Hmi Construction inc.

 

Jean Ferland inc.

 

Kamtech Services inc.

 

Lambert Somec inc.

 

Liard Mécanique Industrielle inc.

 

Mécanique CNC 2002 inc.

 

Mécanique CNC inc.

 

Montage d’Acier International inc.

 

Les Produits Métal Aspect inc.

 

René Henrichon inc.

 

Socomec Industriel inc.

 

Parties intéressées

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 22 février 2006, monsieur Stéphane Rehel (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 10 février 2006 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la réclamation pour maladie professionnelle déposée par le travailleur le 24 octobre 2005.

[3]           Le 17 novembre 2006, la Commission des lésions professionnelles a rendu une décision par laquelle elle a déclaré recevable la réclamation du travailleur et a convoqué les parties à une audience sur le fond. Celle-ci s'est tenue les 12 et 16 janvier 2007 en présence du travailleur et de deux représentants des employeurs concernés par la réclamation. M. Jean-René Lamothe, directeur santé-sécurité chez Ganotec inc., était également présent.

[4]           Le dossier a été pris en délibéré le 12 mars 2007, à l'échéance du délai accordé aux parties pour commenter les documents médicaux transmis par le CRSSS de Manicouagan à la suite d'une ordonnance émise par le tribunal à la fin de l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu'il a subi le 19 octobre 2005 une lésion professionnelle, soit plus précisément une maladie professionnelle, dont le diagnostic est une épicondylite bilatérale.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]           Le membre issu des associations d'employeurs et celui issu des associations syndicales sont tous deux d'avis que la requête du travailleur devrait être accueillie. Selon eux, le travailleur a prouvé que l'épicondylite bilatérale diagnostiquée est directement reliée aux risques particuliers du métier de chaudronnier qu'il a exercé à compter du début des années 90. Ils constatent que les tâches de ce travail sont très variées. Par contre, ils considèrent que la plupart d’entre elles impliquent une combinaison de facteurs de risque reconnus pour contribuer à l’apparition de lésions musculo-squelettiques, dont plusieurs sollicitent fortement les épicondyliens.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           Le travailleur actuellement âgé de 42 ans et gaucher a occupé des emplois de peintre-débosseleur et peintre en bâtiment du milieu des années 80 jusqu’en 1989. Entre 1990 et 2005, il a travaillé comme chaudronnier dans l’industrie de la construction.

[8]           De façon générale, les chaudronniers œuvrant dans l'industrie de la construction au Québec ne travaillent pas à l’année, la plupart d'entre eux - comme le travailleur - étant embauchés pour travailler sur différents chantiers par l’entremise d’un bureau de placement syndical relevant de la Fraternité internationale des chaudronniers, constructeurs de navires en fer, forgerons, foreurs et aides, local 271 (le syndicat des chaudronniers). La durée des contrats varie de quelques jours à plusieurs mois. Ainsi, selon les données émanant de la Commission de la construction du Québec, le travailleur a accumulé environ 16 400 heures comme chaudronnier depuis 1990, soit l’équivalant de 26 semaines de 40 heures par année, et ce, pour une trentaine d'employeurs différents.

[9]           Avant 2004, le travailleur n’avait aucun antécédent aux coudes, à l’exception d’un traumatisme au coude gauche survenu le 25 octobre 1990 dans l’exercice de son emploi de chaudronnier. Aucune réclamation n’a été déposée à la CSST à cette époque. Après l’audience, à la demande des représentants des employeurs concernés par la présente affaire, le tribunal a obtenu le dossier médical de l’établissement de santé où le travailleur a consulté un médecin en raison de ce traumatisme. Selon les renseignements apparaissant dans ces documents, à savoir les notes du médecin consulté le 26 octobre 1990 et le compte rendu d’une radiographie passée à cette occasion, l’examen physique et radiologique n’a révélé aucune anomalie et le médecin a posé un diagnostic de contusion au coude gauche en précisant qu'elle serait consolidée dans les jours suivants.

[10]        Au cours de l’année 2004, le travailleur commence à ressentir des douleurs intermittentes aux coudes. À l’audience, il précise que la symptomatologie a possiblement commencé à se manifester au coude gauche et ajoute que l’intensité des symptômes variait en fonction des tâches de travail qu’il effectuait.

[11]        Entre novembre 2004 et avril 2005, le travailleur est sans emploi.

[12]        Du début avril à la mi-juin 2005, le travailleur travaille deux semaines pour Ganotec inc. sur un chantier pour Pétro-Canada où il participe au remplacement de fournaises, et quelques semaines sur d’autres chantiers pour trois employeurs différents.

[13]        Le 22 juin 2005, le travailleur consulte un médecin qui diagnostique une épicondylite bilatérale et un début de syndrome du canal carpien pour lesquels il ne recommande pas d'arrêt de travail. Ses notes de consultation font mention de « gestes répétitifs au travail ».

[14]        Vers la fin juin 2005, le travailleur est embauché par Ganotec inc. pour travailler pendant plusieurs mois dans une usine de cogénération à Bécancour. Ses tâches principales consistent à assembler des panneaux de métal et à procéder à l’enlèvement d’acier de structure de transport.

[15]        Le 15 août 2005, le travailleur consulte un autre médecin dans un centre de santé en raison de douleurs à la région cervicale et aux membres supérieurs. Ce dernier diagnostique une cervicalgie et une trapézalgie et suspecte un dérangement intervertébral mineur cervical. Il prescrit des anti-inflammatoires et recommande l’application de chaleur et des massages. Les notes de l’infirmière du service de triage font par ailleurs mention de douleurs au coude gauche sous forme de brûlure ainsi que de douleurs au bras droit. Elle indique que la douleur s’intensifie à l’effort et ajoute qu’il effectue un travail physique répétitif.

[16]        Le 20 octobre 2005, le travailleur consulte un médecin pour un rhume récalcitrant et à la même occasion, il lui parle de ses problèmes aux coudes. À la suite de son examen, le médecin rédige une attestation médicale initiale sur un formulaire de la CSST. Il pose un diagnostic d’épicondylite bilatérale pour laquelle il recommande un arrêt de travail.

[17]        Le même jour, le travailleur remet l’attestation médicale à son délégué syndical et peu après, il retourne en Gaspésie, sa région de résidence.

[18]        Le 24 octobre 2005, le travailleur dépose à la CSST une réclamation pour maladie professionnelle.

[19]        À compter du 4 novembre 2005, le travailleur est suivi par son médecin de famille. Ce dernier maintient le diagnostic d’épicondylite bilatérale et initie un traitement conservateur.

[20]        Le 18 novembre 2005, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la réclamation du travailleur. Cette décision est ultérieurement confirmée à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.

[21]        Le 23 janvier 2006, le docteur Patrick Kinnard, orthopédiste, examine le travailleur à la demande de Ganotec inc. Voici certains extraits de son rapport d’expertise médicale :

EXAMEN DES COUDES

[…]

Douleur alléguée à la pression de l’épicondyle (gauche > droite). […]

 

COMMENTAIRES ET CONCLUSIONS

 

1.  Le diagnostic actuel.

Épicondylite des coudes droit et gauche.

 

2.  Le diagnostic en relation avec la déclaration.

-    Considérant que monsieur Rehel se plaint d’épicondylites depuis plusieurs années;

-    Considérant qu’il a consulté à ce titre en juin 2005, soit avant l’embauche;

-    Considérant qu'il a consulté à nouveau en début d'embauche;

-    Considérant qu'il a déclaré avoir profité de son problème de rhume pour parler de ses problèmes de coudes;

-    Considérant qu'il n'y a pas eu d'événement soudain ou imprévu;

-    Considérant que monsieur Rehel n'a travaillé que deux mois et demi au chantier de la Cogénération :

 

     → Il n'y a aucun diagnostic en relation avec la déclaration d'un événement datant du 20.10.05.

[…]

Il n’y a aucun coût à attribuer à l’employeur puisque la pathologie était présente avant l’embauche.

 

 

[22]        Le 1er août 2006, le docteur Gilles Roger Tremblay, orthopédiste, rédige un rapport d’expertise médicale à la demande du travailleur, dont voici certains extraits :

HISTORIQUE :

[…]

À son travail […] monsieur Rehel utilise des outils pneumatiques […].

 

[…] il devait faire beaucoup de "grinder" […] et dans son travail il devait utiliser une masse pour frapper des constructions de métal […].

 

Il commença de ressentir une douleur lente et progressive au niveau des coudes […].

 

Il fit 14 semaines avec un "grinder" et une taqueuse à Bécancourt et la douleur augmenta.

[…]

OPINION :

 

Le diagnostic non-contredit chez ce patient est une épicondylite bilatérale.

 

Considérant qu'il utilise les deux mains pour faire des mouvements répétitifs de flexion et d'extension des poignets en utilisant un "chain block" et,

 

Considérant qu'il reçoit des contre-coups transmis par vibrations au niveau des deux membres supérieurs, par outils pneumatiques et par masse,

 

Nous croyons qu'il y a une relation nette entre le travail effectué et l'apparition d'une épicondylite bilatérale. [sic]

 

 

[23]        Avant l’audience, la représentante d’un des employeurs concernés par la présente affaire dépose au dossier du tribunal un extrait de la codification administrative de la Commission de la construction du Québec portant sur le métier de chaudronnier. En vertu de cette codification, le chaudronnier effectue les opérations se rapportant à la construction de générateurs de vapeur, de chaudières ou de réservoirs, incluant :

-     tout travail de montage, de démontage, d'assemblage et de démolition de chaudières, ainsi que le montage d'acier s'y rapportant;

-     la mise en place de l'équipement sur des bases ou supports;

-     la pose et le roulage des tubes;

-     la pose de toute partie sous pression ou non, à l'exception du déchargement, du levage ou de la mise en place de chaudières portatives, de réservoirs à vapeur et d'éléments assemblés de chaudières tubulaires;

-     tout travail se rapportant aux raccords en Y, aux réservoirs de fumée, aux cheminées, aux colonnes d'air, aux flotteurs, aux chauffe-eau et aux réchauds, aux fumivores, aux réservoirs de toutes sortes, ainsi qu'aux travaux en fer laminé en rapport avec ceux-ci;

-     le montage et la construction de purgeoirs, de génératrices à gaz, de cuves de brasseries, de colonnes d'alimentation, d'embranchement et de gazomètres ainsi que le déchargement, le levage et la mise en place de l'équipement ou des pièces se rapportant aux dispositifs ci-dessus décrits;

-     tout travail de découpage au chalumeau, d'épandage, de matage, de rivetage, de soudure et d'appareillage se rapportant aux opérations ci-dessus décrites.

[24]        Pour sa part, le travailleur dépose plusieurs documents avant l’audience, dont une lettre d’un agent d’affaires du syndicat des chaudronniers portant sur les conditions d’exercice du métier, de la littérature médicale et une liste des outils les plus fréquemment utilisés par les chaudronniers accompagnée d'illustrations provenant de documents de l’école des chaudronniers.

[25]        L’agent d’affaires spécifie dans sa lettre que le métier de chaudronnier est « très exigeant » et que le travail s’effectue « souvent dans des espaces restreints et des positions inconfortables », parfois à genoux parfois sur le dos, et qu’il implique de « transporter et déplacer des câbles, dont la longueur peut aller jusqu’à 100 pieds et plus, et les ajuster à la machine, ce qui constitue une charge énorme à tirer pour un homme ». Il souligne que sur les chantiers de raffineries de pétrole, de moulins de pâtes et papiers, d’usines de produits chimiques, de mines et de cimenteries, les chaudronniers doivent « transporter des outils très lourds » et « travailler avec des boulonneuses durant plusieurs heures consécutives ». Il ajoute que dans les bouilloires - dont les dimensions peuvent varier de 1 à 10 étages - les travaux à effectuer « sont souvent au plafond des vaisseaux ou sur les parois, ce qui signifie que le chaudronnier […] doit travailler soit en position à genoux, soit à bout de bras sur un échafaud de fortune dû au manque d’espace ».

[26]        La littérature médicale comprend plusieurs articles sur les facteurs de risque associés aux troubles musculo-squelettiques[1], dont certains identifient le travail de chaudronnier comme étant l'une des professions pouvant causer ou aggraver une épicondylite[2].

[27]        La liste des outils les plus fréquemment utilisés par les chaudronniers fait mention de masses de 4 à 18 livres, de marteaux de 2 ou 3 livres, de meuleuses ou rectifieuses-meuleuses, de palans à chaîne et à levier (« chain block » et « come along »), de « body jack », de « pinch bar », de « hammer key », de boulonneuses, de « socket », de serre-joints, de scies à guillotine, de « bull pin », de pinces étaux, de différentes sortes de clés (anglaise, à cliquet ou « ratchet », à tuyau ou « pipe wrinch », dynamométrique ou « torqueuse à main »), de « spanner », de perceuses et de « chipping gun ».

[28]        À l’audience, le travailleur dépose un extrait d’un document informatique émanant du Centre canadien d’hygiène et de sécurité du travail (CCHST) portant sur l’épicondylite[3]. Voici un extrait de ce document :

Quels sont les facteurs de risque de l’épicondylite?

 

L’apparition de l’épicondylite est souvent liée à  la façon dont les travailleurs exécutent certains gestes, tels que la préhension, la torsion, l'extension du bras et le déplacement. Ces gestes peuvent devenir dangereux s'ils :

 

      ●   sont exécutés en position fixe ou dans une mauvaise position,

      ●   sont répétés constamment,

      ●   demandent une force excessive,

      ●   ne laissent pas à l'organisme le temps de récupérer après la sursollicitation.

 

Les métiers concernés sont ceux qui nécessitent des mouvements répétés ou énergiques des doigts, du poignet et de l'avant-bras. L'épicondylite peut être due à une sollicitation excessive à un moment précis ou à des sollicitations de faible importance pendant une trop longue période.

 

Certains mouvements favorisent l'apparition d'une épicondylite, notamment :

 

      ●   des mouvements simultanés de rotation de l'avant-bras et de flexion du poignet,

●   la préhension vigoureuse d'un objet conjuguée à une rotation de l'avant-bras vers l'intérieur ou l'extérieur,

      ●   des mouvements saccadés de lancer,

      ●   des mouvements de la main pour frapper des objets.

 

Les mouvements associés aux deux premières activités indiquées ci-dessus (rotation, flexion et préhension) sont particulièrement dangereux lorsqu'ils sont effectués pendant que les bras sont tendus vers l'avant ou tendus latéralement à distance du corps (torse).

 

 

[29]        À l’audience, les représentants des employeurs déposent certains documents, dont une lettre de monsieur Guy Allard, contremaître pour Ganotec inc., un extrait du journal des salaires de Ganotec inc., un formulaire « Analyse sécuritaire de travail », une liste de signaux manuels utilisés sur les chantiers de construction et de la littérature médicale.

[30]        La lettre de monsieur Allard fait mention des principales tâches accomplies par le travailleur lors de son embauche par Ganotec inc. à l’été 2005 et des outils utilisés pour accomplir ces tâches, soit des marteaux de 4 à 8 livres, des palans à chaînes jusqu’à 10 tonnes, des boulonneuses jusqu’à 1 pouce « drive », des élingues, des chalumeaux, des soudeuses et des « pinch bar »[4].

[31]        L’extrait du journal des salaires montre que le travailleur a travaillé entre 30 et 40 heures par semaine lors de son embauche pour le contrat à Bécancour.

[32]        Le formulaire « Analyse sécuritaire de travail » est un document de sécurité rempli par le contremaître de Ganotec inc. lors de sa rencontre journalière avec les chaudronniers à leur arrivée sur le chantier.

[33]        La littérature médicale comprend principalement deux extraits d’ouvrages portant sur les facteurs de risque associés aux troubles musculo-squelettiques en général et sur les épicondylites en particulier, à savoir un extrait de l'ouvrage Les lésions attribuables au travail répétitif[5] et le chapitre 4 de l'étude du National Institute for Occupational Safety Health (NIOSH)[6]. Ce dernier document émane d’un organisme américain connu dans le domaine de la santé et sécurité au travail et est régulièrement cité devant la Commission des lésions professionnelles. Il fait une revue critique d’études épidémiologiques sur le sujet. Pour cette raison, il paraît approprié d’en citer les extraits suivants qui contiennent les conclusions retenues par les auteurs :

Over 20 epidemiologic studies have examined physical workplace factors and their relationship to epicondylitis. […] Using epidemiologic criteria to examine these studies and taking into account issues of confounding, bias, and strengths and limitations of the studies, we conclude the following :

 

There is insufficient evidence for support of an association between repetitive work and elbow musculoskeletal disorders (MSDs) based on currently available epidemiologic data. […]

 

There is evidence for the association with forceful work and epicondylitis. Studies that base exposure assessment on quantitative or semiquantitative data tended to show a stronger relationship for epicondylitis and force. […]

 

There is insufficient evidence to draw conclusions about the relationship of postural factors alone and epicondylitis at this time.

 

There is strong evidence for a relationship between exposure to a combination of risk factors (e.g., force and repetition, force and posture) and epicondylitis. Based on the epidemiologic studies reviewed above, especially those with some quantitative evaluation of the risk factors, the evidence is clear that an exposure to a combination of exposures, especially at higher exposure levels (as can be seen in, for example, meatpacking or construction work) increases risk for epicondylitis. […]

 

The strong evidence for a combination of factor sis consistent with evidence found in the sports and biomechanical literature. Studies outside the field of epidemiology also suggest that forceful and repetitive contraction of the elbow flexors or extensors (which can be caused by flexion and extension of the wrist) increases the risk of epicondylitis.

 

Epidemiologic surveillance data, both nationally and internationally, have consistently reported that the highest incidence of epicondylitis occurs in occupations and job tasks which are manually intensive and require high work demands in dynamic environments - for example, in mechanics, butchers, construction workers, and boilermakers.

 

Epicondylar tenderness has also been found to be associated with a combination of higher levels of forceful exertions, repetition, and extreme postures of the elbow. This distinction may not be a true demarcation of different disease processes, but part of a continuum. […]

 

 

[34]        À l’audience, le tribunal entend les témoignages du travailleur (le 12 janvier en matinée et en après-midi et le 16 janvier en début de matinée), de monsieur Jean-René Lamothe (le 16 janvier en fin de matinée et en début d’après-midi) et du docteur Kinnard (le 16 janvier en fin d’après-midi).

[35]        Le travailleur décrit dans ses mots les tâches de son travail. Essentiellement, sa description correspond à celle plus technique contenue dans la codification administrative de la Commission de la construction du Québec. Par ailleurs, il mentionne que les chaudronniers classent l’ensemble de leurs tâches en trois catégories, c’est-à-dire qu’ils distinguent les tâches du « rigger » (préparateur ou gréeur) de celles du « fitter » (assembleur ou ajusteur) et du soudeur. Il précise qu’ils travaillent généralement en équipe de deux.

[36]        En ce qui le concerne, le travailleur se décrit comme un « fitter-rigger », expliquant qu’il « touche à tout » sauf les travaux de soudure qu’il n’a fait qu'occasionnellement. Il explique que la nature des travaux confiés aux chaudronniers varie d’un chantier à l’autre et qu’ils sont souvent affectés à des tâches diverses au cours d’une même journée tout en précisant qu’il n’y a par contre généralement pas « de temps mort ». Il ajoute que les travaux se font dans le secteur de l'industrie lourde, par exemple dans des alumineries, raffineries, aciéries, cimenteries, moulins à papier et centrales thermiques.

[37]        Durant son témoignage, le travailleur présente plusieurs des outils fréquemment utilisés, en commente l’usage et montre la façon de les manipuler (avec l’aide de son frère, lui aussi chaudronnier), dont :

-   des « spanner » qui servent notamment à visser et dévisser des noix et impliquent des mouvements répétés des avant-bras parfois avec force;

-   des marteaux et masses (dont une de 18 livres); il utilise les masses en se servant de ses deux mains;

-   deux boulonneuses à percussion de format différent, la moins lourde (½ po) pesant entre 8 et 10 livres, la plus lourde (« la grosse Bertha ») pesant environ 40 livres, incluant le « socket » pour noix de 5 pouces; le travailleur tient la poignée des boulonneuses avec sa main gauche et le devant avec sa droite; il spécifie devoir appliquer une « bonne pression » pour éviter les contrecoups; il ajoute que « la grosse Bertha » n’est utilisée que pour certains travaux dans les raffineries et sur des échangeurs de chaleur;

-   un « hammer key » qu'un chaudronnier tient avec ses mains pendant qu’un autre frappe dessus avec une masse; cet outil est utilisé au besoin pour craquer des noix en l’absence de « torqueuse » hydraulique;

-   une meuleuse conventionnelle qu’il tient avec ses deux mains et avec laquelle il fait un mouvement de va-et-vient pour meuler des pièces de métal;

-   un « pencil grinder » qui sert à nettoyer l’intérieur des tubes;

-   un « come along » (tire-fort) de ¾ de tonne, pesant approximativement 30 livres incluant le poids d’une chaîne de 8 ou 10 pieds, utilisé pour rapprocher des pièces; il fait un mouvement de va-et-vient avec l’une ou l’autre de ses mains pour tirer la chaîne; il explique qu’il y a divers formats de « come along », les plus gros ayant une capacité de 5 tonnes (et pesant environ 100 livres);

-   deux « ratchet » de format différent qu’il manipule en faisant un mouvement de va-et-vient avec l’une ou l’autre de ses mains;

-   un « chipping gun » à percussion utilisé pour nettoyer les résidus de soudure sur les pièces de métal;

-   une « saw all » électrique qu’il manipule avec ses deux mains pour couper du bois ou du métal;

-   un « pinch bar » de 5 pieds qui sert à tasser les pièces ou le matériel lourd (par effet de levier) et s’utilise à deux mains.

[38]        Parmi ces outils, certains émettent des vibrations, soit les boulonneuses à percussion, la meuleuse conventionnelle, le « pencil grinder », le « chipping gun » à percussion et la « saw all » électrique.

[39]        Le travailleur affirme pendant son témoignage devoir souvent manipuler les outils à bout de bras, parfois pendant plusieurs heures consécutives, parfois dans des espaces restreints ou dans des positions non ergonomiques. Par exemple, il mentionne devoir occasionnellement se coucher sur le dos pour utiliser une rectifieuse sur une pièce de métal au-dessus de lui.

[40]        Le travailleur mentionne avoir agi comme délégué de chantier à l'occasion depuis qu’il exerce le métier de chaudronnier (l’équivalant en tout d'un an de travail) et avoir fait partie de l’exécutif de son syndicat pendant un peu plus d'un an.

[41]        Monsieur Lamothe indique être gestionnaire en santé-sécurité depuis une vingtaine d’années et être associé à Ganotec inc. depuis le début des années 90, d’abord comme consultant et ensuite comme employé à temps plein. Il signale que l’entreprise regroupe plusieurs compagnies œuvrant dans le domaine de la construction industrielle, ce qui en fait un des plus importants employeurs au Québec. L’entreprise emploie différents corps de métiers, dont des chaudronniers.

[42]        Monsieur Lamothe témoigne des conditions de travail des chaudronniers chez Ganotec inc. Il souligne que l’entreprise est « à l’avant-garde » en matière de sécurité et que diverses mesures sont mises en place pour assurer la santé et la sécurité des travailleurs. Il précise que les outils sont fournis par l’entreprise et sont généralement maintenus en bon état. Il explique que dans une journée type, pour un quart de travail de huit heures « cédulées », le temps effectif travaillé se situe entre cinq heures et demie et six heures. Il reconnaît que le travail de chaudronnier « c’est un métier qui est physique », mais ajoute « qu’il y a énormément de rotations de tâches, il y a énormément d’équipements sur le site, ce qui fait que le salarié peut s’équiper de façon sécuritaire et travailler en équipe ». Il décrit certaines des tâches du chaudronnier en spécifiant qu’elles s’effectuent dans la position « la plus confortable possible », même si à l’occasion elles impliquent de travailler dans des espaces restreints.

[43]        Depuis qu’il est chez Ganotec inc., monsieur Lamothe mentionne qu’à l’exception du travailleur, aucun chaudronnier n’a présenté de réclamation pour maladie professionnelle avec un diagnostic d’épicondylite. Il ajoute que la plupart des chaudronniers du Québec ont travaillé pour Ganotec inc. à un moment ou à un autre (en moyenne de 300 à 400 par année).

[44]        En réponse aux questions du travailleur portant sur les six facteurs de risque associés aux troubles musculo-squelettiques identifiés dans un document de la CSST mis en preuve (pièce T-7), monsieur Lamothe reconnaît que le travail de chaudronnier implique de travailler dans des postures fatigantes ou inconfortables, de faire des efforts musculaires importants, de travailler dans un environnement froid (l’hiver à l’extérieur)[7], d’être exposé à des vibrations, d’utiliser les mains comme marteau (par exemple pour fermer des portes de tours, de chaudières) et d’utiliser des outils avec pression (comme des pinces, des « ratchet »). Par contre, il exprime des doutes quant au fait que les chaudronniers puissent avoir à faire des répétitions de mêmes gestes pendant des heures.

[45]       Pour sa part, le docteur Kinnard signale que l’épicondylite résulte dans certains cas d’un traumatisme ou d’une surutilisation des muscles épicondyliens, mais rappelle qu’il s’agit aussi d’une pathologie qui parfois ne provient d’aucune cause connue. Il accorde peu de valeur à la documentation déposée par le travailleur, entre autres, parce qu’elle est trop générale, spécifiant qu’elle est en grande partie constituée de documents de vulgarisation. Il commente les conclusions énoncées dans la littérature médicale plus spécialisée en soulignant les limites des études épidémiologiques. Il prend acte du fait que l’article du NIOSH[8] identifie le métier de chaudronnier comme étant l’un de ceux comportant un risque plus élevé de développer une épicondylite. Il remarque toutefois qu’aucune des études épidémiologiques rapportées dans cet article ne porte spécifiquement sur le métier de chaudronnier.

[46]        Le docteur Kinnard mentionne que la description des tâches de chaudronnier donnée par le travailleur en première partie de son témoignage (le vendredi en matinée) est une description générale qui ne tient pas compte de la réalité. Il estime que s’il fallait s’en tenir à cette description, « tout être même extraordinairement constitué n’aurait pu faire ce travail très longtemps ».

[47]        À l’opposé, en considérant l’ensemble de la preuve, le docteur Kinnard exprime l’opinion qu’il est peu probable que la pathologie diagnostiquée soit de nature professionnelle. À cet égard, il souligne notamment que le travailleur ne travaille pas à l’année, ce qui lui permet de bénéficier de périodes de repos de plusieurs mois; qu’il bénéficie aussi de périodes de repos journalières; qu’il a exercé des tâches syndicales non exigeantes au plan physique; qu’il travaille en équipe et effectue des tâches variées, dont certaines sont peu exigeantes. À propos des tâches décrites, il mentionne qu’elles impliquent des mouvements répétés, mais pas nécessairement des mouvements répétitifs.

[48]        Le docteur Kinnard insiste à plusieurs occasions sur le fait que certaines tâches ne comportent pratiquement aucun des facteurs de risque identifiés dans la littérature médicale et ajoute que la description des tâches faite en cours d’audience ne permet pas de « quantifier » l’importance de ces facteurs de risque.

[49]        Le docteur Kinnard indique que le caractère bilatéral de l’épicondylite est souvent un signe de pathologie personnelle même s’il reconnaît qu’il ne s’agit pas d’un facteur déterminant. Il explique que si les vibrations étaient en cause, le travailleur présenterait d’autres problèmes de santé, par exemple un problème de doigts blancs. Il signale que selon les notes de consultation médicale du 22 juin 2005, la douleur était à ce moment-là surtout localisée au coude droit alors que le travailleur est gaucher.

[50]        Le docteur Kinnard motive également son opinion en signalant que si la pathologie était de nature professionnelle, elle aurait normalement dû apparaître plus rapidement et toucher d’autres sites anatomiques. Voici ce qu'il dit à ce sujet : « Il est évident que si le travail était en cause, on se serait attendu à ce que les structures myo-tendineuses cèdent beaucoup plus vite qu'après 20 ans[9] » et ajoute « L'épicondylite par effet cumulatif, selon la description que j'ai eue du travail, aurait dû donner des symptômes bien plus rapidement […] affecter d'autres muscles et articulations ».

[51]        Ce résumé des faits étant présenté, le tribunal doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle sous forme de maladie professionnelle. À ce stade-ci, il faut rappeler que le diagnostic d’épicondylite bilatérale n’est pas remis en question par les parties. C’est donc en fonction de ce diagnostic que la preuve doit être analysée.

[52]        Les notions de lésion professionnelle et de maladie professionnelle sont définies comme suit à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[10] (la loi) :

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l’aggravation;

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l’occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[53]        L’article 29 de la loi établit dans certaines circonstances une présomption de maladie professionnelle à l’égard des maladies énumérées dans une annexe à la loi. Cependant, l’épicondylite n’est pas l’une des maladies visées dans cette annexe.

[54]        À défaut de pouvoir bénéficier de la présomption prévue à l’article 29 de la loi, un travailleur voulant faire reconnaître l’existence d’une maladie professionnelle peut se prévaloir de l’article 30 qui énonce ce qui suit :

30. Le travailleur atteint d’une maladie non prévue par l’annexe I, contractée par le fait ou à l’occasion du travail et qui ne résulte pas d’un accident du travail ni d’une blessure ou d’une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d’une maladie professionnelle s’il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d’un travail qu’il a exercé ou qu’elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[55]        La preuve que la maladie a été contractée par le fait ou à l’occasion du travail se confond avec celle démontrant que la maladie est caractéristique de ce travail ou reliée aux risques particuliers de ce travail. Sur ce, il y a lieu de rappeler les propos des auteurs Bernard Cliche, Martine Gravel et Louis Ste-Marie[11] :

[…] nous croyons que le travailleur qui démontrera que sa maladie est caractéristique de son travail ou reliée directement aux risques particuliers de son travail fera la preuve de la relation entre la maladie et le travail, c’est-à-dire, que sa maladie a été contractée par le fait ou à l’occasion du travail. Il semble, en effet, à la lumière du libellé de l’article 30 de la Loi, que cette preuve sera suffisante pour que la maladie soit qualifiée de « professionnelle » et permette ainsi au travailleur qui en est porteur, de bénéficier du mode d’indemnisation prévu à la Loi.

 

 

[56]        Ainsi, pour obtenir gain de cause, le travailleur doit établir par prépondérance de preuve que la pathologie diagnostiquée est caractéristique du travail de chaudronnier ou qu’elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail. Comme le soulignait la Cour d’appel dans l'affaire Société de l’assurance automobile du Québec c. Viger[12], un tel degré de preuve n’exige pas nécessairement une certitude scientifique. Ce principe a aussi été exprimé par le juge Gonthier de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Laferrière c. Docteur Ray Lawson[13] dans les termes suivants :

[...] un juge sera influencé par les avis d’experts scientifiques exprimés sous forme de probabilités statistiques ou d’échantillonnages, mais il n’est pas lié par ce genre de preuve. Les conclusions scientifiques ne sont pas identiques aux conclusions juridiques. Récemment, notre Cour a dit clairement dans l’arrêt Snell c. Farrell [1990] 2 R.C.S. 311 , que « la causalité n’a pas à être déterminée avec une précision scientifique » (p. 328) et qu’« il n’est pas essentiel que les experts médicaux donnent un avis ferme à l’appui de la théorie de la causalité du demandeur » (p. 330) [...].

 

 

[57]        En l’instance, même si plusieurs des articles de la littérature produite signalent que l’épicondylite se retrouve plus fréquemment chez les chaudronniers que dans la population en général, ces données sont trop imprécises pour prouver qu’il s’agit d’une maladie caractéristique de ce métier. Néanmoins, l’information contenue dans ces articles peut être considérée pour vérifier l’existence d’une relation de cause à effet entre les tâches de l’emploi et la pathologie. Comme le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Turcotte et Centre hospitalier Anna Laberge[14] :

[111] Avant d’analyser la preuve offerte par les parties sur la notion de risques particuliers du travail de technologue en échographie, la Commission des lésions professionnelles tient à faire quelques commentaires relativement à la notion de maladie caractéristique du travail visée dans la première partie de l’article 30 de la loi.

 

[112] Il a été souligné à plusieurs reprises au cours des audiences, et ceci ressort des nombreuses études réalisées dans divers pays et provinces canadiennes (Italie, Israël, Etats-Unis, Manitoba, Alberta, Colombie-Britannique), que le travail des technologues en échographie (sonographers) présente des risques de maladies musculo-squelettiques du membre supérieur, ou à tout le moins provoque, chez un nombre significatif de ces travailleurs, des symptômes au cou, à l’épaule, au coude7, au poignet et à la main.

[…]

[116] Même si ces affirmations, parce que peu chiffrées et encore imprécises quant aux pathologies diagnostiquées dans chaque cas particulier, ne peuvent servir de référence pour conclure que l’épicondylite est une maladie caractéristique du métier de technologue en échographie, au sens de l’article 30 de la loi, il n’en demeure pas moins qu’elles ne peuvent non plus être écartées, lorsqu’il s’agit d’apprécier une preuve de relation causale.

__________

[Références omises].

 

 

[58]        Cela étant, le tribunal considère que le travailleur a prouvé que l’épicondylite bilatérale diagnostiquée est reliée directement aux risques particuliers du métier de chaudronnier qu'il a exercé.

[59]        Sous cet aspect, il est indéniable que certaines des tâches du chaudronnier ne sollicitent pas les épicondyliens, par exemple les tâches de signalisation effectuées à l’occasion pour diriger les grutiers. De même, dans le cas du travailleur, il est clair qu’il n’a pas été exposé à des facteurs de risque de développer une épicondylite pendant les périodes où il a agi comme délégué de chantier.

[60]        En revanche, bien que les tâches du métier de chaudronnier soient très variées, la plupart d’entre elles impliquent une combinaison de facteurs de risque reconnus pour contribuer à l’apparition de lésions musculo-squelettiques en général et d'épicondylites en particulier. Monsieur Lamothe a lui-même reconnu que ce métier implique de travailler dans des postures fatigantes ou inconfortables, de faire des efforts musculaires importants, d’être exposé à des vibrations, d’utiliser les mains comme marteau et d’utiliser des outils avec pression. Au moment de répondre aux questions du travailleur sur le sujet, le représentant de l’un des employeurs faisait remarquer que monsieur Lamothe ne pouvait témoigner « que de sa connaissance personnelle [pas] […] sur l’ensemble des travaux […] effectués dans l’ensemble de l’industrie ». Bien que cette remarque soit fondée, le tribunal ne peut faire abstraction du fait que monsieur Lamothe a aussi spécifié que Ganotec inc. est une entreprise « à l’avant-garde » en matière de sécurité; conséquemment et en toute logique, le travailleur n'était pas moins exposé aux différents facteurs de risque identifiés lorsqu'il travaillait comme chaudronnier chez d'autres employeurs.

[61]        À ce stade-ci, il faut rappeler que lors de l’audience, le travailleur a présenté plusieurs des outils fréquemment utilisés par les chaudronniers, en a commenté l’usage et a montré la façon de les manipuler. À cette occasion, le tribunal a constaté que de manière générale les épicondyliens sont fortement sollicités, entre autres, par l’utilisation manuelle d’outils avec force (par exemple les marteaux et les masses), d’outils impliquant des mouvements répétés, parfois répétitifs, associés à une prise en main avec pression (dont les palans à chaîne et à levier, les « spanner », les pinces et les différentes sortes de clés, incluant les « ratchet »), d’outils causant des contrecoups (principalement les outils vibrants qui bloquent de temps à autre) et par l’utilisation d’outils émettant des vibrations (boulonneuses à percussion, meuleuses conventionnelles, « pencil grinder », « chipping gun » à percussion, « saw all » électriques et autres outils de même nature).

[62]        Il est vrai que la preuve ne permet pas de « quantifier » de façon précise l’importance des facteurs de risque associés à chacune des tâches effectuées par le travailleur. Cette absence de quantification détaillée est toutefois compréhensible dans la mesure où le travailleur a expliqué à plusieurs reprises que la nature des travaux varie d’un chantier à l’autre et que les chaudronniers sont souvent affectés à des tâches diverses au cours d’une même journée. Son témoignage est corroboré par monsieur Lamothe, ce dernier affirmant « qu’il y a énormément de rotations de tâches » dans l’exercice du métier de chaudronnier.

[63]        Par ailleurs, la conjonction des faits suivants appuie les prétentions du travailleur quant au lien existant entre les tâches de chaudronnier et la pathologie aux coudes diagnostiquée :

-   rien ne laisse voir qu’il soit porteur d’une condition personnelle expliquant la présence de l’épicondylite bilatérale diagnostiquée;

-   aucune activité personnelle pouvant être associée à la présence de cette pathologie n’a été mise en preuve;

-   il n’a aucun antécédent connu impliquant les coudes, si ce n’est une simple contusion au coude gauche survenue en 1990 et d’origine professionnelle;

-   le travailleur utilise ses deux membres supérieurs pour effectuer la plupart des tâches de son emploi et la lésion diagnostiquée affecte ses deux coudes.

[64]        Dans un autre ordre d’idées, l’opinion exprimée par le docteur Kinnard ne constitue pas un élément de preuve déterminant.

[65]        D’une part, dans son opinion écrite rédigée avant l’audience, le docteur Kinnard n’exclut pas que la pathologiee diagnostiquée puisse être d’origine professionnelle. Il ne fait que signaler que cette pathologie était déjà présente lors de l’embauche du travailleur par Ganotec inc. en 2005.

[66]        D’autre part, le docteur Kinnard signale durant son témoignage que si le travail était à l’origine de la pathologie, les symptômes auraient normalement dû apparaître plus rapidement et toucher d’autres sites anatomiques. Il faut ici préciser qu’il reconnaît qu’une épicondylite peut survenir par « effet cumulatif». Or, sa prise de position sur le sujet est discutable, puisque :

-     le travailleur a effectivement développé des problèmes à d’autres sites anatomiques; par exemple, voici ce que son médecin notait le 24 février 2005, plusieurs mois avant qu’un diagnostic d’épicondylite soit posé : « trouble récurrent a/n 2 mains, paresthésies a/n 1e-2e-3e. Actuellement pas symptomatique puisque au repos x automne. Travail reprend ds 1 mois […] Tinel + bilatéral »; de même, le médecin consulté le 22 juin 2005 a diagnostiqué un début de syndrome du canal carpien bilatéral, diagnostic qui a ultérieurement été confirmé;

-     le travailleur n’a travaillé en moyenne que six mois par année depuis le début des années 90 et il a agi comme délégué de chantier de temps à autre (l’équivalant en tout d'un an de travail); le docteur Kinnard n’a pas nié que ces facteurs sont susceptibles d’avoir retardé l’apparition de la pathologie;

-     lorsqu'il évalue à 20 ans la période d'exposition aux facteurs de risque, le docteur Kinnard inclut les années de travail comme peintre-débosseleur et peintre en bâtiment sans tenir compte du fait que, selon le témoignage du travailleur, il ne s'agissait pas d'emplois à temps plein;

-     au surplus, en réponse à une question de l'assesseur sur la durée de l'exposition aux facteurs de risque, le docteur Kinnard reconnaît qu'il « n'y a pas de chiffres magiques, puisque chaque individu a sa propre solidité et sa propre fragilité », et ce, après avoir confirmé que le métier de chaudronnier tel que décrit est un travail « forçant ».

[67]        Finalement, le tribunal rappelle que la thèse du travailleur est supportée au plan médical par le rapport d’expertise du docteur Tremblay. En effet, ce dernier conclut « qu’il y a une relation nette entre le travail effectué et l'apparition d'une épicondylite bilatérale » après avoir pris en considération l’utilisation d’un « chain block » et le fait que le travailleur « reçoit des contre-coups transmis par vibrations au niveau des deux membres supérieurs, par outils pneumatiques et par masse ». [sic]

[68]        Bref, la preuve prépondérante démontre que l’épicondylite bilatérale diagnostiquée a été contractée par le travailleur, par le fait ou à l’occasion de son travail, et qu'elle est reliée aux risques particuliers de ce travail.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Stéphane Rehel, le travailleur;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 10 février 2006 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 19 octobre 2005.

 

 

 

 

Raymond Arseneau

 

Commissaire

 

 

Me Pierre Pilote

GOWLING LAFLEUR HENDERSON s.r.l.

Représentant de : Entreprises Connolly & Twizell inc., Construction GDM inc., Les Entreprises GAD Mécanique inc., Entretien Paramex inc., Ganotec inc.

 

 

Me Yvan Lapointe

LEBLANC LALONDE & ASSOCIÉS

Représentant de : Entretien Industriel N-S inc., Liard Mécanique Industrielle inc., Kamteck Services inc., Mécanique CNC 2002 inc., Corp. Construction National, Montage d'Acier International inc., Lambert Somec inc., Gastier inc., Mécanique CNC inc.

 

 

Mme Caroline Gauthier

GROUPE-CONSEIL B&G inc.

Représentante de Hmi Construction inc.

 

 

Me Sonia Dumaresq

PANNETON LESSARD

Représentante de la partie intervenante

 



[1]     Notamment : deux documents de la CSST intitulés Troubles musculo-squelettiques énumérant les facteurs de risque associés aux pathologies de cette nature; un article tiré de la revue Prévenir aussi intitulé Les vibrations : des convictions ébranlées, volume 20, no 3, automne 2005; Serge SIMONEAU, Marie ST-VINCENT et Denise CHICOINE, Les LATR : mieux les comprendre pour mieux les prévenir, Saint-Léonard, Association pour la santé et la sécurité du travail, secteur fabrication de produits en métal et de produits électriques, Montréal, IRSST, 1996, 54 p.

[2]     Notamment : un article intitulé Épicondylite chronique, [En ligne] <http://www.vac-acc.gc.ca/providers_f/sub.cfm?source=dispen/elguide/chronepicon>; la traduction française d'une partie de l'étude « Elbow Musculoskeletal Disorders (Epicondylitis) : Evidence for Work-Relatedness », dans UNITED STATES, DEPARTMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES, PUBLIC HEALTH SERVICE, CENTERS FOR DISEASE CONTROL AND PREVENTION et Bruce P. BERNARD, Musculoskeletal Disorders and Workplace Factors : A Critical Review of Epidemiologic Evidence for Work-Related Musculoskeletal Disorders of the Neck, Upper Extremity, and Low Back, Washington, NIOSH, 1997, p. 4-1 - 4-19; une étude réalisée par R. Bencivenga, A. Carbone, S. Dondero, intitulée Vocational Rehabilitation in Change, mars 2002.

[3]     [En ligne] <http://www.cchst.ca/reponsessst/diseases/tennis_elbow>.

[4]     Lors de son témoignage, le travailleur a indiqué avoir utilisé d’autres outils non mentionnés au document. Par ailleurs, monsieur Lamothe a reconnu que le travailleur a aussi fait des travaux avec une rectifieuse sur ce chantier, sur de courtes périodes.

[5]     Ikka KUORINKA, Lina FORCIER, Mats HAGBERG, Barbara SILVERSTEIN, Richard WELLS, Michael J. SMITH, Hal W. HENDRICK, Pascale CARAYON, Michel PÉRUSSE, Les lésions attribuables au travail répétitif (LATR) : ouvrage de référence sur les lésions musculo-squelettiques liées au travail, Sainte-Foy, Éditions MultiMondes, Montréal, Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, Paris, Éditions Maloine, 1995, 510 p.

[6]     Précitée, note 2.

[7]     Il faut cependant préciser que le travailleur, selon son témoignage, ne travaillait habituellement pas durant les mois d’hiver.

[8]     Précitée, note 2.

[9]     Il inclut les années de travail à titre de peintre-débosseleur et peintre en bâtiment dans cette période.

[10]    L.R.Q., c. A-3.001.

[11]    Bernard CLICHE, Martine GRAVEL et Louis STE-MARIE, Les accidents du travail et les maladies professionnelles : indemnisation et financement, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, p. 317.

[12]    C.A. Montréal, 500-09-008169-997, 18 août 2000, jj. Michaud, Robert, Forget.

[13]    [1991] 1 R.C.S. 541 .

[14]    C.L.P. 221136-62-0311, 21 décembre 2005, S. Mathieu.

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