Péladeau c. Placements Péladeau inc. |
2020 QCCS 1373 |
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COUR SUPÉRIEURE (Chambre civile) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-094485-169 |
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DATE : |
LE 30 AVRIL 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
GÉRARD DUGRÉ, J.C.S. |
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ANNE-MARIE PÉLADEAU |
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Demanderesse |
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c. |
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LES PLACEMENTS PÉLADEAU INC. |
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Défenderesse |
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ÉRIK PÉLADEAU, PIERRE-KARL PÉLADEAU, MARIE-PIERRE PÉLADEAU, PAULE LAMONTAGNE, ès qualités de membre du conseil de tutelle, ROBIN MAYES, ès qualités de membre du conseil de tutelle, TRUST ÉTERNA, ès qualités de tutrice aux biens de Mme Anne-Marie Péladeau, SOCIÉTÉ DE FIDUCIE BMO, ès qualités de fiduciaire à la Fiducie Anne-Marie et Marie-Pierre Péladeau, et 9095-7697 QUÉBEC INC. |
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Mis en cause |
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JUGEMENT |
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I
table des matières
paragraphe
I. L’Introduction .......................................................................................................... [1]
II. Le CONTEXTE................................................................................................................ [5]
III. La preuve................................................................................................................... [53]
IV. les Questions en litige........................................................................................ [58]
V. l’Analyse.................................................................................................................... [60]
a. la demande en irrecevabilité et en rejet de ppi................................................. [60]
b. Les demandes de réouverture des débats........................................................ [66]
1. La demande de la demanderesse du 31 janvier 2020.................................... [66]
2. La demande de PPI du 25 mars 2020............................................................. [73]
c. le recours de la demanderesse......................................................................... [80]
1. La demande principale.................................................................................... [81]
a) Première proposition : la nature du recours principal est une demande
en exécution de contrat par équivalent.............................................................. [83]
b) Deuxième proposition : Anne-Marie et PPI ont conclu un véritable contrat
de vente........................................................................................................ [86]
c) Troisième proposition : l’article 5 du Protocole établit une modalité de
paiement du prix de vente dû à Anne-Marie par PPI......................................... [101]
d) Quatrième proposition : cette modalité de paiement est de la nature d’un
terme suspensif incertain ou indéterminé, et non une condition suspensive........ [112]
(i) L’article 5 du Protocole : clair ou ambigu?.................................................. [119]
- Ambiguïtés latentes............................................................................... [120]
- Ambiguïtés intrinsèques......................................................................... [123]
- Ambiguïtés extrinsèques........................................................................ [126]
- Conséquences absurdes........................................................................ [128]
- Effet potentiellement perpétuel................................................................ [131]
(ii) Interprétation de l’article 5 du Protocole..................................................... [134]
e) Cinquième proposition : l’art. 1510 C.c.Q. est applicable en l’espèce................ [159]
(i) Position des parties................................................................................. [160]
(ii) L’arrêt de la Cour d’appel.......................................................................... [163]
(iii) L’interprétation de l’art. 1510 C.c.Q........................................................... [171]
f) Sixième proposition : l’application de l’art. 1510 C.c.Q. aux faits de
l’espèce entraîne que les obligations contractées par PPI en vertu
du Protocole sont devenues irréfutablement exigibles le 9 août 2013................. [215]
g) Septième proposition : le recours principal d’Anne-Marie est donc
bien fondé puisque le 29 juin 2016, PPI était en défaut d’honorer ses
engagements contractuels causant ainsi à Anne-Marie un préjudice
certain, direct et prévisible de 38 515 328 $..................................................... [233]
h) Huitième proposition : le montant de la condamnation potentielle de
PPI doit être réduit de la somme de 2 323 000 $ comme le prévoit
notamment les articles 3 et 21 du Protocole................................................... [239]
i) Neuvième proposition : Anne-Marie est en droit de demander au tribunal
que la condamnation qui pourrait être prononcée en sa faveur le soit
plutôt en faveur de 9095................................................................................ [242]
2. La demande subsidiaire................................................................................. [248]
a) La nature de cette demande.......................................................................... [250]
b) L’application de l’art. 1512 C.c.Q................................................................... [252]
(i) La nature de l’obligation............................................................................ [267]
(ii) La situation des parties............................................................................ [270]
(iii) Toute circonstance appropriée.................................................................. [272]
3. L’intérêt et l’indemnité additionnelle............................................................... [277]
4. L’exécution provisoire.................................................................................... [303]
5. La réserve de droit......................................................................................... [325]
6. Les frais de justice......................................................................................... [330]
d. la conclusion déclaratoire sollicitée par ppi dans sa défense................... [333]
VI. la conclusion ....................................................................................................... [340]
le DISPOSITIF............................................................................................................ [343]
[3] La mise en cause Marie-Pierre Péladeau, par l’entremise de son procureur, appuie essentiellement la position de la demanderesse.
[4] PPI conteste vivement cette action et en sollicite le rejet. Elle demande en outre au tribunal de déclarer que sa proposition modifiée formulée pour la renégociation du Protocole est raisonnable.
II
[5] La demanderesse Anne-Marie Péladeau (« Anne-Marie ») [1] est la fille de feu Pierre Péladeau décédé le 24 décembre 1997. Elle bénéficie d’un régime de protection de tutelle à ses biens depuis 1993. Elle est la sœur des mis en cause Pierre-Karl Péladeau (« Pierre-Karl ») et Érik Péladeau (« Érik »), et la mère de la mise en cause Marie-Pierre Péladeau (« Marie-Pierre »).
[6] La défenderesse PPI est une société de portefeuille dont l’actionnaire de contrôle est le mis en cause Pierre-Karl.
[7] La mise en cause 9095 est une société par actions dont les actions de contrôle appartiennent à la Fiducie Anne-Marie et Marie-Pierre Péladeau (« Fiducie »). Cette Fiducie a été créée aux termes d’un acte de fiducie intervenu le 12 octobre 2000 devant le notaire Me Michel B. Paré, et son fiduciaire actuel est la mise en cause Société de Fiducie BMO. Les bénéficiaires de cette Fiducie sont Anne-Marie et sa fille Marie-Pierre. Au terme d’une convention unanime d’actionnaires, les pouvoirs du conseil d’administration de 9095 sont exercés par le fiduciaire, Société de Fiducie BMO[2].
[8] La mise en cause Trust Éterna est la tutrice aux biens d’Anne-Marie.
[9] La mise en cause Marie-Pierre est la filleule de Pierre-Karl et aussi membre du conseil de tutelle.
[10] La Société de Fiducie BMO est la seule actionnaire de 9095.
[11] Les mis en cause Paule Lamontagne et Robin Mayes sont membres du conseil de tutelle. Mme Lamontagne est aussi la marraine d’Anne-Marie.
* * *
[12] Le 24 décembre 1997, malheureusement, M. Pierre Péladeau décède.
[13] Dès 1998, une mésentente profonde s’installe entre ses héritiers.
[14] Le 6 mai 1999, Anne-Marie intente une demande d’injonction concernant notamment la succession de son père et 2327-7163 Québec inc. (« 2327 »).
[15] Le 10 juin 1999, M. Jean Péladeau, alors liquidateur et fiduciaire de la succession de feu Pierre Péladeau, intente un recours contre Anne-Marie visant la mise en place d’un régime de protection du majeur (tutelle au majeur).
[16] Le 11 novembre 1999, l’un des procureurs d’Anne-Marie, Me Gratien Boily de la firme Guy Bertrand & Associés, transmet à Me Robert P. Charlton, alors avocat représentant la succession, Pierre-Karl, Érik et al., un projet de procédure comportant diverses conclusions afin d’obtenir notamment la nullité de clauses du testament de feu Pierre Péladeau, la nullité des actes, gestes et décisions postérieures aux donations faites entre vifs par feu Pierre Péladeau et visant à intenter une action dérivée en sa qualité d’actionnaire majoritaire de 2327; à annuler tous règlements et résolutions adoptés par le conseil d’administration de 2327; et pour destituer Érik et Pierre-Karl à titre d’administrateurs de 2327[3].
[17] Dans sa lettre de transmission, Me Boily mentionne qu’Anne-Marie et ses avocats sont « prêts à entreprendre des négociations de bonne foi » pour rechercher une solution hors Cour des procédures pendantes. Il mentionne la date du 1er décembre 1999 comme date butoir des négociations, à défaut de quoi la procédure jointe à sa lettre, à titre de projet, sera intentée par sa cliente[4].
[18] C’est ainsi que les parties négocieront intensivement de novembre 1999 au 22 août 2000 afin de régler hors Cour l’ensemble des litiges qui les opposent.
[19] Le 22 février 2000, Me Boily propose aux procureurs de PPI que le rachat des actions ordinaires et privilégiées du capital-actions de PPI détenues par 2327 et celles de GPI inc. soit fait pour un prix de 75 M$, dont 7 M$ comptant payable à la signature des documents de règlement, et que le solde de 68 M$ soit payable sur une période de 19 ans avec perte du bénéfice du terme advenant le cas où Québecor inc. serait cédée à des tiers[5].
[20] Le 29 février, Pierre-Karl écrit ceci à son procureur Me Charlton, relativement à cette proposition du 22 février :
J’ai pris connaissance de la proposition de Me Boily. Malheureusement, nous ne pourrons y donner suite pour les raisons suivantes;
- le prix est trop élevé
- une somme déterminée est payable par année sans tenir compte des liquidités. Nous avions indiqué que nous pourrions payer 25% de montants reçus sous forme de dividende payable par QBR à PPI.
- Il ne saurait être question de perte de bénéfice du terme.
- Il ne saurait être question également de paiement additionnel dans quelques situations que ce soient.
- Il ne saurait être question de paiement anticipé en cas de décès de Anne Marie Péladeau.
- S’il devait y avoir transaction, les actions de 2327 seraient rachetées en contrepartie de nouvelles actions de PPI dont les modalités de rachat seront conformes aux dispositions ci-haut.[6]
[21] Entre le 22 juin et le 10 juillet 2000, des projets de protocole d’entente circulent entre les procureurs des parties.
[22] Le 12 juillet, une version soi-disant finale du protocole circule de nouveau entre les procureurs.
[23] Le 20 juillet, l’expert commun des parties Wise, Blackman soumet un rapport d’évaluation de la juste valeur marchande en date du 31 mai 2000 des 20 actions ordinaires de 2327 détenues par Anne-Marie. Ce rapport conclut que la juste valeur marchande des actions d’Anne-Marie, considérée globalement à la date de l’évaluation, se situe entre 38 000 000 $ et 53 200 000 $, soit 45 300 000 $[7]. Dans ce rapport, l’expert souligne que les actions d’Anne-Marie constituaient une participation minoritaire et non liquide dans la compagnie 2327; leur valeur devait donc faire l’objet d’un escompte important pour une participation minoritaire[8].
[24] Le 4 août 2000, un autre projet de protocole circule. Les clauses 1, 5, 7, 8, 17 et 22 sont essentiellement semblables au Protocole qui sera signé par les parties le 22 août 2000 (P-2).
[25] Puisque le projet de protocole daté du 4 août 2000 paraît contenir l’entente de principe intervenu entre les parties, l’expert Wise prépare et soumet le 9 août 2000 son opinion sur le caractère juste et raisonnable de la contrepartie offerte à Anne-Marie. Cette opinion est nécessaire afin d’obtenir un jugement de la Cour supérieure ratifiant la signature d’Anne-Marie et de sa tutrice aux biens, puisqu’elle fait l’objet d’un régime de protection, et donnant force exécutoire au Protocole signé. Sur la foi et sous réserve de ce qui est mentionné dans son rapport, la conclusion de l’expert est qu’à son avis « à la date des présentes [le 9 août 2000], la contrepartie de 55 000 000 $ est juste et raisonnable d’un point de vue financier à l’endroit d’Anne-Marie »[9].
[26] L’une des considérations sur laquelle l’expert fonde son opinion se lit ainsi :
d) Les 50 628,574 actions privilégiées de Placements émises à Nouco seraient vraisemblablement rachetées par Placements au plus tard quelque treize ans après la date des présentes, compte tenu du rachat annuel proposé (susmentionné), débutant le 1er janvier 2001.[10]
[27] Le 22 août 2000, le Protocole est signé par les personnes suivantes : Anne-Marie, Érik, Pierre-Karl, 2327, PPI, Trust Général du Canada et la Succession Pierre Péladeau. Le Protocole que les parties ont signé le 22 août est essentiellement semblable au projet de protocole du 4 août 2000 utilisé par l’expert commun Wise pour émettre son opinion sur le caractère juste et raisonnable de la contrepartie offerte à Anne-Marie et faisant l’objet de son rapport du 9 août 2000.
[28] Les stipulations du Protocole seront analysées en détail ci-après.
[29] Le 6 septembre 2000, Trust Général du Canada et Anne-Marie se portent requérantes afin notamment de faire ratifier leur signature du Protocole et ses annexes et afin que la Cour y donne acte. Cette requête n’est pas contestée et ce même 6 septembre, la juge Carol Cohen, de la Cour supérieure, rend jugement[11] dont on peut immédiatement noter les éléments pertinents suivants :
[…]
Considérant la preuve produite au dossier, y inclus les rapports d’expertise;
la cour :
accueille la requête;
[…]
ratifie la signature du protocole R-1 et ses annexes par la requérante Anne-Marie Péladeau ainsi que celle de la corequérante Trust Général du Canada;
[…]
donne acte du protocole R-1 et ses annexes intervenue entre les parties;
[…].
[30] La Fiducie prévue dans le Protocole est ensuite constituée et les bénéficiaires du capital sont Anne-Marie et sa fille Marie-Pierre selon les modalités prévues dans cet acte de fiducie[12].
[31] Le 13 octobre 2000, la convention de rachat d’actions prévue à l’article 18 du Protocole est signée par PPI et 2327[13].
[32] Ce même 13 octobre, la convention d’achat d’éléments d’actifs prévue à l’article 20 du Protocole est signée par 2327, à titre de vendeur, et par 9095, à titre d’acheteur[14].
[33] À partir de cette date, les actions privilégiées ne sont plus détenues par la demanderesse, mais par 9095, une société dont les actions sont détenues par la Fiducie que la demanderesse ne contrôle pas, elle n’en est que bénéficiaire.
[34] Comme on le verra, l’article 1 du Protocole prévoit que PPI convient de se porter acquéreur de tous les intérêts directs ou indirects d’Anne-Marie dans PPI en considération d’une somme de 55 M$, en tenant compte de certains éléments d’actifs, propriété de 2327, selon les termes et conditions stipulés dans le Protocole, notamment cette partie de l’article 5 qui est au cœur du présent débat et qui se lit ainsi :
[…] étant entendu qu'à compter de l'année 2001 aucun paiement ne sera effectué pour une année donnée si les dividendes versés à PPI par Québécor Inc. au cours de cette année sont inférieurs à quatre millions deux cent mille dollars (4 200 000 $) et le tout sous réserve du respect des Lois corporatives en vigueur.
(reproduit tel quel)
[35] À la suite de la signature du Protocole, la somme de 4 371 426 $ est considérée comme « payée » par PPI puisque la Succession Pierre Péladeau abandonne le contrôle de 2327, qui possède un portefeuille de placements de ce montant, en faveur de la Fiducie créée au bénéfice d’Anne-Marie et Marie-Pierre.
[36] Le prix de vente établi à 55 000 000 $ est donc réduit à 50 628 574 $.
[37] Après le remaniement du capital-actions de PPI, la signature de la convention de rachat d’actions et de la convention d’achat des éléments d’actifs de 2327 par 9095, cette dernière détiendra un montant total de 50 628 574 $ d’actions privilégiées catégories Y et Z dans le capital-actions de PPI[15].
[38] Dans le Protocole et dans la convention d’achat des éléments d’actifs de 2327 par 9095, cette dernière assume une dette de 2 323 000 $ due à PPI pour des avances, mais tant dans le Protocole que dans cette convention d’achat, PPI se réserve le droit d’en demander le remboursement, et ce, uniquement au moment des derniers rachats d’actions décrits à l’article 5 du Protocole[16].
[39] D’octobre 2000 à septembre 2001, 3 829 actions privilégiées catégorie Y sont rachetées par PPI et le prix de rachat versé à 9095 est de 3 829 246 $. Par conséquent, au 31 décembre 2001, le solde du prix de rachat des actions privilégiées catégories Y et Z s’élève à 46 799 328 $[17].
[40] Du 1er janvier 2002 à mai 2015, PPI n’effectue aucun rachat d’actions privilégiées[18].
[41] C’est dans ce contexte qu’Anne-Marie intente, le 14 septembre 2011, un recours en jugement déclaratoire fondé sur l’article 8 du Protocole qui prévoit essentiellement que « [t]out événement non prévu […] obligera les parties à renégocier de bonne foi les termes d’une nouvelle entente […] »[19].
[42] Le 6 janvier 2014, la Cour supérieure rejette ce recours[20].
[43] Le 21 octobre 2015, la Cour d’appel infirme ce jugement, accueille en partie la requête d’Anne-Marie et « déclare que, dans les circonstances de l'espèce, l'article 8 du protocole intervenu le 22 août 2000 oblige l’appelante, l’intimée et les mis en cause à renégocier de bonne foi les termes d’une nouvelle entente; […] »[21]. Nous y reviendrons.
[44] C’est ainsi que du 22 octobre 2015 au 28 juin 2016, Anne-Marie, PPI et leurs procureurs tentent de renégocier les termes d’une nouvelle entente, mais sans succès.
[45] Aucune nouvelle entente n’ayant été conclue, Anne-Marie intente le 29 juin 2016 le présent recours en exécution de contrat par équivalent et, subsidiairement, en fixation de terme.
[46] Ce recours sera modifié à deux reprises pour finalement, en date du 29 avril 2019, être intitulé « Demande remodifiée du 29 avril 2019 pour obtenir l’exécution par équivalent d’une obligation ou, subsidiairement, pour fixer un terme pour l’exécution d’une obligation ou, subsidiairement, en annulation d’une entente» et comporter les conclusions suivantes :
accueillir la présente demande;
condamner Les Placements Péladeau inc. à payer à 9095-7697 Québec inc. 88 471 709 $ avec intérêts au taux légal selon l’article 1617 C.c.Q. et l’indemnité additionnelle calculés à compter de la signification de la présente demande, déduction faite des sommes payées à 9095-7697 Québec inc. pour racheter les actions Y et Z;
ou subsidiairement :
condamner Les Placements Péladeau inc. à payer à 9095-7697 inc. la somme de 38 515 328 $;
condamner Les Placements Péladeau inc. à payer 9095-7697 Québec inc. les intérêts au taux légal selon l’article 1617 C.c.Q. et l’indemnité additionnelle depuis le 10 août 2013 calculés sur les soldes dus depuis cette date conformément à la pièce D-70;
Fixer les termes suivants pour le rachat par Les Placements Péladeau inc. des actions Y et/ou Z du capital-actions de 9095-7697 Québec inc. :
1er janvier 2009 : 6419.222 actions Y et/ou Z (6 419 222 $) avec intérêts calculés au taux légal à compter du 3 mars 2011 selon l’article 1617 C.c.Q. et l’indemnité additionnelle calculée à compter du jour de l’introduction de la présente procédure;
1er janvier 2010 : 6419.222 actions Y et/ou Z (6 419 222 $) avec intérêts calculés au taux légal à compter du 3 mars 2011 selon l’article 1617 C.c.Q. et l’indemnité additionnelle calculée à compter du jour de l’introduction de la présente procédure;
1er janvier 2011 : 6419.222 actions Y et/ou Z (6 419 221 $) avec intérêts calculés au taux légal à compter du 3 mars 2011 selon l’article 1617 C.c.Q. et l’indemnité additionnelle calculée à compter du jour de l’introduction de la présente procédure;
1er janvier 2012 : 6419.222 actions Y et/ou Z (6 419 221 $) avec intérêts calculés au taux légal à compter du 3 mars 2011 selon l’article 1617 C.c.Q. et l’indemnité additionnelle calculée à compter du jour de l’introduction de la présente procédure;
1er janvier 2013 : 6419.222 actions Y et/ou Z (6 419 221 $) avec intérêts calculés au taux légal à compter du 1er janvier 2013 selon l’article 1617 C.c.Q. et l’indemnité additionnelle calculée à compter du jour de l’introduction de la présente procédure;
1er janvier 2014 : 6419.222 actions Y et/ou Z (6 419 221 $) avec intérêts calculés au taux légal à compter du 1er janvier 2014 selon l’article 1617 C.c.Q. et l’indemnité additionnelle calculée à compter du jour de l’introduction de la présente procédure;
Condamner Les Placement Péladeau inc. à payer les sommes dues pour effectuer les rachats d’actions ci-haut mentionnés au plus tard 60 jours après le jugement à être rendu sur la présente demande;
Et, dans tous les cas :
Prendre acte de l’offre de 9095-7697 Québec inc. de rétrocéder les actions Y et Z qu’elle détient à Les Placements Péladeau Inc. sur réception du paiement de la condamnation;
Permettre à Les Placements Péladeau inc. d’opérer compensation sur le montant dû en capital et intérêts jusqu’à concurrence de la somme de 2 323 000 $, imputable à parfait paiement de la condamnation;
réserver aux parties le droit de s’adresser à la Cour supérieure conformément aux art. 657 et suiv. C.p.c.;
ordonner l’exécution provisoire du jugement, en tout ou en partie, nonobstant appel;
le tout, avec les frais de justice et les frais d’experts en faveur de la demanderesse;[22]
[47] Le 5 avril 2019, PPI produit une défense modifiée particulièrement étoffée par laquelle elle sollicite les quatre conclusions suivantes :
Déclarer l’action de la Demanderesse irrecevable en faits et en droit;
Rejeter l’action de la Demanderesse;
Déclarer que proposition formulée par la Défenderesse pour la renégociation du Protocole P-2 et contenue à la lettre P-20 du 22 février 2016 et modifiée par la proposition D-64 du 27 mars 2019 est raisonnable eu égard à toutes les circonstances pertinentes en ce qu’elle permet de pallier aux conséquences de l’événement non prévu identifié par la Cour d’appel dans l’arrêt R-10 (absence de rachat prolongée) tout en portant le moins possible atteinte aux termes du Protocole;
Condamner la demanderesse aux frais de justice incluant les frais d’expertise.
(reproduit tel quel)
[48] Il importe de souligner que du 1er janvier 2015 à la fin de juin 2016, des rachats d’actions privilégiées catégorie Y avaient été effectués par PPI pour un montant total de 1 836 000 $ portant ainsi le solde du prix de rachat, et du prix de vente, à 44 963 328 $[23].
[49] Au 29 juin 2016, la valeur des biens vendus par Anne-Marie s’élevait approximativement à 600 M$, tandis qu’elle n’a reçu de PPI que 10 036 672 $ sur le prix de vente convenu de 55 M$[24].
[50] À la date du procès en avril 2019, les biens vendus à PPI, et dont cette dernière jouit depuis octobre 2000, avaient une valeur approximative de 900 M$, mais Anne-Marie n’a alors reçu que 16 484 672 $ sur le prix de vente convenu de 55 M$.
[51] Au terme du procès, le solde du prix de vente s’élève donc à 38 515 328 $. Toutefois, à cette date, 9095 doit toujours rembourser les avances à PPI qu’elle a assumées au montant de 2 323 000 $, mais dues uniquement au moment des derniers rachats d’actions privilégiées, le tout sans intérêt[25].
[52] C’est sur cette toile de fond que le tribunal doit maintenant trancher les demandes des parties.
III
[53] Lors de l’instruction, Anne-Marie n’a pas témoigné, mais ses procureurs ont fait entendre son frère Pierre-Karl, M. Richard M. Wise et la notaire Geneviève Coupal (Fiducie BMO). De plus, le professeur Martin Boyer, Ph. D., expert en finances et économie de la firme Embec, a témoigné et produit son rapport d’expertise (P-23). Enfin, plusieurs pièces ont été produites[26], incluant la transcription de l’interrogatoire hors Cour de Pierre-Karl tenu le 25 janvier 2017.
[54] Au soutien de sa défense, PPI a produit une preuve substantielle[27] et a fait entendre Pierre-Karl, Me Robert P. Charlton, M. Pierre Laurin, Ph.D. (ancien membre du conseil d’administration de Québecor) et Mme Chantal Lalonde (administratrice de PPI). M. Alain Lajoie, expert en juricomptabilité de la firme Quotient Juricomptables, a également témoigné sur son rapport d’expertise produit en preuve (D-54).
[55] Au cours du délibéré, les procureurs de PPI ont sollicité une réouverture des débats (art. 323 C.p.c.) afin qu’un communiqué de presse daté du 9 mai 2019 de Québecor inc. sur ses résultats financiers consolidés pour le premier trimestre de 2019 soit produit au dossier de la Cour. Cette demande fut accordée par le tribunal[28] et ce communiqué a été produit sous la cote D-75.
[56] Une seconde demande pour réouverture des débats (fondée sur les art. 25, 49 et 323 C.p.c.) a été présentée le 31 janvier 2020, cette fois par les procureurs de la demanderesse, afin de produire une lettre de Pierre-Karl du 16 janvier 2020 adressée à Me Guy Bertrand. Puis une troisième demande fut présentée par les procureurs de PPI essentiellement afin d’administrer une preuve concernant une récente hausse du dividende de Québecor et de son incidence sur les rachats d’actions, un communiqué de presse émis le 12 mars 2020 et un tableau à jour des rachats d’actions et des versements. Ces demandes seront tranchées ci-après.
[57] Les parties n’ont ménagé aucun effort pour faire la preuve et la démonstration de leurs prétentions respectives[29]. Le tribunal relatera les éléments de preuve pertinents dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour trancher les questions en litige.
IV
[58] Ces questions en litige sont les suivantes :
a. La demande en irrecevabilité et en rejet de la défenderesse est-elle bien fondée?
b. Les demandes de réouverture des débats devraient-elles être accueillies?
c. Le recours de la demanderesse est-il, en tout ou en partie, bien fondé?
d. La conclusion déclaratoire sollicitée par PPI dans sa défense doit-elle être accueillie?
* * *
[59] La position de chacune des parties sera énoncée dans le cadre de la réponse donnée à chacune de ces questions.
V
a. La demande en irrecevabilité et en rejet de la défenderesse est-elle
bien fondée
[60] PPI, Érik et Pierre-Karl ont présenté au stade interlocutoire une demande en irrecevabilité et en rejet de certaines conclusions recherchées par la demanderesse[30]. Lors de la présentation de cette demande en décembre 2016, un juge de cette Cour l’a déférée au juge du fond. Il convient donc d’entrée de jeu de la trancher en tant que demande en cours d’instance.
[61] Les procureurs de PPI et des mis en cause Érik et Pierre-Karl plaident que la conclusion principale et les premières conclusions subsidiaires - telles qu’elles se lisaient le 30 septembre 2016 - sont irrecevables puisqu’Anne-Marie n’a pas l’intérêt juridique suffisant pour agir au nom de 9095 et que les demandes contenues à ses conclusions ne sont pas fondées en droit, même en tenant les faits allégués pour avérés. Subsidiairement, ils soutiennent que la conclusion principale et les premières conclusions subsidiaires devraient être supprimées aux motifs qu’elles sont manifestement mal fondées et constituent un abus de procédure au sens de l’art. 51 C.p.c ou, à tout le moins, qu’elles soient modifiées.
[62] La demanderesse reproche à PPI d’être en défaut de respecter ses engagements contractuels convenus aux articles 1 et 5 du Protocole, notamment le paiement du prix de vente et le rachat de la totalité des actions privilégiées qui sont exigibles, selon elle, depuis le 9 août 2013.
[63] Or, le moment de l’exigibilité de ce paiement et de ce rachat est, en l’espèce, une question mixte de fait et de droit. Un procès est donc nécessaire pour trancher cette question.
[64] Appliquant les principes régissant de telles demandes interlocutoires, le tribunal conclut que cette requête doit être rejetée essentiellement à cause du principe de prudence qui doit guider le tribunal : d’abord lorsqu’il décide d’un moyen d’irrecevabilité fondé sur l’absence manifeste d’intérêt[31]; ensuite lorsqu’il tranche un moyen d’irrecevabilité fondé sur l’art. 168 al. 2 C.p.c.[32]; et enfin lorsqu’il statue sur une demande en rejet fondée sur les art. 51 et suiv. C.p.c.[33].
[65] Quoi qu’il en soit, comme on le verra, l’article 1 du Protocole confirme qu’Anne-Marie a l’intérêt juridique pour agir en l’instance.
b. Les demandes de réouverture des débats
1. La demande de réouverture des débats de la demanderesse du 31 janvier 2020 devrait-elle être accueillie?
[66] Au cours du délibéré, la demanderesse a présenté une demande pour réouverture des débats[34]. Il s’agit, on l’a vu, de la seconde demande de réouverture, la première ayant été présentée par PPI et tranchée le 28 juin 2019 (2019 QCCS 2552).
[67] Cette demande vise à produire en preuve une lettre du 16 janvier 2020 de Pierre-Karl, à titre de président de PPI, adressée à Me Guy Bertrand, membre de l’autre cabinet d’avocats représentant Anne-Marie, l’informant qu’en raison de ses préoccupations relatives aux honoraires d’avocats payables par la demanderesse, il a décidé de retenir les sommes payables en vertu du Protocole.
[68] PPI conteste cette demande de réouverture puisque, selon elle, le troisième critère nécessaire pour rouvrir les débats ne serait pas rempli.
[69] Les trois conditions cumulatives nécessaires pour rouvrir les débats sont les suivantes : (a) le nouvel élément de preuve découvert était inconnu de la demanderesse au moment de l’audition; (b) il lui était impossible, malgré sa diligence, de les connaître avant l’audition; et (c) ce nouvel élément de preuve pourrait avoir une influence déterminante sur la décision à prendre[35].
[70] Après analyse le tribunal est d’avis de faire droit à cette demande et de permettre à la demanderesse de produire la lettre R-2 comme pièce, au mérite, portant la cote P-48.
[71] En effet, le tribunal est d’avis que les trois conditions cumulatives nécessaires à la réouverture des débats sont remplies en l’espèce. Cette pièce est importante et pertinente afin de permettre à la demanderesse de contredire une affirmation de Pierre-Karl faite en l’instance[36], et pour trancher la demande d’exécution provisoire réclamée par cette dernière.
[72] Enfin, la correspondance subséquente de PPI n’a pas convaincu le tribunal que cette demande est devenue sans objet[37].
2. La demande de réouverture des débats de PPI du 25 mars 2020 devrait-elle être accueillie?
[73] Le 25 mars 2020, PPI a soumis au tribunal une autre demande pour réouverture des débats et pour suspension de l’instance[38]. Cette demande vise essentiellement à administrer de la preuve concernant une récente hausse du dividende de Québecor et de son incidence sur les rachats d’actions prévus au Protocole par le dépôt en preuve d’un communiqué de presse émis le 12 mars 2020 par Québecor et un tableau à jour des rachats d’actions.
[74] Le 3 avril, les procureurs de la demanderesse ont avisé le tribunal qu’ils étaient prêts à accepter la production de cette preuve, mais sous certaines réserves alors qu’ils ne présentent aucune demande pour produire eux-mêmes une preuve additionnelle.
[75] Après analyse, le tribunal fera droit à cette demande et permettra à PPI de produire les pièces R-1 et R-2 sous les cotes respectives suivantes :
· D-76 : Communiqué de presse émis le 12 mars 2020 par Québecor
· D-70.1 : Tableau des rachats d’actions
[76] En effet, ces deux pièces complètent notamment la pièce D-70 déjà produite en preuve.
[77] Cela dit, deux remarques s’imposent.
[78] Premièrement, le nouveau tableau des rachats d’actions D-70.1 indique clairement « versements estimés pour 2020 », « solde estimé au 31 décembre 2020 »; « solde projeté au 31 décembre 2021 ». Partant, cette nouvelle preuve ne prouve pas que les prix de rachat y mentionnés sont payés par PPI ni qu’ils sont reçus par 9095. C’est donc le solde encore impayé à la date du procès qui est pertinent : 38 515 328 $.
[79] Deuxièmement, cette nouvelle preuve aurait aussi pu être présentée lors de l’exécution, volontaire ou forcée, du jugement, et tout problème résolu sur simple requête, fondée sur l’art. 659 C.p.c., instruite et jugée sans délai.
c. Le recours de la demanderesse est-il, en tout ou en partie, bien fondé?
1. La demande principale
[81] Pour déterminer si cette demande principale est fondée, le tribunal énoncera une série de propositions et expliquera ensuite pour chacune d’elles les raisons pour lesquelles il est d’avis qu’elle est bien fondée à la lumière de la preuve et du droit.
[82] D’entrée de jeu, le tribunal annonce immédiatement sa conclusion sur cette demande principale : elle est bien fondée à hauteur de 36 192 328 $ parce que le rachat de la totalité des actions privilégiées, donc le paiement du prix de rachat, et le paiement du prix de vente des intérêts directs et indirects d’Anne-Marie sont exigibles depuis le 9 août 2013, et que PPI était en défaut d’honorer ses engagements, contractés en vertu du Protocole, lors de l’assignation en justice le 29 juin 2016.
a) Première proposition : la nature du recours principal est une demande en exécution de contrat par équivalent
[83] Le recours principal intenté par la demanderesse est de la nature d’une demande en exécution de contrat par équivalent[39].
[84] Anne-Marie soutient qu’au moment de l’institution de son action le 29 juin 2016, PPI était en défaut d’honorer ses engagements contractés en vertu du Protocole, et ce, depuis leur exigibilité le 9 août 2013. Selon elle, ce défaut lui a causé un préjudice qu’elle évalue à 88 471 709 $ ou, subsidiairement, à 38 515 328 $.
[85] PPI rétorque que ses engagements contractuels sont inexistants puisqu’ils dépendent d’une condition suspensive qui n’est pas encore accomplie[40]. Ce recours principal devrait donc être rejeté[41].
b) Deuxième proposition : Anne-Marie et PPI ont conclu un véritable
contrat de vente
[87] L’article 1 du Protocole se lit comme suit :
en conséquence, les parties conviennent de ce qui suit :
1. Le préambule fait partie intégrante des présentes.
[88] Or, ce préambule se lit en partie comme suit :
attendu que PPI a convenu de se porter acquéreur de tous les intérêts directs ou indirects d’Anne-Marie Péladeau dans PPI en considération d’une somme de cinquante cinq millions de dollars (55 000 000 $), en tenant compte de certains éléments d’actifs propriété de 2327, selon les termes et conditions ci-après stipulés;
[…]
attendu qu’il y a lieu de structurer la transaction de manière à sauvegarder les meilleurs intérêts d’Anne-Marie Péladeau et de sa fille Marie-Pierre Péladeau à tous égards comme ci-après stipulé :
[89] Partant, il est manifeste qu’Anne-Marie et PPI ont convenu que cette dernière achète tous les intérêts directs ou indirects d’Anne-Marie dans PPI pour un prix de vente de 55 M$ en tenant compte d’actifs de 2327 totalisant 4 371 426 $. Il s’agit clairement d’un contrat de vente au sens de l’art. 1708 C.c.Q. dont le premier alinéa se lit ainsi :
1708. La vente est le contrat par lequel une personne, le vendeur, transfère la propriété d’un bien à une autre personne, l’acheteur, moyennant un prix en argent que cette dernière s’oblige à payer.
[90] En signant le Protocole le 22 août 2000, la vente est dès lors conclue. L’obligation de vendre et de délivrer les biens vendus incombant à Anne-Marie est ferme. L’obligation d’acheter et de payer le prix de vente incombant à PPI est elle aussi ferme.
[91] Cette vente convenue par les parties à l’article 1 du Protocole a même été confirmée le 13 octobre 2000 par le document intitulé « Confirmation » qui se lit en partie comme suit :
confirmation
En référence au Protocole de règlement intervenu entre les soussignés le 22 août 2000 (le « Protocole »), les soussignés confirment que les transactions et éléments prévus aux articles 4 à 8 et 10 à 22 inclusivement du Protocole ont été mis en œuvre et pris en compte dans la documentation (la « Documentation ») prévue à l’échéancier ci-joint, qui a par ailleurs été signée ce jour ou avant, et les soussignés s’en déclarent pleinement satisfaits. En conséquence, les soussignés conviennent que la Documentation a dorénavant préséance sur les dispositions du Protocole qui lui seraient incompatibles, les dispositions des autres articles du Protocole étant confirmés. [42]
[92] Cette véritable vente intervenue entre Anne-Marie et PPI est de surcroît confirmée par la délivrance des biens vendus à PPI, et ce, dès le 13 octobre 2000[43]. En effet, tant les termes du Protocole que de la convention de rachat d’actions (D-47) et de la convention d’achat d’éléments d’actifs (D-48) confirment que PPI a pris possession au plus tard à cette date de tous les intérêts directs et indirects d’Anne-Marie dans PPI conformément au contrat de vente intervenu en vertu de l’article 1 du Protocole.
[93] Ainsi, Anne-Marie n’a jamais renoncé à exiger le paiement complet du prix de vente que PPI s’est engagée à lui payer conformément à l’article 1 du Protocole[44]. L’article 34 du Protocole confirme qu’Anne-Marie n’a jamais donné quittance à PPI pour le prix de vente qui lui est dû et qui n’a pas encore été payé[45]. D’ailleurs, « nul n’est censé renoncer à ses droits »[46].
[94] PPI soutient qu’il est inexact de prétendre qu’en exécution du Protocole, la demanderesse a cédé ses intérêts indirects dans PPI. Selon elle, les actions que 2327 détenait dans PPI ont été converties en actions privilégiées[47] et la totalité des actifs de 2327, incluant les actions privilégiées, ont été transférées à une nouvelle société (9095)[48]. Elle souligne en outre que la totalité des actions de 9095 a été souscrite par la Fiducie[49] dont la demanderesse et sa fille sont les bénéficiaires. PPI en conclut que 9095 conserve donc dans son patrimoine les actions privilégiées tant que celles-ci ne sont pas rachetées par PPI. En ce sens, elle soutient que la demanderesse conserve, bien qu’indirectement, sa contrepartie prévue au Protocole et ne l’a pas « entièrement acquittée » tant que PPI ne lui a pas versé toute la contrepartie prévue en application de la formule prévue à l’article 5 du Protocole[50].
[95] Cette prétention est mal fondée en fait et en droit et doit donc être écartée. Les 180 actions ordinaires et les actions privilégiées détenues par 2327 dans le capital-actions de PPI - intérêts indirects d’Anne-Marie dans PPI - vendues suivant l’article 1 du Protocole ont été converties en 43 307,328 actions privilégiées catégorie Z et en 7 321,246 actions privilégiées catégorie Y comme le confirment l’article 17 du Protocole et la convention de rachat d’actions.
[96] Cette conversion d’actions a entraîné, tant sur le plan corporatif que civil et fiscal[51] la disposition et l’aliénation de ces actions ordinaires et privilégiées pour une contrepartie de 50 628 574 $. En effet, immédiatement après la conversion d’actions, 2327 détenait des actions privilégiées catégories Y et Z d’une valeur de 50 628 574 $ dans le capital-actions de PPI. Que la conversion d’actions effectuée conformément à la loi constitutive de PPI soit qualifiée de contrat d’échange[52] ou de contrat innomé, il est incontestable que par cette conversion, Anne-Marie a disposé et délivré à PPI ses intérêts indirects dans PPI[53]. Selon la preuve, cette disposition ou aliénation des intérêts d’Anne-Marie dans PPI est bien réelle puisque, d’une part, au procès, ces intérêts indirects disposés et aliénés par l’effet de la conversion avaient, à la date du procès, une valeur approximative de 900 M$, alors que, d’autre part, la contrepartie reçue a toujours été de 50 628 574 $ puisque les actions privilégiées catégories Y et Z sont rachetables au prix de 1 000 $ par action au gré de PPI.
[97] En somme, PPI a tort de prétendre que l’article 5 du Protocole est un « mécanisme » pouvant faire varier le prix de vente ferme de 55 M$ stipulé à l’article 1 du Protocole.
[98] Bref, le Protocole est certes un contrat sui generis, mais sa nature relève essentiellement du contrat de vente. C’est d’ailleurs l’avis de la Cour d’appel[54].
[99] Toutefois, cette vente est faite « selon les termes et conditions ci-après stipulés ». Quel est le sens et la portée de cette stipulation?
[100] Après analyse, le tribunal conclut que cette expression est un anglicisme et signifie « selon les modalités ci-après stipulées ». Or, en l’espèce, la principale modalité en litige est celle stipulée à l’article 5 du Protocole, laquelle sera analysée en profondeur dans le cadre de la troisième proposition sur laquelle il convient maintenant de se pencher.
c) Troisième proposition : l’article 5 du Protocole établit une modalité de paiement du prix de vente dû à Anne-Marie par PPI
[102] Au terme de leurs négociations, Anne-Marie et PPI ont convenu de l’article 5 du Protocole. Cet article est au cœur du présent litige.
[103] Les extraits pertinents de cet article 5 du Protocole se lisent ainsi :
5. PPI procédera à la conversion (décrite au paragraphe 17) de toutes les actions de son capital détenues par 2327 en cinquante mille six cent vingt-huit et cinq cent soixante-quatorze millièmes (50,628.574) actions privilégiées de son capital qu'elle s'engage à racheter en considération d'un prix de rachat de mille dollars (1 000 $) par action, soit pour un prix total de cinquante millions six cent vingt-huit mille cinq cent soixante-quatorze dollars (50,628,574 $), à raison de deux mille cent vingt-huit et cinq cent soixante-quatorze millièmes (2,128.574) actions pour un prix de deux millions cent vingt-huit mille cinq cent soixante-quatorze dollars (2,128,574 $), au plus tard vingt-cinq (25) jours après le dépôt du jugement à intervenir en rapport avec le présent protocole, le tout tel que prévu au paragraphe 19; le solde des actions à savoir quarante-huit mille cinq cents (48,500) actions sera racheté par PPI à compter du premier janvier 2001 chaque année à raison d'un nombre d'actions déterminé en fonction des dividendes versés par Québécor Inc. et correspondant
• à 25 % de toute somme reçue au cours de l'année en question par PPI à titre de dividendes déclarés par Québécor Inc., sur la première tranche de huit millions de dollars (8 000 000 $); et
• 33 1/3 % de toute tranche de dividendes excédant huit millions de dollars (8 000 000 $);
étant entendu qu'à compter de l'année 2001 aucun paiement ne sera effectué pour une année donnée si les dividendes versés à PPI par Québécor Inc. au cours de cette année sont inférieurs à quatre millions deux cent mille dollars (4 200 000 $) et le tout sous réserve du respect des Lois corporatives en vigueur.[55]
(soulignement ajouté)
[104] Anne-Marie soutient qu’il s’agit d’une modalité de paiement du prix de vente. Pour sa part, PPI prétend qu’il s’agit d’un « mécanisme » pouvant aller jusqu’à influer sur le montant du prix de vente de 55 M$.
[105] Après analyse et à la lumière de la preuve, du texte et du contexte du Protocole, le tribunal conclut que l’article 5 est une modalité de paiement du prix de vente dû par PPI en vertu de l’article 1 du Protocole. Voici pourquoi.
[106] Premièrement, le lien direct entre le paiement du prix de vente de 55 M$ stipulé à l’article 1 du Protocole et le rachat des actions privilégiées totalisant 50 628 574 $ prévu à son article 5 est évident. Ce lien est d’ailleurs confirmé par la pièce D-70 préparée et produite par PPI. Selon ce tableau, tout montant versé par PPI pour racheter les actions privilégiées catégories Y et Z réduit le prix de vente de 55 M$ dans la même mesure.
[107] Deuxièmement, par la conversion des actions ordinaires et privilégiées détenues par 2327 dans le capital-actions de PPI (intérêts indirects d’Anne-Marie dans PPI), PPI s’assure de la délivrance de ces intérêts indirects vendus par Anne-Marie. Cette modalité précise aussi que le prix de vente pourra être payé par le rachat des actions privilégiées catégories Y et Z, lesquelles sont rachetables pour la somme de 50 628 574 $, la différence de 4 371 426 $ étant certains autres éléments d’actifs de 2327.
[108] Troisièmement, rien dans le Protocole n’interdit à PPI de payer le prix de vente dû à Anne-Marie et d’exiger que 9095 lui remette les actions privilégiées cat. Y et Z qui sont toujours en sa possession, par exemple, pour minimiser les conséquences fiscales conformément à l’engagement stipulé à l’article 22 du Protocole[56].
[109] PPI plaide que la demanderesse soutient à tort que le mécanisme de rachat des actions privilégiées prévu à l’article 5 n’est que le moyen de lui verser la contrepartie qui lui est due. Selon PPI, ce mécanisme fait partie intégrante de la contrepartie prévue au Protocole et sur laquelle les parties se sont entendues. Selon elle, cette contrepartie n’est pas simplement une somme d’argent : elle est une somme d’argent en fonction des dividendes de Québecor, laquelle est versée en échange d’un certain nombre d’actions privilégiées qui sont rachetées[57]. Cette prétention de PPI est sans fondement. L’article 5 établit une modalité de paiement du prix de vente ferme convenu à l’article 1 du Protocole comme le confirme notamment le prix de rachat des actions privilégiées catégories Y et Z fixé à 1 000 $ par action.
[110] En somme, le tribunal est convaincu que cet article 5 du Protocole n’est qu’une modalité de paiement du prix de vente dû par PPI en vertu de l’article 1.
[111] C’est ce qui amène le tribunal à formuler la quatrième proposition qu’il importe maintenant d’examiner.
d) Quatrième proposition : cette modalité de paiement est de la nature d’un terme suspensif incertain ou indéterminé, et non une condition suspensive
[112] Selon la demanderesse, l’article 5 du Protocole est une modalité de l’obligation de payer le prix de vente qui est de la nature d’un terme. Pour PPI, l’article 5 du Protocole prévoit au contraire un mécanisme qui est de la nature d’une condition suspensive.
[113] La question de savoir si l’article 5 du Protocole est de la nature d’une condition ou d’un terme est singulièrement épineuse.
[114] Le chapitre cinquième du titre premier du livre cinquième du Code civil du Québec porte le titre « Des modalités de l’obligation ». Les art. 1497 à 1507 régissent l’obligation conditionnelle, alors que les art. 1508 à 1517 concernent l’obligation à terme.
[115] Tout comme dans le cas de la durée d’un contrat, la modalité d’une obligation de payer un prix de vente ne doit pas être « qualifiée », mais interprétée à la lumière de son libellé, sauf si elle est claire, et alors elle doit être obligatoirement appliquée par le tribunal (Uniprix, par. 39 et 34)[58].
[116] PPI soutient que l’article 5 est clair et que le tribunal ne peut donc l’interpréter, mais seulement l’appliquer.
[117] Pour la demanderesse, cet article 5 n’est pas une modalité de la nature d’une condition suspensive, mais il s’agit d’une modalité de la nature d’un terme. Elle se fonde notamment sur l’intention des parties comme le fait la Cour d’appel au par. 65 de son arrêt (2015 QCCA 1724).
[118] La règle de droit est néanmoins formelle : le tribunal ne peut interpréter - donc faire appel à l’intention des parties - lorsque le contrat est clair. Partant, il faut déterminer si l’article 5 est clair ou ambigu. Une fois cette question tranchée, le tribunal pourra alors savoir s’il peut ou non interpréter cet article du Protocole.
i) L’article 5 du Protocole : clair ou ambigu?
· Ambiguïtés latentes
[121] Si l’article 5 comporte une condition - comme le prétend PPI - il serait donc possible qu’Anne-Marie ne reçoive jamais paiement du prix de vente qui lui est dû si la « condition », qui y est prévue selon elle, ne se réalise pas, alors qu’elle a délivré à PPI tous les biens vendus en octobre 2000. Cette conséquence pour le moins extraordinaire nécessite que le tribunal détermine s’il s’agit là de la véritable intention commune des parties.
[122] Il en est de même des termes « si les dividendes versés à PPI par Québecor Inc. au cours de cette année sont inférieurs à quatre millions deux cent mille dollars (4 200 000 $) » lorsqu’ils sont lus en conjonction avec les termes « au moment des derniers rachats » utilisés aux articles 3 et 21 du Protocole. Le rachat des actions privilégiées est-il vraiment subordonné à une condition? Le tribunal doit trancher cette question.
· Ambiguïtés intrinsèques
[124] La conjonction « si » utilisée dans l’expression « si les dividendes versés à PPI par Québecor Inc. … » peut avoir deux significations : avoir le sens d’une condition, « à condition que » ou le sens d’un moment, « quand, lorsque ».
[125] PPI soutient qu’il s’agit d’une condition suspensive. Pourtant, à l’article 3 du Protocole, on peut lire « au moment des derniers rachats d’actions décrits ou à intervenir au paragraphe 5 ci-après »[59]. Les termes « au moment des derniers rachats » donnent franchement à penser que le rachat d’actions s’apparente plutôt à un moment qu’à une condition. De plus, il serait pour le moins étonnant que le rachat d’actions soit un terme pour la créance de 2 323 000 $ due à PPI, mais que ces mêmes rachats d’actions soient par ailleurs sujets à une condition suspensive quant au paiement du prix de vente dû à Anne-Marie. Ces ambiguïtés manifestes doivent être clarifiées.
· Ambiguïtés extrinsèques
[127] Si PPI a raison de prétendre que l’article 5 comporte une condition suspensive, la preuve ne révèle pas qu’elle ait payé des intérêts sur le prix de rachat versé par PPI de 2001 à 2019 alors que, en toute logique, elle aurait dû payer de tels intérêts à compter du 22 août 2000, vu l’effet rétroactif d’une condition accomplie[60].
· Conséquences absurdes
[129] De plus, même si ce seuil minimal de dividendes annuel de 4,2 M$ est atteint, le rachat et le paiement du prix de rachat, et donc le paiement du prix de vente dû à Anne-Marie, ne seraient complétés qu’en mars 2047, alors que PPI est en possession des biens vendus par Anne-Marie depuis octobre 2000.
[130] Enfin, si PPI a raison et que le rachat et le prix de rachat sont assujettis à une condition suspensive, il se pourrait même que le prix de vente dû à Anne-Marie ne soit jamais payé.
· Effet potentiellement perpétuel
[132] De surcroît, 2327, 9095, PPI et Québecor sont des personnes morales; leur existence est donc perpétuelle[61]. Par conséquent, suivant cet article 5, Anne-Marie pourrait devoir attendre une éternité avant de « peut-être » recevoir le paiement du prix de vente qui lui est dû alors que, on le sait, PPI est en possession des biens vendus depuis octobre 2000[62].
[133] En somme, pour tous ces motifs, le tribunal n’a aucune hésitation à conclure que l’article 5 est non seulement ambigu, mais à première vue absurde. Le tribunal doit donc procéder à son interprétation afin d’en dégager les véritables sens et portée.
ii) Interprétation de l’article 5 du Protocole
[37] Le principe cardinal qui guide la seconde étape de l’exercice d’interprétation consiste à « rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés » (art. 1425 C.c.Q.). Dans cet exercice, il faut tenir compte des éléments intrinsèques du contrat, tels que les termes de la disposition en cause et les autres clauses du contrat, afin de donner un effet utile à chacune d’entre elles et de les interpréter les unes par les autres (art. 1427 et 1428 C.c.Q.; Baudouin et Jobin, no 417; Lluelles et Moore, nos 1593-1594). L’interprétation du contrat doit également s’appuyer sur sa nature, de même que sur son contexte extrinsèque, qui inclut notamment les circonstances factuelles entourant sa conclusion, l’interprétation que les parties lui ont donnée et les usages (art. 1426 C.c.Q.; Baudouin et Jobin, no 418; Lluelles et Moore, nos 1600, 1603 et 1607).
[135] Le tribunal s’empresse de préciser que l’interprétation que le contrat peut avoir reçue - par d’autres que les parties - est aussi pertinente suivant l’art. 1426 C.c.Q. Nous y reviendrons.
[136] Les règles énoncées aux art. 1425 à 1432 C.c.Q. portant sur l’interprétation du contrat s’appliquent aussi dans le cadre de cet exercice. Puisqu’il s’agit de déterminer si l’article 5 du Protocole est de la nature d’une condition suspensive ou d’un terme suspensif incertain ou indéterminé, il importe de définir ces termes. Avant d’y passer toutefois, il convient de souligner des distinctions importantes.
[137] Le législateur distingue entre l’obligation et l’événement pouvant constituer une condition ou un terme. Il distingue aussi entre l’existence de l’obligation (condition) et l’exigibilité de l’obligation (terme). Gardant à l’esprit ces distinctions, il convient maintenant de définir la condition suspensive et le terme suspensif.
[138] D’une part, l’obligation est subordonnée à une condition suspensive lorsqu’on la fait dépendre d’un événement futur et incertain en suspendant sa naissance jusqu’à ce que l’événement arrive ou qu’il devienne certain qu’il n’arrivera pas (art. 1497 C.c.Q.).
[139] D’autre part, l’obligation est à terme suspensif lorsque son exigibilité seule est suspendue jusqu’à l’arrivée d’un événement futur et certain (art. 1508 C.c.Q.).
[140] On constate que l’existence même de l’obligation est en cause lorsqu’elle est subordonnée à une condition, alors que seule l’exigibilité de l’obligation est suspendue lorsqu’elle est assujettie à un terme. De plus, pour constituer une condition, l’événement futur et incertain ne doit pas avoir été tenu pour certain par les parties. On y reviendra plus loin.
[141] Comme le soulignent les auteurs Baudouin et Jobin : « [l]a distinction entre terme et condition en particulier lorsque le premier est formulé à la façon d’une condition, génère une jurisprudence relativement abondante et force les tribunaux à se prononcer, au cas par cas, en fonction des circonstances » (no 562, note omise)[63].
[142] Après avoir analysé le texte, le contexte et le but de l’article 5, le tribunal conclut, pour les motifs qui suivent, que cet article est une modalité de paiement à terme suspensif incertain ou indéterminé, et non une condition suspensive.
[143] Premièrement, il ne peut s’agir d’une obligation conditionnelle puisque les parties ont tenu pour certain que PPI recevrait de Québecor un montant de dividendes annuels suffisant pour que la totalité des actions privilégiées catégories Y et Z soit rachetée, et que le prix de vente dû à Anne-Marie en vertu de l’article 1 soit donc payé par PPI. Toutefois, les parties n’ont pas prévu d’échéance précise.
[144] En effet, le fait prouvé en l’instance que les parties ont tenu pour certain cet événement objectivement incertain - la réception par PPI de dividendes annuels minimaux de 4,2 M$ de Québecor - empêche juridiquement celui-ci de constituer une condition.
[145] C’est ce que confirme l’arrêt Venne[64] où le savant juge Beetz, écrivant les motifs du jugement unanime, cite avec approbation les propos du professeur Ghestin relativement au caractère que doit présenter l’événement pour être une condition :
En réalité s'il est exact que le caractère incertain de l'événement considéré constitue bien le critère permettant de distinguer la condition du terme encore faut-il préciser sa portée.
Pour qu'il puisse s'agir d'une condition, il faut tout d'abord que l'événement soit objectivement incertain. C'est ainsi que la mort d'une personne déterminée ne peut jamais constituer une condition, car elle est certaine, même si sa date est incertaine et constitue, de ce fait, un terme incertain. Mais cette incertitude objective n'est pas suffisante, il faut encore que les parties n'aient pas tenu la réalisation de l'événement pour certaine. [p. 903]
(soulignement ajouté)
[146] Deuxièmement, il est légalement possible d’assujettir à une condition le paiement du prix dû en vertu d’un contrat de vente (Venne, p. 904). Toutefois, pour ce faire, la stipulation contractuelle doit être très claire vu les conséquences extraordinaires qui en découlent et ne pas vider le contrat de tout contenu (Venne, p. 902 et 904). Or, après analyse, le tribunal conclut que les termes « si les dividendes versés à PPI par Québecor Inc. au cours de cette année sont inférieurs à quatre millions deux cent mille dollars (4 200 000 $) » ne sont pas suffisamment clairs pour constituer une condition subordonnant l’existence même de l’obligation de racheter la totalité des actions privilégiées, et donc de payer le prix de vente dû à Anne-Marie.
[147] Le tribunal est convaincu qu’Anne-Marie n’aurait jamais signé le Protocole s’il avait été clair qu’il soit possible qu’elle ne reçoive jamais le paiement du prix de vente si des dividendes suffisants n’étaient pas versés à PPI par Québecor.
[148] Troisièmement, la conjonction « si » mentionnée dans l’expression « si les dividendes versés PPI … » doit être interprétée comme signifiant « quand, lorsque » et non « à condition que »[65]. En effet, les derniers rachats d’actions prévus à l’article 5 sont désignés comme étant « un moment » aux articles 3 et 21 du Protocole pour le paiement de la créance de 2 323 000 $ due à PPI. La cohérence et la logique exigent que la même interprétation soit donnée à l’engagement de PPI de racheter la totalité des actions privilégiées - modalité pour payer le prix de vente dû à Anne-Marie -, soit « lorsque » PPI aura reçu un montant de dividendes annuels suffisants de Québecor.
[149] Quatrièmement, le comportement de PPI confirme qu’il ne s’agit pas d’une condition suspensive puisqu’elle n’a jamais payé d’intérêts sur les prix de rachat versés entre 2001 et 2019 (art. 1426 C.c.Q.). Or, si PPI a raison de prétendre qu’il s’agit d’une condition suspensive, elle aurait donc dû, vu son effet rétroactif, payer des intérêts suivant l’article 7 du Protocole[66].
[150] Cinquièmement, l’article 5 a toutes les apparences d’une clause « paiement sur paiement ». Or, comme le soulignent les auteurs Lluelles et Moore, une telle clause est maintenant interprétée comme un terme, et non comme une condition[67].
[151] De plus, en appliquant les trois critères pertinents pour déterminer le caractère véritable de cet article 5 - (1) l’intention des parties, (2) le libellé de la clause et (3) les circonstances[68] -, le tribunal conclut qu’il s’agit, selon la preuve, d’un terme et non d’une condition. Parmi les nombreuses circonstances le confirmant, on peut souligner le fait que l’article 5 prévoie une modalité de paiement du prix de vente dû suivant l’article 1, alors que les biens vendus sont déjà en possession de PPI depuis octobre 2000.
[152] Sixièmement, les parties ont convenu à l’article 1 du Protocole « qu’il y a lieu de structurer la transaction de manière à sauvegarder les meilleurs intérêts d’Anne-Marie Péladeau et de sa fille Marie-Pierre Péladeau à tous égards comme ci-après stipulé ». D’une part, la structure de la transaction ne peut en modifier l’essence, l’article 5 n’étant qu’une modalité de paiement du prix de vente et, d’autre part, il est évident que l’interprétation de cette clause comme un terme favorise l’accomplissement de cet objectif convenu expressément par les parties.
[153] Enfin, septièmement, l’interprétation soutenue par PPI doit être écartée parce qu’elle mènerait à un résultat déraisonnable, voire carrément absurde, par rapport à la nature du contrat, au fait qu’Anne-Marie a délivré les biens vendus à PPI en octobre 2000, et à l’engagement de sauvegarder les meilleurs intérêts d’Anne-Marie et de sa fille.
[154] En conséquence, à la lumière de la preuve, le tribunal conclut que la seule interprétation raisonnable de cette clause est qu’elle constitue un terme et non une condition.
[155] Il importe de le rappeler, la raisonnabilité et l’obligation d’agir de bonne foi sont les pierres angulaires de la nouvelle moralité contractuelle instaurée en 1994 par le Code civil du Québec[69].
[156] Cela tranché, quelle est la nature de ce terme? Après analyse, le tribunal est d’avis qu’il s’agit d’un terme suspensif qui suspend l’exigibilité de l’obligation de rachat et paiement du prix de rachat et, partant, du paiement du prix de vente dû à Anne-Marie par PPI. De surcroît, il s’agit d’un terme suspensif, incertain ou indéterminé[70]. Aucune échéance précise n’est fixée dans le Protocole et il est impossible de savoir à quel moment PPI aura reçu suffisamment de dividendes de Québecor pour que le rachat de la totalité des actions privilégiées catégories Y et Z soit complété.
[157] Quelles conséquences découlent de cette conclusion que l’article 5 est une modalité de paiement à terme suspensif incertain ou indéterminé? Le recours principal de la demanderesse, en exécution de contrat par équivalent, repose sur l’élément fondamental suivant : au moment de l’institution de sa demande en justice, l’engagement de rachat, de payer le prix de rachat et de payer le prix de vente était exigible, et donc que PPI était en défaut d’exécuter ses obligations convenues dans le Protocole; la demanderesse est donc, selon elle, en droit d’être indemnisée pour le préjudice que lui cause ce manquement contractuel.
[158] La demanderesse s’appuie notamment sur l’art. 1510 C.c.Q. pour soutenir que le prix de vente qui lui est dû par PPI était exigible au moment de l’institution de sa demande en justice. Cette prétention amène le tribunal à formuler la cinquième proposition qu’il convient maintenant d’analyser.
e) Cinquième proposition : l’art. 1510 C.c.Q. est applicable en l’espèce
[159] L’art. 1510 C.c.Q., dans ses deux versions officielles, se lit ainsi :
Si l’événement qui était tenu pour certain n’arrive pas, l’obligation devient exigible au jour où l’évé-nement aurait dû normalement arriver. |
If an event that was considered certain does not occur, the obli-gation is exigible from the day on which the event normally should have occurred |
(i) Position des parties
[48] Une contrepartie de 55 millions de dollars payée par un rachat d’actions au fil des années, mais vraisemblablement entièrement acquittée au plus tard le 9 août 2013 : voilà, en bref, la contrepartie juste et raisonnable selon l’expert, que l’appelante accepte pour la vente immédiate de l’ensemble de ses intérêts dans PPI, que le tuteur et le conseil de tutelle avalisent et que la juge Cohen autorise.
[…]
[65] Il me paraît manifeste que les parties ont tenu le rachat des actions pour certain au moment de conclure le protocole, selon l’attente légitime voulant que ce rachat serait complété dans un délai maximum vraisemblable de 13 ans selon les hypothèses et considérations de l’expert commun (Wise Blackman).
[161] Pour sa part, PPI plaide l’irrecevabilité en droit des conclusions visant à reconnaître un terme suivant l’art. 1510 C.c.Q. Essentiellement, PPI oppose une fin de non-recevoir à cette demande et, subsidiairement, plaide que le Protocole contient une condition suspensive et non un terme suspensif. Selon elle, tout terme implicite au Protocole est indéterminé. Ainsi, elle conclut que l’art. 1510 C.c.Q. ne peut être appliqué en l’espèce puisque si l’obligation de PPI en est une à terme, et non conditionnelle, ce terme serait nécessairement indéterminé de sorte que l’art. 1510 n’est pas applicable en l’espèce. Selon elle, le versement par Québecor de dividendes annuels supérieurs à 4,2 M$, suffisants pour que le rachat des actions privilégiées soient complété, constitue un événement dont la survenance demeure possible, de sorte qu’il serait inapproprié de recourir à l’art. 1510 C.c.Q. Elle ajoute qu’il en irait autrement, par exemple, si Québecor déclarait faillite puisque l’événement ne pourrait plus se réaliser[71].
[162] Il importe maintenant de se pencher sur l’arrêt de la Cour d’appel et la mesure de son application à la présente affaire.
(ii) L’arrêt de la Cour d’appel Péladeau c. Placements Péladeau inc.,
2015 QCCA 1724
[163] L’objet de cet arrêt porte sur une demande de jugement déclaratoire, présentée en 2011 par la demanderesse, fondée sur l’article 8 du Protocole et visant à obtenir une déclaration judiciaire que cet article 8 oblige Anne-Marie, d’une part, et PPI, Érik et Pierre-Karl, d’autre part, à renégocier de bonne foi les termes d’une nouvelle entente, vu l’événement non prévu au Protocole, à savoir, que 13 ans après la signature du Protocole, il y a une absence de paiement de près de 90 % de la contrepartie convenue (2015 QCCA 1724, par. 68) [72].
[164] De l’avis du tribunal, cet arrêt n’a pas force de chose jugée en l’espèce faute d’identité d’objet[73]. En effet, l’objet de la demande d’Anne-Marie en l’instance est un recours en exécution de contrat par équivalent et, subsidiairement, une demande de fixation d’un terme suivant l’art. 1512 C.c.Q.
[165] Toutefois, cette conclusion ne règle pas complètement l’application de cet arrêt à la présente affaire. Celui-ci peut en effet avoir quand même une certaine application à la présente affaire selon la jurisprudence. D’abord, l’interprétation faite par la Cour d’appel du Protocole - qui est le même que celui en l’instance - a une force probante indéniable. Cet arrêt est clairement visé par les termes « […] de l’interprétation […] ou qu’il [le contrat] peut avoir reçue » de l’art. 1426 C.c.Q. Ainsi, la conclusion de la Cour d’appel que le Protocole est de la nature d’un contrat de vente intervenu entre Anne-Marie et PPI peut être utilisée par le tribunal pour l’interpréter.
[166] Il en est de même de la conclusion de la Cour d’appel que ce Protocole devait être approuvé par la Cour supérieure, sur avis du conseil de tutelle éclairé par une évaluation d’un expert, puisque la demanderesse était sous tutelle au moment de la signature du Protocole (par. 16).
[167] Ensuite, même si un jugement n’a pas force de chose jugée dans une autre affaire, il peut quand même être appliqué dans cette autre affaire selon les circonstances propres à chaque cas[74].
[168] De plus, quant aux conclusions de fait énoncées dans cet arrêt, elles ont un poids relatif si la preuve contraire est faite devant le tribunal et que ce dernier est d’avis que la remise en question d’une conclusion de fait déjà tranchée ne constitue pas un abus de procédure[75].
[169] Enfin, il n’est pas nécessaire pour le tribunal de se fonder sur les conclusions de fait tirées par la Cour d’appel dans cet arrêt puisque la preuve produite en l’instance par les parties est suffisante pour permettre au tribunal de trancher le présent litige.
[170] Il importe maintenant de se pencher sur l’interprétation de l’art. 1510 C.c.Q.
(iii) L’interprétation de l’art. 1510 C.c.Q.
[171] Le libellé de cet article soulève plusieurs questions. Or, la jurisprudence et la doctrine sont laconiques et ne répondent pas à ces interrogations. Le tribunal doit donc se prêter à un exercice d’interprétation. Pour ce faire, il s’appuiera sur les art. 41 et 41.1 de la Loi d’interprétation[76]; appliquera la méthode moderne d’interprétation législative, à savoir qu’il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur[77]; et procédera à une analyse textuelle, contextuelle, téléologique et historique de cet article 1510 C.c.Q.
[172] Cela exposé, il importe maintenant d’examiner chacun des termes de cet article afin d’en dégager le sens et la portée.
· « Si »
[173] Dans le contexte de cet article, la conjonction « si » introduit une hypothèse pure et simple vu l’utilisation de l’indicatif présent dans le premier membre de la phrase (« n’arrive pas »). En effet, cet article ne contient qu’une seule phrase qui comporte deux membres complets en corrélation[78].
· « l’événement »
[174] De prime abord, on pourrait penser que ce vocable ne vise qu’un événement objectivement certain; or, l’interprétation de ce terme suivant les règles d’interprétation mentionnées ci-dessus amène le tribunal à conclure qu’il inclut tant les événements objectivement certains que les événements objectivement incertains. Voici pourquoi.
[175] Premièrement, on ne doit pas en principe distinguer là où le législateur n’a pas distingué[79]. Partant, le terme « événement » devrait donc inclure tant les événements certains que ceux qui sont incertains.
[176] Deuxièmement, le contexte de cet article et celui dans lequel il s’insère indiquent que le législateur a voulu que cette disposition législative s’applique aux événements objectivement incertains qui étaient tenus pour certains. Il faut en effet se rappeler qu’un événement incertain, tenu pour certain par les parties, ne constitue pas une condition en droit civil. Dans un tel cas, le législateur a choisi de traiter cette situation selon les règles applicables à l’obligation à terme[80].
[177] Troisièmement, le terme « événement » inclut aussi les événements objectivement certains. En effet, il sera plutôt rarissime qu’un événement objectivement certain, et tenu pour certain, n’arrive pas. Toutefois, la qualification d’un événement de certain ou d’incertain étant particulièrement délicate, on ne peut écarter, en principe, les événements objectivement certains dans la mise en œuvre de cet article (Lluelles et Moore, no 2472).
[178] Quatrièmement, afin de donner un effet utile à cette disposition, « événement » doit inclure non seulement les événements futurs objectivement certains, mais aussi les événements futurs objectivement incertains.
[179] Cinquièmement, les Commentaires du ministre de la Justice sur l’article 1510 confirment qu’il s’applique aux événements futurs objectivement incertains tenus pour certains, et qui n’arrivent pas[81].
[180] Enfin, sixièmement, l’historique de l’article 1510 démontre qu’il s’applique aux événements objectivement incertains, mais tenus pour certains. En effet, cet article tire son origine de l’article 133 du Projet de Code civil proposé par l’Office de révision du Code civil du Québec. Cet article est ainsi libellé :
133. Si l’événement que les parties tenaient pour certain ne se réalise pas, la dette est exigible au jour où l’événement aurait dû normalement se produire ».[82]
[181] De plus, les Commentaires de l’Office accompagnant cet article 133 se lisent ainsi :
Cet article, de droit nouveau, a pour but d’éliminer une difficulté possible d’interprétation du mot « certain » contenu dans la définition donnée du terme par le Projet. Il est possible, en effet, que les parties aient considéré de bonne foi un événement futur comme certain, alors qu’il ne l’était pas objectivement, par exemple : je payerai le jour de l’arrivée du navire au port de Montréal, dans l’hypothèse où ce navire, ayant coulé par la suite, n’atteindra jamais le port. Dans un tel cas, il est préférable de respecter l’intention véritable des parties, de traiter l’obligation assumée comme une obligation à terme et donc de la rendre exigible au jour où l’événement aurait normalement dû se produire.[83]
(soulignement ajouté)
[182] En conséquence, force est de conclure que le terme « événement » inclut les événements futurs objectivement incertains qui étaient tenus pour certains.
· « qui était tenu pour certain »
[183] Le sens courant de cette expression signifie « […] Considérer, croire. Tenir un fait pour assuré, certain […]»[84]. Toutefois, cette expression soulève à sa face même trois questions fondamentales : tenu pour certain quoi, par qui et comment?
[184] Tenu pour certain quoi? La réponse simple et évidente est l’événement. Cependant, cette réponse élude la distinction suivante : un événement peut être tenu pour certain quant à sa réalisation, mais il peut aussi être tenu pour certain quant au moment précis de sa survenance (Lluelles et Moore, no 2504). Évidemment, si le moment précis de la survenance de l’événement peut être interprété comme l’échéance du terme, c’est l’art. 1513 C.c.Q. qui s’applique, et non l’art. 1510 C.c.Q. Cette distinction est importante puisque, comme on le verra, si le moment précis de la survenance de l’événement est tenu pour certain, cela indiquera le moment où l’on doit se placer pour déterminer si l’événement « n’arrive pas ».
[185] Un événement futur et incertain n’est pas une condition lorsque les parties ont volontairement tenu pour certain la réalisation de cet événement. C’est donc la volonté des parties qui a pour conséquence que cet événement constitue un terme incertain ou indéterminé. Suivant cette logique, le législateur a choisi de régir l’obligation subordonnée à la réalisation d’un tel événement par les dispositions de l’obligation à terme. L’art. 1510 C.c.Q. est donc applicable pour assister le tribunal dans sa tâche de déterminer le jour où l’obligation de rachat et celle de payer le prix de vente sont devenues exigibles.
[186] Tenu pour certain par qui? Le législateur n’a pas précisé par qui l’événement devait être tenu pour certain. Pourtant, on l’a vu, l’Office de révision du Code civil, à son article 133, suggérait le libellé suivant : « […] si l’événement que les parties tenaient pour certain […] ». Est-ce à dire que le législateur a commis une erreur? À l’évidence non. Encore une fois, on ne doit pas distinguer là où le législateur n’a pas distingué.
[187] En fait, le législateur a fait preuve de sagesse en ne limitant pas l’application de l’art. 1510 à l’événement futur objectivement incertain que les parties ont tenu pour certain. En effet, comme le démontre la présente affaire, il est de ces contrats qui exigent plus que le consentement des parties, telle que la ratification du tribunal ou la confirmation d’une autorité réglementaire afin que le contrat soit valide et exécutoire. Dans un tel cas, ce que le tribunal ou cette autorité aura tenu pour certain afin d’accorder son approbation pour donner force exécutoire au contrat devra être tenu en compte dans le cadre de l’application de l’art. 1510 C.c.Q.
[188] Tenu pour certain comment ? Le législateur ne précise pas non plus la manière dont l’événement doit être tenu pour certain. Partant, aucune forme sacramentelle n’est requise. Il s’agit d’une question de fait. La conclusion qu’un événement était tenu pour certain aux fins de l’art. 1510 peut donc découler expressément ou implicitement des termes du contrat, du comportement des parties ou de la décision du tribunal ou de l’autorité réglementaire chargée de donner force exécutoire au contrat par exemple.
[189] En conséquence, l’expression « qui était tenu pour certain » énoncé à l’article 1510 C.c.Q. - de droit nouveau - doit être interprétée de façon large et libérale afin notamment de favoriser l’exercice des droits ou encore de remédier à quelque abus[85].
· « n’arrive pas »
[190] Le législateur a utilisé l’indicatif présent et non le futur de l’indicatif « n’arrivera pas ». Cette formulation soulève la question de savoir à quel moment l’on doit se placer pour déterminer si l’événement, tenu pour certain, n’arrive pas.
[191] Dans le cas où tant la réalisation de l’événement que la date de sa survenance sont tenues pour certaines, c’est à cette date que l’on doit se placer pour déterminer si l’événement n’arrive pas. Mais qu’en est-il lorsque seule réalisation de l’événement était tenue pour certaine?
[192] En l’espèce, l’article 5 du Protocole[86] ne prévoit pas d’échéance précise pour la réception par PPI d’un montant annuel suffisant de dividendes de Québecor pour que la totalité des actions soit rachetée et que le prix de vente dû à Anne-Marie soit payé au complet par PPI.
[193] Après analyse, le tribunal peut identifier trois moments de référence clés. Premièrement, lorsqu’il est devenu certain que l’événement n’arrivera pas, on peut se placer à ce moment pour déterminer si l’événement n’arrive pas.
[194] Deuxièmement, si le moment de la survenance de l’événement était objectivement prévisible, comme par exemple l’arrivée d’un navire identifié à un port précis, dans ce cas c’est à ce moment qu’il faut se placer pour déterminer si l’événement n’arrive point.
[195] Troisièmement, dans le cas d’un événement objectivement incertain dont la réalisation est imprévisible, il faut se placer au moment de l’expiration d’un délai raisonnable de la naissance de l’obligation afin de déterminer si l’événement n’arrive pas. Cette solution découle notamment de l’analogie avec le 1er alinéa de l’art. 1512 C.c.Q. puisque « [l]a règle énoncée à l’article 1512 C.c.Q. complète celle de l’article 1510 C.c.Q., qui vise une hypothèse conceptuellement distincte […] » (Baudouin et Jobin, no 565). De surcroît, il faut souligner qu’un tel événement, dont la réalisation était tenue pour certaine, mais dont le moment de sa survenance est imprévisible, peut avoir pour effet de retarder potentiellement à perpétuité l’exigibilité de l’obligation.
[196] En conséquence, c’est dans le cadre de l’analyse de la prochaine proposition que le tribunal déterminera le moment où l’on doit se placer pour décider si l’hypothèse prévue à l’art. 1510 C.c.Q. est étayée par la preuve.
· « l’obligation devient exigible »
[197] Il s’agit d’un élément fondamental de l’art. 1510 C.c.Q. qui en définit d’ailleurs la nature : l’article 1510 crée une fiction légale irréfutable quant au jour où l’obligation devient exigible[87]. Voici pourquoi.
[198] D’emblée, on constate que le législateur reprend dans cet article la dichotomie événement/obligation. L’événement, tenu pour certain, qui suspendait l’exigibilité de l’obligation, n’arrive pas. Dans ce cas, l’obligation devient-elle exigible ou n’arrivera-t-elle jamais à échéance comme l’exige l’art. 1513 C.c.Q.?
[199] Le but de cet article, de droit nouveau, vise, selon le ministre de la Justice, à éviter les difficultés d’interprétation susceptibles de se présenter lorsque l’hypothèse qu’il prévoit se confirme[88]. C’est justement le but d’une fiction légale de clarifier de façon irréfutable des difficultés d’interprétation. Ainsi, lorsque l’hypothèse énoncée à l’art. 1510 est démontrée par la preuve, l’obligation devient alors exigible[89] .
[200] Le texte anglais est encore plus clair : « the obligation is exigible ». D’ailleurs, l’Office de révision proposait la formulation suivante à son article 133 : « la dette est exigible »[90].
[201] La fiction juridique est définie par Henri Capitant comme étant un procédé de technique juridique consistant à supposer un fait ou une situation différente de la réalité pour en déduire des conséquences juridiques[91]. Cette définition a été reprise par Hubert Reid dans son Dictionnaire de droit québécois et canadien[92].
[202] Une fiction juridique n’admet pas de preuve contraire et participe donc aux règles de fond et non aux règles de preuve[93]. Elle se distingue de la présomption qui est un moyen de preuve (art. 2811 C.c.Q.)[94].
[203] Dans l’arrêt Verrette[95], le juge Beetz, pour une Cour unanime, conclut que le terme « is » de l’art. 170(2) du Code criminel, tel qu’il se lisait alors, doit être interprété comme signifiant « shall be deemed to be » et est une fiction légale qui étend la portée du mot « nude » (v.f. « nu »). C’est exactement la fonction de l’art. 1510 C.c.Q. quant au sens du terme « exigible »[96].
[204] Pour paraphraser les savants propos du juge Beetz dans cet arrêt Verrette, dire dans une loi qu’une obligation devient exigible lorsqu’elle ne l’est pas, c’est créer une fiction légale, que l’on utilise le verbe « devient » ou l’expression « est censé devenir » (ou en anglais, to say in a statute that an obligation is exigibile when it is not, is to create a legal fiction whether the verb " is " or the expression " shall be deemed to be " are used).
[205] Bref, le législateur a artificiellement élargi le sens du terme « exigible » pour le rendre applicable aux obligations subordonnées à la réalisation d’un événement objectivement incertain, mais tenu pour certain, et qui n’arrive pas.
· « au jour où l’événement aurait dû normalement arriver »
[206] Lorsque l’hypothèse de l’art. 1510 est étayée par la preuve, l’obligation devient irréfutablement exigible « au jour où l’événement aurait dû normalement arriver ». Quel est le sens de cette expression?
[207] On peut souligner d’emblée que le ministre de la Justice exprime l’avis qu’il ne s’agit pas du jour où il est devenu certain que l’événement n’arrivera pas[97].
[208] Ensuite, le terme « normalement » (v.a. « normally ») commande un examen tant objectif que subjectif de la situation. Autrement dit, le tribunal doit procéder à une analyse conceptuelle et factuelle à la lumière de l’ensemble des circonstances propres à chaque cas afin de déterminer le jour où l’événement aurait dû normalement arriver[98]. Une fois la détermination de ce jour faite, l’art. 1510 lui accorde un caractère irréfutable quant au jour où l’obligation est exigible.
[209] D’ailleurs, le sens ordinaire ou courant du terme « normalement » désigne ce « [q]ui est dépourvu de tout caractère exceptionnel; […] habituel […] ordinaire […] correct, honnête »[99].
[210] Enfin, force est de constater que le moment où l’on se place pour déterminer si l’événement tenu pour certain n’arrive pas, n’est pas nécessairement identique - mais peut l’être - au jour où cet événement aurait dû normalement arriver. Il s’agit de deux questions distinctes faisant appel à des notions différentes. La détermination du jour où l’événement aurait dû normalement arriver au sens de l’article 1510 est une question mixte de fait et de droit qui exige, pour la trancher, un examen tant objectif que subjectif de l’ensemble des circonstances de chaque cas.
[211] En somme, l’article 1510 C.c.Q. comporte trois composantes : (1) il formule une hypothèse qui doit être prouvée; (2) il crée une fiction légale irréfutable quant à l’exigibilité de l’obligation; et (3) il fixe le jour de l’exigibilité à celui où l’événement aurait dû normalement arriver, question mixte de fait et de droit.
[212] Il est applicable lorsque l’événement futur - certain ou incertain - tenu pour certain, par les parties ou autres, n’arrive pas[100].
[213] Contrairement à ce que prétend PPI, l’art. 1510 C.c.Q. ne prévoit pas un recours, mais il s’agit simplement d’une disposition législative permettant de déterminer le moment de l’exigibilité d’une obligation suspendue par un événement qui était tenu pour certain, mais qui n’arrive pas. En revanche, l’art. 1512 prévoit un recours autonome qui doit être intenté pour que le tribunal puisse l’appliquer pour fixer un terme (Uniprix, par. 67).
[214] Conséquemment, le tribunal conclut que l’art. 1510 est applicable en l’instance afin de déterminer le jour où est devenue exigible l’obligation de racheter la totalité des actions privilégiées et de payer le prix de vente dû à Anne-Marie par PPI suivant l’article 1 du Protocole. Il importe maintenant de l’appliquer à la lumière de la preuve.
f) Sixième proposition : l’application de l’art. 1510 C.c.Q. aux faits de l’espèce entraîne que les obligations contractées par PPI en vertu du Protocole sont devenues irréfutablement exigibles le 9 août 2013
[216] L’hypothèse prévue à cet article est étayée par la preuve. En effet, la preuve confirme que les parties ont tenu pour certain : (1) que le prix de vente dû à Anne-Marie serait payé par PPI; (2) que la totalité des actions privilégiées catégories Y et Z serait rachetée; (3) que le prix de rachat serait payé; et (4) que PPI recevrait un montant annuel suffisant de dividendes de Québecor pour effectuer le rachat de la totalité des actions privilégiées. Le tribunal ne peut déroger à cette volonté des parties (Uniprix, par. 1, 34).
[217] Toutefois, à moins de vouloir nier l’évidence, la preuve révèle que PPI n’a jamais voulu consentir à une échéance précise pour le rachat de la totalité des actions privilégiées prévu à l’article 5 du Protocole.
[218] Dans ce contexte, il faut appliquer l’art. 1510 C.c.Q. en se plaçant au jour de l’expiration d’un délai raisonnable de la naissance des obligations le 22 août 2000, date de la signature du Protocole. La preuve révèle que ce jour est le 9 août 2013. Or, en se plaçant à cette date, force est de conclure qu’aucun des quatre événements tenus pour certains par les parties n’est arrivé. L’hypothèse de l’art. 1510 est donc confirmée par la preuve.
[219] Mais cette hypothèse est aussi confirmée par un autre élément fondamental du présent dossier : le jugement de la Cour supérieure rendu le 6 septembre 2000 donnant force exécutoire au Protocole[101].
[220] Ce jugement était légalement nécessaire pour ratifier la signature d’Anne-Marie et de sa tutrice et pour donner acte et ainsi rendre exécutoire le Protocole signé le 22 août 2000. Sans ce jugement, Anne-Marie aurait conservé ses intérêts directs et indirects dans PPI qui ont, à la date du procès, une valeur approximative de 900 M$. Pour accorder la requête visant la ratification des signatures d’Anne-Marie et de sa tutrice et pour donner force exécutoire au Protocole, la Cour supérieure devait recevoir l’avis du conseil de tutelle éclairé d’une évaluation d’un expert. Ce jugement fondamental à la solution du présent litige n’étant pas diffusé, il importe de le reproduire en entier :
Considérant que la requête selon les articles 2 et suivants du Code de procédure civile et selon les articles 214, 232, 256 et 288 du Code civil du Québec n’est pas contestée;
Considérant la preuve produite au dossier, y inclus les rapports d’expertise;
La cour :
Accueille la requête;
Déclare que la requérante Anne-Marie Péladeau était et est apte à accepter le protocole R-1 et ses annexes sans l’aide de la corequérante le Trust Général du Canada;
Déclare la requérante Anne-Marie Péladeau apte à signer tous documents utiles pour donner plein et entier effet aux dispositions du protocole R-1 et de ses annexes;
Ratifie la signature du protocole R-1 et ses annexes par la requérante Anne-Marie Péladeau ainsi que celle de la corequérante Trust Général du Canada;
Prend acte de la déclaration par les membres du conseil de tutelle à l’effet qu’ils considèrent le protocole R-1 et ses annexes dans le meilleur intérêt de la requérante Anne-Marie Péladeau;
Donne acte du protocole R-1 et de ses annexes intervenu entre les parties;
Donne acte également des désistements de toutes les procédures actuellement pendantes dans les dossiers en titre;
Déclare que la requérante Anne-Marie Péladeau avait la capacité depuis le 30 mai 2000 jusqu’à cette date, de pouvoir validement confier un mandat aux avocats Guy Bertrand et Associés afin de la représenter dans cette affaire.
Le tout sans frais.
[soulignement ajouté]
[221] Ce jugement rendu par la juge Cohen, pour accueillir la requête, se fonde sur deux motifs dont le plus fondamental se lit ainsi : « Considérant la preuve produite au dossier, y inclus les rapports d’expertise» (soulignement ajouté).
[222] Le second des deux rapports d’expertise produits en preuve au soutien de la requête, non contestée, est daté du 9 août 2000 et comporte les éléments pertinents suivants :
Objet : Opinion sur le caractère juste et raisonnable de la contrepartie offerte à Madame Anne-Marie Péladeau
[…]
Considérations sur le caractère juste et raisonnable
Aux fins de l’élaboration de l’opinion sur le caractère juste et raisonnable de la contrepartie offerte à AMP, nous avons tenu compte des éléments suivants :
[…]
d) les 50 628,574 actions privilégiées de Placements émises à Nouco seraient vraisemblablement rachetées par Placements au plus tard quelque treize ans après la date des présentes, compte tenu du rachat annuel proposé (susmentionné), débutant le 1er janvier 2001;
[…]
Conclusion
Sur la foi et sous réserve de ce qui précède, nous sommes d’avis qu’à la date des présentes [9 août 2000] la contrepartie est juste et raisonnable, d’un point de vue financier, à l’endroit de AMP. [102]
[223] À la lumière de la preuve, le tribunal est convaincu que, pour accueillir la requête, la Cour supérieure, tout comme les parties, a tenu pour certains les quatre événements mentionnés précédemment (supra, par. [216]). Ce que la Cour supérieure a tenu pour certain est pertinent pour l’application de l’art. 1510 C.c.Q. puisque l’« événement » peut être tenu pour certain non seulement par les parties, mais aussi par le tribunal qui doit approuver le contrat pour le rendre exécutoire.
[224] Ce jugement est aussi pertinent pour un autre élément, soit le moment où l’on doit se placer pour déterminer si l’événement qui était tenu pour certain n’arrive pas. En effet, le tribunal conclut qu’il est non seulement probable, mais indéniable que la Cour supérieure a en outre tenu pour certain le moment de la survenance de ces quatre événements.
[225] En effet, on l’a vu, l’article 5 est ambigu, voire absurde. Il implique littéralement qu’Anne-Marie pourrait devoir attendre une éternité avant de recevoir paiement du prix de vente qui lui est dû par PPI, alors que dès octobre 2000, elle a délivré à cette dernière la totalité des biens vendus. Il est donc impensable que la Cour supérieure ait pu accueillir la requête uniquement sur la foi du Protocole et de son article 5. Le tribunal est persuadé que la Cour supérieure a aussi tenu pour certaine notamment cette considération retenue par l’expert - dans son second rapport du 9 août 2000[103] - que la totalité des actions privilégiées serait vraisemblablement rachetée par PPI au plus tard quelque 13 ans après le 9 août 2000.
[226] De plus, ce que la Cour supérieure a tenu pour certain pour approuver le Protocole et le rendre exécutoire s’impose aux parties, car sans ce jugement du 6 septembre 2000, ce Protocole serait demeuré sans effet et Anne-Marie aurait conservé ses intérêts directs et indirects dans PPI. De surcroît, suite à ce jugement, les parties ont agi en se fondant sur celui-ci : Anne-Marie en délivrant à PPI les biens vendus, et PPI en rachetant un certain nombre d’actions privilégiées et donc en payant une partie du prix de vente.
[227] Or, en se plaçant à la date tenue pour certaine par la Cour supérieure - le 9 août 2013 -, la preuve démontre qu’aucun des quatre événements tenus pour certains n’est arrivé. L’hypothèse de l’art. 1510 C.c.Q. est donc prouvée.
[228] En effet, à cette date, Anne-Marie n’avait reçu de PPI que 14,91 % du prix de vente stipulé à l’article 1 du Protocole[104]; seulement 7,56 % des actions privilégiées avaient été rachetées[105]; et PPI n’avait pas reçu un montant suffisant de dividendes de Québecor.
[229] Qu’en est-il maintenant du jour où ces événements auraient dû normalement arriver? C’est ici qu’entre en jeu l’opinion de l’expert du 9 août 2000 sur laquelle la Cour supérieure s’est fondée pour donner force exécutoire au Protocole. Il s’agit d’un élément de preuve crucial permettant de déterminer ce « jour ».
[230] En effet, si la considération que la totalité des actions privilégiées serait vraisemblablement rachetée par PPI au plus tard le 9 août 2013 a servi d’assise au jugement de la juge Cohen, il n’y a qu’un pas - que le tribunal n’a aucune hésitation à franchir - pour conclure que ce 9 août 2013 est le jour où l’événement aurait dû normalement arriver aux fins de l’application de l’art. 1510 C.c.Q.
[231] PPI plaide que l’« hypothèse » de l’expert énoncée dans son rapport du 9 août 2000 ne peut servir aujourd’hui de fondement à quelque obligation que ce soit incombant à PPI[106]. Cette dernière a raison. Toutefois, ce n’est pas l’« hypothèse »[107] de l’expert qui crée une obligation incombant à PPI. C’est plutôt en raison du Protocole, de ce que les parties et la Cour supérieure ont tenu pour certain et de l’art. 1510 C.c.Q. que le rachat et le paiement du prix de vente incombant à PPI sont devenus exigibles le 9 août 2013.
[232] Par conséquent, le 9 août 2013 est le jour où l’obligation de PPI de payer le prix de vente, ou de racheter la totalité des actions privilégiées et de payer le prix de rachat, sont devenues irréfutablement exigibles en vertu de l’art. 1510 C.c.Q., et constitue donc l’échéance du terme aux fins de l’art. 1513 C.c.Q.[108].
g) Septième proposition : le recours principal d’Anne-Marie est donc bien fondé puisque le 29 juin 2016, PPI était en défaut d’honorer ses engagements contractuels causant ainsi à Anne-Marie un préjudice certain, direct et prévisible de 38 515 328 $
[233] Au moment où Anne-Marie a intenté sa demande en justice le 29 juin 2016, l’obligation de rachat des actions privilégiées incombant à PPI était exigible tout comme le paiement du prix de rachat et, par conséquent, l’obligation de payer le prix de vente stipulé à l’article 1 du Protocole, et ce, depuis le 9 août 2013. PPI était, selon la preuve, en défaut d’exécuter ses engagements contractés en vertu du Protocole, entraînant ainsi sa responsabilité contractuelle suivant l’art. 1458 C.c.Q.[109].
[234] Le tribunal conclut qu’Anne-Marie a subi un préjudice direct, certain et prévisible résultant du défaut de PPI d’honorer ses engagements. À titre de dommages-intérêts compensatoires, elle réclame un montant de 88 471 709 $[110]; à titre subsidiaire, elle réclame 38 515 328 $.
[235] En principe, la compensation accordée par le tribunal doit permettre de replacer la demanderesse dans la même situation que celle dans laquelle elle se serait retrouvée si PPI avait exécuté ses obligations entièrement, correctement et sans retard (art. 1590 C.c.Q.). De plus, la demanderesse a certes le droit de recevoir une compensation intégrale pour le préjudice subi, « mais rien que » cette compensation[111].
[236] Le tribunal ne peut retenir la prétention de la demanderesse que l’article 8 du Protocole peut être interprété comme une clause permettant au tribunal de modifier le prix de vente sur lequel Anne-Marie et PPI se sont entendues, à savoir 55 M$, et ainsi condamner PPI à payer « la contrepartie juste et raisonnable pour la valeur des actions de la demanderesse qui avait été déterminée par Wise Blackman dans P-5, soit une somme de 41 700 000 $ en dollars de 2000 capitalisée au taux de 5 % par année, pour un total de 88 471 709 $ en date du 31 mai 2016 selon les calculs de l’expert Boyer dans l’expertise P-23 »[112].
[237] Il aurait fallu une clause beaucoup plus claire que l’article 8 du Protocole, qui a été interprété et appliqué par la Cour d’appel (2015 QCCA 1724), pour que le tribunal accède à cette demande.
[238] En conséquence, à la lumière de la preuve, la demanderesse n’a donc droit qu’à des dommages-intérêts équivalant à la somme de 38 515 328 $, soit le solde dû, impayé et exigible au 31 mars 2019 du prix de rachat, et donc du prix de vente prévu à l’article 1 du Protocole[113]. Évidemment, si un ou des montants ont été payés par PPI à 9095 pour le rachat des actions privilégiées ou à Anne-Marie pour le prix de vente, et ce, depuis le 1er avril 2019, ils devront être déduits de ladite somme[114].
h) Huitième proposition : le montant de la condamnation de PPI doit être réduit de la somme de 2 323 000 $ comme le prévoient expressément notamment les articles
3 et 21 du Protocole
[239] Le Protocole prévoit à ses articles 3 et 21 que 9095 doit rembourser à PPI la somme de 2 323 000 $[115] « mais ce, uniquement au moment des derniers rachats d’actions décrits ou à intervenir au paragraphe 5 ci-après, le tout sans intérêt ». Selon ces articles du Protocole, la volonté des parties était que PPI puisse déduire du prix de rachat la somme de 2 323 000 $ et ne verser que le solde à 9095. Évidemment, le prix de vente devait donc être réduit dans la même mesure.
[240] Partant, la condamnation à laquelle a droit la demanderesse doit être réduite de cette somme, maintenant exigible, et devant être remboursée à PPI. D’ailleurs, la demanderesse reconnaît cette obligation dans une des conclusions de son recours.
[241] En conséquence, la condamnation à laquelle a droit Anne-Marie s’élève à 36 192 328 $.
i) Neuvième proposition : Anne-Marie est en droit de demander au tribunal que la condamnation qui pourrait être prononcée en sa faveur le soit plutôt en faveur de 9095
[243] Après analyse, le tribunal ne constate aucun empêchement pour accorder cette demande. Il lui fera donc droit[116].
[244] Enfin se pose la question de savoir si 9095 doit remettre la totalité de ses actions privilégiées catégorie Z[117] dont elle est encore détentrice sur réception du paiement du capital de la condamnation ou de la totalité de la condamnation?
[245] À la réflexion, le tribunal conclut que 9095 doit remettre toutes ses actions privilégiées catégorie Z uniquement sur réception du paiement complet de la condamnation résultant du présent jugement puisque la créance résultant d’un jugement est indivisible. Le tribunal fera donc droit à cette demande de la demanderesse de prendre acte de l’offre de la mise en cause 9095 de rétrocéder les actions privilégiées catégories Y et Z qu’elle détient dans le capital-actions de PPI à cette dernière sur réception du paiement complet de la condamnation résultant du présent jugement.
* * *
[246] En conséquence, le tribunal accueillera la demande principale d’Anne-Marie et condamnera PPI à payer à 9095 la somme de 36 192 328 $.
[247] Les autres questions connexes à cette condamnation seront traitées ci-après. Mais d’abord, il importe de se pencher sur la demande subsidiaire d’Anne-Marie en fixation de terme.
2. La demande subsidiaire
[248] À titre de conclusion subsidiaire, Anne-Marie sollicite que le tribunal fixe un ou des termes pour le rachat des actions privilégiées catégories Y et Z détenues par 9095. Évidemment, le rachat de ces actions étant une modalité de paiement du prix de vente convenu à l’article 1 du Protocole, la fixation du terme s’applique aussi à ce prix de vente dû à Anne-Marie par PPI[118].
[249] Le tribunal juge non seulement utile, mais nécessaire de se prononcer sur cette demande subsidiaire fondée sur l’art. 1512 C.c.Q. afin de déterminer si la conclusion à laquelle il en arrive sur la demande principale peut être autrement confirmée.
a) La nature de cette demande
[251] La question fondamentale soulevée par cette conclusion subsidiaire est la suivante : le tribunal a-t-il en l’espèce le pouvoir de fixer un terme à l’obligation de PPI de racheter les actions privilégiées Y et Z prévue à l’article 5 du Protocole? Dans l’affirmative, à quelle date le fixer?
b) L’application de l’art. 1512 C.c.Q.
[253] L’art. 1512 C.c.Q. se lit ainsi :
1512. Lorsque les parties ont convenu de retarder la déter-mination du terme ou de laisser à l’une d’elles le soin de le déterminer et qu’à l’expiration d’un délai raisonnable, elles n’y ont point encore procédé, le tribunal peut, à la demande de l’une d’elles, fixer ce terme en tenant compte de la nature de l’obligation, de la situation des parties et de toute circonstance appropriée. Le tribunal peut aussi fixer ce terme lorsqu’il est de la nature de l’obligation qu’elle soit à terme et qu’il n’y a pas de convention par laquelle on puisse le déterminer.
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1512. Where the parties have agreed to delay the determination of the term or to leave it to one of them to make such determination and where, after a reasonable time, no term has been determined, the court may, upon the application of one of the parties, fix the term according to the nature of the obligation, the situation of the parties and any appropriate circumstances. The court may also fix the term where a term is required by the nature of the obligation and there is no agreement as to how it may be determined. |
[254] Il s’agit d’un article de droit nouveau qui comble une lacune du Code civil du Bas-Canada[119]. Le Code civil français contient maintenant une disposition semblable[120].
[255] La Cour suprême s’est penchée récemment sur cet article dans l’arrêt Uniprix, aux par. 63-38. L’intervention du plus haut tribunal du pays découle des motifs de la juge dissidente en Cour d’appel qui avait mis fin au contrat d’affiliation en cause dans cette affaire en se fondant sur l’article 1512 C.c.Q., malgré l’absence de toute demande en ce sens par les parties.
[256] La Cour suprême conclut qu’il s’applique à trois situations (par. 65) : (1) lorsque les parties ont retardé la détermination du terme et qu’elles ne l’ont pas fixé dans un délai raisonnable; (2) lorsqu’elles ont laissé à l’une d’elles le soin de la déterminer et que cela n’a pas été fait dans un délai raisonnable; ou (3) lorsqu’il est de la nature de l’obligation qu’elle soit à terme et qu’aucune convention ne permet de déterminer ce terme.
[257] La majorité de la Cour suprême précise « que l’art. 1512 s’applique en l’absence d’un terme ou devant un terme incertain » (par. 66, soulignement ajouté).
[258] On le sait maintenant, la situation soumise au tribunal est celle d’un terme suspensif incertain ou indéterminé. Cette situation est régie par le 2e alinéa de l’art. 1512 : « Le tribunal peut aussi fixer ce terme lorsqu’il est de la nature de l’obligation qu’elle soit à terme et qu’il n’y a pas de convention par laquelle on puisse le déterminer ».
[259] L’applicabilité de cet alinéa dépend de trois conditions cumulatives, à savoir : (1) une demande soumise au tribunal; (2) la nature de l’obligation est qu’elle soit à terme; et (3) qu’il n’y a pas de convention par laquelle on puisse déterminer le terme.
[260] Le tribunal conclut que ces trois conditions sont remplies en l’espèce.
[261] D’abord, une demande en bonne et due forme fondée sur cette disposition est soumise au tribunal.
[262] Ensuite, l’obligation de payer un prix de vente, comme celui stipulé à l’article 1 du Protocole, est objectivement une obligation dont la nature est d’être à terme (l’obligation de rachat n’étant qu’une modalité de paiement de ce prix de vente). En effet, quel vendeur accepterait que le paiement de son prix de vente soit conditionnel - plutôt qu’à terme - alors qu’il a délivré les biens vendus à son acheteur? On l’a dit, ce n’est qu’exceptionnellement et en présence d’une stipulation très claire qu’un prix de vente sera considéré comme subordonné à l’accomplissement d’une condition.
[263] Enfin, la troisième condition est une alternative à deux volets : soit qu’il n’existe aucune convention, soit que la convention ne permet pas de déterminer le terme de l’obligation. En l’instance, le second volet est rempli puisque le protocole ne permet pas de déterminer l’échéance précise pour le rachat de la totalité des actions privilégiées, et donc pour le paiement du prix de vente. En effet, le tribunal a déjà conclu que l’article 5 du Protocole est une modalité de paiement du prix de vente de la nature d’un terme suspensif incertain ou indéterminé.
[264] On l’a souligné, la modalité prévue à cet article 5 accorde littéralement l’éternité à PPI pour payer le prix de vente. En conséquence, force est de conclure que le tribunal possède, suivant l’art. 1512 C.c.Q., le pouvoir de fixer un terme pour le rachat de la totalité des actions privilégiées et pour le paiement du prix de vente.
[265] L’application du 2e alinéa de l’art. 1512 ne prévoit pas expressément les critères sur lesquels le tribunal doit s’appuyer pour fixer le terme incertain ou indéterminé. Cependant, le tribunal est d’avis que les trois critères énoncés au premier alinéa de l’art. 1512 s’appliquent mutatis mutandis, à savoir : (1) la nature de l’obligation; (2) la situation des parties; et (3) toute circonstance appropriée.
[266] Il importe maintenant d’appliquer chacun de ces critères à la lumière de la preuve.
i) La nature de l’obligation
[268] L’obligation principale en cause est le paiement d’un prix de vente de 55 M$ dû depuis août 2000, mais payable notamment par le rachat d’actions privilégiées détenues par 9095. En avril 2019, le solde impayé de ce prix de vente s’élevait à 38 515 328 $.
[269] En somme, la nature de l’obligation en cause est de payer un prix de vente, laquelle, en principe, est une obligation à terme. En l’espèce, ce paiement et ce rachat, on l’a vu, sont subordonnés à un terme suspensif incertain ou indéterminé.
ii) La situation des parties
[271] PPI est une société de portefeuille dont l’actionnaire de contrôle est Pierre-Karl. Elle contrôle 28 % de Québecor inc. La situation financière de PPI confirme sans équivoque qu’elle est parfaitement capable de payer immédiatement la totalité du solde du prix de vente impayé ou racheter la totalité des actions privilégiées catégorie Z encore détenues par 9095[121].
iii) Toute circonstance appropriée
1º La vente des intérêts d’Anne-Marie a eu lieu en l’an 2000 et PPI jouit de la totalité des biens vendus depuis cette date, alors qu’Anne-Marie n’a reçu, au 31 mars 2019, que 30 % du prix de vente;
2º Le Protocole stipule expressément que la transaction devait être structurée de manière à sauvegarder les meilleurs intérêts d’Anne-Marie et de sa fille Marie-Pierre à tous égards. La preuve révèle que cette structure a maintenant accompli son œuvre;
3º Anne-Marie est vulnérable et elle a droit de recevoir le paiement complet du prix de vente de ses intérêts;
4º PPI a amplement la capacité financière de payer immédiatement le solde du prix de vente du prix de rachat;
5º Un délai raisonnable s’est écoulé depuis octobre 2000 jusqu’au 9 août 2013, date à laquelle le rachat de la totalité des actions privilégiées aurait vraisemblablement dû être complété;
6º Le jugement de la Cour supérieure, rendu le 6 septembre 2000, ratifiant la signature d’Anne-Marie et celle de sa tutrice aux biens et donnant acte au Protocole le rendant ainsi exécutoire rétroactivement au 22 août 2000, a tenu pour certaine la considération formulée par l’expert dans son rapport commun que la totalité des « actions privilégiées de [PPI] émises à [9095] seraient vraisemblablement rachetées par [PPI] au plus tard quelque treize ans après la date des présentes [le 9 août 2000], compte tenu du rachat annuel proposé dans le texte susmentionné débutant le 1er janvier 2001 »;
7º Le refus de PPI de consentir à une date butoir quant au rachat des actions privilégiées n’est pas un empêchement dirimant pour le tribunal de fixer un terme en vertu de l’article 1512 C.c.Q. PPI affirme en fait « je te payerai quand j’aurai les moyens, ou quand j’aurai reçu assez de dividendes de Québecor ». De plus, le fait pour Anne-Marie de consentir à la convention de rachat n’est pas une quittance. Elle n’a pas renoncé à son droit d’exiger que l’article 1 du Protocole soit exécuté entièrement, correctement et sans retard; et
8º En application de l’art. 1510 C.c.Q., le rachat et le paiement du prix de vente sont exigibles depuis le 9 août 2013. De plus, même si l’art. 1510 ne s’appliquait pas, le tribunal pourrait quand même fixer le terme du rachat et du paiement du prix de vente puisqu’ils sont subordonnés à un terme suspensif incertain ou indéterminé.
[273] En conséquence, le tribunal est d’avis de fixer au 9 août 2013 le terme du rachat de la totalité des actions privilégiées catégories Y et Z prévu à l’article 5 et du paiement complet du prix de vente stipulé à l’article 1 du Protocole.
[274] Toutefois, il y a lieu de souligner que le tribunal pourrait tout aussi bien fixer ce terme au 29 juin 2016, date de l’assignation, puisque l’une ou l’autre de ces dates ne modifie pas les conclusions auxquelles en arrive le tribunal dans le recours principal, tant pour le capital (calculé à la date du procès) que pour le calcul de l’intérêt et de l’indemnité additionnelle (calculés à compter de la demeure)[122].
[275] Ainsi, fixer ce terme au 29 juin 2016 rendrait théorique la question de savoir si le tribunal peut fixer le terme à une date antérieure à l’assignation en justice, sur laquelle le tribunal ne se prononce donc pas dans les circonstances[123].
[276] En conséquence, la fixation du terme à l’une ou l’autre de ces dates entraîne l’exigibilité du rachat des actions privilégiées et du paiement du prix de vente dus par PPI à l’une ou l’autre de ces dates, et confirme ainsi le défaut de PPI d’honorer ses engagements contractuels et, par conséquent, le bien-fondé des conclusions prononcées dans le cadre de la demande principale.
3. L’intérêt et l’indemnité additionnelle
[277] Cette question de l’intérêt et de l’indemnité additionnelle est particulièrement importante en l’espèce étant donné les montants en jeu. Elle oblige le tribunal à analyser de nouveau les art. 1617 et 1618 C.c.Q.
[278] Dans les conclusions de son action, Anne-Marie réclame une condamnation de PPI à payer à 9095 un montant de 88 471 709 $ avec l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle calculés à compter de la signification de sa demande, soit le 29 juin 2016. Dans deux conclusions subsidiaires, elle réclame toutefois de condamner PPI à payer à 9095 la somme de 38 515 328 $ avec l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle depuis le 10 août 2013 calculés sur les soldes dus depuis cette date conformément à la pièce D-70. Une de ces conclusions vise aussi à permettre à PPI d’opérer compensation de la somme de 2 323 000 $ qui est due à cette dernière conformément aux articles 3 et 21 du Protocole et de l’art. 9 de la convention d’achat d’éléments d’actifs signée le 13 octobre 2000[124].
[279] Le Protocole prévoit une clause d’intérêt qui se lit comme suit :
7. Tout solde de paiement dû à échéance et toute somme due à PPI par Newco en vertu du paragraphe 5. porteront intérêt au taux préférentiel de la Banque Royale du Canada majoré de deux pour cent (2%)[125].
(reproduit tel quel)
[280] D’emblée, il convient de souligner que la demanderesse n’a pas fait la preuve du taux préférentiel de la Banque royale du Canada ou, suivant la convention de rachat d’actions, du « taux déterminé » comme elle en avait le fardeau (art. 2803 C.c.Q.)[126]. Donc, suivant cette clause d’intérêt, le tribunal ne peut accorder à la demanderesse que le taux de 2 % annuellement si, évidemment, cet article s’applique, plutôt que le taux d’intérêt légal.
[281] Toutefois, si le tribunal accorde l’indemnité additionnelle de l’art. 1619 C.c.Q., question qui sera analysée ci-après, le calcul de celle-ci sera différent, mais le résultat final et global de l’intérêt et de l’indemnité additionnelle sera le même que si l’intérêt au taux légal est accordé[127].
[282] Afin de déterminer l’intérêt auquel a droit la demanderesse, il faut se référer aux art. 1565, 1617 et 1618 qui se lisent ainsi :
1565. Les intérêts se paient au taux convenu ou, à défaut, au taux légal.
[…]
1617. Les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution d’une obligation de payer une somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux convenu ou, à défaut de toute convention, au taux légal.
Le créancier y a droit à compter de la demeure sans être tenu de prouver qu’il a subi un préjudice.
Le créancier peut, cependant, stipuler qu’il aura droit à des dommages-intérêts additionnels, à condition de les justifier.
1618. Les dommages-intérêts autres que ceux résultant du retard dans l’exécution d’une obligation de payer une somme d’argent portent intérêt au taux convenu entre les parties ou, à défaut, au taux légal, depuis la demeure ou depuis toute autre date postérieure que le tribunal estime appropriée, eu égard à la nature du préjudice et aux circonstances.
[283] Pour l’application de ces dispositions législatives, il faut répondre aux deux questions suivantes[128] :
a) Les dommages-intérêts moratoires réclamés par la demanderesse concernent-t-ils l’inexécution d’une obligation pécuniaire (art. 1617 C.c.Q.) ou l’inexécution d’une obligation autre que le paiement d’une somme d’argent (art. 1618 C.c.Q.)?
b) En présence d’une convention portant sur le paiement d’intérêts, quelle en est l’essence et la véritable portée?
[284] Quant à la première question, le tribunal conclut que l’art. 1617 C.c.Q. s’applique en l’espèce parce que les dommages-intérêts moratoires réclamés concernent véritablement le retard dans le paiement du prix de vente convenu à l’art. 1 du Protocole puisque le rachat et le prix de rachat ne sont qu’une modalité du paiement du prix de vente dû par PPI.
[285] S’agissant de la deuxième question, le tribunal est d’avis que la clause d’intérêts prévue dans le Protocole et celle stipulée dans la convention de rachat ne s’appliquent pas dans les circonstances puisque le montant accordé en l’instance ne résulte pas d’un rachat d’actions privilégiées, mais du présent jugement.
[286] Par conséquent, c’est le taux légal d’intérêt fixé à 5 % par l’art. 3 de la Loi sur l’intérêt[129] qui constitue les dommages-intérêts moratoires dus sur le montant impayé par PPI. Il s’agit d’un intérêt simple et non composé. Il convient de noter que la jurisprudence enseigne que l’octroi de l’intérêt légal est en principe automatique[130].
[287] Il importe maintenant de déterminer à compter de quelle date et sur quel montant l’intérêt légal doit être calculé.
[288] L’intérêt légal court à compter de la « demeure » (art. 1617 al. 2 C.c.Q.). Ce terme à un sens légal bien défini[131]. Comme le soulignent les auteurs Lluelles et Moore, « [i]l importe de ne pas confondre arrivée de l’échéance et demeure du débiteur; l’arrivée du terme ne met pas ipso facto le débiteur en demeure, sauf convention contraire (art. 1594 al. 1) » (no 2520, note omise; voir aussi no 2514).
[289] Les procureurs de la demanderesse font donc erreur aux par. 106 et 148 de leur plan d’argumentation en assimilant exigibilité de la créance et date à laquelle les intérêts et l’indemnité additionnelle commencent à courir : encore faut-il que PPI soit en « demeure ».
[290] En l’espèce, le tribunal est d’avis, après analyse, que PPI n’est devenue en demeure d’exécuter ses obligations contractuelles que le 29 juin 2016, date de l’assignation en justice (art. 1594 al. 2 C.c.Q).
[291] Premièrement, le recours en jugement déclaratoire, fondé sur l’art. 8 du Protocole et intenté le 14 septembre 2011, n’a pas constitué PPI en demeure de racheter les actions privilégiées, ni de payer le prix de rachat, ni de payer le prix de vente. De toute façon, cette demande aurait été prématurée.
[292] Deuxièmement, ni le Protocole ni la convention de rachat d’actions ne stipulent que le seul écoulement du temps pour racheter les actions privilégiées, pour payer le prix de rachat ou pour payer le prix de vente aura pour effet de constituer en demeure PPI d’exécuter ses obligations (art. 1594 al. 1 C.c.Q.)[132].
[293] Troisièmement, aucune demande extrajudiciaire valide n’a constitué PPI en demeure d’exécuter l’obligation de payer le prix d’achat ou d’effectuer le rachat des actions privilégiées (art. 1594 al. 2; 1595 C.c.Q.). Une telle mise en demeure obligatoirement écrite aurait dû indiquer à PPI son défaut, lui accorder un délai pour remédier au défaut, et préciser le montant réclamé, le cas échéant. Le tribunal ne retrouve aucun document semblable dans le présent dossier[133].
[294] Enfin, quatrièmement, aucun cas de demeure de plein droit, par le seul effet de la loi, n’a été prouvé en l’instance (art. 1597 C.c.Q.), fardeau qui incombait à la demanderesse (art. 1598 C.c.Q.). En effet, à la lumière de la preuve, le tribunal conclut qu’entre le 9 août 2013 et le 29 juin 2016, PPI n’a pas répudié son obligation de payer le prix de vente dû à Anne-Marie suivant l’art. 1 du Protocole. Il existait simplement une mésentente entre les parties sur le moment où cette obligation de payer le prix de vente devenait exigible, ce que la demande en justice du 29 juin 2016 visait à faire trancher avec les conséquences légales qui s’ensuivent.
[295] En conséquence, Anne-Marie a droit à l’intérêt légal à compter du 29 juin 2016, date de l’assignation.
[296] Quant au montant sur lequel doit être appliqué l’intérêt légal, il s’agit du montant en capital impayé à la date de l’assignation, le 29 juin 2016. Toutefois, si un ou des montants ont été payés en cours de route à Anne-Marie, seul le solde impayé continue de porter intérêt au taux légal[134].
[297] À la lumière de la preuve[135], le tribunal conclut qu’au 29 juin 2016, le prix de vente dû mais impayé et exigible de PPI s’élevait à la somme de 44 963 328 $[136]. Cependant, on l’a vu, PPI a le droit de demander le remboursement d’une somme de 2 323 000 $, mais ce, uniquement au moment des derniers rachats d’actions privilégiées. Il est manifeste que PPI a le droit d’opposer compensation de ce montant dès le 29 juin 2016. En conséquence, le capital dû, impayé et exigible en date du 29 juin 2016 s’élève donc au montant de 42 640 328 $[137].
[298] En somme, le tribunal est d’avis qu’Anne-Marie a droit à l’intérêt légal sur la somme de 42 640 328 $ à compter de l’assignation le 29 juin 2016, et par la suite, sur le solde impayé jusqu’à parfait paiement.
[299] Qu’en est-il maintenant de l’indemnité additionnelle prévue à l’art. 1619 C.c.Q.? Cet article dispose :
1619. Il peut être ajouté aux dommages-intérêts accordés à quelque titre que ce soit, une indemnité fixée en appliquant à leur montant, à compter de l’une ou l’autre des dates servant à calculer les intérêts qu’ils portent, un pourcentage égal à l’excédent du taux d’intérêt fixé pour les créances de l’État en application de l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale (RLRQ, chapitre A-6.002) sur le taux d’intérêt convenu entre les parties ou, à défaut, sur le taux légal.
[300] Comme l’indique le libellé de l’art. 1619 C.c.Q., le montant de l’indemnité additionnelle résulte d’un calcul qui s’applique sur le solde impayé à compter de chaque date pertinente. Cette indemnité additionnelle ne peut être accordée que si elle est demandée et, dans ce cas, elle doit être accordée par le tribunal à moins que des motifs sérieux ne justifient son refus[138]. Aucun motif ne justifie le tribunal de refuser d’accorder cette indemnité. Le point de départ du calcul de cette indemnité est en l’espèce le 29 juin 2016, date servant à calculer l’intérêt légal.
[301] En conséquence, la demanderesse a droit à cette indemnité additionnelle prévue à l’art. 1619 C.c.Q. sur la somme de 42 640 328 $, à compter du 29 juin 2016, et par la suite, sur le solde impayé jusqu’à parfait paiement[139].
[302] En terminant, il convient de souligner que si la conclusion subsidiaire sollicitée par la demanderesse avait été formellement accueillie, en fixant le terme soit au 9 août 2013, soit au 29 juin 2016, cela n’aurait pas modifié la date à laquelle PPI a été constituée en demeure ni le montant du capital portant intérêt légal et indemnité additionnelle. Bref, la condamnation principale demeurerait, en tout état de cause, inchangée.
4. L’exécution provisoire
[303] La demanderesse réclame l’exécution provisoire du présent jugement, en tout ou en partie.
[304] Les critères régissant l’émission d’une ordonnance d’exécution provisoire ont évolué au fil du temps. En 1966, outre huit cas spécifiquement prévus comme pouvant faire l’objet d’une demande d’exécution provisoire nonobstant appel, « un cas d’urgence exceptionnel » pouvait, sur demande, faire l’objet d’une ordonnance d’exécution provisoire, totale ou partielle, avec ou sans caution[140] . Entre 1992 et 1995, le législateur a modifié à trois reprises ce critère pour finalement prévoir, à compter du 16 mars 1995[141], les critères suivants : « dans les cas d’urgence exceptionnelle ou pour quelqu’autre raison jugée suffisante notamment lorsque le fait de porter l’affaire en appel risque de causer un préjudice sérieux ou irréparable »[142].
[305] Depuis le 1er janvier 2016, la règle régissant l’émission d’une telle ordonnance d’exécution provisoire est régie par le premier alinéa de l’art. 661 C.p.c. qui se lit comme suit :
661. Lorsque le fait de porter une affaire en appel risque de causer un préjudice sérieux ou irréparable à une partie, le juge peut, sur demande, ordonner l’exécution provisoire, même partielle; il peut aussi subordonner l’exécution provisoire à la constitution d’une caution.
[306] Ainsi, on peut constater aisément que le législateur a conféré au tribunal un large pouvoir discrétionnaire pour émettre une ordonnance d’exécution provisoire : le risque pour une partie de subir un préjudice sérieux par le fait de porter le jugement en appel est suffisant.
[307] La formulation de ce critère présuppose que le jugement est porté en appel. Le législateur était donc parfaitement conscient du principe qu’il a lui-même énoncé à l’art. 355 C.p.c., à savoir que l’appel régulièrement formé suspend l’exécution du jugement, sauf les cas où l’exécution provisoire est ordonnée. Malgré ce principe, il a conféré le pouvoir à un juge d’émettre une ordonnance d’exécution provisoire si l’appel du jugement qu’il rend risque de causer un préjudice sérieux à une partie.
[308] Évidemment, par l’utilisation du terme « peut », le législateur a conféré au juge un pouvoir discrétionnaire. Ce pouvoir doit donc être exercé judiciairement et non arbitrairement. De plus, le risque, la causalité et le préjudice sérieux doivent être démontrés suivant la prépondérance des probabilités[143]. La jurisprudence enseigne cependant que le terme « peut » doit être interprété comme le terme « doit » lorsque les conditions pour l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire sont remplies[144].
[309] L’exécution provisoire demeure donc toujours l’exception, mais il importe de constater que le législateur a grandement allégé le fardeau de la partie qui demande l’exécution provisoire étant donné le critère dorénavant applicable à une telle demande. De surcroît, l’art. 661 al. 1 C.p.c. ne distinguant pas entre une condamnation pécuniaire et un autre type de condamnation, le tribunal ne devrait pas, en principe, faire de distinction en appliquant le critère choisi par le législateur.
[310] De plus, les enseignements découlant du jugement rendu par la juge Bich dans l’affaire CTI Capital Valeurs mobilières[145], quoique rendu dans le cadre d’une demande de suspendre une ordonnance d’exécution provisoire, peuvent être utiles pour bien cerner le sens et la portée de ce critère régissant maintenant l’émission d’une ordonnance d’exécution provisoire. Le tribunal comprend ceci des savants propos de la juge Bich : (a) l’exécution provisoire demeure l’exception et l’art. 661 al. 1 C.p.c. doit être interprété de façon restrictive afin de ne pas neutraliser le principe énoncé à l’art. 355 C.p.c.; (b) la partie qui demande l’exécution provisoire n’a pas à démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles - puisque ce critère a été aboli depuis longtemps -, mais doit démontrer l’existence de circonstances qui, exceptionnellement, exigent l’émission d’une ordonnance d’exécution provisoire; (c) si le tribunal décide d’émettre une telle ordonnance, il doit s’en expliquer; (d) il est parfaitement possible pour le tribunal d’ordonner l’exécution provisoire pour une condamnation pécuniaire, toutefois, dans un tel cas, il faut examiner l’hypothèse où le pourvoi serait accueilli et les difficultés pouvant être rattachées à la récupération de la somme versée; et (e) « [c]e n’est donc que si l’appel cause un préjudice particulier (c.-à-d. un préjudice allant au-delà de celui que compense normalement l’accumulation de l’intérêt et de l’indemnité additionnelle) que l’exécution provisoire d’une condamnation pécuniaire sera ordonnée en vertu de l’art. 661 C.p.c. » (par. 12).
[311] Le tribunal ajoute que, comme dans l’affaire dont la juge Bich était saisie et où elle a refusé de suspendre l’exécution provisoire, une ordonnance d’exécution provisoire pourrait être émise lorsqu’elle permet de rétablir, au moins temporairement, un équilibre entre les parties.
[312] Qu’en est-il en l’instance?
[313] Après analyse et pour les motifs qui suivent, le tribunal est d’avis de faire droit à cette demande d’exécution provisoire, en partie et sans caution, quant à la condamnation en capital prononcée contre PPI, et ce, dans un délai de 60 jours de la date du présent jugement.
[314] D’abord, à la lumière de la preuve et de l’ensemble des circonstances du présent dossier, le tribunal est convaincu sans l’ombre d’un doute que le fait de porter le présent jugement en appel non seulement risque, mais causera chaque jour un préjudice sérieux à Anne-Marie.
[315] On l’a dit, mais il convient de le redire, en août 2000, PPI et Anne-Marie ont conclu un contrat de vente par lequel cette dernière cédait ses intérêts directs et indirects dans PPI en contrepartie du paiement de 55 millions de dollars. Anne-Marie a cédé et délivré à PPI tous ses intérêts vendus dès octobre 2000, moment où les actions détenues par 2327 (intérêts indirects d’Anne-Marie) ont été converties en actions privilégiées pour ensuite être vendues à 9095 le 13 octobre 2000. Au moment du procès, en avril 2019, soit près de 20 ans plus tard, Anne-Marie n’avait pas encore reçu paiement complet du solde du prix de vente s’élevant à 38 515 328 $, lequel était dû, impayé et exigible depuis le 9 août 2013, alors que PPI est en possession et jouit des biens vendus depuis octobre 2000, lesquels avaient, à la date du procès, une valeur de quelque 900 millions de dollars.
[316] Le moment est venu de rétablir, au moins temporairement, un certain équilibre en ordonnant l’exécution provisoire de la condamnation en capital équivalant au solde du prix de vente impayé à la date du procès.
[317] Ensuite, Anne-Marie est malade et elle a le droit de recevoir de son vivant le prix de vente des biens qu’elle a vendus en l’an 2000. De plus, l’anxiété et l’angoisse causées par l’attente du paiement qui lui est dû constituent manifestement un préjudice très sérieux qui sera exacerbé par le fait de porter la présente affaire en appel. Chaque jour qui passe sans paiement du prix lui cause un préjudice sérieux, voire irréparable.
[318] De surcroît, la preuve au dossier confirme clairement que PPI a amplement les moyens de payer immédiatement la condamnation en capital. Toutefois, la demanderesse réfère dans les conclusions de son action à un délai de 60 jours. Ce délai sera donc accordé à PPI à compter de la date du présent jugement.
[319] Enfin, il est évident qu’aucune caution n’est nécessaire en l’espèce puisque PPI est en possession des biens vendus depuis près de 20 ans, lesquels ont une valeur approximative de 900 millions $.
[320] En effet, l’exécution provisoire ne pose aucun problème de recouvrement si un appel, le cas échéant, devait être accueilli puisque la condamnation en capital est prononcée en faveur de 9095 qui est contrôlée par une fiducie administrée par un fiduciaire qui doit protéger les intérêts d’Anne-Marie. Ce constat permet de confirmer derechef la sagesse de prononcer en faveur de 9095 la condamnation à laquelle a droit Anne-Marie.
[321] Si Anne-Marie estime nécessaire d’obtenir l’exécution provisoire de la condamnation relative à l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle, elle pourra en faire la demande à un ou une juge de la Cour d’appel, le cas échéant (art. 661 al. 2 C.p.c.).
[322] Reste la question de savoir si l’ordonnance d’exécution provisoire devrait inclure l’offre de 9095 de remettre toutes ses actions privilégiées catégorie Y et Z à PPI[146].
[323] Comme son nom l’indique, une ordonnance d’exécution provisoire est une ordonnance temporaire dans l’attente du résultat d’un appel éventuel; or, il paraît difficile d’exécuter provisoirement la remise des actions privilégiées, puisqu’un tel geste a plutôt un caractère permanent.
[324] Enfin, PPI est une société par actions privée. Même si son certificat de constitution n’a pas été produit, ni d’ailleurs le certificat de modification ayant effectué la conversion des actions que détenait 2327 dans le capital-actions de PPI, et ni les certificats d’actions constatant les actions privilégiées catégorie Y et Z détenues par 9095, il est probable que ces actions privilégiées ne puissent être cédées ou transférées sans le consentement préalable de PPI exprimé par résolution de son conseil d’administration. Si tel est le cas, PPI paraît suffisamment protégée. Quoi qu’il en soit, si PPI estime qu’une ordonnance d’exécution provisoire aurait dû être prononcée à ce sujet, elle pourra en faire la demande suivant l’art. 661 al. 2 C.p.c., le cas échéant.
5. La réserve de droit
[325] Le présent jugement statue sur les demandes que les parties au Protocole lui ont soumises pour adjudication. Cependant, le tribunal est conscient que le jugement qu’il prononce peut ne pas assurer que les conséquences fiscales seront limitées à leur minimum comme les parties l’avaient convenu dans le Protocole[147].
[326] Les parties pourraient évidemment s’entendre pour s’assurer que les conséquences fiscales soient limitées au minimum[148]. Toutefois, vu les circonstances, le tribunal doit envisager qu’il soit possible que les parties ne s’entendent pas pour minimiser les conséquences fiscales résultant du présent jugement.
[327] Le 1er janvier 2016, est entré en vigueur l’art. 657 C.p.c., de droit nouveau, lequel est libellé ainsi :
657. Le tribunal peut, après le jugement, rendre toute ordonnance propre à faciliter l’exécution, volontaire ou forcée, de la manière la plus conforme aux intérêts des parties et la plus avantageuse pour elles.
[328] Les Commentaires de la ministre de la Justice indiquent que cette disposition législative est susceptible d’une interprétation large et libérale. Ils réfèrent aussi à l’article 7 de la Loi uniforme sur l’exécution forcée des jugements ordonnant paiement[149]. Quoique cet article 7 n’ait pas force de loi au Québec, il dresse une liste non exhaustive des pouvoirs dont le tribunal peut s’inspirer pour exercer ceux que lui confère l’art. 657 C.p.c.
[329] Pour plus de certitude, le tribunal réservera donc aux parties le droit de s’adresser à la Cour supérieure, suivant l’art. 657 C.p.c., notamment afin qu’elles puissent, même après jugement, se conformer à leur engagement contractuel prévu à l’art. 22 du Protocole[150], soit par entente entre elles, soit par ordonnance du tribunal[151].
6. Les frais de justice
[330] En principe, la partie qui a gain de cause a droit à ses frais de justice, lesquels incluent les frais d’expertise[152].
[331] En l’espèce, Anne-Marie et Marie-Pierre ont gain de cause. Leurs représentations ont été utiles au tribunal. Les deux ont donc droit à leurs frais de justice qui devront être supportés par PPI seulement.
[332] Quant aux frais d’expertise encourus par Anne-Marie, elle y a droit parce que le témoignage de son expert, M. Martin Boyer de la firme Embec inc., ainsi que son rapport d’expertise ont été utiles au tribunal. De surcroît, les frais de cet expert sont raisonnables et leur montant est fixé à 53 808,30 $[153].
d. La conclusion déclaratoire sollicitée par ppi dans sa défense est-elle bien fondée?
[333] Dans sa défense modifiée du 5 avril 2019, PPI sollicite non seulement le rejet de l’action, mais aussi la conclusion déclaratoire suivante : « Déclarer que [la] proposition formulée par la Défenderesse pour la renégociation du Protocole P-2 et contenue à la lettre P-20 du 22 février 2016 et modifiée par la proposition D-64 du 27 mars 2019 est raisonnable eu égard à toutes les circonstances pertinentes en ce qu’elle permet de pallier aux conséquences de l’événement non prévu identifié par la Cour d’appel dans l’arrêt R-10 (absence de rachat prolongée) tout en portant le moins possible atteinte aux termes du Protocole ».
[334] La proposition D-64 du 27 mars 2019 offre essentiellement que la formule de rachat prévue à l’article 5 du Protocole continue de s’appliquer, mais avec une date butoir au 31 décembre 2022, moment auquel le solde des actions détenues par 9095 sera entièrement racheté. On y ajoute que pour préserver les meilleurs intérêts d’Anne-Marie et de Marie-Pierre et puisqu’Anne-Marie demeure une personne vulnérable « nos clients [PPI, Pierre-Karl et Érik] requièrent que les honoraires des conseillers juridiques de Mme Péladeau et de ses sociétés soient limités pour l’avenir dans le présent dossier à une somme forfaitaire de 100 000 $ qui apparaît juste et raisonnable eu égard aux circonstances ». Cette proposition n’a été acceptée ni par Anne-Marie ni par Marie-Pierre.
[335] Cette offre a été modifiée ensuite par la proposition D-74 du 16 avril 2019 qui prévoit essentiellement que la formule de rachat prévue à l’article 5 du Protocole continuerait de s’appliquer, mais avec un paiement minimum garanti de 7,5 millions de dollars pour chacune des années 2019, 2020 et 2021; que le Protocole serait également modifié pour comprendre une date butoir au 31 décembre 2022, moment auquel le solde des actions détenues par 9095 serait entièrement racheté; et que la limite du montant des honoraires des conseillers juridiques d’Anne-Marie, mentionnée à la proposition D-64, serait augmentée à une somme d’un million de dollars. Cette nouvelle proposition n’a pas non plus été acceptée par Anne-Marie ni par Marie-Pierre.
[336] Après analyse, le tribunal ne peut faire droit à cette demande de jugement déclaratoire.
[337] L’obligation des parties de renégocier de bonne foi les termes d’une nouvelle entente, suite à l’arrêt de la Cour d’appel du 21 octobre 2015, résulte d’un jugement déclaratoire. En principe, une obligation de négocier - ou de renégocier - de bonne foi n’entraîne pas une obligation de conclure une nouvelle entente[154]. Partant, puisqu’Anne-Marie et Marie-Pierre n’étaient pas obligées de s’entendre avec PPI pour conclure un nouveau Protocole, le tribunal ne peut les forcer à accepter la proposition D-64, ni la proposition D-74. La liberté contractuelle est un droit fondamental en droit québécois.
[338] En outre, et plus fondamentalement, chacune de ces propositions constitue une tentative par PPI de s’immiscer dans une relation contractuelle à laquelle elle n’est pas partie. Or, une telle immixtion n’est pas conforme aux exigences de la bonne foi. De surcroît, exiger l’acceptation d’un élément non pertinent dans le cadre d’une négociation n’est pas raisonnable et entache la bonne foi de celui ou celle qui impose une telle exigence. En droit, la pertinence est le rempart contre l’arbitraire.
[339] En conséquence, cette demande, tout comme le reste de la défense modifiée de PPI, sera rejetée.
VI
[340] Le tribunal espère de tout cœur que le présent jugement sera le dernier acte d’une saga familiale et judiciaire qui fut aussi longue - 20 ans - que malheureuse et coûteuse. La paix familiale est un élément essentiel du bonheur auquel chacune des parties aspire. Le présent procès aura permis à tous de comprendre qu’Anne-Marie souffre d’une maladie particulièrement pernicieuse[155]. Or, personne ne choisit d’être malade et cela, son regretté père l’avait bien compris. Pierre-Karl le comprend maintenant. Le moment est donc venu de déposer les armes et de mettre un terme à cette affaire. Pour reprendre les propos du regretté juge Beetz, « [l]a paix des familles est parfois à ce prix »[156].
[341] En définitive, pour les motifs qui précèdent, le tribunal conclut essentiellement que PPI est en défaut d’honorer ses engagements contractuels envers Anne-Marie depuis le 9 août 2013, et qu’elle l’était encore le 29 juin 2016, date de l’assignation en justice. PPI doit donc l’indemniser pour son préjudice en lui versant la somme de 36 192 328 $, calculée en date du 1er avril 2019. Quant à l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle, ils sont calculés sur la somme de 42 640 328 $, impayée à la date de l’assignation, et par la suite, sur le solde impayé jusqu’à parfait paiement. Cette condamnation peut être prononcée en faveur de la compagnie 9095 comme Anne-Marie le demande. 9095 doit évidemment remettre toutes les actions privilégiées catégories Y et Z dont elle est encore en possession sur réception du paiement de la condamnation.
[342] Enfin, le tribunal désire souligner que les parties ont été, en l’instance, particulièrement bien représentées.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[343] REJETTE la demande en irrecevabilité et en rejet de la défenderesse;
[344] ACCUEILLE la demande pour réouverture des débats de la demanderesse datée du 31 janvier 2020 et PERMET la production de la lettre R-2, à savoir une lettre datée du 16 janvier 2020, comme pièce P-48;
[345] ACCUEILLE la demande de la défenderesse pour réouverture des débats datée du 25 mars 2020 et PERMET la production de la pièce R-1 comme pièce D-76 (communiqué de presse émis le 12 mars 2020 par Québecor inc.), et de la pièce R-2 comme pièce D-70.1 (tableau des rachats d’actions);
[346] ACCUEILLE en partie l’action de la demanderesse Anne-Marie Péladeau;
[349] ORDONNE l’exécution provisoire nonobstant appel de la conclusion prononcée au paragraphe [347] à l’expiration d’un délai de soixante (60) jours de la date du présent jugement;
[350] ORDONNE à la demanderesse de signifier le présent jugement à Les Placements Péladeau inc. et à ses procureurs;
[352] ORDONNE aux parties de signer tous les documents nécessaires ou utiles afin de donner plein effet au présent jugement;
[353] REJETTE la défense modifiée de la défenderesse Les Placements Péladeau inc. et des mises en cause Pierre-Karl Péladeau et Érik Péladeau datée du 5 avril 2019;
[354] RÉSERVE aux parties le droit de s’adresser à la Cour supérieure suivant l’art. 657 C.p.c. pour obtenir toute ordonnance propre à faciliter l’exécution, volontaire ou forcée, du présent jugement de la manière la plus conforme aux intérêts des parties et la plus avantageuse pour elles;
[355] LE TOUT, avec frais de justice, incluant les frais d’expertise fixés à 53 808,30 $, en faveur d’Anne-Marie Péladeau et de Marie-Pierre Péladeau, devant être supportés par Les Placements Péladeau inc.
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_______________________________ GÉRARD DUGRÉ, J.C.S. |
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Me Philippe H. Trudel
Me Bruce W. Johnston
Me Anne-Julie Asselin
Mme Jessica Lelièvre, stagiaire
Trudel Johnston & Lespérance
Pour la demanderesse Mme Anne-Marie Péladeau
Me François Fontaine, Ad. E.
Me Julie Carlesso
Me Jules Charette
Norton Rose Fulbright Canada
Pour la défenderesse et les mis en cause
M. Érik Péladeau et M. Pierre-Karl Péladeau
Me Roberto R. Savarese
Grondin Savarese Legal inc.
Pour la mise en cause Mme Marie-Pierre Péladeau
[1] L’utilisation des prénoms des parties a pour but d’alléger le texte et il ne faut pas y voir un manque de courtoisie à l’égard des personnes concernées.
[2] Pièce D-1.
[3] Pièces D-3 et D-4.
[4] Pièce D-3, lettre du 11 novembre 1999, p. 2.
[5] Pièce D-22.
[6] Pièce D-24.
[7] Pièce P-4, p. 5. Il faut comprendre que 2327 détenait des actions privilégiées et 180 actions ordinaires (soit 1/3 de l’actionnariat ordinaire, et 12,5 % des droits de vote du capital-actions émis) dans le capital-actions de PPI et que cette dernière détenait 28 % de la compagnie Québecor inc.
[8] Pièce P-4.
[9] Pièce P-5, p. 6.
[10] Pièce P-5, page 6.
[11] Pièces P-6 et D-39. Trust Général du Canada c. Péladeau, C.S. Montréal, nos 500-05-050112-992, 500-14-011700-994 et 500-14-004063-921, 6 septembre 2000, j. Cohen.
[12] Pièce P-3.
[13] Pièce D-47.
[14] Pièce D-48.
[15] 7 321,246 actions privilégiées catégorie Y (actions non votantes et ne donnant droit à aucun dividende) rachetables au gré de PPI, et non de l’actionnaire, pour un prix de 1 000 $ par action, soit pour un total de 7 321 246 $; et 43 307,328 actions privilégiées catégorie Z, non votantes et ne donnant droit à aucun dividende, rachetable au gré de PPI, mais non de l’actionnaire, pour un prix de 1 000 $ par action, soit pour un total de 43 307 328 $. Les actions privilégiées cat. Z ne peuvent faire l’objet d’un rachat tant et aussi longtemps que toutes les actions privilégiées cat. Y n’auront pas été rachetées.
[16] Voir art. 3 et 21 du Protocole et art. 9 de la convention d’achat d’éléments d’actifs du 13 octobre 2000, pièce D-48.
[17] Pièce D-70.
[18] Compte tenu des dividendes annuels versés à PPI par Québecor depuis 2002 jusqu’en 2010, aucun autre rachat d’actions privilégiées n’a été effectué puisqu’en aucun temps durant cette période, les dividendes annuels déclarés n'ont été égaux ou supérieurs à 4 200 000 $.
[19] Cet article se lit comme suit : « 8. Tout événement non prévu aux présentes qui pourrait porter atteinte directement ou indirectement, à l’objet et aux considérations de la présente convention obligera les parties à renégocier de bonne foi les termes d’une nouvelle entente afin de maintenir les parties dans les mêmes droits et obligations que ceux ici consentis en autant qu’aucun préjudice y compris un déboursé (exclusion faite des honoraires professionnels reliés à la négociation susdite) qu’elles n’auraient pas autrement à faire en vertu des présentes, n’en résulte pour l’une ou l’autres des parties ».
[20] Péladeau c. Placements Péladeau inc., 2014 QCCS 10.
[21] Péladeau c. Placements Péladeau inc., 2015 QCCA 1724, par. 6 (j. St-Pierre).
[22] Fondée notamment sur les art. 1590, 1512 et 1400 C.c.Q. Dans cette demande, la demanderesse a abandonné ses demandes pour annuler le Protocole et pour remettre en état les parties. Ces demandes peuvent être jointes parce qu’elles ne sont pas incompatibles (art. 143 C.p.c.).
[23] Pièce D-70.
[24] Pièce D-70.
[25] Pièce D-70; art. 3 et 21 du Protocole et art. 9 de la convention d’achat d’éléments d’actifs, pièce D-48.
[26] Pièces P-1 à P-47.
[27] Pièces D-1 à D-75, dont l’extrait de l’interrogatoire hors Cour de Me Gratien Boily tenu le 26 juillet 2017.
[28] Péladeau c. Placements Péladeau inc., 2019 QCCS 2552.
[29] Le tribunal ne peut évidemment répondre à tous et chacun des nombreux arguments soulevés par les parties. Il s’en tiendra à l’essentiel. Si un argument n’est pas formellement tranché, c’est que le tribunal estime qu’il doit être rejeté parce que non pertinent ou clairement infondé.
[30] Demande datée du 30 septembre 2016 fondée sur les art. 51, 53 et 168 C.p.c.
[31] Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., 2018 CSC 55, par. 18; art. 168 al. 1(2°) C.p.c.
[32] Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux, 2014 CSC 49 (CanLII), [2014] 2 R.C.S. 477, par. 17.
[33] Pyrioux inc. c. 9251-7796 Québec inc., 2016 QCCA 651, par. 28-29.
[34] Demande du 31 janvier 2020, séq. # 055, fondée sur les art. 25, 49 et 323 C.p.c.
[35] D. ferland et B. Emery, Précis de procédure civile du Québec, 5e éd., vol. 1, « Art. 1-301, 321-344 C.p.c. », Montréal, Éditions Yvon Blais, 2015, nos 1-2440 à 1-2443; Marie-Josée hogue, « Commentaire sous l’article 323 », dans Luc chamberland (dir.), Le grand collectif. Code de procédure civile. Commentaires et annotations, vol. 1 « Articles 1 à 390 », Montréal, Éditions Yvon Blais, 2015, EYB2015GCO330; Liviu kaufman, dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil I », Jugement et frais de justice, fasc. 30, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, à jour au 1er juillet 2015, par. 1 à 5; Symons General Insurance Co. c. Rochon, J.E. 95-602 (C.A.).
[36] Voir Péladeau c. Placements Péladeau inc., 2019 QCCS 2552, par. 8(c).
[37] Voir les courriels des procureurs de PPI des 8 et 15 avril 2020 et celui en réponse des procureurs de la demanderesse daté du 8 avril 2020, reçus dans le cadre de la troisième demande de réouverture des débats tranchée ci-après. Ces courriels sont versés au dossier de la Cour.
[38] Fondée sur les art. 25, 49 et 323 C.p.c.
[39] Une telle demande est fondée notamment sur les art. 1458, 1590 et 1607 C.c.Q.
[40] Art. 5 du Protocole. Voir notamment les art. 1497 et 1501 C.c.Q.
[41] Le tribunal a lu avec intérêt le jugement rendu dans l’affaire Gestion Simon-Pierre Péladeau inc. c. Placements Péladeau inc., 2019 QCCS 5828, particulièrement le par. 80. Toutefois, ce jugement doit être distingué puisque le contexte dans lequel il a été rendu diffère substantiellement du contexte de la présente affaire. L’appel de ce jugement est actuellement pendant (C.A.M. dossier 500-09-028744-191).
[42] Pièce D-46. Reproduit tel quel, soulignement ajouté.
[43] Voir art. 1717 C.c.Q.
[44] Le fait qu’Anne-Marie ait accepté l’article 5 du Protocole n’est pas un empêchement dirimant à son droit de réclamer le paiement du prix de vente stipulé à son article 1. En effet, un vendeur qui délivre à l’acheteur les biens vendus et qui accepte un chèque en paiement ne renonce pas ipso facto à ses recours. Si le chèque ne peut être encaissé, le vendeur conserve ses deux recours; l’un fondé sur le contrat de vente (comme en l’espèce), l’autre fondé sur l’obligation cambiaire résultant du chèque. Le vendeur, à titre de créancier, conserve le choix du recours contre l’acheteur. Cependant, Anne-Marie ne peut évidemment percevoir directement le prix de vente et indirectement le prix de rachat des actions privilégiées.
[45] L’article 34 du Protocole se lit comme suit : « 34. La présente quittance et renonciation n’auront plein et entier effet à l’égard d’Anne-Marie Péladeau en ce qui concerne l’exécution du présent protocole qu’en autant que ses conditions et stipulations soient entièrement accomplies».
[46] « La véritable règle de droit, c’est qu’on n’est jamais censé renoncer à un droit, et alors que l’acquiescement peut être tacite, il doit être non-équivoque, c’est-à-dire l’intention d’acquiescer ou de renoncer doit être démontrée ». Le tribunal réfère aux trois arrêts suivants : The Mile End Milling Co. v. Peterborough Cereal Co., [1924] S.C.R. 120, 131, 1923 CanLII 37 (SCC) (j. Mignault) (d’où est tirée la citation précédente); Gingras c. Gagnon, 1975 CanLII 186 (CSC), [1977] 1 R.C.S. 217, à la p. 222 (j. Beetz), lequel est cité avec approbation dans Lacroix c. Valois, 1990 CanLII 46 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1259, à la p. 1290, où le juge Gonthier, pour la Cour, souligne que la renonciation doit s’interpréter dans un sens étroit en cas de doute sur son étendue.
[47] Protocole, art. 17.
[48] Protocole, art. 20. Voir également la convention d’achat d’éléments d’actifs de 2327 datée du 13 octobre 2000 (D-48).
[49] Pièce P-3.
[50] Plan d’argumentation de PPI, par. 198-199.
[51] D’ailleurs, l’art. 86 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), prévoit qu’un remaniement du capital-actions, telle une conversion d’actions, entraîne une disposition des actions converties.
[52] Voir notamment les art. 1795 et 1798 C.c.Q.
[53] Paul Martel, La société par actions au Québec, vol. 1 « Les aspects juridiques », Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, feuilles mobiles, à jour en octobre 2019, no 20-94. Voir aussi l’art. 1708 C.c.Q., qui définit le contrat de vente, et l’art. 1795 C.c.Q., qui définit le contrat d’échange. Voir notamment l’art. 86 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.). La Cour suprême dans l’arrêt La Reine c. Cie Imm. BNC Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865, a décidé que les termes « disposed of » ou « disposé » avaient un sens plus large que le verbe « aliéner ».
[54] Péladeau c. Placements Péladeau inc., 2015 QCCA 1724, par. 27, 48, 51, 59.
[55] L’extrait pertinent de l’article 17 se lit comme suit : « 17. Le capital-actions de PPI sera modifié comme suit : […] Les actions privilégiées Catégorie Y et les actions privilégiées Z (les « Actions ») comporteront entre autres droits et privilèges celui (sujet aux tests prévus à la Loi sur les Compagnies) d’être rachetables au gré de la compagnie mais non de l’actionnaire pour un prix de 1000 $ par action. Les actions seront non votantes et ne comporteront de droit à aucun dividende. De plus, en cas de liquidation, elles confèrent le droit de recevoir 1 000 $ par action de façon prioritaire sur les actions ordinaires et sur toutes autres actions non encore émises et qui seraient émises en contrepartie ou en remplacement d’actions ordinaires, quant au paiement de leur prix de rachat. Il est prévu que cette réorganisation s’effectue en franchise d’impôt en vertu de l’Article 86 L.I.R. Les actions privilégiées Catégorie Z ne pourront faire l’objet d’un rachat tant et aussi longtemps que toutes les actions privilégiées Catégorie Y n’auront pas été rachetées » (reproduit tel quel).
[56] L’article 22 du Protocole se lit en partie comme suit : « 22. Les transactions ci-dessus décrites seront complétées dans l’ordre et dans un délai maximum de vingt-cinq (25) jours du dépôt du jugement à intervenir en rapport avec le présent protocole et de plus, elles seront sujettes à modifications de manière à assurer que les conséquences fiscales seront limitées à leur minimum; […] ».
[57] Voir par. 197 du plan d’argumentation de PPI.
[58] Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43, [2017] 2 R.C.S. 59.
[59] L’article 21 du Protocole utilise des termes identiques.
[60] Art. 1506 et art. 1507 C.c.Q.; article 7 du Protocole qui se lit comme suit : «7. Tout solde de paiement dû à échéance et toute somme due à PPI par Newco en vertu du paragraphe 5, porteront intérêt au taux préférentiel de la Banque Royale du Canada majoré de deux pour cent (2%) ». L’article 7 de la convention de rachat d’actions (D-47) est plus précis et stipule qu’il s’agit d’un taux annuel.
[61] Art. 314 C.c.Q. qui se lit comme suit : «L’existence d’une personne morale est perpétuelle, à moins que la loi ou l’acte constitutif n’en dispose autrement ». Comme le souligne l’auteur Paul Martel, une société par actions continue d’exister jusqu’à ce que l’autorité souveraine qui l’a créée lui retire sa reconnaissance. « La société, pour être intangible et incorporelle, n’existe qu’en vertu du fait d’une autorité souveraine et continue d’exister jusqu’à ce que cette autorité lui retire sa reconnaissance ». P. Martel, La société par actions au Québec, no 34-1. Voir aussi pour les sociétés fédérales, no 34-4. Par ailleurs, comme le souligne l’auteur Michel Généreux : « [l]e législateur français vint limiter cette durée à 99 en 1966 pour les sociétés commerciales et généralisa cette mesure à toutes les sociétés en 1978 par l’adoption du nouvel article 1838 C.civ. […]. Par contre, il n’existe toujours pas de telles limites en droit québécois. […] ». Michel Généreux, « Le droit de dissolution unilatérale dans le contrant de société : avenue nouvelles », (1994) 39 R.D. McGill 333, note 6.
[62] L’arrêt Uniprix confirme qu’un contrat ayant un effet potentiellement perpétuel est (1) valide en droit québécois; (2) peut être à durée déterminée; et (3) peut comporter un terme. La liberté contractuelle (par. 1) permet aux parties de subordonner l’exécution d’une obligation d’un tel contrat à une condition ou un terme suspensif : Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43, [2017] 2 RCS 59, par. 105. Jacques Ghestin, « Existe-t-il en droit positif français un principe général de prohibition des contrats perpétuels? » dans Mélanges en l'honneur de Denis Tallon : d'ici, d'ailleurs, harmonisation et dynamique du droit, Paris, Société de législation comparée, 1999, p. 251-262, particulièrement p. 254, 4e al. in fine, où l’auteur exprime l’avis qu’un contrat perpétuel est un contrat à durée déterminée.
[63] Jean-Louis Baudouin, Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éd. Yvon Blais, 2013 (ci-après « Baudouin et Jobin »).
[64] Venne c. Québec (Commission de la protection du territoire agricole), [1989] 1 R.C.S. 880.
[65] Le mot « si » n’est pas nécessairement déterminant quant à la nature de l’événement. Didier lluelles et Benoît moore, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2018, no 2471 (ci-après « Lluelles et Moore »).
[66] Voir art. 1506 C.c.Q.
[67] Lluelles et Moore, no 2651.1 (« Après avoir un temps semblé hésiter quant à la qualification appropriée, la jurisprudence actuelle tend à privilégier la qualification de terme » (note omise)); voir aussi no 2521.3.
[68] Lluelles et Moore, no 2651.1; Design & construction Giffels Québec inc. c. Excavation Yelle inc., 2016 QCCA 256, par. 3, 24-27.
[69] Art. 6, 7 et 1375 C.c.Q.
[70] La Cour suprême dans l’arrêt Venne avalise l’utilisation de l’expression « terme incertain » (p. 903), et dans l’arrêt Uniprix utilise l’expression « terme incertain » (par. 66), alors que les auteurs Lluelles et Moore sont d’avis qu’il serait préférable de parler de « terme indéterminé » (no 2504). Pour leur part, les auteurs Baudouin et Jobin utilisent l’expression « terme indéterminé » (no 562). De plus, dans Baudouin et Jobin, no 562, à la note 23, l’on retrouve les divers vocables utilisés pour désigner un terme incertain ou indéterminé : « C’est pourquoi, comme l’écrivent très justement des auteurs, il est impropre de parler de terme « certain » et « incertain » : Pineau, Bruman et Gaudet, Obligations, no 361. Certains favorisent les expressions « terme inconnu » et « terme indéterminé » : CRDPCQ, Dictionnaire des obligations, voir « terme incertain »; Lluelles et Moore, Obligations, no 2504. Voir aussi, pour d’autres formulations, Tancelin, Obligations, no 445 (« terme daté » et « terme indatable »); Bras Miranda, « Modalités », supra note 5, no 15 (« terme à échéance certaine » et « terme à échéance incertaine ») […] ».
[71] Voir argumentation écrite de PPI, p. 16-24.
[72] Cet article 8 du Protocole se lit comme suit : « 8. Tout événement non prévu aux présentes qui pourrait porter atteinte, directement ou indirectement, à l’objet et aux considérations de la présente convention obligera les parties à renégocier de bonne foi les termes d’une nouvelle entente afin de maintenir les parties dans les mêmes droits et obligations que ceux ici consentis en autant qu’aucun préjudice y compris un déboursé (exclusion faite des honoraires professionnels reliés à la négociation susdite) qu’elles n’auraient pas autrement à faire en vertu des présentes, n’en résulte pour l’une ou l’autre des parties ».
[73] Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374.
[74] Voir notamment l’arrêt Colombie-Britannique (Procureur général) c. Malik, 2011 CSC 18, [2011] 1 R.C.S. 657, par 37-48. Au par. 42, le juge Binnie, pour la Cour, souligne que le fait qu’il s’agit seulement d’un jugement civil aurait une importance quant au poids devant lui être attribué; voir aussi Construction Aldo inc. c. Newton Électrique, s.e.n.c., 2011 QCCS 6374, par. 23-33, et la jurisprudence y citée.
[75] Le lecteur intéressé par cette problématique pourra consulter notamment Saucier c. La Capitale Assurances générales inc., 2018 QCCS 4082, par. 14-20 (conf. par 2019 QCCA 56), et la jurisprudence de la Cour suprême qui y est citée.
[76] RLRQ, c. I-16. Ces articles se lisent comme suit : « 41. Toute disposition d’une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d’imposer des obligations ou de favoriser l’exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage. Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin. 41.1. Les dispositions d’une loi s’interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble et qui lui donne effet.» [soulignement ajouté].
[77] Voir Barreau du Québec c. Québec (Procureure générale), 2017 CSC 56, [2017] 2 R.C.S. 488, par. 26.
[78] Paul robert, Le Petit Robert 2011, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, sous la dir. de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, Le Robert, 2010, s.v. « si », p. 2367.
[79] Voir notamment Hôpital Notre-Dame c. Patry, [1975] 2 R.C.S. 388, p. 398; Duquet c. Ville de Sainte-Agathe, [1977] 2 R.C.S. 1132, p. 1139; Banque nationale c. Soucisse et autres, [1981] 2 R.C.S. 339, p. 348.
[80] Québec, Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice - Le Code civil du Québec : Un mouvement de société, t. I, Québec, Publications du Québec, 1993, p. 927.
[81] Id., p. 927.
[82] Québec, Office de révision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Québec - Projet de Code civil, v. 1, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1978, p. 355.
[83] Id., « Commentaires », vol. II, t. 2, livres 5 à 9, p. 643, a. 133.
[84] Le Petit Robert 2011, s.v. « tenir », F. tenir…pour, p. 2530.
[85] Voir notamment l’art. 41 L.I.
[86] Tout comme la convention de rachat du 13 octobre 2000, pièce D-47.
[87] Sur l’exigibilité liée à la réalisation d’un événement que les parties tiennent pour certain, voir aussi Baudouin et Jobin, no 562, p. 662. Sur les fictions et les présomptions créées par le législateur, voir notamment Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6th ed., Markham, LexisNexis Canada, 2008, p. 85-91; R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838, p. 845-846; Threlfall c. Carleton University, 2019 CSC 50, par. 182.
[88] Commentaires du ministre de la Justice, t.1, p. 927.
[89] Le terme « devient » est utilisé 47 fois dans le Code civil du Québec tantôt pour référer à une situation de fait (26 fois), tantôt pour créer une fiction juridique (21 fois). Dans ce dernier cas, voir les art. 153, 199, 452, 455, 521.12, 752, 956, 1219, 1227, 1392, 1510, 1747, 1938, 2000, 2237, 2327, 2594, 2769, 2783 C.c.Q.
[90] Évidemment le terme « obligation » retenu par le législateur est plus large et probablement préférable.
[91] Henri Capitant, dir., Vocabulaire juridique, Paris, Presses universitaires de France, 1936, s.v. « fiction ».
[92] Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, paru dans JuriBistromd edictionnaire, CAIJ, s.v. « fiction », en ligne : ˂dictionnairereid.caij.qc.ca˃ (consulté le 13 mars 2020).
[93] André Émond, «L'inadéquation entre le droit et l'histoire», 2003 33-1-2 Revue de Droit de l'Université de Sherbrooke 317, 2003 CanLIIDocs 174, p. 325; voir aussi Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., Markham, LexisNexis Canada, 2008, p. 87.
[94] La présomption peut être simple ou absolue. Celle qui concerne des faits présumés (presumed) est simple et peut être repoussée par une preuve contraire; celle qui concerne des faits réputés (deemed) est absolue et aucune preuve ne peut lui être opposée (art. 2847 C.c.Q.).
[95] R. v. Verrette, [1978] 2 S.C.R. 838.
[96] Sur les fictions juridiques, voir Threlfall c. Carleton University, 2019 CSC 50, par. 183, particulièrement la note de bas de page 10.
[97] Commentaires du ministre de la Justice, p. 927.
[98] Id. Le ministre de la Justice précise que cet article rend l’obligation exigible au jour seulement où l’événement aurait dû normalement arriver plutôt que de considérer l’obligation exigible dès le jour où il est devenu certain que l’événement n’arrivera pas.
[99] Le Petit Robert 2011, s.v. « normalement » et « normal », p. 1704 et 1703.
[100] L’intention des parties de considérer un événement futur comme une condition ou un terme ne devrait pas lier le tribunal, puisque les vocables « condition » et « terme » sont des termes légaux ayant une signification légale bien précise. D’autant plus que, lorsque les parties ont subordonné une obligation à la réalisation d’un événement futur et incertain, mais qu’elles ont tenu la réalisation de l’événement pour certaine, cet événement n’est pas une condition au sens de l’art. 1497 C.c.Q. Il est donc parfaitement logique, d’une part, que le législateur ait placé cet article 1510 dans la sous-section II intitulée « De l’obligation à terme » et, d’autre part, qu’il n’ait posé qu’une seule exigence pour son application, à savoir que l’événement futur - certain ou incertain - soit tenu pour certain et qu’il n’arrive pas. Enfin, l’intention des parties n’apparaît pas dans le texte de l’art. 1510 C.c.Q. et ne s’infère pas clairement de son libellé : Voir Gagnon c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 264, p. 272, commenté par John W. Durnford, « Jean Beetz and Gagnon v. The Queen - His only Foray Into the Troubled Waters of the Law of Taxation », dans Mélange Jean Beetz, Montréal, Éditions Thémis, 1995, pp. 445-469; Desgagné c. Fabrique de la paroisse St-Philippe d’Arvida, [1984] 1 R.C.S. 19, p. 41-42.
[101] Pièce P-6. L’art. 22 du Protocole prévoit d’ailleurs la nécessité « du dépôt du jugement à intervenir en rapport avec le présent protocole » pour que les transactions y décrites soient complétées.
[102] Rapport Wise Blackman du 9 août 2013, opinion sur le caractère juste et raisonnable de la contrepartie offerte à Madame Anne-Marie Péladeau, pièce P-5, p. 6.
[103] Pièce P-5, p. 6.
[104] Pièce D-70 : montants versés (4 371 426 $ + 3 829 246 $) ÷ prix de vente (55 000 000 $) x 100 = 14,91 %.
[105] Pièce D-70 : montant des actions privilégiées : 50 628 574 $; montant des actions rachetées : 3 829 246 $; pourcentage des actions privilégiées rachetées : 7,56 %.
[106] Défense de PPI, par. 3.
[107] Le rapport utilise plutôt le vocable « considération », rapport du 9 août 2000, pièce P-5.
[108] À l’échéance du terme, c’est l’exigibilité du paiement qui arrive à échéance, et non l’obligation qui arrive à échéance : Lluelles et Moore, no 2520, note de bas de page 68, p. 1519.
[109] Vu les conclusions auxquelles en arrive le tribunal, il n’est pas utile de trancher en l’espèce la prétention de la demanderesse à l’effet que PPI ne se serait pas conformer au jugement déclaratoire prononcé par la Cour d’appel le 21 octobre 2015 en ne renégociant pas de bonne foi les termes d’une nouvelle entente.
[110] Demande introductive d’instance modifiée du 29 avril 2019, par. 51.
[111] Voir notamment Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705, p. 829, soulignement dans l’original. Le montant de la condamnation pour dommages-intérêts compensatoires est établi en principe à la date du jugement (mais en pratique, il s’agit souvent de la date du procès). Depuis au moins 1919, en droit civil québécois, la perte effectivement subie et le gain réellement manqué doivent être calculés au jour du jugement en tenant compte des faits survenus postérieurement au préjudice ou à la violation du contrat : Baudouin et Jobin, Les obligations, no 769, p. 924; J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, La responsabilité civile, 7e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, no 1-1283, p. 1059; Findlay c. Howard, [1919] 58 S.C.R. 516, 1919 CanLII 66 (SCC); Jobin c. The City of Thetford Mines, [1925] S.C.R. 686; Pratt c. Beaman, [1930] S.C.R. 284; Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville de), [1989] 1 R.C.S. 705, 827 à 829; Langlois c. Drapeau, [1962] B.R. 277; Caouette c. Lachapelle, [1980] C.S. 290; Aubry c. Éditions Vice-Versa Inc., [1998] 1 R.C.S. 591, par. 74.
[112] Par. 51 de la demande introductive d’instance modifiée du 29 avril 2019. Voir Section 2 intitulée « Le contenu s’impose aussi au juge : l’impossible modification judiciaire du contrat, en dépit d’un changement des circonstances », Lluelles et Moore, nos 2229-2251.4.
[113] Cette somme est tirée de la pièce D-70, p. 2 « solde au 31 décembre 2018 (et au 31 mars 2019) ».
[114] À cet égard, les pièces D-70 et D-70.1 peuvent être utiles aux parties.
[115] Avances consenties à 2327, sans intérêt, et assumées par 9095 le 13 octobre 2000 en vertu de l’article 9 de la convention d’achat d’éléments d’actifs, pièce D-48.
[116] Le tribunal mentionne que la condamnation à laquelle a droit la demanderesse est l’équivalent notamment du paiement du prix de vente de ses intérêts directs et indirects dans PPI, elle est donc en droit d’indiquer au tribunal que cette condamnation peut être prononcée en faveur d’une personne autorisée à la recevoir pour elle (art. 1557 C.c.Q.). Or, en l’instance, la demanderesse a clairement indiqué dans les conclusions de son action que la condamnation serait prononcée en faveur de 9095 qui détient d’ailleurs l’ensemble des actions privilégiées catégorie Y et Z. Cette dernière, mise en cause en l’instance, a offert de remettre les actions privilégiées qu’elle détient encore dans le capital-actions de PPI. Selon la pièce D-70, il ne reste que des actions privilégiées catégorie Z à racheter.
[117] Les actions privilégiées catégorie Y ont toutes été rachetées.
[118] Art. 10 al. 2 C.p.c.
[119] Commentaires du ministre de la Justice, p. 929. Il importe de souligner que dans la mesure où la fixation d’un terme par le tribunal constitue une modification du contrat des parties, l’art. 1512 C.c.Q. qui confère ce pouvoir au tribunal, constitue donc une cause reconnue par la loi aux fins de l’art. 1439 C.c.Q.
[120] Il s’agit de l’art. 1305-1 (créé par Ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, art. 3) qui se lit comme suit : « Le terme peut être exprès ou tacite. À défaut d’accord, le juge peut le fixer en considération de la nature de l’obligation et de la situation des parties ».
[121] La pièce D-70 indique qu’au 31 mars 2019, 9095 détient seulement 38 515,328 actions privilégiées catégorie Z (rachetable à 1 000 $ / action) du capital-actions de PPI, les actions privilégiées catégorie Y ayant toutes été rachetées par PPI.
[122] En l’espèce, la date d’assignation est importante puisqu’elle évite la question de la rétroactivité du jugement et celle de savoir si le jugement fixant le terme est de nature déclarative ou constitutive. C’est ce que souligne Mignault : «Le principe de rétroactivité est, en effet, commun à tous les jugements; mais, par exception, ce principe n'eût pas été applicable au jugement de séparation de biens si la loi ne l'eût pas dit expressément. En effet, si les jugements sont rétroactifs, c'est, d'une part, parce qu'ils sont, non pas attributifs de droits nouveaux, mais simplement déclaratifs de droits préexistants, et que, d'autre part, le demandeur qui triomphe ne doit pas souffrir de l'injuste résistance du défendeur : l'équité veut qu'il obtienne par le jugement tout ce qu'il eût obtenu si le jugement eût été rendu le jour même de la demande » [P.B. Mignault, Le droit civil canadien, Tome 6, Montréal, C. Théoret, 1902 (soulignement ajouté)], cité avec approbation dans Triwin Establishment c. United Development (1966) Corp, 1983 CanLII 2721, par. 12 (qc ca).
[123] Quant à la fixation du terme indéterminé en vertu de l’art. 1512 C.c.Q., les auteurs Baudouin et Jobin écrivent notamment ceci : « L’obligation en question devient exigible à compter du moment fixé par le tribunal, qui peut être celui du jugement ou tout autre moment qu’il considère opportun. Comme pour toute obligation à terme, la prescription ne court qu’à compter du moment ainsi déterminé, et non à compter de la naissance de l’obligation dont le terme était indéterminé ». (Les obligations, no 565, note omise, soulignement ajouté). Voir aussi Lluelles et Moore, nos 2504 et 2505.
[124] Pièce D-48.
[125] Le texte de cette clause a été précisé dans la convention de rachat d’actions signée le 13 octobre 2000 qui comprend les clauses 1.1(i) et 7 qui se lisent comme suit :
1. Définitions et interprétation
1.1 Aux fins de la présente convention :
[…]
i) « Taux déterminé » désigne le taux d’intérêt annuel annoncé à l’occasion par la Banque Royale du Canada comme étant son taux de référence alors en vigueur pour déterminer les taux d’intérêt applicables aux prêts commerciaux en dollars canadiens consentis par la Banque Royale du Canada au Canada, majoré de 200 points de base.
[…]
7. Intérêt
Tout montant échu et impayé aux termes des présentes portera intérêt jusqu’à son paiement à un taux annuel égal au Taux déterminé. De même toute portion des Acomptes reçue par l’Actionnaire devant être remboursée à la Compagnie en vertu de l’article 6 portera intérêt à compter de la demande écrite décrite au paragraphe 6.2 jusqu’à la date de son remboursement, à un taux annuel égal au Taux déterminé. Voir D-47.
[126] Au cours du délibéré, le tribunal a demandé aux procureurs de la demanderesse et aux procureurs de PPI des précisions quant à l’application de l’article 7 du Protocole. Il a reçu leurs représentations les 20 et 27 février 2020. Elles sont versées au dossier de la Cour.
[127] La jurisprudence considère l’indemnité additionnelle comme de l’intérêt : Compagnie d'assurance Travelers du Canada c. Corriveau et autre, [1982] 2 R.C.S. 866, p. 875.
[128] Voir notamment Baudouin et Jobin, no 796.
[129] L.R.C. 1985, c. I-15, a. 3.
[130] Droit de la famille - 16436, 2016 QCCA 376, par. 32.
[131] Voir les art. 1594 à 1600 C.c.Q. Sur la demeure, voir Lluelles et Moore, chap. 47 « La demeure », nos 2793-2814.1; Baudouin et Jobin, sous-section II « Demeure », nos 696-710.
[132] On l’a vu, l’article 7 du Protocole impose un intérêt sur tout solde de paiement dû à échéance, mais cette clause n’a pas pour autant l’effet de constituer en demeure PPI.
[133] La lettre du 3 mars 2011 (P-46) n’est pas une mise en demeure extrajudiciaire valide. Sur la demande extrajudiciaire, voir Lluelles et Moore, nos 2798-2804.
[134] Pièce D-70 peut donc être utile pour effectuer ce calcul. En cas de mésentente, la procédure prévue aux art. 657 et 659 C.p.c. peut être suivie.
[135] Particulièrement de la pièce D-70.
[136] Pièce D-70 : solde au 31 décembre 2015 : 45 662 328 $, moins le paiement d’avril 2016 de 306 000 $ et moins le paiement de juin 2016 de 393 000 $.
[137] Ce montant est calculé comme suit : solde au 31 décembre 2015 : 45 662 328 $, moins versement d’avril 2016 : 306 000 $, moins versement de juin 2016 : 393 000 $ et compensation de l’avance de 2 323 000 $ = 42 640 328 $ en date du 29 juin 2016. Voir la pièce D-70 complétée par la pièce D-70.1.
[138] Marcotte c. Simard, 1996 CanLII 6547 (qc ca), p. 8-10, [1996] R.R.A. 554, EYB 1996-29237.
[139] Le taux d’intérêt prévu à l’art. 28 de la Loi sur l’administration fiscale, RLRQ, c. A-6.002, antérieurement la Loi sur le ministère du Revenu, L.R.Q., c. M-31), n’a jamais été inférieur au taux légal. Ce taux s’élève actuellement à 7 % depuis le 1er octobre 2018. Il s’agit d’un taux d’intérêt simple, et non d’un taux d’intérêt composé quotidiennement applicables aux créances dues à l’État (voir art. 28.1 de la Loi sur l’administration fiscale).
[140] Art. 547 i) C.p.c., RLRQ, c. C-25 (1966).
[141] Art. 547 al. 2 a.C.p.c., tel que modifiée par L.Q. 1995, c. 2, a. 9.
[142] Pour l’historique de l’art. 547 a.C.p.c. durant cette période, voir Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., [1995] R.D.J. 472, AZ-95011571 (C.A.).
[143] Art. 2804 C.c.Q.
[144] Montana et al. c. Les développements du Saguenay Ltée et al., [1977] 1 R.C.S. 32, p. 38; Droit de la famille - 17739, 2017 QCCA 629, par. 60.
[145] CTI Capital Valeurs mobilières inc. c. Nassif, 2020 QCCA 197.
[146] On l’a dit, 9095 n’est maintenant détentrice que d’actions privilégiées catégorie Z, celles de catégorie Y ayant toutes été rachetées.
[147] L’article 22 du Protocole prévoit en partie ce qui suit : « Les transactions ci-dessus décrites seront complétées dans l’ordre et dans un délai maximum de vingt-cinq (25) jours du dépôt du jugement à intervenir en rapport avec le présent protocole et de plus, elles seront sujettes à modifications de manière à assurer que les conséquences fiscales seront limitées à leur minimum; […] ».
[148] Par exemple en se fondant sur les art. 333 C.p.c. et 1439 C.c.Q.
[149] Préparée par la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, en ligne : <https://www.ulcc.ca/fr/lois-uniformes-nouvelle-structure/630-lois-uniformes-new/lois-uniformes-courantes ˃ (consultée le 17 mars 2020). Par souci de commodité, cet article se lit ainsi :
7(1) La cour peut, sur demande, donner des directives relativement à toute affaire ou question afférente à une procédure d’exécution prévue par la présente loi ou trancher toute question qui en émane et rendre toute ordonnance qu’elle estime opportune.
(2) La cour peut lorsqu’une demande lui en est faite en vertu du présent article ou en vertu d’un autre article de la présente loi notamment faire l’une ou plusieurs des choses suivantes :
a) rendre
un jugement déclaratoire ou une ordonnance établissant des mesures de
redressement par voie d’injonction afin d’assurer le respect de la présente loi
ou afin d’assurer la protection des intérêts d’une personne dont le bien fait
l’objet d’une procédure d’exécution;
b) donner des directives à toute personne
quant à l’exercice de ses droits ou quant à l’exercice de ses fonctions ou ses
obligations en vertu de la présente loi;
c) ordonner
à un débiteur judiciaire ou à une personne qui a la possession ou le contrôle
d’un bien du débiteur judiciaire à le délivrer à un officier ou à une autre
personne nommée dans l’ordonnance;
d) enjoindre au débiteur judiciaire ou à
toute autre personne d’aliéner des biens ou d’en disposer autrement;
e) donner des directives concernant la mise en œuvre de procédure d’exécution, y compris la méthode ainsi que les modalités de vente ou d’aliénation du bien d’un débiteur judiciaire;
f) suspendre une procédure d’exécution relativement à tous les biens du débiteur judiciaire ou une partie de ceux-ci selon les modalités et les conditions que la cour estime opportunes si elle estime juste et équitable de le faire;
g) ordonner à un débiteur judiciaire ou à une autre personne de passer une cession, un transfert, un document ou un dossier qui est requis afin de clore la vente ou l’aliénation du bien par un officier ou un séquestre;
h) accorder un abrègement ou une prorogation d’un délai prévu par la présente loi;
i) enjoindre à quiconque de ne pas entraver le travail d’un officier alors dans l’exercice d’une procédure d’exécution ou de l’application d’autres mesures visant à faire exécuter un jugement en vertu de la présente loi;
j) ordonner
aux autorités policières investies des pouvoirs pour assurer la sécurité
publique et qui en sont responsables pour la localité où une procédure
d’exécution sera effectuée de prévenir une violation de la paix et de fournir
une protection à l’officier alors qu’il procède à une saisie de bien ou qu’il
effectue une autre procédure d’exécution; cet ordre pouvant notamment être
adressé à un agent de la paix selon le sens qu’en donne le Code criminel
(Canada);
k) décréter qu’un avis soit donné, qu’une
demande soit faite ou qu’un document ou un dossier soit signifié par toute
autre méthode en remplacement d’une méthode prévue par la présente loi;
l) ordonnant
la radiation d’un avis de jugement du réseau d’enregistrement;
m) faire une allocation de frais relativement
à une demande faite à la cour en application de la présente loi.
(3) La cour peut, sur demande, annuler ou modifier une ordonnance qui suspend une procédure d’exécution si cette demande se fonde sur de nouveaux renseignements ou un changement de circonstances.
[150] L’article 22 du Protocole prévoit en partie ce qui suit : « […] [les transactions] seront sujettes à modifications de manière à assurer que les conséquences fiscales seront limitées à leur minimum […] ».
[151] L’art. 657 C.p.c. a déjà été utilisé dans divers contextes, par exemple : pour interpréter un jugement (Droit de la famille — 18975, 2018 QCCS 1905); pour prononcer une condamnation monétaire afin de remplacer une automobile saisie introuvable (Droit de la famille — 181275, 2018 QCCS 2544, par. 3-6); pour forcer la publication d’un titre de propriété en exécution d’un jugement exécutoire (Succession de Claveau, 2019 QCCS 3937); afin d’ordonner au Directeur de l’État civil d’effectuer les inscriptions nécessaires au Registre de l’État civil afin que le nom de l’enfant soit effectivement modifié (Droit de la famille — 192442, 2019 QCCA 2096, par. 10-15).
[152] Voir les art. 340 et 339 C.p.c.
[153] Pièces P-23-D. L’expert de PPI, M. Alain Lajoie, de la firme Quotient Juricomptables, a lui aussi livré un excellent témoignage suite au dépôt de son rapport d’expertise. Ses frais s’élèvent à 62 724,15 $, ce qui confirme la raisonnabilité des frais de l’expert Boyer.
[154] Comme le plaide elle-même PPI en citant les autorités suivantes : Luelles et Moore, nos 249-255; Baudouin, Deslauriers et Moore, La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1 Cowansville, Yvon Blais, 2014, nos 1-63 à 1-74; B. Lefebvre, « La bonne foi », dans B. Moore, éd., Les grands classiques du droit civil - Les grandes notions, Montréal, Thémis, 2015, 75, p. 114-119; S. Guillemard, Tentative de description de l’obligation de bonne foi, en particulier dans le cadre des négociations précontractuelles », (1993) 24 R.G.D. 369, p. 385-389.
[155] La Cour suprême du Canada a unanimement conclu que la dépendance est une maladie et que l’on ne peut reprocher à la personne qui en souffre sa liberté de choix : Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, par. 101.
[156] Banque Nationale c. Soucisse et autres, [1981] 2 R.C.S. 339, 358.
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