Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Harper et Limocar Roussillon inc.

2016 QCTAT 546

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

571030-62-1504

 

Dossier CNESST :

134345453

 

Longueuil,

le 27 janvier 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Carmen Racine

______________________________________________________________________

 

 

 

Réjean Harper

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Limocar Roussillon inc.

 

Partie mise en cause

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 16 avril 2015, monsieur Réjean Harper (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST)[1] le 13 mars 2015 à la suite d’une révision administrative (la révision administrative).

[2]           Par celle-ci, la CSST traite d’un avis de paiement qu’elle a préalablement émis le 22 janvier 2015 et elle détermine que cet avis reflète les dispositions législatives pertinentes en matière de calcul de l’indemnité de remplacement du revenu et que la demande de révision produite par le travailleur est donc irrecevable.

[3]           L’audience dans cette affaire a lieu à Longueuil, le 18 janvier 2016, en présence du travailleur et de son représentant, Me Martin Savoie. L’employeur, Limocar Roussillon inc., n’assiste pas à cette audience. En effet, le 23 décembre 2015, il informe le tribunal de son absence à celle-ci.

[4]           Or, le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail (LITAT)[2] entre en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume, entre autres, les compétences de la Commission des lésions professionnelles.

[5]           Ainsi, en vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail, à savoir, ici, celle dédiée à la santé et à la sécurité du travail. La soussignée a donc tenu la présente audience au nom de ce nouveau tribunal et elle rendra la présente décision en sa qualité de membre de ce dernier.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]           Le représentant du travailleur soutient que la demande de révision produite par ce dernier est recevable et, sur le fond du litige, il demande au tribunal de déclarer que les calculs relatifs au versement de l’indemnité de remplacement du revenu prévus au second alinéa de l’article 56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi) doivent tenir compte non pas de la date de la récidive, rechute ou aggravation reconnue, mais bien de la date où le travailleur devient incapable d’exercer son emploi en raison de cette lésion, soit, dans le présent dossier, le 22 août 2014.

[7]           Il demande donc au tribunal de corriger, en ce sens, la décision rendue par la révision administrative.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           Le tribunal doit déterminer si la demande de révision produite par le travailleur est recevable.

[9]           Il doit, de plus, dans l’éventualité où cette recevabilité est acquise, se prononcer sur la justesse du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu fait par la CSST dans le présent dossier.

[10]        Or, il ressort des documents au dossier et du témoignage du travailleur que ce dernier est chauffeur d’autobus pour l’employeur lorsque, le 4 décembre 2008, il est victime d’une lésion professionnelle. Il se blesse alors à l’épaule gauche.

[11]        Le travailleur reprend ce travail le 12 janvier 2010 et, dès lors, le 20 avril 2010, la CSST détermine qu’il est capable d’exercer son emploi et elle met fin au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

[12]        Le 17 janvier 2013, le travailleur allègue subir une récidive, rechute ou aggravation de cette lésion initiale. Il est alors âgé de plus de 66 ans. Il ne cesse pas de travailler pour autant. Il poursuit ses activités régulières de travail jusqu’à ce que la chirurgie planifiée à son épaule gauche soit pratiquée, le 22 août 2014.

[13]        Entre temps, le 22 mars 2013, la CSST refuse de reconnaître une récidive, rechute ou aggravation et, au terme du processus de contestation, le 30 septembre 2014, la Commission des lésions professionnelles[4] infirme cette décision et elle déclare que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 17 janvier 2013.

[14]        La CSST s’intéresse donc de nouveau au dossier du travailleur.

[15]        Notant que celui-ci est âgé de plus de 64 ans au moment de la survenue de la récidive, rechute ou aggravation, la CSST applique l’article 56 de la loi et, débutant ses calculs à compter du 17 janvier 2013, elle émet un avis de paiement, le 22 janvier 2015, par lequel elle avise le travailleur qu’elle réduira son indemnité de remplacement du revenu de 50 % à compter du 17 janvier 2015.

[16]        Le travailleur demande la révision de cet avis de paiement. Le 23 janvier 2015, l’agente d’indemnisation lui explique ce qui suit à ce sujet :

ASPECT FINANCIER

Sa base salariale est baissé [sic] de 50 %. T (travailleur) ne comprend pas pourquoi. Il est en colère. T a 68 ans. Son événement est le 17 janvier 2014 [sic]. Je lui dis qu’à cette date, l’article 56 s’applique.

 

 

 

[17]        Le travailleur ne se laisse pas convaincre par ces explications et il maintient sa demande de révision. Or, le 13 mars 2015, la révision administrative estime que cet avis de paiement est conforme à la loi, que le travailleur n’est pas lésé par cet avis et que sa demande de révision est donc irrecevable. Cette décision est contestée devant le tribunal d’où le présent litige.

[18]        À l’audience, le travailleur confirme qu’il reprend ses activités régulières de travail le 12 janvier 2010 et qu’il exerce ainsi son emploi jusqu’au 22 août 2014, date à laquelle il se soumet à une chirurgie à l’épaule gauche.

[19]        Il explique que, en janvier 2013, ses douleurs à l’épaule gauche s’accroissent ce qui l’amène à multiplier les consultations médicales et les investigations et ce qui incite son médecin à planifier et à pratiquer une intervention chirurgicale le 22 août 2014.

[20]        Le travailleur indique qu’il cesse de travailler en raison de cette chirurgie et que c’est donc à cette date qu’il devient incapable d’exercer son emploi, et pas avant.

[21]        Le représentant du travailleur invoque le second alinéa de l’article 56 de la loi. Cet article se lit comme suit :

56.  L'indemnité de remplacement du revenu est réduite de 25 % à compter du soixante-cinquième anniversaire de naissance du travailleur, de 50 % à compter de la deuxième année et de 75 % à compter de la troisième année suivant cette date.

 

Cependant, l'indemnité de remplacement du revenu du travailleur qui est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans est réduite de 25 % à compter de la deuxième année suivant la date du début de son incapacité, de 50 % à compter de la troisième année et de 75 % à compter de la quatrième année suivant cette date.

__________

1985, c. 6, a. 56.

[Le tribunal souligne]

 

 

[22]        Il rappelle que le travailleur est victime d’une lésion professionnelle, soit une récidive, rechute ou aggravation, alors qu’il est âgé d’au moins 64 ans et que la date du début de son incapacité en regard de cette lésion n’est pas le 17 janvier 2013, mais bien le 22 août 2014. Les réductions de l’indemnité de remplacement du revenu prévues au deuxième alinéa de l’article 56 de la loi doivent donc être calculées à partir de cette dernière date.

[23]        Ainsi, selon le représentant du travailleur, la réduction de 25 % entre en vigueur le 22 août 2016, celle de 50 % le 22 août 2017 et celle de 75 % le 22 août 2018.

[24]        Le représentant du travailleur note que, en vertu de l’article 57 de la loi, le travailleur a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu durant une période de quatre ans après la date du début de son incapacité d’exercer son emploi, ce qui milite en faveur de l’interprétation qu’il propose au tribunal.

[25]        Le représentant du travailleur cite aussi l’article 44 de la loi qui fait débuter le versement de l’indemnité de remplacement du revenu de l’incapacité réelle générée par une lésion professionnelle, et non de la date de la survenue de celle-ci.

[26]        Le représentant du travailleur demande donc au tribunal de déclarer que les calculs prévus au second alinéa de l’article 56 de la loi doivent partir de la date de l’incapacité de ce dernier à exercer son emploi, soit le 22 août 2014.

[27]        Le tribunal doit donc se prononcer sur la demande formulée par le travailleur.

[28]        D’entrée de jeu, le tribunal note que l’avis de paiement émis le 22 janvier 2015 constitue une décision de la CSST puisque, par ce document, cet organisme avise le travailleur de la réduction de son indemnité à compter du 17 janvier 2015. Ce document affecte donc les droits du travailleur, il produit des effets et peut, dès lors, être qualifié de décision.

[29]        De plus, contrairement à ce que soutient la révision administrative, cet avis de paiement lèse le travailleur puisqu’il lui annonce que son indemnité de remplacement du revenu est réduite de 50 %. Il a donc tout intérêt à pouvoir s’y opposer et à le contester. Sa demande de révision est donc tout à fait recevable.

[30]        Maintenant, le tribunal doit déterminer si la réduction de l’indemnité de remplacement du revenu projetée par la CSST est juste et conforme aux dispositions législatives pertinentes.

[31]        Or, ici, le tribunal note que, à la suite de la lésion professionnelle initiale, le travailleur ne reçoit plus d’indemnité de remplacement du revenu depuis le 12 janvier 2010.

[32]        Le 17 janvier 2013, le travailleur est âgé de 66 ans lorsqu’il soutient avoir été victime d’une récidive, rechute ou aggravation de cette lésion initiale. À cette époque, il ne reçoit toujours pas d’indemnité de remplacement du revenu car il est toujours capable d’exercer son emploi de chauffeur d’autobus, malgré l’accroissement de ses douleurs à l’épaule gauche.

[33]        Le travailleur n’est donc pas dans la situation prévue au premier alinéa de l’article 56 de la loi puisqu’il ne reçoit aucune indemnité de remplacement du revenu lorsqu’il atteint l’âge de 65 ans. Il n’y a donc pas lieu d’appliquer les échelles de réduction qui y sont prévues.

[34]        Toutefois, il est victime d’une lésion professionnelle alors qu’il est âgé d’au moins 64 ans puisque, le 17 janvier 2013, date de la récidive, rechute ou aggravation reconnue par la Commission des lésions professionnelles, il a 66 ans.

[35]        Sa situation correspond donc à celle retrouvée au second alinéa de l’article 56 de la loi.

[36]        Ainsi, la première réduction de 25 % de l’indemnité de remplacement du revenu survient à compter de la deuxième année suivant la date du début de l’incapacité, celle de 50 % à compter de la troisième année suivant la date du début de cette incapacité et celle de 75 % à compter de la quatrième année suivant cette date.

[37]        Le tribunal remarque que le point de départ de ce calcul n’est pas la date de la lésion professionnelle, mais bien la date du début de l’incapacité engendrée par cette lésion.

[38]        Dans ce dossier, il n’y a aucune coïncidence entre la date de la survenue de la lésion professionnelle, le 17 janvier 2013, et celle du début de l’incapacité, le 22 août 2014. Or, le législateur est clair. C’est cette dernière date qui prévaut afin d’appliquer les réductions de l’indemnité de remplacement du revenu énoncées au second alinéa de l’article 56 de la loi.

[39]        Cette interprétation, en plus de respecter à la lettre les prescriptions du législateur, s’harmonise parfaitement avec les autres dispositions traitant du versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

[40]        À cet égard, le tribunal note que, selon le troisième paragraphe de l’article 57 de la loi, le droit à l’indemnité de remplacement du revenu s’éteint, chez un travailleur âgé d’au moins 64 ans au moment de la survenue de la lésion professionnelle, quatre ans après la date du début de son incapacité d’exercer son emploi, et non quatre ans après qu’il ait été victime d’une telle lésion.

[41]        Le tribunal note également que les articles 44 et suivants de la loi arriment le droit à l’indemnité de remplacement du revenu non pas à la survenue d’une lésion professionnelle, mais bien à l’incapacité d’exercer son emploi générée par celle-ci.

[42]        Le tribunal est donc d’avis que les réductions de l’indemnité de remplacement du revenu décrites au second alinéa de l’article 56 de la loi s’appliquent en considérant, comme date du début du calcul, le 22 août 2014, puisque c’est à ce moment que le travailleur devient, en fait, incapable d’exercer son emploi en raison de la récidive, rechute ou aggravation du 17 janvier 2013.

[43]        Le tribunal infirme donc la décision rendue par la révision administrative.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE la requête déposée par le travailleur et partie demanderesse, monsieur Réjean Harper;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (maintenant appelée Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) le 13 mars 2015 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE recevable la demande de révision produite par le travailleur;

DÉCLARE que, en raison de la récidive, rechute ou aggravation subie par le travailleur le 17 janvier 2013, celui-ci devient incapable d’exercer son emploi à compter du 22 août 2014;

DÉCLARE que les calculs relatifs au versement de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu du second alinéa de l’article 56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles doivent être basés non pas sur la date de la récidive, rechute ou aggravation, mais sur la date du début de l’incapacité générée par cette lésion, à savoir le 22 août 2014.

 

__________________________________

 

Carmen Racine

 

 

Me Martin Savoie

TEAMSTERS QUÉBEC (C.C. 91)

Pour la partie demanderesse et travailleur

 

 



[1]           Maintenant appelée, depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la CNESST).

[2]          RLRQ, c. T-15.1.

[3]           RLRQ, c. A-3.001.

[4]           Harper et Transdev Québec inc. et CSST, C.L.P. 509616-62-1304, 30 septembre 2014, R. Langlois.

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