Delarosbil et CLSC de Caplan |
2012 QCCLP 3822 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 29 juin 2010, le ministère de la Santé et des Services sociaux - Programme Chèque Emploi-Service (le ministère) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il demande la révocation de la décision rendue le 10 septembre 2009 par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de madame Lucienne Delarosbil (la travailleuse), infirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 18 juillet 2008 à la suite d’une révision administrative et déclare que la travailleuse a subi une lésion professionnelle qui a entraîné un arrêt de travail le 31 mars 2008.
[3] Lors de l’audience tenue à New Richmond le 26 octobre 2011, la travailleuse est présente et accompagnée de sa procureure. Personne n’est présent pour CLSC de Caplan et Entre-Tiens Chaleurs, cependant dûment convoqués. Monsieur Michel Théorêt est présent pour le ministère qui est également représenté par son procureur. La requête est mise en délibéré au terme de l’audience.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le ministère demande de déclarer sa requête recevable et de révoquer la décision rendue le 10 septembre 2009 et de convoquer à nouveau les parties pour une audience sur le fond. Lors de l’audience, il demande d’amender sa requête pour y ajouter une allégation de vice de fond et demander d’abord la révision de la décision pour ce motif, demandant alors la révocation de façon subsidiaire.
QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
[5] La procureure de la travailleuse demande de déclarer que le ministère n’a pas l’intérêt requis pour soumettre une requête en révision et, par ailleurs, de déclarer sa requête irrecevable parce qu'elle n'a pas été déposée dans le délai prévu par l'article 429.57 de Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête du ministère, non amendée, est recevable et devrait être accueillie. Ils considèrent plus particulièrement que celui-ci a démontré qu’il n’a pu, pour des raisons suffisantes, se faire entendre, ses explications valant également pour le délai à produire sa requête.
[7] En effet, la CSST ne l’a jamais considéré, avant avril 2010, comme étant l’un des employeurs de la travailleuse, le dossier a cheminé et l’audience sur l’admissibilité de la lésion a même été tenue, sans qu’il n’ait été convoqué, devant la Commission des lésions professionnelles. Cette dernière a alors infirmé la décision de l’instance inférieure et déclaré que la travailleuse avait subi une lésion professionnelle. Le ministère n’a finalement été informé de l’existence de ce dossier que lorsque la CSST l’a identifié comme employeur et décidé de lui imputer la totalité du coût des prestations dues en raison de cette lésion, deux ans après la survenance de la lésion professionnelle alléguée. Le droit du ministère d’être entendu devrait être reconnu et sa requête en révocation accueillie en conséquence.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] Le 21 avril 2008, la travailleuse dépose à la CSST une réclamation pour une lésion professionnelle qu’elle allègue alors être survenue le 28 février précédent. Il est alors question de douleur couvrant la région de l’épaule au coude droit. Le seul employeur indiqué sur le formulaire est Entre-Tiens Chaleurs.
[9] Lors de son premier entretien avec un agent d’indemnisation de la CSST, soit le 2 mai 2008, la travailleuse précise qu’elle travaille 25 heures par semaine pour Entre-Tiens Chaleurs et 15 heures pour Chèque Emploi-Service, le tout chez la même bénéficiaire. Les tâches liées aux soins de la bénéficiaire sont rémunérées par Chèque Emploi-Service, alors que celles liées à l’accomplissement de tâches domestiques sont rémunérées pour Entre-Tiens Chaleurs.
[10] Selon la preuve non contredite soumise par le ministère, la travailleuse travaille dans le cadre du programme Chèque Emploi-Service depuis au moins 2004 et, par ailleurs, doit savoir que le gestionnaire du programme est celui qui doit être informé en cas de survenance de lésion professionnelle. Le 18 février 2005, elle a en effet déclaré au ministère un accident du travail survenu le 29 décembre précédent, cette déclaration ayant été reçue par le Programme santé et sécurité du travail-Réseau du ministère (lequel gérait le volet de la santé au travail des travailleurs du programme Chèque Emploi-Service) le 28 février 2005 (aucune réclamation à la CSST n’avait cependant alors fait suite à cette déclaration, du fait plus particulièrement qu’il n’y avait pas eu d’arrêt de travail).
[11] Toujours selon cette preuve non contredite, et plus particulièrement la déclaration assermentée de monsieur Michel Théorêt, conseiller responsable des dossiers des travailleurs du programme Chèque Emploi-Service au ministère, la travailleuse devrait avoir reçu en 2007 une pochette d’informations (dont copie est remise au tribunal) destinée aux travailleurs du programme « Allocation directe/chèque emploi-service ». Il y est évoqué le fait qu’en vertu d’une entente entre le ministère et la CSST, ces travailleurs bénéficient de la protection de la loi en cas de lésion professionnelle et il y est détaillé la marche à suivre le cas échéant, le tout incluant un formulaire de déclaration d’accident ainsi que les numéros de téléphone et de télécopieur ainsi qu’une enveloppe pré-adressée pour le transmettre au Programme santé et sécurité du travail-Réseau (PSST) du ministère.
[12] Le 7 mai 2008, la CSST refuse la réclamation de le travailleuse. Seul Entre-Tiens Chaleurs est alors mentionné à titre d’employeur et est informé de la décision.
[13] La travailleuse demande la révision de la décision. Le 18 juillet 2008, la CSST rend sa décision à la suite d’une révision administrative. Il s’agit de la décision qui était contestée devant la première juge administrative.
[14] La réviseure, avant de confirmer la décision initiale et de déclarer que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle, mentionne notamment ce qui suit : « La travailleuse est préposée à domicile pour deux employeurs, soit pour Entre-Tiens Chaleurs où elle effectue 25 heures par semaine et 15 heures par semaine pour l’employeur Chèque Emploi-Service. […] » [Nos soulignements]
[15] Or, en dépit encore une fois de cette reconnaissance du fait que deux employeurs sont impliqués au dossier, et sans motivation quelconque quant au fait que l’un des employeurs, en l’occurrence « Chèque Emploi-Service » ne serait selon elle pas concerné par la lésion professionnelle alléguée, la réviseure de la CSST n’ajoute pas cet employeur au dossier et ne lui transmet pas copie de sa décision.
[16] Le 18 août 2008, la travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelle une requête par laquelle elle conteste cette décision du 18 juillet 2008. Elle n’indique rien dans la section concernant l’autre partie impliquée.
[17] Le 24 septembre 2008, en réponse à une demande de la Commission des lésions professionnelles de dresser la liste des emplois ayant pu contribuer au développement de sa maladie, la travailleuse indique les emplois pour Entre-Tiens Chaleurs et pour le CLSC de Caplan. À compter de ce moment, la Commission des lésions professionnelles ajoute le CLSC de Caplan comme partie intéressée.
[18] Le 9 décembre 2008, un agent de gestion du personnel du Centre de santé et de services sociaux de la Baie-des-Chaleurs, dont fait partie le CLSC de Caplan, écrit à la Commission des lésions professionnelles, mentionnant plus particulièrement ce qui suit : « Nous avons reçu un avis d’enquête et d’audition (Convocation) par erreur car la salariée concernée n’est pas une employée du CSSS de la Baie-des-Chaleurs. Je vous retourne donc les documents reçus. »
[19] Lors de l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles le 3 juillet 2009, la travailleuse évoque occuper un emploi, mais être payée par deux employeurs, 25 heures étant payées par Entre-Tiens Chaleurs et 15 heures l’étant « par le CLSC de Caplan, par le Chèque Emploi-Service », sans plus d’explications. Il n’est alors pas question plus en détails de la situation et, notamment, du fait que le CLSC ait indiqué par écrit au tribunal que la travailleuse n’était pas l’une de ses salariées.
[20] La première juge administrative rend sa décision le 10 septembre 2009, après que l’employeur Entre-Tiens Chaleurs ait eu l’occasion de lui faire ses représentations.
[21] Les décisions rendues par la suite par la CSST ne sont pas au dossier du tribunal. Il appert cependant des notes évolutives de l’agent d’indemnisation au dossier que le 18 septembre 2009, une décision d’imputation aurait été rendue, semble-t-il selon laquelle Entre-Tiens Chaleurs serait imputé du coût des prestations dues à la travailleuse. À la suite de représentations de cet employeur, la CSST reconsidère sa décision le 22 janvier 2010, décidant alors d’imputer la totalité du coût des prestations au CLSC de Caplan.
[22] Toujours selon la déclaration assermentée et non contredite de monsieur Théorêt, le Ministre n’a finalement été informé de la réclamation de la travailleuse et de l’existence de son dossier qu’en avril 2010, par le CLSC de Caplan (qui venait alors d’être considéré par la CSST comme le seul employeur imputé du coût des prestations dues à la travailleuse et a cette fois réagi plus sérieusement).
[23] À ce moment, seuls quelques documents sont acheminés au ministère, le CLSC de Caplan ayant déjà retourné tout le dossier à la Commission des lésions professionnelles le 9 décembre 2008, déclarant alors ne pas avoir été ou être l’employeur de la travailleuse.
[24] À la suite de démarches formelles finalement effectuées par le CLSC auprès de la CSST, cette dernière rend finalement une décision selon laquelle c’est le ministère, par le biais du Programme Chèque Emploi-Service, qui doit être imputé de la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par la travailleuse.
[25] Selon la déclaration assermentée et non contredite de monsieur Théorêt, ce n’est finalement que le 17 mai 2010, après qu’il ait contesté l’imputation à son dossier, qu’est reçue de la CSST copie complète du dossier de la travailleuse, incluant la décision rendue par la première juge administrative le 10 septembre 2009.
[26] Outre le fait que le ministère tente, sans succès, d’obtenir de la CSST qu’elle revoie l’ensemble de ses décisions considérant le fait qu’il n’en a jamais été informé auparavant, une requête en révision ou en révocation de la décision d’admissibilité de la lésion professionnelle rendue par la Commission des lésions professionnelles est déposée le 29 juin 2010, d’où le présent litige.
[27] Le tribunal précise que le ministère demandait dans sa requête déposée le 29 juin 2010, la révocation de la décision de la première juge administrative. Lors de l’audience, il demande d’amender sa requête pour y ajouter une demande de révision de cette décision, pour un nouveau motif de droit, soit un vice de fond de nature à l’invalider. Il invoque que la première juge administrative, pour reconnaître une lésion professionnelle, aurait erronément retenu un diagnostic n’apparaissant que dans un rapport d’expert et n’ayant pas été posé par un médecin ayant charge de la travailleuse.
[28] La procureure de la travailleuse s’oppose à cette requête pour tardive, invoquant être prise par surprise.
Questions préliminaires
L’intérêt du ministère à agir
[29] La procureure de la travailleuse allègue d’abord que le ministère n’aurait pas l’intérêt juridique requis pour soumettre une requête en révision ou en révocation de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 10 septembre 2009, du fait qu’il n’était alors pas partie au litige. Elle plaide que son seul recours consiste en une contestation de la décision par laquelle la CSST lui impute maintenant la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle reconnue par la Commission des lésions professionnelles avoir été subie par la travailleuse.
[30] Le tribunal rejette d’emblée cet argument. Le ministère n’était pas partie au litige dans le cadre des procédures qui ont culminé par la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles du fait d’une erreur de la CSST puis de la Commission des lésions professionnelles et c’est précisément ce que sa requête en révision ou en révocation vise à corriger.
[31] Il serait contraire aux règles de justice naturelle, et particulièrement celle concernant le droit d’être entendu, et même totalement illogique, qu’une personne qui avait un intérêt dans un litige, et qui n’a, erronément, pas été considérée comme une partie et n’a pu de ce fait se faire entendre, se fasse ensuite opposer, lorsqu’elle tente de corriger la situation, qu’elle n’était pas partie au litige et n’a donc pas intérêt pour ce faire. Il apparaît inutile d’élaborer plus longuement sur ce point.
[32] Le tribunal précise que la contestation de l’imputation pourrait par ailleurs être vouée à l’échec dans le contexte où le caractère professionnel de la lésion a déjà été reconnu et ne pourrait plus, selon les prétentions de la procureure de la travailleuse, être remis en cause par le ministère. Ce dernier a évidemment le droit de faire valoir l’ensemble de ses arguments.
[33] Il s’avère par ailleurs qu’il a déjà été reconnu dans la jurisprudence de ce tribunal qu’il n’était pas nécessaire d’avoir été partie au dossier initial pour avoir le droit de soumettre une requête en révision de la décision rendue, l’article 429.57 ne posant pas cette exigence (ce droit de demander une révision ayant notamment été reconnu à la CSST qui n’était pas intervenue au dossier auparavant)[2].
[34] La procureure de la travailleuse allègue également que le ministère n’aurait pas l’intérêt juridique requis pour soumettre une requête en révision ou en révocation de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 10 septembre 2009 dans laquelle il est déclaré que la travailleuse a subi une lésion professionnelle, du fait qu’il ne serait pas l’employeur ou l’un des employeurs de la travailleuse. Elle ajoute que la travailleuse serait plutôt une travailleuse autonome et que c’est la bénéficiaire des services de la travailleuse qui l’a embauchée, le CLSC servant d’intermédiaire.
[35] Or, il s’avère, comme le souligne à bon droit le procureur du ministère, que si ce dernier n’était pas l’employeur de la travailleuse, celle-ci n’était précisément pas une travailleuse et n’avait donc pas droit aux prestations prévues par la loi.
[36] En effet, la travailleuse n’avait pas requis et n’assumait pas de cotisations à la CSST pour être couverte par la loi et, surtout, le travail pour lequel elle était rémunérée par le ministère consistait en du travail spécifiquement exclu de la définition de travailleur dans la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« travailleur » : une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de travail ou d'apprentissage, à l'exclusion:
1° du domestique;
2° de la personne physique engagée par un particulier pour garder un enfant, un malade, une personne handicapée ou une personne âgée, et qui ne réside pas dans le logement de ce particulier;
3° de la personne qui pratique le sport qui constitue sa principale source de revenus;
4° du dirigeant d’une personne morale quel que soit le travail qu’il exécute pour cette personne morale;
5° de la personne physique lorsqu’elle agit à titre de ressource de type familial ou de ressource intermédiaire;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[37] C’est uniquement en raison d’une entente entre le ministère et la CSST que la travailleuse est reconnue à ce titre et que le ministre est reconnu être l’employeur de cette dernière, le tout en vertu de l’article 16 de la loi :
16. Une personne qui accomplit un travail dans le cadre d'un projet d'un gouvernement, qu'elle soit ou non un travailleur au sens de la présente loi, peut être considérée un travailleur à l'emploi de ce gouvernement, d'un organisme ou d'une personne morale, aux conditions et dans la mesure prévues par une entente conclue entre la Commission et le gouvernement, l'organisme ou la personne morale concerné.
Les deuxième et troisième alinéas de l'article 170 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) s'appliquent à cette entente.
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1985, c. 6, a. 16.
[38] Il est plus particulièrement prévu ce qui suit à cette entente :
[…]
CHAPITRE 2.00 OBJETS
Objets 2.01 La présente entente a pour objets de prévoir, aux conditions et
dans la mesure de la présente, l’application de la Loi aux travailleurs visés et de déterminer les obligations respectives du Ministre et de la Commission.
CHAPITRE 3.00 DÉFINITIONS
Aux fins de la présente entente, on entend par :
« chèque emploi-
service » a) chèque emploi-service : la modalité de paiement pour les services dispensés par un travailleur, modalité administrée par les services de paie Desjardins ou par toute autre organisation appelée à assurer cette fonction;
[…]
« travailleur » f) travailleur : la personne qui dispense des services à un usager, notamment dans le cadre du programme prévu à l’annexe 1, et dont la rémunération est assurée au moyen du chèque emploi-service;
[…]
CHAPITRE 4.00 OBLIGATIONS DU MINISTRE
Employeur 4.01 Le Ministre est réputé être l’employeur de tout travailleur visé par
la présente entente.
Restrictions Toutefois, cette relation employeur-employé n’est reconnue que pour fins d’indemnisation, de cotisation et d’imputation du coût des prestations payables en vertu de la Loi et ne doit pas être considérée comme une admission d’état de fait pouvant prêter à interprétation dans d’autres champs d’activité.
Exclusions Il demeure entendu que les travailleurs visés par la présente entente ne sont pas des employés, des fonctionnaires ou des préposés du gouvernement du Québec, dont notamment le ministère de la Santé et des Services sociaux, ni d’un établissement d’une catégorie mentionnée à la Loi sur les services de santé et les services sociaux, ni d’une régie régionale instituée sous l’autorité de cette loi.
Obligations
Générales 4.02 À titre d’employeur, le Ministre est, avec les adaptations qui s’imposent, tenu à toutes les obligations prévues par la Loi, lesquelles comprennent notamment l’obligation de tenir un registre des accidents du travail survenus au domicile des usagers.
[…]
CHAPITRE 5.00 OBLIGATIONS DE LA COMMISSION
Statut de
Travailleur 5.01 La Commission considère un travailleur visé par la présente entente à titre de travailleur au sens de la Loi.
[…]
[Nos soulignements]
[39] Il est indéniable à la lecture de l’article 16 de la loi et de l’entente précitée que le ministère - Programme chèque Emploi-Service est l’un des employeurs de la travailleuse, au même titre qu’Entre-Tiens Chaleurs lorsque la travailleuse effectue des tâches pour ce dernier. Le CLSC de Caplan n’est quant à lui qu’un simple intermédiaire évaluant les besoins des bénéficiaires et ne devant donc plus apparaître dans ce dossier.
[40] Contrairement à ce que plaide la procureure de la travailleuse, la situation du ministère est ainsi complètement différente de celle des mutuelles d’employeurs, lesquelles ont déjà tenté, sans succès, de se faire reconnaître partie intéressée dans les dossiers où, par ailleurs, une autre partie était reconnue être l’employeur du travailleur impliqué. Le tribunal n’entend ainsi pas discuter la jurisprudence produite par la procureure de la travailleuse en ce qui a trait aux mutuelles. En l’instance, le ministère est en effet l’employeur, ce qui est complètement différent.
[41] Ceci étant établi, l’intérêt du ministère à agir en l’instance est indubitable : il est l’un des employeurs de la travailleuse et il est directement concerné par la lésion professionnelle qu’elle invoque avoir subie, étant actuellement imputé du coût des prestations en découlant.
Le délai
[42] Il est prévu ce qui suit dans la loi en ce qui concerne le dépôt d’une requête en révision ou en révocation :
429.57. Le recours en révision ou en révocation est formé par requête déposée à la Commission des lésions professionnelles, dans un délai raisonnable à partir de la décision visée ou de la connaissance du fait nouveau susceptible de justifier une décision différente. La requête indique la décision visée et les motifs invoqués à son soutien. Elle contient tout autre renseignement exigé par les règles de preuve, de procédure et de pratique.
La Commission des lésions professionnelles transmet copie de la requête aux autres parties qui peuvent y répondre, par écrit, dans un délai de 30 jours de sa réception.
La Commission des lésions professionnelles procède sur dossier, sauf si l'une des parties demande d'être entendue ou si, de sa propre initiative, elle le juge approprié.
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1997, c. 27, a. 24.
[Nos soulignements]
[43] En vertu d’une jurisprudence bien établie[3], le délai raisonnable auquel il est fait référence dans l’article 429.57 est assimilé, par analogie, au délai de 45 jours de la notification de la décision contestée prévu par l’article 359 de la loi (pour le dépôt, dans ce cas, d’une requête à l’encontre d’une décision de la CSST rendue à la suite d’une révision administrative) :
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
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1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[Nos soulignements]
[44] En l’occurrence, la décision contestée a été rendue par la première juge administrative le 10 septembre 2009. Si l’on tient pour acquis un délai de livraison postale de deux ou trois jours, les parties en ont reçu copie le ou vers le 13 septembre 2009.
[45] La requête du ministère a quant à elle été déposée à la Commission des lésions professionnelles le 29 juin 2010.
[46] Le problème réside cependant dans le fait que le ministère n’avait précisément pas été indiqué comme étant l’une des parties au litige ayant donné lieu à la décision du 10 septembre 2009 et que, de ce fait, il n’a jamais été informé de la tenue de l’audience, n’a jamais été convoqué et n’a jamais reçu la décision à l’époque.
[47] Selon la preuve prépondérante au dossier, ce n’est que le 17 mai 2010 que le ministère reçoit finalement copie du dossier complet, incluant la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 10 septembre 2009, n’ayant en outre appris l’existence de la réclamation de la travailleuse et de ce dossier qu’en avril 2010. Rien ne permet par ailleurs de croire que l’existence même de la décision de la Commission des lésions professionnelles ait été connue du ministère avant qu’il reçoive copie complète du dossier.
[48] Le délai raisonnable, assimilé, tel que mentionné précédemment, à un délai de 45 jours de la notification de la décision contestée, commençait donc à courir pour le ministère le 17 mai 2010 et expirait par conséquent le 1er juillet 2010. Or, sa requête en révision ou en révocation a été produite le 29 juin 2010, soit avant l’expiration de ce délai.
[49] Le tribunal souligne qu’il est bien établi au sein de la jurisprudence, ce qui, en quelque sorte, va de soi par ailleurs, que la partie qui invoque n’avoir pu se faire entendre ne peut se faire opposer la date d’une décision dont elle n’a pas eu connaissance à l’époque, le point de départ du calcul du délai étant sa prise de connaissance de la décision en question[4], ce qui correspond au moment de la notification de la décision dans ces cas.
[50] Le tribunal précise par ailleurs qu’il est également reconnu que la simple « notification » verbale de l’existence et même de la teneur d’une décision ne constitue pas une véritable notification de cette décision et ne suffit pas pour faire courir le délai de contestation, la partie devant avoir en main la décision à contester[5]. A même déjà été considéré comme une erreur grave, manifeste et déterminante la conclusion selon laquelle le fait d’être informé verbalement de la décision équivalait à la notification de cette décision, le tout donnant ouverture à la révision[6].
[51] Considérant l’ensemble de ce qui précède, le tribunal conclut à la recevabilité de la requête du ministère.
Sur le fond
[52] Le tribunal doit déterminer s’il y a lieu de réviser ou de révoquer la décision rendue le 10 septembre 2009 par la première juge administrative.
[53] Le tribunal souligne d’emblée qu’en vertu de la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles, les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[54] Bien qu’aucun appel d’une décision de la Commission des lésions professionnelles ne soit permis, une révision ou une révocation de celle-ci est possible, lorsque des conditions très strictes sont satisfaites, lesquelles sont énoncées à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[55] En l’occurrence, le ministère invoque n’avoir pu, pour des raisons suffisantes, se faire entendre, le tout au sens du second paragraphe de l’article 429.56 de la loi.
[56] Le critère d’ouverture à la révocation prévu au second paragraphe de l’article 429.56 est celui de ne pas avoir pu se faire entendre « pour des raisons jugées suffisantes ».
[57] Il est établi au sein de la jurisprudence[7] que le fait d’avoir des « raisons suffisantes » de n’avoir pu se faire entendre est un paramètre beaucoup plus souple que celui d’avoir été dans l'impossibilité de ce faire. Comme le soulignait la Commission des lésions professionnelles dans l'affaire Gaggiotti et Domaine de la forêt[8], le droit du travailleur d'être entendu doit primer dans l'appréciation des raisons qui font qu'une partie n'a pu se faire entendre.
[58] Comme le soulignait par ailleurs la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision dans la décision Tzelardonis et Ameublement Lafrance[9], « dans un tel contexte, les règles de justice naturelle et particulièrement celle consacrant le droit d’être entendu, doivent primer par rapport à une certaine imprudence ou insouciance dont a pu faire preuve le travailleur ».
[59] Le tribunal rappelle que le droit d’être entendu est un droit fondamental consacré dans la Charte des droits et libertés de la personne[10] :
23. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.
Huis clos.
Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre public.
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1975, c. 6, a. 23; 1982, c. 17, a. 42; 1993, c. 30, a. 17.
[60] Ce droit est aussi spécifiquement mentionné dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles :
429.13. Avant de rendre une décision, la Commission des lésions professionnelles permet aux parties de se faire entendre.
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1997, c. 27, a. 24.
[61] Ce droit est finalement consacré dans la Loi sur la justice administrative[11] :
10. L'organisme est tenu de donner aux parties l'occasion d'être entendues.
Les audiences sont publiques. Toutefois, le huis clos peut être ordonné, même d'office, lorsque cela est nécessaire pour préserver l'ordre public.
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1996, c. 54, a. 10.
[62] Or, en l’occurrence, il s’avère que le ministère a démontré de façon probante et prépondérante non seulement des raisons suffisantes de n’avoir pu se faire entendre, mais bien qu’il ait été dans l’impossibilité de se faire entendre lors de l’audience du 3 juillet 2009 ayant donné lieu à la décision du 10 septembre suivant : il ignorait en effet totalement l’existence de la réclamation de la travailleuse à la CSST et la tenue de cette audience à laquelle il n’a pas été convoqué.
[63] Ce n’est en effet que le 17 mai 2010 que le ministère a pris connaissance de la décision de la Commission des lésions professionnelles dont il demande maintenant révision ou révocation. Il n’avait par ailleurs appris l’existence du dossier de la travailleuse qu’un mois auparavant.
[64] Considérant :
- l’entente entre le ministère et la CSST, que les agents d’indemnisation ayant traité le dossier entre 2008 et 2010 auraient dû connaître;
- que la travailleuse n’a pas indiqué le ministère ou Chèque Emploi-Service comme étant l’un de ses employeurs sur sa réclamation initiale à la CSST (n’y ayant indiqué que son autre employeur, Entre-Tiens Chaleurs);
- que la travailleuse l’a tout de même ensuite mentionné à la première occasion, soit lors de son premier entretien avec un agent d’indemnisation de la CSST, mais que cette dernière n’y a cependant pas donné suite;
- que la réviseure de la CSST, dans sa décision du 18 juillet 2008 ensuite contestée devant la Commission des lésions professionnelles et constituant l’objet du présent litige, mentionnait que les deux employeurs de la travailleuse étaient Entre-Tiens Chaleurs et Chèque Emploi-Service, mais n’indiquait ensuite qu’Entre-Tiens Chaleurs comme employeur et ne transmettait sa décision qu’à lui;
- que le CLSC, pourtant déclaré employeur par la CSST à compter de septembre 2008, et connaissant nécessairement l’existence du programme et le fait que le ministère était l’employeur de ces travailleurs, n’a pas non plus informé le ministère de l’existence de ce dossier, se limitant à indiquer à la Commission des lésions professionnelles (et non à la CSST) qu’il n’était pas l’employeur de la travailleuse, sans autres précisions;
- que l’imbroglio n’a pas été éclairci et les véritables employeurs de la travailleuse identifiés lors de l’audience devant la Commission des lésions professionnelles, en dépit de ce qui précède;
- que l’action, ou l’inaction, de l’ensemble des intervenants au dossier a fait en sorte que le ministère, l’un des véritables employeurs de la travailleuse, n’a pas, sans que quelque faute ne puisse lui en être imputée, été informé de l’existence du dossier et ne pouvait d’aucune façon faire valoir ses droits et, notamment, se faire entendre lors de l’audience du 3 juillet 2009 devant la première juge administrative;
le tribunal ne peut que conclure que le ministère a démontré qu’il avait plus que des raisons suffisantes de n’avoir pu se faire entendre à ce moment.
[65] Dans les circonstances, le tribunal doit révoquer la décision rendue le 10 septembre 2009 afin de permettre au ministère de faire valoir ses droits lors d’une nouvelle audience.
[66] En ce qui concerne la révision demandée par le ministère lors de l’audience de sa requête, celle-ci a évidemment pris la représentante de la travailleuse par surprise et, par ailleurs, ce n’est que dans le contexte où le tribunal aurait accueilli l’argument de droit du ministère que ce dernier aurait souhaité une révision, souhaitant plutôt évidemment avoir l’occasion de faire valoir autrement l’ensemble de ses droits lors d’une nouvelle audience. Il s’avère préférable que l’employeur soumette son argument lors de cette nouvelle audience. En outre, pour être recevable, ce moyen de révision totalement nouveau, équivalant à toutes fins utiles à une requête en révision en soi, devait être présenté dans un délai raisonnable de la décision de la première juge administrative[12], ce qui n’a pas du tout été le cas en l’espèce. La requête verbale pour amendement est donc jugée irrecevable.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révocation du ministère de la Santé et des Services sociaux - Programme Chèque Emploi-Service;
RÉVOQUE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 10 septembre 2009;
RETIRE le CLSC de Caplan du dossier à titre de partie intéressée;
AVISE les parties qu’elle les convoquera à nouveau à une audience sur le fond de la contestation du 18 août 2009 de la travailleuse, madame Lucienne Delarosbil.
[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] Voir notamment : CSST et Restaurants McDonald du Canada ltée, [1998] C.L.P. 1318 ; Hardoin et Société Asbestos ltée, 116756-03-9905, 5 septembre 2000, G. Tardif, révision rejetée, 5 mars 2002, M. Beaudoin; Gauthier et Proulx, [2000] C.L.P. 994 ; Systèmes Polymère Structural Canada et Manseau, [2007] C.L.P. 1496 ; Lemieux et Estampro inc., C.L.P. 311157-03B-0702, 28 juillet 2009, P. Simard, révision accueillie sur un autre point, 12 avril 2010, M. Juteau.
[3] Voir notamment : Adam et Réal Locas & Fils inc. C.L.P. 92669-63-9711, 14 avril 1999, J. -L. Rivard; Moffette et Les constructions RFP inc. (fermé), C.L.P. 138378-63-0005, 21 novembre 2003, L. Nadeau; Système Polymère Structural Canada et Manseau, [2007] C.L.P. 1496 .
[4] Voir notamment : Laroche et Gilles Tétreault ltée, C.L.P. 95009-63-9803, 27 septembre 1999, C. Bérubé; Hydro-Québec et Coutu, C.L.P. 78410-08-9604, 21 octobre 1999, C. Lessard; Chavez et Rosmar litho inc., C.L.P. 93423-73-9712, 1er février 2000, D. Lévesque, Chic Négligé inc., [2001] C.L.P. 189 ; Charland et Serge Lemay inc., C.L.P. 127673-04B-9912, 1er juin 2001, M. Allard; Fontaine et Berklyne inc., C.L.P. 130757-07-0001, 4 décembre 2001, P. Perron; Poulin et Service d’entretien Empro inc., C.L.P. 94313-72-9802, 2 avril 2003, B. Roy; Moffette et Les Constructions RFP inc., C.L.P. 135204-63-0004, 21 novembre 2003, L. Nadeau.
[5] Voir notamment : Hazan et Distex ind. Inc., C.L.P. 135304-72-0003, 3 juin 2003, L. Landriault (citant une abondante jurisprudence en ce sens); Boulanger et Société minière Barrick (division Bousquet, C.L.P. 68498-08-9504, 26 octobre 2004, L. Nadeau.
[6] Bouchard et Coopérative de la scierie Jos St-Amant, C.L.P. 158397-01B-0103, 3 juillet 2002, H. Thériault.
[7] Les viandes du Breton inc. et Dupont, C.L.P. 89720-01A-9707,18 décembre 2000, M. Carignan.
[8] C.A.L.P. 86666-71-9703, 22 janvier 1999, J. -M. Duranceau.
[9] C.L.P. 208378-71-0305-R2, 7 mars 2008, S. Sénéchal.
[10] L.R.Q., c. C-12.
[11] L.R.Q., c. J-3.
[12] Voir notamment : Hôpital Rivière-des-Prairies et Charest, 280372-63-0601, 6 février 2008, L. Nadeau, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-17-041567-085, 8 décembre 2008, j. Le Bel, requête pour permission d'appeler rejetée, 12 décembre 2009, C.A. Montréal, 500-09-019270-099.
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