Décision

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J.V. c. Tribunal administratif du Québec

2011 QCCS 3175

JM2232

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-058902-100

 

 

 

DATE :

Le 27 juin 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE PAUL MAYER, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

J… V…

                                                  DEMANDEUR

 

c.

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC

ME MICHEL LAPORTE

DRE ANDRÉE DUCHARME

                                                  DÉFENDEURS

 

et

 

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

                                                             MISE EN CAUSE

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

1.         INTRODUCTION

[1]           Monsieur J… V… (« V... ») saisit la Cour supérieure d'une requête en révision judiciaire d'une décision interlocutoire du Tribunal administratif du Québec (le « TAQ ») reliée à sa demande d'indemnisation concernant un accident d'automobile survenu en 2003.

[2]           Depuis 2004, il intente de nombreux recours à l'encontre de décisions rendues par la Société de l'assurance automobile du Québec (la « SAAQ »), puisqu'on refuse de reconnaître une relation entre son accident et ses troubles somatoformes (crises de spasmes).

2.         FAITS

[3]           Le 27 mai 2003, V... a 43 ans.  Il est un concierge à temps plein pour l'Église A, à ville A.

[4]           Vers 7h00, il est dans son automobile, au coin des rues Jean-Talon et Stuart.  Il est immobilisé à un « ARRÊT ».  Il redémarre trop vite et ne peut éviter un autre véhicule.  Il « accroche » la roue arrière d'un véhicule avec son parechoc.  Il n'y a pas d'impact violent et les ballons autogonflables ne s'activent pas.  Dans un constat à l'amiable, aucun dommage n'est rapporté.  Il y est signalé, toutefois, qu'il a des douleurs au dos.[1]

[5]           La police arrive et il demande à être conduit à l'hôpital.  Le policier lui dit d'y aller lui-même.  Il se rend à l'urgence de l'Hôpital Jean-Talon.  Il est vu par un urgentologue qui diagnostique à vue une entorse cervicale et dorsolombaire.

[6]           Le matin même, il fait une demande d'indemnité auprès de la SAAQ dans laquelle il décrit avoir subi ledit accident et ressentir une douleur au dos, au bas de la colonne vertébrale à gauche et aux deux jambes.[2]

[7]           Le lendemain, le 28 mai 2007, il rencontre Docteur Martin Brossard.  Ce dernier observe que suite à l'accident, V... a subi des blessures, qu'il a des douleurs et ne peut pas soulever d'objets lourds ou se pencher.  À titre de traitement, il recommande de la physiothérapie et de l'ergothérapie.[3]

[8]           Le 9 juin 2003, la SAAQ reconnaît que V... a droit à une indemnité de remplacement de revenu compte tenu de son état d'invalidité.[4]

[9]           La situation ne s'améliore pas.  Voici comment Docteur Edouard Beltrami, psychiatre, décrit sa problématique à ce moment-là :

« Il sent des douleurs au dos, à la nuque, des gauchissements spontanés comme une dystrophie musculaire et des repliements sur lui-même comme un fœtus.  Les médecins définissent cela comme des spasmes musculo-squelettiques.  Cela peut se produire à tout moment, être d'intensité et de durée variable.

Cela lui couple le souffle comme un coup de poing au ventre et l'épuise totalement.  Cela est pour lui une torture aux douleurs inqualifiables.  Il a du mal à trouver une meilleure position que de se coucher sur le sol.  Même marcher, il dit ça ne va pas, ça lui donne une douleur au dos et à la jambe gauche suivie d'une faiblesse dans le genou.  Il marche en boitant.  La tâche la plus simple provoque des spasmes ainsi que des changements de température.  Il doit demander à son colocataire et ami de l'accompagner dans ses déplacements, de l'aider à l'entretien de l'appartement, la lessive, la vaisselle et de porter les paquets et, parfois, de lui apporter ses médicaments. »[5]

[cité intégralement]

[10]        En novembre 2003, V... est hospitalisé trois jours à l'Hôpital Sacré-Cœur à la suite d'une crise de spasmes.

[11]        C'est ainsi que débutent un long périple et une multitude de consultations, tests et traitements en orthopédie, neurologie, physiatrie et psychiatrie.  Se multiplient de nombreux traitements incluant, entre autres, de la physiothérapie, de l'hypnose, de l'acupuncture et de l'ergothérapie.  Son frère consulte même un exorciste pour aider V....

[12]        Un docteur dit que « c'est vraiment un événement paranormal ».  Un autre signale « qu'il n'y a aucun diagnostic explicable ».

[13]        Au lieu de s'atténuer, les douleurs augmentent.  Progressivement, V... présente des spasmes de localisation et d'intensité variables dans tout son corps et des douleurs très importantes.

[14]        Voici la situation décrite par Docteur Beltrami en décembre 2005 :

« [I]l a du mal à se laver.  Il a du mal à supporter le froid.  Il a du mal à préparer les repas et faire les courses, à s'asseoir, à maintenir une position.  Il a du mal à laver son linge, à entretenir ses vêtements, les ranger et les ramasser.  Il se considère comme totalement incapable de faire tout ce qui touche un grand ménage.  Il dit que dans sa situation, il le fait avec difficulté et c'est non recommandable de monter des escaliers, descendre des escaliers, se promener, marcher dans la rue, marcher dans un parc, se déplacer, monter dans un véhicule.

Par contre il peut conduire un véhicule.  Il est non recommandable de prendre le transport en commun et d'être en public.  Il oscille entre l'incapacité totale et la capacité avec difficulté de lire, de lire un journal et s'en souvenir, de lire un livre et de s'en souvenir et d'écrire.  Il a du mal à contrôler ses émotions.  Il se considère que, si il devait travailler, il serait incapable de maintenir une cadence, incapable de maintenir un rythme de travail, incapable d'exécuter des tâches simples, répétitives et incapable d'exécuter des tâches complexes et variées. »[6]

[cité intégralement]

[15]        Il se présente devant le Tribunal en fauteuil roulant.

[16]        Lors d'une pause au cours de l'audience, il a subi une crise aiguë.  Il est retrouvé couché au sol dans le corridor.  Il gémit, accusant des mouvements spastiques.  Tous ceux qui ont témoigné de cet épisode ont été émus devant la souffrance de V....

2.1       Lien causal

[17]        Les experts ne s'entendent pas sur le lien causal entre l'accident d'automobile et les symptômes ressentis par V....

[18]        Examinons une partie du cheminement du débat sur cette question.

[19]        Le 22 janvier 2004, Docteur André Lelièvre, psychiatre, soulève une série d'antécédents médicaux, soit un accident d'automobile en 1979 avec fractures crâniennes et un autre en 1993, lors duquel il s'est infligé une blessure dorsale.  Sa conclusion est que V... « ne souffre pas d'une pathologie du corps » mais plutôt d'une pathologie psychiatrique.[7]

[20]        En mars 2004, Docteur Robert Duchesne, chirurgien orthopédiste, rejette le lien de causalité entre le diagnostic d'entorse cervicale et l'accident du 27 mai 2003.  Il est d'avis que V... présente un désordre psychosomatique :

« Il me paraît évident que ce patient a un désordre psychosomatique profond, son comportement à notre bureau avec cette attitude défensive totalement inexplicable m'a laissé perplexe.  Je pense qu'il y a très peu d'éléments organiques en cause et que le désordre est à un tout autre niveau, à savoir le niveau neurophysiologique. »[8]

[soulignés dans l'original]

[21]        En avril 2004, Docteur Suzanne Rousseau, neurologue, conclut qu'il n'y a pas de relation causale, du moins sur une base organique neurologique, entre l'accident d'automobile et les spasmes musculaires et les mouvements anormaux, tout à fait atypiques, présentés par V... :

« À tout événement, la résonance magnétique nucléaire lombaire qui apparaît au dossier a été effectuée à la demande du Dr. Benhamron le 10 juillet 2003, soit un peu plus de deux mois à la suite de l'accident qui nous concerne.  Elle démontrait une discopathie lombaire sévère au niveau de L5-S1 en particulier avec discarthrose L4-L5.  Or, ces pathologies ne sauraient, en aucune façon, être imputées à l'accident qui nous concerne puisqu'elles n'ont pu s'installer dans un aussi bref délai et surtout pas à deux niveaux séparés.

Par ailleurs, les mouvements anormaux dont se plaint le requérant et auxquels on assiste durant la présente entrevue ne ressemblent à aucune pathologie neurologique que je puisse connaître.  Ils pourraient, au contraire, représenter un syndrome de conversion ou un syndrome factice, d'autant plus que monsieur V... semble afficher une attitude très détachée et apparemment indifférente face à ces mouvements, affirmant même que « personne n'a jamais vu ça ».  De plus, le Dr. Moussette, qu'il a consulté, l'a déjà référé en psychosomatique.  Il est prévu une consultation additionnelle à la clinique des désordres du mouvement auprès du Dr. Blanchet.  Pour ma part, je ne saurais relier le tableau neurologique actuel à l'accident qui nous concerne, non plus que les douleurs proprement dorsales dont se plaint le requérant. »[9]

[cité intégralement]

[22]        Fin avril 2004, V... consulte Docteur Pierre Blanchet, neurologue.  Ce dernier constate que lors de l'entrevue, en position assise, V... est calme et ne montre aucun spasme.  Toutefois, à la marche :

« [I]l présente de nombreux spasmes en flexion sur la gauche, avec parfois une flexion exagérée du bras gauche et de la main gauche, ou encore une extension forcée des bras, la jambe pouvant être maintenue en flexion durant la marche.  À l'orthostation, la palpation de la région scapulaire peut entraîner des spasmes en flexion également.  On note lors de l'examen en position assise, des mouvements en flexion du chef, impliquant souvent le tronc sous forme de « longues crises » où le bras gauche est maintenu en flexion et les doigts de la main gauche également figés en flexion.  Les mouvements du bras gauche sont possibles mais réalisés de façon lente et délibérée.  À certains moments, les crises sont interrompues par des pauses où les mouvements sont réalisés de façon normale, et sans qu'aucun déficit neurologique latéralisé ne puisse être identifié.  La marche semble particulièrement compromise et est associée à de nombreux spasmes en flexion, qui s'accompagnent d'une contraction de l'abdomen et de la glotte avec émission de bruits. »[10]

[23]        Il est d'avis que cette symptomatologie de nature psychogène est apparue « de façon subite à la suite d'un accident de voiture ».  Il croit, toutefois, que des « éléments psychologiques pérennisent la situation ».[11]

[24]        En conséquence, la SAAQ rend une série de décisions en avril 2004, selon lesquelles les traitements de nature orthopédique ne sont plus requis médicalement et les besoins d'aide personnelle à domicile ne sont plus justifiés.[12]

[25]        En juillet 2004, Docteur Hélène Fortin, psychiatre, estime que le lien de causalité est ténu.  Elle envisage une responsabilité partagée :

« […] Il est donc estimé que le lien de causalité entre la symptomatologie psychiatrique actuelle et l'accident de la route est ténu et que l'accident ne peut expliquer à lui seul l'apparition de la symptomatologie psychiatrique, celui-ci étant causé de façon probablement plus directe par le vécu émotif de monsieur secondaire au stresseur qu'a constitué ses problèmes conjugaux et sa séparation en juin 2003.  Une responsabilité partagée pour le moins doit donc ici être envisagée. »[13]

[cité intégralement]

[26]        En septembre 2004, la SAAQ rend une décision concluant, à la suite de l'étude du rapport de Docteur Fortin, que l'état de santé de V... lui permet de reprendre son travail à compter du 20 juillet 2004.  Les indemnités de remplacement du revenu sont cessées le 29 septembre 2004.[14]

[27]        En octobre 2004, Docteur Normand Moussette, neurologue, est consulté.  Il signale qu'il y a beaucoup de contradictions entre les différents médecins.  Il émet une série de diagnostics et constate un lien entre les syndromes de V... et l'accident d'automobile.  Il considère que V... est invalide et le reconnaît inapte à toutes formes de travail.[15]

[28]        En octobre 2005, Docteur Louis Côté, psychiatre, rencontre V... pendant une heure.  Il constate ce qui suit 

« Le tableau clinique présenté par monsieur V... est caractérisé par des mouvements anormaux, avec parfois des douleurs, parfois des pertes de sensation, qui ont fait l'objet de nombreuses expertises, qui ont fait l'objet de nombreuses consultations auprès de ses médecins traitants.  Il n'y a pas eu de lésions physiques objectivées pouvant expliquer ce tableau, qui ne correspond pas à des entités neurologiques ou médicales connues en dehors des hypothèses d'un trouble de conversion, ou un trouble somatoforme, ou un trouble factice. »[16]

[29]        Il conclut qu'à son avis l'accident d'automobile de 2003 n'a pas de lien de causalité avec la symptomatologie présente :

« Après revue et analyse des critères d'imputabilité, nous sommes d'avis que sur le plan psychiatrique, il n'y a pas de lien entre l'accident d'automobile du 27 mai 2003 et les problèmes médicaux présentés, le syndrome somatoforme.  Notre avis est motivé par le fait que l'accident était sans impact majeur tant sur le plan physique, des dommages matériels, des blessures physiques, et du stress émotionnel qu'il a pu provoquer.  Il n'y a pas de signe de trouble anxieux sous le forme de symptôme de trouble de stress post-traumatique.  Par ailleurs, dans le passé, monsieur V... a présenté des symptômes de type moteur et douloureux inexpliqués médicalement et qui se sont résolus spontanément.  Ceci traduit déjà une propension à un trouble somatoforme en lien avec une condition personnelle préexistante à l'examen du 27 mai 2003. »[17]

[30]        Le 9 novembre 2005, la SAAQ avise V... qu'à la suite de l'évaluation de Docteur Côté, elle vient à la conclusion que sa condition relève d'une condition personnelle préexistante non reliée à l'accident.  Elle lui annonce son refus de donner suite à sa réclamation reliée à cette condition.[18]

[31]        Devant cette situation, V... consulte un avocat qui demande une expertise au Docteur Beltrami, psychiatre.  Il rencontre V... le 24 août 2005 et lui fait passer une série de tests.  V... passe quatre heures dans son cabinet.

[32]        Le 14 décembre, Docteur Beltrami produit un rapport de 27 pages[19].  Son diagnostic est très clair.  V... souffre d'une hystérie de conversion.

[33]        Il remarque que V... a eu des problèmes importants de santé à la suite à un accident d'automobile en 1973 et qu'il a commencé à avoir des mouvements spastiques après à un autre accident d'automobile en 1993.

[34]        Il a de la difficulté à prévoir une amélioration quelconque.  Il souligne que V... ne réagit pas positivement à toute la gamme des activités médicales ou psychiatriques.  Il constate que, quelles que soient les circonstances qui ont entouré l'apparition de ses troubles somatoformes, il n'y a pas de doutes que V... souffre.

[35]        Voici sa conclusion :

« Il s'agit d'un individu qui a subi des stress importants au début de sa vie […].

Par contre, son accident très important quand il a eu 19 ans, et les conséquences qu'il a eues, ont déclenché chez lui une tendance de dépendance qui allait resurgir plus tard.  Par la suite, il a eu plusieurs travaux variés et chaque fois qu'il y avait un changement de travail il voyait encore une fois comme étant la faute de l'extérieur ce qui a pu d'ailleurs être tout à fait vrai mais qui a amplifié sa tendance à se méfier de l'extérieur.  Il avait une forte propension à s'intéresser à la religion à tel point qu'il aurait pensé à devenir prêtre, mais ce qui l'en a empêché c'est son comportement homosexuel et il a eu une grande crise de conscience à ce niveau-là, qui n'est pas résolu, et qui peut être la source de conflits importants.

Un premier accident en 93 a commencé à se manifester par de la conversion avec des symptômes de spasticité non médicalement justifiés, non médicalement expliqués par la médecine physique, mais il a pu par la suite reprendre le travail.  Par contre, un autre accident relativement mineur a déclenché ce mécanisme de conversion à un plus haut degré et ce qui est intéressant dans ce nouveau mécanisme c'est que les symptômes eux-mêmes empêchent qu'on puisse passer l'escale, empêche que le médecin puisse faire l'examen détaillé en touchant monsieur et donc empêche pratiquement l'investigation médicale. »[20]

[nos soulignés] [cité intégralement]

[36]        En février 2006, Docteur Gilles Bernier, neurologue, reconnaît que les mouvements apparus le jour de l'accident sont reliés aux blessures subies lors de l'accident.  Il est d'avis que Villeuneuve ne peut faire aucun travail rémunérateur et qu'il est limité dans toutes ses activités.[21]

[37]        Le 7 mars 2006, Docteur Normand Moussette, neurologue, diagnostique une lombalgie, des spasmes de type dystonique, une somatisation, et relie les spasmes diffus à l'accident et reconnaît que V... est inapte à toute forme de travail.[22]

2.2       Le TAQ - Chapitre 1

[38]        Devant cette situation, le TAQ devait décider si l'accident de mai 2003 avait joué un rôle dans l'apparition d'un trouble de conversion qui se manifeste par des problèmes de spasticité non organique, rendant V... inapte à l'exécution de diverses activités.

[39]        Aux termes de deux décisions (8 février et 22 novembre 2007), le TAQ confirme les décisions rendues en révision par la SAAQ.

[40]        De la preuve médicale, le TAQ dit avoir retenu les éléments suivants :

« [49]  La preuve est une preuve médicale apportée par diverses expertises en orthopédie, neurologie, psychiatrie et par le suivi contemporain du psychiatre traitant.  De cette preuve, le Tribunal retient particulièrement ce qui suit:

·                      l'accident d'une grande banalité, réfère plus à un accrochage, sans preuve de dommage significatif tant aux voitures qu'aux occupants;

·                      le symptomatologie initiale évoque plus une lombalgie sans véritable limitation de mouvement, une symptomatologie subjective pour laquelle les traitements n'apporteront aucune amélioration;

·                      d'ailleurs, les experts orthopédistes, physiatres, neurologues n'attesteront jamais du moindre dommage au système locomoteur, ni neurologique ;

·                      la symptomatologie spastique apparaît dans les semaines post-accident.  Elle se révèle au fur et à mesure des traitements de physiothérapie.  Elle apparaît donc en juin 2003;

·                      En juin 2003, le requérant vit une rupture avec un partenaire et des rapprochements avec un nouveau partenaire;

·                      les trois experts psychiatres s'entendent sur le diagnostic.  Il s'agit d'une hystérie de conversion;

·                      les manifestations somatiques de ce trouble profond de la personnalité sont apparues bien avant l'accident de 2003.  En recherchant dans le passé du requérant, on peut même suspecter que l'accident de 1979, de par l'atteinte à l'intégrité physique du requérant, a permis au trouble de se manifester, trouble qui a resurgi entre 1993 et 1999;

·                      l'accident n'est pas la cause du trouble, il est plutôt l'occasion de lui permettre de se manifester.

[50]  Le requérant a un trouble de conversion.  Sa manifestation s'exprime par une symptomatologie physique spectaculaire qui trouve sa justification dans les suites attendues d'un accident, aussi banal soit-il. »

2.3       Révision judiciaire

[41]        V... demande la révision judiciaire de cette décision.

[42]        Le 18 septembre 2008, l'Honorable Danielle Grenier, décide sur le banc qu'il n'était pas raisonnable pour le TAQ de conclure comme il l'a fait :

« […]  À sa face même, la décision du TAQ ne possède pas les attributs de la raisonnabilité.  Cette décision est carrément inintelligible. » […]

« À la face même de la décision, le TAQ a jugé qu'il y avait un lien entre l'accident et l'apparition du phénomène de conversion, phénomène qui, selon la preuve versée devant le TAQ, se serait manifesté pour la première fois en 1993 à l'occasion d'un autre accident automobile qui se serait résorbé par la suite. »

[nos soulignés]

[43]        Elle accueille la demande de révision judiciaire de V... et retourne le dossier au TAQ (même formation) afin qu'il reprenne l'étude du dossier de V... en tenant compte des remarques de son jugement.

2.4       Le TAQ - Chapitre 2

[44]        Le 13 mai 2010, le TAQ déclare irrecevable le dépôt au dossier de V... de certaines nouvelles expertises.

[45]        Le TAQ annonce qu'il reprendra l'exercice en tenant compte des commentaires de la Cour supérieure, notamment quant au fardeau de la preuve requis dans l'établissement d'un lien causal entre les symptômes de V... et son accident d'automobile.

[46]        Le 8 juin 2010, V... porte cette décision en révision judiciaire.

4.         QUESTIONS EN LITIGE

[47]        En l'espèce, les questions en litige sont les suivantes :

a)            La Cour supérieure est-elle habilitée à se pencher sur cette décision incidente du TAQ dans le cadre d'une révision judiciaire? et

b)            Est-ce raisonnable pour le TAQ d'avoir rejeté la preuve nouvelle que V... voulait déposer au dossier?

5.         LA COUR SUPÉRIEURE EST-ELLE HABILITÉE À SE PENCHER SUR CETTE DÉCISION INCIDENTE DU TAQ DANS LE CADRE D'UNE RÉVISION JUDICIAIRE?

5.1       Position des parties

[48]        Le TAQ plaide que dans le cadre de la révision judiciaire d'une décision interlocutoire, seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier l'intervention de la Cour.

[49]        Elle soumet que la décision du 13 mai 2010 ne soulève pas de telles circonstances exceptionnelles et qu'il y a donc lieu de lui permettre de rendre une décision au fond dans cette affaire.

[50]        Quant à V..., il soutient que de telles circonstances exceptionnelles existent puisque le TAQ a excédé sa compétence en dénaturant la portée du jugement de la Cour supérieure du 18 septembre 2008.  En effet, il allègue que la Cour supérieure s'est déjà prononcée sur la reconnaissance d'un lien de causalité entre le syndrome de conversion et l'accident d'automobile.

[51]        Selon lui, la Cour supérieure a retourné le dossier aux défendeurs (même formation) afin qu'ils décident des frais et indemnités qu'il réclame.

[52]        Il soulève également que les défendeurs rejettent des preuves d'expertises pertinentes et recevables qui aideraient le TAQ à fixer ainsi les frais et indemnités réclamés.

[53]        La SAAQ plaide que le jugement rendu par la Cour supérieure retournait le dossier au TAQ en raison seulement de son défaut d'expliquer son raisonnement sur le lien de causalité.  Elle serait donc habilitée à revoir sa décision en ce qui concerne le lien de causalité entre le trouble de conversion et l'accident d'automobile subi par V....

[54]        Selon la SAAQ, la Cour supérieure ne mentionne ni dans ses motifs, ni dans ses dispositifs, qu'elle accepte la relation entre le trouble somatoforme/hystérie de conversion et l'accident d'automobile.

5.2       Le droit

[55]        L'Honorable Derek Guthrie souligne ce qui suit dans la décision de Communauté urbaine de Montréal (Service de police) c. Tribunal des droits de la personne et al. :[23]

« 21  Il est préférable d'éviter les recours en révision judiciaire en cours d'instance à moins de circonstances exceptionnelles ou de cas manifestes, et d'attendre l'issue du procès devant le tribunal inférieur pour faire appel au pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure.  Comme le soulignait le juge LeBel (maintenant membre de la Cour suprême du Canada) qui a écrit le jugement unanime de la Cour d'appel dans Ménard c. Rivet, un appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une requête en révision judiciaire d'une autre décision du T.D.P.Q. :

Le problème de la réserve à l'égard de l'exercice du contrôle judiciaire s'accentue en raison du caractère interlocutoire de la décision attaquée.  On ne saurait oublier que, en effet, depuis plusieurs années, notre cour, de façon constante, a […] reconnu qu'on doit, autant que possible, décourager le recours prématuré au contrôle judiciaire pour tenter de faire casser les décisions préliminaires à caractère interlocutoires des arbitres des tribunaux inférieurs.  Cependant, même dans cet arrêt, où il critiquait vivement la guérilla judiciaire, le juge Vallerand laissait une ouverture dans certains cas d'irrecevabilité qualifiés de « manifestes » :

Je m'en tiendrais aux seuls cas manifestes d'irrecevabilité et encore là uniquement lorsqu'il y a perspective d'une longue instruction que ne justifie pas le mal fondé évident et incontestable du droit.  Pour le reste: au plus vite au fond où on réglera le tout d'un seul jet et sans risquer de provoquer deux évocations de deux pourvois.  Et au diable la guérilla!

Tous ces jugements soulignent la nécessité d'une attitude très prudente dans la mise en œuvre du pourvoir de contrôle judiciaire des décisions interlocutoires des tribunaux intérieurs.  Cependant, même dans le cas de ce type de décision, se pose la problème de l'absence de compétence.  Bien qu'elle admette le maintien d'un caractère discrétionnaire de l'intervention de la Cour supérieure, la jurisprudence semble imposer une approche plus favorable à l'intervention immédiate lorsque la compétence initiale à se saisir de l'affaire fait défaut.

Dans son interprétation de l'arrêt Harelkin et du courant jurisprudentiel qui en découlait, le professeur Pierre Lemieux admettait le maintien d'un pouvoir discrétionnaire de la Cour supérieure, même devant un cas d'absence de compétence.  Il ajoutai, un peu plus loin, que cette discrétion était susceptible de varier.  Elle diminuerait considérablement dans le cas d'absence de compétence distinguée de l'excès ou du mauvais exercice de la compétence.  Deux critères essentiels devraient guider la discrétion du juge: l'intérêt public et la saine administration de la justice. »

[soulignés dans l'original]

5.3       Analyse et décision

[56]        En l'espèce, le Tribunal conclut pour les raisons élaborées ci-après que le TAQ a outrepassé sa compétence et qu'il y a lieu de se pencher sur la décision incidente du TAQ du 13 mai 2010.

6.         EST-CE RAISONNABLE POUR LE TAQ D'AVOIR REJETÉ LA PREUVE NOUVELLE QUE V... VOULAIT DÉPOSER AU DOSSIER?

[57]        Le Tribunal constate que la question au cœur de la discussion est l'établissement d'un lien entre l'accident d'automobile du 27 mai 2003 et un trouble somatoforme - phénomène de conversion dont V... souffre.

6.1       Position des parties

[58]        Selon la SAAQ, la juge Grenier aurait retourné le dossier devant le TAQ avec l'intention de permettre à cette dernière de clarifier et de rendre intelligible la rédaction de sa décision.

[59]        De plus, selon la SAAQ, la juge Grenier n'aurait pas tranché le litige, notamment quant au lien de causalité.

[60]        Quant à V..., il plaide que la Cour aurait conclu à l'existence d'un lien causal entre l'accident et l'apparition d'un phénomène de conversion.

5.2       Analyse et décision

[61]        Le Tribunal est d'avis que la juge Grenier a déterminé qu'il y avait un lien entre l'accident et l'apparition du phénomène de conversion.

[62]        Le Tribunal observe que la question du lien causal a été effectivement tranchée par la Cour en ces termes :

« [10]  Dans sa requête, le demandeur souligne que certains des éléments retenus ne sont pas soutenus par la preuve.  Il n'est pas nécessaire, toutefois, d'entrer dans ce débat puisqu'il appert, à la face même de la décision, que le TAQ a jugé qu'il y avait un lien entre l'accident et l'apparition du phénomène de conversion, phénomène qui, selon la preuve versée devant le TAQ, se serait manifesté pour la première fois en 1993 à l'occasion d'un autre accident automobile et qui se serait résorbé par la suite.

[11]  Si le TAQ ne s'est pas explicitement prononcé sur la nature du lien de causalité, il semble avoir appliqué les principes de droit commun.  Or, comme le souligne le juge Baudouin dans l'arrêt Les Productions Pram inc. c. Lemay, le lien de causalité requis par la loi est un lien sui generis et il est vain, pour le qualifier, de s'enfermer dans les constructions doctrinales traditionnelles de la causa causans, causa proxima, causalité adéquate, causalité immédiate ou équivalente des conditions.

[12]  De la jurisprudence citée dans cet arrêt, on peut conclure qu'il suffit que le dommage se soit réalisé dans le cadre de l'usage de l'automobile pour qu'il y ait un lien causal.

[13]  Si, comme le souligne le TAQ, l'accident est l'occasion de la manifestation du trouble, alors c'est que l'accident a fait en sorte que le phénomène de conversion a recommencé à se manifester.  L'existence du lien causal a donc été démontré.

[14]  De plus, le par. 50 de la décision du TAQ établit clairement que le trouble de conversion trouve sa justification dans les suites attendues d'un accident aussi banal soit-il.

[15]  Ici, à juste titre, le TAQ reconnaît que la banalité de l'accident ne fait pas en sorte qu'il ne puisse exister de lien entre la symptomatologie du demandeur et l'accident, tout banal qu'il soit, dont il a été victime. »

[nos soulignés]

[63]        La juge Grenier a donc retourné le dossier au TAQ pour décider des neuf sujets demeurant en litige et touchant principalement divers frais.

[64]        Le Tribunal est d'avis que la juge Grenier a abordé la question de la raisonnabilité de la décision attaquée dans le cadre des critères justifiant ou non son intervention en révision judiciaire.  C'est dans ce contexte que l'on doit interpréter le septième paragraphe de sa décision :

« [7] À sa face même, la décision du TAQ ne possède pas les attributs de la raisonnabilité.  Cette décision est carrément inintelligible. »

[65]        Le Tribunal est d'avis que cette décision de la Cour case les décisions du TAQ et entraîne l'annulation de toute preuve soumise devant lui.

[66]        Il faut donc reprendre l'audience au mérite dans le respect du droit fondamental de chaque partie et de faire valoir tous les moyens de preuve et de se faire entendre, mais dans un contexte cerné et décrit par la juge Grenier.

[67]        Il apparaît donc déraisonnable pour le TAQ d'avoir décidé de rejeter :

a)            l'expertise médicale datée du 17 mars 2009 de Docteur Michel Grégoire, psychiatre, déposée dans le dossier SAS-M09630-0409;

b)            le rapport d'évaluation d'aide personnelle à domicile de Monsieur Claude Bougie, ergothérapeute, daté du 17 juillet 2009;

c)            l'expertise médicale datée du 8 juin 2009 de Docteur Robert Filiatreault, neurologue.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[68]        ACCUEILLE la requête en révision judiciaire d'une décision du Tribunal administratif du Québec du demandeur, J… V…;

[69]        ORDONNE l'annulation à toutes fins que de droit de la décision du 13 mai 2010;

[70]        ORDONNE que les expertises de Docteur Michel Grégoire, psychiatre, de Monsieur Claude Bougie, ergothérapeute et de Docteur Robert Filiatreault, neurologue, soient reçues en preuve devant le Tribunal administratif du Québec;

[71]        ORDONNE que le dossier du demandeur soit retourné devant le Tribunal administratif du Québec pour la tenue d'une nouvelle audition afin de finaliser les litiges dont il est saisi;

[72]        ORDONNE que le Tribunal administratif du Québec applique, dans son intégralité, la décision rendue par l'Honorable Danielle Grenier de la Cour supérieure datée du 18 septembre 2008 quant à la reconnaissance du lien causal entre l'accident d'automobile du 27 mai 2003 et le trouble de conversion.

[73]        LE TOUT AVEC DÉPENS.

 

 

__________________________________

PAUL MAYER, J.C.S.

 

Me André Laporte

Laporte & Lavallée

Avocat du demandeur

 

Me Sylvain Lussier

Osler, Hoskin & Harcourt, s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Avocat du défendeur, Tribunal Administratif du Québec

 

Me Julien Gaudet-Lachapelle

Dussault Mayrand

Avocat de la mise en cause

 

Dates d’audiences :

Les 6 et 7 janvier 2011

 



[1]     Pièce P-4, p. 9.

[2]     Ibid, p. 2.

[3]     Ibid note 1, p. 11.

[4]     Ibid note 1, p. 13.

[5]     Ibid note 1, p. 208.

[6]     Ibid note 1, p. 214.

[7]     Ibid note 1, p. 115.

[8]     Ibid note 1, p. 72

[9]     Ibid note 1, pp. 100-101.

[10]    Ibid note 1, p. 117.

[11]    Ibid.

[12]    Ibid note 1, pp. 140 et 146.

[13]    Ibid note 1, p. 138.

[14]    Ibid note 1, p. 162.

[15]    Ibid note 1, p. 163.

[16]    Ibid note 1, p. 251.

[17]    Ibid note 1, p. 252.

[18]    Ibid note 1, p. 269.

[19]    Ibid note 4, p. 204.

[20]    Ibid note 1, pp. 228-229.

[21]    Ibid note 1, p. 268.

[22]    Ibid note 1, p. 269.

[23]    REJB 2000-19595 (C.S.).

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