Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Dans l’affaire: Renvoi à la Cour d’appel du Québec portant sur la validité constitutionnelle des dispositions de l’article 35 du Code de procédure civile qui fixent à moins de 85 000 $ la compétence pécuniaire exclusive de la Cour du Québec et sur la compétence d’appel attribuée à la Cour du Québec

 

2018 QCCA 654

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-027083-179

 

Dans l’affaire :

Renvoi à la Cour d’appel du Québec portant sur la validité constitutionnelle des dispositions de l’article 35 du Code de procédure civile qui fixent à moins de 85 000 $ la compétence pécuniaire exclusive de la Cour du Québec et sur la compétence d’appel attribuée à la Cour du Québec

 

Décret n° 880-2017

 

DATE :

LE 24 AVRIL 2018

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L'HONORABLE

NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.

 

 

LES JUGES EN CHEF, JUGE EN CHEF ASSOCIÉ ET JUGE EN CHEF ADJOINTE DE LA COUR SUPÉRIEURE DU QUÉBEC

REQUÉRANTS / INTERVENANTS

c.

 

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

 

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA COLOMBIE-BRITANIQUE

CONSEIL DE LA MAGISTRATURE DU QUÉBEC

ASSOCIATION CANADIENNE DES JUGES DES COURS PROVINCIALES

ORGANISME D’AUTORÉGLEMENTATION DU COURTAGE IMMOBILIER DU QUÉBEC (OACIQ)

CONFÉRENCE DES JUGES DE LA COUR DU QUÉBEC

INTERVENANTS

 

 

 

JUGEMENT*

 

 

[1]           Dans le cadre de la gestion de ce renvoi, les requérants m’ont adressé une demande de provision pour frais par laquelle ils soutiennent qu’il est justifié que leurs honoraires extrajudiciaires ainsi que tous leurs déboursés pertinents soient assumés par les procureures générales du Québec et du Canada.

1.      Critères d’octroi d’une provision pour frais en matière constitutionnelle

[2]           La jurisprudence est constante à l’effet que les trois conditions régissant l’octroi discrétionnaire de provisions pour frais en matière constitutionnelle sont les suivantes[1] :

1.         La partie qui demande une provision pour frais n’a véritablement pas les moyens de payer les frais occasionnés par le litige et ne dispose réalistement d’aucune autre source de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal — bref, elle serait incapable d’agir en justice sans l’ordonnance.

2.         La demande vaut prima facie d’être instruite, c’est à dire qu’elle paraît au moins suffisamment valable et, de ce fait, il serait contraire aux intérêts de la justice que le plaideur renonce à agir en justice parce qu’il n’en a pas les moyens financiers.

 3.        Les questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n’ont pas encore été tranchées.

[3]           Dans l’arrêt Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), les juges Bastarache et Lebel qualifient ces conditions d’ « absolues »[2], de sorte qu’une cour ne peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, accorder une provision pour frais que si ces trois conditions sont remplies.

2.      Prétentions des requérants

[4]           Si les deuxième et troisième critères d’octroi d’une provision pour frais en matière constitutionnelle ne soulèvent pas de difficulté en l’espèce, force est de constater que les requérants ne font pas la démonstration de leur impécuniosité. C’est en ce sens qu’ils me paraissent « reconn[aître] le caractère inédit de leur demande. »[3] Ils soumettent néanmoins que dans le cadre du renvoi de 1965 portant sur la constitutionnalité de la compétence pécuniaire de la Cour de Magistrat en matière civile[4], la Cour du Banc de la Reine avait, dans son opinion certifiée, recommandé au gouvernement du Québec de payer les frais du Barreau du Québec, lequel était intervenu pour s’assurer que la position opposée à celle du procureur général du Québec serait représentée[5].

[5]           Il convient toutefois de noter que cette recommandation de la Cour du Banc de la Reine faisait partie de l’opinion finale et ne constituait donc pas une décision intérimaire.

[6]           Les requérants soutiennent aussi que puisque « les parties à un renvoi ne peuvent prétendre avoir gain de cause ou succomber »[6], « il est impensable d’envisager un scénario où les Requérants réclameraient, à l’issue du présent Renvoi, des « frais de justice » aux autres parties. »[7]

[7]           Enfin, ils avancent que « cette Cour a déjà consenti une provision pour frais dans un contexte où une partie était seule à se positionner en faveur de l’une des issues possibles au litige. »[8] Ils réfèrent ainsi à l’arrêt Québec (Procureure générale) c. D’Amico (ci-après « D’Amico »)[9].

3.     Analyse

 

[8]           D’abord, la jurisprudence canadienne ne semble comporter aucun cas où une cour aurait accordé une provision pour frais dans le cadre d’un renvoi[10].

[9]           Ensuite, les requérants ont raison de signaler que l’octroi de dépens n’est pas monnaie courante dans le cadre de renvois. Dans le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, la Cour suprême dit rejeter les demandes de certains intervenants concernant les dépens, « [c]onformément à sa pratique usuelle dans les renvois qui lui sont soumis en vertu du par. 53(1) de la Loi sur la Cour suprême […]. »[11] Elle a cependant accordé aux appelants leurs frais de justice dans le Renvoi relatif à Upper Churchill Water Rights Reversion Act[12] et à certains intervenants dans le Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance-emploi (Can.), art. 22 et 23[13]. Dans la même veine, dans le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.)[14], la Cour, alors saisie de quatre pourvois, a adjugé les dépens en faveur de tous les appelants qui en ont fait la demande[15].

[10]        S’agissant maintenant de l’arrêt D’Amico[16], un appel et non un renvoi, le requérant, Dr Saba, demandait une provision pour frais concernant sa participation à l’appel de la procureure générale du Québec à l’encontre d’une décision de la Cour supérieure déclarant inapplicables les dispositions de la Loi concernant les soins de fin de vie[17], portant sur l’aide médicale à mourir, jusqu’à la prise d’effet de la déclaration d’invalidité prononcée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général)[18]. L’appel avait été accueilli sans frais par cette Cour le 22 décembre 2015[19], mais celle-ci s’était réservé compétence pour adjuger la question de la provision pour frais, vu le déroulement particulier des événements[20]. La Cour a accueilli la demande du Dr Saba pour ces motifs[21] :

En effet, après avoir encouragé la démarche judiciaire en première instance des intimés, la PGC leur a retiré son soutien en appel pour appuyer plutôt la position de la PGQ, mise en cause dans cette affaire. Le Dr Saba s’est effectivement retrouvé seul à défendre en appel l’ordonnance attaquée, l’autre intimée en appel et partie demanderesse en première instance ne satisfaisant pas, selon le jugement de première instance, aux critères jurisprudentiels requis pour obtenir une injonction provisoire. Le Dr Saba se trouvait donc dans la curieuse situation de devoir défendre la législation fédérale en lieu et place de la PGC et de faire valoir devant notre Cour les arguments que la PGC avait soutenus en première instance. Quant à nous, cette situation inusitée justifie l’octroi d’une provision pour frais compte tenu des circonstances particulières en cause.

                                                                                                            [Soulignement ajouté]

[11]        Sur la base de cet arrêt, les requérants font donc valoir qu’en jugeant de leur demande de provision pour frais, il faut d’abord et avant tout « s’interroger sur le risque de porter atteinte au principe d’indépendance et d’impartialité du système judiciaire et à l’importance d’éviter tout apparence de conflit d’intérêt. »[22]

[12]        Or, dans D’Amico, cette Cour se penche sur la question de l’impécuniosité[23] :

À ce sujet, du reste, il convient de mentionner qu’à l’audition de la présente requête, le Dr Saba a voulu déposer une déclaration sous serment de son comptable attestant son manque de ressources suffisantes.

Invitées à réagir à cette demande, la PGQ et la PGC ont représenté à la Cour que cette déclaration sous serment n’était pas susceptible d’affecter le sort de la requête. En même temps, cependant, elles ont plaidé que le Dr Saba n’avait pas prouvé qu’il ne disposait pas des ressources nécessaires pour mener ses procédures, allant jusqu’à souligner que l’appel avait pu, malgré tout, être entendu, tout en passant commodément sous silence que ce résultat n’avait été atteint que grâce au fait que les procureurs du Dr Saba, vu l’urgence, lui avaient avancé leurs honoraires.

Dans ces circonstances, et devant la faiblesse de l’argument des PGQ et PGC sur ce point, la Cour juge recevable cette nouvelle preuve, laquelle, bien que tardive, est rendue pertinente par les positions adoptées par la PGQ et la PGC, tout en n’étant pas susceptible de leur nuire puisqu’elle n’est pas déterminante aux yeux de la Cour, comme le démontrent les motifs qui précèdent.

[Soulignements ajoutés]

[13]        Au regard de cet extrait, les requérants ont tort d’affirmer que « la preuve de l’impécuniosité n’avait pas été faite » dans cette affaire[24]. Quoi qu’il en soit, comme cette provision pour frais a été ordonnée postérieurement à la résolution du litige, elle s’apparente davantage à une adjudication des frais en faveur du requérant.

4.     Conclusion

 

[14]        À la lumière de ce qui précède, il me faut rejeter la demande de provision pour frais des requérants, ceux-ci n’ayant pas fait la preuve de leur impécuniosité. Il leur sera toujours loisible de demander à la Cour, dans le cadre du renvoi ou ultérieurement, que leurs frais de justice, comprenant honoraires extrajudiciaires et frais d’experts, leur soient adjugés, comme la jurisprudence le permet.

[15]        POUR CES MOTIFS, LA SOUSSIGNÉE :

[16]        REJETTE la demande de provision pour frais, sans frais dans les circonstances.

 

 

 

 

NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.

 

Me William J. Atkinson

William J. Atkinson, avocat

et

Me Véronique Roy

Langlois avocats S.E.N.C.R.L.

Pour les requérants

 

Me Dominique Rousseau

Me Jean-Yves Bernard

Bernard, Roy (Justice-Québec)

Pour la Procureure générale du Québec

 

Me Bernard Letarte

Me Lindy Rouillard-Labbé

Ministère de la justice Canada

Pour la Procureure générale du Canada

 

Me François Grondin

Me Anaïs Bussières-McNicoll

Borden Ladner Gervais

Pour la Conférence des juges de la Cour du Québec

 

Me Karrie Wolfe (absente)

Me Gareth Morley (absent)

Me Zachary Froese (absent)

Pour le Ministère de la justice, Colombie-Britannique

 

Me Marc-André Fabien (absent)

Fasken Martineau DuMoulin

Pour le Conseil de la magistrature du Québec

 

Me Jon Laxer (absent)

Me Audrey Mayrand (absente)

Juristes Power

Pour l’Association canadienne des juges des cours provinciales

 

 

Me Vanessa J. Goulet (absente)

Organisme d’autoréglementation du courtage Immobilier du Québec

Pour l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ)

 

 

Date d’audience :

18 avril 2018

 



*     Cette décision est signée en français et en anglais. Les deux versions sont officielles.

[1]     R. c. Caron2011 CSC 5, [2011] 1 R.C.S. 78, paragr. 39; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, [2007] 1 R.C.S. 38; Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371.

[2]     Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), supra, note 1, paragr. 37.

[3]     Demande modifiée de provision pour frais en matière constitutionnelle, en vue du paiement des honoraires extrajudiciaires et des débours des requérants, paragr. 19.

[4]     Renvoi concernant la constitutionnalité de la Loi concernant la juridiction de la Cour de Magistrat, [1965] B.R. 1, infirmé par Renvoi touchant la constitutionnalité de la Loi concernant la juridiction de la Cour de Magistrat, [1965] S.C.R. 772.

[5]     Demande modifiée de provision pour frais en matière constitutionnelle, en vue du paiement des honoraires extrajudiciaires et des débours des requérants, paragr. 19.

[6]     Id., paragr. 12.

[7]     Id., paragr. 13.

[8]     Demande modifiée de provision pour frais en matière constitutionnelle, en vue du paiement des honoraires extrajudiciaires et des débours des requérants, paragr. 29.

[9]     Québec (Procureure générale) c. D'Amico, 2016 QCCA 351.

[10]    Reference re: Criminal Code, s. 293, 2010 BCSC 517, paragr. 48.

[11]    Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698, 2004 CSC 79, paragr. 74.

[12]    [1984] 1 R.C.S. 297, p. 335.

[13]    [2005] 2 R.C.S. 669, 2005 CSC 56, paragr. 78.

[14]    [1997] 3 R.C.S. 3.

[15]    Id., paragr. 289, 292 et 295.

[16]    Québec (Procureure générale) c. D'Amico, supra, note 9.

[17]    L.R.Q. c. S-32.0001.

[18]    Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331, 2015 CSC 5.

[19]    Québec (Procureure générale) c. D'Amico, 2015 QCCA 2138, paragr. 52.

[20]    Québec (Procureure générale) c. D'Amico, supra, note 9, paragr. 4.

[21]    Id., paragr. 11.

[22]    Demande de provision pour frais en matière constitutionnelle, en vue du paiement des honoraires extrajudiciaires et des débours des requérants, paragr. 31.

[23]    Québec (Procureure générale) c. D'Amico, supra, note 9, paragr. 14-16.

[24]    Demande de provision pour frais en matière constitutionnelle, en vue du paiement des honoraires extrajudiciaires et des débours des requérants, paragr. 29.

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