RECTIFICATION D’UNE DÉCISION
[1] La Commission des lésions professionnelles a rendu, le 20 juin 2003, une décision dans le présent dossier;
[2] Cette décision contient deux erreurs d’écriture qu’il y a lieu de rectifier;
[3] Sur la première page, nous lisons :
AUDIENCE TENUE LE : 4 décembre 2003
[4] Alors que nous aurions dû lire :
AUDIENCE TENUE LE : 4 décembre 2002
[5] Au paragraphe 6, nous lisons :
La travailleuse, née en 1957, est infirmière bachelière […].
[6] Alors que nous aurions dû lire à ce paragraphe :
La travailleuse, née en 1957, est infirmière […].
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Me Micheline Allard |
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Commissaire |
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F.I.I.Q. |
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(Me Hélène Toussaint) |
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Représentante de la partie requérante |
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HEENAN BLAIKIE |
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(Me Danielle Gauthier) |
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Représentante de la partie intéressée |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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RÉGION : |
Estrie |
SHERBROOKE |
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Le |
20 juin 2003 |
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DOSSIER : |
182629-05-0204 |
DEVANT LA COMMISSAIRE : |
Me Micheline Allard |
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ASSISTÉE DES MEMBRES : |
Bertrand Delisle |
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Associations d’employeurs |
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Maurice Brisebois |
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Associations syndicales |
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ASSISTÉE DE L'ASSESSEURE : |
Muguette Dagenais Médecin |
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DOSSIER CSST : |
121095400 |
AUDIENCE TENUE LE : |
4 décembre 2003 |
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3 mars 2003 |
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À : |
Sherbrooke |
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MIREILLE PLOUFFE LEBLANC |
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PARTIE REQUÉRANTE |
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C.H.U.S. - HÔPITAL FLEURIMONT |
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PARTIE INTÉRESSÉE |
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DÉCISION
[1] Le 9 avril 2002, madame Mireille Plouffe-Leblanc (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 20 mars 2002 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 26 octobre 2001 et déclare que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 21 août 2001.
[3] La travailleuse est présente à l’audience et représentée. L’employeur, le C.H.U.S.-Hôpital Fleurimont, est également représenté. Le 23 janvier 2003, la procureure de la travailleuse produit son argumentation écrite et, le 21 février, la procureure de l’employeur produit la sienne. Le 3 mars suivant, la procureure de la travailleuse avise la Commission des lésions professionnelles qu’elle ne déposera pas de réplique et le dossier est alors pris en délibéré.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La
travailleuse demande de reconnaître que la dépression situationnelle
diagnostiquée par son médecin constitue une maladie professionnelle au sens de
l’article
LES FAITS
[5] Du témoignage de la travailleuse à l’audience, la Commission des lésions professionnelles retient ce qui suit.
[6] La travailleuse, née en 1957, est infirmière bachelière et au service de l’employeur depuis 1978.
[7] Elle travaille au département de cardiologie jusqu’en 1989. Elle est ensuite affectée à l’unité d’ophtalmologie-oto-rhino-laryngologie (8e étage) jusqu’à sa fermeture au printemps 1995.
[8] Cette fermeture entraîne de l’inquiétude chez les quarante infirmières de l’unité notamment au sujet des postes disponibles eu égard à leur ancienneté. Une psychologue rencontre le personnel à l’initiative de l’employeur. Elle suggère à la travailleuse de consulter sur une base individuelle, ce qu’elle fait. Elle a dix rencontres avec un psychologue ayant pour effet de diminuer son niveau de stress et l’aider à faire le deuil de son travail et de ses collègues de l’unité. Elle rapporte la situation à son médecin traitant mais n’éprouve pas le besoin d’arrêter de travailler et aucune médication n’est prescrite. Le coût relié aux rencontres avec le psychologue est défrayé en partie par l’assureur privé de la travailleuse.
[9] Des réunions se tiennent avec l’employeur et aussi avec le syndicat. Deux choix s’offrent à la travailleuse : supplanter une collègue ou poser sa candidature sur un poste vacant. L’infirmière-chef lui suggère un poste en cliniques externes qu’elle obtient et elle débute le 25 juin 1995.
[10] À cette époque et au cours des années subséquentes, elle travaille de vingt à vingt-cinq heures par semaine réparties sur cinq jours.
[11] À son arrivée en cliniques externes, elle est affectée à la clinique de médecine familiale. Au cours de ses deux journées et demie d’orientation, elle obtient peu de collaboration de la part des deux infirmières occasionnelles de cette clinique. Lorsqu’elle les interroge sur le fonctionnement et les méthodes de travail, elles fournissent le minimum d’information et émettent des commentaires déplaisants.
[12] La travailleuse explique qu’elle ne connaissait pas les cliniques externes compte tenu de son expérience antérieure. Elle ignorait les procédures à suivre, la nature des examens à demander, etc. Il n’existait pas de programme ou d’outil d’orientation ni de manuel de références.
[13] Elle poursuit le travail à la clinique de médecine familiale pour le reste de l’année 1995. Cette période s’avère difficile parce qu’elle devait montrer qu’elle était capable de s’adapter et de travailler en cliniques externes. Elle a finalement été acceptée de ses collègues infirmières.
[14] À compter de 1996, il y a restructuration du fonctionnement des cliniques externes au niveau des infirmières. Deux moyens sont mis en place : la polyvalence en 1996 et le « système des piliers » en 1998.
[15] La polyvalence consistait à faire en sorte qu’une infirmière soit en mesure de travailler dans quatre cliniques pour répondre aux besoins de l’employeur. Avant le début de son travail dans chacune des cliniques, la travailleuse a reçu deux jours et demi d’orientation, la majorité du temps sans programme, outil ou cahier de références. Elle a dû acquérir de nouvelles connaissances et développer de nouvelles compétences et habiletés en quelques mois, et ce, au fur et à mesure de l’exécution de ses tâches dans chacune des cliniques.
[16] La travailleuse a été assignée en ophtalmologie-oto-rhino-laryngologie. Les examens et les techniques de soins en ophtalmologie n’étaient pas les mêmes que ceux appliqués dans son ancienne unité du 8e étage. L’oto-rhino-laryngologie est la spécialité qui lui a demandé le moins d’apprentissage.
[17] Elle a aussi travaillé à la clinique de médecine couvrant plusieurs spécialités : rhumatologie, endocrinologie, maladies infectieuses, neurologie, cardiologie, néphrologie et médecine interne. À cette clinique, elle devait notamment programmer des tests spécifiques et en expliquer la nature aux patients. Elle pouvait rencontrer environ cent patients au cours d’un avant-midi. Elle disposait de certains outils de travail : cahiers de radiologie et de médecine nucléaire et dépliants pour les patients.
[18] Elle a travaillé à la clinique de gynécologie-colposcopie pour les suivis de grossesse, les suivis postopératoires et ceux annuels. Elle a assisté des médecins pour des colposcopies, ce qu’elle trouvait stressant parce qu’elle a dû apprendre à faire fonctionner l’instrumentation et l’appareillage. Le médecin pratiquait vingt colposcopies par avant-midi. Elle n’avait pas le temps d’établir une relation d’aide, c’est-à-dire de répondre adéquatement aux questions des patientes anxieuses face à leur condition (suspicion d’un cancer du col de l’utérus) nécessitant un tel examen.
[19] Elle a également travaillé à la clinique de chirurgie et dermatologie qui regroupe diverses spécialités : chirurgie générale, orthopédie, neurochirurgie et urologie. Elle a dû faire beaucoup d’apprentissages à cette clinique parce qu’elle n’avait pas touché à ces spécialités depuis la fin de son cours d’infirmière.
[20] En 1997, il y a eu fermeture de l’hôpital Saint-Vincent et, à Fleurimont, le départ à la retraite de deux infirmières, une infirmière-auxiliaire et deux puéricultrices des cliniques externes. La travailleuse devenait ainsi l’une des infirmières les plus expérimentées aux cliniques externes même si elle n’avait travaillé que dans quelques-unes. Elle a été sollicitée pour orienter les nouvelles infirmières en provenance de l’hôpital Saint-Vincent et affectées aux cliniques, toujours sans outil ou instrument de références.
[21] En 1998, un « système de piliers » est instauré. Ainsi, dans chacune des cliniques externes, une infirmière est désignée comme responsable de l’orientation des nouvelles infirmières et comme personne-ressource pour celles y travaillant à une fréquence peu élevée. La travailleuse est nommée pilier pour la clinique de pédiatrie, l’employeur considérant qu’elle avait une approche adéquate avec les enfants. Elle a reçu une orientation de trois ou quatre jours sur l’étage de pédiatrie puis de trois ou quatre jours également à la clinique externe de pédiatrie. Elle a ensuite commencé à agir comme pilier.
[22] Quoique responsable et personne-ressource à la clinique de pédiatrie, elle y travaillait moins de 50 p. cent du temps parce que la polyvalence était maintenue. Elle se sentait démunie sur le plan professionnel puisque dans toute sa carrière, elle avait travaillé un ou deux mois dans cette spécialité.
[23] Elle explique que les techniques d’examens et de soins sont très différentes chez l’enfant par rapport à l’adulte. À la clinique, il y avait plusieurs techniques spéciales devant être administrées de manière rigoureuse et aucun document de références (protocole de soins) n’existait.
[24] Certaines techniques sont mal tolérées par les enfants et elle devait faire face à leurs réactions (pleurs, cris) et celles des parents (désarroi, agressivité).
[25] Elle était, sauf occasionnellement, la seule infirmière à la clinique et elle recevait de vingt à trente enfants par jour.
[26] La travailleuse indique que la clinique de pédiatrie comprenait dix médecins avec leurs méthodes de travail et exigences spécifiques. Elle a dû prendre des notes pour être en mesure de répondre à leurs attentes.
[27] Après son travail à la clinique de pédiatrie surtout lorsqu’il y avait plusieurs consultations sans rendez-vous, elle était épuisée et éprouvait des céphalées et une perte d’appétit.
[28] En ce qui a trait à son affectation dans l’une ou l’autre clinique, elle en était informée vingt-quatre heures à l’avance en 1996 et une semaine à l’avance, mais avec des modifications en cours de semaine, à compter de 1997. Pendant une même journée, elle travaillait dans deux ou trois cliniques distinctes. Elle pouvait aussi ne pas travailler pendant un mois dans une clinique, ce qui lui demandait de s’ajuster à nouveau au fonctionnement en faisant appel à sa mémoire, vu l’absence d’outil de références.
[29] En avril 2000, elle bénéficie d’une orientation de quelques jours à la clinique d’allergies, à la demande de l’employeur, afin d’y remplacer des collègues. Elle avait beaucoup d’appréhension face aux tâches, à savoir l’administration de tests de provocation et de désensibilisation en respectant une procédure très précise. Ces tests comportent des risques de réactions anaphylactiques. La clinique est située à l’écart des autres, ce qui augmentait le sentiment d’insécurité de la travailleuse en cas de complications.
[30] Elle y travaille quatre ou cinq jours en juin avec une autre infirmière. Elle y travaille seule pendant deux semaines à l’été 2000, période pendant laquelle elle a effectué un test de provocation à un enfant allergique aux arachides. À la suite de la réaction de l’enfant, elle a dû faire une injection d’adrénaline et l’amener le plus rapidement possible en pédiatrie où il a reçu ce produit par soluté parce qu’il débutait un choc anaphylactique. Elle est revenue à la clinique mais a eu de la difficulté à terminer son quart de travail.
[31] Elle a effectué des remplacements dans cette clinique, au cours des mois suivants, en éprouvant de l’anxiété.
[32] En janvier 2001, une erreur a été commise dans l’administration à un enfant d’un vaccin de désensibilisation aux piqûres d’un certain type de guêpe. L’erreur initiale a été commise par le fabricant du vaccin. Le produit livré au domicile de l’enfant contenait des allergènes à trois différents types de guêpe alors que l’enfant n’était allergique qu’à un seul type.
[33] Les parents n’ont pas noté l’erreur au moment de la livraison non plus que la toute première infirmière qui a reçu l’enfant au début de la phase du traitement de désensibilisation. Les données apparaissant sur le contenant du produit n’ont pas été vérifiées avec celles du dossier. La dilution a alors été préparée par l’infirmière puis administrée à l’enfant, selon la procédure habituelle, jusqu’au mois d’avril 2001, au moment où l’erreur a été découverte. Au cours de cette période, la travailleuse a travaillé à la clinique externe d’allergies et elle a administré le produit erroné à l’enfant. Elle ne peut dire précisément à combien de reprises.
[34] C’est au moment de la préparation d’une nouvelle dilution, en avril 2001, qu’une infirmière s’est rendu compte de l’erreur. L’allergiste responsable de l’enfant a alors rencontré ses parents. Il a également consulté ses collègues et des confrères d’un autre centre hospitalier puisqu’il ne savait que faire face à cette erreur qui se produisait pour la première fois.
[35] À la suite de cette erreur, l’enfant avait développé une allergie aux deux autres types de guêpe avec, comme conséquence, un risque accru de faire des réactions allergiques en cas de piqûres de guêpe et l’obligation de reprendre toute la procédure de désensibilisation.
[36] La travailleuse était angoissée et a demandé si elle était à l’origine de l’erreur (absence de vérification des données) et elle a su que tel n’était pas le cas, ce qui a diminué son stress.
[37] Les infirmières étaient surprises et sous l’effet de choc face à cette erreur. Elles en ont parlé entre elles puis la situation s’est peu à peu estompée et il n’en a plus du tout été question. Les procédés n’ont d’ailleurs été aucunement modifiés et le chef de service des cliniques externes, monsieur Jean-Marie Boudreault, n’a pas été informé de l’erreur à cette époque.
[38] Le 21 août 2001, la travailleuse est affectée à la clinique externe d’allergies. L’enfant en question était sur la liste de rendez-vous et c’est la travailleuse qui s’en est occupé.
[39] Elle a pratiqué les deux injections prévues. Elle a indiqué à la mère qu’une nouvelle commande du produit serait à faire. Cette dernière a alors répondu que l’hôpital avait accepté d’en défrayer le coût, ce que la travailleuse ignorait. La mère a alors mentionné qu’il s’était produit « quelque chose » à la clinique, qu’on lui avait conseillé de déposer une plainte et elle a demandé à la travailleuse ce qu’elle en pensait. La travailleuse lui a répondu qu’elle devrait effectivement déposer une plainte pour éviter qu’une telle situation se reproduise. La mère voulait savoir si le médecin chef de la clinique d’allergies était présent. La travailleuse l’ignorait et elle a recommandé à la mère de clarifier ses appréhensions en parlant à ce médecin.
[40] La travailleuse était ébranlée à la suite de cette conversation. Le lendemain matin, elle éprouvait un sentiment de culpabilité et d’incompétence parce qu’elle estimait avoir trahi le lien de confiance avec ses collègues infirmières et les médecins de la clinique d’allergies. À compter de ce jour, elle s’est isolée en évitant ses collègues. Elle a connu une perte d’appétit et des troubles de sommeil. Elle a progressivement perdu intérêt pour ses activités à la maison. Elle éprouvait une baisse marquée de concentration au travail; elle avait toujours en tête la mère du patient qui voulait porter plainte ou intenter une poursuite.
[41] Le 29 août, elle travaillait à la clinique de pédiatrie. Une collègue l’a informée que les parents de l’enfant voulaient rencontrer le médecin-chef de la clinique d’allergies. La travailleuse a éclaté en sanglots et relaté sa conversation avec la mère. Puis, elle a rencontré son supérieur immédiat, monsieur Jean-Marie Boudreault, et l’a informé qu’elle désirait quitter le travail et les motifs qui l’y incitaient. Monsieur Boudreault l’a rassurée en mentionnant qu’elle avait fourni la réponse appropriée à la mère et lui a offert de rencontrer le médecin-chef, ce qui fut fait. Elle était nerveuse et pleurait pendant la rencontre avec ce médecin. En après-midi, elle a vu monsieur Jacques Nadeau, psychologue, par l’entremise du Programme d’aide aux employés.
[42] Le 31 août, elle a consulté la docteure Lise Lalonde, son médecin traitant, qui a posé un diagnostic de dépression situationnelle et prescrit un arrêt de travail et de la médication.
[43] Au cours des semaines suivantes, elle était incapable de dormir, n’avait pas d’appétit et n’avait pas le goût de rien faire.
[44] Le 1er novembre, le docteur Francisco Pinero a évalué la travailleuse à la demande de la docteure Lalonde. La travailleuse précise que lors de cette évaluation, elle était très perturbée et ne se sentait pas bien. Lors de cette rencontre et au cours des suivantes, elle comprenait mal les propos du docteur Pinero à cause notamment de son accent. Elle saisissait mal ce qu’elle devait faire, elle était déroutée et n’avait pas l’impression de progresser.
[45] La docteure Lalonde l’a dirigée auprès de madame Line Duchesneau, psychologue, qu’elle a vue une fois par semaine du 16 janvier au 10 avril 2002. Elle est devenue capable d’envisager de côtoyer à nouveau ses collègues sur une base régulière. Elle a repris progressivement le travail à partir du 18 février 2002. Ses collègues l’ont très bien accueillie et l’employeur a respecté son rythme de travail. La lésion a été consolidée le 22 avril 2002 par la docteure Lalonde.
[46] La travailleuse dit avoir très bien récupéré de sa dépression mais elle n’est toujours pas à l’aise de travailler à la clinique externe d’allergies.
[47] Certains changements ont été apportés par l’employeur à cette clinique. De nouveaux formulaires ont été faits pour les dossiers des patients contenant plus d’information et de précision. Une feuille d’instructions est maintenant remise aux patients afin de leur permettre de vérifier eux-mêmes le produit livré à domicile. De plus, les infirmières font maintenant vérifier leurs dilutions.
[48] Sur le plan des antécédents, la travailleuse n’avait jamais consulté pour un problème psychologique avant 1995. Elle n’a pas connu d’événements traumatisants sur le plan personnel en 2001.
La preuve médicale
[49] La travailleuse a rencontré monsieur Jacques Nadeau, psychologue, à cinq reprises, la première entrevue ayant eu lieu le 29 août et la dernière le 2 octobre 2001. Dans son rapport global d’intervention, daté du 5 août 2002, monsieur Nadeau rapporte un « effondrement psychologique » vécu par la travailleuse. Il écrit l’avoir aidée :
« … à comprendre que l’incident arrivé a dû être le déclencheur de quelque chose de plus profond qui était latent chez elle. Elle a ainsi fait le lien avec d’autres pertes vécues ces dernières années au travail : perte d’une équipe de travail, changement de départements, etc… ».
[50] La travailleuse a été suivie du 31 août 2001 jusqu’à la date de consolidation de la lésion le 22 avril 2002, par la docteure Lise Lalonde, omnipraticienne, son médecin traitant depuis plusieurs années. Son diagnostic est celui de « dépression situationnelle secondaire à un événement au travail ».
[51] Dans un questionnaire complété à la demande de l’employeur, le 7 novembre 2001, la docteure Lalonde écrit :
Suite à un événement au travail, celle-ci ne peut plus dormir, pleure, est très angoissée. Cet événement a été dramatisé hors proportion avec une remise en question d’elle-même et de son département.
[52] La docteure Lalonde a dirigé la travailleuse auprès du Dr Francisco Pinero, psychiatre. Il l’a rencontrée à quatre reprises, soit les 21 novembre et 12 décembre 2001, de même que les 17 janvier et 14 février 2002. Dans une lettre du 17 décembre 2001 adressée à la docteure Lalonde, le Dr Pinero écrit :
« À la lumière des informations recueillies lors de notre rencontre et de l’anamnèse, nous avons compris qu’elle présente un état de dépression situationnelle chez une personnalité obsessionnelle avec de forts traits de caractères dépressifs. […]
De plus, nous craignons qu’il y ait recherche de bénéfices secondaires : faire accepter à la CSST une maladie due à son travail, ce qui atténuerait son sentiment de responsabilité et de culpabilité pour les gestes posés […] »
[53] Dans ses notes évolutives du 17 janvier 2002, le docteur Pinero s’exprime ainsi :
« Nous croyons aussi qu’il est pratiquement impossible que la CSST considère cela comme un accident de travail car il n’a pas eu d’accident en soi, mais plutôt une réaction « catastrophique » en partie provoquée par une situation au travail « difficile » ce qui provoque déjà une tension chez elle »
[54] À compter du 9 janvier 2002, madame Line Duchesneau, psychologue de pratique privée, poursuit la psychothérapie entreprise par monsieur Jacques Nadeau. Madame Duchesneau rencontre la travailleuse sur une base hebdomadaire jusqu’au 10 avril 2002. Dans son rapport du 15 avril 2002, madame Duchesneau exprime l’opinion suivante :
« … avant l’événement déclencheur, il y a eu beaucoup de changements au sein de son travail. Les exigences d’adaptation furent grandes. Depuis une période de 5 ans, elle a eu à changer de poste, d’équipe de travail, répondre à des demandes variées. Elle doit voir maintenant à 7 départements différents. Ceci implique une grande demande et une « surdose d’adaptation ». Chaque département ayant ses exigences, ses apprentissages, ses besoins, ses changements. C’est comme s’il y avait un essoufflement en terme d’adaptation et que l’énergie physique et psychique se vidait au fur et à mesure. »
[55] Relativement aux événements survenus à la clinique d’allergies, madame Duchesneau écrit :
« Depuis les dernières années, en particulier les deux dernières, avec les demandes de plus en plus grandes provenant des divers départements, et sa volonté d’y répondre de façon adéquate, elle s’est épuisée. »
« … les événements au travail ont demandé une trop grande adaptation. Cette surcharge d’adaptation explique qu’au fur et à mesure il y ait eu une perte de sentiment de compétence, d’estime de soi comme professionnelle, d’énergie physique et psychique et que suite à cet événement, elle ait centré toute son attention sur celui-ci et qu’il soit devenu une forme d’obsession. »
[56] Madame Duchesneau conclut que : « Le problème me semble en majeure partie être en lien direct avec le travail ».
[57] Le docteur Jean T. Turcotte, omnipraticien, médecin consultant de l’employeur, a rencontré la travailleuse le 18 septembre 2001. Il a retenu le diagnostic de dépression majeure et s’est dit d’avis qu’il n’y avait pas de relation avec le travail.
[58] La travailleuse a déposé un rapport d’expertise du 11 novembre 2002 du docteur Gilles Chamberland, psychiatre, faisant suite à son évaluation du 30 juillet 2002. Il a témoigné devant la Commission des lésions professionnelles en réitérant le contenu de son rapport.
[59] En ce qui a trait au diagnostic, les conclusions du docteur Chamberland sont les suivantes :
Axe I :
Dépression majeure, épisode unique, d’intensité modérée à sévère en rémission complète au moment de l’évaluation.
Axe II :
Aucun trouble ou trait de personnalité pathologique.
Axe III :
Aucune maladie physique n’ayant de répercussion psychiatrique.
Axe IV :
Les seuls facteurs de stress précipitants se rapportent au travail.
Aucun autre facteur de stress précipitant ou perpétuant n’a été mis en évidence.
Axe V :
Le fonctionnement social global selon l’échelle GAF se situe à 70 au moment de l’évaluation.
[60] Le docteur Chamberland est d’avis que la travailleuse ne présente aucun trouble ou trait de la personnalité particulier. Il ne retient pas les caractéristiques « obsessive-compulsive » rapportées par le docteur Pinero. Il précise que les gens présentant ces caractéristiques sont pingres, avares, incapables de se débarrasser d’objets et que ces éléments ne se retrouvent pas chez la travailleuse. Dans son rapport, il écrit :
Mis à part un souci du travail bien fait, nous ne retrouvons pas chez Madame d’éléments qui feraient en sorte que les critères exigés pour qu’un diagnostic de trouble ou même de traits de personnalité obsessive-compulsive puisse être posé.
[61] Le docteur Chamberland a indiqué à l’audience que le souci du travail bien fait est une qualité recherchée chez les infirmières et que la travailleuse n’est pas une personne ayant tendance à exagérer. Il considère qu’elle est une personne responsable, soucieuse et méticuleuse.
[62] Le docteur Chamberland indique qu’il n’est pas approprié, selon la pratique médicale reconnue, de procéder à l’évaluation de la personnalité d’un individu pendant la phase active de la maladie, c’est-à-dire tant qu’il présente un problème dans l’axe I. Cette norme est suivie par les psychiatres qui s’abstiennent, de manière générale, de porter un jugement professionnel sur cet aspect avant que le malade ne soit rétabli. Dans son rapport d’expertise, il écrit :
… nous sommes en désaccord avec l’opinion du Dr Pinero quant au pronostic qu’il considérait comme assez défavorable compte tenu de la personnalité de Madame qui présenterait de forts traits de caractère obsessif et qui serait rigide.
L’avenir n’a d’ailleurs pas donné raison au Dr Pinero à ce sujet alors que Madame a été en mesure de reprendre le travail quelques mois plus tard et qu’elle était redevenue complètement asymptomatique au moment de notre évaluation. À la décharge du Dr Pinero, nous tenons à souligner qu’il est très difficile d’évaluer la personnalité d’un individu qui souffre d’une dépression majeure. Des traits de personnalité peuvent à ce moment être présents alors qu’ils ne font pas partie de la personnalité d’un patient.
[63] À l’audience, le docteur Chamberland donne l’exemple d’une personne qui serait réservée habituellement et qui, pendant un épisode de manie, deviendrait extravertie.
[64] Au sujet de l’axe V qui concerne le fonctionnement social, le docteur Chamberland indique que le pointage de 70 est bon et qu’il correspond à celui de la moyenne des individus.
[65] Dans son témoignage, il souligne également les points suivants favorables à la travailleuse : sa stabilité (un seul conjoint, un seul employeur), l’absence d’antécédents personnels ou familiaux, l’absence d’antécédents médicaux contributifs, l’absence d’habitudes toxiques, l’absence d’éléments particuliers dans son histoire personnelle, aucun élément dans sa vie qui pouvait prédisposer à une dépression, l’absence de personnalité pathologique, l’absence de facteurs de stress autres que ceux liés au travail et un milieu familial supportant.
[66] Au sujet de la relation médicale entre le diagnostic et les événements survenus au travail au cours des années, le Dr Chamberland émet l’opinion suivante :
Le fait pour elle de devoir couvrir sept cliniques externes différentes a évidemment été un stress important alors qu’elle devait développer et maintenir des compétences dans sept domaines différents. Il est clair que cette situation semble avoir fragilisé Madame. Il est d’ailleurs à souligner que les quatre médecins allergistes auraient fait une demande à l’administration pour que la clinique d’allergies soit confiée à la même infirmière de façon à permettre à cette dernière de bien développer ses compétences dans ce domaine et de s’y sentir à l’aise. Le fait pour les infirmières de travailler seules à l’intérieur d’une clinique externe est aussi une condition qui a pour effet d’augmenter le stress vécu.
[67] Il considère que ce sont les événements du 21 août 2001 qui ont entraîné chez la travailleuse le début des symptômes dépressifs. Il écrit ensuite :
Tel que mentionné et tel qu’on le constate à la lecture du dossier, aucun autre facteur de stress n’était présent dans la vie de Madame à ce moment. Non seulement aucun autre facteur de stress environnemental n’est identifié mais Madame a même pu bénéficier d’un support précieux de la part de son conjoint, d’une réaction compréhensible de son employeur et le traitement approprié.
[68] Le docteur Chamberland commente ainsi l’opinion du docteur Pinero :
… nous partageons l’avis du Dr Pinero en ce qui concerne son diagnostic soit celui d’une dépression. Toutefois, le terme dépression situationnelle n’est plus utilisé en Amérique du nord. Selon les critères reconnus, Madame a plutôt présenté un épisode de dépression majeure.
[69] Relativement aux propos du docteur Turcotte selon lesquels « Madame a développé une dépression majeure suite à un conflit moral qui survient au cours de la pratique normale de la profession », le docteur Chamberland écrit :
Dans un premier temps, nous ne considérons pas qu’il s’agit d’une pratique normale de la profession d’infirmière que de devoir être affectée à sept cliniques différentes au cours d’un même mois. Cette pratique ne peut que rendre anxieuse toute infirmière de qui on exigerait un travail compétent dans de telles conditions. Dans un deuxième temps, nous ne considérons pas que le fait d’avoir, dans le passé, donné à un patient un vaccin qui aurait pu s’avérer dangereux, et ce, sans pouvoir le savoir, constitue une pratique normale de la profession d’infirmière. Le fait de se sentir coupable et anxieuse et de vouloir qu’une telle erreur ne se reproduise plus est tout à fait compréhensible. Le fait d’être par la suite confrontée aux réactions de la mère de ce patient ne fait évidemment pas partie de la pratique normale de la profession d’infirmière. Nous ne croyons pas que la réaction de la mère ait été exagérée ou inappropriée de la même façon qu’il nous semble que la réponse donnée par Mme Plouffe-Leblanc était appropriée. Ceci n’empêche pas qu’une telle situation ne fait manifestement pas selon nous, partie de la pratique normale de la profession d’infirmière.
[70] Le docteur Chamberland se dit d’avis qu’un événement qui peut faire l’objet d’une poursuite ou d’une plainte devant un ordre professionnel ne peut aucunement être considéré comme « normal » dans la vie d’un professionnel. Il ajoute que « ce n’est pas parce que les erreurs sont possibles qu’elles en deviennent normales ».
[71] En dernier lieu, relativement aux avis exprimés par monsieur Nadeau et madame Duchesneau et suivant lesquels la travailleuse a présenté un épisode de dépression majeure alors qu’elle n’était plus capable de s’adapter à ce qu’elle vivait au travail, le docteur Chamberland les partage entièrement.
L'AVIS DES MEMBRES
[72]
Les membres issus des associations d’employeurs et syndicales
sont d’avis que la preuve prépondérante établit que de juin 1995 à août 2001,
les conditions de travail de la travailleuse ont comporté des risques
particuliers, lesquels ont entraîné la dépression situationnelle diagnostiquée
par son médecin. Ces membres en concluent que la travailleuse a démontré avoir
souffert d’une maladie professionnelle en vertu de l’article
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[73]
La Commission des lésions professionnelles doit décider si la
dépression situationnelle diagnostiquée chez la travailleuse constitue une
lésion professionnelle. Cette notion est ainsi définie à l’article
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.
[74] Le même article définit comme suit l’accident du travail et la maladie professionnelle :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
« maladie professionnelle » :une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
[75]
La prétention principale de la travailleuse est que sa
dépression constitue une maladie professionnelle. Le fardeau de preuve qu’elle
doit rencontrer est prévu à l’article
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
________
1985, c. 6, a. 30.
[76] Plus spécifiquement, la travailleuse soutient que sa maladie est directement reliée aux risques particuliers de son travail d’infirmière en cliniques externes à l’établissement de l’employeur de 1995 à 2001.
[77] Après étude de la preuve, de même que des argumentations et autorités présentées par les parties, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette prétention est bien fondée.
[78] La Commission des lésions professionnelles considère en effet que la preuve tant factuelle que médicale démontre, de manière prépondérante, l’existence d’un lien direct entre le travail exercé par la travailleuse à compter de juin 1995 et sa dépression situationnelle.
[79] La Commission des lésions professionnelles est d’accord avec les principes énoncés par la procureure de l’employeur et tirés de la jurisprudence élaborée sous l’article 30 en matière de lésion psychologique. Suivant la jurisprudence, la réorganisation du milieu de travail ou le changement d’assignation relève du droit de gérance de l’employeur et ne peut donner ouverture à la reconnaissance d’une maladie professionnelle dans la mesure où il s’inscrit dans un cadre habituel de ce qui est susceptible de se produire au travail. La jurisprudence précise également que les difficultés d’adaptation d’un travailleur à des problèmes normaux au niveau administratif ou des relations du travail ne peuvent être assimilées à des risques particuliers. Enfin, la jurisprudence indique que la réaction d’un travailleur doit s’évaluer à partir de la situation concrète et non pas de ses perceptions subjectives de ses conditions de travail.
[80] Cependant, dans le présent dossier, la preuve convainc la Commission des lésions professionnelles que la travailleuse a, de juin 1995 à 2001, exercé son travail d’infirmière dans des conditions débordant d’un cadre normal. La Commission des lésions professionnelles tire ce constat des éléments concrets mis en preuve par la travailleuse relativement à ses conditions de travail et non pas d’une perception subjective ou biaisée de sa part.
[81] À cet égard, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve que la travailleuse a dû, au cours de cette période, faire face de manière continue à des situations successives exigeant de nouveaux apprentissages et de nouvelles responsabilités sans qu’elle ne puisse bénéficier d’un support adéquat.
[82] Il ressort en effet du témoignage non contredit de la travailleuse que de juin jusqu’à la fin de l’année 1995, elle a travaillé pour la première fois en cliniques externes dont elle ignorait les procédures. Il est exact de dire que ce poste était convoité parce que sur l’horaire de jour. Par contre, ceci a eu pour résultat que la travailleuse a reçu très peu de collaboration de la part des deux infirmières occasionnelles en poste. De plus, elle n’a bénéficié que de deux jours et demi d’orientation et a dû compter sur elle-même pour acquérir les connaissances nécessaires, et ce, en l’absence d’outil ou de document de références.
[83] Puis, en 1996, la travailleuse a dû devenir polyvalente, c’est-à-dire être en mesure de travailler dans quatre autres cliniques externes couvrant plusieurs spécialités. Elle a donc dû acquérir de nouvelles connaissances, développer de nouvelles habiletés relativement à des techniques d’examens inconnues de sa part et s’adapter aux exigences distinctes de divers médecins, le tout sans document ou outil de références, la majorité du temps. Dans une même journée, la travailleuse pouvait travailler dans plus d’une clinique.
[84] En 1997, la fermeture d’un hôpital, le départ à la retraite de collègues et les cliniques externes ont encore entraîné des changements pour la travailleuse. Elle a été désignée pour orienter de nouvelles infirmières, alors qu’elle-même avait peu d’expérience et qu’aucun outil de formation n’était à sa disposition.
[85] En 1998, un nouveau changement survient pour la travailleuse lorsqu’elle est nommée pilier à la clinique externe de pédiatrie, c’est-à-dire personne-ressource et responsable de l’orientation de nouvelles infirmières. La travailleuse n’avait toutefois jamais travaillé en pédiatrie ni à cette clinique et elle n’a bénéficié que d’une brève orientation alors que les techniques de soins des enfants sont pourtant très différentes de celles appliquées aux adultes. Aucun document de références, tel un protocole de soins, n’existait. La travailleuse devait en plus poursuivre ses tâches dans les autres cliniques puisque la polyvalence était maintenue.
[86] Bien que la travailleuse n’ait pas consulté un médecin à cette époque, son témoignage révèle qu’elle était épuisée et éprouvait une perte d’appétit et des céphalées après son quart de travail en pédiatrie.
[87] Finalement, en 2000, la travailleuse a été assignée à la clinique d’allergies, ce qui lui a aussi demandé de nouveaux apprentissages.
[88] Sur le plan médical, la preuve démontre que les nombreux changements vécus par la travailleuse et les apprentissages au niveau de sept cliniques distinctes de 1995 à 2001 lui ont demandé une « surdose d’adaptation » et l’ont soumise à un stress qui l’ont fragilisée sur le plan psychique. C’est en effet ce qui ressort des opinions non contredites à ce sujet du docteur Chamberland et de madame Duchesneau, psychologue.
[89] C’est ainsi que chez la travailleuse déjà fragilisée par ses conditions de travail prévalant depuis six ans, les circonstances ayant entouré l’erreur commise en 2001 au niveau du vaccin de désensibilisation a constitué un élément se superposant au tableau déjà stressant. Cet élément qui s’est ajouté aux facteurs de stress vécus au travail ont amené la travailleuse à consulter pour sa condition diagnostiquée comme une dépression situationnelle. Le docteur Chamberland et madame Duchesneau ont conclu en ce sens et la Commission des lésions professionnelles préfère leurs opinions à celles émises par les docteurs Pinero et Turcotte.
[90] La Commission des lésions professionnelles considère en effet non probante l’opinion formulée par le docteur Pinero et voulant que la travailleuse présente une personnalité obsessionnelle avec de forts traits de caractère dépressifs. Sur cette question, la Commission des lésions professionnelles retient du témoignage non contredit du docteur Chamberland qu’il n’est pas approprié de procéder à l’évaluation de la personnalité d’un individu pendant la phase active de la maladie, ce qui était le cas en décembre 2001 pour la travailleuse. Pour sa part, le docteur Chamberland a évalué la travailleuse au moment où sa dépression était en rémission complète et il n’a pas diagnostiqué de trouble ou trait de personnalité pathologique.
[91] La Commission des lésions professionnelles considère également non concluante l’hypothèse proposée par le docteur Pinero et selon laquelle la travailleuse était à la recherche de bénéfices secondaires. La Commission des lésions professionnelles partage plutôt l’opinion du docteur Chamberland à l’effet que l’avenir n’a pas donné raison au docteur Pinero puisque la travailleuse a repris son travail de manière progressive dès février 2002 et, à temps plein, au mois d’avril suivant, alors que sa maladie était consolidée par son médecin.
[92] La Commission des lésions professionnelles écarte donc l’opinion du docteur Pinero sur l’absence de relation entre la dépression et le travail puisqu’elle est fondée sur la personnalité de la travailleuse et la recherche de gains secondaires, fondements que la Commission des lésions professionnelles n’a pas retenus dans les deux paragraphes qui précèdent.
[93] Concernant l’opinion du docteur Turcotte selon laquelle la dépression de la travailleuse découle d’un conflit moral survenu au cours de la pratique normale de la profession d’infirmière, la Commission des lésions professionnelles ne la retient pas, et ce, pour les motifs suivants.
[94] D’une part, comme déjà mentionné, la Commission des lésions professionnelles considère que la dépression de la travailleuse découle de conditions de travail existant depuis juin 1995 et non pas seulement de l’erreur dans l’administration du vaccin et du comportement de la travailleuse face à cette erreur.
[95] D’autre part, la Commission des lésions professionnelles souscrit à l’avis du docteur Chamberland selon lequel le fait d’avoir pu donner un vaccin erroné avec des conséquences risquées pour un patient, tout en l’ignorant, n’est pas courant ou normal dans le travail d’une infirmière. À preuve, les médecins allergistes de la clinique n’avait jamais connu une telle situation. Dans un tel contexte, la Commission des lésions professionnelles considère, à l’instar du docteur Chamberland, que la réaction anxieuse de la travailleuse qui ne voulait pas reproduire l’erreur et sa réaction de culpabilité à la suite de son conseil prodigué à la mère au sujet d’une plainte ou d’une poursuite n’est pas disproportionnée ni fondée sur des craintes purement subjectives.
[96] La Commission des lésions professionnelles prend également en compte que la travailleuse n’a pas connu de facteurs de stress à l’extérieur du travail qui aurait pu causer ou précipiter sa dépression.
[97] En résumé, la Commission des lésions professionnelles estime que les conditions de travail de la travailleuse à compter de juin 1995 et jusqu’en août 2001 ont comporté des risques particuliers ayant entraîné sa dépression situationnelle de sorte qu’elle doit être reconnue victime d’une maladie professionnelle.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la travailleuse, madame Mireille Plouffe Leblanc;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 20 mars 2002 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la dépression situationnelle diagnostiquée chez la travailleuse en août 2001 constitue une maladie professionnelle.
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Me Micheline Allard |
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Commissaire |
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F.I.I.Q. |
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Représentante de la partie requérante |
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HEENAN BLAIKIE |
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Représentante de la partie intéressée |
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