Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Groupe CRH Canada inc. (Demix Construction) c. Montréal (Ville de)

2016 QCCS 1482

JC2050

 
COUR SUPÉRIEURE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N°:

500-17-093117-169

 

 

 

DATE :

1er avril 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

CLAUDE CHAMPAGNE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

GROUPE CRH CANADA INC. (FARS DEMIX CONSTRUCTION)

Demanderesse

c.

VILLE DE MONTRÉAL

Défenderesse

et

LES ENTREPRISES MICHAUDVILLE INC.

Mise en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]          Groupe CRH Canada inc. (Demix) demande au Tribunal qu‘il émette une ordonnance d’injonction interlocutoire provisoire ou encore une ordonnance de sauvegarde en vertu des articles 509 et suivants du Code de procédure civile.

[2]          D’entrée de jeu, il y a lieu de noter que le juge Gouin a émis le 21 mars dernier une injonction interlocutoire provisoire entre les parties.

[3]          Ce jugement était en vigueur jusqu’au 29 mars dernier à 17h et la défenderesse de même que la mise en cause - intervenante s’opposent maintenant au renouvellement de l’injonction.

[4]          Ce débat a lieu dans le contexte procédural et factuel suivant.

CONTEXTE PROCÉDURAL ET FACTUEL

[5]          Dans son jugement précité, le juge Gouin effectue aux paragraphes 1 à 6 une  mise en contexte du dossier. Il énonce, aux paragraphes 7 à 26, les principaux faits de même que certaines constatations qu’il en tire.

[6]          Puisqu’aucune des parties n’a attiré l’attention de cette Cour sur l’existence d’erreurs manifestes ou dominantes dans ce qui précède, le Tribunal n’a donc pas l’intention d’inventer à nouveau la roue. Il fait donc siens le contexte, les faits pertinents et les constatations contenues à la décision du 21 mars 2016.

[7]          Toutefois et pour une bonne compréhension de ce jugement, il y a lieu de bien situer le litige qui oppose les parties.

LE LITIGE

[8]          Le 3 février 2016, Demix répond à un appel d’offres lancé par la Ville de Montréal afin de pouvoir exécuter les travaux décrits dans le Projet Papineau. La soumission de Demix totalise 16 225 000 $ avant taxes. À l’évidence, il s’agit là d’un projet de grande importance.

[9]          À l’ouverture des soumissions, le montant soumissionné par Demix s’avère le plus bas.

[10]       Cependant, la Ville avise l’entreprise le 11 mars suivant qu’on ne retient pas sa soumission pour le motif que Demix n’a pas exécuté au cours des cinq (5) dernières années un minimum de deux (2) contrats de même nature et d’une valeur de 10 000 000 $ et plus en coût des travaux.

[11]       Cette décision de la Ville entraîne donc les présentes procédures.

Au coeur du litige

[12]       L’article 573.7 de la Loi sur les cités et villes[1] oblige les municipalités, sauf autorisation du Ministre des affaires municipales, à accorder un contrat au plus bas soumissionnaire.

[13]       Par ailleurs, l’article 15 des « Clauses administratives particulières » de l’appel d’offres prévoit que :

 

Le soumissionnaire doit joindre à sa soumission une lettre incluant l’information décrite dans le paragraphe précédent et cocher la case prévue à cet effet dans la « Liste de rappel » de la formule de soumission. Le défaut de joindre cette information à sa soumission entraînera automatiquement le rejet de celle-ci.

[14]       Enfin, l’article 6.2 des « Instructions au soumissionnaire » du même appel d’offres énonce que :

6.2 S’il est de l’intérêt de la Ville, elle peut passer outre à tout vice ou défaut que peut contenir la soumission et permettre, à sa discrétion, à tout soumissionnaire de corriger sa soumission dans la mesure où cette correction n’affecte pas le prix de sa soumission, sous réserve de ce qui est indiqué à l’article 4.4 de la présente section [lequel traite des « Prix, quantités, correction, reconstitution d’un prix unitaire et   recours] ».

[15]       Il faut donc voir là l’existence d’une certaine flexibilité et d’une possible discrétion de la Ville afin de permettre au soumissionnaire de corriger sa soumission.

[16]       Enfin, les articles 5.1.2 et 7.1 des mêmes « Instructions au soumissionnaire » constituent d’autres dispositions qui démontrent, pour faire un mauvais jeu de mots, que tout n’est pas coulé dans le béton dès qu’une soumission est déposée puis ouverte.

LA POSITION DES PARTIES

[17]       La Ville et l’intervenante s’opposent au renouvellement de l’injonction interlocutoire provisoire prononcée par le juge Gouin.

[18]       Essentiellement, elles plaident que Demix ne s’est pas conformé à l’article 15 des   « Clauses administratives particulières » de l’appel d’offres. S’agissant là d’une irrégularité majeure, la Ville n’a aucune discrétion pour permettre d’y remédier.

[19]       Le faire irait à l’encontre de la Loi ainsi que du principe d’égalité et d’équité entre les soumissionnaires.

[20]       Quant à Demix, elle prétend qu’elle a démontré par preuve prépondérante l’existence de tous et chacun des critères nécessaires à l’émission d’une injonction provisoire et/ou d’une ordonnance de sauvegarde.

DROIT APPLICABLE

[21]       L’injonction provisoire[2] ne lie pas le juge appelé à la renouveler[3] et chaque demande doit être étudiée comme si elle était présentée pour une première fois[4].

[22]       En plus de faire la preuve d’une situation d’urgence immédiate et apparente[5], la partie qui demande une ordonnance d’injonction interlocutoire provisoire doit établir l’existence de certains critères fondamentaux, soit[6] :

            a) L’apparence de droit;

            b)         Un préjudice sérieux ou irréparable;

            c)  La prépondérance des inconvénients.

APPLICATION À L’ESPÈCE

[23]       Face à la preuve toujours sommaire comme c’est habituellement le cas en cette matière et aux arguments des parties, le Tribunal applique comme suit chacun des critères requis afin d’émettre ou de refuser les ordonnances sollicitées.

[24]       Selon le Tribunal, Demix a démontré qu’il y a ici une urgence réelle et immédiate. Le caractère urgent peut paraître moins grand que celui qui existait lors du jugement du juge Gouin (le Conseil municipal de la Ville devait se réunir l’après-midi même afin d’attribuer le contrat à l’intervenante) mais il est acquis au débat que la prochaine réunion du conseil municipal de la défenderesse aura lieu le 18 avril prochain. De plus, la déclaration assermentée du représentant de la Ville fait même état qu’on pourrait convoquer une réunion spéciale extraordinaire avant la prochaine assemblée afin d’attribuer ledit contrat.

[25]       Cette Cour écarte l’argument voulant qu’il y ait urgence à ce que les travaux prévus à ce contrat débutent maintenant. En effet, la Ville a prévu que ceux-ci s’étaleraient sur presque deux (2) ans.

            a) L’apparence de droit

[26]       Le Tribunal est d’avis que le droit de Demix n’est pas aussi clair qu’elle le prétend. Toutefois et à l’étape où nous en sommes ici, il faut éviter d’exiger la démonstration d’un droit indiscutable en faisant un examen du fond[7].

[27]       La question que soulève la demanderesse est sérieuse : elle implique l’interprétation à donner à certaines clauses régissant des appels d’offres que lance la défenderesse. Une de celles-ci, l’article 15 des « Clauses administratives particulières » est nouvelle.

[28]       Durant le procès, cette Cour a d’ailleurs été informée de la présence en salle d’audience de plusieurs autres soumissionnaires qui seraient dans la même position que Demix. Cela démontre le sérieux de la question à trancher.

[29]       Dans son jugement, le juge Gouin mentionne aux paragraphes 45 et suivants en quoi la demande de Demix semble importante. Le Tribunal est d’accord avec lui.

[30]       Soit dit en passant, la Cour suprême enseigne qu’il n’y a pas d’exigence particulière à remplir pour satisfaire au critère d’une question sérieuse à juger. Les exigences minimales ne sont pas élevées ici[8].

[31]       En ce qui a trait à la prépondérance des inconvénients, le Tribunal fait état de ce critère plus loin dans ce jugement. Il constate qu’elle penche en faveur de Demix qui subira ici le plus grand préjudice. Il y a donc lieu de favoriser le maintien du statu quo entre les parties[9].

            b) Un préjudice sérieux ou irréparable

[32]       Dans le cas ici présent, cette Cour constate l’existence d’un préjudice sérieux ou irréparable pour Demix. Bien qu’un recours en dommages pourrait être exercé, il sera nécessairement plus ardu.

[33]       En effet, les règles de droit applicables et les faits à prouver diffèreront considérablement, d’autant plus qu’un tel recours nécessitera un débat après le fait sur l’usage de la discrétion par la Ville. L’impossibilité de quantifier au point de vue monétaire le préjudice est un autre aspect primordial dont il faut tenir compte.

[34]       Il importe également de souligner que, dans l’éventualité où l’ordonnance ne serait pas prononcée et que le contrat serait accordé, un jugement au fond deviendrait alors théorique et ne pourrait remédier à la situation.

            c) La prépondérance des inconvénients

[35]       En ce qui a trait au dernier critère, en cas de doute, il faut privilégier l’intérêt public à l’intérêt privé[10]. Dans le dossier présent, les deux parties invoquent l’intérêt public. Bien que le jugement réclamé puisse entraîner certains délais et coûts additionnels, les citoyens de la Ville pourraient aussi y trouver leur compte en épargnant plus d’un million de dollars si le contrat est accordé au plus bas soumissionnaire.

[36]       Tel que mentionné précédemment, la prépondérance des inconvénients joue en faveur de Demix.

CONCLUSION

[37]       Vu ce qui précède, le Tribunal accueillera la demande et renouvellera l’ordonnance du 21 mars 2016.

[38]       Cette Cour est d’opinion qu’il n’est pas actuellement souhaitable de prononcer une ordonnance de sauvegarde sans limite de temps. Il faut en effet que les parties mettent leurs dossiers en état dans les plus brefs délais afin que l’audition au fond ait lieu le plus tôt possible.

[39]       POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[40]       ACCUEILLE au stade provisoire la Demande de Groupe CRH Canada inc. (Fars Demix Construction);

[41]       ÉMET une injonction interlocutoire provisoire pour valoir jusqu’au 11 avril 2016 à 17h00;

[42]       ORDONNE à la Ville de Montréal , suite à l’appel d’offres public no 293601, de surseoir à sa prise de décision d’attribuer le contrat relatif aux « Travaux de reconstruction des conduites d’égout, d’eau potable, des toits de chambre de vannes, de réhabilitation de regard d’égout, de bases et conduits, d’éclairage, de feux de circulation, de réaménagement géométrique, de bordures en granite, de trottoirs, de trottoirs armés et de la chaussée dans l’avenue Papineau [de la rue Jacques-Casault à l’avenue Charland]. Arrondissements : Ahuntsic-Cartierville et Villeray-Saint-Michel »;

[43]       DISPENSE Groupe CRH Canada inc. (Fars Demix Construction) de fournir caution;

[44]       ORDONNE l’exécution provisoire de ce jugement nonobstant appel;

[45]       AUTORISE Groupe CRH Canada inc. (Fars Demix Construction) à faire signifier ce jugement en dehors des heures légales de signification, même les jours non-juridiques, et par tout mode de signification, y inclus la transmission par télécopieur;

[46]       LE TOUT avec frais de justice à suivre.

 

__________________________________

CLAUDE CHAMPAGNE, J.C.S.

 

Me Suzie Lanthier

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L.

Procureurs de la demanderesse

 

Me Éric Couture

Dagenais, Gagnier, Biron

Me Agnès Pignoly

Ville de Montréal

Procureurs de la défenderesse

 

Me Mark Phillips

Me Simon Grégoire

Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Procureurs de la mise en cause

 

Date d’audience :

29 mars 2016

 



[1] RLRQ, c. C-19.

[2] Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, art, 509 à 515.

[3] Éditions Genex inc. c. RNC Media inc., 2014 QCCA 1628, par. 2.

[4] Publications TVA inc. c. Transcontinental inc., 2005 QCCA 1549, par. 12

[5] Céline GERVAIS, L’injonction, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p.68.

[6] Société de développement de la Baie-James c. Kanatewat, [1975] C.A. 166.

[7] Vidéotron limité c. Industrie Microlec inc., [1987] R.J.Q. 1246 (C.A.).

[8] RJR-McDonald c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S 199.

[9] Joli-Coeur c. Jolicoeur Lacasse avocats, 2011 QCCA 219.

[10] Consultants Aecom inc. c. Société immobilière du Québec, 2013 QCCA 52, par. 52.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.