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[1] Le 6 février 2003, madame Hélène Gagné-Jacques (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste la décision rendue le 22 janvier 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision rejette la plainte déposée le 19 mars 2002 par la travailleuse en vertu de l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et la déclare non fondée.
[3] À l’audience, tenue le 27 juin 2003, madame Hélène Gagné-Jacques, la travailleuse, est présente et représentée par Me Michel Derouet. L’employeur, Hydro - Québec (Gestion des accidents du travail) est présent en la personne de madame Johanne Daneau et représenté par Me Sylvy Rhéaume. La cause est prise en délibéré le jour même.
[4] Avant qu’une décision n’ait été rendue, les parties demandent à la Commission des lésions professionnelles, en l’absence pour raisons de santé de la commissaire soussignée, de fixer le dossier à un autre commissaire, et ainsi de procéder à une réouverture d’enquête. Par la suite, en date du 31 août 2004, Me Derouet demande une remise de l’audience fixée le 20 septembre 2004 et la suspension du dossier puisqu’une cause similaire au présent dossier est traitée successivement par la Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel et qu’une demande d’autorisation de pourvoi a été déposée devant la Cour suprême. La suspension est annulée le 6 mai 2005 et le dossier est repris en délibéré, à cette date, par la soussignée.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle aurait accumulé du service continu pendant toute la période du contrat de travail du 12 mars 2002 au 20 juin 2002, auquel elle était admissible et qu’elle n’a pu effectuer en raison de sa lésion professionnelle. Elle a, ainsi, été privée du cumul de service continu, pour cette période.
LES FAITS
[6] La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier, des documents déposés dans le cadre de l’audience et a entendu les témoignages de la travailleuse et de madame Johanne Daneau, conseillère aux ressources humaines chez l'employeur. Elle retient les faits suivants.
[7] La travailleuse, commis à la saisie chez Hydro-Québec, est victime d’une lésion professionnelle le 25 septembre 2001 tel qu’elle le rapporte dans sa réclamation déposée à la CSST :
Le 25/09/2001, alors que je revenais de la salle des toilettes en direction de mon poste de travail, mon pied droit a tout à coup resté agrippé au tapis lorsque j’ai tourné vers la droite dans le corridor. À ce moment, mon genou a tordu et j’ai ressenti une douleur aiguë à mon genou droit.
[8] Elle déclare cet événement à son employeur le jour même et consulte le docteur Tardif qui diagnostique une entorse du genou droit. Elle est ensuite suivie par le docteur Ranger, orthopédiste.
[9] Le 21 janvier 2002, la CSST accepte la réclamation de la travailleuse, reconnaissant que l’entorse au genou droit est liée à l’événement du 25 septembre 2001. L’employeur conteste cette décision.
[10] Le 25 janvier 2002, le docteur Ranger diagnostique une déchirure du ménisque interne du genou droit, pour laquelle la travailleuse est opérée le 20 mars 2002. Ce nouveau diagnostic est retenu par la CSST le 4 mars 2002. L’employeur conteste cette décision.
[11] Le 7 mai 2002, la CSST constate que la travailleuse est capable d’exercer son emploi depuis le 15 avril 2002 et, le 5 juillet 2002, elle établit que son pourcentage d’atteinte permanente est de 1,00 % auquel s’ajoute 0,10 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie.
[12] Le 29 août 2002, la CSST, à la suite d’une révision administrative, confirme les décisions du 21 janvier et du 4 mars 2002, décisions que l’employeur ne conteste pas.
[13] Entre temps, la travailleuse dépose une plainte à la CSST, le 19 mars 2002, en vertu de l’article 32 de la loi dans laquelle elle déclare avoir été l’objet d’une sanction le 11 mars 2002 de la part de son employeur qui, en refusant de lui octroyer un poste de commis général, l’a privée de cumuler du service continu pour la durée d’occupation du poste.
[14] Le 22 janvier 2003, la CSST rejette la plainte de la travailleuse. La conciliatrice‑décideure déclare que madame Gagné-Jacques n’a pas été victime d’une « sanction ou d’une mesure prohibée à l’article 32 de la Loi sur les accidents et les maladies professionnelles ».
[15] Le 2 février 2003, madame Hélène Gagné-Jacques dépose une requête auprès de la présente instance par laquelle elle conteste la décision de la conciliatrice‑décideure datée du 22 janvier 2003, ce qui constitue l’objet du litige.
[16] À l’audience, les parties déposent sous la cote T/E-1, un document conjoint intitulé Admissions que la soussignée reproduit intégralement, soit :
Les parties aux présentes conviennent et admettent les faits suivants :
1. Entre le 7 mai 2001 et le 7 décembre 2001, la requérante a occupé un poste temporaire de commis à la saisie;
2. Le 25 septembre 2001, la requérante a subi une lésion professionnelle en raison de laquelle elle s’est absentée du_______ au ________; [sic]
3. Entre le 7 mai et le 7 décembre 2001, la requérante était en tout temps une employée active au service d’Hydro-Québec;
4. La requérante était liée par contrat de travail à durée déterminée, lequel a pris fin le 7 décembre 2001;
5. Entre le 7 mai et le 7 décembre 2001, la requérante a cumulé un nombre de jours de durée de service équivalent au nombre de jours de travail prévus à son contrat de travail;
6. Le 7 décembre 2001, la requérante a été licenciée conformément à la convention collective en vigueur et au contenu de la lettre d’entente numéro 20 intitulée Employés temporaires - durée de service ;
7. Le 7 décembre 2001, la requérante est devenue une employée inactive;
8. Le 7 décembre 2001, la requérante fut placée sur une liste de rappel des employés temporaires inactifs. Elle comptait alors 337 jours de durée de service;
9. La requérante a postulé sur un poste de commis général, lequel devait débuter le 12 mars 2002 et se terminer le 20 juin 2002. Elle était l’employée qui avait priorité pour occuper le poste;
10. Le 11 mars 2002, le Dr Céline Rioux a rencontré la requérante pour s’assurer que cette dernière rencontrait les exigences physiques de l’emploi de commis général;
11. Le Dr Rioux a évalué que la requérante ne pouvait occuper le poste de commis général;
12. La requérante reconnaît d’ailleurs qu’elle était incapable d’occuper l’emploi de commis général au moment où elle a posé sa candidature sur le poste;
13. La requérante a d’ailleurs été opérée le 20 mars 2002 pour une déchirure méniscale, lésion professionnelle reconnue;
14. La requérante a été consolidée le 8 mai 2002, sans limitations fonctionnelles;
15. La requérante réclame qu’on lui reconnaisse la durée de service accumulée par la personne qui a occupé l’emploi temporaire de commis général entre le 12 mars et le 20 juin 2002 ;
16. Aucun des employés inactifs inscrits sur les listes de rappel de l’entreprise n’accumule de la durée de service au sens de la convention collective;
17. L’accumulation de la durée de service est une condition de travail propre aux employés actifs;
18. Seuls sont actifs les employés liés par contrat à Hydro-Québec;
19. Les employés actifs absents de leur travail continuent à cumuler de la durée de service;
20. À ce titre, la requérante a cumulé de la durée de service alors qu’elle était absente du travail à cause de la lésion professionnelle subie le 25 septembre 2001;
21. La requérante demande à la Commission des lésions professionnelles de lui reconnaître de la durée de service pour la période du 12 mars au 20 juin 2002 ou jusqu’à toute autre date où le titulaire a effectivement occupé ce poste, période durant laquelle elle était inactive au sens de la convention collective;
22. L’incapacité physique d’occuper le poste de commis général le 12 mars 2002 résulte de la lésion professionnelle subie le 25 septembre 2001;
23. Il était impossible pour l’employeur, partie intéressée, d’accommoder la requérante afin qu’elle puisse occuper de quelque façon que ce soit le poste de commis général à partir du 12 mars 2002;
24. L’accommodement recherché par la requérante est la reconnaissance de la durée de service qu’elle aurait accumulé (sic) si elle avait obtenu le poste le 12 mars 2002.
[17] À la date de la survenance de la lésion professionnelle le 25 septembre 2001, madame Gagné-Jacques occupe le poste de commis à la saisie. Le contrat de travail signé par les parties le 7 mai 2001 stipule que la travailleuse est embauchée pour surcroît de travail jusqu’au 14 décembre 2001. Madame Gagné-Jacques a effectivement été considérée par l’employeur selon le statut d’employée active jusqu’à la date de son licenciement pour manque de travail, le 7 décembre 2001. Pendant toute cette période, la travailleuse accumule des journées de service continu.
[18] Sous la cote T/E-2, les parties déposent la Convention collective de travail en vigueur du 23 décembre 1995 au 17 décembre 2000, ainsi qu’une lettre d’entente qui proroge les termes de la convention au mois de décembre 2003.
[19] Les dispositions suivantes sont pertinentes à l’analyse du dossier, soit :
ARTICLE 2 - DÉFINITIONS
Pour les fins de la présente convention, les termes suivants ont le sens qui leur est donné ci-après :
2.01 Employé
Ce terme s’applique aux personnes assujetties aux présentes et travaillant pour la Direction.
2.04 Employé temporaire
Celui qui est embauché pour occuper un poste vacant pour une période maximale de six (6) mois ou un poste autre qu’un poste vacant au sens de la présente convention avec entente de le licencier selon les dispositions de la lettre d’entente No 20- « Employés temporaires - Durée de service ».
2.05 Service actif
L’employé est en service actif quand il est présent à son travail et en mesure d’exercer les tâches dont il est chargé.
2.05 Service continu
L’employé est en service continu tant que la durée de ce service n’est pas interrompue par :
A) une des causes énumérées au paragraphe 19.06
B) un licenciement dans le cas d’un employé temporaire.
2.14 Mise à pied et Licenciement
A) Mise à pied
Sous réserve de l’article 32- « Sécurité d’emploi » ou de la lettre d’entente No 20- « Employés temporaires-Durée de service » selon le cas, le terme « mis à pied » signifie le passage à une liste de rappel d’un employé stagiaire ou permanent qui était au service de la Direction.
B) Licenciement
Sous réserve de la lettre d’entente No 20- « Employés temporaires‑Durée de service », le terme «licenciement» signifie le passage à une liste de rappel d’employé temporaire qui était au service de la Direction.
2.15 Rappel
Sous réserve de l’article 32 - « Sécurité d’emploi » ou de la lettre d’entente No 20 - « Employés temporaires - Durée de service » selon le cas, le terme « rappel » signifie le retour en service actif d’un employé stagiaire, permanent ou temporaire, selon le cas, qui était sur une liste de rappel.
[20] L’article 2.05 fait référence aux dispositions prévues à l’article 19.06 de la convention collective, soit :
19.06 Tout employé perd son ancienneté dans les cas suivants :
A) s’il est renvoyé pour cause ;
B) s’il quitte volontairement son emploi ;
C) s’il est mis à pied pour plus d’un (1) an ;
D) si, étant mis à pied depuis moins d’un (1) an, il est rappelé au travail et néglige de donner une réponse à la Direction dans les cinq (5) jours ouvrables de son rappel ou ne se rapporte pas au travail dans les dix (10) jours ouvrables à compter de la date de son rappel ou à la date fixée si le délai déterminé par la Direction est plus étendu ;
E) s’il s’absente du travail sans permission ou sans raison justifiée pendant dix (10) jours.
[21] Sous la cote T/E-3, les parties déposent la Lettre d’entente No 20 - Employés temporaires - Durée de Service dont la soussignée cite les articles pertinents, soit :
1. L’employé temporaire acquiert de la durée de service au sens de la convention collective, après soixante-trois [63] jours de service actif dans une période maximale de douze [12] mois consécutifs de calendrier et après avoir subi un examen médical jugé satisfaisant par la Direction. Toutefois, pendant cette période, le renvoi ou le congédiement d’une employé temporaire ne peut donner lieu à un grief.
2. Dans le cas de réduction de personnel, dans un emploi donné, dans un service ou secteur d’une région ou dans une direction au siège social, l’employé qui a le moins de durée de service est licencié.
3. L’employé temporaire licencié est mis sur la liste de rappel de sa région ou vice‑présidence (siège social) ou de son unité administrative relevant des Présidents.
4. Lorsque la Direction a besoin d’employés temporaires, elle convient de rappeler de service les employés temporaires de la région ou vice-présidence (siège social) dans la mesure où ils rencontrent les exigences normales de l’emploi.
7. L’employé temporaire doit répondre à la Direction dans les vingt-quatre (24) heures de la demande qui lui est faite à l’adresse inscrite à son dossier et doit se présenter au travail dans les soixante-douze (72) heures à compter de la date de rappel.
10. L’employé temporaire sur la liste de rappel peut soumettre par écrit un grief au chef de service Ressources humaines de son unité administrative. Par la suite, les dispositions des paragraphes 15.03 et suivants s’appliquent.
Note : Hydro-Québec s’engage à respecter la « Loi sur les normes du travail » lors de licenciement d’employés temporaires.
[22] Dans le cadre de l’audience, la représentante de l’employeur interroge madame Daneau, conseillère en ressources humaines depuis 1994 chez Hydro‑Québec, qui a travaillé dans le dossier de la travailleuse.
[23] Elle explique qu’entre mai et décembre 2001, le statut de la travailleuse était celui d’employée temporaire active. À compter de la cessation de son contrat, le 7 décembre 2001, son statut est devenu celui d’employée temporaire inactive. Dès ce moment, son seul lien avec Hydro-Québec est d’être inscrite sur une liste de rappel, soit un système téléphonique par lequel les employés temporaires inactifs doivent manifester leur intérêt à occuper un poste à tous les deux ans minimum.
[24] Madame Daneau précise que la durée de service, pour un employé temporaire, équivaut au nombre de jours de travail que comporte le contrat. Cette durée continue de s’accumuler même si le travailleur s’absente dans les faits de son travail, et ce, peu importe le motif de cette absence. Ainsi, dit-elle, madame Gagné-Jacques a continué d’accumuler de la durée de service jusqu’au 7 décembre 2001, date de son licenciement, malgré le fait qu’elle ne travaillait pas depuis le 25 septembre 2001 en raison de sa lésion professionnelle.
[25] À son avis, il est en conséquence impossible pour un employé inactif de cumuler de la durée de service puisque le cumul de cette durée est soumis à l’exigence d’être lié par un contrat. Donc, si un contrat est refusé à un employé pour n’importe quel motif (incapacité physique en raison d’une lésion professionnelle ou d’une condition personnelle, absence de formation, insuffisance de durée de service, etc.), ce dernier conserve le statut d’inactif et ne cumule pas de durée de service.
[26] La reconnaissance de la durée de service à un employé temporaire inactif n’est pas possible puisqu’elle n’est pas prévue dans la convention collective. Selon madame Daneau, un employé temporaire inactif ne peut pas être avantagé par rapport à un employé temporaire actif, sans créer une injustice. Elle explique que la durée de service est un facteur pris en compte dans le comblement des postes temporaires et permanents, dans l’application des règles de supplantation et de réduction du personnel.
[27] En contre-interrogatoire, elle explique notamment qu’un employé qui est victime d’une lésion professionnelle durant son contrat est remplacé par un autre employé temporaire qui lui aussi accumule de la durée de service. Si le travailleur accidenté peut effectuer un retour au travail avant la fin du contrat, l’employé qui le remplaçait sera licencié.
[28] En regard du refus de l’octroi du poste à la travailleuse, elle croit qu’il s’agit du seul refus en lien avec une raison médicale ; les autres refus étant plutôt liés à une insuffisance de durée de service.
[29] Madame Daneau déclare enfin que le test médical est une condition d’embauche et que l’employé temporaire inactif doit s’y soumettre à chaque début de contrat ; chaque contrat étant considéré comme une nouvelle embauche. Par contre, elle ignore si le fait pour un employé de ne pas passer le test médical l’empêche d’obtenir un poste permanent.
[30] Madame Daneau ne croit pas que la travailleuse aurait pu supplanter l’employé l’ayant remplacée, si elle avait été en mesure d’occuper le poste après le 12 mars 2002, puisqu’elle ne répondait pas aux conditions d’embauche lors de la date de cette embauche. L’employeur ne peut pas attendre qu’un employé remplisse les conditions d’embauche pour combler ses postes.
ARGUMENTATION DU REPRÉSENTANT DE LA TRAVAILLEUSE
[31] Le représentant de la travailleuse souligne d’abord que l’arrêt de l’accumulation de la durée de travail cause à sa cliente un grand préjudice et est susceptible d’avoir un impact considérable sur sa carrière puisqu’il s’agit d’un facteur pris en compte dans le comblement des postes temporaires et permanents. De plus, elle pourrait se voir refuser, dans l’avenir, l’octroi d’un poste en raison de son insuffisance de durée de service, insuffisance due au fait qu’elle a été victime d’une lésion professionnelle.
[32] Selon lui, la lecture conjointe des articles 1 et 235 de la loi démontre l’intention du législateur d’éviter que la travailleuse perde ses droits parce qu’elle a été victime d’une lésion professionnelle.
[33] Il ne remet pas en question le statut inactif de la travailleuse et le fait qu’elle n’ait pas cumulé de la durée de service à partir du 7 décembre 2001. Cependant, il soumet qu’elle était dans une situation particulière le 12 mars 2002 : elle rencontrait toutes les exigences pour occuper le poste, mais on le lui a refusé puisqu’elle ne pouvait pas l’exercer à compter de cette date. De plus, la travailleuse était capable d’exercer cet emploi dès le 8 mai 2002, date de la consolidation de sa lésion qui a entraîné une atteinte permanente à son intégrité physique mais aucune limitation fonctionnelle.
[34] Selon lui, ce refus crée une situation qui va à l’encontre de la lettre et de l’esprit de la loi. À cet effet, il soumet que l’article 32 de la loi constitue le point de départ du recours de la travailleuse car bien qu’elle n’ait pas été l’objet d’une mesure disciplinaire, elle a néanmoins été victime d’une forme de sanction qui entraîne pour elle une perte d’avantages importants. Il cite à l’appui ce passage d’une décision de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles :
L’article 32 de la loi est une disposition à caractère remédiateur (sic) qui doit être interprétée de façon large et libérale de manière à assurer l’accomplissement de la fin poursuivie par le législateur, soit la protection du travailleur contre les conséquences de sa lésion professionnelle sur son emploi, sur les conditions d’exécution de celui-ci et même sur ses conditions de travail.[2]
[35] Il ajoute que la mesure visée à l’article 32 n’a pas à être posée par l’employeur de façon malicieuse ou intentionnelle. Il ne s’agit pas d’un facteur pertinent[3]. Il soumet également une décision qui reconnaît que la perte d’ancienneté peut constituer une mesure visée par l’article 32 de la loi[4].
[36] Poursuivant son argumentation dans ce sens, il prétend que la présomption de l’article 255 doit s’appliquer[5].
[37] Selon lui, le refus de l’octroi du poste à sa cliente ne peut être motivé que par l’incapacité de la travailleuse. Or, la Charte des droits et libertés de la personne[6], aux articles 10 et 16, prévoit des dispositions de non-discrimination dans l’embauche.
[38] En regard de la compétence de la Commission des lésions professionnelles, il cite des extraits de l’affaire Ouellette c. CLP c. Mueller Canada inc.[7] dans laquelle la Cour supérieure retient que la Commission des lésions professionnelles peut et doit se saisir de toute question fondée sur la Charte qui lui est soumise et qu'elle devait donc, en l’espèce, examiner le devoir d'accommodement imposé à l'employeur à l'endroit d'un travailleur porteur d'un handicap au sens de la Charte. La Cour signale aussi qu'une cause, dans le contexte de l'article 255 de la LATMP, ne peut être juste si elle est illicite.
[39] Donc, selon lui, la travailleuse était porteuse d’un handicap au sens de la Charte le 12 mars 2002, ce qui l’empêchait d’occuper l’emploi. Le fait que ce handicap ne soit que temporaire n’affecte pas cette allégation puisque sa durée n’est pas un facteur pertinent[8]. En présence d’un tel handicap, il faut, selon lui, vérifier si l’employeur a suivi les étapes de l’arrêt Meiorin[9] résumées par l’arrêtiste comme suit :
Il y a lieu d’adopter une méthode en trois étapes pour déterminer si un employeur a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’une norme discriminatoire à première vue est une exigence professionnelle justifiée (EPJ). Premièrement, l’employeur doit démontrer qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause. À cette première étape, l’analyse porte non pas sur la validité de la norme particulière, mais plutôt sur la validité de son objet plus général. Deuxièmement, l’employeur doit établir qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était pour réaliser ce but légitime lié au travail. Troisièmement, l’employeur doit établir que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.
[40] En l’espèce, le représentant de la travailleuse juge qu’il n’y a pas de contrainte excessive pour l’employeur de reconnaître la durée de service réclamée par la travailleuse pour la période du contrat qu’elle n’a pas pu exécuter en raison de sa lésion professionnelle.
[41] De plus, il prétend que si la travailleuse avait subi une lésion professionnelle le 14 mars 2002, deux jours après le début de son contrat, elle aurait continué de cumuler de la durée de service. La même situation doit exister deux jours avant, soit au début de ce contrat. Bref, la travailleuse ne doit pas être pénalisée en raison de son incapacité à occuper l’emploi, incapacité qui découle directement de sa lésion professionnelle[10].
[42] Donc, en raison de ce geste discriminatoire, l’employeur avait une obligation d’accommodement et cette obligation était de permettre à la travailleuse d’accumuler de la durée de service, ce qui lui a été refusé.
ARGUMENTATION DE LA REPRÉSENTANTE DE L’EMPLOYEUR
[43] De son côté, précisant d’emblée que la travailleuse a déposé une plainte en vertu de l’article 32 de la loi et non une plainte pour discrimination en vertu de la Charte, la représentante de l’employeur prétend que la compétence de la Commission des lésions professionnelles se limite à l’interprétation de l’article 32 de la loi.
[44] En ce sens, elle soumet qu’aucune mesure prohibée à l’article 32 de la loi ne se retrouve dans le présent dossier. Ainsi, la travailleuse n’a pas fait l’objet d’une mesure discriminatoire puisqu’elle a reçu le même traitement que toute autre personne placée dans cette situation ou qui voit rejeter sa candidature pour ces motifs. Elle n’a pas été victime d’une sanction puisque la mesure n’a pas de caractère disciplinaire et que l’employeur a appliqué la convention collective de la même façon dont il l’applique à tous[11]. Si le législateur avait voulu inclure d’autres types de mesures à l’article 32, il les aurait mentionnées expressément.
[45] De plus, elle allègue que la mesure visée par l’article 32 de la loi doit être en relation directe avec la lésion professionnelle ou l’exercice d’un droit prévu par la loi. Or, en l’espèce, il est démontré que la non-reconnaissance de la durée de service à la travailleuse est uniquement liée à son statut d’employée inactive.
[46] La présomption de l’article 255 de la loi ne peut donc s’appliquer en l’absence de l’une des mesures prévues par l’article 32.
[47] La représentante de l’employeur soumet ensuite que seul l’article 237 de la loi s’applique à la situation de la travailleuse puisqu’elle a toujours été liée par des contrats à durée déterminée. Cet article a toujours été respecté par l’employeur, soit de permettre au travailleur victime d’une lésion professionnelle alors qu’il était lié par un contrat, de réintégrer son emploi, s’il en est capable, avant la date d’expiration de celui‑ci.
[48] En regard de l’article 243 de la loi qui prévoit que « nul ne peut refuser d’embaucher un travailleur parce que celui-ci a été victime d’une lésion professionnelle, si ce travailleur est capable d’exercer l’emploi visé », la représentante rappelle que la travailleuse a admis être incapable d’exercer l’emploi visé lors de l’embauche. Elle soutient que cet article doit être lu en conjonction avec l’article 20 de la Charte des droits et libertés qui permet de créer une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi.
[49] En définitive, si le tribunal en vient à la conclusion qu’il s’agit en l’espèce d’une mesure visée par l’article 32 de la loi et que la présomption de l’article 255 s’applique, elle affirme que l’employeur a démontré une cause juste et suffisante. La travailleuse n’a pas obtenu le poste, non pas parce qu’elle était victime d’une lésion professionnelle, mais bien parce qu’elle était incapable de l’exercer. Si elle avait été capable de l’exercer, elle aurait obtenu le poste malgré son handicap lié à sa lésion professionnelle.
[50] Concernant la question de la discrimination, elle allègue qu’il n’y a pas discrimination à l’égard de la travailleuse puisque l’employeur agit de la même façon à l’égard de tous les travailleurs ayant le même statut. Elle note aussi que le statut n’est pas un des motifs de discrimination énumérés dans la Charte et conclut que la compétence du tribunal est limitée à l’examen de la plainte en vertu de l’article 32 de la loi et que son rôle se distingue du Tribunal des droits de la personne[12].
[51] Elle ajoute que permettre à la travailleuse de cumuler de la durée de service aurait pour effet de créer un régime exceptionnel en sa faveur qui est inacceptable pour tous les autres employés d’Hydro-Québec. Elle soutient que l’objectif de la Charte est de créer un droit à l’égalité, soit d’éviter que des gens dépourvus soient défavorisés par rapport aux autres et non de les favoriser aux détriments des autres.
[52] De toute façon, elle soumet que la Commission des lésions professionnelles n’a pas la compétence pour juger s’il y a discrimination ou non puisqu’il est question en l’espèce de l’application des dispositions de la convention collective et que le seul tribunal compétent est l’arbitre de griefs. Elle affirme cela en se basant sur un arrêt de la Cour d’appel[13] qui devait juger qui de la Commission des droits de la personne ou d’un arbitre de griefs avait la juridiction pour décider de dispositions relatives à la discrimination contenues dans une convention collective. Elle ajoute qu’aucune disposition dans la loi constitutive de la Commission des lésions professionnelles lui donne des pouvoirs tels que ceux dévolus à un arbitre de griefs. Le fait pour la Commission des lésions professionnelles de décider du devoir d’accommodement[14] de l’employeur aurait un impact fondamental sur l’application de la convention collective, voire la modifierait.
[53] Dans la perspective où le tribunal juge qu’il a compétence pour se prononcer sur la question de discrimination, conclut à l’existence de discrimination à l’égard de la travailleuse et au devoir d’accommodement de l’employeur, la représentante soumet que la reconnaissance par l’employeur de la durée de service à des employés inactifs constitue pour lui une contrainte excessive et irait à l’encontre de la convention collective dont l’un des objectifs est de conférer un privilège à ceux qui détiennent des contrats.
[54] De plus, elle affirme qu’une atteinte à la convention collective peut être considérée comme une contrainte excessive puisqu’en donnant des droits à la travailleuse, on en retire aux autres employés[15].
[55] Finalement, elle fait référence à un extrait d’un jugement de la Cour supérieure[16] qui énonce que l’obligation d’accommodement s’applique lorsque le salarié peut fournir une prestation de travail ou lorsque l’absence de disponibilité est soit partielle ou limitée dans le temps, ce qui n’est pas le cas de la travailleuse.
RÉPLIQUE DU REPRÉSENTANT DE LA TRAVAILLEUSE
[56] En réplique, le représentant de la travailleuse rappelle qu’il ne demande pas à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître à la travailleuse le droit de cumuler de la durée de service en tant qu’employée inactive, mais plutôt de lui reconnaître le statut d’employée active à partir du 12 mars 2002. Son statut d’employée inactive est dû au fait qu’elle a été victime d’une lésion professionnelle. En d’autres termes, il allègue qu’un travailleur inactif qui rencontre toutes les conditions pour devenir actif ne peut se voir refuser ce statut en raison de sa lésion professionnelle.
[57] En regard de la compétence de la Commission des lésions professionnelles de se prononcer sur la question de la discrimination, il soutient qu’elle a compétence et que l’arbitre de griefs n’est pas le seul tribunal compétent. D’ailleurs, à l’article 32 alinéa 2 de la loi, il est prévu que le travailleur peut opter, pour le dépôt de sa plainte, entre la Commission des lésions professionnelles ou l’arbitre de griefs. En l’espèce, la travailleuse a opté pour la Commission des lésions professionnelles. On ne peut pas lui reprocher ce choix a posteriori.
[58] De plus, le représentant de l’employeur allègue que la Commission des lésions professionnelles a le pouvoir, et même le devoir, d’interpréter la Charte des droits et libertés de la personne. Si elle ne le fait pas, elle refuse illégalement d’exercer sa juridiction.
[59] Finalement, selon lui, ce n’est pas une contrainte excessive pour l’employeur de reconnaître de la durée de service à la travailleuse. La protection des droits de la travailleuse en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et la Charte des droits et libertés de la personne est plus importante qu’une atteinte à la convention collective.
RÉPLIQUE DE LA REPRÉSENTANTE DE L’EMPLOYEUR
[60] La réplique de cette procureure vise le devoir d’accommodement de l’employeur. Elle invite le tribunal à s’en tenir aux décisions de la Cour suprême qui soutiennent qu’on ne peut pas accorder des droits à une personne au détriment des autres. Le SCFP et Hydro-Québec ont négocié une convention collective. Y passant outre, ça reviendrait à causer un préjudice à l’ensemble des travailleurs qui, pour des raisons personnelles, ont dû arrêter de travailler alors que la travailleuse pourrait être privilégiée en obtenant sa permanence.
L’AVIS DES MEMBRES
[61] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la Commission des lésions professionnelles a le droit de se prononcer sur des questions relevant de la Charte, mais dans les limites des compétences conférées par sa loi constitutive. Il est d’avis qu’en vertu de la loi, la travailleuse n’a subi aucune sanction et que la convention collective de travail est respectée. Il soumet donc que la plainte doit être rejetée.
[62] Le membre issu des associations patronales est d’avis que la Commission des lésions professionnelles peut et doit interpréter diverses clauses de la Charte. Il admet également que cette interprétation et les conséquences légales qui en découleraient doivent demeurer dans les limites des exigences de la loi constitutive. Selon ce membre, il n’y a pas de sanction en interprétation de l’article 32 de la loi et il n’y a pas de discrimination au sens de la Charte.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[63] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a été l’objet d’une quelconque sanction parce qu’elle a été victime d’une lésion professionnelle. Plus spécifiquement, elle doit décider si le fait que l’employeur ait refusé de lui accorder le cumul du service continu entre le 12 mars et le 20 juin 2002 alors qu’elle était dans l’impossibilité, compte tenu de sa lésion professionnelle, d’exercer le poste de commis général qu’elle aurait vraisemblablement occupé, constitue une telle sanction.
[64] Les parties ayant également soulevé l’application de la Charte des droits et libertés de la personne[17] ainsi que le devoir d’accommodement de l’employeur, la soussignée en disposera dans un deuxième temps.
[65] C’est l’article 32 de la loi qui est visé dans le présent litige. Il se lit comme suit :
32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.
Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.
__________
1985, c. 6, a. 32.
[66] L’article 255 de la loi prévoit l’application d’une présomption en faveur du travailleur qu’il a été victime d’une telle mesure de la part de son employeur s’il répond aux exigences énumérées dans cet article, soit :
255. S'il est établi à la satisfaction de la Commission que le travailleur a été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans l'article 32 dans les six mois de la date où il a été victime d'une lésion professionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la présente loi, il y a présomption en faveur du travailleur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice de ce droit.
Dans ce cas, il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanction ou cette mesure à l'égard du travailleur pour une autre cause juste et suffisante.
__________
1985, c. 6, a. 255.
[67] La travailleuse a-t-elle été victime d’une sanction ou d’une autre mesure ? C’est la première question à laquelle la soussignée doit répondre. Avant même de décider si la présomption prévue par l’article 255 de la loi trouve application, il y a lieu de décider s’il y a eu une sanction, soit une mesure prohibée par la loi. C’est ce qui se retrouve dans une jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et de la Commission des lésions professionnelles[18].
[68] La travailleuse, employée temporaire pour l’employeur, est sur la liste de rappel à titre d’employée inactive, selon les dispositions de la convention collective, lorsqu’elle pose sa candidature pour un poste de commis général pour la période du 12 mars au 20 juin 2002. Elle-même admet, tout autant que la médecin de l’employeur qui l’a examinée le 11 mars 2002, qu’elle ne peut effectuer les tâches de cet emploi puisqu’elle est toujours en arrêt de travail à la suite de sa lésion professionnelle et, qu’en outre, elle est dans l’attente d’une intervention chirurgicale, laquelle sera pratiquée le 20 mars 2002.
[69] Comme son procureur le soumet, la plainte ne porte donc pas sur le fait que l’on ne lui ait pas octroyé ce contrat, mais uniquement sur le fait qu’elle était incapable d’exercer cet emploi en raison de sa lésion professionnelle et qu’elle se trouve pénalisée du fait que l’employeur ne lui accorde pas le cumul de la durée de service pour cette période durant laquelle elle aurait cumulé du service continu.
[70] Les dispositions de la loi faisant référence au droit de cumul d’ancienneté pour les travailleurs qui ont subi une lésion professionnelle sont contenues au chapitre VII de la loi, Section I, intitulée : Droits du travailleur. La soussignée en cite les plus pertinents à l’analyse de ce litige, soit :
234. La présente section s'applique au travailleur qui, à la date où il est victime d'une lésion professionnelle, est lié par un contrat de travail à durée indéterminée ou, dans le cas prévu par l'article 237, à durée déterminée.
Cependant, elle ne s'applique pas au travailleur visé dans la section II du présent chapitre, sauf en ce qui concerne l'article 243.
__________
1985, c. 6, a. 234.
235. Le travailleur qui s'absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle:
1° continue d'accumuler de l'ancienneté au sens de la convention collective qui lui est applicable et du service continu au sens de cette convention et au sens de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1);
2° continue de participer aux régimes de retraite et d'assurances offerts dans l'établissement, pourvu qu'il paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.
Le présent article s'applique au travailleur jusqu'à l'expiration du délai prévu par le paragraphe 1° ou 2°, selon le cas, du premier alinéa de l'article 240.
__________
1985, c. 6, a. 235.
236. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui redevient capable d'exercer son emploi a droit de réintégrer prioritairement son emploi dans l'établissement où il travaillait lorsque s'est manifestée sa lésion ou de réintégrer un emploi équivalent dans cet établissement ou dans un autre établissement de son employeur.
__________
1985, c. 6, a. 236.
237. Le travailleur qui, à la date où il est victime d'une lésion professionnelle, est lié par un contrat de travail à durée déterminée et qui redevient capable d'exercer son emploi avant la date d'expiration de son contrat, a droit de réintégrer son emploi et de l'occuper jusqu'à cette date.
__________
1985, c. 6, a. 237.
239. Le travailleur qui demeure incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle et qui devient capable d'exercer un emploi convenable a droit d'occuper le premier emploi convenable qui devient disponible dans un établissement de son employeur.
Le droit conféré par le premier alinéa s'exerce sous réserve des règles relatives à l'ancienneté prévues par la convention collective applicable au travailleur.
1985, c. 6, a. 239.
243. Nul ne peut refuser d'embaucher un travailleur parce que celui-ci a été victime d'une lésion professionnelle, si ce travailleur est capable d'exercer l'emploi visé.
__________
1985, c. 6, a. 243.
[71] D’ores et déjà, la soussignée tient à souligner que tous ces articles de la loi s’appliquent à des personnes qui ont subi une lésion professionnelle et qui ont un droit de retour au travail, auquel cas ces dispositions trouvent application. C’est donc par souci de clarté qu’elle continue à analyser, dans cette affaire, si certains droits pourraient s’appliquer à la travailleuse à statut d’emploi temporaire.
[72] Les dispositions de la convention collective de travail à laquelle le législateur réfère dans certains de ces articles de la loi sont ainsi pertinentes à l’analyse du respect des droits du travailleur en fonction de la loi. Il est admis par la jurisprudence de nos tribunaux administratifs qu’une convention collective de travail peut être plus généreuse que ce qu’exige la loi mais qu’elle ne doit pas contenir, en corollaire, des dispositions inférieures aux droits protégés pour les accidentés du travail, comme il est spécifié à l’article 4 de la loi, soit :
4. La présente loi est d'ordre public.
Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.
__________
1985, c. 6, a. 4.
[73] La soussignée reprend quelques dispositions de la convention collective de travail afin de vérifier si celles-ci respectent les conditions de retour au travail. Ainsi dans les DÉFINITIONS citées dans la première partie de cette décision, mentionnons qu’un employé est le terme qui « s’applique aux personnes assujetties aux présentes et travaillant pour la Direction » (art. 2.01). L’employé temporaire est « celui qui est embauché pour occuper un poste vacant pour une période maximale de six (6) mois …» (art. 2.04). Est en service actif, l’employé « présent à son travail et en mesure d’exercer les tâches dont il est chargé » (art. 2.05). Le service continu s’applique à l’employé « tant que la durée de service n’est pas interrompue par … B) un licenciement dans le cas d’un employé temporaire » (art. 2.06). Le terme rappel « signifie le retour en service actif d’un employé stagiaire, permanent ou temporaire, selon le cas, qui était sur la liste de rappel » (art. 2.15).
[74] L’article 19 de la convention collective, réfère directement au cumul de l’ancienneté et porte le titre de : ANCIENNETÉ ET MOUVEMENTS DE PERSONNEL dont les premiers paragraphes se lisent comme suit :
19.01 À moins de stipulations contraires, les dispositions de cet article ne s’appliquent qu’aux employés permanents autres que ceux en stage de formation pour plus de trois ans.
19.02 À moins des stipulations contraires expressément prévues dans cet article, le terme « ancienneté » signifie la durée du service continu d’un employé depuis la date de son dernier embauchage.
19.03 L’ancienneté s’acquiert après une période de stage de six (6) mois de service à l’emploi de la Direction. Une fois complétée, la période de stage est comprise aux fins de calcul de l’ancienneté.
19.04 Les employés temporaires n’accumulent pas d’ancienneté et la durée de leur service comme employé temporaire ne peut en aucun cas être considérée pour fins d’ancienneté. La durée de service à titre d’employé temporaire sert aux fins de comblement de postes.
[75] Dans le cas sous espèce, la travailleuse a un contrat à durée déterminée du 7 mai 2001 jusqu’au 14 décembre de la même année. Son statut selon la convention collective est celui d’employée active jusqu’à la date de terminaison de son contrat, soit le 7 décembre 2001. Elle subit une lésion professionnelle le 25 septembre 2001 et elle est licenciée le 7 décembre 2001, pour manque de travail. Il n’y a donc pas eu de possibilité de retour au travail avant la fin prévue du contrat de travail, soit le 14 décembre 2001. Elle avait même été licenciée par l’employeur pour manque de travail avant la fin dudit contrat, toujours conformément aux dispositions de la convention collective de travail. À compter du 7 décembre 2001, le nom de la travailleuse est versé dans la liste de rappel de l’employeur et, avant qu’un autre contrat soit signé avec l’employée temporaire, il n’y a pas de cumul de temps continu parce qu’il ne s’agit pas de temps travaillé. Les dispositions prévues à l’article 237 de la loi et celles de la convention collective de travail respectent donc les droits de cette employée inactive, sur une liste de rappel. Ceci n’est pas contesté par le représentant de la travailleuse.
[76] Tel qu’admis par les deux parties, la travailleuse cumule un nombre de jours de durée de service équivalent au nombre de jours de travail prévus par son contrat de travail et jusqu’au licenciement pour manque de travail, soit du 7 mai 2001 au 7 décembre 2001, bien qu’elle ait été en arrêt de travail pour sa lésion professionnelle. Le cumul du temps continu, selon la convention collective n’est possible que lorsque l’employée temporaire est en service actif.
[77] Ainsi, la convention collective de travail s’applique, comme à tout autre employé permanent ou temporaire, lorsqu’il y a une absence du travail due à une lésion professionnelle et que la personne est redevenue capable d’exercer son emploi. Les articles 234 et 235 ne trouvent pas application, en l’espèce. En effet, à l’article 234, on fait référence à un travailleur lié à un employeur « par un contrat de travail à durée indéterminée ». La lecture de l’article 236 précise qu’il y a cumul d’ancienneté « au sens de la convention collective qui lui est applicable et du service continu au sens de cette convention collective ». L’article 236 encadre le droit de retour au travail dans son emploi ou dans un emploi équivalent lorsqu’il redevient capable d’exercer ses fonctions ». Jusqu’ici, la soussignée constate que le législateur ne prévoit pas de cumul de service continu différent pour les employés temporaires dont le contrat est échu, bien que cet employé soit toujours en arrêt de travail pour une lésion professionnelle.
[78] Après le 7 décembre 2001, la travailleuse, toujours en arrêt de travail pour sa lésion professionnelle, pose sa candidature à un poste temporaire de commis général prévu pour la période du 12 mars 2002 jusqu’au 20 juin 2002. Les deux parties admettent que la travailleuse aurait certainement obtenu ce contrat, étant la mieux placée en regard du cumul de service continu et ayant, en outre, déjà suivi la formation pour ce poste. Par ailleurs, les parties sont également d’accord que le poste lui a été refusé parce qu’elle n’était pas en mesure de l’exercer, ne répondant pas à toutes les exigences du poste, notamment son incapacité physique à exécuter les tâches liées au poste de travail. Sa candidature n’a donc pas été retenue.
[79] La travailleuse ne conteste pas directement le fait que le poste lui a été refusé en raison de sa lésion professionnelle, mais elle porte plainte en vertu de l’article 32 de la loi parce que l’employeur refuse de lui reconnaître des journées de cumul de service continu pour toute la période du contrat qu’elle n’a pu signer en raison de sa lésion professionnelle. À ce titre, elle ne cumule plus de journées de service continu selon l’article 2.06 B) de la convention collective en raison de son licenciement le 7 décembre 2001, pour manque de travail.
[80] Ainsi, d’une part, aucune disposition de la loi n’accorde de droits de cumul de service continu pour les employés temporaires, après la fin de leur contrat de travail.
[81] Les dispositions de l’article 237 de la loi prévoient la réintégration à son emploi d’un employé temporaire s’il redevient capable d’exercer cet emploi avant la fin du contrat signé avec l’employeur. Et les dispositions prévues par l’article 235 trouvent application mais uniquement jusqu’à la date de la fin du contrat de travail. Si le législateur avait prévu une exception pour les employés temporaires qui n’obtiennent pas de nouveau contrat de travail pendant la durée de leur absence en raison de leur incapacité physique due à une lésion professionnelle, il en aurait fait mention dans ces articles.
[82] La loi fait une distinction entre employés temporaires à contrat à durée déterminée et employés à contrat de durée indéterminée, mais aucune disposition de la loi ne crée des droits d’accès à des postes vacants et aux bénéfices qui en résulteraient, lorsque la personne est dans l’incapacité physique d’y accéder en raison de sa lésion professionnelle et que son contrat de travail la liant à son employeur est échu. Et comme on l’a vu à l’article 239, la convention collective de travail est la référence dans le domaine de retour au travail.
[83] En résumé, selon le document déposé sous le titre Admissions, la travailleuse est en service actif entre le 7 mai et le 7 décembre 2001, alors qu’elle est licenciée pour manque de travail. Pendant cette période elle cumule de la durée de service continu. Après le 7 décembre 2001, son nom est versé dans la liste de rappel des employés temporaires. Elle ne correspond plus à la définition d’employée active et ne bénéficie pas du cumul de service continu. Lorsque la travailleuse soumet sa candidature pour le poste de commis général, contrat prévu du 12 mars au 20 juin 2002, elle est incapable d’exécuter les tâches de ce poste temporaire, ce qui est admis par les deux parties et elle demeure, ainsi, une employée inactive n’ayant plus de droit au cumul de temps de travail.
[84] La soussignée est d’avis que la travailleuse n’a pas subi une sanction de la part de son employeur parce que ce dernier refuse de lui accorder le bénéfice du cumul de service continu pendant une période où elle ne répondait pas à la définition d’une employée active. En effet, un tel droit n’est pas reconnu par le législateur et la convention collective de travail est respectée dans son application. La travailleuse a été traitée sur le même pied que toute autre employée inactive qui ne peut pas soumettre sa candidature pour obtenir un poste pour quelque raison que ce soit.
[85] En conséquence, en l’absence d’une sanction, la présomption prévue par l’article 255 de la loi ne trouve pas application puisqu’il appartenait à la travailleuse de faire la preuve qu’elle avait subi une sanction.
EN RÉFÉRENCE AUX DROITS PROTÉGÉS PAR LA CHARTE
[86] Par ailleurs, le représentant de la travailleuse soumet que l’unique raison du refus d’embauche de la travailleuse est son incapacité physique à exercer l’emploi sollicité le 11 mars 2002, donc à un handicap. À cet égard, il réfère à la Charte des droits et libertés de la personne[19], et plus spécifiquement à ses articles 10 et 16 qui prévoient des dispositions de non-discrimination dans l’embauche, ajoutant que la présente instance a compétence pour en disposer. Ces articles auxquels la soussignée ajoute l’article 20, se lisent comme suit :
10. [Discrimination interdite) Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine légalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
[Motif de discrimination] Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
1975, c. 6, a.10; 1977, c 6, a.1; 1978, c. 7, a. 112; 1982, c. 61, a. 3.
16. [Non-discrimination dans l’embauche] Nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classifications d’emploi.
1975, c. 6, a. 16.
20 Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi, ou justifiée par le caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif d’une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d’un groupe ethnique est réputée non discriminatoire
1975, c. 6, a. 20; 1982, c. 61, a. 6; 1996, c. 10, a. 1.
[87] La soussignée estime qu’elle a la compétence voulue pour se saisir d’arguments invoqués en relation avec les Chartes. Elle rapporte, notamment, le résumé de jurisprudence, concernant cette compétence, effectué par la commissaire C. Racine dans l’affaire Lahreche et Provigo (Division Montréal détail)[20], soit :
[205] La décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Nouvelle-Écosse (Workers’ compensation Board c. Martin et Laseur(8)clarifie (au paragraphe 48] les critères permettant de déterminer si un tribunal administratif possède ou non cette compétence et le juge Mongeau dans l’affaire Ouellette et C.L.P.(9) insiste sur le fait que la Commission des lésions professionnelles doit se saisir des arguments basés sur la Charte des droits et exercer sa compétence à cet égard. Cependant, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et la Commission des lésions professionnelles n’ont pas attendu que les cours supérieures tranchent ce débat avant d’interpréter les Chartes des droits. Ainsi, des 1991(10), la Commission d’appel décidait, avec l’aval des cours supérieures, qu’elle possédait toute la compétence en cette matière. Les affaires Martin ou Ouellette ne créent donc pas de précédent à ce sujet.
[206] Toutefois, la compétence pour se saisir des arguments basés sur la Charte des droits ne veut pas dire que la Commission des lésions professionnelles doit accepter, sans en examiner le bien-fondé, tout argument qui lui est présenté en cette matière. Ces arguments doivent être analysés à la lumière des faits en cause et des dispositions législatives pertinentes.
____________________
(8) Précitée à la note 3.[21]
(9) Précitée à la note 3.
(10) Lapointe et Services correctionnels du Canada [1991] C.A.L.P. 1185 ; révision judiciaire rejetée [1992] C.A.L.P. 792 (C.S.) ; appel rejeté [1995] C.A. L.P. 1319 (C.A.)
[88] Il est donc établi depuis plusieurs années que les tribunaux administratifs sont compétents à analyser un argument basé sur un ou des articles de la Charte. Cependant, comme le mentionne la commissaire Racine, cette compétence se limite à analyser les faits « en cause et (les) dispositions législatives pertinentes ».
[89] La Cour d’appel dans un jugement encore plus récent[22] rédigé par le juge Brossard, auquel se rallient les deux autres juges de la Cour d’appel, reprend avec encore plus de précision les limites de la compétence des tribunaux administratifs en regard de leur compétence dans l’interprétation de la Charte. La Cour d’appel est saisie d’une requête en révision judiciaire d’un jugement du juge de première instance, l’honorable Richard Mongeau, dans une affaire qui présente beaucoup de similitude avec le présent litige puisqu’il réfère aux articles 32 et 255 de la loi.
[90] L’honorable juge Brossard ouvre la section ANALYSE, comme ceci :
D’entrée de jeu, et avec égards pour le juge de première instance et la qualité de son analyse de la jurisprudence qu’il cite, je suis d’avis qu’il s’est laissé entraîner par l’habile argumentation de l’intimé dans une démarche juridique dont l’effet était d’escamoter, de contourner, sinon même d’évacuer les véritables questions en litige.
[91] Ainsi, les balises dans le traitement de plaintes déposées en vertu de la Charte, doivent être rigoureuses et ne pas amener un membre du Tribunal du travail ou un commissaire de la Commission des lésions professionnelles à outrepasser la compétence de sa loi constitutive dans les conclusions qui découlent de l’analyse du dossier. Bien que le litige auprès de la Cour d’appel ne soit pas une copie identique du présent dossier, l’avis émis par le juge Brossard au paragraphe 44 de son jugement trouve un écho évident, en l’espèce. Il écrit, notamment :
[44] Je réitère de nouveau le contexte particulier au présent dossier dont la solution, à mon avis, ne peut être dissociée : 1) en l’espèce, c’est l’intimé qui judiciarise le débat après avoir engagé des procédures administratives parallèles devant les tribunaux les plus accessibles et compétents; 2) comme on le verra plus loin, la compétence de la CSST et de la CLP en appel est fonction uniquement de la finalité de la loi et les débats qu’elle est appelée à trancher en vertu des articles 32 et 255 sont d’une nature essentiellement factuelle; 3) en l’espèce, l’intimé s’est adressé, d’une part en premier lieu, et d’autre part de façon parallèle, aux organismes administratifs les mieux qualifiés et les plus compétents pour considérer l’application de la Charte à son cas, pour s’en désister par la suite; 4) l’intimé a effectivement fait du «forum shopping», ce qui n’est certainement pas l’objet que la Cour suprême voulait encourager par sa décision dans l’arrêt Martin.
[45] Je suis d’avis qu’on ne saurait trancher le présent litige en discutant dans un vacuum académique l’applicabilité ou non des exigences de la Charte en matière d’accommodement en regard de la compétence générale de la CSST et de la CLP, en vertu des dispositions générales de la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles, et indépendamment de toute disposition spécifique de cette loi et en vertu de laquelle la CSST et la CLP sont saisies du litige. En d’autres mots, le contexte est factuel. L’objet de la plainte portée et les conclusions factuelles de la CLP constituent les éléments essentiels des questions qui nous sont soumises.
[92] Dans l’affaire Mueller et Ouellette, dont est saisi le juge Brossard, il est reconnu par tous qu’il y a « atteinte prima facie portée aux droits de l’intimé en regard de l’article 10 de la Charte et sur l’applicabilité, le cas échéant, de l’article 20 ». Puis il ajoute cette phrase dans le même paragraphe, soit :
[46] […] Le débat ne porte pas sur la Charte; il porte exclusivement sur l’applicabilité au cas d’espèce des interdictions contenues à l’article 32 LATMP en regard de la présomption édictée par l’article 255 et de la compétence conférée par l’article 257 de la même loi.
[93] Avant de conclure dans le même sens que le juge Brossard, la soussignée tient à citer un autre paragraphe du jugement du juge Brossard qui s’exprime en ces termes :
[48] Revenons aux textes de la loi. L’article 32 prohibe cinq mesures ou sanctions spécifiques par un employeur à l’égard d’un salarié victime d’une lésion professionnelle ou qui prétendrait exercer un droit conféré par la loi. La compétence conférée à la CSST, sur une base administrative, et à la CLP, à l’instar, par exemple, de celle conférée au commissaire aux normes du travail agissant en vertu de l’article 122 de cette loi, est limitée à la constatation de l’existence ou non de l’un des motifs énumérés dans cette disposition attributive de compétence, et à confirmer ou annuler, par voie de conséquence, la mesure de congédiement, prohibée par la loi, et dont la nature fait obstacle à toute demi-mesure, le congédiement est légal ou il ne l’est pas.
[94] Dans le contexte de l’analyse en regard de la Charte, la question à laquelle la soussignée doit répondre est : Y a-t-il une sanction et est-elle illégale ? Le long débat sur les exigences de l’article 32 dans la section précédente et sur l’absence de mesure de sanction par l’employeur qui constitue la conclusion de cette démarche, marque la limite de la compétence de ce tribunal. En effet, comment pourrait-on prétendre que la travailleuse a subi une sanction, en vertu de l’article 10 de la Charte parce qu’elle aurait eu un handicap, alors que ce tribunal décide qu’il n’y a pas eu de sanction, ni en regard de sa loi constitutive, ni selon les règles de la convention collective de travail qui doivent s’appliquer dans la section du droit de retour au travail de la loi ?
[95] Mais encore, la travailleuse avait-t-elle un handicap au sens de l’article 10 de la Charte, lorsqu’elle a posé sa candidature à un poste de commis général à compter du 12 mars 2002 ? Le terme handicap n’est pas défini par la Charte et peut donc comprendre diverses situations, que le handicap soit permanent ou non. Une jurisprudence énonce, dans ce cas, trois étapes d’analyse permettant de conclure à une discrimination en vertu de l’article 10 de la loi.
[96] La soussignée ne poursuit pas cet exposé puisqu’il est clairement établi que la travailleuse n’était pas en mesure d’effectuer les tâches de l’emploi pour lequel elle a postulé, étant toujours en arrêt de travail pour sa lésion professionnelle. Les deux parties, d’ailleurs, en conviennent. Il ne peut donc pas y avoir eu de discrimination envers la travailleuse en raison d’un handicap parce que le poste lui a été refusé parce qu’elle était dans l’incapacité physique de l’exercer. Et l’article 20 de la Charte, déjà cité, énonce qu’il n’y a pas de mesure discriminatoire lorsque le choix d’un employé est fondé sur les « aptitudes ou qualités requises par un emploi ». La travailleuse n’a donc pas subi de discrimination même en vertu de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, ce qui relève du gros bon sens, pour la Commission des lésions professionnelles également.
[97] Enfin, en l’absence d’un contrat de travail liant, à nouveau, la travailleuse à l’employeur par un contrat signé, la travailleuse ne peut pas bénéficier des avantages liés à l’emploi, selon la convention collective, et la loi n’impose aucune telle sorte d’obligation qui, à la limite, obligerait tous les employeurs à considérer active, une employée qui ne l’est pas, et cela pour tous les cas où une ou un travailleur qui a un statut temporaire, à contrat avec durée déterminée, et dont le contrat vient à terme, pendant cette période, de faire comme si cette personne était toujours, selon la convention collective de travail, une employée active.
[98] Il devient alors inutile d’analyser le devoir d’accommodement de l’employeur qui découle de la Charte alors que la soussignée déclare qu’il n’y a pas eu de sanction au sens de l’article 32 et des dispositions de la convention collective de travail applicables. Le fait qu’on apporte l’argument de l’applicabilité de la Charte québécoise des droits de la personne est une façon détournée de tenter de régler une situation qui est conforme à la loi en empruntant un chemin qui contournerait les droits établis par cette loi constitutive et fondatrice de compétence pour la présente instance.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la plainte logée par madame Hélène Gagné-Jacques, en vertu de l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Rose-Marie Pelletier |
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Commissaire |
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Me Michel Derouet |
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Trudel, Nadeau, Avocats |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Sylvy Rhéaume |
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Marchand, Lemieux, Avocats |
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Représentante de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Abitibi-Price et Bergeron et CSST, [1992] CALP 444 , 449.
[3] Gemme et Sidbec-Dosco inc.,
[1996]
CALP 1318
(C.S.), confirmée par
[4] Structure C.Q.S. inc. et Guignard, [1995] CALP 180 , 183.
[5] Fraser et Excavation L. M. Gagnon ltée, [1988] CALP 897 , 902.
[6] L.R.Q., c.-C-12
[7] C.S.
Terrebonne, 700-05-009165-006, 2001-11-13, j, R. Mongeau, en délibéré devant
[8] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665 , par. 71-80 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Société de portefeuille du Groupe Desjardins (Assurances générales des Caisses Desjardins inc.), [1997] R.J.Q. 2049 , 2054 (T.D.P.Q.).
[9] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 ; Colombie-Britannique (Superintendent or Motor Vehicules) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868
[10] Commission des écoles catholiques de Québec c. Gobeil, [1999] R.J.Q. 1883 , 1892-1893 (C.A.)
[11] Fortin et Hydro-Québec,
27451-62-9103, 1993-06-
[12] C.P.E. Les Soleils de Mékinac et Lynch, [2002] CLP 159 , par. 59.
[13] Québec (Procureur général du) c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, C.A. 500-09-010164-002, 2002-02-28, jj. Baudouin, Rousseau-Houle et Robert
[14] Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 12655 et Industries Moody inc., T.A. 1020-1402, 2002-02-15, Jean-Guy Clément.
[15] Me Béatrice ARRONIS, Devoir d’accommodement raisonnable, le 19 novembre 2002, Pouliot Mercure, avocats ; Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489 , 491 ; Central Okanagan School District no. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970 , 972.
[16] Syndicat national des employés municipaux de Pointe-Claire (CSN) c. Boisvert et Ville de Pointe‑Claire, [2000] R.J.D.T. 512 , 519
[17] L.R.Q., c. C-12
[18] Giroux et Filochrome inc., [1989] C.A.L.P. 1127 ; Bruneau et Musique et Richard Gendreau inc., 71445-03-9507, 96-01-31, R. Ouellette, révision rejetée, 96-10-11, B. Roy.
[19] L.R.Q., c. - C-12
[20] [2003] C.L.P. 1708
[21] Ouellette et C.L.P.
[2001] C.L.P.
647
; Pruneau et Tuyaux Wolverine Canada inc., C.L.P. 139208‑72-0005, le
11 juillet
[22] Mueller Canada inc. c. Ouellette* (C.A.) 237
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