Décision

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Ville de Trois-Rivières c. Royal & Sun Alliance du Canada, société d'assurances

2022 QCCA 1105

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

 :

200-09-010083-191

(400-17-002977-128)

 

DATE :

 15 août 2022

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

SIMON RUEL, J.C.A.

 

 

VILLE DE TROIS-RIVIÈRES

APPELANTE – défenderesse

c.

 

ROYAL & SUN ALLIANCE DU CANADA, SOCIÉTÉ D’ASSURANCES (aux droits de L’Union Canadienne, compagnie d’assurances)

9081-1035 QUÉBEC INC., faisant affaire sous la raison sociale de DÉNEIGEMENT F.L. INC.

FERNAND LAMARRE

INTIMÉS – demandeurs

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 22 juillet 2019 par la Cour supérieure, district de Trois-Rivières (l’honorable Jocelyn Geoffroy), lequel la déclare responsable de 25 % des dommages subis par les intimés.

[2]                Pour les motifs du juge Bouchard et de la juge Thibault, LA COUR :

[3]                REJETTE l’appel avec les frais de justice.

[4]                Le juge Ruel, pour sa part, aurait accueilli l’appel avec les frais de justice.

 

 

 

 

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

SIMON RUEL, J.C.A.

 

Me Pierre Soucy

LAMBERT THERRIEN

Pour l’appelante

 

Me Éric Beaulieu

Me Émilie Deschênes

CARTER GOURDEAU

Pour les intimés

 

Date d’audience :

16 juin 2022


 

 

 

MOTIFS DU JUGE BOUCHARD

 

 

[5]                Le présent pourvoi a pour toile de fond un incendie survenu le 22 juin 2012 dans un secteur commercial et industriel de la Ville de Trois-Rivières (la « Ville »). Cet incendie a complètement détruit le bâtiment appartenant à l’intimée Déneigement F.L. inc. (« FL »). Le juge de première instance ayant tenu la Ville responsable du dommage subi par FL à hauteur de 25 % en raison du retard des pompiers à intervenir sur les lieux[1], cette dernière appelle de ce jugement.

[6]                Elle soutient que le juge a erré en concluant qu’elle ne bénéficiait pas de l’immunité prévue à l’article 47 de la Loi sur la sécurité incendie[2]  L.s.i. »). En second lieu, à supposer que le juge ait eu raison d’écarter l’application de cette disposition, elle plaide qu’elle n’a pas commis de faute, que les pompiers dépêchés sur les lieux l’ont été en nombre suffisant et à l’intérieur des délais requis par la situation.

Le contexte législatif

[7]                Pour bien cibler les enjeux que soulève le présent pourvoi, il importe, avant de rappeler les faits, d’exposer le cadre législatif qui s’applique à ceux-ci et qui découle de la L.s.i. adoptée en 2000 pour contrer les effets « pervers » de l’arrêt rendu par la Cour suprême dans Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville de)[3].

[8]                À la suite de cet arrêt, il appert en effet que plusieurs municipalités au Québec ont préféré ne pas mettre sur pied leur propre service de sécurité incendie de manière à ne pas engager leur responsabilité civile en cas d’incendie sur leur territoire[4].

[9]                Aussi, pour inciter ces dernières à se doter d’un service de sécurité incendie, le législateur a prévu d’accorder une immunité relative à celles qui adopteraient un « schéma de couverture de risques fixant, pour tout leur territoire, des objectifs de protection contre les incendies et les actions requises pour les atteindre »[5].

[10]           Ce schéma, suivant l’article 10 de la L.s.i., détermine « pour chaque catégorie de risques inventoriés ou chaque partie du territoire qui y est définie, des objectifs de protection optimale contre les incendies qui peuvent être atteints compte tenu des mesures et des ressources disponibles. Il précise également les actions que les municipalités […] doivent prendre pour atteindre ces objectifs en intégrant leur plan de mise en œuvre. Enfin, il comporte une procédure de vérification périodique de l’efficacité des actions mises en œuvre et du degré d’atteinte des objectifs arrêtés ».

[11]           Tel que mentionné, c’est l’article 47 L.s.i. qui accorde aux municipalités s’étant dotées d’un schéma de couverture de risques l’immunité mentionnée précédemment, et ce, selon les termes suivants :

47. Chaque membre d’un service de sécurité incendie ou toute personne dont l’aide a été acceptée expressément ou requise en vertu du paragraphe 7° du deuxième alinéa de l’article 40 est exonéré de toute responsabilité pour le préjudice qui peut résulter de son intervention lors d’un incendie ou lors d’une situation d’urgence ou d’un sinistre pour lequel des mesures de secours obligatoires sont prévues au schéma en vertu de l’article 11, à moins que ce préjudice ne soit dû à sa faute intentionnelle ou à sa faute lourde.

 

Cette exonération bénéficie à l’autorité qui a établi le service ou qui a demandé son intervention ou son assistance, sauf si elle n’a pas adopté un plan de mise en œuvre du schéma alors qu’elle y était tenue ou si les mesures, qui sont prévues au plan applicable et liées aux actes reprochés, n’ont pas été prises ou réalisées conformément à ce qui a été établi.

 

47. The members of a fire safety service and the persons whose assistance is expressly accepted or is required under subparagraph 7 of the second paragraph of section 40, are exempt from liability for any damage that may result from their intervention during a fire or during an emergency or disaster situation in respect of which mandatory emergency procedures are set out in the fire safety cover plan pursuant to section 11, unless the damage results from their intentional or gross fault.

 

The exemption applies to the authority having established the service or having requested the person’s intervention or assistance, except if the authority has failed to adopt a plan for the implementation of the fire safety cover plan as required or if the measures or procedures provided for in the applicable implementation plan and relating to the acts in question were not implemented as established.

 

[12]           Il découle de cette disposition, en particulier de l’alinéa 2, que la municipalité poursuivie en justice pour le préjudice sultant de l’intervention de son service de sécurité incendie sera exonérée de toute responsabilité à deux conditions : 1) si elle a adopté un plan de mise en œuvre du schéma de couverture de risques tel que prévu à l’article 10 L.s.i. et 2) si elle a pris ou réalisé les mesures prévues dans le plan.

[13]           Il n’est pas contesté en l’espèce que la Ville a adopté un schéma de couverture de risques ainsi qu’un plan de mise en œuvre de celui-ci approuvés par le ministre de la Sécurité publique. Les intimés plaident toutefois que les mesures prévues dans le plan de mise en œuvre et liées aux actes reprochés n’ont pas été suivies, de sorte que la Ville ne saurait bénéficier de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 47 L.s.i.

[14]           Pour répondre à cet argument, il importe d’examiner tout d’abord les actions et stratégies que la Ville a prévues dans son plan de mise en œuvre. J’examinerai ensuite, à la lumière des faits, si le déploiement des pompiers sur les lieux de l’incendie s’est effectué conformément audit plan.

Le schéma et son plan de mise en œuvre

[15]           Quelques mots tout d’abord à propos du schéma de couverture de risques adopté par la Ville en 2006.

[16]           La preuve a révélé que le bâtiment de Déneigement F.L. était qualifié de risque moyen alors que celui de Bis Remorquage, le bâtiment voisin où l’incendie a débuté, était à risque élevé. Tous les deux étaient situés dans le secteur identifié comme étant le « périmètre urbain ». Or, le schéma prévoit à la section 12.1 – Périmètre urbain proposé, ce qui suit :

12.1 PÉRIMÈTRE URBAIN PROPOSÉ (PREMIÈRE ALARME OU ALERTE INITIALE)

12.1 Risques faibles et moyens

Acheminer 10 pompiers en 10 minutes à partir de 2 casernes avec une autopompe et un camion-échelle

[…]

12.1.3 Risques élevés et très élevés à l’intérieur du périmètre urbain proposé

Acheminement de 15 pompiers à partir de trois casernes, 10 pompiers en 10 minutes et 5 autres dans les 10 minutes suivantes avec une autopompe, un camion-échelle et, selon le cas, ajout d’un camion-échelle ou autopompe ou autopompe-citerne. […]

[17]           Il faut savoir également que la Ville, en 2008, a demandé au ministre de la Sécurité publique de modifier son schéma. N’étant pas en mesure de respecter l’échéancier qu’elle s’était fixé pour passer d’un service de sécurité incendie composé de policiers-pompiers à un service composé uniquement de pompiers permanents, elle a requis de pouvoir reporter les échéances prévues dans son plan initial tout en assurant au ministre qu’elle serait néanmoins en mesure de mobiliser, partout sur son territoire, une force de frappe composée de 10 personnes.

[18]           Le passage pertinent de la demande de la Ville est ainsi formulé :

La décision de reporter les échéanciers relatifs à la scission du corps de policiers/pompiers, la construction de casernes et, par conséquent, l'embauche additionnelle des pompiers aura une incidence sur l'échéancier relatif à l'atteinte de la couverture de protection. Selon les changements apportés dans les échéanciers, le SSI sera, dès 2007, en mesure de mobiliser, partout sur l'ensemble du territoire, une force de frappe composée de 10 personnes. Ce n'est toutefois qu'à partir de 2011 que la force de frappe déployée dans tous les secteurs pourra comprendre en tout temps un nombre de 5 pompiers permanents et ce n'est qu'à partir de 2015 que la tâche actuelle des policiers/pompiers lors d'un incendie ne sera plus applicable. En ce qui concerne les premiers quartiers, c’est à partir de 2011 que le SSI pourra rencontrer son objectif, c'est à dire compter dans ce secteur sur un nombre de 15 pompiers en moins de 10 minutes. D’ici là, les effectifs totaliseront, en première alarme, 10 pompiers.

[Je souligne]

[19]           Quant à la réponse du ministre, qui autorise la modification demandée, elle est libellée de la manière suivante :

La présente fait suite à votre demande relative à l'autorisation de la modification de votre schéma de couverture de risques, conformément à l'article 30.1 de la Loi sur la sécurité incendie.

L'analyse de cette dernière ainsi que des documents complémentaires transmis le 23 janvier 2008, démontre que la Ville de Trois-Rivières ne peut respecter les échéances prévues à son schéma de couverture de risques puisqu'elle n'est pas en mesure de procéder, aussi rapidement que souhaité, à la création d'un service de sécurité incendie formé uniquement de pompiers et, par conséquent, que des délais étaient inévitables dans la réalisation de plusieurs actions prévues à son plan de mise en œuvre. Pour ces raisons, les échéances relatives aux actions portant les numéros 1 à 9, 11, 14, 16, 19 à 24, 26, 27, 29, 30, 32, 33, 39, 41 et 43 consignées dans le plan de mise en œuvre de son schéma de couverture de risques, pourront être reportées selon les nouvelles échéances proposées. Considérant qu'un tel report n'entraîne aucune modification dans les objectifs de protection publique, j'autorise exceptionnellement le remplacement des échéances initialement prévues pour les actions citées ci-dessus par les nouvelles proposées.

Je vous signale que cette autorisation entre en vigueur en date de la présente, qu'elle s'ajoute à l'attestation de conformité de votre schéma de couverture de risques du 21 juin 2006 et que les modifications nécessaires à ce schéma doivent être adoptées par le conseil de la Ville de Trois-Rivières, sans délai ni formalité. […]

[Je souligne]

[20]           On retiendra ici que le ministre autorise la Ville à reporter ses échéances parce qu’un tel report n’entraîne aucune modification des objectifs de protection publique. En d’autres termes, la Ville n’est pas dispensée de déployer une force de frappe de 10 personnes en 10 minutes. Le ministre ne fait que l’autoriser à déployer des policiers-pompiers et non seulement des pompiers, et ce, en raison des délais inhérents à la création d’un service de sécurité incendie composé uniquement de pompiers permanents.

[21]           C’est, du reste, la compréhension qu’a le directeur du Service de sécurité incendie de la Ville, M. Dany Cloutier, des obligations de cette dernière :

[…]

 Ici, Monsieur Cloutier, le bâtiment de Bis Remorquage est situé dans quel périmètre?

R. Dans le périmètre urbain.

Q. [703] Parfait. Et le garage Bis ou l’immeuble qui abritait Bis Remorquage, on le classifie dans quel type de risque selon la page 74 ou l’article 12 du schéma de couverture?

R. Il est catégorisé comme étant un risque élevé.

Q. [704] Parfait. Alors, que prévoit à ce moment-là l’acheminement des ressources à l’égard de ce risque-là dans le périmètre urbain proposé?

R. Le schéma prévoit l’acheminement de dix (10) pompiers à l’intérieur de dix minutes (10 min) et l’acheminement de cinq (5) autres pompiers dans les dix prochaines minutes (10 min).

[22]           Plus loin, au cours de son témoignage, M. Cloutier ajoute que : « selon les simulations cartographiques qu’on a des terrains, puis qu’on a fait, les véhicules, on était capable d’assurer dix (10) pompiers à l’intérieur de dix minutes (10 min.) ».

[23]           Cela étant, examinons maintenant les faits et les conclusions que le juge tire de ceux-ci.

Les faits et le jugement

[24]           À l’instar du juge de première instance, je crois suffisant de m’en remettre à la chronologie qui se retrouve dans le rapport d’incendie préparé par le capitaine Sylvain Moreau qui a dirigé les opérations sur le terrain dans les premiers moments qui ont suivi l’alerte transmise au service de sécurité incendie de la Ville[6] :

  • 00 h 04, appel d’un citoyen au 911;
  • 00 h 06, alerte transmise au service d’incendie;
  • 00 h 08, le sergent Mongrain, policier pompier arrive sur les lieux alors qu’il agit comme policier dans une auto-patrouille;
  • 00 h 09, arrivée de l’autopompe 211 avec l’opérateur;
  • 00 h 16, arrivé sur les lieux du camion autopompe 321 de la caserne 2, l’officier Beaumier est en charge accompagné de quatre pompiers;
  • 00 h 18, arrivé du camion pompe échelle 431 de la caserne 3 avec le capitaine Moreau en charge à titre d’officier supérieur. Il est accompagné de quatre autres pompiers, deux pompiers sur la lance de deux pouces et demi et deux pompiers dans la nacelle;
  • 00 h 25, une deuxième alarme est transmise;
  • 00 h 39, le capitaine Moreau transmet une troisième alarme;
  • 00 h 45, arrivée de l’équipe 221, comprenant cinq pompiers, sur la rue St-Denis;
  • 00 h 51, arrivé du véhicule 331 avec cinq pompiers;
  • 01 h 10, arrivée de l’unité d’air 1621 – comprend un seul homme;
  • 01 h 42, arrivé d’un homme du poste de ravitaillement 1431.

[25]           Il ressort de cette chronologie qu’il n’y avait que six pompiers sur les lieux à 00 h 16, soit 10 minutes après la transmission de l’alerte : l’opérateur de l’autopompe 211 et l’officier Dany Beaumier accompagné de quatre pompiers provenant de la caserne 2.

[26]           Quelle conclusion le juge de première instance a-t-il tirée de cette situation? Que la Ville n’a pas respecté ses engagements en ne déployant pas 10 pompiers sur les lieux dans un délai de 10 minutes à compter du moment où l’alerte a été transmise. Voici comment le juge s’exprime à ce sujet tout en procédant à réconcilier les contradictions et carences de la preuve[7] :

[35] De la preuve, le Tribunal retient donc qu’à 00h16, 10 minutes après que l’alerte a été transmise au service d’incendie, il n’y avait que six pompiers sur les lieux. Le Schéma de couverture de risques de la Ville n’a en conséquence pas été respecté.

[36] En outre, à la page 4 du rapport d’incendie (051-2003), il est mentionné que l’autopompe est arrivée à 00h09 avec un seul homme. Ce qui est corroboré par la preuve testimoniale qui révèle qu’un seul homme suffisait aux opérations de l’autopompe 211 qui servait à alimenter en eau le camion-citerne 321, à partir d’une borne fontaine.

[37] Ainsi, le Tribunal n’accorde pas de poids au rapport de l’expert Routley lorsqu’il mentionne en page 5 que l’autopompe 211 de la caserne 1 est arrivée avec quatre policiers pompiers. La neutralité de l’expert Routley est sérieusement affectée par sa prise de position évidente en faveur de la Ville. Il n’explique pas non plus que ces policiers pompiers agissaient à titre de pompiers en attaquant le feu.

[38] La Ville plaide que deux autos-patrouilles, comprenant chacun deux pompiers policiers, étaient sur les lieux dans les dix minutes suivant la transmission de l’alerte en plus du sergent Mongrain.

[39] Aucune preuve crédible n’a cependant été offerte pour démontrer que les quatre pompiers policiers étaient présents à 00h16, à titre de pompiers et qu’ils ont attaqué l’incendie. Quant au sergent Mongrain, l’expert Routley précise clairement dans son rapport qu’il agissait comme policier au moment de son arrivée sur les lieux.

[40] Par ailleurs, le rapport d’incendie 051-2003 laisse perplexe quant à l’heure exacte d’arrivée de la force de frappe. Celle-ci a été laissée en blanc audit rapport, alors qu’elle devait normalement être indiquée à la ligne D-4 de la section « D. Chronologie de l’intervention ».

[41] En conséquence, le Tribunal conclut que le Schéma de couverture de risques de la Ville n’a pas été respecté par manque d’effectifs au cours des dix premières minutes sur les lieux de l’incendie concerné. La Ville ne bénéficie donc pas de l’exonération de responsabilité pour les préjudices pouvant résulter de l’intervention de son service de sécurité incendie lors de l’incendie du bâtiment de Déneigement FL du 22 juin 2012. Il n’y a alors pas nécessité de prouver sa faute intentionnelle ou sa faute lourde pour retenir sa responsabilité : une simple faute suffit.

[Renvois omis]

Les prétentions de la Ville

[27]           La Ville plaide que le juge a erré en concluant qu’elle ne pouvait bénéficier de l’immunité prévue à l’article 47 L.s.i. Elle soutient que le juge a confondu les objectifs de protection optimale prévus dans le schéma avec son obligation d’adopter un plan de mise en œuvre de son schéma, ce qu’elle a fait. Or, toujours selon la Ville, ce plan de mise en œuvre, accepté par le ministre de la Sécurité publique, indique que la mobilisation d’une force de frappe de 10 pompiers en 10 minutes n’est pas possible dans le périmètre urbain proposé. Pour atteindre cet objectif, diverses mesures doivent être prises, dont la mise en place d’un système de pompiers permanents et la construction de trois casernes. De plus, pour l’année 2012, le niveau d’atteinte de l’objectif de mobiliser 10 pompiers en 10 minutes était fixé à 65 %. Par conséquent, selon la Ville, les formalités de l’article 47 L.s.i. étaient satisfaites. Elle a instauré un plan de mise en œuvre progressif de son schéma de couverture de risques, ce qui fait en sorte qu’elle aurait dû bénéficier de l’immunité de poursuite.

L’analyse

         l’article 47 L.s.i.

[28]           L’argument de la Ville doit être rejeté. Certes, la formulation employée par le juge n’est pas des plus heureuses. La Ville a raison de plaider que ce dernier confond le schéma de couverture des risques et le plan de mise en œuvre de celui-ci. Cette erreur est toutefois sans conséquence.

[29]           Tout d’abord, ainsi que je l’ai noté, non seulement le directeur du service de sécurité incendie de la Ville affirme que celle-ci devait déployer sur les lieux 10 pompiers dans les 10 minutes suivant l’alerte, mais il assure de plus qu’elle pouvait le faire selon les simulations cartographiques effectuées au préalable.

[30]           Quant à l’argument de la Ville selon lequel son niveau d’atteinte de l’objectif de mobiliser 10 pompiers en 10 minutes n’était en 2012 que de 65 % et qu’il n’était donc pas possible pour elle de s’y confirmer, il y a deux façons d’y répondre.

[31]           La première découle du texte même de la Résolution C-2008-84 du 21 janvier 2008 produit comme pièce DV-6. La note précédée d’un astérisque que l’on trouve au bas du tableau portant sur le « niveau d’atteinte de couverture dans le temps de réponse fixé » et qui réfère au périmètre urbain proposé, lequel inclut le bâtiment de l’intimée FL, prévoit expressément « que dans ce secteur, la ville sera en mesure de réunir dès 2007 un nombre de 10 pompiers en moins de 10 minutes et que l’objectif de 15 pompiers sera atteint à partir de 2011 ».

[32]           En second lieu, même si son niveau d’atteinte de l’objectif de mobiliser 10 pompiers en 10 minutes en 2012 n’était que de 65 %, ceci ne saurait signifier que la Ville était dispensée de déployer 10 pompiers sur les lieux. Ceci signifie seulement qu’elle était en mesure de déployer 6,5 pompiers permanents (7 si on arrondit) et 3,5 policiers pompiers (3 si on arrondit) sur les lieux.

[33]           En résumé, dans la mesure où la preuve permettait au juge de retenir que la force de frappe déployée par la Ville n’était pas de 10 personnes dans les 10 minutes suivant l’alerte, je suis d’avis qu’il s’agit d’une situation où cette dernière n’a pas respecté les mesures prévues dans son plan de mise en œuvre du schéma de couverture de risques.

[34]           Certes, il s’en trouvera pour noter qu’à 00 h 18, le 22 juin 2012, le compte y était, que 11 pompiers étaient sur les lieux 12 minutes après l’alerte donnée et que, dès lors, il est excessif de priver la Ville du bénéfice de l’article 47 L.s.i. pour deux minutes de retard.

[35]           Cette façon de voir les choses heurte malheureusement de plein fouet les orientations du ministère de la Sécurité publique en matière de sécurité incendie, lesquelles se trouvent « à codifier pour le bénéfice des municipalités, les pratiques représentant généralement les règles de l’art dans le domaine »[8]. Or, voici ce qu’on peut y lire sur la notion de point d’embrasement général et du délai d’intervention requis des pompiers lors de l’attaque initiale[9] :

Lorsqu’un objet s’enflamme, il brûle d’abord de la même façon qu’à l’air libre. Cependant, après un court laps de temps, la localisation du feu commence à influencer le développement de l’incendie. La fumée dégagée par l’objet en flammes s’élève au plafond sous forme de gaz chauds; cette couche chauffe le plafond et la partie supérieure des murs de la pièce. La chaleur venant de toutes ces parties chauffées est ensuite transmise aux autres objets de la pièce par rayonnement thermique et peut augmenter la vitesse de combustion de l’objet en flammes et la vitesse de propagation de celles-ci sur sa surface.

À ce stade, le feu peut s’éteindre si l’objet a totalement brulé avant que d’autres ne s’enflamment ou si l’apport d’oxygène est insuffisant pour assurer sa combustion. Sinon, l’échauffement des autres produits combustibles se poursuit jusqu’à ce que ceux-ci atteignent leur température d’inflammation respective. Les flammes se propagent alors soudainement à l’ensemble des matériaux combustibles à l’intérieur du local. La température passe de 500°C (932°F) à 1000°C (1832°F) en une fraction de seconde. Cette extension brutale d’un incendie s’appelle « l’embrasement général » et marque le début de la deuxième phrase représentée à la figure 3.

[…]

Une analyse effectuée aux États-Unis sur près de 500 incendies de bâtiments a permis d’observer que, dans un scénario typique d’incendie, l’embrasement général d’une pièce survient presque toujours dans les dix minutes après l’apparition d’une flamme vive. De même, une résidence unifamiliale devient habituellement totalement en flammes dans un intervalle de cinq à vingt minutes suivant l’embrasement général de l’une des pièces.

Compte tenu de ces éléments, la conclusion à tirer concernant l’intervention des pompiers va de soi : un service de sécurité incendie disposant de très peu de temps pour intervenir afin de limiter les dommages, il doit impérativement viser à arriver sur le lieu de l’incendie avant le point d’embrasement général, soit avant dix minutes, puisque le nombre de pompiers et la quantité d’eau nécessaire pour assurer l’extinction de l’incendie augmentent considérablement après ce délai.

[Je souligne]

[36]           Le ratio de 10 pompiers en 10 minutes n’a donc rien d’arbitraire. Lorsqu’il s’agit de combattre un incendie, chaque seconde compte.

[37]           En bref, le juge n’a pas commis d’erreur en refusant d’exonérer la Ville en vertu de l’article 47 L.s.i.

[38]           Cette première conclusion ne saurait toutefois permettre de régler l’ensemble du litige. Ce n’est pas parce que la Ville ne bénéficie pas de l’immunité prévue à l’article 47 L.s.i. que sa responsabilité doit être retenue. Encore faut-il qu’elle ait commis une faute, ce qui nous ramène au régime général de l’article 1457 C.c.Q.

        la faute

[39]           Au paragraphe 60 de son jugement, le juge assimile à une faute civile le défaut par la Ville d’avoir contrevenu à son schéma de couverture de risques. Voici ce que le juge écrit :

[60] En espèce, nous venons de voir que le Tribunal a retenu la faute de la Ville d’avoir tardé à intervenir en contravention à son Schéma de couverture de risques. Ce qui a fait en sorte qu’elle n’a pu sauver ou conserver en partie le bâtiment et certains biens des demandeurs Déneigement FL et Fernand Lamarre. Il faut donc décider du niveau de la proportionnalité de la faute qui doit lui être attribuée.[10]

[40]           La Ville soutient que le juge a erré en concluant que le non-respect des objectifs de son schéma constitue une faute génératrice de responsabilité civile.

[41]           Elle a raison. Cette erreur du juge, encore une fois, n’est cependant pas déterminante. Quand on examine les paragraphes de son jugement qui précèdent et qui portent sur le travail des pompiers, on comprend que c’est davantage le retard de ceux-ci à intervenir sur le bâtiment de Déneigement FL, à cause d’un manque d’effectifs, qu’il juge fautif[11].

[42]           En d’autres termes, même si le juge a erronément assimilé le non-respect du schéma à une faute, la preuve lui permettait, de toute manière, de conclure que les pompiers n’ont posé aucun geste pour combattre et maîtriser l’incendie faisant rage chez FL avant 00 h 45, et ce, en raison du manque d’effectifs sur place. C’est ce qui ressort de l’interrogatoire du capitaine aux opérations, M. Sylvain Moreau, qui est arrivé sur les lieux à 00 h 18 :

R. F.L. a été attaqué? Combattu?

Q. [280] Combattu.

R. Bien, il a été combattu, là… l’incendie a été combattu à partir de minuit… environ, là, minuit quarante-cinq (00h45) lorsque les pompiers de la caserne 2 sont arrivés sur places.

[…]

Q. [287] O.K. Vous, vous me dites : « J’arrive à minuit vingt-cinq (00 h 25). »

R. Oui.

Q. [288] « … puis le feu, je le vois dans l’entre-toit par une ouverture. »?

R. Oui.

Q. [289] J’avais compris que vous l’aviez attaqué immédiatement?

R. Non.

Q. [290] O.K. Pourquoi?

R. Ça me prend des effectifs.

Q. [291] O.K. Mais vous aviez vos trois (3) camions?

R. Oui.

Q. [292] O.K. Alors, vos trois (3) camions… C’est parce que j’avais compris que vous l’aviez attaqué dès midi…

R. Non. Dès minuit et vingt-cinq (00 h 25)?

Q. [293] Oui.

R.  Non.

[43]           Sur le tout, je retiens donc qu’il était raisonnable pour le juge de conclure que si la force de frappe avait été plus importante et plus rapide, le bâtiment de Déneigement F.L. aurait pu être sauvé en partie. De là, la responsabilité de la Ville qu’il établit à 25 % et à propos de laquelle il n’y a pas lieu d’intervenir en l’absence d’une erreur manifeste et déterminante.

[44]           Pour ces motifs, je suggère de rejeter l’appel avec les frais de justice.

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.


 

 

MOTIFS DE LA JUGE THIBAULT

 

 

[45]           En dépit des erreurs commises par le juge de première instance, je suis d’avis, comme le juge Bouchard, que sa conclusion de retenir la responsabilité de la Ville à hauteur de 25 % des dommages subis par FL à la suite d’un incendie survenu le 22 juin 2012 (causant la perte totale de son immeuble) est bien fondée. Conséquemment, je propose de rejeter l’appel, avec les frais de justice.

[46]           Le pourvoi ne concerne pas comme telle l’interprétation de la Loi sur la sécurité incendie[12]  L.s.i. »), mais il nécessite plutôt l’analyse des Schéma de couverture de risques et Plan de mis en œuvre adoptés par la Ville en application de la L.s.i. D’avis que cette dernière ne s’est pas conformée aux obligations qui figurent dans ces documents, le juge Bouchard conclut que la Ville ne bénéficie pas de l’immunité accordée par l’article 47 L.s.i. À l’inverse, le juge Ruel estime que la Ville doit jouir de cette immunité parce qu’elle a rempli ses engagements.

[47]           Ma lecture des Schéma de couverture de risques et Plan de mis en œuvre pertinents me porte à croire, comme le juge Bouchard, que l’immunité ne s’applique pas dans les circonstances de l’espèce parce que la Ville n’a pas rempli ses engagements. Voici pourquoi.

[48]           Mes collègues ont décrit la genèse de la L.s.i., une loi d’intérêt public dont l’objectif est d’assurer la protection contre les incendies des personnes et des biens (art. 1 L.s.i.). Je fais miennes leurs explications.

[49]           J’aborde immédiatement la seule question pertinente au pourvoi : La Ville a-t-elle respecté les engagements pris dans son Plan de mise en œuvre du Schéma de couverture de risques?

[50]           Rappelons que, sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle, l’article 47 L.s.i. met à l’abri d’une poursuite une municipalité qui adopte un Schéma de couverture de risques (dont la conformité aux orientations déterminées par le ministre de la Sécurité publique est attestée par ce dernier) si elle respecte les engagements pris dans son Plan de mise en œuvre du schéma[13] :

47. Chaque membre d’un service de sécurité incendie ou toute personne dont l’aide a été acceptée expressément ou requise en vertu du paragraphe 7° du deuxième alinéa de l’article 40 est exonéré de toute responsabilité pour le préjudice qui peut résulter de son intervention lors d’un incendie ou lors d’une situation d’urgence ou d’un sinistre pour lequel des mesures de secours obligatoires sont prévues au schéma en vertu de l’article 11, à moins que ce préjudice ne soit dû à sa faute intentionnelle ou à sa faute lourde.

Cette exonération bénéficie à l’autorité qui a établi le service ou qui a demandé son intervention ou son assistance, sauf si elle n’a pas adopté un plan de mise en œuvre du schéma alors qu’elle y était tenue ou si les mesures, qui sont prévues au plan applicable et liées aux actes reprochés, n’ont pas été prises ou réalisées conformément à ce qui a été établi.

47. The members of a fire safety service and the persons whose assistance is expressly accepted or is required under subparagraph 7 of the second paragraph of section 40, are exempt from liability for any damage that may result from their intervention during a fire or during an emergency or disaster situation in respect of which mandatory emergency procedures are set out in the fire safety cover plan pursuant to section 11, unless the damage results from their intentional or gross fault.

 

The exemption applies to the authority having established the service or having requested the person’s intervention or assistance, except if the authority has failed to adopt a plan for the implementation of the fire safety cover plan as required or if the measures or procedures provided for in the applicable implementation plan and relating to the acts in question were not implemented as established.

[51]           Notons au passage le caractère exceptionnel d’une telle mesure qui déroge au droit commun. C’est d’ailleurs ce que déclare le ministre lors des débats du 7 juin 2000 :

(…) (D)ans notre projet de loi, pour ceux qui se livreront à l’exercice (d’élaborer et de mettre en œuvre un schéma), il y a cette récompense qu’ils vont avoir l’immunité. Il faut comprendre que, pour un gouvernement, accorder l’immunité dans notre système de droit, c’est tout à fait exceptionnel.[14]

[52]           Cette disposition exorbitante contenue dans une loi d’intérêt public emporte que, même en cas de faute (sauf une faute lourde ou intentionnelle), une municipalité sera absoute si elle adopte un Schéma de couverture de risques qui décrit les objectifs de protection contre les incendies ainsi que les actions requises pour les atteindre et si elle respecte les engagements pris dans son Plan de mise en œuvre. Parce que cette mesure d’immunité déroge au droit commun (de surcroît dans une loi d’intérêt public), j’estime qu’elle se prête davantage à une interprétation restrictive.

[53]           Pour la description du contexte, je renvoie aux motifs du juge Bouchard. L’appréciation de la preuve par le juge de première instance (à l’égard de laquelle aucune erreur manifeste et déterminante n’a été démontrée) révèle qu’il y avait sur les lieux de l’incendie seulement 6 personnes pour le combattre, et ce, 10 minutes après la première alerte. Le juge Bouchard retient que la Ville a contrevenu à l’engagement pris au chapitre de l’action « force de frappe » laquelle exige la présence de 10 personnes sur les lieux d’un incendie dans les 10 minutes de la première alerte, un engagement en vigueur depuis 2007 selon le Plan de mise en œuvre. Le juge Ruel estime que cet engagement devait être atteint en 2015 seulement et, conséquemment, que la Ville n’a enfreint aucun engagement lors de l’incendie de 2012.

[54]           Une analyse chronologique des documents pertinents est utile.

[55]           Dans sa résolution C-2006-177 du 20 février 2006, la Ville approuve un projet de Schéma de couverture de risques. Conformément à l’obligation faite à l’article 20 L.s.i., elle soumet ce projet au ministre de la Sécurité publique. Ce dernier délivre une attestation de conformité du projet à ses orientations en matière de sécurité incendie le 21 juin 2006.

[56]           Dans sa résolution C-2006-818 du 6 novembre 2006, la Ville adopte un document de 99 pages intitulé : Ville de Trois-Rivières / Schéma de couverture de risques / Novembre 2006 et fixe l’entrée en vigueur du schéma au 11 novembre 2006, date de la publication d'un avis dans l’Hebdo Journal.

[57]           Dans le chapitre 5 de ce Schéma en lien avec l’ORGANISATION ACTUELLE DE LA SÉCURITÉ INCENDIE, la Ville fait état d’une particularité institutionnelle de la composition du personnel de sa Direction des opérations incendies qui compte davantage de policiers-pompiers que de pompiers. Sur un effectif de 229 personnes, on compte 160 policiers-pompiers, 3 pompiers et 66 pompiers à temps partiel.

[58]           Dans le chapitre 6 du Schéma traitant des RESSOURCES MATÉRIELLES, notons la mention selon laquelle « Les casernes actuelles n’offrent pas de contrainte qui puisse nuire au délai d’intervention ».

[59]           Dans le chapitre 12 du Schéma concernant le NOUVEAU DÉPLOIEMENT DES RESSOURCES, la Ville explique qu’une nouvelle procédure de déploiement des ressources sera mise en place dès 2007 pour assurer une force de frappe permettant une intervention efficace, soit au minimum 10 pompiers en 10 minutes :

Dans la première année de la mise en place du nouveau service incendie en 2007, un nouveau mode de déploiement sera mis en place. Ce chapitre explique avec plus de précision la mécanique de cette nouvelle couverture de protection incendie sur le territoire de la ville de Trois-Rivières ainsi que la façon qu’elle a été déterminée.

La nouvelle procédure de déploiement des ressources décrite ci-après vise à rencontrer l’objectif 2 des orientations du ministre de la Sécurité publique, lequel demande aux services de sécurité incendie d’être structurés de manière à viser, dans le cas des risques faibles situés à l’intérieur du périmètre urbain, le déploiement d’une force de frappe permettant une intervention efficace, soit au minimum le déploiement d’un nombre de 10 pompiers affectés à l’incendie du bâtiment (excluant les ressources affectées au transport de l’eau) et une autopompe conforme à la norme ULC dans un temps de réponse de 10 minutes ainsi qu’un apport d’eau équivalent à un débit de 1 500 litres par minute pendant une période minimale de 30 minutes. Pour les secteurs hors d’un réseau d’aqueduc un volume de 15 000 litres d’eau doit aussi accompagner la force de frappe décrite précédemment.

Cette nouvelle procédure de déploiement des ressources correspond également à l’objectif 3, lequel demande, tenant compte de l’ensemble des ressources disponibles, aux services de sécurité incendie de déployer pour les risques plus élevés (moyens, élevés et très élevés), une force de frappe plus importante que celle visant les risques faibles. A noter que la force de frappe déployée pour les risques moyens sera cependant identique à celle des risques faibles compte tenu des efforts que nécessitera la constitution du nouveau service de sécurité incendie.[15]

[Soulignement et caractères gras ajoutés]

[60]           Le Plan de mise en œuvre est présenté en annexe du schéma. Il énumère 44 actions, décrit chaque activité, la situation actuelle, la solution proposée, précise l’échéancier ainsi que les coûts. L’action « force de frappe » pertinente à notre affaire porte le numéro 9. La solution proposée par la Ville, soit la scission de la fonction policier-pompier et la mise en place d’un service de pompiers comporte une échéance, soit en 2007[16] :

Schéma de couverture de risques en incendie

Ville de Trois-Rivières

Action

Activité

Situation actuelle

Solutions proposées

Échéancier

Coûts

9

Force de frappe

Dans le périmètre urbain, la mobilisation de pompiers en 10 minutes n’est pas atteinte.

 

De plus, il est généralement possible de connaître le nombre de policiers-pompiers qui se rendent sur les lieux de l'intervention, mais il est impossible d'assurer le nombre de policiers-pompiers qui pourront répondre à l'appel.

Scission de la fonction policier-pompier et mettre en place un service de pompiers permanents dans le périmètre urbain proposé, un service de sécurité publique à direction unique, scindé en deux directions (opérations policières et opérations incendies). La direction des opérations incendies comporte deux divisions soit la prévention et les opérations. Dans le périmètre urbain, 3 casernes avec permanence d'un chef aux opérations, un officier cadre et 4 pompiers par équipe ainsi que le personnel administratif. Maintenir 5 pompiers permanents en tout temps dans chacune de ces trois casernes. Maintien de 48 pompiers permanents, 12 capitaines ainsi que le personnel cadre de niveau supérieur.

 

Réponse multicaserne par l’abolition des limites territoriales des anciennes municipalités et mobilité du personnel à l'ensemble de la ville de Trois-Rivières telle que décrit au schéma.

2007

5 657 500 $

[Caractères gras ajoutés]

[61]           Dans sa résolution C-2007-201 du 19 février 2007, la Ville adopte une résolution pour demander au ministre de la Sécurité publique la modification du schéma afin de reporter plusieurs échéances des actions de son Plan de mise en œuvre, et ce, conformément à l’article 30.1 L.s.i. Les modifications demandées pour l’action « force de frappe » pertinentes à notre affaire sont les suivantes[17] :

Schéma de couverture de risques en incendie

Ville de Trois-Rivières

Action

Activité

Situation actuelle

Solutions proposées

Échéan

cier

Coûts

Solutions ajustées

Échéan

ciers ajustés

Coûts ajustés

9

Force de frappe

Dans le périmètre urbain, la mobilisation de pompiers en 10 minutes n’est pas atteinte.

 

De plus, il est généralement possible de connaître le nombre de policiers-pompiers qui se rendent sur les lieux de l'intervention, mais il est impossible d'assurer le nombre de policiers-pompiers qui pourront répondre à l'appel.

Scission de la fonction policier-pompier et mettre en place un service de pompiers permanents dans le périmètre urbain proposé, un service de sécurité publique à direction unique, scindé en deux directions (opérations policières et opérations incendies). La direction des opérations incendies comporte deux divisions soit la prévention et les opérations. Dans le périmètre urbain, 3 casernes avec permanence d'un chef aux opérations, un officier cadre et 4 pompiers par équipe ainsi que le personnel administratif. Maintenir 5 pompiers permanents en tout temps dans chacune de ces trois casernes. Maintien de 48 pompiers permanents, 12 capitaines ainsi que le personnel cadre de niveau supérieur.

 

Réponse multicaserne par l’abolition des limites territoriales des anciennes municipalités et mobilité du personnel à l'ensemble de la ville de Trois-Rivières telle que décrit au schéma.

2007

5 657 500 $

Scission de la fonction policier-pompier et mettre en place un service de pompiers permanents dans le périmètre urbain proposé soit 3 casernes avec permanence d’un chef aux opérations, un officier cadre et 4 pompiers par équipe ainsi que le personnel administratif. Maintenir 5 pompiers permanents en tout temps au total. Maintien de 48 pompiers permanents, 12 capitaines ainsi que le personnel cadre de niveau supérieur. La réalisation sera en trois phases soit une caserne en 2007, une en 2011 et une dernière en 2015. Le Service de la sécurité publique à direction unique, scindé en deux directions (opérations policières et opérations incendies). La direction des opérations incendies comporte deux divisions soit la prévention et les opérations.

 

Réponse multicaserne par l'abolition des limites territoriales des anciennes municipalités et mobilité du personnel à l’ensemble de la ville de Trois-Rivières telle que décrit au schéma dès 2007.

2007-2011-2015

5 657 500 $

[Caractères gras ajoutés]

[62]           Le 17 décembre 2007, le sous-ministre associé à la Direction générale de la sécurité civile et de la sécurité incendie demande à la Ville de lui fournir des précisions et des renseignements supplémentaires, notamment sur l’action liée à la « force de frappe ».

[63]           Le 29 janvier 2008, par sa résolution C-2008-84, la Ville transmet au ministre de la Sécurité publique les précisions et commentaires suivants concernant l’action « force de frappe ». Il y a lieu de reproduire en entier l’extrait pertinent en prenant soin de noter certaines particularités : (i) la demande de précision du ministre apparaît dans le texte original en caractères gras; (ii) la mention du contenu du Schéma déjà attesté par le ministre figure dans le texte original en caractères italiques; et (iii) la proposition de modification du schéma proposée par la Ville dans le deuxième tableau est suivie d’un commentaire explicatif. Celui-ci atteste que la demande de modification ne vise pas à réduire la mesure de protection que constitue la « force de frappe » en termes de délai ou de nombre de personnes impliquées, mais uniquement sa composition, soit le nombre de pompiers au lieu des policiers-pompiers qui sera atteint graduellement jusqu’en 2015[18] :

5.  À l’aide d’un tableau, préciser le nombre de pompiers mobilisés à l’alerte initiale pour les risques faibles et moyens, leur répartition ainsi que le # des casernes impliquées et à l’aide du second tableau, préciser en pourcentage, le niveau d’atteinte de la couverture de protection du territoire prévue pour les risques faibles/moyens (actions 8 à 13 au schéma). À noter que le schéma attesté prévoit la mise en place d’un nouveau mode de déploiement des ressources de manière à atteindre progressivement d’ici 2010 la couverture de protection décrite ci-après, soit la mobilisation à l’alerte initiale de notamment :

      10 pompiers (15 pompiers dans le secteur des premiers quartiers) en moins de 10 minutes dès l’année 2007 sur 92,71 % du périmètre urbain proposé (98,25 % en 2009);

      10 pompiers en moins de 10 minutes dès l'année 2007 sur 100 % des noyaux urbains de Pointe-du-Lac et Saint-Louis-de-France;

      10 pompiers entre 15 et 20 minutes dans les autres parties du territoire;

      1 autopompe ou 1 autopompe-citerne conforme et 1 camion-échelle comme véhicules de première intervention, auxquels s’ajoutent 1 camion-citerne dans les secteurs où le réseau d'aqueduc est problématique et 2 camions-citernes dans tes secteurs non desservis par un système d’alimentation en eau.

Nombre de ressources à qui l’alerte initiale sera transmise par secteur

Années

Périmètre urbain (PU) proposé

Premiers

quartiers

Noyau

urbain de

Pointe-du-

Lac

Noyau

urbain de

Saint-Louis-

de-France

Hors du PU et du noyau urbain Secteur est

 

Hors du PU et du noyau urbain Secteur ouest

 

p/p

pp

tp

p/p

pp

p

tp

p/p

pp

tp

p/p

pp

tp

pp

tp

2007

6

52

12

6

52

5

12

5

 

12

5

 

12

5

12

2008

6

52

12

6

52

5

12

5

 

12

5

 

12

5

12

2009

6

52

12

6

52

5

12

5

 

12

5

 

12

5

12

2010

6

52

12

6

52

5

12

5

 

12

5

 

12

5

12

2011

6

52 et/ou 3

12

6

102 et 3

5

12

 

5

12

 

5

12

5

12

2012

6

52 et/ou 3

12

6

102 et 3

5

12

 

5

12

 

5

12

5

12

2013

6

52 et/ou 3

12

6

102 et 3

5

12

 

5

12

 

5

12

5

12

2014

6

52 et/ou 3

12

6

102 et 3

5

12

 

5

12

 

5

12

5

12

2015

 

51, 2 et/ou 3

12

 

151, 2 et/ou 3

5

12

 

5

12

 

5

12

5

12

Casernes#

pp 1-2-3 et tp 4 ou 5

pp 1-2-3

pp 2 et tp 4

pp 3 et tp 5

pp 3 et tp 5

pp 2 et tp 4

P/P : policier/pompier  PP : pompier permanent  TP : pompier temps partiel (une équipe de 12 dont 2 pompiers de garde dans les casernes 4 et 5).

N.B. : Les chiffres apparaissant comme exposant, dans le tableau ci-dessus identifient plus précisément la ou les caserne(s) impliquée(s). À noter que le nombre de pompiers susceptibles de se présenter sur les lieux d’une intervention pourrait être inférieur à celui inscrit dans chacune des deux colonnes p/p et tp du tableau, car parmi ces effectifs, certains d’entre eux pourraient être affectés à d’autres tâches professionnelles et, par conséquent, pourraient ne pas être disponibles pour répondre à une première alarme.

Niveau d’atteinte de la couverture de protection dans le temps de réponse fixé

10 pompiers en moins de 10 minutes dans le PU proposé

15 pompiers en moins de 10 minutes dans les premiers quartiers

10 pompiers en moins de 10 minutes dans les deux noyaux urbains

10 pompiers entre 15 et 20 minutes ailleurs sur le territoire

Années

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Périmètre urbain (PU) proposé*

40 %

40 %

40 %

40 %

65 %

65 %

65 %

65 %

98,25 %

Premiers

quartiers

0 %

0 %

0 %

0 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

Noyau urbain de Pointe-du-Lac

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

Noyau urbain de

Saint-Louis-de-

France

50 %

50 %

50 %

50 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

Hors du PU et des noyaux urbains :

Secteur est Secteur ouest

50 %

50 %

50 %

50 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

*  Exception faite des premiers quartiers, mais fait important à préciser que dans ce secteur, la ville sera en mesure de réunir dès 2007 un nombre de 10 pompiers en moins de 10 minutes et que l’objectif de 15 pompiers sera atteint à partir de 2011.

 

Commentaires : La décision de reporter les échéanciers relatifs à la scission du corps de policiers/pompiers, la construction de casernes et, par conséquent, l'embauche additionnelle des pompiers aura une incidence sur l’échéancier relatif à l’atteinte de la couverture de protection. Selon les changements apportés dans les échéanciers, le SSI sera, dès 2007, en mesure de mobiliser, partout sur l’ensemble du territoire, une force de frappe composée de 10 personnes. Ce n'est toutefois qu'à partir de 2011 que la force de frappe déployée dans tous les secteurs pourra comprendre en tout temps un nombre de 5 pompiers permanents et ce n’est qu’à partir de 2015 que la tâche actuelle des policiers/pompiers lors d’un incendie ne sera plus applicable.

En ce qui concerne les premiers quartiers, c'est à partir de 2011 que le SSI pourra rencontrer son objectif, c’est à dire compter dans ce secteur sur un nombre de 15 pompiers en moins de 10 minutes. D’ici là, les effectifs totaliseront, en première alarme, 10 pompiers.

De 2007 à 2010, les pompiers permanents, au nombre de 5 en service 24/24 heures, seront localisés uniquement à la caserne # 2. À partir de 2011, un nombre de 5 autres pompiers permanents s’ajouteront avec la mise en fonction de la caserne # 3 et en 2015 la dernière caserne qui aura été délocalisée, la caserne # I, pourra accueillir un nombre additionnel de 5 autres pompiers permanents. Pour ce qui est des casernes # 4 et # 5, un nombre de 2 pompiers de garde sont actuellement présents 16/24 heures dans chacune d’elles. Ce taux d’occupation atteindra 24/24 heures en 2008.

Le territoire de la ville de Trois-Rivières est découpé en 65 secteurs-ilôts. Les ressources les plus proches du lieu d’un sinistre sont mobilisées en relation avec le secteur-ilôt. Fait à noter, les pompiers à temps partiel interviennent dorénavant simultanément, en première alerte, dans une partie du périmètre urbain, exception faite des premiers quartiers.

[Caractères gras et italiques dans l’original]

[Soulignements et caractères gras ajoutés dans les commentaires]

[64]           Le 2 octobre 2008, le ministre de la Sécurité publique autorise la demande de modification dans les termes suivants[19] :

Québec, le 2 octobre 2008

Monsieur Yves Lévesque

Maire

Ville de Trois-Rivières

1325, place de l’Hôtel-de-Ville

Case postale 368

Trois-Rivières (Québec)  G9A 5H3

Monsieur le Maire, Yves,

La présente fait suite à votre demande relative à l'autorisation de la modification de votre schéma de couverture de risques, conformément à l’article 30.1. de la Loi sur la sécurité incendie.

L’analyse de cette dernière ainsi que des documents complémentaires transmis le 23 janvier 2008, démontre que la Ville de Trois-Rivières ne peut respecter les échéances prévues à son schéma de couverture de risques puisqu’elle n’est pas en mesure de procéder, aussi rapidement que souhaité, à la création d’un service de sécurité incendie formé uniquement de pompiers et, par conséquent, que des délais étaient inévitables dans la réalisation de plusieurs actions prévues à son plan de mise en œuvre. Pour ces raisons, les échéances relatives aux actions portant les numéros 1 à 9, 11, 14, 16, 19 à 24, 26, 27, 29, 30, 32, 33, 39, 41 et 43 consignées dans le plan de mise en œuvre de son schéma de couverture de risques, pourront être reportées selon les nouvelles échéances proposées. Considérant qu’un tel report n’entraîne aucune modification dans les objectifs de protection publique, j’autorise exceptionnellement le remplacement des échéances initialement prévues pour les actions citées ci-dessus par les nouvelles proposées.

Je vous signale que cette autorisation entre en vigueur en date de la présente, qu’elle s’ajoute à l’attestation de conformité de votre schéma de couverture de risques du 21 juin 2006 et que les modifications nécessaires à ce schéma doivent être adoptées par le conseil de la Ville de Trois-Rivières, sans délai ni formalité.

Je vous encourage à poursuivre vos efforts visant à améliorer la protection des personnes et des biens contre les incendies. Je vous rappelle que le conseiller en sécurité incendie du Ministère demeure disponible pour vous soutenir dans la mise en œuvre de votre schéma.

Veuillez agréer, Monsieur le Maire, mes salutations distinguées.

Le ministre de la Sécurité publique,

Jacques P. Dupuis

[Soulignement et caractères gras ajoutés]

[65]           Il ressort de ces deux derniers documents que la Ville a réalisé qu’elle ne pourrait pas scinder la fonction policier-pompier et mettre en place un service incendie composé uniquement de pompiers dans le périmètre urbain visé dès 2007. Pour cette raison, elle a demandé au ministre de modifier son Schéma de couverture de risques pour lui permettre de continuer à rendre à sa population le service de protection incendie avec des policiers-pompiers, des pompiers à temps plein et des pompiers à temps partiel.

[66]           L’engagement de respecter une « force de frappe » de 10 pompiers dans les 10 minutes de la première alerte a donc été modifiée en un engagement de dépêcher sur les lieux d’un incendie 10 personnes (pompier ou policier-pompier) dans le même délai. C’est ce que la Ville explique de façon expresse dans sa demande de modification et c’est ce que comprend le ministre de la Sécurité publique dans sa lettre d’autorisation. C’est aussi dans ce sens que témoigne de façon formelle M. Dany Cloutier, directeur du Service incendie de la Ville, dont l’extrait pertinent du témoignage est cité au long dans les motifs du juge Bouchard.

[67]           J’estime donc que la Ville ne peut pas bénéficier de l’immunité énoncée à l’article 47 L.s.i. Quant au reste, pour les motifs exprimés par le juge Bouchard, j’estime que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur révisable en concluant à la faute de la Ville lors de son intervention sur les lieux de l’incendie le 22 juin 2012.

[68]           Conséquemment, je propose de rejeter l’appel, avec les frais de justice.

 

 

 

 

FRANCE THIBAULT, J.C.A.


 

 

 

MOTIFS DU JUGE RUEL

 

 

[69]           J’ai lu avec intérêt les motifs de mon collègue, le juge Bouchard. Respectueusement, je diverge d’opinion avec lui sur l’application de l’immunité prévue au deuxième alinéa de l’article 47 de la Loi sur la sécurité incendie L.s.i. »)[20]. À mon avis, l’appelante bénéficie de l’immunité prévue dans cette disposition. Les intimés devaient prouver une faute lourde, ce qu’ils ont fait défaut de faire. L’appel doit donc être accueilli et l’action des intimés prise contre l’appelante, rejetée.

[70]           Comme l’indique mon collègue, la L.s.i. a été adoptée en réaction à l’arrêt Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville de)[21] de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, jugeant que les actes et omissions du service de sécurité incendie relèvent de la sphère opérationnelle des activités de la Ville de Beauport, la Cour suprême retient la responsabilité civile de la Ville pour le défaut d'assurer le déblaiement de bornesfontaines et leur bon fonctionnement lors d’une intervention hivernale.

[71]           Cette décision a créé un effet paralysant important, alors que certaines municipalités ont décidé de ne pas mettre en place des services d’incendies, de peur d’engager leur responsabilité civile[22]. De manière parallèle, les poursuites contre les municipalités en lien avec le combat d’incendies étaient en constante progression[23]. Les conséquences sur la santé et la sécurité publiques de cette situation apparaissaient intolérables, ce qui a requis une intervention législative par l’adoption de la L.s.i.

[72]           De manière simplifiée, la L.s.i. prévoit que les organismes municipaux doivent « établir un schéma de couverture de risques fixant, pour tout leur territoire, des objectifs de protection contre les incendies et les actions requises pour les atteindre »[24] [soulignements ajoutés]. Ils doivent mettre en application ces objectifs et en assurer le suivi[25]. Pour entrer en vigueur, le schéma de couverture des risques adopté par la municipalité doit être attesté par le ministre de la Sécurité publique comme étant conforme à ses orientations en matière de protection des incendies[26].

[73]           Le schéma définit donc des objectifs à atteindre par la municipalité dans l’évaluation des risques et de la lutte contre les incendies. Le deuxième alinéa de l’article 10 de la L.s.i. prévoit que :

Le schéma détermine ensuite, pour chaque catégorie de risques inventoriés ou chaque partie du territoire qui y sont définies, des objectifs de protection optimale contre les incendies qui peuvent être atteints compte tenu des mesures et des ressources disponibles. Il précise également les actions que les municipalités et, s’il y a lieu, l’autorité régionale doivent prendre pour atteindre ces objectifs en intégrant leurs plans de mise en œuvre.

The fire safety cover plan shall determine, for each class of risk listed or each part of the territory defined, optimum fire protection objectives that can be achieved having regard to the measures and resources in place. The fire safety cover plan shall also specify the actions to be taken by the municipalities and, where applicable, the regional authority to achieve the determined objectives on incorporating their implementation plans.

[Soulignements ajoutés]

[74]           C’est donc par les plans de mise en œuvre du schéma de couverture des risques qu’une municipalité édicte des mesures concrètes pour atteindre les objectifs de protection optimale contre les incendies. Dans ces plans de mise en œuvre, la municipalité prévoit notamment les ressources affectées pour atteindre les objectifs, les actions et étapes de réalisation des objectifs, ainsi que leur calendrier, ce qui inclut les mesures de mobilisation et de déploiement et ressources et la formation des effectifs[27].

[75]           En contrepartie du respect de ces obligations, la L.s.i. offre aux municipalités une immunité relative contre la responsabilité civile pour le préjudice qui peut résulter de son intervention lors d’un incendie ou d’une situation d’urgence[28].

[76]           Pour bénéficier de l’exonération, la municipalité doit avoir adopté un « plan de mise en œuvre du schéma » et avoir pris et réalisé les mesures « qui sont prévues au plan applicable et liées aux actes reprochés »[29]. Si l’immunité s’applique, la municipalité est exonérée de responsabilité civile, à moins que le préjudice ne soit dû à sa faute intentionnelle ou à sa faute lourde[30].

[77]           Ce n’est donc pas le respect des objectifs contenus dans le schéma qui permet à une municipalité d’invoquer l’immunité relative. C’est plutôt l’adoption d’un plan de mise en œuvre des objectifs de protection maximale contenus dans le schéma et la réalisation des mesures prévues dans ce plan qui sont donc les éléments déclencheurs de l’application de l’immunité relative[31].

[78]           L’examen de ces dispositions de la L.s.i. me convainc que le législateur a voulu « s'assurer que l'immunité s'applique de façon large aux interventions des services de sécurité incendie »[32]. Le combat contre les incendies constitue une importante composante des responsabilités étatiques de protection de la santé et de la sécurité des personnes et des biens[33]. Opérationnellement, la lutte contre les incendies est une responsabilité municipale[34].

[79]           Les services municipaux d’incendie, les pompiers, pompières et autres intervenants dans la lutte contre les incendies doivent souvent prendre des décisions urgentes et parfois destructrices dans le combat d’incendies[35]. Ces intervenants doivent pouvoir bénéficier de toute la latitude nécessaire pour exercer ces fonctions cruciales, comportant d’ailleurs d’importants dangers pour leur propre santé et sécurité, sans crainte d’être constamment traînés devant les tribunaux pour leurs actions.

[80]           Comme indiqué, l’objectif même de l’adoption de la L.s.i. visait à contrecarrer un effet paralysant lié aux poursuites civiles qui pouvaient être prises en lien avec les opérations des responsables municipaux de la lutte contre les incendies. Dans ce contexte, il y a lieu de donner un plein effet et d’interpréter largement l’immunité prévue à l’article 47 de la L.s.i.[36].

[81]           En l’espèce, il est acquis que, dans le périmètre urbain visé, le Schéma de couverture des risques en incendie de l’appelante prévoyait, pour un risque moyen, d’« [a]cheminer 10 pompiers en 10 minutes à partir de 2 casernes avec une autopompe et un camion-échelle ». Or, selon le juge de première instance, cet objectif n’a pas été satisfait. Il indique que « le Schéma de couverture des risques de la Ville n’a pas été respecté par manque d’effectifs au cours des dix premières minutes sur les lieux de l’incendie concerné » [soulignement ajouté][37]. Par conséquent, il conclut que l’appelante ne peut bénéficier de l’immunité relative prévue à l’article 47 de la L.s.i. Les intimés pouvaient donc invoquer la faute simple.

[82]           Or, j’estime que le juge commet une erreur de droit en confondant le schéma avec le plan de mise en œuvre.

[83]           L’appelante a adopté, annuellement, des Plans de mise en œuvre du Schéma de couverture des risques en incendie. La question était non pas de savoir si l’appelante avait respecté le Schéma, mais plutôt si elle avait pris et réalisé les mesures prévues dans le Plan de mise en œuvre et applicables aux actes reprochés, c’est-à-dire le manque d’effectifs pour combattre l’incendie.

[84]           Il est vrai, comme le souligne mon collègue, que le Schéma de couverture des risques en incendie de l’appelante est assez catégorique quant au niveau de déploiement des ressources pour les risques moyens dans le périmètre urbain en cause, soit de 10 pompiers en 10 minutes. Néanmoins, comme le prévoit le deuxième alinéa de l’article 10 de la L.s.i., le schéma prévoit des objectifs de protection optimale, non pas des obligations inflexibles. Ce sont des objectifs « qui peuvent être atteints compte tenu des mesures et des ressources disponibles ».

[85]           Mon collègue cite la Résolution C-2008-84 du 21 janvier 2008 produite comme pièce DV-6, plus particulièrement une note précédée d’un astérisque que l’on trouve au bas du tableau portant sur le « Niveau d’atteinte de couverture dans le temps de réponse fixé ». Or, sous cette note, se trouve une section « Commentaires » dans laquelle on peut lire que « [l]a décision de reporter les échéanciers relatifs à la scission du corps de policiers /pompiers, la construction de casernes et, par conséquent, l’embauche additionnelle des pompiers aura une incidence sur l’échéancier relatif à l’atteinte de la couverture de protection ».

[86]           On peut donc constater qu’en 2008, l’appelante estimait pouvoir mettre en œuvre l’objectif de protection optimale de 10 intervenants en 10 minutes dans tous les secteurs, sujet cependant à la mise en œuvre de certaines mesures (embauche, construction de casernes) qui se retrouvent dans le Plan de mise en œuvre.

[87]           En l’espèce, l’incendie survient le 22 juin 2012. Le Plan de mise en œuvre du Schéma de couverture des risques pour l’année 2011 énonce une série de mesures visant l’atteinte des objectifs de protection maximale. Un certain nombre de ces mesures sont liées à l’atteinte des objectifs de déploiement des ressources lors d’un incendie. Notamment, le Plan de mise en œuvre prévoit : la construction d’une caserne, l’aménagement d’autres casernes, la dotation de postes et le maintien de programmes de vérification annuelle et d’entretien préventif des véhicules.

[88]           Spécifiquement, l’action 8 du Plan de mise en œuvre pour l’année 2011 énonce dans les solutions proposées de « [c]ouvrir 98.25 % du périmètre urbain proposé avec 10 pompiers en 10 minutes en 2015. Afin d’atteindre cet objectif, des réaménagements, ajouts et changement de vocation des casernes sont nécessaires » [soulignement et caractère gras ajoutés]. En particulier, il est prévu la « [c]onstruction d’une caserne n°1 sur la rue Papineau en 2014 afin d’y accueillir les membres de l’état-major incendie et 5 pompiers permanents en 2015 ».

[89]           La lecture du Plan de mise en œuvre pour l’année 2011 permet de constater l’engagement de l’appelante de prendre une série de mesures en vue d’atteindre les objectifs prévus dans le Schéma de couverture des risques. L’objectif de déploiement de 10 pompiers en 10 minutes était dépendant de l’adoption de certaines mesures spécifiques, dont certaines étaient satisfaites, alors que d’autres n’étaient pas entièrement complétées en 2012 au moment de l’incendie et devaient l’être plus tard selon l’échéancier.

[90]           Aucune preuve n’a été apportée par les intimés quant à la non-réalisation ou au non-respect par l’appelante des mesures prévues dans le Plan de mise en œuvre du Schéma de couverture des risques adoptés par l’appelante. L’ensemble de l’argumentaire des intimés porte sur le non-respect des dispositions du Schéma.

[91]           Par conséquent, l’appelante devait bénéficier de l’immunité relative prévue à l’article 47 de la L.s.i. De leur propre aveu lors de l’audience, les intimés n’ont pas invoqué l’existence d’une faute lourde en lien avec l’intervention de combat de l’incendie par les pompiers de la Ville de Trois-Rivières. Il s’ensuit que leur action devait échouer.

[92]           C’est pourquoi je proposerais d’accueillir l’appel, avec frais de justice.

 

 

 

 

SIMON RUEL, J.C.A.

 


[1]  Royal & Sun Alliance du Canada, société d'assurances c. Ville de Trois-Rivières, 2019 QCCS 3181.

[2]  RLRQ, c. S-3.4.

[3]  [1989] 1 R.C.S. 705.

[4]  Compagnie canadienne d’assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2011 QCCS 1464, paragr. 83-86, confirmé à 2013 QCCA 1107.

[5]  Loi sur la sécurité incendie, supra, note 2, art. 8.

[6]  Royal & Sun Alliance du Canada, société d'assurances c. Ville de Trois-Rivières, supra, note 1, paragr. 34.

[7]  Id., paragr. 35 à 41.

[8]  Ministère de la Sécurité publique, Orientation du ministre de la Sécurité publique en matière de sécurité incendie, Publication du Québec, 2001, p. 9.

[9]  Id., p. 31,32.

[10]  Royal & Sun Alliance du Canada, société d'assurances c. Ville de Trois-Rivières, supra, note 1, paragr. 60.

[11]  Id., paragr. 42 à 57.

[12]  Loi sur la sécurité incendie, RLRQ, c. S-3.4 [L.s.i.].

[13]  L.s.i., supra, note 12.

[14]  Assemblée nationale, Journal des débats, 36e lég., 1re sess., vol. 36 no 83, 7 juin 2000, 11 h 40 (M. Ménard).

[15]  Pièce DV-3, Résolution C-2006-818 du 6 novembre 2006, p. 73-74.

[16]  Id., p. 83.

[17]  Pièce DV-5, Résolution C-2007-201 du 19 février 2007, p. 4-5.

[18]  Pièce DV-6, Résolution C-2008-84 du 21 janvier 2008, p. 2-4.

[19]  Pièce DV-7, Autorisation de modification du ministre de la Sécurité publique, Jacques P. Dupuis, 2 octobre 2008.

[20] Loi sur la sécurité incendie, RLRQ, c. S.-3.4.

[21] Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville de), [1989] 1 R.C.S. 705.

[22] Compagnie canadienne d’assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2011 QCCS 1464, paragr. 86, confirmé par Compagnie canadienne d'assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2013 QCCA 1107.

[23] Compagnie canadienne d’assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2011 QCCS 1464, paragr. 87, confirmé par Compagnie canadienne d'assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2013 QCCA 1107.

[24] Loi sur la sécurité incendie, RLRQ, c. S.-3.4, article 8 alinéa 1.

[25] Compagnie canadienne d’assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2011 QCCS 1464, paragr. 90, confirmé par Compagnie canadienne d'assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2013 QCCA 1107.

[26] Loi sur la sécurité incendie, RLRQ, c. S.-3.4, articles 8, 21-24, 31; Compagnie canadienne d’assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2011 QCCS 1464, paragr. 99-102, 109, confirmé par Compagnie canadienne d'assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2013 QCCA 1107.

[27] Loi sur la sécurité incendie, RLRQ, c. S.-3.4, article 16.

[28] Loi sur la sécurité incendie, RLRQ, c. S.-3.4, article 47, alinéa 1.

[29] Loi sur la sécurité incendie, RLRQ, c. S.-3.4, article 47, alinéa 2.

[30] Loi sur la sécurité incendie, RLRQ, c. S.-3.4, article 47, alinéa 1.

[31] Laviolette c. Municipalité de St-Alphonse de Caplan, 2021 QCCS 3768, paragr. 39; Marc Lemaire, « Responsabilité municipale », dans Stéphane Beaulac et Jean-François Gaudreault-DesBiens (dir.), JurisClasseur Québec, coll. « Droit public », vol. « Droit municipal », fasc. 22, Montréal, LexisNexis, à jour au 15 janvier 2022, I. Règles particulières, D. Pompiers.

[32] Compagnie canadienne d’assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2011 QCCS 1464, paragr. 95, confirmé par Compagnie canadienne d'assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2013 QCCA 1107.

[33] Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228, p. 1239.

[34] Loi sur la sécurité incendie, RLRQ, c. S.-3.4, art. 8 et s., voir plus particulièrement l’art. 36 al. 1; Poirier c. Ste-Clotilde-de-Horton (Municipalité de), 2014 QCCS 4537, paragr. 37; Compagnie canadienne d’assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2011 QCCS 1464, paragr. 29, confirmé par Compagnie canadienne d'assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2013 QCCA 1107.

[35] Montréal (Ville de) c. Chubb du Canada, compagnie d'assurances, 2008 QCCA 2406, paragr. 30.

[36] Compagnie canadienne d'assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2011 QCCS 1464, paragr. 95, confirmé par Compagnie canadienne d'assurances générales Lombard c. St-Jérôme (Ville de), 2013 QCCA 1107.

[37] Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances c. Ville de Trois-Rivières, 2019 QCCS 3181, paragr. 41.

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