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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 8 octobre 2003, Marie-Andrée Dufour (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou révocation à l’encontre d’une décision rendue le 11 août 2003 par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Cette décision de la Commission des lésions professionnelles déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle à compter du 5 octobre 2001 en relation avec le diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral.
[3] À l’audience tenue à Chicoutimi le 4 décembre 2003, la travailleuse était présente et représentée par monsieur Jean-Jacques Angers. L’employeur était présent et représenté par monsieur Jocelyn Villeneuve.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de révoquer la décision qu’elle a rendue le 11 août 2003 en invoquant l’alinéa 2 de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) au motif qu’elle n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre pleinement lors de l’audience tenue le 29 juillet 2003.
[5] La travailleuse invoque son état de confusion causé par une consommation excessive de médicaments au moment de l’audience du 29 juillet 2003. La requête de la travailleuse comporte les allégués suivants :
«5- Lors de son témoignage, la requérante fit montre d’incohérence et de confusion dans ses propos et dans l’élaboration des faits qu’elle rapportait;
6- Cette incohérence fut telle que le jugement précité en fait amplement état et qu’elle fut déterminante dans le processus d’adjudication sur l’affaire;
7- Postérieurement à la décision, le représentant de la requérante fut informé du fait qu’au moment de son témoignage devant la Commission, la requérante était sous l’effet de puissants médicaments qui la rendaient tout-à-fait incapable de témoigner;
8- En début d’année 2003, la requérant avait été victime d’une importante attaque bactérielle qui avait nécessité son hospitalisation pour une très longue période et au cours de laquelle sa vie avait été en danger;
9- Suite à cette hospitalisation, une importante et puissante médication avait été prescrite à la requérante sur une longue période;
10- Cette médication affectait ne partie la lucidité de la requérante et provoquait des problèmes dans ses facultés de raisonnement qui devenait confus, décousu et non cohérent;
11- Le représentant de la requérante, bien que conscient de cette incohérence, ne pouvait en conscientiser l’importance ni la cause jusqu’à ce qu’on l’informe de la quantité, du dosage et des effets des médicaments consommés par la requérante;
12- La médication de la requérante comprenait alors la Sertraline, la Codéine, le Gravol, l’Oxazepan et le Bezalip dont la combinaison et les effets secondaires ne pouvaient qu’amener de la confusion chez la requérante;
13- Ladite requérante n’était pas non plus consciente de son état et de son incapacité à rende témoignage;
...
15- De plus, il relève de l’évidence que l’ingestion et les effets de cette médication ont fait en sorte que la requérante n’a pu être correctement entendue;» (Sic)
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations d’employeurs de même que le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis, conformément à l’article 429.56, alinéa 2 de la loi, que la travailleuse n’a pu, pour des raisons suffisantes, se faire entendre lors de l’audience tenue devant la première commissaire le 29 juillet 2003.
[7] En effet, les membres sont d’avis que la preuve prépondérante permet d’établir que lors de son témoignage du 29 juillet 2003, la travailleuse avait consommé une grande quantité de médicaments qui l’ont rendue confuse créant ainsi une incapacité à rendre un témoignage cohérent en toute connaissance de cause. Le témoignage de la travailleuse, de même que du propriétaire de l’entreprise, monsieur Jocelyn Villeneuve, et une lettre du pharmacien de la travailleuse, permettent de confirmer que la travailleuse était dans un tel état de confusion lors de l’audience initiale qu’elle n’a pu rendre un témoignage éclairé. D’ailleurs, la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 11 août 2003 rapporte que le témoignage de la travailleuse apparaissait également confus. L’ensemble de ces éléments permettent d’accueillir la requête et de déclarer que celle-ci doit être révoquée afin qu’une nouvelle audience soit tenue sur la contestation de la travailleuse déposée le 29 janvier 2003 devant une nouvelle formation.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[8] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a démontré un motif donnant ouverture à la révocation demandée concernant la décision rendue le 11 août 2003.
[9] Le tribunal est d’avis, après analyse, que la requête de la travailleuse est bien fondée. Celle-ci a démontré qu’elle a rendu témoignage dans un état de confusion significatif lors de l’audience tenue le 29 juillet 2003 entachant ainsi la validité de son témoignage. La travailleuse n’a pu ainsi, se faire entendre pleinement lors de l’audience visant à faire reconnaître l’existence d’une lésion professionnelle.
[10] L’article 429.49 de la loi établit qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et que toute personne visée doit s’y conformer sans délai :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[11] Par ailleurs, l’article 429.56 de la loi permet la révision ou la révocation d’une décision dans les cas qui y sont expressément prévus :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[12] Le recours en révision ou révocation n’est donc possible que dans les circonstances prévues à l’article 429.56 de la loi et il est évidemment clair que cette requête ne peut servir de prétexte à une partie pour loger un nouvel appel de façon déguisée de la décision attaquée. Au surplus, la révision ne permet pas au présent tribunal de substituer son interprétation de la loi ou son appréciation des faits et de la preuve à celle du premier commissaire à moins de découvrir une erreur manifeste et déterminante sur l’objet de la contestation.
[13] Au surplus, une partie peut demander la révision ou la révocation d’une décision lorsqu’elle n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre. Dans le présent dossier, le travailleur soulève précisément qu’une consommation excessive de médicaments a affecté sa capacité à témoigner lors de l’audience.
[14] Dans le présent dossier, le témoignage de la travailleuse permet d’établir que cette dernière consommait une grande quantité de médicaments suite à une intervention chirurgicale subie au mois de septembre 2002. À la suite de cette intervention chirurgicale, la travailleuse fut terrassée par une bactérie nécessitant son hospitalisation et le recours à la morphine jusqu’au mois de décembre de l’année 2002. Par la suite, la travailleuse a consommé une grande quantité de médicaments en raison des douleurs qu’elle présentait et en raison de sa condition psychologique fragile. La travailleuse se voyait alors prescrire des anxiolytiques, des antidépresseurs, un antiémétique ainsi que des analgésiques. La travailleuse a témoigné à l’effet qu’elle a consommé ces médicaments tout au long de l’année 2003 et ce, au moins jusqu’au mois d’août cette même année.
[15] La travailleuse a également soumis en preuve qu’elle obtenait d’une voisine des comprimés de morphine dont elle se servait pour soulager ses douleurs.
[16] La travailleuse explique qu’elle n’a pas véritablement de souvenir du contenu de son témoignage rendu lors de l’audience tenue le 29 juillet 2003. Elle se souvient d’avoir été présente à l’audience mais ne se souvient pas du contenu des réponses. La travailleuse ajoute qu’elle ne comprend pas véritablement le sens des réponses qu’elle a donné devant le tribunal et notées dans la décision, puisque celles-ci sont manifestement en contradiction avec les documents figurant au dossier. Elle se souvient d’avoir été très confuse à cette époque et que ses souvenirs sont désormais noyés par la médication consommée à cette même période.
[17] La travailleuse a remis en preuve un document dressé par son pharmacien, monsieur Martin Girard, daté du 3 décembre 2003. Celui-ci confirmait qu’un individu qui consomme les médicaments prescrits à la travailleuse peut manifester de la confusion dans ses idées et son langage. Le pharmacien écrivait :
«Le 3 décembre 2003-12-09
A qui de droit, voici l’analyse du dossier médicamenteux de madame Marie-Andrée Dufour, qui m’a demandé elle même ce document.
D’abord j’aimerais mentionner que mon exposé sera succint car je ne vois pas l’utilité ici d’un cours de chimie pharmaceutique. J’irai donc directement au vif du sujet. Je tiens aussi à préciser que j’ai eu peu de temps pour effectuer cette analyse.
Si l’on regarde les médicaments utilisés par la patiente pour la période précédant la fin juillet, la patiente pouvait avoir en sa possession les produits suivants :
OXAZEPAM 15 mg (SERAX) Anxiolytique
SERTRALINE 100 mg (SOLOFT) Antidépresseur
CLONAZEPAM 2 mg (RIVOTRIL) Anxiolytique
DIMENHYDRINATE 50 mg (GRAVOL) Antiémétique
CODEINE 30 mg acet. 325 mg (EMTEC) Analgesique
Narcotique
Si on observe attentivement la monographie canadienne de chaque produit, on peut y retrouver dans tous les cas la somnolence parmi les effet secondaires du médicament.
Quand on parle d’un effet de somnolence en pharmacologie, on fait référence à toutes les manifestations de la simple altération de l’état de conscience (distraction par exemple) à l’état comateux.
Il faut savoir que la consommation simultanée de plusieurs médicaments qui amènent la somnolence peut entraîner un effet synergique où l’effet sédatif pourra être supérieur aux effets sédatifs additionnés.
On peut donc avancer qu’il et possible pour quelqu’un qui consomme ces produits de manifester de la confusion dans ses idées et son langage.» (Nos soulignements)
[18] Le tribunal a également entendu le témoignage du propriétaire de l’entreprise Traitements Villeneuve inc. pour laquelle la travailleuse avait exercé ses fonctions. Monsieur Jocelyn Villeneuve a expliqué qu’il a assisté à l’audience tenue devant le tribunal le 29 juillet 2003. Il se souvient avoir été très étonné par le contenu des propos de la travailleuse qui lui apparaissaient confus, incohérents et nettement en opposition avec ce qu’il connaissait des comportements antérieurs de la travailleuse.
[19] Monsieur Villeneuve explique que, lors de son témoignage, la travailleuse parlait beaucoup, disait une chose et son contraire et semblait plutôt confondue par les questions qui lui étaient posées en rapport avec l’exercice de son travail. Monsieur Villeneuve a également déclaré qu’en entendant son témoignage, il s’est posé la question à savoir pourquoi il avait engagé une telle personne si elle pouvait maintenant rendre un témoignage dans un tel état. Monsieur Villeneuve ne reconnaissait pas la travailleuse dans ses paroles et dans ses comportements. Enfin, il constate que le témoignage rendu par la travailleuse lors de la présente audience en révision lui apparaissait davantage conforme à la nature de la travailleuse, plus calme et plus sereine.
[20] Le tribunal est d’avis qu’il est possible de confirmer l’état de confusion de la travailleuse dans les propos mêmes de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 11 août 2003 qui fait référence au témoignage de la travailleuse en le qualifiant de " confus ".
[21] Il apparaît évident que, si une telle situation avait été connue et dénoncée au tribunal lors de l’audience tenue le 29 juillet 2003, l’administration du dossier aurait été certainement différente. En l’absence d’information sur la nature de la consommation des médicaments par la travailleuse, il était difficile pour la première commissaire de déterminer l’origine de sa confusion.
[22] Le tribunal, lors de l’audience sur la requête en révocation, a obtenu pour sa part une preuve permettant d’établir de façon plus que probable que la travailleuse était affectée lors de son témoignage rendu le 29 juillet 2003 d’un état de confusion causé par une consommation excessive d’anxiolytiques, d’antidépresseurs, de narcotiques et de morphine.
[23] Il apparaît juste dans les circonstances de révoquer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 11 août 2003 et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant une nouvelle formation en rapport avec la contestation déposée par la travailleuse le 29 janvier 2003 à l’encontre d’une décision rendue le 16 décembre 2002 par la CSST à la suite d’une révision administrative, en rapport avec la reconnaissance d’une lésion professionnelle.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révocation déposée par la travailleuse le 8 octobre 2003 à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 11 août 2003;
RÉVOQUE la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 11 août 2003;
RETOURNE le dossier au greffe de la Commission des lésions professionnelles afin que les parties soient convoquées à une audience devant une nouvelle formation portant sur la contestation déposée par la travailleuse le 29 janvier 2003 à l’encontre de la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 16 décembre 2002 à la suite d’une révision administrative;
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MeJEAN-LUC RIVARD |
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Commissaire |
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JEAN-JACQUES ANGERS |
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Représentant de la partie requérante |
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AVIS :
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