Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Norris et L. Simard Transport ltée

2015 QCCLP 1235

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

3 mars 2015

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

535878-64-1403

 

Dossier CSST :

140694530

 

Commissaire :

Bernard Lemay, juge administratif

 

Membres :

Jean-Benoît Marcotte, associations d’employeurs

 

Dominic Presseault, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

James Norris

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

L. Simard Transport ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]          Le 20 août 2014, L. Simard Transport ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou révocation d’une décision rendue par celle-ci le 30 juillet 2014.

[2]          Par sa décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la contestation de monsieur James Norris (le travailleur), infirme la décision rendue le 4 mars 2014 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative, et déclare que l’assignation temporaire d’un travail proposée par l’employeur et autorisée par le médecin qui a charge ne satisfait pas les critères prévus par la « Loi sur les accidents du travail et les maladies du travail » [sic].

[3]          Le travailleur est présent et représenté à l’audience qui s’est tenue à Saint-Jérôme le 26 février 2015. L’employeur y est représenté. L’affaire a été mise en délibéré à cette date.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]          L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser sa décision du 30 juillet 2014 et de déclarer que l’assignation temporaire proposée au travailleur dans le cadre de sa lésion professionnelle du 18 février 2013 est conforme à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

REMARQUES PRÉLIMINAIRES

[5]          Dans sa décision du 30 juillet 2014, la Commission des lésions professionnelles se prononce également sur deux contestations faites par l’employeur dans le cadre des dossiers 512418-71-1305 et 535678-64-1403. Elle les rejette et déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle (sans toutefois préciser la date qui est celle du 18 février 2013), et ce, sous des diagnostics de tendinite de la coiffe des rotateurs et de capsulite à l’épaule droite, lésions qui ne sont pas consolidées et nécessitent encore des soins et traitements. La décision ajoute que le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu.

[6]          Cette décision du 30 juillet 2014 dans le cadre des dossiers 512418 et 535678 ne fait l’objet d’aucune demande de révision ou révocation par l’employeur.

L’AVIS DES MEMBRES

[7]          Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête en révision de l’employeur devrait être accueillie. Il estime que l’erreur manifeste et déterminante commise par la décision réside dans le fait que celle-ci omet de discuter de l’argument de l’employeur voulant que le refus du travailleur d’effectuer l’assignation temporaire relève davantage d’une absence de volonté de sa part à la faire plutôt que d’une réelle incapacité.

[8]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis contraire. L’employeur demande plutôt une appréciation différente de la preuve offerte, ce que le recours en révision et révocation ne permet pas. Une lecture de la décision attaquée ne témoigne d’aucune erreur manifeste et déterminante dans l’interprétation de la loi qui permettrait au tribunal siégeant en révision d’intervenir.

 LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[9]          La Commission des lésions professionnelles doit décider en l’instance s’il y a matière à réviser ou révoquer la décision qu’elle a prononcée le 30 juillet 2014.

[10]       Les articles 429.49 et 429.56 de la loi prévoient ce qui suit :

429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[11]        L’article 429.49 de la loi énonce clairement le caractère final, exécutoire et sans appel des décisions de la Commission des lésions professionnelles. Par cet article, le législateur a voulu assurer la stabilité et la sécurité juridique des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles.

[12]        Toutefois, l’article 429.56 de la loi permet la révision ou la révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles.

[13]        L’employeur n’invoque pas en l’espèce la découverte d’un fait nouveau existant lors de l’audition mais qu’il aurait été dans l’impossibilité de fournir et qui serait de nature à modifier la décision rendue. Il ne soulève pas non plus le fait de ne pas avoir été entendu, pour des raisons jugées suffisantes. Il allègue plutôt que la décision est entachée d’erreurs manifestes de fait et de droit équivalant à un vice de fond au sens du 3e paragraphe de l’article 429.56 de la loi.

[14]        À ce sujet, l’orientation depuis plusieurs années de la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles est en ce qu’il doit s’agir d’une erreur de droit ou de fait qui est manifeste et qui a un effet déterminant sur l’objet de la contestation[2].

[15]        Dans l’affaire Bourassa[3], la Cour d’appel du Québec énonce la règle applicable en ces termes :

[21] La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22] Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments(4).

____________

 

(4)                  Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villagi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.

 

 

[16]           Par la suite, la Cour d’appel du Québec, dans les arrêts CSST c. Fontaine[4] et CSST c. Touloumi[5], a réitéré qu’une décision attaquée pour le motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.

[17]           La Cour d’appel du Québec n’en est pas demeurée là. Dans l’arrêt Fontaine[6], elle insiste particulièrement sur la primauté ou l’autorité à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative. Siégeant en révision, la Commission des lésions professionnelles doit donc faire preuve d’une très grande retenue à l’égard de la décision contestée[7].

[18]        Ceci étant dit, qu’en est-il dans le cas sous étude?

[19]        La première juge administrative doit décider si l’assignation temporaire autorisée le 27 janvier 2014 par le médecin ayant charge du travailleur, le docteur F. Trudel, est conforme à la loi.

[20]        La première juge administrative constate que la nature de cette assignation consiste en un travail de bureau impliquant plus spécifiquement des tâches de classement, d’entrée de données en position assise ou debout, selon le choix du travailleur, de répondre au téléphone et de réception « à la fenêtre » (paragraphe 50 de la décision). Cette autorisation est remplie dans un formulaire de la CSST « assignation temporaire d’un travail » (page 114 du dossier).

[21]        La première juge administrative retient que le travailleur conteste cette assignation le 29 janvier 2014, faisant valoir que son médecin ne l’a pas examiné et a insisté pour qu’il fasse des travaux légers même si sa condition était inchangée et que la douleur et les engourdissements persistaient et elle note que le travailleur se dit en attente d’une évaluation d’un ergothérapeute et d’un avis du Bureau d’évaluation médicale (paragraphe 50 de la décision).

[22]        La première juge administrative relève que 5 février 2014, la CSST communique avec le travailleur qui justifie son refus de se présenter à l’assignation temporaire en mentionnant qu’il accuse trop de difficultés et qu’il a fait parvenir une contestation. Le travailleur informe également la CSST qu’il n’y a pas de comité de santé et de sécurité au travail chez l’employeur (paragraphe 51 de la décision).

[23]        Au paragraphe 52 de sa décision, la première juge administrative reproduit les notes évolutives du 12 février 2014 du dossier de la CSST. Dans le cadre d’une communication téléphonique, l’employeur donne à une gestionnaire de la CSST des informations supplémentaires sur la nature des tâches à réaliser par le travailleur dans le cadre de son assignation.

[24]        La première juge administrative constate que le 14 février 2014, la gestionnaire communique avec le travailleur qui lui réitère notamment qu’il a des problèmes de mobilité et qu’il n’est pas en mesure de se servir de sa main droite. Après lui avoir expliqué le but de l’assignation temporaire, la gestionnaire informe le travailleur qu’elle rendra une décision qu’il pourra contester (paragraphe 53 de la décision).

[25]        Finalement, la première juge administrative retient du témoignage rendu par le travailleur que celui affirme n’avoir jamais réalisé de classement ni d’entrée de données à l’ordinateur. Il ajoute que l’employeur ne lui a pas proposé de formation à cet effet. Quant à la réception de marchandises à la fenêtre, il croit qu’il s’agit de transmettre des documents aux personnes qui se présentent. Enfin, à l’égard du classement, il déclare ne pas connaître cette tâche bien qu’il ait vu quelqu’un en faire, qu’il n’a pas eu de formation à cet effet et qu’il ne pourrait classer des documents dans le premier tiroir du haut d’un classeur d’environ cinq pieds (paragraphes 54 et 55 de la décision).

[26]        Procédant par la suite à analyser la question en litige, la première commissaire cite tout d’abord au paragraphe 100 de sa décision la règle de droit qui doit ici la guider, à savoir l’article 179 de la loi qui énonce les conditions applicables à l’assignation temporaire d’un travail.

[27]        Cet article, dans ses grandes lignes et de façon pertinente au débat, prévoit que l’employeur d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, si le médecin qui a charge du travailleur croit que le travailleur est raisonnablement en mesure d’accomplir ce travail, que ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion et que ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur. Si le travailleur est en désaccord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure de contestation prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[8] (la LSST).

[28]        La première juge administrative reproduit également au paragraphe 101 de sa décision les articles 37 à 37.3 de la LSST qui décrivent la procédure de contestation offerte au travailleur pour contester l’avis de son médecin qui a charge autorisant une assignation temporaire d’un travail. Elle commet toutefois une erreur cléricale qui est ici sans conséquence sur le fond du litige, en citant erronément l’article 37 de la loi qui donne droit d’accès à l’employeur au dossier de la CSST relativement à sa classification, sa cotisation et l’imputation des coûts qui lui est faite plutôt que l’article 37 de la LSST qui prévoit le mécanisme de contestation d’une assignation temporaire.

[29]        Au paragraphe 102 de sa décision, la première juge administrative mentionne qu’en l’absence d’un comité de santé et de sécurité en entreprise, le travailleur s’est adressé directement à la CSST pour contester l’assignation temporaire.

[30]        À l’audience portant sur la présente requête, l’employeur confirme l’existence d’un comité de santé et de sécurité dans son entreprise. Il convient toutefois que si erreur il y a ici par la première juge administrative, elle n’est toutefois pas déterminante et il n’en fait donc pas un moyen de révision.

[31]        Au paragraphe 103, la première juge administrative précise que la procédure de contestation de l’assignation temporaire constitue une exception au principe voulant qu’un travailleur ne puisse contester l’opinion de son médecin qui a charge. Il s’agit là d’une affirmation au sujet de laquelle l’employeur n’invoque aucune erreur manifeste et déterminante.

[32]        Aux paragraphes 104, 105 et 106, la première juge administrative rappelle que le médecin qui a charge a autorisé l’assignation temporaire pour des tâches de classement, d’entrée de données pouvant être effectuée debout ou assis, de répondre au téléphone et d’effectuer la réception « à la fenêtre ». Elle relève de la lettre de contestation du travailleur que celui-ci soutient que le docteur Trudel ne l’a pas examiné avant d’autoriser cette assignation temporaire. Elle fait finalement état de l’argumentation du représentant du travailleur voulant que l’une des trois conditions prévues à l’article 179 de la loi n’est pas satisfaite, à savoir que le travailleur ne peut raisonnablement accomplir cette assignation parce qu’il n’est pas un travailleur de bureau, que l’employeur ne lui a pas offert de formation pour faire cette assignation et, plus particulièrement, l’entrée de données. Donc, il n’a pas les compétences nécessaires pour l’accomplir.

[33]        Par la suite, la première juge administrative discute des informations que le docteur Trudel devait posséder avant d’autoriser l’assignation temporaire. Il s’agit là des paragraphes 107 à 113.

[34]        La première juge administrative relève que les seules informations fournies par l'employeur dans le formulaire de la CSST sont une énumération de tâches. Ces informations sont, à son avis, sommaires et imprécises. Pour autoriser de manière éclairée l'assignation temporaire d'un travail, le médecin qui a charge devait disposer d'informations pertinentes relatives aux tâches pour apprécier si l'assignation convenait au travailleur.

[35]        À cet égard, le formulaire dans lequel l'employeur a énuméré les tâches sans plus de précision prévoit une case pour identifier le travail proposé et une case plus grande pour la « Description (positions et mouvements, objets à manipuler, conditions environnantes, horaire de travail) ». Selon ce formulaire, l'employeur doit décrire suffisamment les tâches de l'assignation temporaire de manière à permettre au médecin qui a charge d'émettre son avis sur les conditions exigées par l'article 179 de la loi. Or, l'énumération de tâches sans aucune description, même sommaire, quant aux positions et mouvements, aux objets à manipuler, aux conditions environnantes ainsi qu'à l'horaire de travail ne permettait pas au médecin d'apprécier si l'assignation temporaire d'un travail proposée par l'employeur respecte les critères prévus à l'article 179 de la loi.

[36]        La première juge administrative ajoute qu’il n'appartient pas au médecin qui a charge de s'assurer que le travailleur possède les compétences et les qualifications pour accomplir les tâches prévues durant son assignation temporaire. Il doit néanmoins s'assurer que les conditions de l'article 179 de la loi sont respectées, à savoir que le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir le travail, que ce dernier ne comporte pas de danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique et qu'il favorise sa réadaptation. Pour ce faire, le médecin doit disposer d'un minimum d'informations pertinentes pour apprécier chacune de ces conditions et la capacité du travailleur à accomplir les tâches de l'assignation temporaire, et ce, en tenant compte de sa lésion.

[37]        Quant aux précisions obtenues de l'employeur par la CSST, celles-ci apparaissent à la première juge administrative comme étant insuffisantes puisqu'elles ne décrivent pas les positions et mouvements, ni les objets à manipuler, ni les conditions environnantes, ni l'horaire de travail. De plus, elles ne semblent pas avoir été communiquées au médecin qui a charge, qui est le seul à pouvoir apprécier si les tâches proposées par l'employeur peuvent être autorisées pour une assignation temporaire.

[38]        L’employeur plaide en révision que le raisonnement de la première juge administrative constitue une erreur manifeste et déterminante car elle ajoute à la loi et dénature la portée de l’article 179 de la loi. S’appuyant sur de la jurisprudence[9], il soutient que l’accord du médecin qui a charge n’est soumis à aucun formulaire, ni formalisme particuliers, il suffit que le médecin croit que le travailleur est raisonnablement en mesure d’accomplir l’assignation temporaire. Le formulaire rempli par l’employeur en l’instance fait état d’une certaine description qui s’attarde aux différentes composantes du travail proposé et que le docteur Trudel pouvait très bien comprendre, sans autres précisions. Suivant le raisonnement de la première juge administrative, les exigences contenues dans le formulaire conçu par la CSST obligeraient donc tout employeur qui désire procéder à une assignation temporaire à faire réaliser une étude ergonomique des tâches proposées avant de s’adresser au médecin qui a charge, ce qui aurait pour conséquence d’entraver indûment l’application concrète et pratique de la loi.   

[39]        Sans qu’il soit nécessaire de la qualifier, le tribunal siégeant en révision estime que la première juge administrative fait une interprétation possible et raisonnable du texte de loi de l’article 179 quant à la nature des informations ou renseignements que le médecin qui a charge doit posséder avant d’autoriser une assignation temporaire. Cette interprétation doit prévaloir sur celle que le tribunal siégeant en révision pourrait avoir. L’employeur ne fait pas la preuve d’une erreur manifeste et déterminante dans l’interprétation que le premier commissaire fait de l’article 179 de la loi eu égard aux faits mis en preuve. L’employeur cherche manifestement plutôt à rouvrir le débat devant le tribunal siégeant en révision en lui demandant de substituer sa propre opinion à celle de la première juge administrative, ce que le recours en révision ne permet pas.

[40]        En d’autres termes, les prétentions de l’employeur ne sont sûrement pas sans fondement sur le fond de l’affaire, mais relèvent d’une question d’interprétation de l’article 179 de la loi.

[41]        En effet, d’aucuns pourraient prétendre que l'article 179 ne soumet l'expression de la volonté de l'employeur d'assigner le travailleur à un travail déterminé et celle du consentement du médecin qui a charge à aucun formalisme particulier, en terme de libellé, de document écrit ou de formulaire prescrit, l'important étant que les composantes pertinentes du travail assigné soient connues et que l'accord du médecin traitant ne fasse aucun doute. Exiger en cette matière un formalisme aurait pour conséquence de stériliser l'application concrète et pratique de la loi[10].

[42]        D’autres pourraient soutenir le contraire, du moins, nuancer. En effet, puisque l'avis du médecin qui a charge doit indiquer que le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir le travail que veut lui assigner l'employeur, que ce travail ne comporte pas de danger pour sa santé compte tenu de sa lésion professionnelle et que ce travail favorise sa réadaptation, ceci impliquerait que l'employeur précise au médecin qui a charge du travailleur le travail spécifique qu'il entend lui assigner et lui décrive nécessairement les conditions d'exécution de ce travail[11].    

[43]        La première juge retient donc une interprétation défendable de l’article 179 de la loi dans les circonstances particulières qui lui sont soumises. Le tribunal siégeant en révision n’interviendra pas dans ce choix qui n’a rien d’arbitraire et qui ne constitue pas en soi une erreur manifeste et déterminante en droit. Siégeant en révision, la Commission des lésions professionnelles n’a pas à se demander si elle est d’accord ou non avec la décision rendue car il est toujours possible qu’un autre décideur, saisi de la même question, aurait pu en arriver à des conclusions différentes. Elle n’a pas non plus à substituer sa propre opinion, d’autant que des interprétations différentes pouvaient s’offrir à la première juge administrative. Celle-ci en a choisi une défendable et elle doit prévaloir sur celle que le tribunal siégeant en révision pourrait avancer.

[44]        De toute manière, comme nous le verrons plus loin, la première juge administrative déclare non conforme l’assignation temporaire autorisée non pas parce que le docteur Trudel a donné son autorisation sans avoir pris connaissance des « positions et mouvements, objets à manipuler, conditions environnantes, horaire de travail », mais plutôt parce que le travailleur n’est pas en mesure d’accomplir certaines tâches.

[45]         L’employeur en l’instance soulève également que la première juge administrative devait aller plus loin dans son analyse que celle de simplement questionner ce que le médecin qui a charge avait comme informations à l’époque où il a autorisé l’assignation temporaire. L’employeur plaide ici que la première juge administrative a seulement décidé sur une partie de la preuve documentaire et testimoniale.

[46]        En effet, soutient l’employeur, la première juge administrative ne commente pas d’autres éléments de la preuve qui lui sont favorables, à savoir, tout d’abord, que le travailleur, dans ses communications avec la CSST, n’a jamais fait part, pour justifier son refus, de ses inquiétudes quant au classement de documents dans le premier tiroir d’un classeur de quatre ou cinq tiroirs. Contrairement à la décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative, la première juge administrative passe également sous silence la mention faite par le docteur Thien Vu Mac, dans son avis du 5 février 2014, voulant que le travailleur rapporte être autonome dans ses activités de la vie quotidienne et peut accomplir des tâches ménagères légères en évitant d’utiliser son membre supérieur droit en hauteur, l’employeur faisant valoir que cette affirmation relativise la difficulté appréhendée par le travailleur pour le classement de documents dans le premier tiroir d’un classeur de quatre ou cinq tiroirs. Finalement, la première juge administrative ne discute pas dans sa décision de l’omission du travailleur dans sa lettre de contestation du 29 janvier 2014 d’alléguer le travail de classement comme étant à l’origine de son refus.

[47]        Qu’en est-il de ces allégations qui remettent en question la crédibilité du travailleur concernant son incapacité alléguée de faire du classement dans le premier tiroir du haut d’un classeur de quatre ou cinq tiroirs?

[48]        Après avoir discuté de l’argument soulevé par le travailleur voulant que le docteur Trudel devait l’examiner avant de donner son autorisation à l’assignation temporaire du 27 janvier 2014 (paragraphes 114 à 118 de la décision) et conclu finalement que le défaut du médecin d’avoir procédé à un examen à cette date ne constitue pas un motif en l’espèce pour déclarer cette assignation non conforme (paragraphe 119 de la décision), la première juge déclare retenir le témoignage du travailleur voulant qu’il n’a jamais fait de classement et que cette tâche implique des mouvements au-dessus des épaules pour classer des documents dans le premier tiroir d’un classeur de quatre ou cinq tiroirs et subsidiairement, elle retient aussi que le travailleur qui occupe un emploi de camionneur ne possède pas les connaissances en informatique nécessaires pour effectuer l’entrée de données, preuve qui n’a d’ailleurs pas été contredite par l’employeur (paragraphes 119 et 120 de la décision).

[49]        Il est vrai que la décision attaquée du 30 juillet 2014 ne commente pas expressément la crédibilité des allégations faites par le travailleur concernant le travail de classement dans le premier tiroir d’un classeur de quatre ou cinq tiroirs. En admettant qu’il y ait ici une erreur manifeste commise par la première juge administrative d’avoir omis de motiver sur la crédibilité du travailleur quant au travail de classement, cette erreur serait sans conséquence et n’est pas déterminante dans la mesure où la première juge administrative retient que le travailleur ne possède également pas de connaissances techniques suffisantes pour effectuer l’entrée de données, ajoutant au paragraphe 123 de sa décision que l’employeur doit s’assurer que le travailleur possède une certaine base de qualification pour accomplir une assignation temporaire.

[50]        L’employeur ne fait donc pas la démonstration d’un vice de fond de nature à invalider la décision rendue le 30 juillet 2014.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision et révocation de l’employeur, L. Simard Transport ltée.

 

 

__________________________________

 

Bernard Lemay

 

 

 

 

Monsieur Marc Caissy

F.A.T.A.

Représentant de la partie requérante

 

 

Monsieur Gérald Corneau

GCO SANTÉ ET SÉCURITÉ INC.

Représentant de la partie intéressée

 

 



[1]          RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.

[3]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[4]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.).

[5]           [2005] C.L.P. 921 (C.A.).

[6]           Précitée, note 4.

[7]          Savoie et Camille Dubois (fermé), C.L.P. 224235-63-0401, 12 janvier 2006, L. Nadeau.

[8]          RLRQ, c. S-2.1.

[9]          Beaudoin et Corbec Division Québec, C.L.P. 289118-31-0605, 15 octobre 2007, S. Sénéchal.

[10]         Brisebois et Volailles Grenville inc., C.L.P. 157910-64-0103, 29 novembre 2002, J.-F. Martel.

[11]         J. M. Asbestos inc. et Marcoux, C.A.L.P. 72559-05-9508, 26 juillet 1996, C. Demers.

AVIS :
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