(TA) Gestion automobile Conrad St-Pierre inc. |
2007 QCCLP 5458 |
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DÉCISION SUR DOSSIER
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[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 6 juillet 2006 et déclare que le coût des prestations, concernant le dossier de monsieur Ronald Dégarie (le travailleur) doit être imputé au dossier de l’employeur.
[3] Par conséquent, la CSST n’applique pas l’article 327, paragraphe 2, de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[4] Une audience devait être tenue le 22 juin 2007 mais l’employeur, représenté par Me Marie-Claude Lavoie, y a renoncé. Cependant, elle a soumis une argumentation écrite ainsi qu’une déclaration assermentée, datée du 19 juin 2007, provenant de monsieur Ronald Dégarie qui explique les tâches qu’il faisait avant et pendant sa lésion professionnelle du 19 juillet 2005, le tout tel qu’il appert de la pièce E-1.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande au tribunal de reconnaître que les frais d’assistance médicale relatifs à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 19 juillet 2005, qui ne l’ont pas rendu incapable d’exercer « son emploi » au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion, doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités, et ce, conformément à l’article 327, paragraphe 2, de la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider si les frais d’assistance médicale reliés à la lésion professionnelle subie par le travailleur, le 19 juillet 2005, doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités, conformément à l’article 327 de la loi, lequel se lit comme suit :
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations:
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
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1985, c. 6, a. 327.
[7] À la lecture de cet article, la question qui se pose est de décider si le travailleur est devenu incapable d’exercer son emploi pendant sa lésion professionnelle du 19 juillet 2005, puisque celle-ci n’a entraîné aucune absence de travail, au-delà de la journée au cours de laquelle s’est manifestée sa lésion professionnelle.
[8] Selon la CSST, le travailleur est devenu incapable d’effectuer son emploi prélésionnel, puisque son médecin qui a charge l’a assigné temporairement à un travail mais en respectant les limitations de poids alors que, selon l’employeur, celui-ci demeurait capable d’exercer son emploi, même si l’une ou quelques-unes de ses tâches furent modifiées en ce qui a trait à la limite de poids que devait soulever le travailleur, occasionnellement, au cours de sa ou ses journées de travail habituelles.
[9] Qu’en est-il en l’espèce?
[10] D’abord, la Commission des lésions professionnelles fait sienne la description des faits apparaissant dans la décision rendue le 30 octobre 2006 par la CSST, à la suite d’une révision administrative, soit les suivants :
[...]
Le dossier a fait l’objet d’une révision basée sur les informations contenues au dossier ainsi que sur les observations recueillies auprès de la représentante de l’employeur.
À ce poste, les principales tâches du travailleur consistent à gérer la vente de pièces au détail en gros (carrossier) et les accessoires. Le travailleur aide les clients à choisir les pièces, renseigne les clients, encaisse les paiements et il répond aux appels téléphoniques afin d’indiquer des prix et d’offrir tout autre renseignement. Le travailleur dot également fournir les pièces aux techniciens, maintenir un système efficace de gestion des stocks : tenir un inventaire équilibré des pièces, commander des pièces, gérer les achats de pièces, les retours des pièces et la prise annuelle de l’inventaire des pièces.
Le 19 juillet 2005, le travailleur s’occupe de la réception des commandes de pièces. En déchirant l’emballage d’une palette, le travailleur ressent une douleur au coude droit. Il déclare immédiatement l’événement à son employeur et il poursuit ses tâches.
Le travailleur ne s’absente pas du travail au-delà de la journée au cours de laquelle s’est manifestée sa lésion.
Le 24 juillet 2005, le travailleur consulte un médecin qui diagnostique une tendinite des fléchisseurs de l’avant-bras droit. Au rapport médical pour la Commission, il inscrit que le travailleur a fait un faux mouvement de son avant-bras droit avec un objet lourd.
Le 3 août 2005, le médecin diagnostique une épitrochléite au coude droit amélioré. Il inscrit au rapport médical que le travailleur peut travailler normalement.
Lors de la visite médicale du 14 septembre 2005, le médecin du travailleur maintient le diagnostic d’épitrochléite au coude droit et il prévoit des travaux légers pour un mois. Il remplit un formulaire d’assignation temporaire où il inscrit que le travailleur ne peut pas soulever de poids, avec son bras droit, de plus de cinq livres. La durée de cette assignation temporaire est jusqu’au 14 octobre 2005.
Ainsi, à partir de cette date, le travailleur poursuit son travail en respectant les recommandations inscrites au formulaire d’assignation temporaire, soit qu’il ne peut plus soulever des poids de plus de cinq livres.
Au rapport médical du 5 octobre 2005, le médecin inscrit que le travailleur doit continuer les travaux légers pour un mois.
Le 11 octobre 2005, l’employeur demande un transfert de coût au motif que le travailleur ne s’est pas absenté du travail suite à l’événement survenu le 19 juillet 2005.
Le 15 novembre 2005, le médecin qui a charge du travailleur émet un rapport médical final consolidant l’épitrochléite au coude droit sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Le médecin prévoit alors un retour aux travaux réguliers.
[11] En ce qui a trait aux motifs justifiant sa décision rendue le 30 octobre 2006, la CSST se prononce comme suit :
La représentante de l’employeur soutient que les tâches effectuées par le travailleur sont essentiellement les mêmes que celles exécutées dans son emploi habituel.
A l’appui de sa demande de révision, la représentante de l’employeur allègue que le travailleur a poursuivi son travail régulier à l’exception de placer des commandes dont les pièces excèdent le poids de cinq livres.
La Révision administrative constate que la demande de transfert d’imputation de l’employeur est faite conformément aux conditions prévues au Règlement sur la nouvelle détermination de la classification, de la cotisation d’un employeur et de l’imputation du coût des prestations (ci-après Règlement). En effet, la Commission peut déterminer à nouveau l’imputation d’un employeur dans les six (6) mois de la décision pour corriger toute erreur. Elle peut également déterminer à nouveau l’imputation d’un employeur, et ce, dans les six (6) mois de sa connaissance ou de celle de l’employeur d’un fait essentiel. La Commission doit le faire au plus tard le 31 décembre de la cinquième année qui suit celle pendant laquelle l’accident est survenu. Ces conditions sont remplies dans le présent dossier.
Les éléments au dossier font état que le travailleur a poursuivi son travail en évitant de placer les commandes pour les pièces dont le poids est de plus de cinq livres.
La Révision administrative estime que l’employeur doit être imputé du coût des prestations, les conditions d’application prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles n’étant pas rencontrées. En effet, malgré que le travailleur ne se soit pas absenté de son travail au-delà de la journée au cours de laquelle s’est manifestée la lésion, il n’en demeure pas moins que les tâches assignées au travailleur ont été suffisamment modifiées pour conclure qu’il n’exécutait pas son emploi habituel. En effet, le travailleur a poursuivi son travail en évitant de placer des pièces dont le poids était supérieur à cinq livres. Étant donné que son travail requiert la manipulation de diverses pièces de différents poids en utilisant son bras droit, la Révision administrative ne peut conclure que le travailleur a poursuivi son travail régulier.
De plus, lorsque la Révision administrative prend connaissance des rapports médicaux retrouvés au dossier, il en ressort que le médecin ayant charge du travailleur n’autorise pas un retour à l’emploi habituel mais à un travail allégé en attendant qu’il redevienne capable d’occuper son emploi. En effet, lors de la visite médicale du 14 septembre 2005, le médecin du travailleur inscrit au rapport médical que le travailleur doit accomplir des travaux légers pour un mois et il complète un formulaire d’assignation temporaire où il inscrit que le travailleur ne doit pas soulever avec son bras droit des poids pesant plus de cinq livres. Par conséquent, la Révision administrative estime que le travailleur a cessé d’exécuter son travail habituel au-delà du jour de l’événement.
[...]
[12] À partir de l’analyse des faits retenus par la révision administrative de la CSST et de ceux allégués par l’employeur dans son argumentation écrite, à laquelle il a joint la déclaration sous serment faite par le travailleur le 19 juin 2007 (E-1), la Commission des lésions professionnelles tient à réitérer et à préciser les faits pertinents suivants :
[13] Tout d’abord, tel que le précise la CSST dans sa décision du 30 octobre 2006, il s’avère que le travailleur a pu poursuivre son travail régulier malgré sa lésion professionnelle survenue le 19 juillet 2005, et ce, jusqu’au 14 septembre 2005.
[14] À cette date où son médecin qui a charge, le docteur Higgins, réitère le diagnostic d’épitrochléite au coude droit mais suggère une assignation temporaire en respectant une limitation de poids, c’est-à-dire que le travailleur ne doit pas soulever, avec son membre supérieur droit, plus de cinq livres, et ce, pendant toute la durée de son assignation temporaire qui se serait terminée le ou vers le 7 novembre 2005. En effet, le docteur E. Higgins précise dans son rapport final du 15 novembre 2005, qui correspond à la date de consolidation de cette lésion, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles, que l’épitrochléite au coude droit du travailleur est guérie. Il ajoute que les traitements de physiothérapie que suivait le travailleur à la fin de son quart de travail habituel sont terminés et qu’il a repris les travaux réguliers depuis le 7 novembre 2005. Les travaux légers prescrits par ce médecin auparavant dans ses rapports médicaux datés des 3 août, 14 septembre et 5 octobre 2005 n’ont donc pas été renouvelés après le 7 novembre 2005.
[15] En somme, le litige est de déterminer si les tâches faites par le travailleur durant son assignation temporaire correspondent toujours à celles habituellement faites lors de son emploi de directeur aux pièces qu’il occupe chez l’employeur, et ce, au sens de l’article 327, paragraphe 2, de la loi.
[16] Avec respect pour la CSST, la Commission des lésions professionnelles conclut positivement à cette question, et ce, en s’appuyant sur la déclaration faite sous serment par le travailleur (E-1), où il précise avoir fait l’entièreté de ses tâches, à l’exception de certaines qui exigeaient la manipulation d’un poids de plus de 5 livres avec son membre supérieur droit.
[17] En effet, le travailleur précise, dans sa déclaration sous serment du 19 juin 2007, qu’il occupe le poste de directeur aux pièces depuis le 6 janvier 2003 et qu’à la suite de son accident du travail du 19 juillet 2005, où il s’est blessé au coude droit, il est demeuré à son poste de travail régulier. Il confirme aussi qu’il n’a pas effectué d’autres tâches non prévues dans la description de ses tâches ci-haut narrées et que, même si son médecin traitant lui a émis une limitation fonctionnelle temporaire (limite de poids à soulever), il a pu poursuivre son travail jusqu’à la consolidation de sa lésion professionnelle, laquelle ne l’a pas empêché d’exercer son emploi au-delà de celle-ci, soit le 19 juillet 2005.
[18] En outre, aucun employé nouveau ou ancien ne l’a remplacé à son poste de travail et il n’y a pas eu d’ajout de personnel pour l’aider dans ses tâches de directeur aux pièces, et ce, depuis le 19 juillet 2005, jusqu’à la consolidation de sa lésion, soit le 15 novembre 2005.
[19] Le travailleur confirme qu’il était le seul employé au département des pièces, qu’il a poursuivi le même horaire de travail, qu’il s’est présenté à ses rendez-vous de physiothérapie, le soir, après son quart de travail et qu’au département des pièces, les commandes sont reçues une fois par semaine, soit le mardi. Or, lorsqu’il s’agissait de manipuler des pièces plus lourdes ne respectant pas sa limitation fonctionnelle temporaire de poids à soulever, il demandait de l’aide à un technicien de l’employeur pour les placer en inventaire. Par contre, toutes les autres tâches relatives à la réception des commandes étaient faites par lui, sans qu’il n’y ait d’aide d’un collègue de travail.
[20] Lorsqu’il est à l’expédition de pièces, qui fait partie de ses tâches régulières, le travailleur devait demander de l’aide pour les pièces plus lourdes qui ne respectaient pas la limite de poids. Il s’agissait principalement des pièces de carrosserie mais il ajoute que l’expédition de telles pièces se fait environ une fois par jour, à une fréquence de deux à quatre jours par semaine. De plus, lorsque les pièces demandées par les techniciens automobiles pour la réparation de véhicules étaient trop lourdes, ces derniers allaient eux-mêmes les chercher directement dans le local où elles sont situées. Le travailleur donne comme exemple une transmission qui doit être manipulée à deux personnes mais cette tâche était déjà exercée par les techniciens, et ce, avant même la survenance de son accident du travail du 19 juillet 2005.
[21] En somme, le travailleur précise, dans sa déclaration assermentée, que l’aide fournie par ses collègues de travail n’affectait pas leur prestation de travail, puisque ceux-ci l’aidaient lorsqu’ils étaient disponibles. De plus, les tâches pour lesquelles il avait besoin d’aide n’étaient jamais urgentes.
[22] La Commission des lésions professionnelles constate, à la lecture de la preuve documentaire, que ces informations n’étaient pas connues par la CSST au moment où elle a rendu ses décisions.
[23] Avec respect pour la CSST, la Commission des lésions professionnelles, en s’inspirant de nombreuses décisions rendues par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (CALP) et de la Commission des lésions professionnelles, sur ce sujet, malgré qu’il y ait aussi deux courants jurisprudentiels concernant l’interprétation du terme « son emploi », le soussigné conclut que le travailleur demeurait capable de faire son emploi régulier, malgré une limite de poids concernant l’une ou quelques-unes des tâches exercées sporadiquement par le travailleur.
[24] La Commission des lésions professionnelles réfère à certaines décisions qui ont analysé cette notion « d’exercer son emploi », soit les suivantes :
[25] D’abord, dans la décision Centre jeunesse de Laval[2], le commissaire Duranceau est d’avis que monsieur Garneau, qui est concerné par sa décision, a continué son emploi régulier, malgré l’aide d’un collègue de travail pour certaines activités physiques. Il se prononce comme suit :
[28] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles et de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) a déjà eu à se prononcer sur des cas semblables d’assignation temporaire à des postes de travail comparables presqu’en tout point à l’emploi régulier ou habituel du travailleur(2).
[29] La preuve au dossier démontre que le travailleur a pu continuer à exercer son emploi habituel d’éducateur. Le seul changement qui a été fait a été de lui assigner un collègue de travail qui pouvait le remplacer si certaines activités physiques venaient à être requises de lui.
[30] La Commission des lésions professionnelles estime que bien qu’on ait parlé d’assignation temporaire pour le travailleur le 21 février 2000, il faut voir que le travailleur, d’après la preuve nettement prépondérante et non contestée, a continué à faire son travail régulier, a continué à être payé sur une base régulière sans recevoir d’indemnité quelconque.
[31] Le travailleur a également continué à travailler selon un horaire régulier et à faire ses tâches habituelles, n’a pas été remplacé par quelqu’un d’autre et n’a pas eu ses tâches modifiées au point d’avoir un emploi différent de son travail habituel.
[32] La Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur n’a jamais cessé d’exercer son emploi régulier d’éducateur tel qu’autorisé d’ailleurs pas son médecin. On a continué à parler d’assignation temporaire alors que dans les faits c’était un retour à un emploi régulier dans la grande majorité de ses tâches sauf de très minimes ajustements de prévention.
[33] En aucun cas le travailleur n’a-t-il eu besoin de cesser de faire son travail habituel d’éducateur. Tout au plus, il était convenu que si jamais une intervention physique était nécessaire auprès de la clientèle, ce serait un autre collègue de travail qui le ferait.
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(2) Cité de la santé de Laval et C.S.S.T., [1996] C.A.L.P. 759 ; Hôpital Laval et Blanchette, [1998] C.A.L.P. 59; Hôtel-Dieu de Lévis et C.S.S.T., C.L.P. 117404-03-9906, 25 mai 2000; Institut de réadaptation en déficience physique, C.L.P. 141452-32-0006, 3 avril 2001; S.T.C.U.M. et C.S.S.T., C.A.L.P 72328-60-9508, 10 janvier 1997; Service de police de la C.U.M., C.L.P. 150928-63-0011, 28 août 2001; Centre hospitalier Notre-Dame de la Merci, 171823-72-0110, 16 juillet 2002.
[26] De plus, le commissaire Duranceau ajoute dans sa décision que l’interprétation faite de l’article 327 de la loi par la CSST, en s’inspirant de ses règles ou encore de sa politique, vient ajouter au texte de la loi. Il répond comme suit :
[34] Dans une cause de Ferteck inc., [2001] C.L.P. 282 , la Commission des lésions professionnelles s’exprimait ainsi :
« Le 2 décembre 1999, la CSST refuse la demande de l’employeur en précisant que, dans les cas d’assignation temporaire au même poste de travail avec tâches modifiées, l’article 327. par. 2 de la Loi, ne s’applique que dans des dossiers de lésions mineures et avec une durée d’affectation relativement courte. » (p. 285)
En vertu de cette disposition, la durée de la période de consolidation de la lésion professionnelle n’a aucune incidence quant à son application. Retenir la durée de la consolidation pour décider d’appliquer l’article 327 par. 2 comme semble l’avoir fait la CSST, a pour effet d’ajouter au texte de la Loi un critère qui ne s’y retrouve pas. (p. 286) (nos soulignés)
La finalité de l’article 327 par. 2 de la Loi est de vérifier qu’un travailleur est capable d’exercer son emploi régulier malgré la lésion professionnelle et qu’il a, dans les faits, poursuivi son emploi régulier pendant la période de consolidation. L’employeur a fait cette preuve. (p. 287) »
[35] La Commission des lésions professionnelles estime que ce raisonnement s’applique intégralement au présent dossier. La CSST a rendu une décision en s’inspirant de règles internes qui n’apparaissent pas à la loi. Le texte de loi ne parle tout simplement pas de lésions mineures et d’assignation temporaire de courte durée comme condition d’application de l’article 227(2) de la loi.
[27] L’employeur soumet deux autres décisions jointes à son argumentation écrite, soit l’affaire Hôpital Sainte-Justine[3], où monsieur La Serra, qui était un préposé à la buanderie, a pu poursuivre son travail mais sans effectuer une rotation régulière comme il le faisait auparavant et en se limitant à faire seulement une des trois tâches dans ses fonctions régulières, soit le pliage. Le commissaire Denis concluait comme suit :
[11] Faisant suite à cet exposé factuel, le tribunal conclut que l’accident du 18 mars 2005 ne rend pas le travailleur incapable d’exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s’est manifestée sa lésion; à cet effet, les tâches s’avèrent certes allégées ou modifiées, mais l’emploi demeure préposé à la buanderie. Le terme « emploi » utilisé par le législateur dans l’article 327.2 de la loi doit revêtir tout son sens puisqu’il ne réfère pas à un poste ou à des tâches, mais bien à l’emploi prélésionnel occupé par le travailleur.
[12] Ce principe s’avère d’ailleurs confirmé par la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles(2):
15. La preuve révèle que la travailleuse, technologue en radiologie, a été victime d’une entorse au poignet droit le 29 juillet 1998 en forçant après un patient. Elle ne s’est pas absentée du travail mais a dû suivre des traitements de physiothérapie. Par ailleurs, elle a continué d’effectuer ses tâches et a respecté son horaire de travail, évitant tout au plus de faire des gestes qui pouvaient requérir l’utilisation de son membre supérieur droit.
[…]
17. L’article 327 , paragraphe 2, de la LATMP s’applique au présent dossier. En effet, la travailleuse a subi une lésion professionnelle qui a nécessité une assistance médicale tout en ne rendant pas la travailleuse incapable d’exercer son emploi. Ce qu’il importe de retenir dans « l’idée de capacité d’exercer son emploi », c’est que cette travailleuse a pu continuer de faire son travail normal, qu’elle a été payée sur une base normale.
[…]
19. Enfin, ce n’est pas parce que l’A.D.R. mentionne qu’il y a eu « assignation temporaire » qu’il faudrait imputer les coûts relatifs à la lésion au dossier de l’employeur alors que la preuve révèle clairement que la travailleuse a pu continuer à faire son travail de technicienne en radiologie de façon normale.
[13] Dans la cause Institut de réadaptation en déficience physique du Québec(3) :
Sur le fond, la Commission des lésions professionnelles considère que la preuve prépondérante au dossier, constituée principalement de la lettre signée par la travailleuse le 28 mars 2000, permet de conclure que cette dernière a toujours continué à effectuer ses tâches régulières à la suite de sa lésion professionnelle, moyennant certaines restrictions imposées par son médecin traitant. D’ailleurs, ce dernier mentionnait spécifiquement dans son attestation médicale initiale émise le 12 novembre 1998 que sa patiente pouvait continuer à travailler, mais sans utiliser son bras gauche. Ces circonstances sont différentes de celles rapportées dans l’affaire Institut de réadaptation en déficience physique du Québec (C.L.P. 141445-32-0006, 2001-02-08, Marie-Andrée Jobidon), puisque les allégations formulées par le procureur de l’employeur dans son argumentation n’étaient pas supportées par la preuve documentaire au dossier. Dans le présent cas, au contraire, il y a tout lieu de conclure que madame Saucier a réalisé l’essentiel de ses tâches, comprenant déjà des activités de formation et de mise au point de protocoles de traitements, sous réserve des prescriptions de son médecin traitant.
La Commission des lésions professionnelles considère qu’un tel réaménagement des tâches exercées par le travailleuse dans le but de respecter les prescriptions du médecin traitant ne dénature pas l’essentiel du travail habituellement exercé par madame Saucier, tel qu’en fait foi l’attestation que cette dernière signait le 28 mars 2000. Il importe de souligner que dans le dossier précité, la travailleuse n’avait signé aucune attestation du genre.
Bref, le tribunal en vient à la conclusion que l’employeur a démontré de façon prépondérante que madame Saucier était capable, pour l’essentiel, d’effectuer ses tâches régulières à la suite de sa lésion professionnelle du 11 novembre 1998, condition d’ouverture à un transfert d’imputation prévue à l’article 327 alinéa (2) de la loi.
[…]
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(2) Hôtel-Dieu de Lévis et Commission de la santé et de la sécurité du travail C.L.P. 117404-3B-9906, 25 mai 2000, R. Jolicoeur.
(3) C.L.P. 141452-32-0006, 3 avril 2001, M.-A Jobidon
[28] Le soussigné réfère aussi à la décision Service de police de la CUM[4], où un policier fut blessé et fut assigné à des travaux légers, où il ne pouvait plus faire de « course » ni effectuer de poursuite en automobile. Seules des tâches de bureau étaient autorisées. Le commissaire Lacroix conclut que, selon la description des tâches d’un policier, celles qui lui ont été assignées durant son assignation temporaire font partie de son travail de policier, ce qui fait en sorte que ce commissaire a appliqué le paragraphe 2 de l’article 327 de la loi.
[29] En somme, le commissaire Denis fait donc une revue de la jurisprudence, dans sa décision(3), en retenant que, si un travailleur effectue son travail normal, malgré certaines restrictions qui ne dénaturent pas l’essentiel de son travail, il est alors considéré capable d’exercer son emploi prélésionnel.
[30] À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles rappelle aussi la décision Programme Emploi-Service[5], où la commissaire Racine concluait dans le même sens en s’exprimant comme suit :
[29] Il ressort des termes de cet article que ce qui donne ouverture à son application n’est pas l’absence d’arrêt du travail ou l’assignation temporaire dès le lendemain de l’événement ou encore la poursuite de la rémunération ou le maintien du titre d’emploi. La seule condition requise est que la travailleuse n’ait pas été rendue incapable d’exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s’est manifestée sa lésion. Il faut donc analyser les faits particuliers de chaque affaire afin de déterminer si cette condition est respectée.
[30] Dans ce dossier, la travailleuse ne cesse pas ses activités de travail. Elle prodigue toujours des soins à la bénéficiaire dont elle assume la responsabilité depuis trois ans. Il semble que ce travail ne soit pas incompatible avec les légères limitations émises par son médecin traitant puisqu’elle est en mesure de le poursuivre sans qu’aucune aide extérieure ne lui soit prodiguée. Par ailleurs, la description du travail léger faite par le docteur Renaud correspond en tout point à la description du travail normal de la travailleuse offerte par l’employeur dans sa lettre de mars 2004
[31] La preuve présentée permet donc à la Commission des lésions professionnelles de conclure que la travailleuse n’a pas été rendue incapable d’exercer son emploi en raison de la lésion professionnelle subie par celle-ci le 9 mars 2004.
[Les soulignés sont du soussigné]
[31] Tel que le précise l’employeur dans son argumentation écrite, il s’avère que l’imputation des coûts repose aussi sur un principe d’équité qui s’applique autant aux décisions concernant la réparation d’une lésion professionnelle que celle visant l’imputation des coûts, et ce, par l’application de l’article 351 de la loi qui se lit comme suit :
351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.
Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.
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1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.
[32] La Commission des lésions professionnelles croit que l’article 327 de la loi s’inscrit dans cette vision du principe d’équité prévu par l’article 351.
[33] Dans le cas qui nous occupe, la déclaration assermentée du travailleur est suffisante pour conclure qu’il a pu poursuivre son travail régulier ou encore qu’il était capable d’exercer son emploi durant toute la durée de sa lésion professionnelle, incluant la période d’assignation temporaire.
[34] En conséquence, le travailleur a démontré que le travailleur était capable d’exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s’est manifestée sa lésion professionnelle, et ce, durant la période du 19 juillet 2005 jusqu’au 7 novembre 2005. En l’occurrence, il y a lieu d’appliquer le paragraphe 2 de l’article 327 de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête produite par (TA) Gestion automobile Conrad St-Pierre inc. (l’employeur);
INFIRME la décision rendue le 30 octobre 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative; et
DÉCLARE que les frais d’assistance médicale reliés à la lésion professionnelle subie par monsieur Ronald Dégarie (le travailleur), le 19 juillet 2005, doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités, selon l’article 327, paragraphe 2, de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).
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Robin Savard |
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Commissaire |
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Me Marie-Claude Lavoie |
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BÉCHARD, MORIN & ASSOCIÉS |
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Représentant de la partie requérante |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.