Gagnon et Terminaux portuaires du Québec inc. |
2007 QCCLP 302 |
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[1] Le 27 mars 2006, monsieur Sylvain Gagnon (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 21 mars 2006 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a initialement rendue le 27 février 2006 et déclare que l’assignation temporaire est valable et que le travailleur est tenu de l’effectuer.
[3] L'audience s'est tenue le 10 mai 2006 à Saguenay en présence du travailleur et de son représentant. Les Terminaux Portuaires du Québec inc. (l'employeur) était représenté.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer inappropriée l’assignation temporaire de conducteur de balayeuse nettoyeuse et celle consistant à comptabiliser de la marchandise.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations des employeurs et des associations syndicales, après avoir été consultés sur les questions en litige, sont d'avis de rejeter la requête en contestation du travailleur au motif qu’ils considèrent que l’assignation temporaire consistant à comptabiliser de la marchandise respecte les critères prévus à l’article 179 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui prévoit :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] Après examen et audition et après avoir reçu l'avis des membres, la Commission des lésions professionnelles rend la décision suivante.
[7] Le tribunal doit décider si les assignations temporaires offertes par l’employeur et confirmées par le médecin traitant, respectent les dispositions prévues à la loi.
[8] Dans la décision Premier Tech Industriel ltée et Carrier[2], la Commission des lésions professionnelles résume les principes généralement reconnus quant à l’interprétation de l’article 179 de la loi :
[34] Une revue de la jurisprudence sur la question permet, malgré quelques divergences, de dégager certains principes quant à l’interprétation à donner à l’article 179 de la loi, et même de rallier certaines positions à première vue opposées. Ainsi, il ressort que l’assignation temporaire a pour objectif premier de favoriser la réadaptation du travailleur3, quoique, dans certaines décisions, on reconnaisse également celui de permettre à l’employeur de limiter les coûts de la lésion professionnelle4.
[35] En outre, il est généralement reconnu qu’un employeur doit préciser au médecin le travail spécifique qu’il entend assigner au travailleur, afin que le médecin puisse se prononcer à savoir si ce travail rencontre les critères énoncés à l’article 179 de la loi5.
[36] Par contre, on n’exige pas toujours que l’avis du médecin soit consigné sur le formulaire administratif prévu par la CSST, ni qu’il soit écrit, ni même qu’il comporte une réponse spécifique à chacune des trois questions reliées aux critères de l’article 1796.
[37] Finalement, une assignation temporaire semble devoir être favorable en regard de la réadaptation médicale mais également sociale et professionnelle du travailleur pour être considérée respecter l’article 179 de la loi7. Par contre, le seul fait qu’une assignation ne plaise pas à un travailleur n’est pas suffisant pour conclure que celle-ci n’est pas favorable à sa réadaptation8. Il y aurait ainsi, en quelque sorte, une présomption de faits selon laquelle le fait pour un travailleur de retourner sur le marché du travail, particulièrement dans son milieu de travail, est favorable à sa réadaptation.
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3 Pièces d’auto Kenny inc. et C.S.S.T., [1998] C.L.P. 259 ; C.U.S.E. et Boilard, C.L.P. 124038-05-9909, 11 avril 2000, F. Ranger.
4 Komatsu international inc. et Gagnon, [1999] C.L.P. 130 ; Rivard et C.L.S.C. des trois vallées, [1999] C.L.P. 619 .
5 Société canadienne des postes et Thibault, [1987] C.A.L.P. 377 ; Mueller Canada inc. et Lavoie, [1987] C.A.L.P. 506 ; Jonquière et Corneau, [1989] C.A.L.P. 14 ; Bourgault et Marcel Lauzon inc. [1992] C.A.L.P. 188 ; Bombardier inc. et Côté, C.A.L.P. 35904-60-9201, 17 novembre 1993, M. Lamarre; J.M. Asbestos inc. et Marcoux, C.A.L.P. 72559-05-9508, 26 juillet 1996, C. Demers; Métallurgie Brasco inc. et Jomphe, C.L.P. 114861-01B-9904, 16 juin 2000, C. Bérubé; Permafil ltée et Fournier, C.L.P. 148090-03B-0010, 28 février 2001, M. Cusson.
6 Ville de Laval et Lalonde, C.A.L.P. 22936-61-9011, 20 juin 1991, M. Duranceau; Bourassa et Hydro-Québec, C.L.P. 111311-04-9903, 22 septembre 2000, M. Carignan.
7 Labonté et Prévost Car inc., C.A.L.P. 40654-03-9206, 27 novembre 1992, R. Ouellet; Desrochers et J.M. Asbestos inc., C.L.P. 110825-05-9902, 16 août 1999, F. Ranger.
8 Létourneau et Agrégats Dany Morissette inc., C.L.P. 124923-04-9910, 23 novembre 1999, A. Vaillancourt; Fortier et A.F.G. Industries ltée, C.L.P. 116416-32-9905, 23 décembre 1999, G. Tardif; Blier et Olymel Princeville, C.L.P. 125927-04B-9911, 23 mai 2000, P. Brazeau; Pouliot et J.M. Asbestos inc., [2000] C.L.P. 1128 ; Fortin et Accessoires d’ameublement AHF ltée, C.L.P. 146022-72-0009, F. Juteau.
[9] Au sujet du critère de la réadaptation, le tribunal fait siens les commentaires du commissaire Brazeau qu’il émettait dans une décision[3] dans laquelle il écrit :
[50] À cet égard, la Commission des lésions professionnelles estime que la conclusion du médecin ayant charge du travailleur est confirmée «a priori» par le bénéfice généralement reconnu comme découlant du maintien de l'activité physique, des habitudes de vie et de travail ainsi que du revenu complet et des avantages reliés à l'emploi habituel, dans la mesure, bien sûr, où le travailleur est par ailleurs raisonnablement en mesure d'accomplir le travail assigné temporairement et dans le mesure où ce travail ne comporte aucun risque pour sa santé, sa sécurité et son intégrité physique.
[51] La Commission des lésions professionnelles considère en effet que le maintien des éléments précités implique nécessairement une «réduction des séquelles» de la lésion professionnelle subie par le travailleur et qu'il est, par le fait même, favorable à sa «réadaptation» au sens usuel de ce terme.
[10] Ainsi, ce sont les critères qui guident le tribunal dans son analyse de la preuve. À cette fin, le tribunal a reçu des témoignages et a pris connaissance de la preuve documentaire. Les éléments suivants sont retenus.
[11] Monsieur Gagnon est opérateur de chariot élévateur lorsque le 21 décembre 2005, il fait une chute et se fracture le scaphoïde gauche.
[12] Le 27 février 2006, le médecin traitant signe un formulaire d’assignation temporaire valide pour la période du 27 janvier au 13 mars 2006. Il accepte que le travailleur puisse accomplir les tâches reliées avec un travail de conducteur de machine à nettoyer et à laver les planchers ainsi qu’un travail consistant à comptabiliser des ballots.
[13] Le travailleur conteste ces assignations temporaires en soumettant les points suivants :
· Il avait un plâtre et ne pouvait mettre son manteau;
· Il ne se sentait pas en sécurité dans la conduite de la laveuse;
· Il n’avait jamais conduit ce type de véhicule;
· Les planchers étaient glissants et il y avait de la glace par endroit;
· Quant au poste consistant à comptabiliser de la marchandise, il dira qu’il n’était pas habillé pour ce type de travail et que l’employeur créait un nouveau poste de travail;
· Ces assignations temporaires ne respectaient pas la disposition de la loi relative à la réadaptation.
[14] Monsieur Jean Savard, représentant de l’employeur, témoigne que le travailleur est conducteur de chariot élévateur ce qui lui permet de maîtriser ce véhicule d’une seule main puisque la vitesse maximum se situe entre 3 et 4 kilomètres/heure.
[15] Si le travailleur lui avait exprimé ses craintes, il l’aurait assigné à la comptabilisation de la marchandise. D’ailleurs, il déclare que c’est un poste qui existe, soit celui de vérificateur.
[16] Ceci constitue l’essentiel de la preuve et elle amène les conclusions suivantes.
[17] Premièrement, le tribunal doit retenir que l’emploi de conducteur de véhicule de nettoyage lavage n’est pas une assignation temporaire valable sur le simple principe du respect des normes de sécurité. En effet, le tribunal considère que le fait de n’avoir qu’une main valide pour opérer un volant ne peut en aucun cas être considéré comme sécuritaire surtout lorsque le véhicule doit se déplacer sur des surfaces glissantes.
[18] La lésion professionnelle n’étant pas consolidée au moment de l’offre de cette assignation temporaire, et cette lésion impliquant le poignet gauche et par le fait même la main gauche, le tribunal considère que cette assignation temporaire pouvait comporter un danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion.
[19] Deuxièmement, en regard de l’autre assignation temporaire, le tribunal doit conclure que celle-ci est conforme aux dispositions prévues à l’article 179 de la loi, et ce, pour les motifs suivants.
[20] En premier lieu, l’aspect danger est éliminé de cette assignation temporaire. Selon la description des tâches à effectuer, il s’agit de faire la comptabilité de ballots. Donc, se déplacer et inscrire les informations sur du papier est l’essentiel de cette tâche et elle ne révèle aucun danger.
[21] En second lieu, l’argument relatif au principe que l’assignation temporaire ne favorise pas la réadaptation du travailleur, ne peut être retenu. En effet, le fait d’exercer une assignation temporaire qui ne soit pas connexe avec l’emploi normalement exercé ne constitue pas un empêchement.
[22] De plus, il est évident que le principe de réadaptation est un outil permettant de minimiser l’impact d’une lésion professionnelle. Un de ces impacts est l’impact économique. À cet effet, le fait de toucher un plein salaire au lieu de 90 % de son revenu, alors que la lésion professionnelle n’est pas consolidée, est un élément qui ne peut être que bénéfique pour réduire les préjudices reliés à une lésion professionnelle. De plus, tel que précité, la réadaptation comprend aussi les avantages énoncés par le commissaire Brazeau dans l’affaire Blier.
[23] Enfin, le fait que cet emploi existe ou pas n’est pas pertinent au débat puisque le tribunal n’a pas compétence pour trancher un litige relié avec l’application d’une convention collective. De plus, l’article 179 de la loi mentionne spécifiquement que l’employeur peut assigner temporairement un travail sans en spécifier l’origine. Si ce travail est aussi régi pas une autre instance, le débat doit être fait devant l’instance ayant compétence pour régler le litige.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Sylvain Gagnon, le travailleur;
CONFIRME pour d’autres motifs la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 21 mars 2006 à la suite d'une révision administrative, et;
DÉCLARE que l’assignation temporaire concernant la comptabilisation de la marchandise, est valable et que le travailleur est tenu de l’effectuer.
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Robert Deraiche |
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Commissaire |
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Monsieur Réjean Martin |
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Représentant de la partie requérante |
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AVIS :
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