Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

6 octobre 2005

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

239077-72-0407

 

Dossier CSST :

119125193

 

Commissaire :

Pauline Perron, avocate

______________________________________________________________________

 

 

 

Tricots Main inc. (Les)

 

Partie requérante

 

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DÉCISION

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[1]                Le 13 juillet 2004, Tricots Main inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 avril 2004 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 25 juillet 2003 et déclare qu’elle refuse un transfert d’imputation en vertu de l’article 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., ch A-3.001) (la Loi).

[3]                L’employeur est représenté lors de l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles le 15 septembre 2005. La cause a été mise en délibéré à cette date.

QUESTION PRÉLIMINAIRE

[4]                La requête déposée à la Commission des lésions professionnelles l’a été en dehors du délai de 45 jours prévu à l’article 359 de la Loi.


L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                L’employeur demande d’abord d’être relevé de son défaut d’avoir produit sa requête à la Commission des lésions professionnelles dans le délai légal.

[6]                L’employeur demande ensuite de reconnaître que la CSST doit imputer aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations versées à compter du 22 décembre 2000 pour la lésion professionnelle survenue à monsieur Pierre René De Cotret (le travailleur) en raison d’une lésion professionnelle visée dans l’article 31 de la Loi, soit de multiples chirurgies survenues par le fait qu’il y ait eu omission de soins.

LES FAITS CONCERNANT LA QUESTION PRÉLIMINAIRE

[7]                De la preuve testimoniale et documentaire présentée, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments suivants.

[8]                Monsieur Sylvain Boucher a témoigné à la demande de l’employeur. Il est conseiller en CSST chez l’employeur depuis cinq ans.

[9]                Il explique que c’est madame Connie Farrante, directrice des ressources humaines et madame Christina Garrabatos qui, en avril 2004, donc au moment où la décision a été rendue à la suite d’une révision administrative, s’occupaient de faire les contestations des décisions rendues par la CSST.

[10]           Toutefois, madame Farrante a quitté l’emploi de façon très abrupte le 3 juin 2004 et madame Garrabatos a quitté le 17 juin suivant.

[11]           C’est madame France Sylvestre qui remplace madame Farrante le 7 juin suivant. Elle procède à la révision de tous les dossiers CSST et de l’ensemble du fonctionnement des ressources humaines. Monsieur Boucher l’aide pour l’analyse des dossiers CSST. C’est dans ce contexte, alors qu’il examine le dossier relatif au travailleur, que monsieur Boucher constate que la décision du 14 avril 2004 n’a pas été contestée à la Commission des lésions professionnelles. Le jour même, il communique avec le procureur afin qu’un requête soit déposée à la Commission des lésions professionnelles. Celle-ci a été déposée dès le lendemain, soit le 13 juillet 2004.

LES FAITS CONCERNANT LA QUESTION DE FOND

[12]           Le travailleur subit une lésion professionnelle le 24 novembre 2000. Il se blesse l’index gauche avec un tournevis électrique. La vis aurait basculé et la douille aurait perforé la face palmaire de son index de la main gauche.

[13]           Le travailleur se serait blessé vers 14 h, selon les formulaires Réclamation du travailleur et Avis de l’employeur et demande de remboursement. Il a terminé sa journée de travail.

[14]           Le lendemain matin, en raison de la présence d’un œdème douloureux, le travailleur consulte à une clinique médicale. On lui administre un vaccin anti-tétanos. Il retourne chez lui. Toutefois, un peu plus tard dans la même journée, il consulte à l’urgence de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont.

[15]           À son arrivée à l’urgence, sa température corporelle est à 38,9° C. On lui administre immédiatement une antibiothérapie par voie intraveineuse.

[16]           La plaie s’est compliquée d’une ténosynovite suppurée qui a nécessité un drainage dès le 26 novembre 2000 en plus de l’antibiothérapie.

[17]           La ténosynovite s’est elle-même compliquée par la rupture de deux tendons fléchisseurs de l’index. Cette condition a nécessité une reconstruction des tendons en deux temps. La première a été faite le 5 février 2001 et la deuxième le 31 juillet 2001.

[18]           Le 22 octobre 2001, le médecin procède à une ténolyse en raison d’adhérences qui se sont développées.

[19]           À la suite de cette dernière chirurgie, le travailleur a développé des engourdissements au niveau de la main gauche. Un diagnostic de tunnel carpien secondaire aux chirurgies tendineuses a été posé.

[20]           Le 15 mars 2002, le travailleur a subi une décompression du canal carpien.

[21]           Le travailleur conserve un pourcentage de déficit anatomo-physiologique de 3 % mais sans limitations fonctionnelles.

[22]           Le 27 juin 2002, le docteur Marc Goulet, chirurgien orthopédiste, fait une étude du dossier à la demande de l’employeur quant à une demande de partage de coût.

[23]           Le docteur Goulet note :

On constate à l’évolution de ce dossier que ce patient a présenté de multiples complications suite à une plaie superficielle de son index. Malheureusement, il y a eu un délai de consultation médicale suite à l’événement initial qui a nécessité de multiples chirurgies qui furent des complications secondaires à son infection.

 

[…]

 

Il y a eu délai de consultation initiale suite à l’événement. De façon idéale, le travailleur aurait dû consulter immédiatement suite à l’accident et suite à une antibiothérapie adéquate, il est fort possible de reconnaître que les complications que monsieur a présentées ne seraient pas survenues.

 

 

[24]           Le 30 octobre suivant, l’employeur demande un transfert du coût des prestations en vertu de l’article 327 de la Loi en alléguant :

Il s’agit au sens de la Loi, initialement d’une lésion mineure qui s’est compliquée en l’absence de soins adéquats. Notre responsabilité financière devrait se terminer à compter du 26 novembre 2000, date à laquelle monsieur fut dirigée en microbiologie. L’article 327-31 devrait ici trouver application. Dans le cas contraire, nous serions obérés injustement.

 

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la question préliminaire

[25]           L’article 359 de la Loi prévoit un délai de 45 jours pour contester devant la Commission des lésions professionnelles une décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative :

359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.

__________

1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.

 

 

[26]           L’article 429.19 de la Loi permet à la Commission des lésions professionnelles de relever une partie de son défaut d’avoir produit une requête dans le délai si la partie démontre un motif raisonnable :

429.19. La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[27]           Dans le cas qui nous occupe, le représentant de l’employeur a déposé sa requête 90 jours après que la décision ait été rendue. Il s’agit d’un hors délai manifeste. L’employeur doit donc démontrer un motif raisonnable pour être relevé de son défaut.

[28]           La Commission des lésions professionnelles considère que les explications qui lui ont été soumises démontrent que l’employeur se trouvait dans une situation particulière où la gestion des dossiers relevant de la CSST n’a pu être faite adéquatement pour un certain temps. Dès que le défaut d’avoir contesté la décision en litige a été constaté, l’employeur et son procureur ont agi avec une grande diligence afin de remédier promptement à la situation.

[29]           Il s’agit d’un motif raisonnable qui permet à la Commission des lésions professionnelles de relever l’employeur de son défaut d’avoir produit sa requête dans le délai prévu à la Loi.

Sur la question de fond

[30]           La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si l’employeur doit être imputé pour le coût des prestations relatif à la lésion professionnelle survenue au travailleur le 24 novembre 2000.

[31]           Le principe général d’imputation est énoncé au premier paragraphe de l’article 326 de la Loi :

326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[32]           La Loi prévoit certaines exceptions au principe général d’imputation. Dans le cas qui nous occupe, l’employeur demande un transfert du coût de prestations dans son dossier concernant le travailleur, par applications de l’article 327 de la Loi. Pour ce faire, la Commission des lésions professionnelles doit d’abord déterminer s’il y a une lésion professionnelle au sens du premier alinéa de l’article 31 de la Loi, dont le libellé se lit comme suit :

31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion:

 

1°   des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;

 

__________

1985, c. 6, a. 31.

 

 

[33]           La conséquence d’une telle qualification de lésion professionnelle pour l’employeur est, de fait, de lui permettre un transfert du coût des prestations par l’application du premier alinéa de l’article 327 de la Loi :

327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations:

 

1°   dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31;

 

__________

1985, c. 6, a. 327.

 

 

[34]           Notons d’abord que l’absence d’une décision de la CSST sur l’existence d’une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la Loi ne constitue pas une fin de non-recevoir à la demande de transfert de l’imputation d’un employeur en vertu de l’article 327 de la Loi[1]. Toutefois, ceci l'oblige à démontrer l’existence d’une lésion professionnelle au sens de l'article 31 de la Loi. Cette preuve doit faire ressortir l’existence d’une blessure ou d’une maladie survenue par le fait ou à l’occasion des soins que le travailleur reçoit en raison de sa lésion professionnelle et non l’évolution ou les conséquences de la lésion professionnelle initiale elle-même.

[35]           Dans le cas qui nous occupe, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve présentée ne démontre aucune omission de soins dans le cadre des soins relatifs à la lésion professionnelle du travailleur. Il ressort de l’opinion du docteur Goulet que le travailleur a tardé à consulter et ce délai a entraîné une infection et de multiples complications. Or, la Commission des lésions professionnelles ne peut se soumettre à l’argument proposé par la procureure de l’employeur voulant que l’omission du travailleur de consulter immédiatement doit être assimilée à une omission de soins. D’abord, cette interprétation est contraire au texte même de l’article 31 de la Loi qui mentionne une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion des soins reçus ou de l’omission de ceux-ci.

[36]           Ensuite, cette interprétation est contraire à l’esprit de l’article 31 de la Loi. Cette disposition a été édictée pour les cas où, lorsqu’une maladie découle d’une situation qui brise le lien de causalité direct entre la lésion professionnelle du travailleur et l’employeur, comme dans le cas d’une intervention ou d’une omission de soins médicaux qui peut mettre la responsabilité d’une tierce personne en cause, le législateur, par l’article 31 de la Loi, crée une fiction pour empêcher le bris de la relation juridique entre les deux. Ensuite, puisqu’un lien de causalité fictif a été crée, le législateur permet un transfert du coût des prestations.

[37]           Adhérer au raisonnement de la procureure de l’employeur pourrait permettre un transfert du coût des prestations dans le cas où un travailleur refuse par exemple une chirurgie qui a pour effet d’augmenter les conséquences de sa lésion professionnelle ou, comme dans le cas présent, en raison d’un retard de consultation étant donné l’aspect bénin de la lésion. Ce n’est pas le but rechercher par le législateur lorsqu’il a édicté les articles 31 et 327 de la Loi.

[38]           Par ailleurs, soulignons que ce n’est pas parce qu’une lésion professionnelle apparemment bénigne mais qui se complique et entraîne des coûts importants pour l’employeur, qu’il est obéré injustement. Une lésion professionnelle n’évolue pas selon un modèle préétabli.

[39]           Ainsi, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’employeur n’a pas démontré qu’il y a eu une blessure ou une maladie qui a découlé d’une omission de soins pour le travailleur. Il doit donc être imputé selon le principe général d’imputation prévu à l’article 326 de la Loi.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

DÉCLARE recevable la requête de l’employeur Tricots Main inc. déposée le 13 juillet 2004 à la Commission des lésions professionnelles;

REJETTE cette requête;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 avril 2004 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations versées pour le dossier de monsieur Pierre René De Cotret, le travailleur, pour la lésion professionnelle survenue le 24 novembre 2000, doit être imputé en totalité à l’employeur.

 

 

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Me Pauline Perron

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Élaine Léger

Fasken Martineau Dumoulin

Représentante de la partie requérante

 



[1]          Urgence-Santé,C.L.P. 155080-63-0102, 8 avril 2002, J.-M. Charette; Nico Métal inc., C.L.P. 222093-04-0312, 23 avril 2004, S. Sénéchal.

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