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[1] Le 13 juillet 2004, Tricots Main inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 avril 2004 à la suite d’une révision administrative.
[2]
Par cette décision, la CSST confirme la décision
qu’elle a initialement rendue le 25 juillet 2003 et déclare qu’elle refuse un
transfert d’imputation en vertu de l’article
[3] L’employeur est représenté lors de l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles le 15 septembre 2005. La cause a été mise en délibéré à cette date.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[4]
La requête déposée à la Commission des lésions
professionnelles l’a été en dehors du délai de 45 jours prévu à l’article
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande d’abord d’être relevé de son défaut d’avoir produit sa requête à la Commission des lésions professionnelles dans le délai légal.
[6]
L’employeur demande ensuite de reconnaître que
la CSST doit imputer aux employeurs de toutes les unités le coût des
prestations versées à compter du 22 décembre 2000 pour la lésion
professionnelle survenue à monsieur Pierre René De Cotret (le travailleur)
en raison d’une lésion professionnelle visée dans l’article
LES FAITS CONCERNANT LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[7] De la preuve testimoniale et documentaire présentée, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments suivants.
[8] Monsieur Sylvain Boucher a témoigné à la demande de l’employeur. Il est conseiller en CSST chez l’employeur depuis cinq ans.
[9] Il explique que c’est madame Connie Farrante, directrice des ressources humaines et madame Christina Garrabatos qui, en avril 2004, donc au moment où la décision a été rendue à la suite d’une révision administrative, s’occupaient de faire les contestations des décisions rendues par la CSST.
[10] Toutefois, madame Farrante a quitté l’emploi de façon très abrupte le 3 juin 2004 et madame Garrabatos a quitté le 17 juin suivant.
[11] C’est madame France Sylvestre qui remplace madame Farrante le 7 juin suivant. Elle procède à la révision de tous les dossiers CSST et de l’ensemble du fonctionnement des ressources humaines. Monsieur Boucher l’aide pour l’analyse des dossiers CSST. C’est dans ce contexte, alors qu’il examine le dossier relatif au travailleur, que monsieur Boucher constate que la décision du 14 avril 2004 n’a pas été contestée à la Commission des lésions professionnelles. Le jour même, il communique avec le procureur afin qu’un requête soit déposée à la Commission des lésions professionnelles. Celle-ci a été déposée dès le lendemain, soit le 13 juillet 2004.
LES FAITS CONCERNANT LA QUESTION DE FOND
[12] Le travailleur subit une lésion professionnelle le 24 novembre 2000. Il se blesse l’index gauche avec un tournevis électrique. La vis aurait basculé et la douille aurait perforé la face palmaire de son index de la main gauche.
[13] Le travailleur se serait blessé vers 14 h, selon les formulaires Réclamation du travailleur et Avis de l’employeur et demande de remboursement. Il a terminé sa journée de travail.
[14] Le lendemain matin, en raison de la présence d’un œdème douloureux, le travailleur consulte à une clinique médicale. On lui administre un vaccin anti-tétanos. Il retourne chez lui. Toutefois, un peu plus tard dans la même journée, il consulte à l’urgence de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont.
[15] À son arrivée à l’urgence, sa température corporelle est à 38,9° C. On lui administre immédiatement une antibiothérapie par voie intraveineuse.
[16] La plaie s’est compliquée d’une ténosynovite suppurée qui a nécessité un drainage dès le 26 novembre 2000 en plus de l’antibiothérapie.
[17] La ténosynovite s’est elle-même compliquée par la rupture de deux tendons fléchisseurs de l’index. Cette condition a nécessité une reconstruction des tendons en deux temps. La première a été faite le 5 février 2001 et la deuxième le 31 juillet 2001.
[18] Le 22 octobre 2001, le médecin procède à une ténolyse en raison d’adhérences qui se sont développées.
[19] À la suite de cette dernière chirurgie, le travailleur a développé des engourdissements au niveau de la main gauche. Un diagnostic de tunnel carpien secondaire aux chirurgies tendineuses a été posé.
[20] Le 15 mars 2002, le travailleur a subi une décompression du canal carpien.
[21] Le travailleur conserve un pourcentage de déficit anatomo-physiologique de 3 % mais sans limitations fonctionnelles.
[22] Le 27 juin 2002, le docteur Marc Goulet, chirurgien orthopédiste, fait une étude du dossier à la demande de l’employeur quant à une demande de partage de coût.
[23] Le docteur Goulet note :
On constate à l’évolution de ce dossier que ce patient a présenté de multiples complications suite à une plaie superficielle de son index. Malheureusement, il y a eu un délai de consultation médicale suite à l’événement initial qui a nécessité de multiples chirurgies qui furent des complications secondaires à son infection.
[…]
Il y a eu délai de consultation initiale suite à l’événement. De façon idéale, le travailleur aurait dû consulter immédiatement suite à l’accident et suite à une antibiothérapie adéquate, il est fort possible de reconnaître que les complications que monsieur a présentées ne seraient pas survenues.
[24]
Le 30 octobre suivant, l’employeur demande un
transfert du coût des prestations en vertu de l’article
Il s’agit au sens de la Loi, initialement d’une lésion mineure qui s’est compliquée en l’absence de soins adéquats. Notre responsabilité financière devrait se terminer à compter du 26 novembre 2000, date à laquelle monsieur fut dirigée en microbiologie. L’article 327-31 devrait ici trouver application. Dans le cas contraire, nous serions obérés injustement.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la question préliminaire
[25]
L’article
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
__________
1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[26]
L’article
429.19. La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[27] Dans le cas qui nous occupe, le représentant de l’employeur a déposé sa requête 90 jours après que la décision ait été rendue. Il s’agit d’un hors délai manifeste. L’employeur doit donc démontrer un motif raisonnable pour être relevé de son défaut.
[28] La Commission des lésions professionnelles considère que les explications qui lui ont été soumises démontrent que l’employeur se trouvait dans une situation particulière où la gestion des dossiers relevant de la CSST n’a pu être faite adéquatement pour un certain temps. Dès que le défaut d’avoir contesté la décision en litige a été constaté, l’employeur et son procureur ont agi avec une grande diligence afin de remédier promptement à la situation.
[29] Il s’agit d’un motif raisonnable qui permet à la Commission des lésions professionnelles de relever l’employeur de son défaut d’avoir produit sa requête dans le délai prévu à la Loi.
Sur la question de fond
[30] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si l’employeur doit être imputé pour le coût des prestations relatif à la lésion professionnelle survenue au travailleur le 24 novembre 2000.
[31]
Le principe général d’imputation est énoncé au
premier paragraphe de l’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
__________
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[32]
La Loi prévoit certaines exceptions au principe
général d’imputation. Dans le cas qui nous occupe, l’employeur demande un
transfert du coût de prestations dans son dossier concernant le travailleur, par
applications de l’article
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion:
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
__________
1985, c. 6, a. 31.
[33]
La conséquence d’une telle qualification de
lésion professionnelle pour l’employeur est, de fait, de lui permettre un
transfert du coût des prestations par l’application du premier alinéa de
l’article
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations:
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31;
__________
1985, c. 6, a. 327.
[34]
Notons d’abord que l’absence d’une décision de
la CSST sur l’existence d’une lésion professionnelle au sens de l’article
[35]
Dans le cas qui nous occupe, la Commission des
lésions professionnelles est d’avis que la preuve présentée ne démontre aucune
omission de soins dans le cadre des soins relatifs à la lésion professionnelle
du travailleur. Il ressort de l’opinion du docteur Goulet que le travailleur a
tardé à consulter et ce délai a entraîné une infection et de multiples complications.
Or, la Commission des lésions professionnelles ne peut se soumettre à l’argument
proposé par la procureure de l’employeur voulant que l’omission du travailleur
de consulter immédiatement doit être assimilée à une omission de soins. D’abord,
cette interprétation est contraire au texte même de l’article
[36]
Ensuite, cette interprétation est contraire à
l’esprit de l’article
[37]
Adhérer au raisonnement de la procureure de
l’employeur pourrait permettre un transfert du coût des prestations dans le cas
où un travailleur refuse par exemple une chirurgie qui a pour effet d’augmenter
les conséquences de sa lésion professionnelle ou, comme dans le cas présent, en
raison d’un retard de consultation étant donné l’aspect bénin de la lésion. Ce
n’est pas le but rechercher par le législateur lorsqu’il a édicté les articles
[38] Par ailleurs, soulignons que ce n’est pas parce qu’une lésion professionnelle apparemment bénigne mais qui se complique et entraîne des coûts importants pour l’employeur, qu’il est obéré injustement. Une lésion professionnelle n’évolue pas selon un modèle préétabli.
[39]
Ainsi, la Commission des lésions professionnelles
conclut que l’employeur n’a pas démontré qu’il y a eu une blessure ou une
maladie qui a découlé d’une omission de soins pour le travailleur. Il doit donc
être imputé selon le principe général d’imputation prévu à l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DÉCLARE recevable la requête de l’employeur Tricots Main inc. déposée le 13 juillet 2004 à la Commission des lésions professionnelles;
REJETTE cette requête;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 avril 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations versées pour le dossier de monsieur Pierre René De Cotret, le travailleur, pour la lésion professionnelle survenue le 24 novembre 2000, doit être imputé en totalité à l’employeur.
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Me Pauline Perron |
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Commissaire |
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Me Élaine Léger |
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Fasken Martineau Dumoulin |
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Représentante de la partie requérante |
[1] Urgence-Santé,C.L.P. 155080-63-0102,
8 avril 2002, J.-M. Charette; Nico Métal
inc., C.L.P.
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