Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Montérégie

LONGUEUIL, le 17 juillet 2000

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

130173-62-0001

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Me Hélène Marchand

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DES MEMBRES :

M. Mario Lévesque

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

M. Vianney Michaud

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR :

Dr Jacques Gariépy

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

114293640

AUDIENCE TENUE LES :

28 avril et  30 mai 2000

 

 

 

 

 

 

À :

Longueuil

 

 

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CAROLINE BERNARD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RESTO-CASINO INC.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET

DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL - MONTÉRÉGIE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTERVENANTE

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 10 janvier 2000, madame Caroline Bernard (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue le 20 décembre 1999 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d'une révision administrative.

[2]               Par cette décision, la CSST confirme la décision qu'elle a initialement rendue le 1er février 1999 à l'effet de refuser la réclamation de madame Bernard au motif qu'elle n'a pas produit sa réclamation dans le délai de six mois prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., chapitre A-3.001 (la loi).

[3]               Lors des deux jours d'audience tenues les 28 avril et 30 mai 2000, il a été convenu entre les parties et avec le tribunal que seule la question du hors délai serait entendue, à l'exclusion du fond du litige.

L'OBJET DE LA CONTESTATION

[4]               La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision de la CSST et de déclarer qu'elle n'a pas produit sa réclamation à l'extérieur du délai prévu à la loi ou sinon, de la relever de son défaut puisqu'elle a démontré un motif raisonnable pour expliquer son retard.

LES FAITS

[5]               Madame Caroline Bernard est née le 15 avril 1961 et, le 28 février 1997, date de l'événement à l'origine du présent litige, elle est préposée à la cafétéria au Resto-Casino Inc. depuis son ouverture soit depuis environ deux ans et demi au moment de l'événement.

[6]               Le 24 juillet 1998, madame Bernard rédige sa réclamation sur le formulaire de la CSST et décrit l'événement survenu le 28 février 1997 en ces termes :

«À la suite d'une agression par un employé (qu'elle nomme), j'ai développé une dépression.»

 

 

[7]               Dans une déclaration rédigée et signée par madame Bernard le 1er mars 1997, cette dernière rapporte en détail l'événement survenu dans la nuit du 27 au 28 février 1997 aux alentours de minuit trente.  Alors qu'elle était à parler avec des employés, à leur cafétéria, un de ceux-là s'est levé pour partir et sans qu'elle puisse le voir venir ou l'arrêter, il se place derrière elle et lui prend les seins à pleines mains en émettant un son avec sa bouche.  Tout le monde est parti à rire sauf elle.  Elle ne savait plus quoi faire et s'est dirigée vers le «backstore» où elle n'arrivait pas à se contrôler.  Elle s'est ensuite rendue au fumoir pour se reprendre, essayer de se calmer et réfléchir à ce qu'il fallait faire.  En entrant dans le fumoir, son agresseur était là.  Il a tenté de lui adresser la parole mais elle lui a dit de la laisser tranquille et a immédiatement quitté le fumoir pour retourner à la cafétéria.  Elle était alors dans tous ses états.  Il l'a rejointe dans la cafétéria et il a tenté de lui parler mais elle lui répétait sans cesse qu'elle ne voulait pas le voir et il a finalement quitté la place.  Elle a immédiatement téléphoné à ses superviseurs pour faire une plainte.

[8]               En fait, c'était la deuxième fois que ce genre d'incident arrivait avec cet employé dans la même semaine puisque le lundi, il lui avait pincé une fesse en passant des commentaires grivois.

[9]               Dans la même nuit, soit vers 2 h 15 le 28 février au matin, madame Bernard rencontre l'infirmière de garde et lui demande quelque chose pour les nerfs.  Au bureau de cette dernière, madame Bernard raconte l'événement en précisant que l'employé lui a pris les seins et les a «brassés» devant plusieurs personnes à la cafétéria.  Elle rapporte également qu'il avait fait un peu la même chose plus tôt dans la même semaine puisqu'il lui avait pincé les fesses en passant des commentaires.  Elle dit qu'elle s'est sentie très humiliée et ressentait beaucoup d'agressivité à l'égard de son agresseur.  L'infirmière note que madame Bernard pleure et dit qu'elle n'aurait jamais pensé que cela lui arriverait à elle.  Elle lui demande des conseils pour relaxer.  L'infirmière recommande à madame Bernard de se faire escorter par la sécurité jusqu'à sa voiture car l'employé a été immédiatement suspendu.  L'infirmière rapporte enfin que madame Bernard a verbalisé beaucoup d'émotions mais que ça lui a fait beaucoup de bien d'en discuter.

[10]           L'agresseur a été suspendu immédiatement et congédié dans les jours qui ont suivi.

[11]           Dans la nuit, madame Bernard a téléphoné à son conjoint qui habite Longueuil et est ensuite partie seule en auto pour aller le rejoindre.  À 4 h 50, elle a été arrêtée par la police qui lui a remis un avis d'infraction pour excès de vitesse alors qu'elle était en route pour Longueuil.  À l'audience, madame Bernard précise qu'elle roulait alors 160 km/heure et que ce n'était pas du tout sa vitesse habituelle.  L'avis d'infraction a été déposé à l'audience sous la cote T-3.

[12]           Madame Bernard a déclaré qu'elle n'a pas consulté immédiatement un médecin parce qu'elle avait peur, et ce, bien qu'elle n'avait aucun médicament pour l'aider à se reprendre.  De plus, elle était incapable de parler de l'événement parce qu'elle avait peur de passer pour une folle.

[13]           Au mois d'août 1997, elle est devenue permanente et à peu près à la même époque, elle a fait une demande de transfert au casino de Montréal qui lui a été refusée.  De plus, à compter de l'automne 1996, son conjoint et elle ont fait des projets pour la construction de leur maison dans laquelle ils ont emménagé le 1er juin 1997.

[14]           Madame Bernard a déclaré à l'audience qu'entre le mois de février et le mois de novembre 1997, elle a commencé à avoir des idées suicidaires et qu'elle n'était définitivement pas bien malgré qu'elle ait poursuivi son travail.  Parfois, alors qu'elle était au travail, elle se cachait et mentait sur son état.  Quand elle était en panique, elle allait aux toilettes et vomissait.

[15]           Lorsqu'elle était au travail, elle entendait toutes sortes de commentaires concernant l'incident et le fait que son agresseur avait été congédié.  Elle n'était plus capable de les entendre.  En plus, on lui a rapporté que son agresseur était revenu voir les autres travailleurs et qu'il aurait dit qu'il ne l'avait pas oubliée.  De plus, il leur aurait dit qu'elle était débile.

[16]           Sa peur était toujours croissante et quand elle terminait son travail à 3 h le matin, elle attendait parfois jusqu'à 7 heures parce qu'elle avait trop peur de sortir dans la nuit.  Elle cachait même où elle habitait.  Cette peur s'est peu à peu changée en obsession et elle n'avait aucun support de personne parce qu'à l'époque, il n'y avait ni syndicat ni de programme d'aide aux employés.

[17]           Madame Bernard n'a pas dénoncé son agresseur à la police et n'a fait aucune autre démarche parce qu'elle avait toujours et de plus en plus cette peur obsessionnelle de lui.  Elle se sentait seule face à tout ça et n'avait confiance en personne.

[18]           Monsieur Mario Simard, son conjoint depuis sept ans, a déclaré à l'audience qu'entre les mois de février et novembre 1997, il était seul à gérer la vie commune et à s'occuper de la maison en construction et des enfants.  Il voyait bien l'état de sa conjointe se dégrader mais ne savait pas ce qu'il pouvait faire.  Il a déclaré que lorsque sa conjointe est arrivée à Longueuil le 28 février, elle était en pleurs, il l'a écoutée et a essayé de la consoler.  Par la suite, elle était bizarre, maigrissait, avait des sautes d'humeur et refusait même qu'il la touche.

[19]           C'est ainsi qu'en novembre, devant l'état alarmant de sa conjointe, il s'est décidé à l'amener chez un médecin parce qu'elle ne dormait plus et qu'il croyait que son état n'était dû qu'à un manque de sommeil.  C'est là qu'il a su qu'elle faisait une dépression sévère.

[20]           L'employeur a déposé, sous la cote E-2, les notes manuscrites du docteur Laurent Vandycke qui a suivi madame Bernard du 9 novembre 1997 au 19 février 1998.  C'est ainsi que le 9 novembre 1997, première visite médicale de madame Bernard, le docteur Vandycke écrit notamment que la patiente accuse une perte de poids de l'ordre d'environ 15 livres depuis un mois et que son moral est bas.  Le médecin note qu'elle est très fatiguée, qu'elle pleure tous les jours et qu'elle a des idées noires.  Elle a des éveils fréquents, n'est pas délirante ni suicidaire bien qu'elle ait un affect triste.  Comme diagnostic, le docteur Vandycke retient une dépression majeure.

[21]           Le 11 novembre 1997, le docteur Vandycke parle en plus d'insomnie, de perte d'appétit et du fait que madame Bernard supporte mal d'avoir des troubles mentaux.  Il pose les diagnostics de dépression majeure et d'anxiété.  Le 20 novembre, le docteur Vandycke écrit qu'il y a peu d'amélioration et que la perte de sommeil est toujours présente.  Elle est très stressée de perdre son emploi, n'a pas de libido, pas d'énergie et pas d'appétit.  Il ajoute qu'elle est non délirante mais que ça demeure préoccupant puisqu'il y a une teinte paranoïde avec un affect triste.

[22]           Le 24 novembre 1997, madame Bernard est examinée par le docteur Jacques Gagnon, psychiatre, à la demande de l'employeur.  Au début de son rapport, le docteur Gagnon rapporte le seul événement de février 1997 au cours duquel madame Bernard aurait été victime d'un geste à connotation sexuelle lorsqu'un employé situé derrière elle lui aurait pris les seins devant tout le monde en riant et en faisant des blagues.  Il rapporte qu'elle s'est sentie complètement humiliée et furieuse, qu'elle a pleuré, qu'elle était en colère, qu'elle a affronté l'individu et que finalement elle a porté plainte.  Le docteur Gagnon écrit que madame Bernard éprouvait autant de rage que de peur, ayant reçu certaines menaces de la part de cet individu.  Le médecin poursuit en écrivant que cet incident semble l'avoir marqué psychologiquement car elle rapporte que depuis deux mois, tout s'est écroulé, qu'elle aurait perdu peu à peu le sommeil et aurait développé des symptômes d'anxiété et de dépression.

[23]           Comme symptomatologie, le docteur Gagnon écrit que madame Bernard souffre d'une insomnie importante et qu'elle ressent beaucoup de fatigue.  Elle ferait des crises aiguës d'angoisse se manifestant par des nausées, des serrements, des palpitations et la peur d'avoir une crise cardiaque.  Ces crises sont très fréquentes, environ une fois par jour.  Elle pleure pour des riens et son appétit a diminué.  Elle rapporte également des idées noires et des troubles de concentration, une tendance à faire des erreurs et à perdre des objets.  Son humeur est plutôt agressive et irritable et la libido est complètement disparue depuis deux mois.

[24]           Le docteur Gagnon écrit plus loin qu'il ne semble pas y avoir d'autres facteurs de stress pouvant expliquer la condition actuelle de madame Bernard.  À l'examen objectif, il note des signes de tristesse et d'angoisse de même que des yeux rouges et bouffis.  Il précise que madame Bernard ne semble pas vouloir exagérer la nature de ses problèmes et qu'elle établit une bonne relation de confiance.  Il constate une anxiété très élevée et une tristesse beaucoup plus élevée que la moyenne.  En effet, madame Bernard a pleuré presque tout le long de l'entrevue et de façon plus importante lorsqu'elle a raconté l'événement qui l'a traumatisée il y a quelques mois.

[25]           En conclusion, le docteur Gagnon diagnostique un trouble panique sévère avec éléments dépressifs et précise que le facteur de stress allégué est un événement traumatisant survenu il y a de cela quelques mois.  Il recommande une psychothérapie afin de l'aider à surmonter l'événement traumatisant qui a eu un effet dévastateur chez elle.

[26]           Le 27 novembre 1997, le docteur Vandycke note que sa patiente ne sort plus de chez elle, qu'elle est en retrait social et diagnostique, outre une dépression majeure, un trouble panique.

[27]           Le 18 décembre 1997, le docteur Vandycke note que sa patiente est découragée et qu'elle pleure beaucoup.  Elle a toujours des troubles du sommeil, une perte d'appétit, un manque de concentration et d'intérêt.  Le 29 janvier 1998, le médecin parle d'hallucinations auditives et du fait que sa patiente se sent menacée par le casino.  Il diagnostique une dépression majeure avec des éléments psychotiques. 

[28]           Le 13 février 1998, le docteur Gagnon examine madame Bernard pour la deuxième fois à la demande de l'employeur.  En conclusion de son rapport, il écrit que son état s'est empiré depuis la dernière visite notamment en raison de phénomènes hallucinatoires.  Il croit qu'il puisse y avoir un glissement vers un système paranoïde qui risque de s'installer avec des peurs qui atteignent la démesure.  Il précise que le trouble panique évolue vers un comportement agoraphobique très important et qu'un glissement vers un état paranoïde est à considérer.

[29]           Le 5 mars 1998, le docteur Vandycke réfère madame Bernard en psychiatrie.  Le 23 mars 1998, elle est examinée par le docteur Pierre Racicot, psychiatre.  Le docteur Racicot, après examen, diagnostique une dépression majeure probable, un trouble de panique, une agoraphobie et un trouble de stress post-traumatique à éliminer de même qu'une psychose.  En axe IV, il réfère à l'incident de février 1997 décrit par la patiente.

[30]           Le 3 avril 1998, le docteur Racicot rapporte que sa patiente relate les propos de son agresseur qui lui a dit qu'il la reverrait et qui a dit à un ami qu'il ne l'avait pas oubliée.  Elle se sent en danger et craint qu'un jour il va la retrouver.

[31]           Le 9 avril 1998, le docteur Racicot parle pour la première fois d'une certaine forme d'amélioration de l'état de santé de madame Bernard puisque pour la première fois depuis son arrêt de travail, elle a conduit son auto pour se rendre à son rendez-vous, bien qu'elle était accompagnée de sa fille.  Le 17 avril 1998, le médecin signale un état stable.

[32]           Il a été mis en preuve qu'à compter de l'arrêt de travail de madame Bernard le 9 novembre 1997, c'est l'employeur qui gérait le dossier d'invalidité de la travailleuse via l'assurance court terme et qu'à compter du 9 mai 1998, soit six mois plus tard, le dossier était pris en charge par l'assureur long terme qui était alors la Sun Life.

[33]           Le 22 avril 1998, madame Manon Rochon, conseillère en rémunération et avantages sociaux chez l'employeur, écrit à madame Zieman chez Sun Life du Canada pour lui annoncer la réclamation de l'employeur pour une demande de prestation d'invalidité de longue durée pour madame Bernard.  Ce formulaire de réclamation de l'employeur est signé par madame Rochon le 22 avril 1998.  À la question «le salarié a-t-il droit à des prestations de la Commission des accidents du travail ou de la Commission de la santé et de la sécurité du travail?», aucune réponse n'est donnée.

[34]           Le 30 avril 1998, le docteur Racicot complète la déclaration du médecin traitant en vue d'une demande de prestation d'invalidité de longue durée à la Sun Life.  À la question 9, «L'état du malade est-il attribuable à une blessure ou à une maladie professionnelle», le docteur Racicot coche : indéterminé.  Comme diagnostic, il retient néanmoins un trouble panique, une agoraphobie, une dépression majeure à éliminer et un état de stress post-traumatique à éliminer.

[35]           Le 1er mai 1998, le docteur Gagnon examine madame Bernard pour la troisième fois.  À la suite de l'examen de la symptomatologie actuelle et de l'examen objectif, il conclut :

«Il s'agit d'une dame qui est en absence de travail depuis le 8 novembre 1997 après avoir développé une pathologie anxieuse très importante à la suite d'un événement survenu six mois plus tôt.»

 

 

[36]           Le docteur Gagnon ajoute que la condition actuelle s'est améliorée mais qu'elle demeure encore assez sévère.  Du moins, la condition est beaucoup trop sévère pour qu'elle puisse reprendre le travail dans un avenir prochain.  Il estime néanmoins que madame Bernard sera apte à reprendre le travail avant trois à six mois.

[37]           Madame Nathalie Cataford, de la compagnie Sun Life, a témoigné à l'audience à la demande du procureur de madame Bernard.  Elle a déclaré dans un premier temps que la déclaration de sinistre ne leur a été expédiée que le 7 avril 1998 et qu'avant cette date, ils n'avaient rien reçu concernant le dossier de madame Bernard.  De plus, elle précise qu'avec la déclaration de sinistre, il n'y avait aucun rapport médical joint.  Ce n'est qu'après cette date que l'assureur a reçu notamment les expertises du docteur Gagnon.

[38]           Madame Cataford a commenté une note du 1er juin 1998 signée par madame Taira Zieman, spécialiste des règlements chez Sun Life, et déposée à l'audience sous la cote T-1.  Dans cette note, madame Zieman écrit qu'après consultation, elle est d'avis que ce dossier devrait relever de la CSST.  Elle ajoute qu'elle demandera à madame Bernard de faire une demande à la CSST et qu'elle accepterait de verser les prestations jusqu'à ce qu'une décision soit rendue.

[39]           Le même jour, soit le 1er juin 1998, madame Zieman écrit à la Société des casinos du Québec, à l'attention de madame Rochon, pour l'informer que d'après les renseignements disponibles, cette demande doit être présentée à la CSST.

[40]           Une lettre du 23 juin 1998, signée par madame Christine Potvin, chef de service chez Sun Life, a également été déposée sous la cote T-2.  Dans cette note adressée à madame Zieman, madame Potvin écrit qu'elle a parlé à monsieur Michel Gauvin du Casino de Hull, qu'elle lui a expliqué qu'ils exigeaient qu'une demande soit présentée à la CSST puisque selon eux, l'événement survenu au travail a causé la lésion.  Madame Potvin écrit que monsieur Gauvin lui aurait répondu que si la demande est acceptée par la CSST, ils contesteront.  Madame Potvin rapporte également que monsieur Gauvin lui a dit, dès le 23 juin 1998, que madame Bernard est hors délai à cette date pour faire sa réclamation.  En effet, elle aurait eu jusqu'au 10 mai 1999 pour la produire.

[41]           Après que Sun Life eut insisté auprès de l'employeur pour que madame Bernard remplisse une demande à la CSST, madame Rochon écrit à madame Bernard le 30 juin 1998 lui demandant notamment de remplir la Réclamation du travailleur et l'Avis de l'employeur et demande de remboursement, deux formulaires de la CSST.

[42]           Cependant, le 15 juillet 1998, monsieur Bourgault écrit également à madame Bernard pour lui dire entre autres que leur position est à l'effet que son invalidité est reliée à une condition personnelle et non à un accident du travail, que l'employeur reprend le versement d'avances de prestations d'invalidité en lieu et place de l'assureur, et ce, rétroactivement au 1er juillet 1998 et que l'employeur interviendra à nouveau auprès de l'assureur pour qu'il révise sa décision de suspendre le versement des prestations après le 30 juin 1998 et qu'il abandonne son exigence que la travailleuse fasse une réclamation à la CSST.

[43]           Interrogé à l'audience sur cette correspondance de juin et juillet 1998, monsieur Bourgault déclare qu'à cette date, rien ne lui permettait de croire à une quelconque relation médicale entre la lésion de madame Bernard et l'événement survenu en février 1997.  Quant aux rapports d'expertise commandés par eux au docteur Gagnon, monsieur Bourgault déclare qu'il ne se souvient pas les avoir lus en intégralité mais qu'il en avait pris connaissance.  Il émet l'opinion que ces rapports n'étaient pas très clairs quant à la relation.

[44]           Monsieur Simard, conjoint de madame Bernard, a par ailleurs déclaré à l'audience que c'est lui qui a décidé de demander l'aide d'un avocat en juin 1998 parce qu'ils recevaient beaucoup d'appels contradictoires de l'employeur qui leur a d'abord demandé de faire une demande à la CSST et ensuite de ne pas la faire.

[45]           Une feuille de temps a été déposée sous la cote E-3.  Ce document permet de constater que madame Bernard a travaillé les 3, 4, 5 et 6 mars mais qu'elle n'a repris le travail que le 12 mars.  Interrogée sur son absence de six jours, madame Bernard a répondu qu'elle n'avait pas consulté de médecin pendant cet arrêt de travail et qu'elle ne voulait voir personne.  De plus, elle ne se souvient pas avoir dû justifier son absence à son employeur.

L'AVIS DES MEMBRES

[46]           Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis que madame Bernard n'a pas démontré de motif raisonnable permettant de la relever de son défaut d'avoir produit sa réclamation dans les délais.

[47]           Le membre issu des associations syndicales est pour sa part d'avis que la nature de la lésion de madame Bernard et les circonstances du dossier permettent de conclure qu'elle a démontré un motif raisonnable permettant de la relever de son défaut.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[48]           La Commission des lésions professionnelles doit décider dans un premier temps si madame Caroline Bernard a produit sa réclamation à la CSST dans le délai de six mois prévu à la loi pour ce faire.  Si la réponse à cette question s'avère négative, elle devra examiner si madame Bernard a démontré un motif raisonnable pour expliquer son retard. 

[49]           Les articles 270 et 352 sont utiles à la solution du présent litige et se lisent comme suit :

270. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.

 

L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.

 

Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.

________

1985, c. 6, a. 270.

 

 

352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.

________

1985, c. 6, a. 352.

 

 

[50]           En vertu de l'article 270, un travailleur incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets et qui croit que c'est en raison d'une lésion professionnelle, doit produire sa réclamation à la CSST dans les six mois de sa lésion.

[51]           Dans le cas qui nous occupe, la première consultation à la suite de l'événement déclaré survenu le 28 février 1997 n'a été faite que le 9 novembre 1997 alors que le docteur Vandycke diagnostiquait une dépression majeure.  La jurisprudence majoritaire en la matière est à l'effet de computer le délai de l'article 270 à compter de la lésion comme telle, donc du diagnostic, par opposition à la date de l'événement.

[52]           Ainsi, le délai de six mois commence à courir le 9 novembre 1997 date de la première consultation et du diagnostic de dépression majeure posé par le docteur Vandycke.  À compter de cette date, madame Bernard avait jusqu'au 10 mai 1998 pour produire une réclamation à la CSST.  Le formulaire de réclamation signée le 24 juillet 1998 a donc été produit environ deux mois et demi après le délai de six mois prévu à la loi.

[53]           La jurisprudence a toujours reconnu que ce délai de réclamation, qui est à la base de l'introduction d'un recours à la CSST, est un délai de rigueur mais qu'il peut néanmoins être prolongé par la démonstration d'un motif raisonnable expliquant le retard.

[54]           Les cours supérieures nous enseignent pour leur part que l'examen des motifs permettant de relever une partie de son défaut doit se faire de façon large et libérale.  En effet, agir autrement entraînerait des conséquences graves voire irrémédiables pour une partie.

[55]           Dans le cas sous étude, nous savons qu'un événement bien documenté tant par le rapport de l'infirmière dans les minutes qui ont suivi que dans la déclaration de la travailleuse rédigée le lendemain que par son témoignage crédible à l'audience, est survenu le 28 février 1997.

[56]           Nous savons également qu'à la suite de cet événement traumatisant, madame Bernard a dû prendre quelques jours de congé du 7 au 11 mars et que, selon son témoignage et celui de son conjoint, son état n'a cessé de se détériorer tant chez elle qu'au travail jusqu'à ce que son conjoint l'amène consulter un médecin le 9 novembre 1997.

[57]           Or, à cette dernière date, l'état de madame Bernard, qui s'est refusée à toute consultation jusqu'à ce jour, était tel que le docteur Vandycke parle de dépression majeure après avoir constaté une détresse psychologique importante à l'examen clinique.

[58]           De plus, le propre expert de l'employeur, le docteur Gagnon, dès le 24 novembre 1997, diagnostique un trouble panique sévère avec un élément dépressif et réfère à un événement traumatisant survenu quelques mois auparavant qu'il décrit en détail.

[59]           La Commission des lésions professionnelles retient également le fait que et le docteur Vandycke et le docteur Gagnon, qui revoient madame Bernard en février 1998, constatent une détérioration importante de son état au point où le docteur Gagnon parle, à cette dernière date, de risque de cristallisation de la situation si des mesures énergiques ne sont pas prises immédiatement.

[60]           La Commission des lésions professionnelles retient également qu'à la suite de la prise en charge de madame Bernard par le docteur Racicot le 25 mars 1998, ce dernier parle d'amélioration le 9 avril 1998 alors qu'il écrit que pour la première fois depuis son arrêt de travail en novembre 1997, madame Bernard a conduit son auto et qu'elle est venue à son rendez-vous accompagnée de sa fille.  Également, le 17 avril 1998 le docteur Racicot parle d'état stable. 

[61]           Le tribunal retient également le fait qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 270 de la loi, l'employeur se doit d'assister le travailleur dans sa réclamation.  Or, nous l'avons vu, l'arrêt de travail est survenu environ huit mois et demi après l'événement.  Une relation directe avec cet événement n'était pas évidente à sa face même pour l'employeur.  Cependant, il semble au présent tribunal que bien que ce ne soit pas déterminant dans le présent dossier, compte tenu de l'opinion du docteur Gagnon, mandaté par lui, l'employeur, dès la fin novembre 1998, était en mesure de voir une relation possible avec cet événement survenu au travail.  Malgré ce fait, rien n'a été fait du côté de l'employeur pour assister madame Bernard dans une quelconque démarche auprès de la CSST.

[62]           Ainsi, compte tenu de la nature psychique de la présente lésion de madame Bernard; des réactions de peur panique et de retrait social qu'elle a eues entre le mois de février et le mois de novembre 1997; du fait que lorsqu'elle a finalement consulté un médecin le 9 novembre 1997 sa condition s'était extrêmement détériorée; compte tenu que malgré l'opinion du docteur Gagnon, mandaté par l'employeur, ce dernier n'a pas assisté madame Bernard comme lui demande le deuxième alinéa de l'article 270 de la loi; qu'après une aggravation de la condition de madame Bernard, une amélioration ne s'est fait sentir qu'en avril 1998, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que madame Bernard, dans le contexte du présent dossier, a démontré un motif raisonnable pour expliquer son retard, permettant ainsi de prolonger le délai prévu à la loi.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée le 10 janvier 2000 par madame Caroline Bernard à la Commission des lésions professionnelles;

INFIRME la décision rendue le 20 décembre 1999 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE recevable la réclamation de madame Caroline Bernard;

RETOURNE le dossier au maître des rôles afin que les parties soient convoquées à une audience sur le fond du litige.

 

 

 

 

Me Hélène Marchand

 

Commissaire

 

 

 

 

 

Me Yvan Malo

C.S.N.

1601, avenue de Lorimier

Montréal (Québec)  H2K 4M5

 

Représentant de la partie requérante

 

 

 

Me Jean-Claude Turcotte

Loranger, Marcoux

1100, boulevard René-Lévesque Ouest, bureau 1460

Montréal (Québec)  H3B 4N4

 

Représentant de la partie intéressée

 

 

 

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