Droit de la famille — 202113 |
2020 QCCS 4589 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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(Chambre de la famille) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-FRANÇOIS |
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N° : |
450-04-014244-155 |
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DATE : |
18 décembre 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
CLAUDE VILLENEUVE, J.C.S. |
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A... A... |
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Demanderesse |
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c. |
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F... C... |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] Bien que le désir d’un enfant quant à sa garde soit généralement déterminant à partir de l’âge de 12 ans, celui exprimé par un enfant de 11 ans doit être pris en considération, surtout lorsque la maturité de cet enfant est reconnue par ses deux parents.
[2] Quand ce désir n’est pas le fruit d’un caprice, mais plutôt l’aboutissement d’une réflexion engagée depuis longtemps à la suite de mauvaises expériences vécues en garde partagée, il n’est certainement pas dans l’intérêt de l’enfant de maintenir une telle formule de garde contre son gré.
[3] Par ailleurs, même si la liberté d’expression est un droit reconnu, cela ne va pas jusqu’à permettre à un adulte de dénigrer et discréditer, en présence de son enfant mineur, les citoyens qui respectent les règles décrétées par les autorités sanitaires en pleine période de pandémie liée à la Covid-19. Le message envoyé par le parent à son enfant est alors qu’il n’est pas important de respecter la loi ni la santé et la sécurité d’autrui, ce qui incite le Tribunal à remettre en question les capacités parentales du parent en matière d’éducation et de bien-être de l’enfant et, par voie de conséquence, les modalités de la garde.
[4] L’enfant X est né en octobre 2009 alors que ses parents faisaient encore vie commune.
[5] La séparation des parties remonte à l’été 2010, mais elles ont continué, à l’époque, de vivre sous le même toit. Madame exerce alors la « garde exclusive » de X de façon consensuelle.
[6] Cette situation perdure jusqu’en juin 2015, lorsque Monsieur quitte la résidence familiale.
[7] Le dossier se judiciarise et le 5 avril 2016, le juge Yves Tardif accueille la demande de garde partagée présentée par Monsieur.
[8] L’enfant a 6 ans.
[9] Malheureusement, X vit difficilement les modalités de cette garde et il en fait part à sa mère. Madame le réconforte tout en favorisant les liens entre l’enfant et son père.
[10] Puis, Monsieur adopte un mode de vie végétalien, ce qui déplaît grandement à X qui n’aime pas ce que son père lui donne à manger et le force même à avaler à certaines occasions. En effet, quand X refuse le plat préparé par son père, celui-ci lui dit qu’il n’aura rien d’autre. Le même plat lui est présenté à chaque repas durant plusieurs jours, jusqu’à ce que l’enfant n’ait d’autre choix que de l’ingurgiter. À certaines occasions, l’enfant en devient malade[1].
[11] Ce nouveau mode de vie du père axé sur les produits naturels prend beaucoup de place dans le milieu paternel :
i) Il cuisine exclusivement avec des légumes et autres aliments à base de végétaux, ce qui déplaît à l’enfant;
ii) Il lave son linge et celui de l’enfant avec des huiles essentielles au lieu du savon à lessive, avec la conséquence que les vêtements sentent mauvais selon Madame;
iii) Il choisit des crèmes solaires à base d’huiles essentielles, ce qui fait en sorte que l’enfant a de gros coups de soleil comme on peut le constater sur certaines photos[2].
[12] L’enfant continue de se plaindre à sa mère. Au lieu de confronter le père et critiquer son nouveau mode de vie, Madame intègre progressivement à son menu, et en petite quantité, les aliments que X dit détester. La situation se résorbe, mais l’enfant se dit néanmoins malheureux chez son père.
[13] En dépit du contexte, l’enfant performe quand même très bien à l’école et obtient des notes presque parfaites[3]. Certains dessins et devoirs de l’enfant laissent toutefois entrevoir qu’il déteste la garde partagée[4]. À titre d’exemple, il écrit dans un devoir que l’annonce de cette modalité de garde est un triste événement dans sa vie[5].
[14] X demande à sa mère de tenir sa promesse de l’aider en lui reprochant de ne rien faire. Elle lui répond qu’elle fait ce qu’elle peut et qu’elle a consulté une avocate, sans lui promettre de résultat.
[15] Tout bascule en avril 2018 quand l’enfant dit ouvertement à sa mère « qu’il aimerait mieux arrêter d’exister que d’aller chez son père ». Madame est bouleversée et elle fait appel à un médecin qui la réfère à un CLSC.
[16] X a alors 8 ans.
[17] La travailleuse sociale Catherine Bresse intervient et rencontre l’enfant à quelques reprises. Elle note que X ressent de toute évidence le conflit parental au sujet de sa garde. Il dit souvent à Mme Bresse ne plus vouloir vivre en garde partagée[6].
[18] Le 22 août 2018, Madame signifie à Monsieur sa demande de garde exclusive (la « Demande »). Elle allègue, entre autres, les verbalisations de l’enfant à l’égard des méthodes éducatives inappropriées du père et certains manquements de la part de celui-ci ayant mené à un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse (« DPJ »)[7].
[19] Pourtant, la DPJ ferme son dossier en février 2019 après avoir rencontré Monsieur et noté au dossier qu’il avait reconnu avoir employé la force à quelques reprises contre l’enfant, quoique de façon non excessive[8]. L’intervenante demande toutefois à la mère de poursuivre ses démarches déjà entreprises en Cour supérieure.
[20] L’enfant a 9 ans et il continue d’insister auprès de sa mère pour vivre chez elle à temps plein. Elle lui dit d’être patient.
[21] Puis, le 27 juin 2019, Monsieur signifie à Madame une demande de pension alimentaire (il s’en désistera devant le soussigné le matin de l’instruction de la Demande).
[22] Le dossier suit son cours. L’audition au fond de la Demande est reportée à quelques reprises en raison de l’encombrement du rôle. Le 17 juin 2020, la maître des rôles fixe l’audition du dossier au 10 décembre 2020.
[23] Environ deux semaines avant l’instruction, soit le 24 novembre 2020, l’avocate de Monsieur demande l’autorisation de cesser d’occuper pour des motifs reliés à la non-collaboration de son client, dont son refus catégorique de porter un masque lors des rencontres préparatoires au bureau ou pour se rendre au Palais de justice.
[24] Notons dès maintenant que depuis le début de la pandémie, Monsieur refuse de respecter les consignes émises par la Santé publique et il les critique même en présence de l’enfant. Nous y reviendrons.
[25] Le 4 décembre 2020, Me Sébastien Gagnon est nommé procureur à l’enfant par la juge Johanne Brodeur en vue du procès.
[26] L’instruction de la Demande a lieu de façon virtuelle à la date convenue, en présence des parties, de leurs avocats et celui de l’enfant.
[27] X est maintenant âgé de 11 ans. Le rapport écrit de sa rencontre avec son avocat est admis pour tenir lieu de son témoignage[9]. On y fait état, entre autres :
i) Des « difficultés physiques » vécues par l’enfant, dont le coup de ceinture donné par son père et un autre coup donné cette fois à la tête avec un livre;
ii) Des « difficultés mentales » de l’enfant, soit les menaces proférées par son père et son langage inapproprié, dont ses sacres fréquents;
iii) Des « difficultés alimentaires » dans le milieu paternel en lien avec le nouveau mode de vie de Monsieur;
iv) Du refus catégorique de Monsieur de suivre les consignes sanitaires liées à la Covid-19;
v) Et surtout, le désir profond de l’enfant de ne plus voir son père.
[28] C’est dans ce contexte que les parties admettent qu’il y a eu un changement significatif depuis le jugement prononcé par le juge Tardif, ce qui justifie que la situation soit révisée par le Tribunal au niveau des modalités de la garde.
[29] Notons qu’il n’y a aucune demande d’ajustement rétroactif de la pension alimentaire destinée à X. Ayant des revenus similaires, les deux parties demandent plutôt de la modifier dans l’éventualité d’un changement des modalités de la garde.
[30] Les principales questions en litige sont les suivantes :
1. Est-ce que les modalités de la garde doivent être changées?
2. Dans l’affirmative, quelle pension alimentaire doit être versée au bénéfice de l’enfant X?
[31] Ces questions seront analysées en fonction du droit applicable et des faits pertinents à chacune d’elles.
2.1 Est-ce que les modalités de la garde doivent être changées?
[32] Les articles pertinents du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») sont les suivants :
Art. 32. Tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l’attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner.
Art. 33. Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.
Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation.
[33] Dans l’arrêt Droit de la famille - 122746[10], la Cour d’appel rappelle, entre autres, que la garde et les droits d'accès sont établis en fonction du meilleur intérêt de l'enfant et qu’il faut, autant que possible, favoriser le maximum de contacts entre ce dernier et chacun de ses parents[11].
[34] Dans l’affaire A. c. B.[12], la Cour d’appel résumait ainsi les facteurs qui doivent être pris en considération en matière d’octroi de la garde d’un enfant :
« [11] La juge de première instance rappelle les principes applicables en la matière, soit la recherche du meilleur intérêt de l’enfant (article 33 C.c.Q., défini par la Cour suprême dans Young c. Young1) à partir de facteurs jurisprudentiels énumérés par Suzanne Gillet2, soit :
- les besoins de l'enfant;
- la capacité parentale de répondre aux besoins de l'enfant;
- la relation affective entre l'enfant et les parents;
- la relation affective entre l'enfant et les membres de la famille;
- la stabilité de l'enfant;
- l'environnement psychosocial de l'enfant;
- la santé physique et mentale de l'enfant et de celui qui en revendique la garde;
- la disponibilité réelle des parents;
- les habitudes de vie des parents, si celles-ci ont une incidence directe sur l'enfant;
- la non-séparation de la fratrie;
- le désir de l'enfant;
- la disposition à favoriser la relation avec l'autre parent.
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1 Young c. Young, 1993 CanLII 34 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 3, 66. Elle cite aussi Nouveau-Brunswick (Ministère de la Santé et des Services communautaires) c. L.(M.), 1998 CanLII 800 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 534.
2 Suzanne GILLET, Droit de l’enfant à l’occasion d’un litige familial, Collection de droit 2005-2006, École du Barreau du Québec, vol. 3, 2005, p. 19. »
[35] L’intérêt de X, défini en fonction de ses besoins et, d’une façon générale, de sa situation, doit être au cœur de la décision du Tribunal.
[36] Dans le but de ne pas déstabiliser l’enfant et ne pas compromettre son développement, il y a généralement lieu de maintenir le statu quo comme le père le demande.
[37] Mais comme l’écrivait le juge Pierre-C. Gagnon : « la stabilité ne signifie pas de maintenir le statu quo à tout prix »[13]. Il y a lieu de favoriser la continuité, mais cet élément ne doit pas être considéré de façon isolée[14].
[38] C’est l’ensemble des circonstances qui doit être évalué, et non seulement chaque incident pris individuellement.
[39] Or, X n’accepte pas le mode de vie axé sur le végétalisme. Bien qu’une personne adulte soit tout à fait libre de choisir son mode d’alimentation (comme en l’espèce le végétalisme) et qu’il puisse être opportun d’en enseigner les vertus à son enfant, il y a des limites à l’imposer quand cela ne correspond pas aux besoins de celui-ci.
[40] Le témoignage de l’enfant est entièrement retenu puisqu’il est corroboré en grande partie par ses parents. Précisons que le Tribunal ne croit pas Monsieur lorsqu’il affirme avoir frappé accidentellement son fils avec sa ceinture, pas plus qu’il n’est cru quand il dit ne pas avoir discipliné l’enfant en le frappant à la tête avec un livre.
[41] Par ailleurs, le Tribunal ne peut passer sous silence le comportement de Monsieur pendant l’actuelle pandémie. À ce sujet, Monsieur n’a aucune crédibilité lorsqu’il déclare qu’il respecte les consignes sanitaires.
[42] Premièrement, l’enfant dit le contraire tant à sa mère qu’à son procureur et il n’y a aucune raison d’écarter ce témoignage, car il est même partiellement corroboré par Monsieur. En effet, même si ce dernier affirme porter le masque, on apprend qu’il ne respecte cette consigne que dans de très rares occasions, et surtout seulement depuis trois semaines quand il a enfin reçu ses masques en fibre naturelle fabriqués en Angleterre. Au surplus, il ne porte même pas le masque au travail alors qu’il est engagé pour nettoyer et désinfecter les locaux d’une garderie.
[43] Ce comportement du père est justement une des causes de propagation du virus au sein de la population plus vulnérable.
[44] Deuxièmement, les raisons invoquées par le père au sujet de son défaut de porter le masque ne sont pas justifiées ni justifiables. Il dit éprouver des problèmes de santé alors qu’il n’y a aucune preuve médicale à ce sujet. Le simple fait de trouver désagréable le port du masque ne suffit pas pour s’auto-diagnostiquer une condition médicale. Peu de personnes aiment vraiment porter un masque, pourtant, il est obligatoire de le faire pour préserver la santé des autres.
[45] Troisièmement, alors que Monsieur néglige et omet sciemment le port du masque dans les milieux publics, même en présence de l’enfant, il se permet de dire à ce dernier que tous ceux qui respectent cette consigne sont des « caves » ou des « sans-génie ».
[46] Évidemment, lors de l’instruction de la Demande, il nie avoir prononcé ce genre de propos devant l’enfant, mais il concède qu’il soit possible que X ait entendu ce genre de commentaires dans des vidéos qu’il a visionnées sur internet. Le problème, c’est qu’il déclare aussi candidement que ces vidéos ont été faites par des personnes qu’il qualifie lui-même de « conspirationnistes » et de « Covidiots ».
[47] Or, si Monsieur sait que les vidéos proviennent de gens qui n’ont pas encore saisi la gravité de la pandémie liée à la Covid-19 et qui le prouvent par leur étroitesse d’esprit, pourquoi alors ne pas le dire clairement à X au lieu de sembler adopter leur point de vue?
[48] En fait, peu importe si les propos sortent de la bouche de Monsieur ou qu’ils proviennent de vidéos réalisées par des inconnus qu’il permet à X de visionner, nul besoin d’élaborer longtemps pour dire que ce genre de comportement est répréhensible et même nuisible au développement de l’enfant. Comment celui-ci peut-il comprendre les consignes qui lui sont dictées à l’école quand son propre père lui enseigne le contraire? Fort heureusement, X est assez mature pour réaliser que le comportement de son père est irresponsable.
[49] Tel que mentionné, bien que la liberté d’expression soit un droit reconnu, cela ne va pas jusqu’à permettre à un adulte de dénigrer et discréditer, en présence de son enfant mineur, les citoyens qui respectent les règles décrétées par les autorités sanitaires en pleine période de pandémie. Le message lancé par le parent à son enfant est alors qu’il n’est pas important de respecter la loi ni la santé et la sécurité d’autrui, ce qui incite le Tribunal à remettre en question les capacités parentales du père en matière d’éducation et de bien-être de l’enfant et, par voie de conséquence, les modalités de la garde.
[50] La disponibilité réelle de Monsieur n’est pas non plus la même en raison de son travail qui l’oblige à amener l’enfant avec lui pour faire de l’entretien ménager pendant au moins trois heures les soirs durant son temps de garde, dont les vendredis soirs[15]. Il s’agit d’un autre élément qui milite en faveur d’un changement de garde.
[51] Mais surtout, il est bien établi en droit qu’avant l’âge de 12 ans, le désir de l’enfant doit être pris en considération et que dans tous les cas, la décision quant à la garde doit être prise dans son meilleur intérêt[16]. Toutefois, lorsque l’ensemble des circonstances le justifie, comme dans la présente affaire, le désir d’un enfant âgé de moins de 12 ans doit être fortement considéré et peut devenir déterminant[17].
[52] Étant donné que X a maintenant 11 ans, qu’il exprime le désir de mettre fin à la garde partagée depuis plus de deux ans après l’avoir expérimenté durant une période significative, que cet enfant est jugé mature par son entourage, que le désir qu’il exprime ne relève pas d’un pur caprice ou de pression indue de la part de sa mère, qu’il y a des explications légitimes à la base de cette réflexion entamée depuis longtemps de vivre à temps plein avec sa mère pour l’ensemble des raisons rapportées par son procureur, il serait manifestement néfaste et contraire à l’intérêt de X de maintenir le statu quo.
[53] Au surplus, le fait de forcer l’enfant à vivre en garde partagée risque même de compromettre de façon irrémédiable son lien d’attachement avec son père.
[54] La situation précitée constitue un changement important et significatif justifiant de modifier les modalités de la garde de X.
[55] Cependant, tel qu’indiqué lors de l’instruction, même si X ne veut plus voir son père, il faut maintenir le lien entre les deux, ce que reconnaît sans détour Madame. En permettant à X de voir son père une fin de semaine sur deux, on diminue grandement les tensions entre le père et l’enfant et on atténue les inconvénients liés au mode alimentaire imposé par Monsieur.
[56] La garde de l’enfant est donc confiée de façon exclusive à Madame. Considérant que Monsieur travaille tous les soirs, y compris les vendredis, il aura des droits d’accès auprès de son fils une fin de semaine sur deux, du samedi vers 10h00 au dimanche 18h00, et à tout autre moment convenu d’un commun accord entre les parties et l’enfant. La séquence débutera le 26 décembre 2020.
[57] Le parent qui commence sa période de garde ira chercher l’enfant au domicile de l’autre. Ainsi, X pourra attendre son père le samedi matin dans le confort du foyer de sa mère et celle-ci ira le chercher au domicile de Monsieur le dimanche soir.
[58] Pour terminer sur le sujet de la garde de X, il convient de faire un certain rappel des règles applicables en matière d’exercice de l’autorité parentale afin d’éviter des mésententes futures entre les parties concernant l’enfant.
[59] L’autorité parentale doit être exercée par les deux parents[18], peu importe qui exerce la garde de X[19]. Ni l’un ni l’autre des parents ne disposent à cet égard d’une autorité plus grande ou d'un droit de veto[20].
[60] Mais ce ne sont pas toutes les décisions qui requièrent obligatoirement l’accord des deux parents. Le parent qui a l’enfant sous sa garde peut prendre seul les décisions relatives à sa routine[21].
[61] Par contre, les décisions importantes concernant les soins, l’éducation (dont le choix des écoles) et le bien-être de X requièrent que les parents se concertent[22].
[62] En cas de mésententes entre les parents et de difficultés relatives à l’exercice de l’autorité parentale, le parent gardien ne peut prendre seul la décision. Il doit au préalable obtenir l’autorisation du Tribunal[23].
[63] Il est important pour les parties de respecter ce qui précède puisque le parent qui s’approprie l’exercice de l’autorité parentale sans motif valable peut s’exposer à un changement de garde. À l’inverse, celui qui s’oppose abusivement et sans motif valable à des demandes visant l’intérêt de l’enfant peut être condamné à supporter les frais d’une demande en justice[24].
2.2 Quelle pension alimentaire doit être versée au bénéfice de l’enfant X?
[64] Rappelons que l’obligation des parties de subvenir aux besoins de leur fils est d’ordre public[25] et que la contribution alimentaire de base est établie non seulement en fonction du temps de garde des parents, mais aussi en tenant compte de leurs revenus bruts respectifs[26] et de la valeur des actifs dont ils disposent[27].
[65] La contribution alimentaire de base, imposée à chacun des parents, est présumée correspondre aux besoins de leur enfant et à la capacité de payer des parents[28]. Elle vise à couvrir les besoins essentiels de X, soit : alimentation, logement, communication, entretien ménager, soins personnels, habillement, ameublement, transport et loisirs[29].
[66] Cette contribution alimentaire de base peut être augmentée pour tenir compte de certains frais supplémentaires relatifs à l’enfant qui ne sont pas déjà inclus dans le montant de la pension alimentaire, et ce, dans la mesure où ils sont raisonnables et justifiés par les besoins de X et que les parties ont la capacité financière de les payer[30].
[67] Ces frais supplémentaires relatifs à l’enfant comprennent les frais de garde, les frais d’études postsecondaires et les autres frais particuliers. Quant à ce qui peut être considéré comme des frais particuliers, la Cour d’appel écrivait ce qui suit dans l’affaire Droit de la famille - 15564[31] :
« [24] Quant aux frais particuliers, ils incluent, selon le même art. 9, les frais médicaux, les frais relatifs à des études primaires ou secondaires ou à tout autre programme éducatif ainsi que les frais relatifs à des activités parascolaires, lorsque ces frais sont liés aux besoins que dicte la situation particulière de l'enfant. Ainsi que le reconnaît la jurisprudence, ils peuvent inclure certaines dépenses de sport ou de culture (particulièrement si l'enfant a un talent particulier ou est un passionné et qu'il s'agit de sa principale activité de loisir), les frais d'orthodontie, de prothèses ou d'orthèses ou de lunettes, les frais liés à des soins psychologiques et, de façon générale, tout ce qui est nécessaire afin de répondre, là encore, à la situation particulière de l'enfant. Une double limite s'applique toutefois à de tels frais : ils doivent être raisonnables et proportionnels aux facultés des parents (art. 587.1 C.c.Q.) et ils doivent normalement recevoir l'aval de ces derniers, ce qui est naturel vu la manière dont ils sont ordinairement répartis (étant entendu qu'il est possible de passer outre au refus déraisonnable d'un parent ou de tenir compte de certaines circonstances pour statuer autrement). »
[68] Dans la présente affaire, ces frais supplémentaires relatifs à l’enfant X devront être partagés en parts égales entre les parties.
[69] Dans le but d’éviter des mésententes entre les parties et à moins d’une urgence, il est fortement suggéré à chacun des parents de consulter l’autre avant d’engager une dépense dont il veut ensuite lui en faire assumer une part. Cela évitera de mauvaises surprises au moment du partage des frais.
[70] Aux fins de la fixation de la pension alimentaire destinée à l’enfant, les revenus des parties doivent maintenant être établis puisqu’ils sont contestés.
i) Les revenus de Madame :
[71] Depuis le 10 septembre 2020, Madame travaille comme commis comptable chez [la Compagnie A] à un taux horaire de 17,25 $ à raison de 40 heures par semaine.
[72] Sur une base annuelle, son revenu peut être établi à 35 880 $[32].
ii) Les revenus de Monsieur :
[73] Madame demande que le Tribunal impute des revenus de 40 000 $ par année à Monsieur.
[74] Celui-ci est travailleur autonome dans le domaine de l’entretien ménager. Depuis le mois de septembre 2020, son principal client est un CPE. Son taux horaire est de 20 $.
[75] Lors de l’instruction, il déclare pouvoir gagner des revenus d’environ 25 000 $ à 35 000 $ en 2021, en précisant que « (…) ce n’est pas le travail qui manque ».
[76] Il convient de noter que Monsieur est inscrit aux fichiers de la TPS et de TVQ, ce qui présuppose qu’il gagne des revenus de plus de 30 000 $ par année.
[77] Aux fins de la fixation de la pension alimentaire de l’enfant, le Tribunal établit les revenus de Monsieur à 35 000 $, soit un revenu similaire à celui de Madame comme les parties en avaient convenu si la garde partagée était maintenue[33].
iii) La pension alimentaire payable par Monsieur :
[78] Étant donné que Madame exercera la garde exclusive de l’enfant, Monsieur devra lui verser une pension alimentaire de 287,90 $ par mois à compter de la date du présent jugement, payable en deux versements égaux de 143,95 $ les 1er et 15e jours de chaque mois en conformité de la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires[34].
[79] Cette pension sera indexée annuellement le 1er janvier de chaque année en conformité de l’article 590 C.c.Q.
[80] Afin que l’enfant reçoive la pension alimentaire qui lui revient de plein droit et que celle-ci soit ajustée périodiquement, les parties devront se transmettre leurs preuves de revenus chaque année (déclarations de revenus et avis de cotisation), et ce, au plus tard le 15 juin. De plus, en cas de changement significatif dans ses revenus, chaque partie devra en aviser l’autre sans délai.
[81] Enfin, puisque X se sent impliqué dans le conflit parental, il est important que les parties ne discutent pas de leur litige avec l’enfant ni avec d’autres personnes en sa présence. Une ordonnance sera rendue à cet effet.
[82] CONFIE la garde de l’enfant X à la demanderesse;
[83] ACCORDE au défendeur des droits d’accès auprès de son fils X, du samedi 10h00 au dimanche 18h00, et à tout autre moment convenu d’un commun accord entre les parties et l’enfant, et ce, à compter du 26 décembre 2020;
[84] ORDONNE que le parent qui commence sa période de garde aille chercher l’enfant au domicile de l’autre;
[85] ORDONNE au défendeur de verser à la demanderesse, au bénéfice de l’enfant X, une pension alimentaire de 287,90 $ par mois, payable en deux versements égaux de 143,95 $, les 1er et 15e jours de chaque mois, en conformité de la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires, et ce, à compter de la date du présent jugement;
[86] ORDONNE que la pension alimentaire soit indexée le 1er janvier de chaque année, en conformité de l’article 590 du Code civil du Québec;
[87] ORDONNE que les frais supplémentaires relatifs à l’enfant soient partagés en parts égales entre les parties;
[88] ORDONNE aux parties de s’échanger, avant le 1er juin de chaque année, leurs déclarations fiscales respectives et de s’informer sans délai de toute modification importante quant à leurs revenus;
[89] ORDONNE aux parties de ne pas discuter de leur conflit parental avec l’enfant X ni avec d’autres personnes en sa présence;
[90] Sans frais de justice.
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__________________________________CLAUDE VILLENEUVE, j.c.s. |
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Me Maïté Morin |
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Avocate de la demanderesse |
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Me Guillaume-Marc Caza |
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(Marco-Pierre Caza Avocats) |
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Avocat du défendeur |
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Me Sébastien Gagnon |
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(Gagnon Rodriguez Avocats) |
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Avocat de l’enfant |
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Date d’audience : |
10 décembre 2020 |
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[1] Les échanges de messages textes (pièces P-1 et P-4) en font état et les parties le confirment lors de l’instruction.
[2] Pièce P-3.
[3] Pièce D-4.
[4] Pièce P-6.
[5] Pièce P-7.
[6] Pièce P-2 (voir les notes d’évolution des 20 avril et 1er mai 2018).
[7] Demande de la demanderesse pour changement de garde et fixation de pension alimentaire datée du 14 août 2018 (séquence #22).
[8] Pièce D-3.
[9] Pièce E-1.
[10] 2012 QCCA 1782. Voir également : Droit de la famille - 152255, 2015 QCCS 4237.
[11] L’art. 16 (10) de la Loi sur le divorce prévoit d’ailleurs expressément ce principe.
[12] EYB 2007-119693 (C.A.).
[13] Droit de la famille - 113382, 2011 QCCS 5728, par. 133.
[14] T.(B.) c. B.(F.), 2003 CanLII 11167 (QC CS), par. 28.
[15] Pièce P-20.
[16] Droit de la famille - 151179, 2015 QCCA 923; Droit de la famille - 112970, 2011 QCCA 1752 (CanLII), par. 3, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 34544 (8 mars 2012); Droit de la famille - 07832, 2007 QCCA 548 (CanLII), par. 28; Droit de la famille - 201979, 2020 QCCS 4246, par. 55; Droit de la famille - 201595, 2020 QCCS 3479, par. 20.
[17] Droit de la famille - 20777, 2020 QCCA 776 (dans cette affaire, ce principe a été appliqué au désir d’un enfant de 10 ans).
[18] Art. 600 al. 1 C.c.Q.
[19] Art. 605 C.c.Q.
[20] Droit de la famille - 09746, 2009 QCCA 623, par. 36.
[21] Idem, par. 41 et 42.
[22] À titre d’exemples, mais sans s’y limiter, les décisions concernant le choix de la garderie, de l’école, des activités sportives, de religion, les voyages à l’étranger ou les interventions et soins requis par la condition d’un enfant doivent être prises par les deux parents.
[23] Art. 604 C.c.Q.
[24] Art. 51 et suiv. du Code de procédure civile.
[25] Hickey c. Hickey, [1999] 2 RCS 518; Francis c. Baker, [1999] 3 RCS 250; Droit de la famille - 152347, 2015 QCCA 1540, par. 11; Droit de la famille - 153207, 2015 QCCA 2095, par. 41; Droit de la famille - 152222, 2015 QCCA 1412, par. 27; A c. B, 2007 QCCA 112, par. 7; J.-M.C. c. L.P., 2005 QCCA 1254, par. 29; Droit de la famille - 092398, 2009 QCCA 1855, par. 4.
[26] Art. 443 C.p.c.; Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants, RLRQ, c. C-25.01, r. 0.4, art. 3.
[27] Art. 587.2 al. 2 C.c.Q.
[28] Art. 587.1 al. 1 C.c.Q.
[29] Droit de la famille - 16598, 2016 QCCA 464, par. 45; Droit de la famille - 13396, 2013 QCCA 317, par. 41; Droit de la famille - 3228, 1999 CanLII 13173 (QC CA).
[30] Art. 587.1 al. 2 C.c.Q.
[31] Droit de la famille - 15564, 2015 QCCA 526.
[32] Madame admet d’ailleurs ce revenu dans son Annexe 1 déposée comme pièce P-18.
[33] Rappelons que les parties avaient admis qu’elles gagnaient à peu près les mêmes revenus et ne voulaient pas qu’une pension alimentaire soit ordonnée si la garde partagée était maintenue.
[34] Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires, RLRQ c P-2.2.
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