Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

26 avril 2006

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

257533-72-0503-R

 

Dossier CSST :

123419608

 

Commissaire :

Me Alain Suicco

 

Membres :

Gilles Veillette, associations d’employeurs

 

France Morin, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Richard Bourque

 

Partie requérante

 

 

 

Et

 

 

 

Signotech inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 12 août 2005, l’entreprise Signotech inc ( l’employeur ) dépose une requête en révocation de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 5 août 2005.

[2]                Le 27 septembre 2005, monsieur Richard Bourque ( le travailleur ) dépose deux requêtes en révocation à l’encontre des deux décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles les 2 et 5 août 2005.

[3]                Par ces décisions, la Commission des lésions professionnelles déclare que le congédiement du travailleur n’est pas une sanction exercée contre lui, qu’il a exercé un droit prévu à la loi et qu’il a droit de réintégrer son emploi.

[4]                À l’audience prévue le 10 mars 2006, les deux parties étaient absentes mais représentées.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[5]                Le travailleur demande de révoquer les décisions rendues les 2 et 5 août 2005, de retourner le dossier au greffe de la Commission des lésions professionnelles afin qu’une nouvelle date d’audience soit déterminée.

[6]                L’employeur demande de révoquer la décision rendue le 5 août 2005, parce qu’elle est incompatible avec celle rendue le 2 août précédent.

L’AVIS DES MEMBRES

[7]                Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la décision rendue le 2 août 2005 ne comporte pas d’erreur et que la requête du travailleur devrait être rejetée. Quant à la décision rectifiée rendue le 5 août suivant, elle devrait être révoquée parce qu’elle est incompatible avec le congédiement confirmé par la décision rendue le 2 août précédent.

[8]                La membre issue des associations syndicales est d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie. Les décisions rendues les 2 août et 5 août 2005 étant  reliées, il y aurait lieu de les révoquer et de convoquer une nouvelle audience.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[9]                Le tribunal doit décider s’il y a lieu de révoquer les décisions rendues les 2 août et 5 août 2005.

[10]           C’est l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui permet à la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu’elle a rendue. Cette disposition définit les critères qui donnent ouverture à la révision ou la révocation d’une décision.

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[11]           Cette disposition doit cependant être lue en conjugaison avec l’alinéa troisième de l’article 429.49 de la loi, qui indique le caractère final et sans appel des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles.

429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[12]           Le tribunal est d’avis que le législateur a voulu ainsi s’assurer de la stabilité juridique des décisions rendues. Il y a donc lieu de tenir compte de ces objectifs, aux fins d’interpréter ces deux dispositions législatives.

[13]           Au surplus dans l’arrêt Fontaine[2], la Cour d’appel précise que les tribunaux judiciaires doivent appliquer le critère de la décision « raisonnable simpliciter », lorsqu’ils disposent d’une requête en révision judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles à la suite d’une requête en vertu de l’article 429.56  de la loi. Le pouvoir d’intervention dans le cadre de la présente procédure est donc limité.

[14]           Dans le présent dossier, c’est le motif d’un « vice de fond » qui est invoqué pour invalider la décision rendue. La Commission des lésions professionnelles de même que les tribunaux judiciaires se sont prononcés à plusieurs occasions sur la portée du paragraphe troisième de l’article 429.56[3]. La lecture de ces décisions indique qu’une erreur de faits ou de droit peut constituer un « vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision », si le requérant démontre que cette erreur est manifeste et déterminante eu égard à l’objet de sa contestation.

[15]           Au même effet la Cour d’appel dans l’affaire Fontaine[4], rappelle les propos du juge Fish dans l’affaire Godin[5] qui précisait que pour qu’une irrégularité soit susceptible de constituer un vice de fond, il doit s’agir d’un « defect so fundamental as to render (the decision) invalid (…), a fatal error ». De même dans l’arrêt Bourassa[6], la Cour d’appel avait précisé qu’une décision pouvant donner ouverture à la procédure prévue à l’article 429.56, devait être « entachée d’une erreur manifeste de droit ou de faits qui a un effet déterminant sur le litige ».

[16]           Pour faciliter la compréhension de la présente requête, il y a lieu de reproduire des passages des décisions rendues les 2 août et 5 août 2005.

« […]

 

[9] Le 20 septembre 2004, l’employeur congédie monsieur Bourque parce que celui-ci ne peut effectuer son travail selon son médecin traitant et qu’il n’a pas d’autre emploi à lui proposer.

 

[10] Le 28 septembre 2004, monsieur Bourque dépose à la CSST une plainte contre son employeur en vertu de l’article 32 de la loi.

 

[…]

 

[12] Les faits démontrent ce qui suit :

 

[13] Monsieur Bourque est à l’emploi de Signotech depuis plus d’un an et demi lorsque le 24 novembre 2002, il se blesse au dos en glissant et tombant sur un poteau. Il est âgé de 38 ans et journalier.

 

[14] Le 4 février 2003, monsieur Bourque fait une nouvelle chute sur la glace alors qu’il est assigné à des travaux légers.

 

[15] Le 27 juin 2003, un Bureau d’évaluation médicale rend un avis sur le diagnostic, la date de consolidation et la nature, durée et nécessité des soins reliés à la lésion subie le 24 novembre 2002.

 

[…] »

 

 

[17]           Dans le cadre de l’avis émis par le Bureau d’évaluation médicale le 27 juin 2003, le docteur Luc Pilon indique :

« […]

 

IDENTIFICATION :

 

ÀGE :              39 ans.

 

EMPLOI :          Il est à l’emploi de Signotech Inc. Son travail consiste à voir à l’érection de signalisation lors de travaux routiers et il doit alors manipuler des panneaux, des pesées statiques et des autres poids lourds de façon régulière. […]

 

[…] »

 

 

[18]           La décision rendue le 2 août 2005 continue ainsi :

« […]

 

[20] Le 2 avril 2004, le dossier de monsieur Bourque est transmis à un autre Bureau d’évaluation médicale pour qu’il se prononce sur l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.

 

[21] Le 5 avril 2004, le docteur Pierre-Paul Hébert, orthopédiste, rend son avis sur la date de consolidation, la nature, durée et nécessité des soins et l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles reliées à la lésion subie le 24 novembre 2002 par monsieur Bourque.

 

[22] Le docteur Hébert se réfère au diagnostic accepté par la CSST de contusion dorsale et donne l’avis suivant : la contusion dorsale est consolidée le 8 janvier 2004, sans nécessité d’autre soin, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.

 

[23] La CSST, initialement et en révision administrative, donne suite à cet avis que monsieur Bourque conteste.

 

[24] Une audience devant la Commission des lésions professionnelles est fixée au 10 septembre 2004.

 

[25] Monsieur Bourque produit sous la cote A-5 une note qui lui est remise en mains propres à la suite de la décision qui donne suite à l’avis du Bureau d’évaluation médicale. On y lit :

 

Tant et aussi longtemps que la Commission des lésions professionnelles n’aura pas statué sur vos contestations, l’employeur vous affectera, par prudence, à un poste de coordonnateur de chantier considérant que ce poste ne représente pas de danger pour la condition physique que vous prétendez avoir.

 

Le poste de coordonnateur de chantier est un poste non syndiqué, rémunéré à la semaine au montant de 625$.

 

Une fois que la CLP se sera prononcée sur vos contestations, votre dossier sera réévalué afin de déterminer si vous êtes ou non physiquement en mesure de réintégrer votre emploi sur les chantiers.

 

La présente décision de l’employeur n’affecte en rien vos droits de syndiqué qui seront sauvegardés.

 

Compte tenu des circonstances et de vos prétentions relativement à votre état de santé, vous comprendrez que l’employeur n’a pas d’autre choix que de prendre les dispositions nécessaires afin de veiller à votre santé et sécurité.

 

(sic)

 

[…]

 

[27] Le 25 août 2004, monsieur Bourque transmet à la Commission des lésions professionnelles et à l’employeur un exemplaire d’une expertise préparée le 15 juin 2004 par le docteur Gilles R. Tremblay, chirurgien-orthopédiste. L’employeur produit cette expertise sous la cote I-1.

 

[28] Le docteur Tremblay est d’avis que la contusion dorsale subie par monsieur Bourque est consolidée avec un déficit de 2 % parce que monsieur Bourque présente une douleur vive à la palpation de la région dorsale inférieure et une souffrance dorso-lombaire évidente lors du redressement de la position penchée. Il établit les limitations fonctionnelles suivantes :

 

Éviter les efforts de plus de 10 kilogrammes pour soulever, tirer et pousser;

Éviter les positions statiques, en flexion, en inclinaison latérale ou en rotation, pour le rachis lombaire;

Éviter de ramper, grimper ou négocier des terrains accidentés ou glissants;

Éviter les mouvements répétitifs, même de faible amplitude, du rachis dorso-lombaire;

Éviter l’exposition aux vibrations et aux contre-coups, pour le rachis dorso-lombaire.

 

[29] Le docteur Tremblay ajoute que monsieur Bourque présente une légère dégénérescence discale en L5-S1 qui, à son avis, n’engendre aucun symptôme ni signe, sauf une douleur locale à L5, mais cette pathologie n’est pas en relation avec l’événement.

 

[30] Le docteur Tremblay termine comme suit :

 

Les limitations fonctionnelles sont difficiles à concilier avec la description de poste que me fait monsieur Bourque, mais nous n’avons pas la description formelle du travail au dossier, donc nous ne pouvons pas nous prononcer, de façon formelle, sur la capacité de ce patient d’exercer son travail, considérant les limitations fonctionnelles engendrées par sa lésion professionnelle.

(sic)

 

[31] Monsieur Bourque occupe le poste de patrouilleur lorsque l’employeur reçoit cette expertise. Il produit sous la cote A-9 un relevé des poids des charges qu’il a à déplacer dans l’exercice de ce travail. Ces poids varient entre 10 livres pour des barils et 60 livres pour les pesées de béton.

 

[32] Monsieur Bourque produit sous la cote A-2 une note de service que l’employeur lui remet le 6 septembre 2004. On y lit :

 

Selon le médecin mandaté par la CSN pour évaluer votre condition physique : « (…) Les limitations fonctionnelles sont difficiles à concilier avec la description de poste que me fait monsieur Bourque. (…).

 

Par conséquent, il serait irresponsable de vous faire travailler plus longtemps, risquant ainsi de nuire davantage à votre santé.

(sic)

 

[33] Le contremaître, D. Noiseux, suspend monsieur Bourque et son dossier est transmis à monsieur Claude Ferland qui gère les dossiers en santé et sécurité du travail.

 

[34] Ce dernier demande un avis à ses consultants en santé et sécurité du travail. Sans parler directement à un médecin ni à un avocat, monsieur Ferland est avisé que le texte du docteur Tremblay est clair et que monsieur Bourque ne peut exécuter son travail compte tenu de ses limitations fonctionnelles.

 

[35] Le 8 septembre 2004, soit deux jours après la suspension et deux jours avant l’audience devant la Commission des lésions professionnelles, monsieur Bourque se désiste de sa contestation de la décision qui donne suite aux conclusions du Bureau d’évaluation médicale : la lésion est donc consolidée sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle. Le désistement est produit sous la cote A-6.

 

[36] Tel que mentionné précédemment, monsieur Bourque est congédié le 20 septembre 2004; la lettre de congédiement est produite sous la cote A-7. Le 28 septembre 2004, monsieur Bourque dépose une plainte à la CSST contre l’employeur pour congédiement injuste.

 

[37] Le 28 septembre 2004, l’employeur complète le formulaire de Relevé d’emploi sur lequel il indique que monsieur Bourque est congédié pour des raisons administratives reliées à sa condition physique.

 

[38] Le 28 septembre 2004, l’employeur produit à la CSST une demande de partage des coûts reliés à la lésion subie par monsieur Bourque le 24 novembre 2002.

 

[39] Le 3 février 2005, la CSST rejette la plainte de monsieur Bourque parce que la preuve démontre que celui-ci n’est plus capable d’occuper son emploi et que « l’employeur était justifié et même avait la responsabilité d’empêcher que le travailleur continue à occuper son emploi sans risque d’aggraver sa condition physique. » Le congédiement de monsieur Bourque n’est donc pas une sanction contre lui.

 

[40] La Commission des lésions professionnelles est saisie de la contestation par monsieur Bourque de cette décision.

 

[41] La preuve démontre que monsieur Bourque a été assigné à différents travaux, légers avant la période de consolidation.

 

[42]  Et même lorsque le Bureau d’évaluation médicale a déclaré la lésion consolidée sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, l’employeur a continué d’assigner monsieur Bourque à des travaux légers parce que celui-ci contestait ces conclusions et que l’employeur a pris pour acquis qu’il avait raison.

 

[43] Il a alors tenu compte des limitations fonctionnelles établies par le médecin traitant qui sont moins restrictives que celles établies par le docteur Tremblay. Monsieur Bourque produit sous la cote A-4 le formulaire d’assignation temporaire autorisée par le médecin traitant le 31 mars 2004.

 

[…]

 

[45] À l’audience, monsieur Bourque allègue qu’il est capable d’occuper son emploi prélésionnel puisqu’il l’a occupé de janvier à août 2004, ce qui contredit les constatations du docteur Tremblay.

 

[…]

 

[47] Comment monsieur Bourque peut-il, le 25 août 2004, produire une expertise qui détermine son incapacité à occuper le poste de travail pré-lésionnel et le 8 septembre 2004, se désister de sa contestation d’une décision dont l’effet est de reconnaître sa capacité à occuper ce même poste?

 

[48] Le seul incident survenu entre ces deux dates est le mémo produit sous la cote A-2 par l’employeur qui informe monsieur Bourque que l’employeur ne veut plus qu’il  travaille compte tenu des limitations fonctionnelles établies par le docteur Tremblay parce qu’il craint qu’il n’aggrave sa condition.

 

[49] Le représentant de monsieur Bourque plaide que compte tenu du désistement par monsieur Bourque de sa contestation de la décision qui donne suite aux conclusions du Bureau d’évaluation médicale, l’employeur est lié par ces conclusions qui sont à l’effet que la lésion est consolidée sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle et en conséquence, monsieur Bourque peut occuper son emploi.

 

[…]

 

[51] Toutefois, la question en litige est quel est le véritable motif du congédiement et non pas l’employeur aurait-il dû garder monsieur Bourque à son emploi?

 

[52] Tout au long de l’assignation à des travaux légers, l’employeur s’est montré soucieux de combler les désirs et les besoins de monsieur Bourque, modifiant ses assignations selon ses goûts, créant un poste pour l’accommoder, concluant une entente avec le syndicat qui lui permette de travailler hors de son unité de négociation.

 

[53] L’employeur a toujours respecté les demandes de monsieur Bourque, même lorsque les conclusions médicales lui auraient permis de ne pas le faire. Pendant plus d’un an, il fait tout en son pouvoir pour l’accommoder.  Mais lorsque son propre médecin le déclare inapte à occuper son emploi, il applique à la lettre les conclusions de ce médecin et congédie monsieur Bourque puisqu’il n’a pas de poste à lui offrir, qui respecte à la fois ses limitations fonctionnelles, ses compétences et la convention collective  (A-3).

 

[54] En produisant cette expertise, monsieur Bourque se conforme aux Règles de preuve, de procédure et de pratique de la Commission des lésions professionnelles en vue de la tenue d’une audience le 10 septembre 2004.

[55] Quand l’employeur reçoit l’expertise du docteur Tremblay, sa réaction est normale : il s’informe auprès de ses consultants et suspend monsieur Bourque en attendant leur avis.

 

[56] Lorsqu’il reçoit leur avis, pour éviter que monsieur Bourque n’aggrave sa condition, il le congédie.

 

[…]

 

[58] Le procureur de monsieur Bourque plaide que la preuve médicale prépondérante au dossier démontre que la lésion subie par monsieur Bourque est consolidée sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle car seul le docteur Tremblay établit des séquelles. L’employeur aurait donc dû considérer monsieur Bourque apte à occuper son emploi.

 

[59] Dans un tel cas, la Commission des lésions professionnelles se demande pourquoi il produit cette expertise en laquelle il ne croit pas. Pourquoi produire une expertise contraire à la réalité? Il s’agit d’un comportement fautif de la part de monsieur Bourque.

 

[60] Pourquoi l’employeur aurait-il fait tous ces efforts pendant plus d’un an pour accommoder monsieur Bourque, qu’il considère d’ailleurs comme un bon employé, pour le congédier en septembre 2004?

 

[…]

 

[63] Compte tenu de la chronologie des événements qui démontre que le 6 septembre 2004 l’employeur avise monsieur Bourque qu’il ne peut continuer à le laisser travailler à cause de ses limitations fonctionnelles et qu’il est possible qu’il n’ait pas encore obtenu l’avis de ses consultants.

 

[64] Compte tenu que l’audience à la Commission des lésions professionnelles sur l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles et en conséquence la capacité à travailler de monsieur Bourque est fixée au 10 septembre 2004.

 

[65] Compte tenu que monsieur Bourque se désiste le 8 septembre 2004 de sa contestation.

 

[66] Compte tenu que l’employeur congédie monsieur Bourque le 20 septembre 2004.

 

[67] Compte tenu que l’employeur a toujours démontré le désir de satisfaire les demandes et les besoins de monsieur Bourque en l’assignant à des travaux légers même lorsqu’il n’était pas tenu de le faire.

 

[68] Compte tenu que les limitations établies par le docteur Tremblay ne permettent pas de l’assigner aux travaux auxquels l’employeur l’avait assigné plus tôt.

 

[69] Compte tenu que monsieur Bourque plaide à l’audience que l’expertise du docteur Tremblay ne décrit pas sa véritable condition puisqu’à l’audience, il affirme être capable d’occuper son emploi.

 

[70] La Commission des lésions professionnelles conclut que le congédiement du 20 septembre 2004 n’est pas une sanction exercée par l’employeur contre monsieur Bourque parce que celui-ci a exercé un droit prévu à la loi.

 

[71] D’ailleurs, quel est ce droit? L’employeur ne le congédie pas parce qu’il a été victime d’un accident du travail ni parce qu’il en garde des séquelles puisqu’il le garde à son emploi pendant plus d’un an après la consolidation en l’accommodant, sans obligation légale de le faire.

 

[72] Il le congédie parce qu’il n’a pas d’emploi à lui offrir qui respecte les limitations fonctionnelles établies par le médecin traitant, ses compétences et la convention collective.

 

[…]

 

[74] Même si l’employeur est lié par les conclusions du Bureau d’évaluation médicale, compte tenu du contexte, la preuve ne démontre pas de façon prépondérante que l’employeur congédie monsieur Bourque parce que ce dernier a exercé un droit prévu à la loi mais plutôt parce qu’il n’a pas d’emploi à lui offrir.

 

[75] La requête et la plainte de monsieur Bourque sont rejetées.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

 

[…]

 

DÉCLARE que le congédiement de monsieur Bourque n’est pas une sanction exercée contre lui par l’employeur parce qu’il a exercé un droit prévu à la loi.

 

[…] »

 

 

[19]           Trois jours plus tard, soit le 5 août 2005, la Commission des lésions professionnelles émet une autre décision intitulée : « Rectification d’une décision ». Cette décision indique :

« […]

 

[1] La Commission des lésions professionnelles a rendu le 2 août 2005, une décision dans le présent dossier;

 

[2] Des paragraphes doivent être ajoutés à la présente décision. Ceux-ci doivent apparaître après le paragraphe 75 :

 

[76]      Même si monsieur Bourque n’a pas abordé cet aspect dans sa plaidoirie, la Commission des lésions professionnelles cite l’article 236 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi), qui accorde au travailleur redevenu capable d’exercer son emploi, le droit de le réintégrer prioritairement :

 

236. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui redevient capable d'exercer son emploi a droit de réintégrer prioritairement son emploi dans l'établissement où il travaillait


lorsque s'est manifestée sa lésion ou de réintégrer un emploi équivalent dans cet établissement ou dans un autre établissement de son employeur.

__________

1985, c. 6, a. 236.

 

[77]      L’article 240 de la loi fixe un délai pour l’exercice de ce droit :

 

240. Les droits conférés par les articles 236 à 239 peuvent être exercés:

 

1°         dans l'année suivant le début de la période d'absence continue du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, s'il occupait un emploi dans un établissement comptant 20 travailleurs ou moins au début de cette période; ou

 

2°         dans les deux ans suivant le début de la période d'absence continue du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, s'il occupait un emploi dans un établissement comptant plus de 20 travailleurs au début de cette période.

 

Le retour au travail d'un travailleur à la suite d'un avis médical n'interrompt pas la période d'absence continue du travailleur si son état de santé relatif à sa lésion l'oblige à abandonner son travail dans la journée du retour.

__________

1985, c. 6, a. 240.

 

[78]      L’employeur compte plus de 20 employés. Monsieur Bourque a donc deux ans depuis le début de la période d’absence continue pour exercer ce droit.

 

[79]      Monsieur Bourque se blesse le 24 novembre 2002. Il s’absente pendant quelques mois puis est assigné temporairement à des travaux légers au début de l’année 2003. Cette assignation ne suspend pas la période d’absence continue2. Il a donc jusqu’au 24 novembre 2004 pour exercer son droit de retour au travail.

 

[80]      Compte tenu de son désistement produit le 8 septembre 2004 (A-6), il est légalement redevenu capable de réintégrer son emploi avant l’expiration de son droit de retour au travail, puisqu’il n’a pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique ni de limitation fonctionnelle.

 

[81]      La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est une loi d’ordre public.

 

[82]      Force est de conclure que monsieur Bourque a le droit de réintégrer prioritairement son emploi.

____________________________

2           Lord et Hôpital Laval, [1996] C.A.L.P. 1047

 


[3] Il y a lieu d’ajouter également à la présente décision, une dernière conclusion :

 

DÉCLARE que le droit de retour au travail de monsieur Bourque n’est pas expiré et qu’il a le droit de réintégrer prioritairement son emploi.

 

[…] »

 

 

[20]           Le 12 août 2005, la procureure de l’employeur fait parvenir à la Commission des lésions professionnelles un document qui indique :

« […]

 

La présente fait suite à la réception de la décision de Madame la commissaire Yolande Lemire datée du 5 août 2005 rectifiant sa décision du 2 août 2005 concernant le dossier mentionné en rubrique.

 

Respectueusement, nous sommes d’avis que cette dernière décision est illégale et contraire à l’article 429.55 de la Loi sur les accidents de travail et maladies professionnelles régissant les modalités de rectification d’une erreur lorsque la décision est entachée « d’une erreur d’écriture ou de calcul ou de quelque autre erreur matérielle  ».

 

Nous sommes d’opinion qu’en vertu du principe du functus officio, une instance décisionnelle ne peut modifier sa décision après l’avoir rendue.

 

Nous nous réservons donc par la présente, tous les droits et recours nécessaires afin de contester cette dernière décision du 5 août 2005 par Madame la commissaire Lemire, rectifiant la sienne du 2 août dernier.

 

[…] »

 

 

[21]           Le 27 septembre suivant, le représentant du travailleur soumet une requête en révocation des décisions rendues les 2 août et 5 août 2005.

[22]           Dans cette requête écrite de même que dans son argumentation à l’audience, le représentant du travailleur soumet que les décisions rendues les 2 août et 5 août 2005 sont «diamétralement opposées », ce qui fait en sorte que la deuxième décision est inapplicable. Le représentant soumet donc que les deux décisions devraient être révoquées.

[23]           Il soumet au surplus qu’en raison de son désistement de la contestation eu égard à l’absence d’atteinte permanente et de limitation fonctionnelle, la Commission des lésions professionnelles était liée par l’avis du Bureau d’évaluation médicale, tel qu’indiqué au paragraphe 22 de la décision. Aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle ne résultant de l’accident du travail survenu le 24 novembre 2002, le travailleur était redevenu capable d’exercer son emploi. Ce à quoi l’employeur était tenu de se conformer. Le représentant ajoute également que ce que la Commission des lésions professionnelles qualifie « d’accommodement » au paragraphe 53, correspond en fait à des assignations temporaires.

[24]           Le représentant du travailleur soumet donc que c’est en raison de la lésion professionnelle subie au mois de novembre 2002, que monsieur Bourque a été congédié. Conséquemment la décision rendue le 2 août 2005 devrait être révoquée, compte tenu que la rectification de la décision rendue le 5 août 2005 «constitue un tout avec celle rendue le 2 août précédent ». Il y a donc lieu de révoquer les deux décisions et convoquer les parties pour une nouvelle audience sur le mérite de la contestation.

[25]           Le tribunal se doit d’écarter les arguments soumis par le travailleur.

[26]           Comme le  soumet la procureure de l’employeur, les deux décisions rendues les 2 et 5 août 2005 sont dissociables et doivent être analysées séparément.

[27]           Tel que soumis par l’employeur, la Commission des lésions professionnelles a exercé sa compétence en rendant la décision datée du 2 août 2005. Sa compétence consistait à déterminer si l’employeur avait congédié le travailleur en raison de sa lésion professionnelle ou pour une autre cause juste et suffisante, tel que prévu à l’alinéa second de l’article 255 de la loi.

[28]           À cet effet, le soussigné est d’avis que la décision rendue le 2 août 2005 est claire et très bien motivée. Peu importe que le travailleur se soit désisté de sa contestation concernant l’avis émis par le Bureau d’évaluation médicale le 5 avril 2004, l’objet de la contestation qui est à l’origine de la décision rendue le 2 août 2005, ne concerne pas la capacité du travailleur à exercer à son emploi. Il s’agissait plutôt de déterminer si le congédiement constitue une sanction eu égard à l’exercice d’un droit prévu par la loi pour le travailleur, soit celui de réclamer pour une lésion professionnelle.

[29]           L’expertise datée du mois d’août 2004 par le docteur Tremblay, a été préparée et déposée au dossier par le travailleur. En référant à cette expertise, l’employeur a décidé que son entreprise ne comportait pas de poste de travail qui puisse respecter les limitations fonctionnelles émises par le docteur Tremblay, et a ainsi décidé de congédier le travailleur.

[30]           Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles devait décider si le motif pour lequel l’employeur a congédié le travailleur, constituait un prétexte ou une cause juste et suffisante. La décision rendue le 2 août 2005, comporte 75 paragraphes et la motivation est claire et bien élaborée. La commissaire a décidé que l’employeur était justifié de congédier le travailleur, en raison des limitations fonctionnelles émises par le docteur Tremblay.

[31]           Aucune preuve n’a été présentée par le travailleur qui démontre une erreur manifeste et déterminante à cet effet, eu égard au contenu dans la décision rendue le 2 août 2005. La question du désistement concernant l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, ne constituait en aucune façon l’enjeu de la contestation qui est à l’origine de la décision rendue le 2 août 2005.

[32]           Au surplus l’analyse de la décision rendue le 2 août 2005 démontre clairement, contrairement à l’argument du travailleur, que tout au long du processus, l’employeur s’est soucié de la santé et de la sécurité du travailleur. À titre d’exemple, comme le soumet la procureure de l’employeur, le paragraphe 42 de la décision indique que malgré l’avis émis par le Bureau d’évaluation médicale incluant à l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, l’employeur a continué d’assigner monsieur Bourque à des travaux légers « en attendant une décision finale à cet égard ».

[33]           Le tribunal se doit cependant de révoquer la décision rendue le 5 août 2005, qui est intitulée « Rectification d’une décision », conformément à la requête de l’employeur.

[34]           À compter du moment où le congédiement est légalement justifié, la question du droit de retour au travail n’est absolument pas pertinent. En effet, à compter du congédiement, il n’existe plus de lien d’emploi entre le travailleur et l’employeur.

[35]           Le chapitre VII de la loi, qui comporte entre autres les articles 236 et 240 cités par la décision rendue le 5 août 2005, réfère au droit de retour au travail. Cette section de la loi ne trouve application que dans les cas où il y a un lien d’emploi entre un travailleur et un employeur. Tel n’est pas le cas dans le présent dossier, à la suite de la décision rendue le 2 août 2005.

[36]           Le tribunal est ainsi d’avis que dans le présent dossier, la partie requérante n’a pas démontré que la décision rendue le 2 août 2005 comporte une erreur manifeste et déterminante. Le tribunal conclut donc que la décision ne comporte pas d’erreurs de droit ou de fait et qu’elle n’est donc entachée d’aucun vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider.

[37]           Le tribunal est cependant d’avis que la décision rendue le 5 août 2005 comporte une erreur manifeste de droit, qu’elle est incompatible avec la décision rendue le 2 août 2005 et que conséquemment elle doit être révoquée.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE les requêtes du travailleur, monsieur Richard Bourque, eu égard aux décisions rendues les 2 et 5 août 2005;

ACCUEILLE la requête de l’employeur, l’entreprise Signotech inc ;

DÉCLARE que la décision rendue le 5 août 2005 doit être révoquée.

 

 

 

 

 

Me Alain Suicco

 

Commissaire

 

 

 

Monsieur Jacques Morency

C.S.N.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Pamela Tabry

Roy, Mercier, avocats

Représentante de la partie intéressée

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001

[2]          Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 ; Hôpital Sacré-Coeur de Montréal et Gagné, C.L.P. 89669-61-9707, 12 janvier 1998, C.-A. Ducharme; Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, C.A. Montréal, 500 - 09‑011014-016, 28 août 2003, jj. Mailhot, Rousseau-Houle, Rayle; TAQ c. Godin, C.A. Montréal,  500‑09-009744-004, 18 août 2003, jj. Fish, Rousseau-Houle, Chamberland; Amar c. Commission de la santé et sécurité du travail, C.A. Montréal,  500-09-011643-012, 28 août 2003, jj. Mailhot, Rousseau-Houle, Rayle; CSST c Fontaine c CLP, C.A. Montréal, 500-09-014608-046, 7 septembre 2005. 

[3]          Précitée, note 2.

[4]          Précitée, note 2.

[5]          Précitée, note 2.

[6]          Précitée, note 2.

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