Turbide c. Boucher |
2021 QCCA 323 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
200-09-010000-195 |
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(100-17-001497-140) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE (Rectifié le 2 mars 2021) |
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DATE : |
26 février 2021 |
FORMATION : LES HONORABLES |
GUY GAGNON, J.C.A. |
PARTIE APPELANTE |
AVOCAT |
RACHEL TURBIDE
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Me PHILIPPE THIBAULT (Avocats BSL inc.)
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PARTIES INTIMÉES |
AVOCAT |
MICHELINE BOUCHER VALÉRIE BANVILLE SUZANNE ARCHAMBAULT MARIETTE PARENT RAYMOND MANSEAU CLAUDE BELLAVANCE
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Me FRANÇOIS BÉRUBÉ (Cain, Lamarre)
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CARMEN ROSMUS-BELLAVANCE
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PARTIES MISES EN CAUSE |
AVOCATE |
JOHANNE BRILLANT CÉLINE BRILLANT STÉPHANE BRILLANT RÉJEAN TURCOTTE NOËLLA RIOUX CARMELLE BÉLANGER RENÉ GAGNÉ GERMAIN LAUZIER DORIS DUMAIS BRIGITTE BERNIER MICHEL BOUDREAU RACHELLE BRILLANT JACQUES BRILLANT MARTINE BRILLANT RAYMONDE BRILLANT JOCELYNE BRILLANT ALIETTE BRILLANT GABRIEL BRILLANT OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTON FONCIÈRE DE RIMOUSKI
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COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA
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Me VIKKI-ANN FLANSBERRY (ABSENTE) (Dentons Canada)
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En appel d'un jugement rendu le 20 mars 2019 par l'honorable Danye Daigle de la Cour supérieure, district de Rimouski. |
NATURE DE L'APPEL : |
Biens et propriété (servitude) |
Greffière-audiencière : Alysson Roussel |
Salle : 4.33 - Visioconférence |
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AUDITION |
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9 h 00 |
Continuation de l’audition du 22 février 2021; |
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Arrêt. |
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Alysson Roussel, greffière-audiencière |
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ARRÊT |
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[1]
L’appelante porte en appel le jugement du 20 mars 2019 de la Cour
supérieure, district de Rimouski (l’honorable Danye Daigle) (
LE CONTEXTE
[2] L’appelante et les mis en cause forcés sont les propriétaires de divers immeubles situés entre le fleuve Saint-Laurent et la voie ferrée de la Compagnie des chemins de fer nationaux (« CN ») dans la municipalité du Bic, maintenant un district de la ville de Rimouski. Ils peuvent accéder de la route provinciale 132 à leurs immeubles au moyen d’un chemin privé sur lequel ils jouissent tous d’un droit de passage établi par leur ayant droit commun et désigné sous son nom, soit le chemin Oscar-Brillant. Ce chemin n’est cependant pas présentement passable en hiver puisque, jusqu’à récemment, les propriétaires concernés ne requéraient pas d’accès durant cette saison.
[3] Quant aux intimés, ils sont aussi les propriétaires d’immeubles situés entre le fleuve Saint-Laurent et la voie ferrée de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada dans la municipalité du Bic. Leurs immeubles sont en amont de ceux de l’appelante et des mis en cause forcés. Les intimés peuvent y accéder de la route provinciale 132 au moyen d’un chemin privé distinct sur lequel ils jouissent tous d’un droit de passage établi par leur ayant droit commun, Joseph-Émile Parent, et désigné le chemin de l’Anse-de-la-Rivière-Hâtée (« chemin de l’Anse »). Le chemin de l’Anse n’était pas à l’origine carrossable durant l’hiver. Par contre, au fil des ans, les intimés ont investi dans ce chemin - 50 000 $ selon leurs procédures - afin de le rendre praticable à l’année. Ils assument aussi les frais de déneigement de ce chemin.
[4] L’appelante a acquis son immeuble en 1986 et y accédait de façon saisonnière en utilisant le chemin Oscar-Brillant sur lequel elle détient un droit de passage commun avec les mis en cause forcés. Son fonds se trouve à la fin dudit chemin. En 2001, l’appelante décide de s’y installer à l’année et présente une demande de permis pour y construire une résidence familiale. Dans sa demande de permis à la MRC, l’appelante y indique « Route privée pas entretenue l’hiver par la municipalité ».
[5] Le 23 novembre 2001, sans jamais en aviser les intimés, l’appelante et certains des mis en cause forcés demandent à la municipalité du Bic de prendre en main, d’entretenir et de prolonger jusqu’à leurs propriétés le chemin de l’Anse afin de pouvoir y accéder l’hiver, ce que la municipalité refuse.
[6]
L’appelante s’entend alors avec les intimés pour utiliser le chemin de
l’Anse temporairement pendant l’hiver, moyennant le paiement d’une somme de
100 $ à chacun et de sa quote-part des frais de déneigement. L’entente à
cet effet est temporaire et elle prévoit notamment que « Madame Turbide a
l’intention de faire modifier la route
[Oscar-Brillant] pour y circuler l’hiver, dès que possible »[1].
Afin d’accéder au chemin de l’Anse, l’appelante s’entend aussi avec son voisin
immédiat, l’intimé Claude Bellavance, pour obtenir un droit temporaire
« d’aire de circulation » à pied ou en voiture sur le fonds de ce
dernier. Cette entente temporaire lui permet ainsi d’accéder à sa résidence via
le chemin de l’Anse. Ces arrangements temporaires perdurent jusqu’en 2012, avec
un certain accroissement des paiements requis.
[7]
À l’hiver 2012, l’appelante refuse de verser le paiement requis à l’un
des intimés au motif que le chemin de l’Anse ne traverserait pas sa propriété,
mais plutôt celle du CN. Ce geste indispose les intimés. En juillet 2013, ces
derniers l’informent qu’ils ne lui permettront plus l’accès. L’appelante
rétorque qu’elle a l’intention d’intenter des procédures judiciaires contre eux
afin de jouir d’un droit de passage perpétuel sans indemnité annuelle et lui
permettant d’accéder à sa propriété par le chemin de l’Anse. Des discussions
s’ensuivent afin de trouver une solution négociée, mais sans succès.
L’appelante intente son recours en mars 2014, l’audition a lieu à Rimouski du
1er au 5 octobre 2018 et le jugement est prononcé le 20 mars
2019.
LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
[8] La juge conclut que le fonds de l’appelante n’est pas enclavé puisque celle-ci peut accéder à la route 132 l’hiver en réaménageant le chemin Oscar-Brillant sur lequel elle détient déjà un droit de passage.
[9] Elle tire cette conclusion en s’appuyant sur le rapport d’expert et le témoignage de l’ingénieure Jennifer Brochu, laquelle conclut qu’il en coûterait 40 050 $ pour rendre le chemin Oscar-Brillant praticable l’hiver. La juge estime que ce coût est raisonnable eu égard à la valeur de la propriété de l’appelante - estimée à 234 300 $ - et à celles des immeubles des mis en cause forcés jouissant d’un droit de passage sur ce chemin - estimées au total à 1 054 000 $.
[10] La juge conclut comme suit :
[76] Au terme de la preuve présentée, le Tribunal en vient à la conclusion que la propriété de Mme Turbide ne peut être considérée comme étant enclavée.
[77] Il appartient à la demanderesse et aux mis en cause forcés de prendre les moyens nécessaires pour rendre le chemin Oscar-Brillant, sur lequel elles bénéficient d’un droit de passage, praticable en tout temps. Mme Turbide ne peut exiger pour plus de commodité ou par souci d’économie, que les défendeurs lui cèdent une servitude sur leurs propriétés.
LES PRÉTENTIONS DE L’APPELANTE
[11] L’appelante soutient d’abord que la jurisprudence aurait établi que lorsque les coûts nécessaires pour permettre l’accès à un fonds à partir de la voie publique dépassent 15 % de la valeur de ce fonds, il serait alors enclavé. En l’espèce, la juge de première instance a conclu que les coûts pour réaménager le chemin Oscar-Brillant pour le rendre praticable à l’année seraient de 40 050 $, ce qui représente 17,09 % de la valeur de sa propriété. Puisque ce coût est supérieur au seuil de 15 % qu’aurait établi la jurisprudence, la juge aurait dû conclure que le terrain de l’appelante est en situation d’enclave économique.
[12] Elle soutient ensuite que la juge a erré en tenant compte de la valeur de l’ensemble des propriétés qui jouissent d’un droit de passage sur le chemin Oscar-Brillant afin de déterminer si sa propriété est enclavée. À son avis, l’examen du caractère raisonnable du coût des travaux requis pour permettre un accès à la voie publique doit s’effectuer uniquement en fonction du fonds enclavé; ce ne serait que si plusieurs fonds sont enclavés qu’il serait possible de tenir compte de la valeur de l’ensemble. Or, en l’espèce, les autres propriétés ne sont pas enclavées puisque leurs propriétaires n’ont pas besoin d’accéder à celles-ci l’hiver. Leur valeur ne peut donc être prise en compte dans l’évaluation du caractère raisonnable des coûts des travaux requis.
[13] L’appelante prétend aussi que la juge de première instance aurait erré en droit en omettant de tenir compte du règlement 1027-2017 de la Ville de Rimouski dans son analyse de l’expertise de l’ingénieure Jennifer Brochu. En effet, cette dernière a reconnu lors de son témoignage que le scénario qu’elle propose n’est pas conforme au règlement en question. Or, ce règlement s’appliquerait aux travaux à réaliser sur le chemin Oscar-Brillant, puisqu’il s’agit d’une « voie de circulation privée » ainsi que d’une « voie de circulation requise pour l’accès aux services d’urgence » au sens du règlement. Si des dérogations peuvent être accordées, celles-ci ne sont pas automatiques.
[14] Finalement, l’appelante est d’avis que la juge de première instance aurait commis l’erreur de fait manifeste et déterminante suivante : alors que l’experte Jennifer Brochu a reconnu que, pour que son scénario respecte le nouveau règlement municipal, des coûts supplémentaires minimaux de 15 000 $ seraient engagés, la juge ne retient que des frais additionnels de 10 000 $. Si cette erreur est corrigée, les coûts requis pour effectuer les travaux seraient de 45 050 $, soit 19,22 % de la valeur de la propriété, ce qui surpasserait encore plus le seuil qu’aurait identifié la jurisprudence pour une enclave économique.
ANALYSE
[15]
Les dispositions des articles
LIVRE QUATRIÈME DES BIENS |
BOOK FOUR PROPERTY |
TITRE DEUXIÈME DE LA PROPRIÉTÉ |
TITLE TWO OWNERSHIP |
CHAPITRE TROISIÈME DES RÈGLES PARTICULIÈRES À LA PROPRIÉTÉ IMMOBILIÈRE |
CHAPTER III SPECIAL RULES ON THE OWNERSHIP OF IMMOVABLES |
SECTION VII DU DROIT DE PASSAGE |
DIVISION VII RIGHT OF WAY |
997. Le propriétaire dont le fonds est enclavé soit qu’il n’ait aucune issue sur la voie publique, soit que l’issue soit insuffisante, difficile ou impraticable, peut, si on refuse de lui accorder une servitude ou un autre mode d’accès, exiger de l’un de ses voisins qu’il lui fournisse le passage nécessaire à l’utilisation et à l’exploitation de son fonds. |
997. The owner of land enclosed by that of others in such a way that there is no access or only an inadequate, difficult or impassable access to it from the public road may, if all his neighbours refuse to grant him a servitude or another mode of access, require one of them to provide him with the necessary right of way to use and exploit his land. |
Il paie alors une indemnité proportionnelle au préjudice qu’il peut causer. |
Where an owner claims his right under this article, he pays an indemnity proportionate to any injury he might cause. |
998. Le droit de passage s’exerce contre le voisin à qui le passage peut être le plus naturellement réclamé, compte tenu de l’état des lieux, de l’avantage du fonds enclavé et des inconvénients que le passage occasionne au fonds qui le subit. |
998. Right of way is claimed from the owner whose land affords the most natural way out, taking into consideration the condition of the place, the benefit to the enclosed land and the inconvenience caused by the right of way to the land on which it is exercised. |
999. Si l’enclave résulte de la division du fonds par suite d’un partage, d’un testament ou d’un contrat, le passage ne peut être demandé qu’au copartageant, à l’héritier ou au contractant, et non au propriétaire du fonds à qui le passage aurait été le plus naturellement réclamé. Le passage est alors fourni sans indemnité. |
999. If land is enclosed as a result of the division of land pursuant to a partition, will or contract, right of way may be claimed only from a co-partitioner, heir or contracting party, not from the owner whose land affords the most natural way out, and in this case the right of way is provided without indemnity. |
1000. Le bénéficiaire du droit de passage doit faire et entretenir tous les ouvrages nécessaires pour que son droit s’exerce dans les conditions les moins dommageables pour le fonds qui le subit. |
1000. The beneficiary of a right of way shall build and maintain all the works necessary to ensure that his right is exercised under conditions that cause the least possible damage to the land on which it is exercised. |
[16]
L’enclave dite « physique » correspond à une absence totale
d’issue sur la voie publique, qui résulte le plus souvent d’un obstacle naturel[2].
De son côté, l’enclave dite « économique » survient lorsque l’accès à
la voie publique existe déjà, mais qu’il est insuffisant, difficile ou
impraticable aux fins de l’exploitation du fonds et que pour corriger la
situation, il en coûterait des sommes prohibitives hors de proportion avec la
valeur du fonds et de son exploitation[3]. L’enclave économique n’était pas expressément
prévue dans le Code civil du Bas-Canada, mais son existence avait tout
de même été reconnue par la jurisprudence; l’art.
[17] L’enclave économique implique des considérations de proportionnalité et de finalité d’utilisation, ainsi qu’une analyse « coûts-avantages »[5]. Cette évaluation s’intéresse nécessairement à la situation particulière du fonds enclavé. Les caractéristiques propres à ce fonds, comme l’usage projeté du fonds, le contexte plus large des relations de voisinage et l’ensemble des options disponibles de désenclavement, doivent donc faire partie intégrante de l’analyse. Il s’agit d’un examen profondément ancré dans les faits de chaque dossier.
[18] L’enclave est un état de fait d’interprétation restrictive qui s’apprécie au moment de l’institution du recours, la loi accordant d’ailleurs un chemin de nécessité et non pas de commodité[6]. Il est difficile de trouver une question de nature plus factuelle. La norme d’intervention en appel est donc celle de l’erreur manifeste et déterminante.
[19] Qu’en est-il en l’espèce?
[20] La prétention de l’appelante voulant que l’enclave économique soit établie dès que les coûts de désenclavement excèdent 15 % de la valeur du fonds ne peut être retenue. Bien que certains juges de la Cour supérieure aient conclu à l’enclave économique dans de telles circonstances[7], il ne peut s’agir là d’une règle générale, mais d’une conclusion particulière tirée des faits propres à chacun des cas. Dans la mesure où certaines décisions de première instance puissent être interprétées comme ayant établi une telle règle, elle ne peut être retenue.
[21] En effet, le Code civil du Québec ne prévoit pas une règle du « 15 % », mais exige plutôt une analyse contextuelle et particulière à chaque cas. Cette analyse doit tenir compte d’un ensemble de facteurs pertinents, qui peuvent varier d’un cas à l’autre, dont l’usage des lieux, la cause de l’enclave (notamment si elle résulte de la division du fonds par suite d’un partage, d’un testament ou d’un contrat), les circonstances de l’occupation du fonds, les relations de voisinage, les droits de passage existants, les alternatives disponibles, les inconvénients que subiraient les fonds respectifs, etc. Cette analyse contextuelle ne se prête pas à une règle générale immuable, comme celle du 15 %, que nous propose l’appelante.
[22] Dans ce cas-ci, l’appelante a acquis le fonds en question en sachant que le chemin Oscar-Brillant n’était pas carrossable l’hiver. Lorsqu’elle a décidé plus tard d’y ériger une résidence permanente, elle savait qu’il lui incombait d’assurer un accès à sa résidence en toutes saisons et qu’elle devait alors assumer des coûts à cette fin. Il aurait été irresponsable et insouciant de croire le contraire.
[23] L’appelante détient aussi un droit de passage existant sur le chemin Oscar-Brillant et il s’agit là, à n’en pas douter, du passage naturel pour elle. Notons d’ailleurs que l’enclave de son fonds particulier résulte d’une division du fonds original par son ayant droit et que c’est pour remédier à cette enclave que le droit de passage sur le chemin Oscar-Brillant fut établi.
[24] Les coûts retenus par la juge pour permettre l’usage de ce chemin à l’année sont de 40 050 $, soit environ 17 % de la valeur du fonds de l’appelante. En tenant compte de toutes les circonstances, la conclusion de la juge voulant que ce fonds ne soit pas enclavé économiquement est tout à fait raisonnable et ne relève pas d’une erreur manifeste et déterminante. Mais il y a plus.
[25] L’appelante pourrait se tourner vers les mis en cause forcés pour en assumer une partie de ces coûts, vu qu’ils profiteront eux aussi d’un accès en toutes saisons à leurs fonds à même le chemin Oscar-Brillant. Il faut noter à cet égard que certains des mis en cause forcés se sont déjà adressés à la municipalité du Bic afin de requérir un accès pour l’hiver à leurs propriétés longeant le chemin Oscar-Brillant : « nous voulons accéder à nos chalets ou à nos résidences en hiver, et ce, sans danger »[8]. Dans ces circonstances, il était tout à fait possible pour la juge de première instance de tenir compte de cette volonté et d’entrevoir la contribution potentielle des mis en cause forcés aux travaux requis au chemin Oscar-Brillant pour le rendre praticable à l’année. Ils bénéficieraient alors d’un accès en toutes saisons à même le chemin sur lequel ils jouissent d’un droit de passage, tout en profitant de l’accroissement probable de la valeur de leurs fonds respectifs en résultant. Cela étant, il ne nous appartient pas de décider dans quelle mesure les mis en cause forcés doivent participer aux travaux ni de la répartition des coûts entre eux, puisque ces questions n’étaient pas l’objet du débat en première instance.
[26] Quant au Règlement 1027-2017 de la Ville de Rimouski, il modifie le Règlement de construction 780-2013 afin d’y incorporer des dispositions relatives aux accès aux services d’urgence, lesquelles s’appliquent à « tous les travaux ayant pour effet de modifier une voie de circulation privée ou une aire de manœuvre requise pour l’accès aux services d’urgence »[9]. Des dispositions spécifiques aux voies de circulation privées sont prévues aux articles 9.7 à 9.16 du Règlement de construction 780-2013 ainsi modifié.
[27] Les intimés soutiennent que ce règlement ne s’appliquerait que lorsqu’une modification d’un bâtiment est en cause, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. Il n’est cependant pas nécessaire de décider de cette question, d’autant plus que la Ville de Rimouski n’est pas partie aux procédures. En effet, même si l’on tient pour acquis que le règlement s’applique effectivement en l’espèce, il n’y a pas lieu d’accueillir l’appel. Voici pourquoi.
[28] Le rapport de l’experte ingénieure Jennifer Brochu fut préparé en date du mois d’octobre 2015, soit avant l’adoption du Règlement 1027-2017. L’experte a donc reconnu, lors de son témoignage, que la solution qu’elle proposait pour le chemin Oscar-Brillant, laquelle fut finalement retenue par la juge, ne tient pas compte de ce règlement. Cela étant, l’experte a aussi témoigné que la Ville de Rimouski acceptait des dérogations audit règlement et l’appliquait au cas par cas[10]. Les dispositions réglementaires prévoient d’ailleurs que des solutions de rechange peuvent être autorisées par la ville dans certaines circonstances[11].
[29] Quoi qu’il en soit, dans son témoignage, l’ingénieure Jennifer Brochu a aussi estimé ce qu’il en coûterait de plus pour se conformer au nouveau règlement, tout en concluant que certaines solutions de rechange seraient tout de même nécessaires, mais qu’elles seraient probablement autorisées par la ville[12]. La juge a donc ajouté ces coûts estimés à ceux prévus au rapport de l’experte pour en arriver au montant de 40 050 $ pour les travaux[13] :
[59] Le coût des travaux qu’elle [l’ingénieure Jennifer Brochu] suggère représente un montant de 29 250 $ auquel doit être ajouté 800 $ pour un ponceau et 10 000 $ à la suite de nouvelles exigences de la Municipalité lesquelles sont postérieures à la préparation de son rapport.
[30] L’appelante soutient que la juge aurait erré en droit en concluant que la ville autoriserait les solutions de rechange requises plutôt que de s’en tenir à une application rigoureuse de sa réglementation de construction. Or, il appartenait à l’appelante d’établir l’enclave. Face au témoignage de l’experte Jennifer Brochu voulant qu’il soit probable que la ville autorise une solution de rechange vu les contraintes naturelles et anthropiques de ce chemin, dont la topographie escarpée et la présence d’une voie ferrée du CN, il lui appartenait alors d’établir le contraire, ce qu’elle a omis de faire. Aucun témoin de la Ville de Rimouski n’a été entendu pour contredire l’experte à ce sujet. Tel que la juge l’a remarqué à la fin du témoignage de l’ingénieure[14] :
Bien, moi, ce que j’ai compris, c’est que c’était tributaire de l’analyse que pourrait effectuer la Municipalité avec du cas par cas. Le fardeau de preuve, ce n’est pas les gens du chemin de l’Anse qu’ils l’ont, c’est la demanderesse qui doit me démontrer qu’elle a un terrain enclavé.
[31]
Mais même si le règlement s’appliquait de façon stricte aux travaux
requis pour le chemin Oscar-Brillant, cela ne mènerait pas nécessairement aux
conclusions recherchées par l’appelante quant à un droit de passage sur le
chemin de l’Anse. En effet, la reconnaissance d’un droit de passage pour l’appelante
sur le chemin de l’Anse amènerait nécessairement la prolongation de ce chemin
sur le fonds de l’intimé Claude Bellavance afin qu’il rejoigne le fonds de
l’appelante, ce qui pourrait aussi être traité comme une modification d’une
voie de circulation privée aux fins du Règlement
1027-2017. Si l’on retient le raisonnement de l’appelante portant sur
l’application stricte de ce règlement, dans un tel cas des travaux majeurs
seraient aussi requis au chemin de l’Anse pour le rendre conforme à la réglementation.
Ainsi, dans une application stricte du règlement, l’analyse
« coûts-avantages » pourrait ainsi mener à la conclusion que les
coûts d’aménagement du chemin de l’Anse ne justifient pas une conclusion
d’enclave économique eu égard aux coûts d’aménagement du chemin Oscar-Brillant.
À tout le moins, il appartenait à l’appelante d’en démontrer le contraire dans
un tel cas.
[32] Finalement, l’appelante soutient que la juge aurait commis une erreur de calcul en ne tenant pas compte de tous les coûts additionnels identifiés par l’ingénieure Jennifer Brochu qui résulteraient de l’application de la nouvelle réglementation de la ville. La juge de première instance n’a majoré le montant de 29 250 $ estimé à l’origine que de 10 000 $ plutôt que de 15 000 $. Or, l’experte Brochu indique dans son témoignage que l’un des éléments des coûts supplémentaires, soit l’étude géotechnique, est déjà prévu dans son rapport sous la rubrique « laboratoire de sol »[15] et elle ajoute aussi qu’il n’est pas certain que des plans plus détaillés soient requis par la Ville[16]. Devant ce témoignage, on ne saurait affirmer que la juge de première instance a commis une erreur manifeste. Par ailleurs, même si la juge avait commis une telle erreur, elle ne serait pas déterminante puisque, en tenant compte de l’ensemble des circonstances, les coûts des travaux, même majorés de 5 000 $, ne permettent pas de conclure à l’enclave économique.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[33] REJETTE l’appel;
[34] LE TOUT, avec frais de justice tant en première instance qu’en appel.
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GUY GAGNON, J.C.A. |
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ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
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JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A. |
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[1] Pièce D-31 : Entente du 26 septembre 2002.
[2] François Heleine, « L'obstacle économique, cause d'enclave », (1972) 32 R. du B. 512, p. 513.
[3]
Pavages Chenail Inc. c. St-Rémi (Ville),
[4]
Rankin c. Gaucher,
[5] Id., par. 30.
[6]
Desmarais c. Vallières,
[7]
Voir par exemple Latour c. Bastille,
[8] Pièce P-13 : Lettre de certains mis en cause forcés et de l’appelante à la municipalité du Bic datée du 23 novembre 2011.
[9] Paragraphe 9.1(7) ajouté au Règlement de construction 780-2013.
[10] Transcription du témoignage de Jennifer Brochu du 3 octobre 2018, p. 9 à 14.
[11] Articles 9.23 à 9.26 ajoutés au Règlement de construction 780-2013.
[12] Transcription du témoignage de Jennifer Brochu du 3 octobre 2018, p. 15-30.
[13] Jugement de première instance, par. 59.
[14] Transcription de l’audience du 3 octobre 2018, p. 54.
[15] Transcription du témoignage de Jennifer Brochu du 3 octobre 2018, p. 26.
[16] Id., p. 28-29.
AVIS :
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appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.