Décision

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Kanavaros. c. Artinian

2010 QCCS 3398

JR0926

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-049206-090

 

 

 

DATE :

30 juillet 2010.

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L'HONORABLE DANIELLE RICHER, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

MARY KANAVAROS

Demanderesse

c.

HAGOP ARTINIAN

KATHRYN ROSENSTEIN

Défendeurs

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Ce jugement porte sur une réclamation de 579 567,37 $ pour diffamation et dommages résultant du bris d'une entente de confidentialité. Cette poursuite survient à la suite d'un règlement survenu dans une autre instance judiciaire intentée par deux parents et leur fils contre l'enseignante de ce dernier; le principal de l'école ainsi que la Commission scolaire concernée étaient également poursuivis.

POINTS EN LITIGE

[2]           Les défendeurs ont-ils commis une faute entraînant une atteinte à la réputation d'enseignante de la demanderesse ?

[3]           Si oui, les défendeurs ont-ils commis une faute intentionnelle ou de mauvaise foi?

[4]           Les droits fondamentaux de la demanderesse (atteinte à sa réputation) sont-ils violés par les propos publics des défendeurs à leur sortie de la salle d'audience?

[5]           Y a-t-il un lien de causalité entre la faute invoquée et les dommages allégués?

[6]           Le cas échéant, quelle est la valeur des dommages subis?

[7]           La réputation de la demanderesse Mary Kanavaros était-elle déjà entachée par ses propres agissements? Si oui, cela influe-t-il sur la valeur de sa réclamation?

[8]           Sommes-nous en présence d'un état de santé préexistant chez la demanderesse susceptible d'influencer la réaction de dépression majeure dont elle souffre depuis les reportages des médias relatifs aux commentaires des défendeurs à son endroit? Si oui, cela influe-t-il sur la valeur de sa réclamation?

FAITS

[9]           À l'âge de trente-huit ans, la demanderesse retourne étudier à l'Université McGill pendant quatre ans et elle y obtient, en 1998, un Baccalauréat en enseignement du français, langue seconde. Après deux contrats dans des écoles primaires (HillCrest Academy et Merton School) elle obtient sa permanence à l'école Roslyn de Westmount.

[10]        En septembre 2004, l'enfant des défendeurs est inscrit en 4e année d'immersion française à l'école primaire Roslyn de Westmount; la demanderesse lui prodigue son enseignement en français près de la moitié de la journée, alors qu'une autre professeure, Mme Midgikoski, fait de même en anglais l'autre partie de la journée.

[11]        Le 15 mai 2005, Hagop Artinian et Kathryn Rosenstein, (ci-après appelés les parents) intentent, au nom de leur fils, une action de 155 000 $ contre Mary Kanavaros ainsi que contre le principal de l'école Roslyn de Westmount et la Commission scolaire en cause (English Montreal School Board, ci-après EMSB). Les parents reprochent entre autres à Mary Kanavaros d'avoir humilié et intimidé leur fils devant toute la classe, parce qu'elle a reproché à ce dernier de ne pas avoir complété tout son devoir lui-même et d'avoir laissé sa mère le compléter pour lui. On lui reproche également d'avoir déchiré la feuille du devoir en question et de lui avoir fait reprendre l'exercice pendant la période de récréation. L'enfant dit avoir été traité de « pitoyable », ce qui est nié. Les parents accusent la demanderesse d'insulter et d'intimider leur fils, de même que d'autres enfants de la classe, ce qui est également nié. Les parents accusent également la professeure Kanavaros d'avoir commis une indiscrétion à l'endroit de leur fils en parlant négativement de sa situation avec une tierce personne, soit avec Mme Moore.

[12]        Il s'en est suivi une rencontre avec le principal McMorran, le 1er octobre 2004, car les parents refusent de rencontrer la professeure seule dans un premier temps. Les parents n'étant pas satisfaits de l'atmosphère de la classe, ils demandent que la professeure Kanavaros cesse d'y enseigner. Le principal les réfère alors au directeur régional de la Commission scolaire.

[13]        Après avoir fait des observations à l'improviste dans la classe de Mme Kanavaros, le principal constate qu'elle se comporte tout à fait normalement, qu'elle enseigne bien et que les élèves de sa classe ne sont aucunement exposés à des situations inacceptables. Il fait part de ses constatations aux parents et, dans sa recherche d'une solution, le principal offre aux parents de changer leur fils de « home class » afin de le transférer dans la classe de Mme Midgikoski, de façon à ce qu'il soit dans la classe de cette dernière pour toutes les activités non académiques, en plus de la période d'enseignement en anglais. Le principal propose ensuite aux parents de venir assister à une session d'enseignement donnée par Mme Kanavaros pour constater par eux-mêmes comment l'enseignement est donné. Les parents déclinent ces deux offres.

[14]        Le 14 octobre 2004, les parents envoient une lettre (D-15) interdisant aux professeurs et à la direction d'imposer quelques sanctions disciplinaires que ce soit à leur fils, sans être préalablement consultés. Après avoir dénoncé deux fautes professionnelles qu'ils imputent à la professeure Kanavaros, soit le non-respect de la vie de leur fils en tant qu'élève de sa classe et la réaction inacceptable de la part d'un professeur face à un devoir complété en partie par un parent plutôt que par l'élève, les parents concluent comme suit :

« We would like it to be understood that as M…'s parents, we are invoking our parental rights, and prior to any punitive actions, we are to be consulted and punitive action is not to be taken without our consent. Simultaneously, we would ask that your offices be advised, as principal and executive of Roslyn School. We do not want his elementary school experience to be «learning by intimidation and fear» and feel that at the present time this is the situation he finds himself in the French classroom.

[…]

We await your reply and look forward to hearing from you in order that we can address the situation, without any further delay.

DO GOVERN YOURSELVES ACCORDINGLY.

Yours truly,

Hagop Artinian & Kathryn Rosenstein

c.c. Ms Marie Kanavaros »

[15]        Le 2 novembre 2004, le procureur des parents, Me Grey, envoie une mise en demeure réclamant 50 000 $ de Mary Kanavaros et du principal de l'école pour mauvais traitements infligés à leur fils. Les agissements reprochés sont les suivants : la professeure Kanavaros aurait qualifié un autre enfant de la classe de « psychotic, pathetic and incompetent » en présence de l'enfant des défendeurs; de plus, lors d'une conversation avec un autre parent (hors leur présence), elle aurait manqué de discrétion en faisant référence à leur enfant (sans toutefois le nommer) et en traitant ce dernier de « deceitful liar ». Leur fils serait affligé par la situation et aurait peur de son enseignante. Ces reproches sont niés par la demanderesse. Au cours de l'année scolaire 2004-2005, les parents assistent aux deux rencontres de professeurs destinés aux parents et le tout se déroule bien.

[16]        Le fils des défendeurs réussit bien son année scolaire et il est promu en 5e année, dans le groupe d'immersion française. À la fin de l'année scolaire, soit en mai 2005, les parents intentent leur poursuite contre Mary Kanavaros, le principal de l'école et la Commission scolaire. Cette poursuite est contestée par tous les défendeurs et plus particulièrement par la professeure Kanavaros qui est représentée par un procureur distinct de celui représentant le principal et la Commission scolaire.

[17]        Le 10 septembre 2007, Me Julius Grey intente une deuxième poursuite judiciaire contre la demanderesse ainsi que contre l'EMSB, au nom de la mère d'un ancien élève de la classe de Mary Kanavaros. Cet élève a fait sa 4e année à l'école Roslyn en immersion française en 2004-2005, dans la même classe que l'enfant des défendeurs. Les parties réfèrent à ce dossier comme étant le dossier Jones.

[18]        Le 25 mars 2008, soit le matin de l'audition au fond du dossier Artinian-Rosenstein, les parents, via leur procureur Me Grey, offrent pour la première fois un désistement aux trois défendeurs. Avec l'autorisation de la juge, le procès est suspendu et les discussions débutent.

[19]        Après de longues négociations, toutes les parties conviennent qu'un désistement sera produit au dossier; elles conviennent également des conditions qui doivent demeurer confidentielles. La preuve révèle que les conditions acceptées par toutes les parties et leurs procureurs, le jour de l'audition, sont les suivantes : l'EMSB accepte de verser 5 000 $ aux parents, ces derniers reconnaissent que ce paiement ne constitue pas une admission de faute ou responsabilité envers les trois défendeurs (Mary Kanavaros, le principal et la Commission scolaire); toute responsabilité étant d'ailleurs niée. Enfin, les parties s'engagent à garder l'entente confidentielle. Seul le désistement sera dévoilé et produit au dossier de la Cour.

[20]        Une fois l'entente verbale conclue en après-midi et le tribunal informé d'un désistement à venir, les défendeurs quittent la salle d'audience et vont directement s'adresser aux médias qui attendent sur le même étage. Les défendeurs émettent tous deux des commentaires auprès des médias relativement à la réputation de la demanderesse. Cette dernière les poursuit en dommages-intérêts en alléguant qu'ils ont gravement et faussement attaqué sa réputation professionnelle, tout en trahissant l'entente de confidentialité.

[21]        Pour sa part, l'enseignante quitte la salle d'audience et se dirige avec ses témoins vers un escalier en direction opposée du lieu réservé aux journalistes et elle n'a pas connaissance des communications des parents avec les médias.

[22]        En soirée, les déclarations des deux parents (les défendeurs dans la présente instance) font l'objet de reportages télévisés aux nouvelles de « CBC ». Le lendemain, le journal « The Gazette » publie les propos des parents. Le tout se retrouve sur l'Internet et le reportage de Sue Montgomery (« The Gazette ») se retrouve également publié dans d'autres journaux alors détenus par le groupe « Canwest News Service », soit « The Citizen », « The National Post » et « The Vancouver Sun ».

[23]        La demanderesse est atterrée par ces propos qui portent atteinte à sa réputation, son honneur et sa dignité. Elle considère que ces propos sont mensongers à son endroit alors qu'elle a accepté avec réticence de ne pas procéder en Cour, et ce, pour acheter la paix. Elle a raté sa chance de faire la lumière sur les fausses accusations portées contre elle par les parents et voilà que les accusations se répètent dès que les parents quittent la salle d'audience.

[24]        Les reportages télévisés et journalistiques reprennent les accusations qui apparaissaient à la déclaration des demandeurs Artinian-Rosenstein. La défenderesse Kanavaros, pour sa part, respecte son engagement de confidentialité; elle n'a donc émis aucun commentaire auprès des médias depuis ce jour.

[25]        La demanderesse Kanavaros n'a jamais été capable de retourner enseigner; elle se retrouve encore en congé de maladie pour cause de dépression majeure. Elle est suivie par un psychiatre et prend régulièrement des médicaments pour cette situation. Sa psychothérapie a dû être interrompue, faute d'argent pour la poursuivre.

[26]        La déclaration introductive de la présente instance fait état des reportages suivants des médias :

« 15. In "Teacher Settles with Parents in Bullying Case" published in the National Post on March 26, 2008, (Exhibit P-5), it was reported:

Mr. Artinian said he was happy, because even without a trial, they made their point.

"It was done in the interest of every child in that classroom," he said. "She's a marked lady and before she makes any more unprofessional moves, she'll have to think twice."

16. On the CBC website, the article entitled "Parents Settle with Teacher Accused of Intimidating Grade 4 Pupil" posted on Tuesday March 25, 2008, quotes Defendant Rosenstein as saying "that the family decided to settle out of court because they had made their point - that M… and all children deserve to be treated with respect", (Exhibit P-6)

17. […]

18. In "Teacher Accused of Bullying Student Reaches out of Court Settlement with Parents" posted on the Canada.com website on March 25, 2008, (Exhibit P-7,) it was reported:

Kathryn Rosenstein and Hagop Artinian agreed yesterday to accept an undisclosed amount after initially seeking $155,000 from Mary Kanavaros, a teacher at Roslyn school in Westmount. The school's principal and the English Montreal School Board were also named in the suit, which alleged they failed to act on complaints about Kanavaros.

Hagop Artinian said the amount of the settlement was "negligible", but he was happy, because event without a trial, the parents made their point.

"It was done in the interest of every child in that classroom" he said. The teacher will "think twice" before treating another student in the same fashion, he said.

[…]

Lawyer Julius Grey, representing the family, dismissed the suggestion the case was weak.

19. […]

20. In addition, Defendants' statements were reported on television broadcasts and on CJAD, a Montreal radio station; »

[27]        La demanderesse Kanavaros réclame le bénéfice de l'article 1615 C.c.Q. afin de réserver ses droits futurs, puisqu'elle ne sait pas quand elle pourra reprendre le travail et quand elle pourra mettre fin aux soins psychiatriques et de psychothérapie.

[28]        La partie défenderesse soutient qu'un règlement provisoire est survenu le jour prévu pour l'audition, le 25 mars 2008; ceci n'est pas contredit.

[29]        La réclamation de la demanderesse se divise comme suit :

-     Perte de revenus (voir l'amendement) :                                             146 499,25 $

-     Perte de sa banque de congé de maladie :                                          4 480,46 $

-     Impact financier (re : son congé de maladie)

      sur sa rémunération future jusqu'au 1er-janvier.2011 :                         32 496,05 $

-     Coût des médicaments jusqu'au 23 avril 2010 :                                   1 232,86 $

-     Estimé des médicaments du 23 avril au 31 décembre 2010 :            1 079,76 $

-     Coût de la psychothérapie au 20 mai 2010 :                                            552,00 $

-     Estimé de la psychothérapie à venir (26 x 2 x 110 $) :                         5 720,00 $

-     Perte non pécuniaire : atteinte illégale à sa dignité,

      à son honneur et à sa réputation, peine et souffrance :                   150 000,00 $

-     Coûts extrajudiciaires (à parfaire) :                                                    137 506,99 $

-     Dommages punitifs pour atteinte volontaire et intentionnelle :        100 000,00 $

     

      TOTAL :                                                                                                 579 567,37 $

[30]        Me Grey qualifie les commentaires des défendeurs de « fairly anodyne comments, without disclosing the terms of the settlement ».

[31]        Dans leur contestation, les défendeurs soutiennent que la demanderesse n'a jamais signé l'entente écrite, préparée par l'avocat de l'EMSB, et que les événements reprochés aux défendeurs sont survenus avant la signature de l'entente. L'avocate de Mme Kanavaros a cependant signé l'entente. Ils ajoutent de plus qu'ils n'ont aucunement trahi leur engagement de confidentialité et que les propos qu'on leur reproche ne sont pas diffamatoires; il s'agirait de commentaires loyaux.

[32]        Ils soutiennent de plus qu'il n'y a pas de lien causal entre les propos tenus et les dommages allégués.

[33]        Enfin, ils affirment que si une faute a été commise, ce qui est nié, les dommages réclamés sont grossièrement exagérés.

[34]         Les défendeurs tentent de démontrer que Mary Kanavaros ne jouissait pas d'une bonne réputation en tant qu'enseignante, qu'elle était impulsive et insultante auprès de plusieurs élèves, qu'elle criait en classe, qu'elle avait mauvais caractère et que plusieurs enfants en avaient peur.

[35]        Les défendeurs affirment dans leur défense que les faits reprochés ont précédé la signature de l'entente, que les propos reprochés aux défendeurs ne sont pas diffamants, qu'il n'y a pas de lien entre les faits reprochés et les dommages réclamés; et, finalement si une faute a été commise, ce qui est nié, les dommages réclamés sont grossièrement exagérés.

[36]        Les défendeurs réclament le remboursement de leurs honoraires extrajudiciaires engendrés par la présente action, soit 79 126,60 $, le recours judiciaire de la demanderesse étant, selon eux, non fondé et abusif.

DISCUSSION

OBJECTION SOUS RÉSERVE

[37]        Au cours du témoignage de la défenderesse Kathryn Rosenstein, la procureure de la partie demanderesse s'est objectée à ce que Mme Rosenstein rapporte une conversation téléphonique intervenue entre Mary Kanavaros et une tierce personne, conversation à laquelle la défenderesse n'était pas partie.

[38]        L'objection s'appuie sur le ouï-dire, et la défense invoque son droit au commentaire loyal (« fair comment »). La défenderesse n'était pas partie à la conversation qu'elle veut relater.

[39]        Le Tribunal est d'avis que nous sommes ici en présence du ouï-dire le plus classique qui soit. La défense de commentaire loyal, si tant est qu'elle soit applicable dans le présent dossier, ne permet pas d'introduire une preuve qui constitue du ouï-dire.

[40]        Pour ces motifs, l'objection à ce témoignage est maintenue.

LE DROIT

[41]        Le législateur québécois ne définit pas le concept juridique de la diffamation. L'auteur Nicole Vallières[1] l'explique comme suit :

« [La diffamation] constitue l'un des manquements les plus fréquents et les plus graves à [l'obligation] de respect envers la réputation des autres. »

[42]        La Cour d'appel[2] du Québec a défini comme suit la diffamation :

« [La diffamation] consiste dans la communication de propos ou d'écrits qui font perdre l'estime ou la déconsidération de quelqu'un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables. »

[43]        Cette définition a été maintes fois reprise par la Cour suprême du Canada, notamment dans l'arrêt Prud'homme c. Prud'homme[3].

[44]        En l'espèce, la demanderesse dénonce une atteinte à sa réputation et, plus particulièrement, des propos diffamants sur ses qualités et son professionnalisme d'enseignante.

[45]        Le droit à la réputation est prévu à l'article 4 de la Charte québécoise ainsi qu'à l'article 35 C.c.Q. :

« 4. [Sauvegarde de la dignité] Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. »

« 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise. »

[46]        Le droit civil québécois se distingue de la common law en ce que les propos diffamatoires peuvent être vrais comme ils peuvent être faux.

[47]        Dans l'affaire Piquemal c. Cassivi-Lefebvre[4] la Cour d'appel, sous la plume de M. le juge Beauregard, nous rappelle ce qui suit :

« Les faits rapportés par l'auteur peuvent être faux ou vrais. S'ils sont faux, il y a responsabilité; s'ils sont vrais, il y a également responsabilité dans le cas où l'auteur n'avait pas un devoir ou un intérêt sérieux et légitime de les rapporter. […] J'ajoute que, si l'auteur a un devoir ou un intérêt sérieux et légitime de rapporter des faits, il est non pertinent de savoir si, ce faisant, il éprouve de la satisfaction. »

[48]        Au Québec, la poursuite en diffamation repose sur le régime général de la responsabilité civile[5], à savoir l'article 1457 C.c.Q., lequel se lit comme suit :

« 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde. »

[49]        La liberté d'expression est protégée par la Charte québécoise au même titre que le droit à sa réputation (article 4 précité). En effet, la liberté d'expression fait partie des libertés fondamentales énumérées à l'article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne :

« 3. [Libertés fondamentales.] Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association. »

[50]        Les auteurs Baudouin et Deslauriers[6] nous enseignent l'importance qu'il faut accorder aux circonstances et au contexte de la diffamation :

« 1-295 - Appréciation de la faute - […] Les personnes publiques, comme les personnages politiques, peuvent s'attendre à être plus souvent attaqués que d'autres et leur mesure de tolérance à l'injure doit, dans leur cas, être plus large. […] La cour doit aussi tenir compte du contexte dans lequel l'injure a été faite ou la diffamation effectuée. […] Un autre facteur important dans l'appréciation de la faute est l'effet que l'atteinte a produit ou était destinée à produire. […] »

[51]        Dans l'affaire Néron[7], le juge Lebel enseigne ce qui suit :

« Comme l'indique l'arrêt Prud'homme, précité, par. 83, « il importe de souligner que la déclaration de l'intimé doit être considérée dans son contexte et dans son ensemble. L'impression générale qui s'en dégage doit guider l'appréciation de l'existence d'une faute » (je souligne). Donc, pour déterminer si une faute a été commise, il ne suffit pas de mettre l'accent sur la véracité du contenu du reportage diffusé le 12 janvier. Il faut examiner globalement la teneur du reportage, sa méthodologie et son contexte. »

« Cela ne signifie pas qu'il est sans importance que les propos diffamatoires soient véridiques ou d'intérêt public. La véracité et l'intérêt public ne sont toutefois que des facteurs dont il faut tenir compte en procédant à l'analyse contextuelle globale de la faute dans une action pour diffamation intentée sous le régime du Code civil du Québec. Ils ne représentent que des éléments pertinents de l'ensemble du casse-tête et ne jouent pas nécessairement le rôle d'un facteur déterminant en toutes circonstances […]. »

[52]        Les tribunaux ont reconnu que les politiciens et les milieux syndicaux, lorsque confrontés à des propos qu'on allègue être diffamatoires, doivent faire preuve de plus de tolérance. Les tribunaux font nettement la distinction entre des propos s'adressant au politicien ou au rôle syndical de la personne, par opposition aux propos qui visent l'intégrité professionnelle ou personnelle de ces mêmes personnes. Ainsi, dans l'arrêt Syndicat des travailleurs et travailleuses de la Ville de Gaspé c. Côté[8], la Cour d'appel a considéré que, lorsque confronté à des propos de nature diffamatoire tenus à l'occasion de la négociation de travail, le seul antagonisme des parties ne permettait pas, pour autant, une attaque systématique et répétée contre l'intégrité professionnelle et personnelle du demandeur.

[53]        Par ailleurs, dans l'affaire Hill c. Église de scientologie de Toronto[9], la Cour suprême du Canada a souligné la gravité d'une attaque dirigée contre un avocat en fonction. Il en ressort que lorsque la victime de la diffamation est un avocat, l'appréciation de la faute et du préjudice doit tenir compte des exigences très élevées qui sont reliées à cette profession, plus particulièrement en ce qui a trait à l'honneur, la dignité et l'intégrité. Enfin, dans l'arrêt Groupe Québecor inc. c. Cimon[10] la Cour d'appel du Québec retient les mêmes arguments à l'égard d'un notaire dont le maintien de la pratique professionnelle repose sur sa réputation irréprochable.

[54]        En l'espèce, la professeure est une professionnelle qui n'occupe pas une fonction publique; le fait que l'enseignement puisse, à certains égards, être un sujet d'intérêt public n'a pas pour effet de transformer le statut de professeur en une fonction publique semblable à celle des politiciens.

[55]        Le Tribunal est d'avis que l'avenir professionnel d'un professeur dépend en très grande partie de sa réputation. Comment un professeur titulaire peut-il aspirer à une promotion, à changer de milieu d'enseignement ou même à maintenir son travail de tutorat en dehors des heures de classe, si sa réputation est détruite ou fortement ternie? Un professeur peut-il continuer d'évoluer pleinement dans son milieu de travail, en toute quiétude et en toute sérénité, après une sérieuse attaque à sa réputation? Le Tribunal est d'avis que non. Même si le professeur détient une poste d'enseignement permanent et qu'il est protégé par une convention collective, comme c'est ici le cas, l'atteinte à sa réputation professionnelle lui enlève la confiance des parents et des élèves, de même que celle d'une partie de ses collègues.

[56]        Or, cette confiance est primordiale tant pour le professeur que pour les élèves, si l'on veut éviter un climat de méfiance, de crainte et d'anxiété tant au niveau estudiantin qu'au niveau professoral. Le maintien de la réputation de l'enseignant est également essentiel pour assurer un climat de travail sain et favorable aux échanges et à la collaboration entre professeurs, plus particulièrement entre partenaires d'une même classe d'immersion, comme c'est ici le cas. Les différences de personnalités entre collègues et les différences de styles d'enseignement sont plus difficilement tolérées lorsque la réputation professionnelle de l'enseignant est mise à dure épreuve. Les élèves sont malheureusement les premiers affectés par ce climat et cette perte de confiance. Ces éléments d'appréciation de l'atteinte à la réputation d'un enseignant ne tiennent pas compte des réactions plus personnelles et plus subjectives chez la personne visée; ces éléments subjectifs seront étudiés un peu plus loin dans l'analyse.

LE DROIT QUANT À L'ASPECT PÉCUNIER DE LA RÉCLAMATION

[57]        La partie demanderesse invoque le non-respect de l'entente ou convention verbale survenue entre les parties le 25 mars 2008, laquelle a été rédigée ultérieurement par Me Régimbal et signée par les défendeurs Artinian et Rosenstein le 15 juillet 2008 (D-1). Cette entente D-1 confirme le contenu de l'entente verbale du 25 mars 2008.

[58]        L'article 1458 C.c.Q. prévoit que l'on ne peut se soustraire au régime contractuel pour opter en faveur d'un régime plus favorable. Quant à l'article 1613 C.c.Q., il prévoit que seuls les dommages qui étaient prévisibles au moment de la conclusion du contrat peuvent être réclamés, exception faite de la faute intentionnelle et la faute lourde.

[59]        L'article 1615 C.c.Q. permet au créancier de dommages corporels de demander une réserve de trois ans pour demander des dommages-intérêts additionnels :

« 1615. Le tribunal, quand il accorde des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice corporel peut, pour une période d'au plus trois ans, réserver au créancier le droit de demander des dommages-intérêts additionnels, lorsqu'il n'est pas possible de déterminer avec une précision suffisante l'évolution de sa condition physique au moment du jugement. »

[60]        Les dommages avec intérêts et l'indemnité additionnelle en vertu de 1619 C.c.Q., en application de l'article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu, prévoit :

« 1619. Il peut être ajouté aux dommages-intérêts accordés à quelque titre que ce soit, une indemnité fixée en appliquant à leur montant, à compter de l'une ou l'autre des dates servant à calculer les intérêts qu'ils portent, un pourcentage égal à l'excédent du taux d'intérêt fixé pour les créances de l'État en application de l'article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu (chapitre M-31) sur le taux d'intérêt convenu entre les parties ou, à défaut, sur le taux légal. »

[61]        Quant à l'article 1611 C.c.Q., il prévoit la réparation intégrale comme suit :

« 1611. Les dommages-intérêts dus au créancier compensent la perte qu'il subit et le gain dont il est privé.

On tient compte, pour les déterminer, du préjudice futur lorsqu'il est certain et qu'il est susceptible d'être évalué. »

[62]        Le dommage matériel, en cas d'atteinte à la réputation, couvre notamment la perte de revenus[11] et le ralentissement de carrière[12].

[63]        Quant aux dommages moraux, les critères à considérer dans l'évaluation des dommages nous sont révélés dans l'arrêt Hill[13]. La Cour suprême du Canada enseigne que l'ensemble des éléments suivants doit être pris en compte dans l'évaluation des dommages moraux :

« la nature et les circonstances de la publication du libelle, le caractère et la situation de la victime du libelle, les effets possibles de la déclaration diffamatoire sur la vie du demandeur, et les actes et motivation des défendeurs. »

[64]        Quant aux auteurs Baudouin et Deslauriers[14], ils énoncent les facteurs maintes fois considérés par les tribunaux :

1.         La gravité de l'acte;

2.         L'intention de l'auteur de l'atteinte à la réputation;

3.         La diffusion de la diffamation;

4.         La condition des parties;

5.         La portée de la diffamation sur la victime et ses proches;

6.         La durée de l'atteinte et de ses effets.

[65]        Enfin, huit critères ont été mis de l'avant pour apprécier les dommages moraux dans l'affaire Fabien c. Dimanche-Matin Ltée[15] dans un jugement de M. le Juge Chevalier :

1.         La gravité intrinsèque de l'acte diffamatoire;

2.         Sa portée particulière relativement à celui qui en a été la victime;

3.         L'importance de la diffusion publique dont le libelle a été l'objet;

4.         Le genre de personnes qui, présumément, en ont pris connaissance, et les conséquences que la diffamation a pu avoir sur leur esprit et sur leur opinion à l'égard de la victime;

5.         L'importance de la diffusion publique dont le libelle a été l'objet;

6.         La contribution possible de la victime, par sa propre attitude ou sa conduite particulière à la survenance du préjudice dont elle se plaint;

7.         Le degré de la déchéance plus ou moins considérable à laquelle cette diffamation a réduit la victime par comparaison avec son statut antérieur;

8.         La durée éventuelle et raisonnablement prévisible du dommage causé et de la déchéance subie.

[66]        Pour ce qui est des dommages punitifs, l'article 1621 C.c.Q. prévoit :

« 1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. »

[67]        L'article 49 de la Charte québécoise prévoit également qu'en « cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs ». La Cour suprême a décrit ce qui constitue une atteinte illicite et intentionnelle dans l'arrêt Curateur public du Québec c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand[16] :

«  […] Il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l'atteinte illicite a un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s'il agit en toute connaissance de cause des conséquences, immédiates et naturelles ou du moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois la simple négligence. Ainsi l'insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère. »

[68]        Enfin, la Cour suprême nous brosse un bon tableau des principes d'application des dommages-intérêts punitifs dans l'arrêt Hill[17] :

« On peut accorder des dommages-intérêts punitifs lorsque la mauvaise conduite du défendeur est si malveillante, opprimante et abusive qu'elle choque le sens de dignité de la cour. Les dommages-intérêts punitifs n'ont aucun lien avec ce que le demandeur est fondé à recevoir à titre d'une compensation. Ils visent non pas à compenser le demandeur, mais à punir le défendeur. C'est le moyen par lequel le jury ou le juge exprime son outrage à l'égard du comportement inacceptable du défendeur. Ils revêtent le caractère d'une amende destinée à dissuader le défendeur et les autres d'agir ainsi. Il importe de souligner que les dommages-intérêts punitifs ne devraient être accordés que dans les situations où les dommages-intérêts généraux et majorés réunis ne permettent pas d'atteindre l'objectif qui consiste à punir et à dissuader.

[…]

Les dommages-intérêts punitifs peuvent servir, et servent effectivement, un objectif utile. S'ils n'existaient pas, il ne serait que trop facile pour les gens importants, puissants et riches de persister à répandre des libelles contre des victimes vulnérables. Les dommages-intérêts généraux et majorés à eux seuls pourraient simplement être considérés comme la redevance à payer pour être autorisé à continuer cette atteinte à la réputation. La protection de la réputation d'une personne à la suite de la publication de déclarations fausses et injurieuses doit être efficace. La meilleure protection est de faire savoir que des amendes, sous forme de dommages-intérêts punitifs, peuvent être imposées lorsque le comportement du défendeur est véritablement outrageant. »

[69]        Les dommages punitifs visent donc à punir et à dissuader de recommencer.

[70]        Dans l'arrêt Métromédia[18], la Cour d'appel nous enseigne qu'il ne s'agit pas d'indemniser le demandeur, mais de « punir le défendeur comme il le mérite, de le décourager, lui et d'autres, d'agir ainsi à l'avenir et d'exprimer la réprobation de tous à l'égard de tels événements. »

[71]        Enfin, il arrive parfois que les tribunaux refusent d'accorder des dommages exemplaires lorsqu'ils octroient le remboursement des honoraires extrajudiciaires[19].

ANALYSE

RÉGIME DE RESPONSABILITÉ EN CAUSE

[72]        En l'espèce, le procureur des défendeurs, s'appuyant sur l'article 1458 C.c.Q., soutient que si le Tribunal conclut à l'existence d'une faute de la part des défendeurs, seule la responsabilité contractuelle peut être invoquée, soit celle découlant du non-respect de l'obligation de confidentialité.

[73]        Le Tribunal est d'avis qu'il faut distinguer entre la faute découlant du non-respect d'une obligation contractuelle et l'atteinte à la réputation. En effet, il y a ici violation de l'obligation de confidentialité lorsque les parents dévoilent aux médias l'existence d'un paiement minime d'argent. Par ailleurs, la faute dont la demanderesse se plaint et sur laquelle elle appuie sa réclamation est l'atteinte à sa réputation de professeur. Comme nous le verrons plus loin, c'est le contenu des déclarations faites par les deux défendeurs lors de leur entrevue avec les médias qui constitue une atteinte grave à la réputation de la demanderesse, et non pas le fait de révéler le contenu de l'entente en tout ou en partie.

[74]        Le Tribunal est d'avis que ce type d'atteinte ne peut découler que d'une faute, tel que le soutiennent les auteurs Baudouin et Deslaurieurs[20] :

« 1-264 - Plan - La notion traditionnelle de faute soulève certains problèmes dans le contexte particulier des droits fondamentaux. Il n'est pas dans notre propos d'analyser ici l'ensemble des droits protégés par la Charte et qui donnent ouverture à des recours judiciaires, mais simplement d'indiquer brièvement ceux qui, au plan jurisprudentiel, paraissent les plus importants. Évidemment, toute tentative de catégorisation implique une part d'arbitraire et il est certain que des comportements peuvent être classés dans une autre catégorie ou dans plus qu'une. Par exemple, même si la notion de dignité est inhérente à presque tous les droits, dans le présent texte, le droit à la dignité est envisagé sous un angle plus restrictif que dans la doctrine traditionnelle. »

« 1-293 - Nécessité d'une faute - Pour que la diffamation donne ouverture à une action en dommages-intérêts, son auteur doit avoir commis une faute. Cette faute peut résulter de deux genres de conduite. La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s'attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l'humilier, à l'exposer à la haine ou au mépris du public ou d'un groupe. La seconde résulte d'un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites donnent ouverture à responsabilité et droit à réparation, sans qu'il existe de différence entre elles sur le plan du droit. En d'autres termes, il convient de se référer aux règles ordinaires de la responsabilité civile et d'abandonner résolument l'idée fausse que la diffamation est seulement le fruit d'un acte de mauvaise foi emportant intention de nuire. De plus, la diffamation, en droit civil, ne résulte pas seulement de la divulgation ou de la publication de nouvelles fausses ou erronées. Il n'y a généralement pas de responsabilité lorsque les faits publiés sont exacts et d'intérêt public, quoiqu'un arrêt récent de la Cour suprême du Canada ne semble n'y voir que des facteurs à prendre en compte dans l'évaluation de la faute. Par ailleurs, lorsque la publication n'a pour autre but que de nuire à la victime elle constitue sans aucun doute de la diffamation. Il en est ainsi par exemple lorsqu'on est en présence de références au nazisme, lesquelles outrepassent le droit à la libre expression. En d'autres termes, on ne peut se réfugier derrière le droit à la libre expression dans le seul but de porter préjudice à autrui. »

(notre soulignement)

[75]        La réclamation judiciaire de la demanderesse étant entièrement basée sur cette atteinte à sa dignité et à sa réputation, si avérée, l'atteinte constitue une faute et non une violation d'entente contractuelle.  Le Tribunal en conclut que le présent recours s'inscrit sous le régime de la responsabilité délictuelle ou extra-contractuelle. La faute serait alors commise à l'occasion de la violation d'une entente contractuelle et non pas par le fait d'une telle violation.

INTENTION DES AUTEURS DE L'ATTEINTE  ET GRAVITÉ DE L'ACTE

[76]        Compte tenu des arguments invoqués par le procureur des défendeurs, le Tribunal croit approprié de préciser que la présente poursuite ne s'appuie pas sur le fait que les défendeurs aient entrepris un recours judiciaire contre la professeure Kanavaros en 2005, mais uniquement sur les déclarations diffamantes tenues auprès des médias, à son endroit, à leur sortie de la Cour le 25 mars 2008.

[77]        L'entente convenue entre les parties le 25 mars 2008, dans la poursuite entreprise par les parents contre l'enseignante, prévoyait des conditions reliées au désistement et notamment l'absence de faute de la part des trois défendeurs, dont la professeure Mary Kanavaros, et la confidentialité de l'entente. Cette entente verbale s'est concrétisée par écrit ultérieurement et les parents l'ont signée tous les deux, de même que leur procureur, Me Grey. En signant ainsi cette transaction et quittance sans réserve aucune, avec les conditions qui y sont clairement stipulées, les parents reconnaissent implicitement que c'était là l'entente déjà convenue entre les parties le 25 mars 2008.

[78]        Revoyons ces conditions édictées au paragraphe 7 de la quittance et transaction :

« Les parties s'engagent à garder confidentiels les termes de la présente et à ne pas en divulguer le contenu à quiconque sauf et à l'exception des autorités gouvernementales concernées et compétentes, incluant celles qui ont procédé aux diverses saisies en mains tierces en l'instance; »

[79]        Au cours du procès, les parents ont tenté de convaincre le Tribunal que ce qu'ils avaient compris et retenu de l'entente verbale du 25 mars 2008, était le suivant : les conséquences de l'entente de confidentialité se limitaient à les empêcher de dévoiler le montant d'argent qui devait leur être payé. Le Tribunal ne peut retenir cette explication, car elle ne tient aucun compte des conditions longuement négociées entre les avocats et leurs clients le 25 mars 2008, des hésitations de la demanderesse Kanavaros qui insistait pour témoigner pour avoir la chance de se défendre des accusations portées contre elle, avant de finalement accepter d'acheter la paix, vu l'engagement de confidentialité et l'existence de la clause par laquelle les parents reconnaissaient l'absence de faute de la part de Mme Kanavaros, du principal de l'école et de la Commission scolaire.

[80]        L'ensemble de la preuve révèle qu'il était déjà convenu et connu des parents, avant qu'ils ne rencontrent les médias le 25 mars 2008, que seul le désistement serait produit en Cour et que les conditions rattachées à ce désistement demeureraient confidentielles. Le Tribunal ne peut ignorer que ce sont les parents qui, par l'entremise de Me Grey, ont offert un désistement en arrivant à la Cour, et non pas l'inverse.

[81]        Enfin, lorsque les parents disent :

81.1.     Par M Artinian : « we made our point », « It was done in the interest of every child in that classroom », «She's a marked lady and before she makes any more unprofessional moves, she'll have to think twice. »

81.2.     Par Mme Rosenstein : « […] the family decided to settle out of court because they had made their point that M… and all children deserve to be treated with respect. »

ils relancent les accusations déjà portées contre la demanderesse dans leur action principale et ils portent de nouveau atteinte à son honneur, à sa dignité et sa réputation professionnelle, et ce, alors qu'ils viennent d'accepter et de convenir de se désister aux conditions déjà établies par l'avocate de Mme Kanavaros et par les autres défendeurs. L'entente des parties, quant à la production d'un désistement, survient lorsque la volonté des parties s'est manifestée de part et d'autre; de l'avis du Tribunal, cet échange de volontés est survenu le jour de l'audition, soit le 25 mars 2008, avant que les défendeurs ne se rendent devant les médias. La rédaction de l'entente à une date ultérieure ne fait que confirmer par écrit ce qui a été convenu le 25 mars 2008. 

[82]        Dans ses arguments écrits, Me Grey reconnaît ce qui suit à son paragraphe 7 : « A professional settlement was reached by the parties which was later set down in writing by the School Board's Attorneys. »; cette affirmation tend à confirmer que l'entente avait été entièrement convenue le 25 mars 2008 et, par la suite, mise par écrit et signée par ses clients à l'été 2008.

[83]        L'ensemble des circonstances dans lesquelles le désistement a été négocié le 25 mars 2008 et celles dans lesquelles les parents l'ont signé, convainquent le Tribunal que les parties savaient pertinemment qu'elles s'étaient engagées à ne dévoiler rien d'autre que l'existence du désistement.

[84]        De plus, le Tribunal est d'avis que l'engagement de confidentialité des parties est ici incompatible avec la liberté d'expression, maintes fois invoquée par Me Grey à la décharge de ses clients. Il n'est pas illégal de choisir volontairement de limiter sa liberté d'expression et c'est le choix éclairé des parties en l'espèce lorsqu'elles conviennent, alors dûment assistées de leurs avocats respectifs, de ne pas divulguer le contenu de l'entente, soit le versement d'une somme d'argent et reconnaissance d'une absence de faute ou responsabilité de la part des défendeurs : Kanavaros, McMorran et l'EMSB.

[85]        Les défendeurs soutiennent avoir compris autre chose quant à la portée de l'engagement de confidentialité, mais ils n'ont pas révoqué leur procureur Me Grey.  Suivant leurs témoignages, l'engagement se limitait à ne pas dévoiler le montant d'argent qui devait leur être versé. Cette affirmation n'est pas crédible en l'espèce. Il est hautement improbable que les défendeurs n'aient pas reçu des informations complètes de Me Grey quant aux conditions du désistement. De plus, les parents et leur procureur n'ont jamais soutenu que les conditions du désistement avaient changé entre la date de l'entente verbale, le 25 mars 2008, et la date de leur signature, le 15 juillet 2008. Enfin, la défenderesse Rosenstein a reconnu, dans un interrogatoire hors cour tenu le 29 octobre 2009 (page 31, ligne 135) que l'obligation de confidentialité devait inclure le fait de ne pas mentionner qu'un montant d'argent leur serait payé.

[86]        Même si les parents avaient acquis la conviction profonde et sincère que la demanderesse commettait des erreurs professionnelles et que cela rendait leur fils nerveux et inquiet, cela ne justifie pas qu'ils aient transmis leurs opinions aux médias présents à l'extérieur de la salle d'audience, de façon à détruire sa réputation. Même en l'absence d'une entente de confidentialité, dans l'hypothèse où leur fils aurait effectivement été humilié de façon indue, cela n'excuse pas et ne justifie pas d'attaquer la réputation de la professeure sur la place publique et d'agir comme si un jugement avait été rendu contre elle, notamment en dénonçant son manque de professionnalisme et en la décrivant comme une « bully ». En l'espèce, les parents savaient que la professeure Kanavaros contestait leurs accusations et qu'elle était prête à présenter sa preuve devant le tribunal. Le Tribunal est d'avis que les parents se sont fait justice eux-mêmes après avoir proposé un désistement et avoir accepté les conditions de ce désistement, plus précisément l'absence de faute de la part de l'enseignante. C'est précisément parce qu'une entente est survenue entre les parties que tous, procureurs et parties, sont retournés devant Mme la juge Piché, le 25 mars 2008, pour l'informer qu'un désistement serait produit au dossier de la Cour, sans par ailleurs lui révéler les  détails confidentiels. Me Grey a précisé d'emblée, au début du procès devant la soussignée, que seul le désistement devait être produit au dossier de la Cour.

[87]        Le Tribunal en vient donc à la conclusion que, dès le 25 mars 2008, il y avait un engagement contractuel entre les parties prévoyant notamment la confidentialité et l'absence de faute de Mary Kanavaros de même que celle des autres défendeurs, et ce, avant que les parents ne s'adressent aux médias. Le seul élément non confidentiel était la survenance d'un désistement. La seule réserve qui existait pour ne pas tout signer le jour même se situait du côté de la Commission scolaire puisque son procureur, Me Régimbal, devait obtenir l'autorisation de son supérieur pour accepter les conditions de l'entente et produire le désistement; c'est toujours ainsi avec des organismes de ce type et cela était connu et ne semblait pas poser de problème. L'autorisation a d'ailleurs été obtenue, comme prévu.

[88]        Quelques minutes après la conclusion de cette entente verbale, les parties quittent la salle d'audience. Mary Kanavaros, sa famille et ses témoins quittent l'étage par un escalier de manière à éviter la partie adverse et les médias. De leur côté, les parents se dirigent vers les médias et s'adressent à eux.

[89]        Les parents font alors des déclarations en présence de la caméra de « CBC » et de Sue Montgomery, journaliste du journal « The Gazette ».

[90]        Aux nouvelles télévisées de « CBC », le 25 mars 2008 à 18 h 00, (P-15) Kathryn Rosenstein (la mère) rapporte ce qui suit :

« "It shouldn't be a David and Goliath situation where one little 9 year old boy has to stand up and say to the teachers, to the school board, to everyone, this is wrong."

"There has to just be check and balances in order to make sure that problems don't reoccur"»

[91]        Hagop Artinian (le père), pour sa part, rapporte :

« "The point is made and we believe that this was done in the interest of every child that was in that classroom." »

[92]        De plus, la journaliste Montgomery rapporte les propos suivants, le 25 mars 2008, dans « The Gazette » sur Canada.com (P-7) :

« Hagop Artinian said the amount of the settlement was "negligible" […] »

« "It was done in the interest of every child in that classroom," he said. The teacher will "think twice" before treating another student in the same fashion, he said. »

[93]        La même journaliste publie également les propos suivants dans d'autres journaux distribués par « Canwest News Service », le 26 mars 2008 (P-5) :

« "It was done in the interest of every child in that classroom," he said. "She's a marked lady and before she makes any more unprofessional moves, she'll have to think twice." »

[94]        L'article de Sue Montgomery est également repris dans « The Gazette », le 26 mars 2008, où elle rapporte à nouveau les propos suivants (P-8A et P-8B) :

« Hagop Artinian said the amount of the settlement was "negligible" […] »

« "It was done in the interest of every child in that classroom", he said, The Teacher will "think twice" before treating another student the same way, he said. »

« Artinian said he was happy, because even without a trial, they made their point. "It was done in the interest of every child in that classroom," he said. »

« "She's a marked lady and before she makes any more unprofessional moves, she'll have to think twice." »

[95]        Quant aux titres des nouvelles ou des articles choisis par les chefs de pupitre, les 25 et 26 mars 2008, ils sont les suivants :

« “Parents settle with teacher accused of intimidating Grade 4 pupil", CBC News, March 25, 2008, 5:08 pm (P-6);

“Teacher accused of bullying student reaches out of court settlement with parents”, Sue Montgomery, The Gazette, March 25, 2008, on Canada.com (P-7);

“Teacher settle with parents in bullying case”, Sue Montgomery, Canwest News Service, March 26, 2008 (P-5);

"Classroom bullying case settled out of court", The Gazette, Sue Montgomery, March 26, 2008 (P-8A);

“Teacher bulling suit settled”, Canwest News Service, Sue Montgomery, March 26, 2008 (P-8B);

“Settlement in bullied student case”, Q92 website, March 26, 2008 (P-39). »

[96]        En l'espèce, les déclarations des défendeurs n'étaient ni utiles ni nécessaires et elles ne visaient qu'un seul but, soit celui de détruire la réputation de la professeure Kanavaros.

[97]        Cette précision est importante puisqu'elle peut donner ouverture à l'attribution de dommages exemplaires en plus des dommages compensatoires.

[98]        En l'espèce, le procureur des défendeurs soutient que, s'il y a faute entraînant un préjudice, cette faute n'était pas intentionnelle parce que non planifiée. Les parents n'avaient pas convoqué les médias au palais de justice et ils n'ont jamais reparlé aux médias par la suite.

[99]        Le Tribunal est d'avis que, lorsque les parents disent « we made our point » etc., ils affirment devant les médias avoir prouvé leurs affirmations; or, rien n'est plus faux. Leurs déclarations impliquent nécessairement que la demanderesse a commis des erreurs professionnelles. Ce dénigrement des parents à l'égard de la professeure Kanavaros en est un de mauvaise foi puisqu'ils viennent de s'engager à reconnaître l'absence de faute ou de responsabilité de la professeure Kanavaros. Ils se font justice eux-mêmes, en évitant soigneusement de confronter leurs allégations à celles de la partie adverse qui avait une défense à faire valoir devant le tribunal. C'est là un comportement choquant et outrageant. 

[100]     Le Tribunal est d'avis que nous sommes ici en présence d'une faute délictuelle, malicieuse et de mauvaise foi. On ne peut être à ce point inconscient : proposer un désistement, accepter les conditions de la partie adverse (absence de responsabilité des défendeurs et confidentialité des termes de l'entente) et trahir cet engagement dans les minutes qui suivent, en présence des médias (télévision et journaux anglophones couvrant le grand Montréal Métropolitain). L'impression générale qui se dégage de l'ensemble de la preuve est que les défendeurs ont habilement et sciemment profité de la présence des médias pour régler leurs comptes avec la professeure en la jugeant et en la condamnant sur la place publique, après lui avoir enlevé la chance de se défendre.

CRÉDIBILITÉ DES DÉFENDEURS

[101]     L'enfant de neuf ans, en début de 4e année d'immersion française au primaire, a-t-il confondu « c'est pitoyable » avec « tu es pitoyable », tel que l'affirme la professeure Kanavaros? C'est l'affirmation de la demanderesse et le Tribunal la croit, d'autant plus que l'enfant fait alors l'apprentissage du français et qu'il est très hésitant. Après avoir constaté que la mère, de sa propre écriture, avait complété le devoir de l'enfant, la demanderesse a expliqué qu'elle a fait venir l'enfant en question à son pupitre; elle lui a expliqué que sa mère avait déjà complété sa 4e année et que c'était maintenant à lui de la compléter. Elle l'a informé de la nécessité de refaire son devoir et elle a arraché la page complétée par la mère pour que l'enfant recommence le devoir en question. Il est ensuite venu faire corriger son devoir et la demanderesse l'a félicité et l'a assuré qu'il était capable de faire son devoir lui-même.

[102]     De plus, le Tribunal est étonné du comportement de la mère qui fait le devoir de son fils à 10 h 30 le soir, plutôt que de lui dire de se coucher et de faire en sorte qu'il le complète lui-même le lendemain matin, avant de partir pour l'école. Fournir de l'assistance aux devoirs est une chose, mais faire le travail à la place de l'enfant en est une autre, difficilement acceptable. Les parents reprochent à la professeure Kanavaros d'avoir humilié leur fils devant toute sa classe, alors qu'ils n'ont pas été témoins des faits.

[103]     La demanderesse a communiqué avec la mère le jour même de l'incident de la reprise du devoir non fait par l'enfant et elle a assuré celle-ci que son fils était capable de faire ses devoirs lui-même, lorsque cette dernière n'était pas disponible pour l'assister. La mère n'a pas questionné la professeure sur les motifs de sa réaction et elle n'a fourni aucune réaction de désaccord ou de désapprobation à l'égard de la réaction de la professeure; enfin, elle n'a alors pas allégué que son fils avait été humilié devant ses collègues.

[104]      Par leurs réactions disproportionnées, les parents n'ont-ils pas incité leur fils à se voir comme une victime alors que l'enseignement de la mère à son fils, en faisant le devoir à sa place, incite ce dernier à faire fi de ses responsabilités et de ses obligations d'élève et à ignorer l'autorité du professeur qui applique une partie importante d'une loi d'ordre publique, soit la Loi sur l'instruction publique[21]? Les parents comprennent-ils ici l'importance de la droiture et du sens des responsabilités qu'il faut inculquer très jeune chez les enfants?

[105]     De plus, la preuve révèle que la mère a fait preuve d'un sens du drame tout à fait disproportionné en invitant son fils à dormir dans la chambre à coucher de ses parents, au cours de l'automne 2005, sous prétexte que l'enfant avait peur de sa professeure et dormait mal. Les parents ont-ils créé un drame de toutes pièces et tenté d'en imputer la responsabilité à la professeure? Le témoignage de la mère, à lui seul, nous permet à tout le moins de nous poser la question sérieusement.

[106]     Ces aspects sont soulevés ici dans l'unique but d'apprécier la crédibilité des parents, notamment leur sens du drame et leur arrogance face à l'autorité scolaire par opposition à la collaboration à laquelle les enseignants devraient être en droit de s'attendre de la part des parents, sur le plan académique.

[107]     Le témoignage de Mme Mary Kanavaros nous apprend, entre autres choses, que le défendeur Artinian est venu l'intimider en se présentant à la porte de sa classe à l'automne 2005, le soir de la rencontre parents-professeurs. Le fils du défendeur n'était plus dans la classe de Mme Kanavaros puisqu'il avait été promu en 5e année. Elle explique qu'il a adopté une attitude intimidante. M. Artinian n'avait aucune raison de se présenter devant la demanderesse puisque d'une part son fils n'était plus dans la classe de Mme Kanavaros et, d'autre part, la classe des élèves de 5e année n'était pas du tout dans le même corridor de l'école. Mme Kanavaros lui a demandé de quitter sa classe à deux reprises et il s'est mis à crier. Elle a dû passer devant lui et se baisser la tête pour éviter son bras qui était levé. Elle soutient qu'il lui disait qu'elle n'allait pas lui dire ce qu'il devait faire, qu'il allait la détruire. La demanderesse s'est alors rendu en courant au bureau du principal pour l'aviser de la menace qu'elle venait de subir. Le témoignage du principal corrobore en bonne partie la déclaration de la demanderesse; ce dernier est immédiatement sorti de son bureau pour se rendre en direction de la classe de Mme Kanavaros et il a rencontré M. Artinian qui revenait effectivement de ce corridor alors qu'il n'avait aucune raison de s'y trouver. Le principal ajoute que le défendeur s'est mis à crier et à insulter Mme Kanavaros et à soutenir qu'elle devrait être retirée de l'école en tant qu'enseignante. Cette scène s'est déroulée en présence de nombreux parents. Le principal a alors insisté pour que M. Artinian quitte l'école immédiatement.

[108]      Quant à la version du défendeur Artinian, ce dernier soutient que rien de tout cela ne s'est produit et qu'il ne s'est jamais présenté à l'école lors d'une réunion parents-professeurs, en 2005-2006. Le Tribunal est d'avis que la version du défendeur n'offre aucune crédibilité.

[109]     Même si les parents conservent l'intime et profonde conviction d'avoir eu raison, dans leur interprétation des événements soulevés par leur poursuite de mai 2005, dans leur compréhension du rôle d'un professeur au primaire ainsi que de leur rôle de parents, cela ne leur donne pas le droit de mettre de côté l'entente négociée en Cour par leur avocat, pour se faire justice eux-mêmes en profitant de la présence des médias sur place.

[110]     Non seulement l'attitude excessive des parents amène-t-elle le Tribunal à examiner leurs allégations et leurs témoignages avec moins de sérieux et de conviction mais, de plus, le Tribunal ne peut ignorer que dans le passé, le défendeur Artinian s'est fait justice lui-même pendant plusieurs années, défiant les ordonnances des tribunaux et n'hésitant pas à se mettre à l'abri de toute exécution de jugement. En effet, la preuve révèle que le défendeur a refusé systématiquement de respecter les jugements lui ordonnant de payer une pension alimentaire pour les enfants d'une union antérieure. Deux ordonnances d'outrage au tribunal ont été rendues contre lui; comme il persistait à se soustraire à l'exécution des jugements, une peine d'emprisonnement a été rendue contre lui.

GRAVITÉ DE L'ATTEINTE

[111]     Le Tribunal est d'avis qu'en l'espèce, l'atteinte diffamatoire est grave en soi. Elle ressemble à une attaque en règle contre Mary Kanavaros qui a osé être en désaccord avec le geste de la mère qui complète le devoir à la place de son fils à 10 h 30 le soir et qui, au surplus, a soi-disant « humilié » leur fils devant la classe en déchirant cette page de devoir et en exigeant que ce dernier reprenne le devoir à la récréation.

[112]     L'atteinte à la réputation de la demanderesse se manifeste à plusieurs niveaux. Elle atteint d'abord la professeure Kanavaros dans son professionnalisme; on la condamne sur la place publique sans procès ni possibilité de se défendre. On lui enlève sa grande fierté de professeure, son rêve ultime qui s'était réalisé sous forme de vocation tardive et pour laquelle elle tirait tant de satisfaction, à savoir l'aide et l'enseignement aux enfants. Dans un deuxième temps, l'atteinte vise la perte de confiance de nombreux parents envers la professeure Kanavaros, à la suite de l'institution de la poursuite judiciaire des parents Artinian et Rosenstein en 2005; en effet, plusieurs parents avaient déjà manifesté au principal de l'école Roslyn leur souhait de ne pas voir leurs enfants inscrits dans la classe de Mme Kanavaros pour l'année suivante parce qu'ils avaient perdu confiance en cette dernière, après que les articles de journaux reprennent les accusations de la poursuite. En 2008, après les déclarations des parents auprès des médias, ces derniers reprennent la référence antérieure : « the bully teacher ». Les déclarations médiatiques des parents viennent confirmer les accusations portées antérieurement, comme si un jugement l'avait confirmé. Dans un troisième temps, l'atteinte vise la confiance des collègues de travail de la demanderesse; ils se questionnent et se demandent à quand la prochaine poursuite contre eux? D'autres professeurs sont mécontents envers leur collègue Kanavaros qui n'a su éviter qu'un pareil incident survienne et ternisse la réputation de l'ensemble des professeurs de l'école Roslyn. Tout le climat de travail est entaché par cette poursuite judiciaire et c'est en partie à la demanderesse que l'on attribue la cause de cette dégradation de climat.

[113]     La demanderesse décrit comme suit les conséquences de la diffamation sur sa vie professionnelle et personnelle :

113.1.        Depuis 2004, elle faisait l'objet de commentaires dans Westmount et attendait l'opportunité de se défendre en Cour contre les accusations fausses et mensongères portées contre elle; on lui a volé cette opportunité;

113.2.        À compter du 26 mars 2008, sa vie est un cauchemar, elle était en état de choc; c'était la pire journée de sa vie;

113.3.        Le premier mois était un véritable enfer;

113.4.        Elle ressentait de la rage de ce que les Artinian et Rosenstein aient contourné le système de justice. Elle avait le droit de se défendre en Cour des accusations portées contre elle et les Artinian et Rosenstein l'en ont privée; elle a été naïve de croire qu'ils respecteraient leur parole et leur engagement;

113.5.        Elle avait peur et était traumatisée;

113.6.        Elle était embarrassée par l'humiliation publique qu'elle subissait;

113.7.        Son état de santé a été affecté par le choc et la dévastation qu'elle a ressentie à la suite des propos rapportés par les médias à son sujet. Son médecin lui a prescrit des médicaments. Récemment, on lui a prescrit des médicaments pour le cœur et elle doit prochainement subir des examens en cardiologie. Elle prend également des médicaments pour l'anxiété et pour dormir;

113.8.        Sa réputation et sa carrière sont en cause; cela lui reste dans la tête;

113.9.        Elle rage lorsqu'elle écoute les Artinian et Rosenstein dire aux nouvelles télévisées que les enfants doivent être protégés contre elle, elle ressent de la colère et est éperdue;

113.10.      Sa vie est suspendue depuis le 26 mars 2008 : son niveau de stress est demeuré tel qu'elle n'a jamais repris de vacances et n'a plus voyagé, bien qu'elle possède une maison à Athènes et qu'elle ait eu l'habitude de s'y rendre trois fois par année avec ses enfants;

113.11.      Elle est affectée par le fait que M. Artinian ait rit d'elle dans le corridor du palais de justice et n'ait affiché aucun remords;

113.12.      Sa salle à manger est pleine de dossiers et de documents légaux, c'est un fouillis; son dossier est devenu une obsession. Les portes de sa maison restent maintenant fermées alors qu'auparavant ses enfants avaient l'habitude de recevoir leurs ami(e)s. Maintenant, outre ses enfants, seules sa mère et une amie viennent quelquefois à la maison;

113.13.      En octobre 2008, son état d'esprit était tel qu'elle craignait d'être à nouveau poursuivie, chaque fois qu'elle se présenterait en classe pour y enseigner;

113.14.      La diffamation véhiculée par les médias s'est répandue à la grandeur du pays. Il lui a fallu plusieurs mois pour être capable de fonctionner;

113.15.      Elle est d'avis que, pour un professeur, il n'y a rien de plus important que sa réputation; elle se sent victime d'une escroquerie.

[114]     Comme nous le verrons plus en détail, la demanderesse est toujours affectée par sa dépression et se sent incapable de retourner à l'école Roslyn, encore moins d'y enseigner.

LE CARACTÈRE DIFFAMANT ET SA PORTÉE

[115]     Pour déterminer si les propos tenus par les parents constituent de la diffamation, le Tribunal doit se demander si une personne ordinaire serait d'avis que les propos des parents aux médias, pris dans leur ensemble, déconsidèrent la réputation de l'enseignante Mary Kanavaros.

[116]     Afin de déterminer si les déclarations des défendeurs revêtent un caractère diffamatoire, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Prud'homme précité nous propose la démarche développée par le juge Senécal dans l'affaire Beaudoin c. La Presse Ltée[22] :

« La forme d'expression du libelle importe peu; c'est le résultat obtenu dans l'esprit du lecteur qui crée le délit. L'allégation ou l'imputation diffamatoire peut être directe comme elle peut être indirecte « par voie de simple allusion, d'insinuation ou d'ironie, ou se produire sous une forme conditionnelle, dubitative, hypothétique ». Il arrive souvent que l'allégation ou l'imputation « soit transmise au lecteur par le biais d'une simple insinuation, d'une phrase interrogative, du rappel d'une rumeur, de la mention de renseignements qui ont filtré dans le public, de juxtaposition de faits divers qui ont ensemble une semblance de rapport entre eux ».

Les mots doivent d'autre part s'interpréter dans leur contexte. Ainsi, « il n'est pas possible d'isoler un passage dans un texte pour s'en plaindre, si l'ensemble jette un éclairage différent sur cet extrait ». À l'inverse, « il importe peu que les éléments qui le composent soient véridiques si l'ensemble d'un texte divulgue un message opposé à la réalité ». On peut de fait déformer la vérité ou la réalité par des demi-vérités, des montages tendancieux, des omissions, etc. « Il faut considérer un article de journal ou une émission de radio comme un tout, les phrases et les mots devant s'interpréter les uns par rapport aux autres. »

[117]     Le Tribunal est d'avis que les propos des défendeurs auprès des médias ont pour effet d'inculquer une lourde faute professionnelle de la part de la professeure et des autres défendeurs; ces propos sont les suivants :

« a) Mr. Artinian said he was happy, because even without a trial, they made their point. "It was done in the interest of every child in that classroom, he said."

b) "She's a marked lady and before she makes any more unprofessional moves, she'll have to think twice."

c) "It shouldn't be a David and Goliath situation where one little 9 year old boy has to stand up and say to the teachers, to the school board, to everyone, this is wrong". »

[118]     La première affirmation, citée au sous-paragraphe a) qui précède, suggère clairement que le règlement obtenu contient une reconnaissance d'erreurs professionnelles commises à l'égard de leur fils par la professeure Kanavaros et qu'elle représentait une menace pour tous les élèves. Or, rien n'est plus faux. Non seulement rien ne devait transparaître du consentement mais, de plus, par ce consentement les parents reconnaissaient l'absence de faute de la professeure Kanavaros et des autres défendeurs.

[119]     La deuxième affirmation, citée au sous-paragraphe b) qui précède, est encore plus empreinte de mauvaise foi lorsque l'on réfère à la demanderesse comme étant « a marked lady », qu'on l'accuse de « unprofessional moves » et que l'on ajoute « she'll have to think twice » alors qu'aucune preuve de quelque faute que ce soit n'a été faite en Cour et qu'aucune admission n'a été faite.

[120]     L'affirmation de la mère, reprise au sous-paragraphe c) qui précède, ajoute une touche émotive empreinte de sentiment d'injustice lorsqu'elle affirme faussement et en pleurant que son fils de neuf ans a dû affronter son enseignante pour faire valoir l'humiliation qu'il subissait auprès de cette dernière. Or, aucune telle preuve n'a été faite et c'est clairement contraire à leur engagement.

[121]     Les médias dans lesquels les déclarations et insinuations à l'effet que Mary Kanavaros abuse de son pouvoir d'enseignante envers ses élèves (« bully teacher ») soulèvent l'inquiétude auprès des parents et élèves, non seulement de l'école Roslyn où elle était enseignante, mais également dans toutes les écoles de l'EMSB où la demanderesse Mary Kanavaros est susceptible d'exercer sa profession d'enseignante, en tant que professeure de français, langue seconde.

[122]     La preuve révèle que plusieurs parents, ignorant que la demanderesse n'avait pas repris sa charge d'enseignante à l'école Roslyn, en septembre 2008, demandaient que leur enfant ne soit pas assigné dans sa classe.

[123]     Le Tribunal est d'avis qu'en s'adressant aux médias télévisés et écrits, tels « CBC » et le journal « The Gazette », sur un sujet qui a déjà fait l'objet d'articles de journaux trois ans plus tôt lors de l'institution de leurs procédures, les parents ne pouvaient ignorer que leurs déclarations seraient reprises par les médias. La seule présence des médias dans le corridor du palais de justice, à l'étage où devait se tenir le procès, enlève tout doute quant à leur intérêt d'informer la population des résultats du procès. Pourquoi les parents ont-ils soutenu des affirmations du type « we made our point », « she's a marked lady » si ce n'est pour qu'ils soient divulgués par les médias au sortir de la Cour.

[124]     Les commentaires des défendeurs insinuent forcément la présence de fautes sans toutefois les préciser, laissant supposer le pire : « we made our point », « She's a marked lady and before she makes any more "unprofessional moves", she'll have to think twice ». En raison de la diffusion de ces nouvelles sur le site web, on peut encore, à ce jour, retracer les articles de journaux qui rapportent la diffamation en inscrivant simplement le nom de Mary Kanavaros sur un moteur de recherche.

[125]     À l'automne 2004, les défendeurs ont tenté de convaincre le principal de l'école Roslyn de retirer l'enseignante Kanavaros de l'école fréquentée par leur fils et ils n'y sont pas parvenus. M. McMorran, n'ayant aucune compétence sur ce type de demande, a référé les parents directement auprès de la Commission scolaire. Les parents ne semblent pas avoir été pris au sérieux par la Commission scolaire. Pendant les trois années d'attente du procès, la professeure Kanavaros a continué d'enseigner, malgré les articles de journaux rapportant les allégations des parents sans que sa version des faits ne soit rapportée. Elle a également tenu bon, malgré les réactions négatives de certains collègues qui se sont distanciés d'elle à cause de l'effet négatif qui rejaillissait sur l'école Roslyn, en raison de la poursuite judiciaire. Pendant ces trois années d'attente où elle s'est abstenue de tout commentaire à la demande de son avocate, elle avait toujours la certitude d'être entendue devant le tribunal et de faire enfin la lumière à l'encontre des accusations portées contre elles, accusations qu'elle savait fausses et mensongères. Pendant trois ans, elle a supporté le climat de tension que cette poursuite judiciaire a engendré, tant à l'école que dans sa vie personnelle. Le 25 mars 2008, à cause des déclarations mensongères faites aux médias, les défendeurs ont atteint leur but. Mary Kanavaros a sombré dans une dépression majeure et elle n'est toujours pas encore retournée enseigner à Roslyn.

DIFFUSION DES PROPOS DIFFAMANTS

[126]     La diffusion des articles de journaux rapportant les propos des défendeurs a une portée très importante. Elle rejoint tous les lecteurs du journal « The Gazette » et tous les auditeurs de « CBC News ». La preuve nous révèle que la cote d'écoute de « CBC News » (P-34) en semaine, au cours du printemps 2008 entre 18 h 00 et 19 h 00, était de 19 000 personnes auprès d'un public de tous âges et de 5 000 personnes auprès d'un public plus ciblé dont l'âge varie entre vingt-cinq et cinquante-quatre ans. Bien que ce sondage, préparé par « BBM » pour le compte de « CBC », ne porte pas précisément sur l'écoute du poste « CBC » le 25 mars 2008, il nous donne un aperçu valable et fort pertinent de la cote d'écoute de « CBC » à l'heure des nouvelles, entre 18 h 00 et 19 h 00. Quant au journal « The Gazette », selon le témoignage de Sue Montgomery, journaliste de ce journal, au cours de l'année 2008, on tirait en moyenne 200 000 exemplaires en semaine. Les articles précités, tant dans les médias écrits que parlés, se retrouvent également sur le web et le public peut encore y accéder en consultant les archives; il suffit de taper le nom de Mary Kanavaros sur un moteur de recherche.

[127]     La preuve révèle également que la nouvelle a été reprise sur la chaîne de nouvelles de « CTV » dès le 26 mars 2008, de même que sur leur site web. De plus, la nouvelle a été diffusée le 26 mars à la station de radio « CJAD ».

[128]     Les parents dont les enfants fréquentent les écoles de l'EMSB sont les plus susceptibles de s'intéresser à une telle nouvelle. Or, la nouvelle rapportant les commentaires des défendeurs était précisément destinée aux lecteurs et auditeurs anglophones de l'EMSB, là où la demanderesse gagne sa vie à titre d'enseignante, de même que de façon subsidiaire à titre de tuteur.

[129]     Non seulement tout le public anglophone du grand Montréal Métropolitain est rejoint par les déclarations des défendeurs, (« CBC » et « The Gazette »), mais ont également été informés des déclarations des défendeurs les lecteurs de la région d'Ottawa (« The Citizen »), les lecteurs de la région du grand Toronto (« The National Post ») et ceux de la région de Vancouver (« The Vancouver Sun »). Il s'en est fallu de peu pour que la couverture médiatique couvre le pays dans son entier; seuls les médias des Maritimes ont été épargnés.

RÉTRACTATION ET EXCUSES

[130]     En l'espèce, aucune rétractation ou excuse n'a été présentée par les parents, à quelque étape que ce soit. Bien plus, l'allégation de la demanderesse à l'effet que le défendeur Artinian se moque d'elle dans le couloir du palais pendant le procès n'a pas été contredite.

STATUT ANTÉRIEUR DE LA DEMANDERESSE ET SA CONTRIBUTION AUX DOMMAGES, S'IL Y A LIEU

[131]     La partie défenderesse a fait une preuve élaborée pour tenter de démontrer que la poursuite des parents, contre la professeure Kanavaros, n'était pas sans fondement et que la réputation de cette dernière, en tant que professeure, était déjà entachée à l'école Roslyn, et ce, avant que les défendeurs ne s'adressent aux médias le 25 mars 2008 et avant qu'elle n'entreprenne la présente poursuite. Le Tribunal est d'avis que les défendeurs ont échoué à démontrer que la réputation professionnelle de la professeure Mary Kanavaros était déjà diminuée par ses propres agissements avant qu'ils ne fassent leurs commentaires aux médias, le 25 mars 2008.

[132]     Le Tribunal est d'avis que des attaques à la réputation d'une personne, lancées dans une poursuite judiciaire, ne peuvent être considérées comme étant une tache à la réputation d'un professionnel, tant et aussi longtemps que leur preuve n'est pas établie.

[133]     En ce qui concerne Mary Kanavaros, deux poursuites ont été intentées contre elle : la première par les défendeurs Artinian-Rosenstein en 2005 et la seconde par Mme Jennifer Jones en 2007. Ces deux poursuites ont fait l'objet de désistement et aucune preuve de faute ou de manque de professionnalisme n'a jamais été faite contre la demanderesse à l'égard de leurs enfants.

RÉPUTATION PROFESSIONNELLE DE LA DEMANDERESSE

[134]     Quant à la réputation antérieure de Mary Kanavaros, la partie défenderesse a tenté de démontrer, au cours du présent procès, qu'elle insultait certains élèves de la classe, qu'elle affublait certains d'entre eux de noms humiliants, qu'elle criait beaucoup dans la classe, qu'elle était trop rigide et trop agressive à l'endroit des élèves.

[135]     Dans ses arguments oraux, le procureur des défendeurs soutient que la demanderesse avait déjà acquis une mauvaise réputation par son comportement et ses attitudes avant le 25 mars 2008; les enfants avaient peur d'elle.

[136]     Outre les défendeurs, Mary Katherine Moore est l'un des principaux témoins ayant tenté de démontrer la mauvaise réputation de la professeure Kanavaros.

[137]     Il s'avère que la crédibilité de Mme Moore n'est pas très bonne. Elle est pratiquement en déni des difficultés que son fils a eues en classe d'immersion française. Elle reproche à Mary Kanavaros son manque d'assistance pour procurer à son fils l'aide professionnelle dont il avait alors besoin, au début de l'année scolaire 2004-2005. Or, sa carte de remerciement, du 2 septembre 2004 à l'endroit de Mary Kanavaros, démontre le contraire (P-40). De toute évidence, elle ne s'attendait pas à ce que la professeure Kanavaros ait conservé cette carte :

« Thank you for your prompt attention to having N… sent to the resource center. It is much appreciated. »

[138]     Le 27 octobre 2005, après avoir accepté avec réticence que son fils soit transféré dans le parcours unilingue anglophone à Roslyn, elle écrit une lettre (D-12) adressée au principal de l'école, mais elle ne la lui a jamais fait parvenir parce que, dit-elle « they are all unionized and together »; elle la remet plutôt aux défendeurs pour démontrer son appui et ces derniers la remettent à leur avocat. Il est admis que le fils de Mme Moore était le meilleur ami du fils des défendeurs. Les deux familles sont amies et fréquentent le même club sportif. De toute évidence, il s'agit d'un document préparé, entre les défendeurs et Mme Moore, en vue de favoriser leur preuve. Les défendeurs avaient déjà envoyé leur mise en demeure agressive, réclamant 50 000 $ à Mary Kanavaros personnellement, au principal personnellement ainsi qu'à la Commission scolaire. Mme Moore se prête à ce jeu sans aucune gêne, comme si cela allait de soi.

[139]     Le 4 octobre 2004, un samedi, Mme Moore a une conversation téléphonique avec Mary Kanavaros et elle affirme que cette dernière a tenu des propos désobligeants à l'endroit du fils des défendeurs, et ce, bien qu'elle reconnaisse que Mme Kanavaros n'a jamais mentionné le nom de l'élève; elle affirme qu'elle savait qu'il s'agissait du fils des défendeurs. Mme Kanavaros nie avoir tenu de tels propos.

[140]     Dans l'ensemble de son témoignage devant le Tribunal, Katherine Moore émet beaucoup d'opinions négatives sur Mary Kanavaros, sans aucune mesure; elle rapporte les propos des enfants d'autres parents sans que l'on sache de qui il s'agit. Elle affirme gratuitement, au sujet de son fils, « he was treated like a dummy », suggérant que ce soit le fait de Mary Kanavaros, mais sans aucune preuve à cet effet. Elle affirme, juge et condamne sans hésitation.

[141]     La preuve révèle qu'à l'automne 2004, Mme Moore a discuté des difficultés de son fils avec plusieurs personnes ressources de l'école Roslyn. Le témoignage de Katerina Arvanitis, alors professeure-ressource en français, nous informe que le fils de Mme Moore était un de ses étudiants au cours des deux premiers mois de cette année scolaire. Elle précise que son bagage académique était très pauvre en français et elle a conseillé à la mère d'inscrire son fils dans le parcours unilingue anglophone. Mme Moore a également consulté la travailleuse sociale, Barbara Felman, ainsi que la professeure-ressource de langue anglaise, Mme Bismuth; ces dernières lui ont fait la même recommandation, soit le parcours unilingue anglophone, en raison de ses grandes difficultés d'apprentissage de la langue française. Malgré tous ces avis uniformes, Mme Moore conserve, à l'endroit de Mary Kanavaros un ressentiment très subjectif qui dépasse l'entendement.

[142]     Au cours de son témoignage, cette mère s'est montrée très amère du fait que son fils n'a pas été capable de compléter son primaire dans le système d'immersion française et elle continue de jeter le blâme sur la professeure Kanavaros parce que cette dernière a demandé à sa fille de cesser d'agir à titre de tutrice pour le fils de Mme Moore, en raison des conflits que cela créait avec un autre élève, lequel se plaignait de passe-droits, parce que le fils Moore recevait ses mots de dictées avant les autres, pour sa session avec sa tutrice, en vue de mieux les maîtriser.

[143]     Le témoignage de Mme Moore ne présente malheureusement aucune objectivité et est tellement empreint de rancune et d'esprit de vengeance que le Tribunal ne peut le retenir.

[144]     Quant au témoignage de Mme Jennifer Jones, elle se plaint de ce que son fils a passé une année d'enfer dans la classe de Mme Kanavaros en 2004-2005. Elle affirme que son fils était extrêmement déprimé, il pleurait dans son lit, il ne pouvait dormir et il ne pouvait plus s'adapter. À son arrivée à l'école Roslyn, il était déjà connu que son fils souffrait d'un déficit de l'attention. Dès le début de l'année 2004-2005, on avait informé la mère de la nécessité d'obtenir une évaluation psychologique relativement à son fils afin que ce dernier puisse bénéficier d'une aide personnalisée, telle qu'elle le souhaitait. Après beaucoup de réticence, la mère a finalement reconnu qu'au cours de l'été 2005, soit après qu'il eût terminé sa 4e année, on a diagnostiqué que son fils souffrait de « borderline asperger syndrome ». Faute de connaître ce diagnostic plus tôt, son fils n'a pas obtenu le programme d'aide individualisé qu'elle recherchait pour lui, ni l'assistance médicale dont il avait alors besoin et, surtout, l'enfant na pas été soulagé plus tôt des grandes difficultés qu'il éprouvait. La professeure Kanavaros avait pourtant fait une suggestion fort utile à Mme Jones en début d'année scolaire pour que son fils soit évalué plus rapidement, mais cela n'a pas été reçu positivement par la mère de l'enfant.

[145]     Par son témoignage, Mme Jones affirme clairement que son fils fonctionnait bien avant qu'il n'entreprenne sa 4e année à l'école Roslyn et elle tient Mary Kanavaros principale responsable de ses difficultés d'adaptation. Pourtant, le fils de Mme Jones recevait déjà l'aide d'un psychologue avant d'arriver à l'école Roslyn. De plus, la preuve révèle que le programme scolaire de la 4e année au primaire est une année charnière beaucoup plus exigeante que les années précédentes; on peut donc en déduire qu'elle apporte son lot de stress additionnel et la nécessité d'adaptation est certainement plus grande pour un enfant souffrant d'un déficit de l'attention et d'un « borderline asperger syndrome » que pour les autres enfants.

[146]      Enfin, Mme Jones insiste beaucoup sur le fait que Mme Kanavaros a fait écrire à son fils deux pages disant « I will not be disgusting in class » et, à la fin de son témoignage, elle corrige pour « I will not have disgusting behaviors ». La nuance a ici son importance, d'autant plus que Mary Kanavaros avait expliqué pourquoi elle a tenté, de diverses façons, de faire comprendre à l'enfant en question pourquoi il était mis à l'écart par ses camarades. Bien qu'il ne s'agisse de rien de grave en soi, des enfants de neuf ans sont souvent sans merci entre eux, lorsqu'ils sont incommodés. Le Tribunal est d'avis que le témoignage de Mme Jones est teinté de subjectivité et aveuglé par la non-acceptation de la réalité de son enfant.

[147]     Mme Jones affirme également qu'elle n'a jamais eu de problèmes avec les autres professeurs de l'école Roslyn, mais elle s'oppose à ce que le dossier scolaire de son fils soit produit en preuve au présent dossier, et ce, malgré l'explication fournie par le Tribunal que ce dernier serait conservé sous enveloppe scellée dans le dossier de Cour et ne pourrait être consulté sans l'autorisation expresse d'un juge de la Cour supérieure. Ne s'agissant pas de l'enfant directement en cause dans le présent procès, le Tribunal n'a pas ordonné la production du dossier scolaire pourtant transmis sous scellé par la Commission scolaire, sous réserve de l'autorisation de la mère. Vu ses réticences évidentes, sa difficulté à admettre l'état de santé et le diagnostic de son fils et vu son refus de dévoiler toute l'information susceptible de la contre-interroger avec plus d'acuité, le Tribunal est d'avis que le témoignage de Mme Jones demeure très peu fiable.

[148]     Enfin, le témoignage de Mme Jones a été contredit clairement par celui du principal McMorran; en effet, ce dernier se souvient des nombreuses plaintes de Mme Jones dirigées contre le professeur anglophone de son fils, lorsqu'il était en 5e année; il précise qu'il possédait un plein dossier de correspondances à ce sujet.

[149]     Le Tribunal conclut que le témoignage de Mme Jones n'est pas fiable et n'affecte aucunement le professionnalisme de la demanderesse.

[150]     Il nous apparaît important de nous prononcer sur la crédibilité du principal McMorran qui a longuement témoigné dans ce dossier et qui était lui-même poursuivi par les parents Artinian et Rosenstein dans la poursuite intentée par ces derniers en 2005.

[151]     L'ensemble de son témoignage nous est apparu très crédible. Il s'est abstenu de communiquer avec les procureurs des deux parties en la présente instance. L'ensemble de son témoignage a été posé, rationnel et sans contradiction. Il manifeste clairement un intérêt à éclairer le Tribunal plutôt qu'à défendre une thèse ou une autre. Il n'a parlé que de ce qu'il connaissait, et ce, avec le souci de la précision, sans faire d'interprétation ou de supposition. Il n'a pas hésité à revoir les dossiers disponibles à l'école pour apporter plus de précisions, lorsque possible. Il s'est appliqué à donner des exemples concrets; par exemple, lorsque Me Grey a suggéré que des élèves avaient peur de la professeure Kanavaros, il décrit le comportement de Mary Kanavaros auprès d'un jeune élève très perturbé par le fait que sa mère n'était pas revenue de vacances avec lui après les vacances des Fêtes; l'enfant refusait de retourner en classe. Tant le grand-père de l'enfant que le principal étaient incapables de l'en persuader. Seule Mary Kanavaros, invitée par le principal, a su, avec gentillesse, approcher l'enfant en douceur, s'enquérir de ses inquiétudes, le rassurer et le ramener en classe avec elle.

[152]     Le principal a expliqué les moyens qu'il a utilisés pour apprécier par lui-même si l'approche que la professeure Kanavaros utilisait avec ses élèves était la bonne : à compter du 28 septembre 2004, il se rendait plus fréquemment observer dans sa classe. Il a constaté qu'elle rencontrait les élèves individuellement à son bureau, elle était bien organisée et que ce n'était pas une situation menaçante. Il a cité un exemple où il l'a vu dédramatiser habilement une situation où les enfants se plaignaient du comportement du fils de Mme Jones.

[153]     Après avoir reçu la mise en demeure du 5 octobre 2004 des parents Artinian et Rosenstein, le principal McMorran, qui avait entrepris en septembre 2004 ses nouvelles fonctions en tant que principal de l'école Roslyn, s'est senti obligé de pousser plus à fond la vérification des méthodes d'enseignement de Mme Kanavaros, car c'était la première année qu'il travaillait avec elle et la direction précédente n'avait constitué aucun dossier concernant les professeurs de l'école.

[154]     Par leur lettre du 14 octobre 2004, les parents avaient invoqué leurs droits parentaux de s'opposer à ce qu'aucune mesure de punition (« punitive action ») ne soit utilisée contre leur fils, sans avoir été préalablement consultés et sans qu'ils n'y aient acquiescé. Le principal s'est donc senti obligé de vérifier plus à fond les méthodes d'enseignement de la professeure Kanavaros, et ce, à l'insu de cette dernière. La présence d'une petite pièce (vestiaire), attenante à la classe d'enseignement de Mary Kanavaros, et peu insonorisée, lui a permis d'effectuer une vérification du style d'enseignement de cette dernière, à plusieurs reprises. Il nous rapporte qu'il n'a rien entendu de particulier ou de différent de ce qu'il entendait dans les autres classes de son école.

[155]     Le Tribunal est d'avis que le principal McMorran est non seulement crédible par l'objectivité et la circonspection de ses explications mais également par le sérieux et le professionnalisme de son action dans cette affaire. Il n'a rien à gagner ou à perdre puisque la seule procédure judiciaire qui le concernait personnellement a fait l'objet d'un désistement depuis 2008. Il préconise la réconciliation des tenants d'une position ou de l'autre pour amener tout le personnel et les professionnels de l'école à travailler ensemble et à tourner la page.

[156]     Le Tribunal croit essentiel de préciser que les noms de famille des enfants dont il est question dans le présent jugement ne correspondent pas à ceux des mères qui ont témoigné, et ce, par souci de confidentialité, à l'exception naturellement du fils des défendeurs dont le prénom ne sera pas révélé pour les mêmes motifs.

[157]     La professeure Charlotte Midgikoski a témoigné de la difficulté de son partenariat avec Mary Kanavaros en 2004-2005. Elle dénonce notamment le fait que Mme Kanavaros arrivait parfois en retard et qu'elle parlait fort dans sa classe, sans toutefois entendre ce qu'elle disait. Elle reconnaît cependant qu'elle ne l'a jamais observé pendant une période d'enseignement et qu'elle ne peut se prononcer sur sa façon de procéder en classe. Le témoignage de Mme Midgikoski nous révèle qu'elle et Mme Kanavaros ne s'entendaient pas bien et que la collaboration entre les deux professeures aurait pu être meilleure.

[158]     Le témoignage du principal M. McMorran nous apprend que la collaboration entre deux professeurs, partenaires d'un même groupe d'élèves qui doit être échangé vers le milieu de la journée, est quelque chose de difficile en soi. Dans le cas des professeures Midgikoski et Kanavaros, la preuve révèle que leur conflit de personnalités n'arrangeait pas les choses. À défaut d'être en mesure de changer leurs assignations, il a maintes fois servi de médiateur entre elles. Il précise qu'elles avaient toutes deux des méthodes d'enseignement fort différentes.

[159]     Le Tribunal est d'avis que ces difficultés interpersonnelles entre ces professeures, telles que décrites, n'entachent pas leur professionnalisme ni leur réputation de professeure auprès des élèves.

[160]     Par ailleurs, la preuve révèle qu'au cours de l'année scolaire 2001-2002, la demanderesse a enseigné aux élèves de la 4e année immersion française, avec une autre partenaire dans le parcours anglophone, soit la professeure Shelagh Glover. Le témoignage de cette dernière nous apprend que son partenariat avec Mary Kanavaros s'est bien déroulé et qu'elles ont bien travaillé ensemble. Elle nous livre les constatations suivantes sur la professeure Kanavaros : elle déployait beaucoup d'énergie, elle travaillait constamment avec ses étudiants afin de rendre l'enseignement plus invitant pour ses élèves et ces derniers l'aimaient. Au moment de son témoignage, Mme Glover était retraitée. Elle a enseigné pendant vingt-cinq ans, dont vingt ans à l'école Roslyn. Elle explique s'être jointe à cette école en tant que professeure suppléante et elle avoue avoir hésité à accepter un poste permanent à l'école Roslyn, parce que cette école était connue comme étant très difficile en raison des parents qui y étaient très exigeants. Elle précise que, dans ses rapports avec les parents, certains se montraient reconnaissants alors que d'autres se montraient agressifs, déplaisants et exigeants. Elle a donné comme exemple l'occasion où, n'ayant pas accepté qu'elle utilise l'expression « disgraceful behavior » à l'endroit de leur enfant, des parents lui ont adressé des commentaires déplaisants de même qu'à la Commission scolaire; les parents sont allés jusqu'à demander qu'elle soit mise sous écoute pendant son enseignement. Elle rapporte également qu'un autre parent lui avait envoyé un mot déplaisant parce qu'elle avait décoré sa classe.

[161]     Certains parents ont tellement manifesté leur désaccord avec le changement de professeure qu'ils l'ont rendu malade au point de devoir prendre un congé de maladie. Elle décrit l'atmosphère difficile qui régnait à Roslyn en raison de l'attitude des parents, ce qui a provoqué sa retraite prématurée.

[162]     Le témoignage de Deborah Colleen Hanley, la secrétaire de l'école Roslyn à l'époque où Mary Kanavaros y était professeure, se résume comme suit : elle se plaint de la façon dont Mary Kanavaros s'est adressée à elle lors d'un événement particulier. Mary Kanavaros a crié en s'adressant à elle parce qu'elle avait omis de l'aviser qu'un parent viendrait chercher un de ses élèves plus tôt au cours de la journée. À une autre occasion, la demanderesse lui aurait dit que certains dossiers manquaient parce qu'ils étaient mal classés. La secrétaire se plaint de ce que Mary Kanavaros parlait fort dans le corridor et dans sa classe et de ce qu'elle arrivait fréquemment en retard à l'école, mais elle reconnaît cependant qu'elle ne l'a jamais observé pendant ses périodes d'enseignement. Le Tribunal constate qu'à certains moments, elles souhaitent toutes les deux voir modifier la façon de faire de l'autre. Le Tribunal est d'avis que la preuve démontre deux fortes personnalités qui ont connu des frictions au cours de leurs fonctions respectives. Encore une fois, le Tribunal constate un conflit de personnalités entre deux personnes ayant des rôles fort différents dans l'école, mais cela n'a pas d'effet sur la réputation de Mary Kanavaros en tant que professeure.

[163]     Un autre témoignage, soit celui de Mme Nancy Nelson, nous fait part de ses observations quant à Mary Kanavaros au cours de l'année 2002-2003, alors qu'elle était surveillante de l'heure de lunch à l'école Roslyn et qu'elle aidait aux activités parascolaires des enfants. Elle rapporte que, lorsqu'elle se trouvait dans la classe de la demanderesse, elle a parfois remarqué qu'elle arrivait en retard. Elle indique également qu'elle a entendu la demanderesse élever la voix « quite a bit » dans sa classe et elle reconnaît avoir entendu d'autres professeurs faire de même. Alors qu'elle aidait des enfants dans la salle de classe, il lui est arrivé d'entendre la demanderesse parler de manière brusque ou d'un ton fâché aux élèves qui n'avaient pas fait leurs devoirs.

[164]     On apprend également qu'un petit conflit est survenu entre ces deux personnes (Nelson et Kanavaros) parce que Mme Nelson, ayant interprété le protocole de l'école de façon stricte, a refusé de laisser entrer l'ami de Mme Kanavaros par une porte de l'école autre que la porte principale. Le principal de l'école, M. McMorran, nous explique que Mme Nelson venait souvent le voir pour rapporter et se plaindre de différentes personnes dans l'école; il constatait que cette dernière prenait son rôle très au sérieux.

[165]     Lors du contre-interrogatoire, on apprend que Mme Nelson n'a aucune formation en enseignement et qu'elle est une proche amie de la défenderesse Mme Rosenstein depuis treize ans; elle a d'ailleurs remis à cette dernière une décoration pour son travail de bénévole à l'école Roslyn. Le Tribunal n'est aucunement choqué d'entendre que Mme Kanavaros hausse le ton et démontre clairement et fermement son insatisfaction face à un élève qui n'a pas fait son devoir.

[166]     Mary Kanavaros a enseigné au fils de Mme Nelson pendant deux ou trois mois au cours de l'année 2002-2003 et cette dernière ne se plaint pas d'un manque de professionnalisme, ni de l'attitude en général de la demanderesse à l'égard de son fils.

[167]     Le Tribunal est d'avis que ce témoignage est teinté de subjectivité (grande amitié avouée avec la défenderesse Rosenstein et dispute avec la professeure Kanavaros) en plus de provenir d'une personne n'ayant aucune formation en enseignement et, qu'en conséquence, ce témoignage n'établit rien de négatif relativement à la réputation d'enseignante de Mary Kanavaros.

[168]     Par ailleurs, plusieurs témoins de l'école Roslyn, détenant des diplômes en éducation et ayant eu l'occasion de travailler en collaboration avec Mary Kanavaros, ont témoigné positivement de la réputation et de la façon d'enseigner de la demanderesse, alors qu'elle enseignait à l'école Roslyn.

[169]     Katerina Arvanitis travaillait à Roslyn en septembre 2003-2004, alors que Mary Kanavaros y enseignait en immersion française; on a fait appel à Mme Arvanitis en tant qu'aide pédagogique pour les élèves en difficulté. Cette dernière explique que le nombre d'étudiants en difficulté d'apprentissage était réparti le plus également possible entre les divers professeurs titulaires et elle envoyait généralement les cas les plus difficiles à la professeure Kanavaros. Elle affirme que cette dernière avait la personnalité et la capacité de gérer ces cas plus difficiles.

[170]     Elle considérait la professeure Kanavaros comme une partenaire de travail. Elle affirme qu'elle la considérait comme étant très bonne, très juste, très engagée et très minutieuse; elle se souciait et s'intéressait beaucoup à ses élèves et elle leur consacrait beaucoup de temps pour les aider à résoudre leurs difficultés.

[171]     Bien qu'elle soit devenue amie de Mary Kanavaros depuis que cette dernière a suspendu ses activités d'enseignante à l'école Roslyn, son témoignage s'est limité à rapporter au Tribunal ses constatations professionnelles provenant de l'époque où elle travaillait avec la demanderesse. Elle nous est apparue très objective et digne de foi.

[172]     Le professeur de sciences de la nature, M. Roger Pelland, a également livré un témoignage positif quant au professionnalisme de la professeure Kanavaros. Il a été le premier professeur de sciences de la nature à plein temps à l'école Roslyn. Il y enseigne depuis 1979 et il y a connu la professeure Kanavaros dès son arrivée en 2001.

[173]     Il nous décrit ses constatations comme suit : elle s'occupait des élèves, elle allait vers eux. Il la trouvait dans sa classe en train d'aider un élève en difficultés. Elle restait peu de temps avec les autres professeurs et retournait rapidement aider ses élèves. Elle réussissait à garder ses élèves assez calmes. Elle était professionnelle.

[174]     Il a enseigné au fils des défendeurs dans le présent dossier; il le décrit comme un étudiant moyen qui avait parfois de la difficulté à remettre ses travaux à temps. Il a également observé le fils du témoin Mme Jones. Il a constaté que cet enfant avait de la difficulté en classe. Il faisait des crises dans la classe, il n'acceptait pas que les autres élèves ne soient pas d'accord avec lui. Il se souvient de plusieurs incidents où l'enfant criait et perdait le contrôle.

[175]     Il travaillait et collaborait sans difficulté avec la professeure Kanavaros jusqu'en 2008; en effet, en tant que spécialiste, il est appelé à discuter des élèves avec les professeurs des « home class ».

[176]     Après le 25 mars 2008, deux professeurs de l'école Roslyn lui ont affirmé ne plus vouloir travailler en partenariat avec Mary Kanavaros. Bien qu'il ait divulgué les noms des professeurs en question, il ne nous apparaît pas utile de les nommer.

[177]     Le professeur Pelland est représentant syndical et il prend des nouvelles de la demanderesse par téléphone ou par courriel. Il la décrit comme étant très frustrée et très fâchée de ce qui s'est produit le 25 mars 2008. Elle a beaucoup de problèmes de santé qu'elle n'avait pas auparavant. Lors de leurs conversations téléphoniques, parfois elle doit s'arrêter de lui parler parce qu'elle est étourdie et que son cœur bat trop vite. Il a constaté que depuis 2008, elle est devenue frêle. Son compte-rendu et ses observations sur Mary Kanavaros nous sont apparus tout à fait crédibles et objectifs.

[178]     Patricia Payette a également livré ses observations à l'égard de la demanderesse. Au fil des ans, elle a enseigné aux élèves de la maternelle et aux différentes autres classes de l'école Roslyn alors que la demanderesse y enseignait; elle y a également travaillé en tant que professeure-ressource. Jusqu'en 2007, ses relations avec la demanderesse étaient purement professionnelles. Elle précise que la demanderesse était toujours occupée à travailler dans sa classe, notamment pendant ses heures de lunch et après les heures de classe. Elles ne sont devenues amies qu'à compter de 2007.

[179]     En 2005 et 2007, à l'époque des deux poursuites intentées (Artinian-Rosenstein et Jones) contre elle, la demanderesse était fâchée et peinée, mais elle ne discutait pas du dossier ouvertement. Mme Payette a collaboré avec la demanderesse notamment parce qu'elle a été professeure-ressource à l'école Roslyn pendant que Mary Kanavaros y enseignait. Elle la décrit comme étant un des meilleurs professeurs qu'elle connaisse. À l'heure du lunch de même qu'après les heures de classe, elle la trouvait toujours dans sa classe, occupée à y travailler.

[180]     Après mars 2008, trois parents d'enfants de familles différentes ont indiqué à la professeure Payette leurs préoccupations et leurs inquiétudes à l'idée que Mary Kanavaros puisse devenir la professeure de leur enfant en septembre; on parlait de « bully teacher ». Elle a constaté que les parents ne connaissaient pas la vérité.

[181]     On apprend également que, même si la demanderesse était fâchée et inquiétée par la deuxième poursuite intentée contre elle, elle continuait d'enseigner et de s'impliquer dans son travail comme auparavant, sans discuter du dossier judiciaire. Jusqu'au 25 mars 2008, la professeure Kanavaros était la même personne, nous dit Mme Payette.

[182]     Enfin, elle décrit le milieu professoral comme très tendu après l'introduction de la première poursuite judiciaire contre la demanderesse. Tous les professeurs craignaient que la même chose leur arrive; ils étaient préoccupés, inquiets, considéraient qu'ils étaient sans protection et pouvaient être détruits par des mensonges. Avant 2008, les professeurs étaient anxieux, mais espéraient voir les accusations se résoudre par le procès. Mme Payette explique que seule la première poursuite judiciaire a eu un retentissement; la deuxième poursuite n'était pas vraiment connue des autres professeurs et n'affectait pas le climat de travail.

[183]     Au cours des deux dernières années, elle a rendu visite à la demanderesse à quelques occasions et elle a constaté qu'elle était isolée, anxieuse, nerveuse, fâchée, désillusionnée, en détresse et obsédée par l'injustice qu'elle a subie. Avant mars 2008, la demanderesse ne se montrait pas tellement préoccupée par la poursuite judiciaire des défendeurs, elle attendait que la vérité se fasse au cours du procès.

[184]     Le témoignage de Mme Payette nous est apparu pondéré, appuyé sur les faits et fiable.

[185]     Le témoignage de Mme Evangelia Constantinidou di Caprio a été très éclairant sur la réputation et l'attitude professionnelle de la professeure Kanavaros. Cette dernière est déménagée à Toronto depuis 2006 et n'est pas restée en contact avec la demanderesse. Elle s'est déplacée de Toronto pour venir témoigner de ce qu'elle savait de la professeure Kanavaros.

[186]     Elle est la mère de deux élèves à qui la demanderesse a enseigné à l'école Roslyn, en 2002 et en 2004. Sa fille aînée était une excellente étudiante alors que sa plus jeune éprouvait des difficultés scolaires. Elle a fait part de sa grande satisfaction envers Mary Kanavaros; elle a poussé l'aînée au maximum de son potentiel et elle a aidé la plus jeune à prendre confiance en elle-même et elle lui a fait prendre conscience qu'il lui était possible de s'améliorer. Elle a observé que la professeure Kanavaros était bien organisée et qu'elle montrait de la compassion à ses élèves, tout en étant une bonne guide. Ses enfants appréciaient Mary Kanavaros.

[187]     Les contacts de ce témoin avec Mme Kanavaros se sont toujours limités à des contacts parents-professeurs; elle n'a jamais socialisé avec cette dernière.

CONSÉQUENCES DE LA DIFFAMATION SUR LA DEMANDERESSE

[188]     Le témoignage de Mme Ruth Rosenfield, présidente du Montreal Teacher's Association (ci-après MTA), nous apprend que dès le 26 mars 2008, elle a lu les commentaires des parents rapportés par « The Gazette ». Une conférence téléphonique a été organisée entre elle, Mary Kanavaros et le vice-président de leur association de professeurs, M. Munrow, dès le 26 mars; cette conférence a duré environ deux heures. Mary Kanavaros avait déjà vu la couverture médiatique négative sur l'Internet. Elle connaissait Mary Kanavaros, depuis 2005, comme étant une personne forte, concentrée et en contrôle d'elle-même en dépit de tout. Cette conférence téléphonique s'est avérée être une expérience pénible; la demanderesse pleurait, disputait, n'était pas concentrée et était très dérangée. Ce n'était plus la même personne.

[189]     En avril 2008, la présidente du MTA a fait circuler une lettre d'information à tous les professeurs de l'EMSB en vue de redresser la situation, car plusieurs professeurs n'étaient pas au courant des faits. Elle n'a pas consulté Mary Kanavaros avant d'envoyer cette lettre.

[190]     Mélissa Papanayotou, fille de la demanderesse, âgée de 25 ans le 25 mars 2008, était étudiante à plein temps à Concordia et vivait chez sa mère. Elle et sa sœur ont accompagné leur mère à la Cour le jour du procès.

[191]     Les commentaires des parents qui ont tant affecté le comportement de sa mère sont les suivants : le fait qu'ils aient violé l'accord de confidentialité et qu'ils aient soutenu que les enfants de sa classe devaient être protégés d'elle. Ils ont affirmé avoir prouvé leurs accusations (« they made their point ») et ils ont affirmé qu'elle s'était comportée de façon non professionnelle, donc qu'elle avait commis une faute (« had done something wrong »). Les médias ont rapporté que leur mère souhaitait un désistement, alors que ce sont les défendeurs qui l'ont suggéré et l'ont négocié. Les médias ont également mentionné le faible montant d'argent que les défendeurs ont reçu. Sa dépression a pris de l'ampleur avec le temps. Les commentaires des défendeurs se retrouvent encore sur l'Internet. Sa mère est convaincue que les agissements des défendeurs étaient malicieux et que ce n'est pas le résultat du hasard, si une autre poursuite judiciaire a été intentée contre elle en novembre 2007. Cette deuxième poursuite s'est réglée hors cour sans que sa mère ne soit consultée.

[192]     Elle décrit comme suit la réaction de sa mère aux déclarations des défendeurs rapportées par les médias :

192.1.   Sa mère était dévastée par les propos des défendeurs parce qu'elle n'a jamais eu la chance de se défendre des accusations et de dire ce qui s'est vraiment passé. Les défendeurs prétendaient être victorieux et ce n'était que mensonges;

192.2.   Elle avait le sentiment que le monde entier la voyait comme étant une mauvaise professeure;

192.3.  Sa réaction s'est empirée par la suite; elle était consumée de chagrin. Elle avait le sentiment que sa vie était finie. Il n'y avait rien qu'elle pouvait faire pour aider ou soulager sa mère. Cette dernière avait l'habitude d'être fière de sa personne et elle a cessé de s'occuper d'elle-même. Elle a cessé de répondre au téléphone, de prendre son courrier et de retourner les courriels qu'elle recevait. Elle avait perdu tout espoir;

192.4.  Elle a cessé de soutenir et d'encourager ses enfants. Elle a cessé d'être cette mère qui a fait d'elle ce qu'elle est devenue et qui lui a donné confiance en elle-même. Elle avait l'impression d'avoir perdu sa mère, un peu comme si son âme était morte;

192.5.  Sa mère a perdu toute joie, ne sortait plus; elle était incapable de prendre soin d'elle-même, au point où il fallait lui rappeler qu'elle devait manger. Elle a également perdu le sommeil. Elle ne pouvait plus fonctionner correctement. Alors qu'elle était habituellement une personne sociable, elle a cessé de sortir et demeurait constamment à la maison. Elle ne pouvait penser à autre chose qu'à la diffamation dont elle avait été victime; 

192.6.  Après mars 2008, elle a commencé à avoir des attaques de panique qu'elle ne pouvait contrôler. Elle est devenue incapable de s'occuper de l'administration de ses affaires financières et de l'entretien de la maison; elle et sa sœur devaient faire l'épicerie pour elle.

[193]     Mélissa a dû se rendre à New-York pour effectuer son stage et ensuite à Toronto pour y occuper son premier emploi à titre de jeune professionnelle. L'état de sa mère l'inquiétait tellement qu'elle revenait chez-elle toutes les deux fins de semaine.

[194]     Christina Papanayotou, fille aînée de la demanderesse, a également témoigné. Elle est maintenant âgée de 29 ans; elle est devenue psychologue et habite avec sa mère. Pendant ses études, elle a travaillé à titre de tuteur auprès d'élèves en difficultés au cours primaire, notamment auprès de l'enfant de Mme Moore, en 2002-2003 et en début d'année scolaire 2004-2005. Tel que l'ensemble de la preuve l'a révélé, l'enfant de cette dernière était inscrit en immersion française et éprouvait de sérieux retards et difficultés dans l'apprentissage de la langue française. En vue de venir en aide à cet enfant en grande difficulté, la demanderesse avait convenu, en début d'année 2004-2005, moyennant l'engagement de confidentialité de Mme Moore, de remettre à l'avance les mots de dictée à la tutrice de l'enfant pour que ce dernier ait la chance de les maîtriser mieux. Les parents Artinian-Rosenstein se sont plaint de favoritisme en ce que leur fils ne bénéficiait pas de ce privilège. Informée de cette plainte et du conflit d'intérêt en vue, Christina s'est retrouvée mal à l'aise et a pris la décision de ne plus agir à titre de tutrice pour l'enfant de Mme Moore.

[195]     Le 25 mars 2008, Christina était présente au palais de justice de Montréal avec sa mère et sa sœur. Elle a eu connaissance elle aussi du fait que sa mère a accepté le désistement à cause de l'engagement de confidentialité des Artinian-Rosenstein et à cause de la déclaration d'absence de faute de la part de sa mère.

[196]     Le 26 mars 2008, sa mère a connu une attaque de panique. Personne n'avait d'explication face à ce qui s'était produit la veille auprès des médias. Elle se sentait trahie et s'est mise à rechercher quels étaient ses droits. Elle était complètement détruite. Jusque là, elle était une personne extraordinaire qui menait une vie très normale. Elle avait l'habitude de bien se vêtir et d'être fière d'elle. Elles ont reçu des appels téléphoniques à la maison leur demandant ce que leur mère avait fait; ces personnes croyaient ce qu'elles lisaient dans les journaux. Elle et sa soeur ont dû défendre leur mère à plusieurs occasions; cette dernière a cessé de répondre au téléphone. Elle a cessé de manger, de s'habiller et de sortir de la maison; elle recherchait son nom sur Google sans cesse; elle ressentait un sentiment d'injustice et d'absence de protection. Elle avait peur de ce que les gens pensaient d'elle.

[197]     Sa mère, qui était habituellement au-dessus de tout, nécessitait dorénavant un suivi médical. Elle s'assoyait dans le noir et pleurait; elle démontrait les symptômes d'une dépression, tels de ne pas manger, ne pas s'habiller et n'avoir aucun intérêt social.  Sa mère refusait de quitter la maison pour obtenir une assistance médicale. Sa fille ne lui a pas laissé le choix; elle lui a obtenu un rendez-vous d'urgence avec un psychiatre. Elle a dû l'aider à s'habiller, sa mère ne voulait pas quitter la maison pour aller à son premier rendez-vous chez le médecin et elle a dû l'y amener de force pour qu'elle se fasse soigner. Elle a également dû l'amener à ses prochains rendez-vous puisqu'elle refusait de quitter la maison. Elle ne pouvait la laisser seule, elle avait peur de ce qui pouvait arriver.

[198]     Sa mère n'a plus jamais été la même personne depuis la télédiffusion des déclarations des défendeurs sur « CBC », le 25 mars 2008.

[199]     La demanderesse nous décrit sa réaction comme suit après avoir visionné l'entrevue des défendeurs aux nouvelles de « CBC » à 18 h00 : « it was like a nightmare, I was schoked », « it was the worst day of my life ».

[200]     Elle a mis plusieurs mois pour être capable de recommencer à fonctionner. « The first month was absolute hell » nous dit-elle. Elle était enragée à l'idée que des personnes puissent se jouer du système judiciaire aussi facilement. Elle avait peur, elle était traumatisée. Jusque là, elle avait confiance dans le système judiciaire; elle avait le droit d"être entendue en Cour et les défendeurs l'en ont privé malicieusement. Elle a été dévastée par les propos des défendeurs auprès des médias. Elle était embarrassée par cette humiliation publique. Elle a développé des symptômes négatifs en revoyant le reportage des défendeurs. Ses problèmes ont progressé, le médecin lui a prescrit des médicaments. Récemment, on lui a prescrit des médicaments pour son cœur. Elle doit passer un cardiogramme prochainement. On lui a prescrit des médicaments pour combattre son anxiété et sa perte de sommeil et, malgré cela, elle ne dort toujours pas. L'insulte reste dans son cerveau. Elle se demande comment se fait-il que les défendeurs s'en soient tirés ainsi. On lui a enlevé sa carrière et sa réputation. Elle rage lorsqu'elle entend les défendeurs proclamer, dans le reportage télévisé, qu'ils devaient protéger les enfants de la classe contre elle et elle trouve tout à fait inacceptable que les défendeurs aient proclamé victoire devant la télévision. Ses droits ont été bafoués. Ce débat a débuté en 2004, nous sommes maintenant en 2010 et elle est âgée de 51 ans. Elle se dit fâchée et dérangée par « the garbage that was put on paper without proof ». Elle ajoute que le défendeur continue de rire d'elle dans le corridor du palais, sans aucun remords, ce qui n'a pas été contredit.

[201]     La demanderesse n'est pas retournée enseigner; au cours de la dernière année, elle a recommencé à aider un enfant immigrant à lire. Elle ne se sent pas menacée par ce travail bénévole à son domicile, elle ne craint pas d'être poursuivie par les parents. Au cours des dernières années, elle est demeurée étendue sur un divan. Le résultat de son comportement est que les portes de sa maison demeurent fermées. Auparavant, elle était sociable et ses enfants pouvaient inviter des amies à la maison.

[202]     Sa salle à manger est remplie de dossiers et de documents légaux au point où c'est devenu un fouillis. Sa poursuite judiciaire l'envahit totalement, c'est tout ce à quoi elle pense. C'est devenu une obsession. Outre ses filles, seules Patricia Payette, sa sœur et sa mère viennent à la maison.

[203]     Elle affirme que pour un professeur, rien n'est plus important que sa réputation. Elle jouissait d'une bonne réputation auprès des parents et de ses collègues enseignants jusqu'en mars 2008. Elle estime que sa carrière est très affectée par les déclarations des défendeurs. À partir de ses travaux de préparation de classe, elle a préparé un livre sur les verbes pour les étudiants non-francophones et elle ne voit pas comment elle pourrait y mettre son nom et aller le présenter à un éditeur, tant que son nom et sa réputation ne seront pas restaurés. À la fin mars 2008, elle était malade, elle avait été victime de diffamation à l'échelle nationale et elle ne pouvait pas fonctionner; elle a exposé son problème à son syndicat et elle attendait leur suggestion.

[204]     En l'espèce, le Tribunal est d'avis que les défendeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de démontrer, par une preuve prépondérante, que la demanderesse ne jouissait pas d'une bonne réputation en tant qu'enseignante et, de plus, cette dernière a démontré de façon nettement prépondérante qu'elle possédait une bonne réputation à l'école primaire Roslyn.

LES DOMMAGES

[205]     Le Tribunal est d'avis que la demanderesse a abondamment démontré le lien de causalité direct entre la faute et sa perte de revenus, soit son incapacité de retourner enseigner. Cet état de fait est constaté par plusieurs témoins et par une preuve médicale amplement suffisante, soit le dossier médical de son psychiatre traitant, Dr Kolivakis, depuis avril 2008, les notes d'évolution et le témoignage de la psychologue de la demanderesse, Sally Butterworth, de la fin octobre 2008 à la fin mars 2009, ainsi que l'expertise du Dr Lionel Béliveau du 30 octobre 2009.

[206]     L'expertise du Dr Béliveau n'a pas été contredite par une expertise de la partie adverse. Le Dr Béliveau a pris connaissance du dossier médical et des notes d'évolution du Dr Kolivakis, dont il fait état dans son rapport. Le Dr Kolivakis l'a déclaré invalide depuis le début de son suivi médical. Le 23 avril 2008, il précise : «  Physically not strong, big dizziness, no energy, […] Appetite poor, […] Avoids exits "no energy", neglects her regular affairs, i.e. paying bills, car repairs. Feels traumatized even if yet the authorities (school board, administration) support her ». On y apprend que la demanderesse y est suivie aux semaines; dans sa note du 7 octobre 2008, le Dr Kolivakis rapporte ce qui suit: « Very inactive because unable to go to bank, grocery, etc. Does not meet friends. "My reputation and my name were destroyed and nobody does anything." She wants to go back to school to work and feels anxious, yet afraid of being suited (sic) for third time. Tries to drive Roslyn Avenue: very anxious, tachycardia and shortness of breath, etc. » Les autres notes du Dr Kolivakis indiquent ce qui suit, le 24 octobre 2008 : « […] Very angry because her reputation hurts her functionally (reduces income: no additional courses) »; le 4 février 2009 : « Tried to drive close to school and she had a panic attack. […] Had stomach trouble … Rivotril […] »; le 20 avril 2009 : « She feels depressed, anxious and afraid of going anywhere alone. I offered her an appointment on May 6 and she accepted with the provision her mother was available to drive her to my office »; le 10 juin 2009 : «Very mild improvement»; le 19 juin 2009, il voit maintenant la patiente à tous les mois, le diagnostic demeure le même selon le DSM-IV, il renouvelle ses médicaments. À la question « Could the employee return to work on a gradual basis », le Dr Kolivakis dit oui, après le 1er janvier 2010.

[207]     Quant au rapport de la psychologue, Mme Butterworth, il nous apprend qu'elle a vu la patiente à sept reprises sur une période de six mois. La demanderesse a cessé de la voir faute de ressources financières. Elle a constaté son extrême degré de stress et d'anxiété; notamment lorsqu'elle venait la consulter, la demanderesse empruntait un trajet plus long afin d'éviter de passer devant l'école Roslyn; la psychologue précise : « There was no mistaking the anger around the situation, but the anger was also masking feeling of vulnerability, […] her emotional resources vere very low. […] she had isolated herself and really only had dealings with her children ».

[208]     La demanderesse continue d'être suivie mensuellement par le Dr Kolivakis. Il a réduit le nombre de médicaments, elle se sent moins déprimée et a recommencé à faire certaines activités, telle le jardinage. Elle s'occupe mieux de son hygiène et de son habillement, mais elle ne retourne toujours pas les appels téléphoniques et n'accepte pas encore d'invitation à sortir avec des amies. Elle se plaint encore de difficultés de concentration et d'oublis.

[209]     Le diagnostic du Dr Béliveau est le suivant :

-           AXE I : Dépression majeure en rémission partielle s'accompagnant d'anxiété

-           AXE II  : Pas de trouble de la personnalité

-           pas de pathologie active actuellement sur le plan physique

-           Stress inhérent aux procédures en cours

-           EGF=60

[210]     Elle est suivie régulièrement depuis avril 2008 et son médecin lui a prescrit des médicaments pour sa dépression, soit Effexor, plus tard remplacé par Cipralex, Clonazépam et Trazodone. Dans ses notes du 11 juin 2008, le Dr Kolivakis précisait dépression majeure.

[211]     La question essentielle à laquelle répond le Dr Béliveau est la suivante : Quel a été l'élément déclencheur de la condition médicale actuelle de Mme Kanavaros? L'expert y répond comme suit :

« Il m'apparaît évident, sur la base des informations au dossier aussi bien que des informations transmises par Mme Kanavaros lors de mon examen, que l'élément déclencheur de la symptomatologie de dépression majeure s'accompagnant d'anxiété, que Mme Kanavaros a continué de présenter jusqu'à maintenant, fût d'être confrontée au fait que sa réputation d'enseignante, qu'elle valorisait beaucoup, avait été démolie dans les médias à compter du 25 mars 2008. »

[212]     L'expert est également d'avis, tout comme le médecin traitant de la demanderesse, que cette dernière a été tout à fait incapable d'occuper son emploi d'enseignante depuis le 25 mars 2008.

[213]     Quant à la guérison et au possible retour au travail de la demanderesse, le pronostic du Dr Béliveau est réservé en raison du litige judiciaire alors en cours (30 octobre 2009) et la cessation de son suivi psychologique. Il prévoit que son invalidité totale se poursuivra pour une période indéterminée et qu'elle aura besoin de traitements psychiatriques et de psychothérapie pour récupérer.

[214]     Le Tribunal est d'avis de retenir les conclusions de l'expert Dr Béliveau, puisqu'elles sont conformes à l'ensemble de la preuve présentée devant le Tribunal.

[215]     Un dernier élément soulevé par le procureur des défendeurs doit être discuté, soit l'état de santé préexistant de la demanderesse. En effet, Me Grey soutient que la demanderesse avait déjà une prédisposition à la dépression en raison de l'arrêt de travail qu'elle a subi en 2002, soit à la fin de son divorce dont les procédures ont duré cinq ans.

[216]     La preuve révèle qu'en 2002, la demanderesse a obtenu un congé de maladie de trois mois en raison du stress provoqué par son divorce. On lui a prescrit des antidépresseurs pendant trois mois et un retour au travail à raison de 50 % du temps. Ce type de retour au travail n'a pas été jugé comme étant favorable aux élèves de sa classe qui avaient déjà connu un changement de professeur trois mois plus tôt. La direction de l'école a donc jugé préférable qu'elle retourne au travail à plein temps en septembre, ce à quoi la demanderesse a acquiescé.

[217]     La demanderesse a repris le cours normal de ses activités professionnelles en septembre 2002 et elle n'était plus médicamentée. La demanderesse a démontré une force exceptionnelle malgré l'arrogance incroyable des défendeurs à son endroit, malgré leur lettre du 14 octobre 2004 où ils dictent leurs instructions au principal et à la demanderesse (D-15), malgré la mise en demeure des parents de payer 50 000 $ (P-27) pour les soi-disant mauvais traitements infligés à leur fils, malgré la poursuite judiciaire de 155 000 $ dirigée contre elle en mai 2004 avec retentissement dans les journaux, et malgré une autre poursuite judiciaire entreprise contre elle par un autre parent, sous la gouverne du même avocat, en novembre 2007. En effet, la demanderesse a continué de s'acquitter de toutes ses tâches professionnelles d'enseignante jusqu'au 25 mars 2008, et ce, sans prendre de congé de maladie. De plus, elle n'a pas hésité à voir le médecin en novembre 2007 et à prendre les médicaments prescrits pour l'aider à trouver le sommeil. Cela ne nous apparaît pas exceptionnel à l'approche du procès et avec la signification d'une nouvelle procédure en novembre 2007, laquelle vient ajouter une pression additionnelle importante en pleine préparation du procès dirigé contre les défendeurs; il est difficile de croire que la date de signification de cette deuxième procédure n'a pas été planifiée en fonction de l'audition qui devait débuter le 25 mars 2008 contre les défendeurs.

[218]     Le Tribunal est d'avis que la dépression de la demanderesse est une réaction directement reliée à l'attaque malicieuse à sa réputation, répandue sur les médias à la grandeur du pays et plus particulièrement dans la région montréalaise où la demanderesse exerce sa profession d'enseignante. Aucune preuve médicale ne démontre que le court épisode de congé de maladie de la demanderesse en 2002 la prédisposait à une dépression majeure; les faits et circonstances mis en preuve nous convainquent du contraire.

[219]     Le Tribunal est satisfait de la preuve démontrant que la demanderesse n'a rien négligé pour tenter de se rétablir; elle a reçu de l'aide médicale, tant de son omnipraticien que d'un psychiatre, dès le mois d'avril 2008, et elle est fidèle à son suivi médical ainsi qu'aux prescriptions pharmacologiques; de plus, elle a reçu l'aide additionnelle d'une psychothérapeute tant que ses moyens financiers le lui ont permis.

ATTRIBUTION DES DOMMAGES

[220]     La demanderesse est en droit d'obtenir la réparation intégrale du préjudice subi puisque la diffamation découle de la faute commune des défendeurs et que nous somme sous le régime de la responsabilité extra-contractuelle.

[221]     À titre de perte de revenus jusqu'au 31 décembre 2010, elle réclame 146 499,25 $ tel que bien détaillé par la preuve (P-28). Elle réclame également 4 480 $ représentant la valeur de la banque de congé de maladie que la demanderesse aurait conservée n'eût été de cette dépression majeure qui l'a entièrement consommée. Le Tribunal accepte cette inclusion de la perte de banque de congé de maladie dans le cadre d'une réclamation intégrale.

[222]     Le procureur des défendeurs soutient que seuls les revenus nets de la demanderesse devraient faire partie du calcul de l'indemnité et que la valeur des impôts payables par la demanderesse devrait être soustraite du calcul de ses revenus. Or, la jurisprudence, tant québécoise que canadienne, est à l'effet contraire. La Cour suprême du Canada a été formelle dans l'arrêt R. v. Jennings et al.[23] :

« To assess another uncertainty - the incidence of income tax over the balance of the working life of a plaintiff - and then deduct the figure reached from an award is, in my opinion, an undue preference for the case of the defendant or his insurance company. The plaintiff has been deprived of his capacity to earn income. It is the value of that capital asset which has to be assessed. In making that determination it is proper and necessary to estimate the future income earning capacity of the plaintiff, that is, his ability to produce dollar income, if he had not been injured. This estimate must be made in relation to his net income, account being taken of expenditures necessary to earn the income. But income tax is not an element of cost in earning income. It is a disposition of a portion of the earned income required by law. Consequently, the fact that the plaintiff would have been subject to tax on future income, had he been able to earn it, and that he is not required to pay tax upon the award of damages for his loss of capacity to earn income does not mean that he is over-compensated if the award is not reduced by an amount equivalent to the tax. It merely reflects the fact that the state has not elected to demand payment of tax upon that kind of a receipt of money. It is not open to the defendant to complain about this consequence of tax policy and the courts should not transfer this benefit to the defendant or his insurance company. »

(notre soulignement)

[223]     Au Québec, messieurs les juges Gendreau et Lebel ont également refusé de prendre en considération l'impact fiscal relié à l'établissement d'un montant capital destiné à remplacer une capacité de gain dans l'arrêt Québec-Téléphone c. Lebrun et al.[24] :

« Ce caractère d'imprévisibilité du fardeau fiscal du citoyen est l'un des facteurs important dont la Cour Suprême du Canada a tenu compte lorsqu'elle a clarifié les critères d'appréciation des indemnités à la suite de blessures corporelles. »

[224]     Sur ce point, M. le juge Gendrau cite M. le juge Spence dans l'affaire Arnold[25] :

« Vu cette incertitude et le fait que les taux futurs de l'impôt sur le revenu, et plus encore ceux qui s'appliquent à des circonstances particulières, sont hypothétiques, je suis d'avis qu'il serait injustifié d'allouer un montant pour couvrir cet impôt éventuel et je décide de ne rien accorder, en l'espèce, à ce titre. »

[225]     Il cite enfin le professeur W.H. R. Charles[26] :

«  As a result of the trilogy, and Keizer v. Hanna, (1978) 2 S.C.R. 342 , 3 C.C.L.T. 316 , 19 N.R. 209 , 82 D.L.R. (3d) 449 , Canadian Courts currently ignore the effects of taxation in non-fatal personal injury cases and take them into account in fatal injury situations.. »

[226]     Dans le même arrêt précité Québec-Téléphone, M. le juge Lebel décide lui aussi de ne pas tenir compte de l'impact fiscal dans l'attribution d'une indemnité destinée à tenir lieu de capacité de gain.

[227]     Cette jurisprudence étant toujours d'actualité, le Tribunal accordera à la demanderesse le remplacement de ses revenus bruts sans attribuer de réduction pour impact fiscal. Le Tribunal n'a pas à retenir pour le fisc lorsque la loi ne le prévoit pas. 

[228]     Du 25 mars 2008 au 31 décembre 2010, la demanderesse bénéficie de son plan d'assurance salaire. L'assurance ne constitue pas un revenu, mais un bénéfice pour lequel on paie des primes en cas de perte ou de sinistre. Par conséquent les défendeurs ne peuvent réclamer le bénéfice de cette assurance versée à la demanderesse, jusqu'à la fin décembre 2010.

[229]     Quant aux revenus futurs, le Tribunal est d'avis d'attribuer une indemnité de revenus prenant fin à la fin décembre 2010; à prime abord, cette période nous apparaît raisonnable et suffisante pour que la demanderesse tourne la page et débute son retour au travail. Cependant, compte tenu des réserves émises par l'expert Dr Béliveau ainsi que par le médecin traitant de la demanderesse, le Tribunal lui accordera le bénéfice de l'article 1615 C.c.Q.

[230]     En conséquence, le Tribunal fera droit à la demande de perte de revenus de 146 499,25  $ ainsi que la perte de la banque de maladie de 4 480 $.

[231]     La demanderesse réclame également la perte économique reliée à sa perte d'échelon salarial en raison de son absence de l'enseignement, depuis le 25 mars 2008, soit 32 496,05 $. En effet, chaque année d'enseignement apporte une augmentation dans l'échelon salarial, jusqu'à ce que le professeur ait atteint le maximum possible, soit 70 352 $ par année, suivant ses qualifications et son poste d'enseignement. Le Tribunal est d'avis de rejeter cette demande en vertu du caractère très aléatoire de la réclamation. En effet, rien ne permet de savoir si la demanderesse retournera ou non enseigner le français langue seconde au primaire et si elle atteindra un jour le maximum de l'échelon salarial. Il se peut qu'elle décide d'orienter sa carrière différemment ou qu'elle décide de ne plus travailler pour des raisons totalement étrangères au présent litige. De plus, si elle retourne enseigner, elle atteindra le plafond salarial mais deux ans plus tard que prévu initialement. Si perte il y a à ce niveau, il est impossible de le préciser présentement.

[232]     La demanderesse réclame le coût des médicaments jusqu'au 23 avril 2010, soit 1 232,86 $. Ceux-ci s'avèrent justifiés, ils seront donc accordés. Quant à la réclamation estimée des médicaments jusqu'au 31 décembre 2010, soit 1 079,76 $, ceux-ci sont également justifiés par la preuve médicale offerte et le montant réclamé est également justifié à la lumière de la preuve de leur coût jusqu'au 23 avril 2010; ils seront également accordés. 

[233]     La demanderesse réclame 5 720 $ pour poursuivre sa psychothérapie, à savoir deux fois par semaine pendant 26 semaines, à raison de 110 $ la session. Cette réclamation est abondamment justifiée par la preuve médicale offerte et elle sera accordée.

[234]     La demanderesse réclame le remboursement de ses dépenses judiciaires pour la préparation et la tenue du procès de neuf jours, soit 137 506,99 $. Le système de droit québécois n'autorise que la partie gagnante réclame de la partie perdante le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires. Pour obtenir gain de cause, la partie demanderesse doit démontrer qu'elle est en présence d'un abus procédural; le fait d'avoir raison sur le fond de la réclamation ne permet pas de réclamer le remboursement des honoraires de ses avocats. En l'espèce, même s'il s'avère que les défendeurs ont tort sur le fond, ils ont néanmoins le droit de se défendre. Le Tribunal est d'avis que la partie demanderesse ne rencontre pas les principes énoncés par la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt Viel[27] pour réclamer ses honoraires extrajudiciaires.

[235]     La demanderesse réclame 150 000 $ pour atteinte illégale à sa dignité, à son honneur et à sa réputation, peine et souffrance. À la lumière des indemnités généralement accordées pour ce type d'atteinte, et prenant en compte la gravité de l'atteinte et les circonstances particulièrement abusives et choquantes dans lesquelles elles se sont produites, l'importance de la diffusion publique de la diffamation, tant sur le plan géographique que dans leur durée, l'absence de contribution de la demanderesse dans cette atteinte et, enfin, le degré de déchéance qu'elle a subi, le Tribunal est d'avis de lui accorder 50 000 $ à ce titre.

[236]     Enfin, la demanderesse réclame 100 000 $ de dommages punitifs, pour atteinte volontaire et intentionnelle. En l'espèce, cette atteinte volontaire, intentionnelle et malicieuse a été abondamment prouvée. Le Tribunal est d'avis qu'il est important de dissuader les défendeurs de continuer à se faire justice eux-mêmes. Le Tribunal est également d'avis qu'il importe de dissuader d'autres parents de faire de même. Les professionnels, dont les enseignants, mettent des années à bâtir leur réputation et il suffit de quelques minutes sur les ondes de la télévision, sur Internet et dans les journaux pour détruire cette réputation. Le but de ce redressement est de punir les fautifs, afin de les dissuader de recommencer et non pas d'indemniser la demanderesse. Prenant en compte qu'il s'agit d'une responsabilité solidaire, que la défenderesse possède un immeuble situé au 8, Belvedere Road à Westmount, et que les codéfendeurs sont déjà appelés à payer à la demanderesse des indemnités totalisant 209 011,87 $, le Tribunal, usant de sa discrétion, est d'avis d'accorder 25 000 $ de dommages punitifs. N'eût été de l'indemnité générale de 209 011,87 $ déjà accordée à la demanderesse, le Tribunal aurait accordé des dommages punitifs plus élevés, soit 50 000 $, en raison des circonstances particulièrement malicieuses dans lesquelles l'atteinte s'est produite.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[237]     ACCUEILLE la présente requête comme suit :

[238]     CONDAMNE les défendeurs solidairement à payer à la demanderesse la somme de 234 011,87 $ ainsi que les intérêts et l'indemnité additionnelle en vertu de l'article 1619 C.c.Q. à compter de l'institution de l'action;

[239]     RÉSERVE les droits de la demanderesse à réclamer des dommages additionnels des défendeurs, selon les dispositions de l'article 1615 C.c.Q., et ce, pour une période de trois ans, à compter du présent jugement;

[240]     LE TOUT, avec dépens incluant la préparation de l'expertise du Dr Béliveau ainsi que les coûts reliés au témoignage de la psychologue Mme Sally Butterworth.

 

 

__________________________________

DANIELLE RICHER, J.S.C.

 

Me Martine L. Tremblay

Me Anastasia Flouris

KUGLER KANDESTIN

Pour la demanderesse

 

Me Julius Grey

Me Isabelle Turgeon

GREY CASGRAIN

Pour les défendeurs

 

Dates d'audience

17, 18, 19, 20, 21, 25, 26, 27 et 28 mai 2010.

 



[1]     Nicole VALLIÈRES, La presse et la diffamation, Montréal, Wilson & Lafleur, 1985, p. 6.

[2]     Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc., [1994] R.J.Q. 1811 (C.A.).

[3]     Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 R.C.S. 663 .

[4]     Piquemal c. Cassivi-Lefebvre, [1997] R.R.A. 300 (C.A.).

[5]     Gilles E. Néron Communication Marketing inc. c. Chambre des notaires du Québec, [2004] 3 R.C.S. 95 ; Prud'homme c. Prud'homme, précité, note 3.

[6]     Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7° éd., Cowansville, Yvon Blais, 2007, n° 1-295.

[7]     Gilles E. Néron Communication Marketing inc. c. Chambre des notaires du Québec, précité, note 5, par. 59-60.

[8]     Syndicat des travailleurs et travailleuses de la Ville de Gaspé c. Côté, J.E. 97-325 (C.A.).

[9]     Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130 .

[10]    Groupe Québecor inc. c. Cimon, [2002] R.R.A. 719 (C.A).

[11]    Blouin c. Larose, [2001] R.R.A. 835 (C.S.).

[12]    Taillefer c. Air Transat AT inc., [2005] R.J.Q. 788 (C.S.), conf. par J.E. 2006-249 (C.A.); Jouhannet c. Samuelli, [1996] R.R.A. 571 (C.A.); Guitouni c. Société Radio-Canada, [2000] R.J.Q. 2889 (C.S.) appel accueilli à la seule fin de diminuer les dommages-intérêts accordés, [2002] R.J.Q. 2691 (C.A.); Lacroix c. Gazette inc. (La), [2001] R.R.A. 499 (C.S.).

[13]    Hill c. Église de scientologie de Toronto, précité, note 9, par.168.

[14]    Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, précité note 6, n° 1-585.

[15]    Fabien c. Dimanche-Matin Ltée, [1979] 928 (C.S.).

[16]    Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211 .

[17]    Hill c. Église de scientologie de Toronto, précité, note 9.

[18]    Métromédia CMR Montréal inc. c. Johnson, [2006] R.J.Q. 395 , (C.A.), par. 111.

[19]    Graf c. Duhaime, [2003] R.R.A. 1004 (C.S.); Ouellet c. Matane (Ville de), [2003] R.R.A. 249 (C.S.).

[20]    Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, précité, note 6, n° 1-264 et 1-293.

[21]    Loi sur l'instruction publique, L.R.Q., chapitre I-13.3.

[22]    Beaudoin c. La Presse Ltée, [1998] R.J.Q. 204 (C.S.).

[23]    R. v. Jennings et al., [1966] S.C.R. 532 .

[24]    Québec-Téléphone c. Lebrun et al., AZ-86011271 .

[25]    Arnold, (1978) 2 R.C.S. 229 .

[26]    The Supreme Court of Canada Handbook on Assessments of Damages in Personal Injury Cases (The Carswell Company Limited, 1982), pp. 30-31.

[27]    Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, AZ-50124437 ; J.E. 2002-937 ; [2002] R.J.Q. 1262 ; [2002] R.D.I. 241 (rés.); [2002] R.R.A. 317 (rés.).

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