Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

23 juin 2004

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

193609-62-0211      218184-62-0310

 

Dossier CSST :

119661965

 

Commissaire :

Éric Ouellet

 

Membres :

Gaston Turner, associations d’employeurs

 

Steve Carter, associations syndicales

 

 

Assesseur :

André Gaudreau

______________________________________________________________________

 

 

 

Alain Tremblay

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Blanchard-Ness

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

Dossier 193609

 

[1]                Le 5 novembre 2002, monsieur Alain Tremblay (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 1er novembre 2002, à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 24 juillet 2002 et suspend l’indemnité réduite de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]                Par cette même décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 15 octobre 2002, donnant suite à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale du 12 septembre 2002.  Elle déclare que le diagnostic est celui d’épicondylite du coude droit et d’automutilation, consolidée le 2 mai 2002, sans nécessité de soins et traitements et qu’il n’y a aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.  Elle déclare également que l’indemnité de remplacement du revenu prend fin à compter du 2 mai 2002.

[4]                À l’audience, tenue à Longueuil le 18 novembre 2003, le travailleur est présent et représenté. L’employeur est absent bien que dûment convoqué. La CSST est représentée.

Dossier 218184

[5]                Le 20 octobre 2003, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre de la décision de la CSST rendue le 14 octobre 2003, à la suite d’une révision administrative.

[6]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 29 janvier 2003 et refuse la réclamation pour récidive, rechute ou aggravation survenue le 27 novembre 2002, au motif qu’il n’y a pas de lien entre le trouble d’adaptation avec humeur anxiodépressive et l’événement du 31 janvier 2001.

[7]                Un délai a été accordé jusqu’au 11 février 2004 afin de permettre aux parties de produire leur argumentation écrite.  L’affaire a été prise en délibéré à cette date.

OBJET DU LITIGE

[8]                À l’audience, la représentante du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer irrégulier l’avis du Bureau d’évaluation médicale.

[9]                La CSST, pour sa part, soulève que la réclamation du travailleur du 27 novembre 2002 est chose jugée et que subsidiairement, elle a été soumise hors du délai prévu à l’article 272 de la loi.

AVIS DES MEMBRES

[10]           Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la CSST n’avait pas à acheminer le rapport médical au médecin traitant et que la procédure d’évaluation au Bureau d’évaluation médicale est régulière puisque faite en vertu des articles 204 et 206 de la loi et que la décision ne doit pas être annulée. Concernant la question du hors délai, le principe de la chose jugée doit être retenu.

[11]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la décision de la CSST du 1er novembre 2002 est irrégulière.  Concernant la réclamation du travailleur du 27 novembre 2002, la loi doit être interprétée de façon large et libérale lorsqu’il s’agit de la déchéance d’un droit.

FAITS ET MOTIFS DE LA DÉCISION

[12]           Le 31 janvier 2001, monsieur Alain Tremblay subit un accident du travail. Un diagnostic d’épicondylite du coude droit est posé et la réclamation est acceptée par la CSST le 23 mars 2001.

[13]           Deux mois plus tard, soit le 26 mars 2001, le travailleur est hospitalisé pour une période de neuf jours à cause d’une bursite infectée du coude droit ainsi que pour une dépression.

[14]           Le travailleur suit des traitements de psychothérapie, que la CSST accepte de rembourser pour une dizaine de rendez-vous en précisant qu’il ne s’agit pas de l’acceptation du diagnostic de sa condition psychologique en relation avec l’événement initial.

[15]           Le 2 avril 2001, la note de départ de l’Hôpital Pierre Boucher fait mention des diagnostics de bursite infectée du coude droit, d’une dépression traitée et de tabagisme.

[16]           Du 17 avril au 23 juillet 2001, le docteur Do pose un diagnostic de tendinite du coude droit, soit les 17 avril et 25 mai. Les docteurs Favreau et Leduc posent respectivement les diagnostics d’épicondylite externe du coude droit et la possibilité d’algodystrophie réflexe et bursite du coude droit. Les docteurs Do, Favreau et Leduc poursuivent tous les traitements de physiothérapie.

[17]           Le travailleur a été référé à « Prévicap » pour une évaluation du handicap au travail.

[18]           Le 9 octobre 2001, le rapport d’évaluation de Previcap, signé du docteur Sylvie Verrette et de monsieur Philip De Pasillé, ergothérapeute, conclut : « À la lumière des informations recueillies auprès du travailleur, nous pensons que celui-ci devrait bénéficier d’un suivi médical assidu avec un soutien psychothérapeutique par le biais d’un psychologue et d’un réajustement au besoin de l’approche pharmacologique; le tout dans le but de stabiliser son humeur et de résoudre l’état de détresse symptomatologique et psychique qu’il présente actuellement. Une fois son état psychologique stabilisé, monsieur Tremblay pourrait bénéficier d’une démarche de stage en milieu de travail réel. »

[19]           Le 24 octobre 2001 et le 6 décembre 2001, le docteur Do reprend le diagnostic d’épicondylite.  Il mentionne également l’état dépressif du travailleur.

[20]           Le 8 décembre 2001, madame Lise Le Pailleur, psychologue, produit un rapport d’étape dans lequel elle écrit :

Il est difficile dans ce dossier de séparer la symptomatologie anxiodépressive qui est liée à l’accident lui-même de celle qui émerge de problèmes plus personnels, latents et présents depuis plusieurs années.  Des problèmes familiaux importants et conjugaux ne font évidemment qu’accentuer la psychopathologie.  Il y a sans doute chez cet homme, un trouble de la personnalité, alors il est difficile voire impossible de démêler les conflits psychiques et les comportements tant physiques, verbaux, cognitifs et émotifs qui en découlent en dix rencontres.

 

[...]

 

Il semble que le travail ait été dans le passé l’avenue thérapeutique de ce monsieur.  Il travaillait 60 heures par semaine ce qui probablement l’aidait à maintenir un équilibre psychique. Aussi, je crois que l’avenue la plus aidante serait de le réactiver selon vos critères mais il serait sage de le faire le plus rapidement possible.

 

 

[21]           Le 10 janvier 2002, la CSST désigne le docteur Bouthillier, physiatre, pour évaluer le travailleur. Dans son rapport, le docteur Bouthillier mentionne :

« De façon associée, monsieur Tremblay a développé des symptômes dépressifs et nous indique qu’il a pratiqué l’automutilation au niveau des avant-bras en rapport avec les symptômes dépressifs.  Il indique cependant que l’oedème au niveau du membre inférieur droit avait débuté avant les actes d’automutilation.   [sic]

 

 

[22]           Dans son examen, le docteur Bouthillier mentionne la présence de « lacération au niveau de la face dorsale des deux avant-bras plus marquée du côté gauche que droit sous forme d’égratignures profondes ».  

[23]           Le docteur Bouthillier mentionne également un oedème important de l’avant-bras droit ainsi qu’une « sensibilité en regard de la portion latérale du coude droit plus marquée au niveau de l’épicondylite ». 

[24]           Le docteur Bouthillier conclut :

[...]  Il existe des signes d’épicondylite mais cette induration sous-cutanée ne peut être expliquée par l’épicondylite. Un diagnostic de dystrophie réflexe loco-régionale est toujours possible mais la présentation clinique n’est pas typique.

 

Étant donné le contexte et la persistance des signes et symptômes, nous suggérons de reprendre la cartographie osseuse et une résonance magnétique du coude et de la portion proximale de l’avant-bras droit pour mieux évaluer les signes décrits au niveau des tissus mous en regard de l’avant-bras droit.

 

Je crois que si ces deux tests n’apportent pas de renseignements supplémentaires notables, monsieur devrait être référé en médecine interne ou en rhumatologie avec possibilité de biopsie cutanée ou sous-cutanée. 

 

 

[25]           Le 24 janvier 2002, le docteur Do mentionne qu’il n’y a aucune amélioration au coude et que la dépression est augmentée.  Une scintigraphie osseuse de même qu’un examen de résonance magnétique sont prescrits. Une référence en psychiatrie est également demandée.

[26]           Le 29 avril 2002, le docteur Do mentionne que la douleur est identique au niveau du bras.  Il augmente la posologie de l’Effexor et prescrit une augmentation de la posologie de l’Elavil.

[27]           Le 2 mai 2002, le docteur Serge Côté évalue le travailleur à la demande de la CSST. Le docteur Côté rapporte que :

Monsieur Tremblay affirme ne presque pas pouvoir utiliser son membre supérieur droit en raison de la douleur.  Nous l’avons cependant vu dans un Magasin Canadien Tire faire l’utilisation d’une bicyclette et serrer les freins avec les deux mains, desserrer un boulon avec la main droite qui semblait très serré, le tout ne laissant aucunement suggérer une incapacité d’utilisation de la main droite. 

 

 

[28]           Le docteur Côté rapporte un examen normal sauf pour la présence d’un oedème important au niveau de l’avant-bras et de la main droite.  Il rapporte également des marques anciennes d’automutilation aux avant-bras à la suite d’une ancienne dépression.  Le docteur Côté rapporte par ailleurs, des mouvements qui sont normaux et complets, un examen de la sensibilité normale. Il conclut au diagnostic d’épicondylite du coude droit pour lequel il ne recommande aucun traitement chirurgical. Il estime que la lésion devrait être consolidée après l’essai du traitement suivant : il recommande l’application d’une immobilisation plâtrée depuis la main jusqu’à l’épaule pour une période de deux semaines « avec contrôle du membre supérieur droit à l’exérèse du plâtre ». Le docteur Côté accorde une atteinte permanente à l’intégrité physique selon le code 102 383 : atteinte des tissus mous avec séquelles fonctionnelles : 2 %.  De façon surprenante, et bien que son examen clinique soit normal en dehors de l’oedème noté, le docteur Côté émet des limitations fonctionnelles « reliées à l’épicondylite » : « Éviter de soulever des charges lourdes, éviter les mouvements d’extension forcée du poignet et des doigts et éviter des mouvements de traction ».

[29]           Il n’y a aucune suite donnée à cette évaluation médicale par la CSST.

[30]           Le 28 mai 2002, le docteur Mac mentionne un oedème important de l’avant-bras dont il s’interroge concernant son origine.  Il mentionne également le diagnostic de légère synovite du coude droit et de légère déchirure partielle des extenseurs pour lesquelles il estime qu’il n’y a pas de traitement à effectuer.  Il suggère une consultation en médecine interne pour biopsie cutanée.

[31]           Le 2 juin 2002, madame Lise Le Pailleur, psychologue, ferme le dossier devant l’échec thérapeutique de ses interventions en mentionnant le manque de collaboration et de motivation du travailleur.

[32]           Monsieur Tremblay est évalué une deuxième fois par le docteur Serge Côté le 17 juillet 2002 à la demande de la CSST, qui se prévaut de la procédure du médecin désigné en vertu de l’article 204 de la loi qui se lit comme suit :

204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.

 

La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.

__________

1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

[33]           Le dossier est référé au docteur Bérubé, membre du Bureau d’évaluation médicale qui rend son avis le 12 septembre 2002 et ce, sans que le rapport du docteur Côté ne soit expédié au médecin traitant du travailleur, tel que prévu aux articles 205.1 et 215 de la loi qui se lisent comme suit :

205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

 

La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.

__________

1997, c. 27, a. 3.

 

 

215. L'employeur et la Commission transmettent, sur réception, au travailleur et au médecin qui en a charge, copies des rapports qu'ils obtiennent en vertu de la présente section.

 

La Commission transmet sans délai au professionnel de la santé désigné par l'employeur copies des rapports médicaux qu'elle obtient en vertu de la présente section et qui concernent le travailleur de cet employeur.

__________

1985, c. 6, a. 215; 1992, c. 11, a. 17.

 

 

[34]           L’article 206 de la loi édicte ce qui suit :

206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.

__________

1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

[35]           Les parties ont argumenté tour à tour par écrit concernant cette question puisqu’il s’agit d’un des objets du litige.

LA PROCÉDURE D’ÉVALUATION MÉDICALE

[36]           Le tribunal est d’avis que l'omission de la CSST de transmettre au médecin du travailleur le rapport de son médecin désigné, afin de solliciter un avis complémentaire ou tout simplement pour respecter les dispositions de l’article 215 précité, entache la procédure d'évaluation médicale. Le recours à l'intervention du Bureau d'évaluation médicale, dans les circonstances, était donc prématuré.

[37]           Dans la décision Laverdière et Hôpital de Montréal pour enfants[2], la Commission des lésions professionnelles écrit ce qui suit concernant la mécanique de la procédure d’évaluation médicale :

[31]  En effet, la loi prévoit une mécanique bien précise suivant laquelle doit s’effectuer la procédure d’évaluation médicale. Cette mécanique impose des conditions qui doivent être respectées, afin que la procédure soit déclarée valide.

 

[32]  Il est vrai que l’article 206 de la loi prévoit que la CSST peut demander un avis du Bureau d'évaluation médicale, même si sa demande porte sur des sujets sur lesquels le médecin traitant ne s’est pas prononcé.

 

[33]  L’employeur allègue que l’expertise du médecin désigné par la CSST n’infirme pas les conclusions du médecin qui a charge. En raison de cela, la CSST était justifiée de suivre la procédure prévue à l’article 206 de la loi plutôt que celle prévue à l’article 205.1, puisque ce n’est que lorsque les conclusions du médecin désigné infirment les conclusions du médecin qui a charge, que la procédure prévue à l’article 205.1 doit être suivie.

 

[...]

 

[37]  Il appert des faits que la première irrégularité soumise par la procureure de la travailleuse est justement l’omission de la CSST de transmettre copie du rapport du docteur Moïse au médecin qui a charge.

 

[38]  Pourtant, l’article 215 de la loi énonce une obligation en ce sens. Tel que la jurisprudence[3] sur le sujet l’a souvent souligné, les dispositions de l’article 215 de loi visent à favoriser la règle de la transparence dans les échanges de rapports médicaux entre les parties. De plus, le médecin qui a charge doit recevoir copie du rapport du médecin désigné de la CSST pour être en mesure d’y répondre, conformément aux dispositions de l’article 205.1.

 

 

[38]           En effet, qu’il suffise de se demander, de façon hypothétique, ce qui se serait passé si le médecin traitant avait été d’accord avec les conclusions du docteur Côté. Aurait-on acheminé le dossier au Bureau d'évaluation médicale? Poser la question, c’est y répondre.  L’opinion du médecin traitant est fondamentale et son accord avec les conclusions du médecin désigné aurait fermé le dossier.

[39]           La Commission des lésions professionnelles, dans l’affaire Domond et Alcatel Cable (Mtl-Est)[4], estime que l’article 205.1 crée une obligation pour la CSST de demander au médecin qui a charge un rapport complémentaire lorsqu’elle désire transmettre au Bureau d’évaluation médicale le rapport du médecin désigné. Cet article vient consacrer et renforcer le principe de la primauté de l’opinion du médecin qui a charge.

[40]           Dans l’affaire Castonguay et Ministère des Anciens Combattants[5], la Commission des lésions professionnelles conclut que le défaut de solliciter le rapport complémentaire prévu à l’article 205.1 est suffisant pour invalider l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale. Ainsi, la décision rendue par la CSST à la suite de l’avis du Bureau d’évaluation médicale est irrégulière et doit être annulée, de même que celle rendue par l’instance de révision, et le dossier doit être retourné à la CSST afin qu’elle reprenne la procédure conformément aux dispositions de la loi.

[41]           De la même façon et en respectant les principes précités, la CSST en ne transmettant pas une copie de l’expertise de son médecin désigné au médecin qui a charge, comme le prévoit l’article 215 de la loi, n’a pas respecté l’esprit de la loi qui veut que l’opinion du médecin qui a charge prime dans tout le processus d’assistance médicale. La décision de la CSST qui entérine l’avis est donc irrégulière et doit être annulée et le dossier retourné à la CSST pour que la procédure d’évaluation médicale soit reprise.

LA CHOSE JUGÉE ET LE HORS DÉLAI

[42]           Essentiellement, la CSST invoque le fait que les demandes de remboursement d’ambulance et de médicaments, concernant les problèmes psychologiques du travailleur, ont été refusées et que le principe de la chose jugée doit s’appliquer. Au surplus, le délai de six mois prévu à l’article 272, pour produire la réclamation était échu.

[43]           Précisons que la CSST a aussi invoqué que puisque certains frais avaient été refusés, il y a chose jugée concernant la question de la réclamation du 27 novembre 2002.

[44]           La représentante du travailleur explique essentiellement qu’il n’y a pas eu de décision de refus du diagnostic concernant les problèmes psychologiques du travailleur.  Selon elle, les refus de remboursement ne sont pas des décisions de relation et rien n’indique que le travailleur avait connaissance que sa condition était en relation avec l’événement initial.

[45]           Le tribunal précise qu’aucune décision formelle et motivée n’a été rendue concernant la réclamation du 27 novembre 2002, avant celle faisant l’objet du présent litige.

[46]           L’article 354 de la loi précise d’ailleurs que les décisions de la CSST doivent être écrites, motivées et notifiées  :

354. Une décision de la Commission doit être écrite, motivée et notifiée aux intéressés dans les plus brefs délais.

__________

1985, c. 6, a. 354.

 

 

[47]           En l’espèce, la décision implicite qu’invoque la CSST n’est pas une décision motivée.  D’ailleurs, la note évolutive au dossier (page 43 du dossier CLP) est révélatrice de la façon dont la CSST envisage sa responsabilité d’organisme public concernant la façon dont elle doit trancher de la relation causale :

Note : Si, après ce bilan téléphonique, le MD traitant inscrit toujours le DX de dépression sur les RMX CSST, il faudra se prononcer, légalement et par écrit, sur la relation entre ce DX et la lésion professionnelle.

 

 

[48]           Le tribunal rejette donc le premier argument de la CSST.

[49]           L’article 272 de la loi édicte ce qui suit :

272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.

 

Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.

 

La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.

__________

1985, c. 6, a. 272.

 

[50]           Concernant la question du hors délai, la Commission des lésions professionnelles constate que plusieurs décisions de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) et de la Commission des lésions professionnelles retiennent la connaissance comme point de départ du délai de l'article 272 de la loi[6].

[51]           Le principal motif à l'appui de cette position est que ce point de départ est celui prévu par le législateur, le libellé de l'article 272 étant clair et réfère à la connaissance[7].

[52]           Aussi, dans l'affaire Gauvin et Ville de Montréal[8], la Commission d’appel appuie notamment son raisonnement sur la jurisprudence selon laquelle, en matière de déchéance de droit, il faut interpréter la loi de manière à protéger les droits des justiciables[9].

[53]           Dans l'affaire Sheir et Via Rail Canada[10], la Commission d’appel interprète ainsi l'article 272, en le comparant à l'article 270 de la loi :

Ce texte [l'article 272] doit être interprété de façon à ne pas brimer injustement le droit d'un travailleur puisque, à défaut par lui de respecter le délai, il y a déchéance de son droit. Le sens général de ce texte vise à apporter une certaine souplesse qui n'existe pas dans le cas d'une lésion autre qu'une maladie professionnelle. En effet, l'article 270, bien qu'il parle aussi d'un délai de six mois,soumet ce six mois à la survenance de la lésion professionnelle (accident du  travail ou encore rechute, récidive ou aggravation). Quant à l'article 272, c'est la date de la connaissance par le travailleur qu'il est atteint d'une maladie professionnelle qui constitue le point de départ. Tout cela parce que l'accident de travail ou larechute sont généralementdécelablesau moment où ils surviennent, contrairement à la maladie professionnelle qui peut être un processus beaucoup plus long, beaucoup plus discret, et n'apparaître malheureusement souvent qu'en phase grave. Ajoutons à cela le temps que peut prendre la médecine à découvrir qu'il s'agit bien là d'une maladie du travail.

 

Faisant référence à la connaissance par le travailleur de sa maladie pour computer le délai de réclamation, l'article 272 tient donc compte de la particularité de la maladie professionnelle dans le cadre des lésions  professionnelles.

 

L'interprète de la loi doit en faire autant.

 

[54]           Or, en l’espèce, il s’agit donc de savoir quand, selon la preuve, il a été porté à la connaissance du travailleur qu'il était atteint d'une maladie professionnelle?

[55]           La Commission d’appel analyse cette question de la façon suivante dans l'affaire Gagné et Institut Roland-Saucier[11],  :

Il a lieu ici de préciser que la loi emploie l'expression "porté à la connaissance qu'il est atteint d'une maladie professionnelle" et non pas "porté à la connaissance qu'il puisse s'agir éventuellement d'une maladie professionnelle". Cette connaissance d'atteinte d'une maladie professionnelle, dans le cas sous étude, apparaît clairement à la Commission avoir été pour le travailleur lors de l'émission de l'attestation médicale du docteur Dufresne en février 1993.

 

Dès que le travailleur s'est rendu compte que le docteur Dufresne avait accepté de faire ce lien dans une attestation médicale destinée à la Commission, le travailleur a produit sa réclamation.

 

Fallait-il que le travailleur dépose, dès 1988, une réclamation pour lésion professionnelle seulement au cas où, alors qu'aucun médecin n'associait à son travail les symptômes qu'il présentait? Devait-il faire de même en août 1992 après sa visite chez le docteur Beaudet alors que celui-ci n'avait pas émis de conclusion ferme mais évoqué seulement une possibilité? La Commission d'appel ne le croit pas. Ce n'est sans doute pas ce que le législateur avait à l'esprit en édictant l'article 272. [...]

[56]           Dans l'affaire Lanoix et CSST précitée, la Commission d’appel tient compte de la déchéance du droit advenant le défaut et s'arrête au libellé de l'article 272. De plus, elle est d'avis, faisant référence aux articles 199 et 267 de la loi, que seul un médecin peut identifier une maladie professionnelle. Elle écrit :

L'article 272 établit que le délai de six mois se compute à compter de la date où il est porté à la connaissance du travailleur qu'il est atteint d'une maladie professionnelle. Compte tenu du fait que le défaut de respecter ce délai entraîne la déchéance du droit d'être indemnisé pour une lésion professionnelle, la Commission d'appel considère qu'il faut interpréter restrictivement l'expression "porté à la connaissance du travailleur".

 

Dans cette optique, cette expression ne peut que signifier que quelqu'un doit porter à la connaissance du travailleur qu'il est atteint d'une maladie professionnelle et que c'est à ce moment que commence à s'écouler le délai de l'article 272. Cette expression ne peut vouloir dire que la seule croyance du travailleur lui-même qu'il s'agit d'une maladie professionnelle ne suffit pas aux termes de l'article 272.

 

La seule personne capable d'informer le travailleur qu'il est atteint d'une maladie professionnelle est un médecin: ce n'est pas pour rien que l'article 267 oblige le travailleur à fournir une attestation médicale que l'employeur doit ensuite transmettre à la Commission et que l'article 199 prévoit l'obligation au médecin qui a charge de fournir à la Commission une attestation médicale sur laquelle il doit inscrire le diagnostic.

 

 

[57]           Le tribunal adhère au principe énoncé dans la décision précitée concernant l’expression « porté à la connaissance du travailleur ».

[58]           Au dossier, tous les rapports médicaux CSST font état du diagnostic d’épicondylite du coude droit et quelques rapports médicaux font état du diagnostic de dépression.

[59]           Bien que ces rapports médicaux et notes médicales parlent d’une dépression, ce diagnostic n’est pas précis et rien n’indique, de la preuve, que le travailleur était personnellement au fait d’une possible relation entre le diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxiodépressive et son travail et ce, particulièrement compte tenu de son état psychologique.

[60]           D’ailleurs, la CSST se questionne, dans une note écrite le 11 juin 2002, concernant ce que veut dire le diagnostic de dépression :

Concernant le Dx de dépression, qu’entend-elle par « dépression idem » sur son rapport du 02-06-05?

 

 

[61]           Le tribunal est d’avis que lorsqu’il est question d’appliquer la notion de « porté à la connaissance du travailleur », il faut tenir compte du type de maladie ou d’affection dont est atteint le travailleur pour trancher de cette question.

[62]           En l’espèce, le diagnostic n’est pas contesté. Monsieur Tremblay souffre d’un trouble d’adaptation avec humeur anxiodépressive.

[63]           Or, si la CSST se questionne le 11 juin 2002, sur ce que le médecin entend par le diagnostic de dépression, force est de conclure que l’état psychologique du travailleur à cette date, a pu avoir une influence certaine sur sa propre capacité à comprendre la relation possible entre le diagnostic posé par son médecin et l’événement accidentel initial.

[64]           Sa réclamation a été produite le 27 novembre 2002, il était donc à l’intérieur du délai de six mois prévu par la loi.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 193609

ACCUEILLE la requête de monsieur Alain Tremblay;

DÉCLARE irrégulier l’avis émis par le Bureau d’évaluation médicale;

DÉCLARE sans effet la décision rendue le 1er novembre 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative ainsi que l’avis émis par le Bureau d’évaluation médicale le 12 septembre 2002.

Dossier 218184

REJETTE la requête de la CSST;

DÉCLARE recevable la réclamation produite par le travailleur le 27 novembre 2002;

 

 

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Éric Ouellet

 

Commissaire

 

 

 

Me Marie-Anne Roiseux

C.S.D.

Représentante de la partie requérante

 

 

Me André Breton

PANNETON LESSARD

Représentant de la partie intervenante

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001

[2]          [2003] C.L.P. 1130

[3]          Cegep de Jonquière et Vaillancourt, C.L.P. 100736-02-9805, 26 janvier 1999, P. Simard; Lemieux et Asbestos Eaman inc. et als, C.L.P. 149262-71-0010, 6 novembre 2001, D. Gruffy.

[4]          C.L.P. 156808-61-0103, 29 janvier 2002, L. Nadeau

[5]          C.L.P. 188243-62C-0207, 20 mai 2003, R. Hudon

[6]          Fantini-Scenna et Daymor Dress inc., [1987] C.A.L.P. 228 ; Colarosa et Chemins de fer nationaux, [1994] C.A.L.P. 1688 ; Paradis et Denis Caron Ent. Peintre, 133401-03B-0003, 01-02-26, C. Lavigne; Roy et Alcatel Canada inc., 129915-31-0001, 01-03-29, P. Simard; Lapointe et 2941902 Canada inc., 155972-63-0102, 02-04-15, R.-M. Pelletier; Vêtements Peerless inc. et Raposo, 161653-61-0105, 02-09-11, L. Nadeau

[7]         Thiboutot et Ferme des Voltigeurs inc., 134205-04B-0003, 00-11-16, F. Mercure

[8]         [1992] C.A.L.P. 406

[9]          Lanoix et CSST,51841-64-9306, 96-03-13, R. Brassard; requête en révision judiciaire rejetée, [1997] C.A.L.P. 453 (C.S.)

[10]        [1995] C.A.L.P. 1755

[11]        [1995] C.A.L.P. 1620

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.