______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 7 octobre 2005, monsieur Jean-Guy Beaulieu (le travailleur) dépose une requête, à la Commission des lésions professionnelles, par laquelle il conteste la décision rendue le 20 septembre 2005, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 5 avril 2005 et déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi à compter du 1er mars 2005.
[3] Le travailleur est présent à l’audience tenue à Longueuil, le 18 septembre 2006. Il est représenté.
[4] Marché Sabrevois inc. (l’employeur) est représenté par son procureur.
[5] Lors de l’audience, le tribunal a requis du travailleur qu’il produise les notes cliniques du docteur Lagacé, ainsi que les notes évolutives de la CSST. Un délai jusqu’au 29 septembre 2006 lui avait été accordé. Ces documents sont parvenus à la Commission des lésions professionnelles à l’intérieur de ce délai. L’employeur avait jusqu’au 6 octobre 2006 afin de faire ses commentaires. Il a fait parvenir un complément d’argumentation le 6 octobre 2006, date à laquelle le présent dossier a été mis en délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la décision rendue le 5 avril 2005 était prématurée compte tenu du fait que son médecin traitant n’a pu évaluer les limitations fonctionnelles du travailleur.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Le membre issu des associations d’employeurs, monsieur Gaston Turner, est d’avis de rejeter la requête du travailleur. Il est d’avis que la CSST était aux fins de déterminer la capacité du travailleur de refaire son emploi et ce, liée par le rapport final du docteur Lagacé tel que modifié le 29 mars 2005. Le travailleur ne pouvait donc pas faire modifier ce rapport par la suite. La CSST était donc bien fondée à rendre sa décision sur la capacité du travailleur de refaire son emploi en tenant compte de ce rapport qui n’accordait aucune limitation fonctionnelle au travailleur.
[8] La membre issue des associations syndicales, madame Osanne Bernard, est d’avis de faire droit à la requête du travailleur. Elle est d’avis que les circonstances particulières de ce dossier font en sorte que le médecin traitant n’était pas en mesure, lors de la consolidation de la lésion professionnelle, de déterminer les limitations fonctionnelles du travailleur. Elle est donc d’avis que la CSST est liée par le rapport amendé produit avant l’audience et établissant des limitations fonctionnelles en lien avec la lésion professionnelle. Elle estime donc que la CSST devra déterminer si le travailleur est en mesure de reprendre son travail compte tenu de ces limitations fonctionnelles.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur est capable d’exercer son emploi à compter du 1er mars 2005 et s’il était prématuré pour la CSST de rendre sa décision sur ce sujet. Elle devrait, de façon subsidiaire, déterminer si la CSST devait se sentir liée par le rapport final amendé du mois d’août 2006 ou par celui de mars 2005 quant à l’existence ou non de limitations fonctionnelles, à la suite de la lésion professionnelle du 9 octobre 2004.
[10] La Commission des lésions professionnelles retient les éléments pertinents suivants.
[11] Le 9 octobre 2004, le travailleur, un aide-caissier âgé de 67 ans, ressent une douleur dorsale alors qu’il soulève un panier d’épicerie par-dessus les protecteurs. Il consulte le même jour, le docteur Bussières qui pose un diagnostic de dorsalgie musculaire.
[12] Le 12 octobre 2004, il consulte le docteur Barrette qui pose un diagnostic d’entorse dorsale aiguë.
[13] Le 18 novembre 2004, la CSST accepte la réclamation du travailleur.
[14] Le 25 novembre 2004, le travailleur subit une scintigraphie osseuse. Le rapport de cet examen montre des images compatibles avec des métastases osseuses.
[15] Le 14 décembre 2004, le docteur Jacques Nolin, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l’employeur. Ce médecin est d’avis que l’entorse dorsale est consolidée. Il estime que le travailleur devrait continuer d’être sous les soins de son médecin étant donné que les investigations récentes laissent suspecter des métastases osseuses au niveau de la région thoracique.
[16] Le 23 décembre 2004, le docteur Lagacé reprend le diagnostic d’entorse dorsale et prolonge l’arrêt de travail.
[17] Le 27 décembre 2004, le docteur Lagacé fait parvenir un rapport complémentaire dans lequel il se dit en désaccord avec le docteur Nolin. Il est d’avis que l’entorse dorsale n’est pas consolidée.
[18] Le 9 février 2005, le travailleur est examiné par le docteur Laflamme, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale. Ce médecin rapporte que le travailleur a commencé en janvier 2005, un traitement de chimiothérapie pour des métastases osseuses au niveau du thorax et de l’acetabulum gauche. Le docteur Laflamme indique que le travailleur a été opéré il y a sept ans pour un cancer de la prostate. Il a subi, trois ans auparavant, l’ablation des testicules. Ce médecin, après avoir examiné le travailleur, est d’avis que la lésion est consolidée à la date de son examen.
[19] Le 15 février 2005, le docteur Marc Trudeau, oncologue, écrit un certificat médical pour le travailleur. Dans ce document, il fait état des traitements entrepris pour soigner son cancer. Il explique qu’il a été traité jusqu’à l’automne 2004. Il poursuit en disant avoir appris en janvier 2005 que son cancer s’était propagé aux os. Il a reçu les différents rapports d’examen confirmant ce diagnostic de métastases osseuses.
[20] Il mentionne également qu’il a suggéré au travailleur d’avoir recours à un traitement de chimiothérapie. Il explique que depuis le travailleur a reçu trois cycles de chimiothérapie pour combattre son cancer. Il poursuit ainsi :
Inutile de vous dire que monsieur Beaulieu souffre d’un cancer en phase avancée et que son espérance de vie est malheureusement limitée. Également, la progression de sa maladie a été documentée à la médecine nucléaire en date du 24 novembre 2004 et il est de mon humble avis que le patient est totalement invalide pour participer à un emploi rémunérateur, que ce soit à temps partiel ou à temps complet.
En conclusion, monsieur Beaulieu est invalide de façon permanente en date du 24 novembre 2004.
[21] Le 17 février 2005, la CSST rend sa décision à la suite de l’avis du docteur Laflamme. Elle conclut que la lésion est consolidée et que, compte tenu de cette date de consolidation, elle poursuit le versement des indemnités jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité du travailleur de refaire son emploi.
[22] Le 1er mars 2005, le docteur Lagacé produit un rapport final dans lequel il consolide la lésion professionnelle à cette date avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles.
[23] Dans son rapport d’évaluation médicale du 2 mars 2005, le docteur Lagacé indique ce qui suit :
Indépendamment de la lésion accidentelle, monsieur est totalement incapable de travailler, et ce, pour une période indéterminée.
[24] Dans ce même rapport, il accorde un déficit anatomophysiologique de 2 % au travailleur.
[25] Le 15 mars 2005, la CSST rend une décision concernant le pourcentage d’atteinte permanente déterminé par son médecin traitant.
[26] Le 29 mars 2005, le médecin régional de la CSST communique avec le docteur Lagacé. Il rapporte aux notes évolutives de la CSST ce qui suit :
Appel au Dr Lagacé concernant le manque de précision de son REM.
Selon son opinion, le fait qu’il est décrit comme « incapable de travailler » relève de sa condition personnelle plutôt que de sa condition traumatique d’entorse dorsale.
Une correction à son REM va nous parvenir.
[27] Le 29 mars 2005, le docteur Lagacé produit un rapport d’évaluation médicale dans lequel il apporte la correction suivante au niveau des limitations fonctionnelles. Il indique ce qui suit :
Aucune en relation avec la lésion professionnelle.
[28] Le 30 mars 2005, l’agent de la CSST au dossier indique :
Sur réception de la correction du REM, communiquer avec le T pour l’informer de la fin de l’IRR et rendre décision de capacité concernant son accident du 2004-10-09.
[29] Le 4 avril 2005, le travailleur communique avec l’agent de la CSST. Cette dernière indique :
T informer que fin IRR suite à la réception du REM corrigé. T informé qu’il peut allé à l’assurance-salaire de E ou au chômage maladie. [sic]
[…]
[30] Le 5 avril 2005, l’employeur demande un partage du coût des prestations pour une maladie intercurrente.
[31] Le 5 avril 2005, la CSST rend une décision dans laquelle elle détermine que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 1er mars 2005.
[32] Le 26 avril 2005, le travailleur, par le biais de son représentant, demande la révision de cette décision.
[33] Le 7 septembre 2005, le docteur Lagacé produit un rapport d’évaluation médicale corrigé dans lequel il indique ce qui suit, au titre des limitations fonctionnelles :
En raison de la condition médicale, il est actuellement impossible de déterminer les limitations reliées à la lésion professionnelle.
[34] Le 20 septembre 2005, la CSST, à la suite d’une révision administrative, confirme la décision du 5 avril 2005 et détermine que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 1er mars 2005.
[35] Le 7 octobre 2005, le travailleur, par l’entremise de son représentant, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles.
[36] Le 11 novembre 2005, l’employeur a reçu une réponse affirmative à sa demande de transfert du coût des prestations. Le coût de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 24 novembre 2004 au 4 avril 2005 est imputé à tous les employeurs, compte tenu de la détérioration de l’état du travailleur.
[37] Le 11 août 2006, le docteur Lagacé produit un rapport d’évaluation médicale qu’il intitule « AMENDEMENT FINAL ». Dans ce document, le médecin indique que contre toute attente, le patient est en rémission d’un adénocarcinome métastatique de la prostate. Il se plaint de la persistance d’une dorsalgie. Il n’a pas repris le travail. Il ajoute ce qui suit au titre des limitations fonctionnelles :
Monsieur doit éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :
- manipuler des charges de plus de 15kg.
- ramper, grimper.
- travailler en position accroupie.
- effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne dorso-lombaire même de faible amplitude.
[38] Le docteur Lagacé y mentionne également que le travailleur présente un cancer en rémission.
[39] Lors de l’audience, le travailleur a témoigné des circonstances de l’événement du 9 octobre 2004. Il précise qu’avant cet accident, il n’avait pas présenté de douleurs au dos. Il a également fait part au tribunal de la persistance de douleurs au niveau dorsal depuis cet événement. Il a aussi indiqué au tribunal avoir subi des traitements de chimiothérapie pour son cancer de la prostate.
[40] Le travailleur a aussi décrit les différentes tâches qu’il devait accomplir à titre d’emballeur pour l’employeur. Ce travail implique de manipuler les divers produits achetés par le client afin de les placer dans des sacs de plastique ou dans des paniers bleus en plastique, qu’il devait ensuite déposer sur un convoyeur. Selon lui, le poids des bacs bleus pouvait être de plus de 70 livres, tout dépendant des produits d’épicerie qu’ils contiennent. Le travailleur insiste pour dire qu’à cette tâche, il doit faire des mouvements de torsion du tronc de façon régulière. En effet, à titre de préposé aux commandes à l’auto, il doit prendre les bacs en question et les apporter près des voitures. Il dépose ensuite le bac par terre et saisit les sacs de plastique contenant les produits d’épicerie afin de les placer dans les malles arrière des véhicules automobiles des clients.
[41] Il précise avoir été également préposé aux bouteilles vides. À ce titre, il doit vider les machines qui reçoivent les bouteilles et les canettes vides apportées par les clients. Pour ce faire, il doit se rendre au sous-sol de l’établissement et vider les bacs dans lesquels sont récupérées lesdites bouteilles et canettes vides.
[42] Le travailleur doit ensuite classer les bouteilles de bière vides. Il doit ensuite entreposer ces caisses vides sur une palette de bois en les empilant les unes sur les autres jusqu’à une pile de cinq caisses de haut.
[43] Il mentionne qu’il devait également voir à approvisionner les différentes étagères du magasin avec les produits de consommation. Il doit pour ce faire, apporter les caisses devant l’étagère, prendre les produits dans les caisses et les placer sur les rayonnages. Celles-ci sont situées à différents niveaux allant du sol à plus de cinq pieds de hauteur. Il doit également prendre les produits situés au fond des rayonnages et les rapprocher du bord de celles-ci.
[44] Toutes ces tâches nécessitent de soulever des poids, de se pencher vers l’avant, d’effectuer des mouvements de torsion et de rotation du tronc.
[45] Le travailleur explique qu’il était suivi en oncologie par le docteur Trudeau bien avant son embauche. Il mentionne ne pas avoir perdu de journée de travail ou avoir été empêché de travailler en raison de ces traitements pour le cancer qui l’afflige.
[46] Le travailleur indique qu’en mars 2005, la douleur dorsale était encore présente. Cette douleur se situait entre les deux épaules. Elle l’empêchait de marcher ou de forcer. Il indique devoir se déplacer avec un déambulateur, en raison de cette douleur.
[47] Il indique avoir revu le docteur Lagacé, en août 2006. À ce moment, ce médecin a été en mesure de déterminer des limitations fonctionnelles. Il ne sait pas pourquoi le docteur Lagacé avait soumis un rapport final amendé en mars 2005. Il pense que c’est parce que la CSST le lui a demandé.
[48] L’employeur a fait entendre la responsable des ressources humaines pour l’employeur, madame Messier. Cette dernière a indiqué avoir des réserves quant aux poids des bacs bleus, mentionnés par le travailleur. Elle n’a toutefois pas pesé ces bacs de plastiques. Elle précise que les bacs bleus sont peu utilisés chez l’employeur. Le service à l’auto ne représente pas une grosse proportion de la clientèle du magasin, sans qu’elle puisse préciser quelle est cette proportion.
[49] Elle indique avoir aperçu le travailleur l’été dernier, puisqu’il habite en face du magasin. Il ne se déplaçait pas, à ce moment, avec un déambulateur, comme il l’a mentionné à l’audience. Il portait même des sacs d’épicerie. Elle doute donc un peu de ses capacités. Elle a aussi témoigné que le travailleur avait soumis à la compagnie d’assurances de l’employeur, une demande d’assurance salaire compte tenu de son incapacité résultant de son cancer. Cependant, comme le travailleur n’a pas donné suite, dans le délai prévu, à une demande d’information de cette compagnie, celle-ci a fermé son dossier.
[50] Le représentant du travailleur a soumis que la décision de la CSST était prématurée étant donné que le docteur Lagacé a modifié son opinion quant aux limitations fonctionnelles du travailleur. Il explique que compte tenu de son cancer de la prostate, le médecin traitant n’était pas en mesure de préciser les limitations fonctionnelles que conservait le travailleur à la suite de sa lésion professionnelle. Comme le travailleur présente une rémission de ce cancer, à la suite d’une chimiothérapie, il est maintenant en mesure de déterminer les limitations fonctionnelles dont est porteur le travailleur à la suite de sa lésion professionnelle. Il demande donc à la Commission des lésions professionnelles de ne pas tenir compte du rapport final amendé du 29 mars 2005 et de plutôt retenir les deux rapports subséquents, soit celui de septembre 2005 dans lequel, le docteur Lagacé indique qu’il est incapable de déterminer les limitations fonctionnelles du travailleur et finalement de retenir le dernier rapport soit celui d’août 2006 dans lequel, le médecin traitant détermine les limitations fonctionnelles du travailleur.
[51] Le représentant soumet que la CSST aurait dû se sentir liée par ce dernier rapport final. Elle devait ainsi déterminer la capacité du travailleur de refaire son emploi en tenant compte de ces limitations fonctionnelles. Il est aussi d’avis que la Commission des lésions professionnelles peut se prononcer sur la capacité du travailleur de refaire son emploi en tenant compte de ces limitations fonctionnelles étant donné que la décision contestée traite de cette question.
[52] Il estime finalement que compte tenu des tâches décrites par le travailleur et compte tenu de ses limitations fonctionnelles, le travailleur est incapable de refaire son emploi et qu’il a droit, par conséquent, aux prestations prévues par la loi.
[53] Le procureur de l’employeur a soumis, quant à lui, que le travailleur ne peut contester l’opinion de son médecin traitant. Comme le docteur Lagacé a produit un rapport amendé en mars 2005 dans lequel il déterminait que le travailleur ne conservait aucune limitation fonctionnelle à la suite de sa lésion professionnelle, il ne peut modifier cette opinion par la suite.
[54] La CSST était donc liée par ce rapport de mars 2005 et était donc bien fondée à mettre fin aux indemnités de remplacement du revenu du travailleur. Il a soumis des décisions du tribunal au soutien de ses prétentions. Il estime que comme le travailleur ne peut contester l’opinion de son médecin traitant sur les questions médicales liant la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le docteur Lagacé ne pouvait produire un rapport en août 2006. Ce rapport ne lie pas la CSST et la Commission des lésions professionnelles ne doit pas en tenir compte. Il a soumis des décisions[1] du tribunal et de la Cour supérieure, au soutien de ses prétentions.
[55] Il estime que comme le travailleur ne peut contester l’opinion de son médecin traitant, ce dernier ne peut corriger son rapport final, sauf dans des circonstances exceptionnelles qui doivent être précisées. Il est d’avis que les faits du présent cas ne répondent pas aux critères de la jurisprudence, puisque le médecin traitant ne précise pas pourquoi il modifie son opinion. Il demande à la Commission des lésions professionnelles de maintenir la décision contestée.
[56] Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal estime devoir rejeter la requête du travailleur pour les motifs exprimés ci-après.
[57] Les articles 203, 212 et 224 de la loi encadrent les pouvoirs et devoirs du médecin traitant, de même que les obligations de la CSST, en ce qui a trait au rapport final et au rapport d’évaluation médicale qui détermine l’existence ou non de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[58] En vertu de ces dispositions, le médecin traitant a l’obligation de donner son avis sur l’existence ou non d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles. Cette opinion lie la CSST aux fins de rendre sa décision sur les questions légales découlant des sujets médicaux énoncés à l’article 212 de la loi, sauf s’il y a contestation au Bureau d’évaluation médicale.
[59] Seuls l’employeur et la CSST peuvent contester au Bureau d’évaluation médicale, l’opinion du médecin traitant sur ces questions médicales énoncées à l’article 212 de la loi.
[60] Comme la CSST est liée par l’opinion du médecin traitant sur ces questions médicales de l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, on peut se demander si elle devait considérer les rapports amendés produits par le docteur Lagacé.
[61] Le tribunal constate que le rapport d’évaluation médical du docteur Lagacé, du 1er mars 2005, n’était pas clair concernant la reconnaissance ou non de limitations fonctionnelles en lien avec la lésion professionnelle. Devant cette situation, la CSST avait deux choix, soit elle communiquait avec le médecin traitant et lui demandait de préciser son opinion sur l’existence de limitations fonctionnelles en relation avec la lésion professionnelle, soit elle demandait une évaluation médicale en vertu de l’article 204 et par la suite, elle demandait au Bureau d’évaluation médicale de se prononcer sur la question.
[62] La CSST a préféré la première situation. Elle a donc communiqué avec le docteur Lagacé qui, selon les notes évolutives du dossier et selon son rapport modifié du 29 mars 2005, arrivait à la conclusion que le travailleur n’était porteur d’aucune limitation fonctionnelle en lien avec la lésion professionnelle. Le tribunal estime que s’il avait été d’opinion qu’il lui était impossible de déterminer les limitations fonctionnelles du travailleur, il aurait pu l’indiquer à ce moment, ce qui aurait eu pour effet d’obliger la CSST ou l’employeur à aller chercher l’avis du Bureau d’évaluation médicale sur la question des limitations fonctionnelles. Mais, ce n’est pas ce que le docteur Lagacé a fait. Il a effectivement produit son rapport du 29 mars 2005, à l’origine de la décision contestée.
[63] Par la suite, soit en septembre 2005, le docteur Lagacé fait parvenir un autre rapport d’évaluation médicale dans lequel il mentionne qu’il est incapable de déterminer les limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle. Le tribunal retient que le docteur Lagacé ne précise toutefois pas dans ce rapport, ni par la suite, pourquoi il arrive maintenant à cette conclusion alors que quelques mois plus tôt, il était d’opinion contraire. Le tribunal n’a pas retrouvé non plus, dans les notes de consultation du médecin, d’explication relative à ce changement d’opinion.
[64] Par la suite, en août 2006, le travailleur consulte de nouveau le docteur Lagacé afin de faire modifier le rapport d’évaluation médicale. Bien que le médecin indique à ses notes de consultations que le travailleur est en rémission de son cancer de la prostate, il n’explique pas pourquoi il est en mesure maintenant, de déterminer les limitations fonctionnelles comme il le fait, dans ce rapport d’août 2006, qu’il intitule : « AMENDEMENT FINAL ».
[65] Le tribunal partage l’opinion du procureur de l’employeur selon laquelle le travailleur ne peut contester l’opinion de son médecin traitant. Cette conclusion a pour corollaire que le médecin traitant ne peut modifier son rapport final.
[66] Ce principe souffre cependant de certaines exceptions. Ces exceptions sont d’ailleurs illustrées dans certaines des décisions déposées par le procureur de l’employeur. Le commissaire Robert Daniel, dans la décision Lachance[2], effectuait une revue des décisions rendues sur cette question. À partir des cas où la Commission des lésions professionnelles avait accepté de retenir des opinions amendées, il dégageait un principe qui peut servir de guide afin de déterminer dans quelle situation on peut convenir que l’opinion du médecin traitant pouvait être modifiée. Il illustrait ce principe comme suit :
Les circonstances particulières permettant au médecin traitant de modifier son Rapport final sont une erreur matérielle manifeste qui doit être corrigée, ou une évolution exceptionnelle et inattendue de l’état de santé du travailleur qui justifie une modification des conclusions médicales déjà bien établies.
[67] Cette opinion est également partagée par les autres commissaires dans les autres décisions déposées par le procureur de l’employeur.
[68] Le tribunal est aussi d’avis, à la lecture de ces décisions, qu’un autre principe doit guider le tribunal dans l’analyse des conditions donnant ouverture ou non à une modification des limitations fonctionnelles. En effet, il convient que pour reconnaître que le médecin traitant puisse modifier son opinion, il faut que le médecin traitant motive ce changement d’opinion et explique pourquoi il arrive à cette conclusion.
[69] Le tribunal convient finalement, à la lecture d’une décision récente[3] de la commissaire Zigby qu’il peut être approprié de tenir compte de modifications aux limitations fonctionnelles, lorsqu’on peut inférer, des faits propres à ce dossier, que la situation vécue justifie de tenir compte de modifications subséquentes intervenues au dossier, en ce qui concerne les limitations fonctionnelles. Il faut cependant que les faits particuliers soient suffisamment éloquents pour justifier la reconnaissance de telles modifications. Ainsi, il peut arriver que malgré un nouvel avis du médecin traitant quant aux modifications des limitations fonctionnelles, on puisse inférer du dossier qu’il y a lieu de modifier la première opinion du médecin traitant sur le sujet.
[70] Dans la décision précitée, la commissaire a tenu compte de l’inexpérience du médecin traitant quant à la détermination des limitations fonctionnelles pour justifier le fait qu’elle prenne en compte de nouvelles limitations fonctionnelles octroyées par la suite.
[71] En tenant compte de ces principes, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST devait tenir compte du rapport amendé de septembre 2005 et de celui intitulé : « AMENDEMENT FINAL », daté d’août 2006 et ainsi se prononcer à nouveau sur la capacité du travailleur de refaire son travail, compte tenu des limitations fonctionnelles énoncées dans ce dernier rapport.
[72] Le tribunal estime que les circonstances particulières de ce dossier ne correspondent pas à ce que la jurisprudence a qualifié d’une évolution exceptionnelle et inattendue de l’état de santé du travailleur qui justifie une modification des conclusions médicales déjà bien établies.
[73] Le tribunal constate qu’en février 2005, l’oncologue du travailleur suggère des traitements de chimiothérapie tout en indiquant que le travailleur avait une espérance de vie malheureusement limitée.
[74] Le 1er mars 2005, le médecin traitant donne son avis sur les limitations fonctionnelles en indiquant : « Indépendamment de la lésion accidentelle, monsieur est totalement incapable de travailler, et ce, pour une période indéterminée. »
[75] Par la suite, le médecin régional de la CSST communique avec le médecin traitant afin de lui faire préciser les limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle. Ce médecin, selon les notes de cette conversation rapportée par le médecin régional, est d’avis qu’en relation avec la lésion professionnelle, le travailleur ne conserve aucune limitation fonctionnelle. Il accepte même de produire un rapport final modifié reprenant cette conclusion.
[76] Par la suite, en septembre 2005, soit près de six mois après, le médecin traitant modifie de nouveau son rapport final afin d’indiquer qu’il lui est impossible de préciser les limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle, et ce, « En raison de la condition médicale ». Il précise même que « la condition personnelle de monsieur Beaulieu exclue toute possibilité de retour au travail ».
[77] Finalement, en août 2006, le docteur Lagacé produit un rapport d’évaluation médicale amendé qu’il qualifie de final, en indiquant : « Contre toute attente, monsieur Beaulieu est actuellement en rémission d’un adénocarcinome métastatique de la prostate. Il se plaint toutefois de la persistance d’une dorsalgie ». Il émet alors les limitations fonctionnelles énoncées précédemment.
[78] Le tribunal n’a retrouvé aucune autre explication concernant cette modification au rapport d’évaluation médicale, en septembre 2005. Il avait requis du travailleur qu’il produise les notes de consultation du médecin traitant. Dans les documents soumis après l’audience, il n’a pas retrouvé de notes de consultations concernant une visite effectuée par le travailleur en septembre 2005 ni d’explications relatives au rapport amendé produit en septembre 2005. Le tribunal n’a pas retrouvé non plus d’explications relatives à l’amendement final d’août 2006. Le médecin mentionne tout au plus, dans ses notes de consultations d’août 2006 que le travailleur vient le voir afin de réviser le rapport d’évaluation médicale. Le médecin n’explique nullement pourquoi il trouve pertinent de modifier de nouveau le rapport d’évaluation médicale. Il n’explique pas en quoi son opinion du 29 mars 2005 ne tient plus.
[79] Si le médecin traitant avait été d’avis, le 29 mars 2005, qu’il ne pouvait établir les limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle compte tenu de l’évolution du cancer du travailleur, il eut été possible pour lui de réserver son opinion à ce moment, en le mentionnant au médecin régional ou dans son rapport corrigé. En acceptant de produire un rapport d’évaluation médicale du 29 mars 2005 établissant l’absence de limitations fonctionnelles en lien avec la lésion professionnelle, il donnait son avis sur cette question et cet avis produisait des effets. La CSST était donc bien fondée à rendre la décision du 5 avril 2005 comme elle l’a fait.
[80] Le tribunal estime que la CSST n’avait pas à se sentir liée par les rapports de septembre 2005 et d’août 2006 modifiant la détermination des limitations fonctionnelles parce que ces rapports ne comportent pas d’explication du médecin traitant justifiant ce changement d’opinion.
[81] Si son opinion sur la question des limitations fonctionnelles avait changé en raison de la réponse du travailleur aux traitements de chimiothérapie, par exemple, il aurait dû le mentionner. Le tribunal ne peut comprendre ni inférer de ce rapport d’août 2006, les raisons qui ont motivé le médecin traitant à modifier une quatrième fois son opinion.
[82] Bien que le médecin traitant indique que la rémission du cancer du travailleur soit quelque peu étonnante, il ne précise pas si son opinion sur les limitations fonctionnelles qu’il accorde maintenant est en lien avec cette rémission ou si c’est simplement parce que le travailleur lui a demandé de modifier son rapport d’évaluation médicale. Le tribunal ne peut donc arriver à la conclusion que la situation présente correspond à une évolution exceptionnelle et inattendue de l’état de santé du travailleur qui justifie une modification des conclusions médicales déjà bien établies.
[83] Le tribunal ne peut inférer, comme l’a prétendu le représentant du travailleur, du fait que le médecin traitant ait accordé un déficit anatomophysiologique de 2 % au travailleur, que cela devait nécessairement signifier que le travailleur conservait des limitations fonctionnelles. Si telle avait été l’opinion du docteur Lagacé à la fin mars 2005, après la conversation avec le médecin régional, il se serait exprimé dans ce sens, dans son rapport de la fin mars 2005 plutôt que de dire que le travailleur ne conservait aucune limitation fonctionnelle en relation avec la lésion professionnelle.
[84] La mention faite en août 2006 dans le dossier médical du médecin traitant laisse plutôt croire que ce changement d’opinion est basé sur le fait que le travailleur veut que le médecin modifie son avis sur cette question des limitations fonctionnelles.
[85] Le tribunal ne comprend pas pourquoi, le 29 mars 2005, le médecin estimait que le travailleur ne conservait aucune limitation fonctionnelle en lien avec la lésion professionnelle et qu’il arrive à une conclusion différente en septembre 2005 et en août 2006. En l’absence d’explication convaincante pour expliquer ce changement d’opinion, le tribunal estime qu’il ne peut modifier la décision contestée. En effet, en l’absence de limitations fonctionnelles, force est de constater que le travailleur est capable, en raison de la lésion professionnelle, de refaire son emploi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Jean-Guy Beaulieu, le travailleur;
CONFIRME la décision rendue le 20 septembre 2005, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 1er mars 2005. Les indemnités de remplacement du revenu devaient, par conséquent, se terminer à cette date.
|
|
|
Lucie Couture |
|
Commissaire |
|
|
|
|
|
|
Gilles Witty |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
|
|
Me Bernard Cliche |
|
LANGLOIS, KRONSTRÖM & ASS. |
|
Procureur de la partie intéressée |
[1] Gérald Paquette Entrepreneur Électricien & Associés inc. et Gauthier et CSST, C.L.P. 237681-64-0406, 265577-64-0506, 11 mai 2006, J.F. Martel; Lachance et Gestion Loram inc. et CSST, [2004] C.L.P. 1015 , révision rejetée, 214050-64-0308, 240899-64-0408, 20 mai 2005, L. Boucher; Lanciault et Tricots Maxime inc. et CSST, C.L.P. 170601-63-0110, 173935-63-0110, 13 juin 2002, F. Juteau; Larocque et C.L.P.et Épiciers Unis Métro-Richelieu, Super C et CSST, C.S. 550-05-011759-027, j. Pierre Isabelle; McHakke et Qualipak, C.L.P. 277954-61-0512, L. Nadeau, 16 mars 2006
[2] Précitée, note 1
[3] Arcand et Agence de personnel JDL inc. et Agence de personnel Mani-Tout et CSST, 258724-61-0503, 269623-61-0508, 21 juin 2006, M. Zigby
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.