Décision

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3087-4036 Québec inc. (Portes unies St-Michel 1993) c. 4229177 Canada inc.

2015 QCCA 167

 

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

N:

500-09-023620-131

 

(500-22-193384-123)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE :

Le 30 janvier 2015

 

CORAM : LES HONORABLES

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

MANON SAVARD, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

APPELANTE

AVOCAT

 

3087-4036 QUÉBEC INC. (Les Portes Unies St-Michel 1993)

 

 

Me Réjean Kingsbury

(Talbot Kingsbury INC)

 

INTIMÉES

AVOCAT

 

4229177 CANADA INC.

 

CONSTRUCTION SOPRA INC.

 

 

Me MARC-ANDRÉ BERGERON

(Doyon Izzi Nivoix)

 

 

En appel d'un jugement rendu le 1er mai 2013 par l'honorable Henri Richard de la Cour du Québec, chambre civile, district de Montréal.

 

 

NATURE DE L'APPEL :

 
Obligations - action en inopposabilité

 

Greffière d’audience : Marcelle Desmarais

Salle : Antonio-Lamer


 

 

AUDITION

 

 

9 h 30

Suite de l’audition du 27 janvier 2015.

 

Arrêt déposé ce jour - voir page 3.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marcelle Desmarais

Greffière d’audience

 


PAR LA COUR

 

 

ARRÊT

 

 

[1]          L’appelante (ci-après St-Michel) se pourvoit contre un jugement rendu le 1er mai 2013 par la Cour du Québec, district de Montréal (l’honorable Henri Richard), qui rejette son recours visant à faire déclarer inopposable à son égard, parce que frauduleuse, la vente par Construction Sopra inc. (ci-après Sopra) à 4229177 Canada inc. (ci-après 422) d’un condominium[1].

LES FAITS

[2]          La trame factuelle qui sous-tend le présent pourvoi étant correctement relatée par le juge de première instance, la Cour empruntera à ce dernier le récit qu’il en fait :

[4]           Un promoteur immobilier, François Milani, agissant par une compagnie dont il est le seul administrateur, Cortim S.A., entreprend de convertir trois vieux bâtiments industriels en unités de copropriété divise.

[5]           Cette conversion s’effectue en trois phases successives qui donnent naissance à trois projets connus sous les noms de Le Spazio, Le Solstice et Le Sopra.

[6]           Afin de réaliser ces projets de conversion et de construction, François Milani est mis en contact avec Pierre Despatie qui œuvre dans le domaine de l’investissement immobilier.

[7]           Afin de démarrer la première phase du projet en cause, Le Spazio, M. Despatie et sa famille remettent deux chèques au montant total de 600 000 $ datés du 10 octobre 2003 libellés au nom du procureur de Cortim S.A.

[8]           Il est prévu qu’en échange de cet investissement, une compagnie à être formée par M. Despatie et sa famille recevrait 49 % des actions des trois compagnies reliées aux trois projets concernés.

[9]           Ainsi, en avril 2004, M. Despatie forme 422, dont il est administrateur avec son épouse et son fils.

[10]        Il est admis que 422 détient 49 % des actions des trois compagnies créées pour la construction du Spazio, du Solstice et du Sopra. Cependant, M. Despatie n’est pas administrateur ni officier de l’une ou l’autre de ces compagnies.

[11]        De plus, Pierre Despatie devient le directeur des ventes des unités de copropriété de ces trois projets avec un salaire calculé sur une base annuelle.

[12]        MM. Milani et Despatie ne conviennent pas par écrit des termes de leur relation d’affaires. Le tout s’effectue verbalement, en échange de quoi 422 reçoit des actions des trois compagnies reliées aux trois projets de conversion et de construction. Il en est de même quant au partage des profits qui doit être déterminé ultérieurement.

[13]        À la fin de la réalisation du premier projet, Le Spazio, la deuxième phase, Le Solstice, est entreprise. Les ventes vont bon train et M. Despatie témoigne n’avoir aucun doute quant au succès financier de ces projets.

[14]        À l’automne 2004, au moment d’entreprendre la réalisation de la troisième phase, Le Sopra, M. Despatie est requis d’investir 100 000 $ additionnels. Deux chèques de 50 000 $ sont alors émis à la fin septembre et au début octobre 2004.

[15]        Par la suite, bien que les ventes vont bon train, M. Despatie décide de mettre un terme à sa relation d’affaires avec M. Milani. Le 4 avril 2005, intervient une « Entente de remboursement et de finalisation des relations d’affaires » par laquelle Sopra se reconnaît endettée envers M. Despatie d’une somme de 700 000 $ et s’engage à lui rembourser 400 000 $ par le transfert d’une unité de copropriété divise et le solde au plus tard le 30 septembre 2006. En échange, M. Despatie s’engage à remettre et à endosser tout certificat d’actions que 422 détient dans les trois compagnies reliées aux trois projets.

[16]        En juin 2006, 422 reçoit 140 000 $ en remboursement partiel des sommes investies par M. Despatie et sa famille. En août 2006, 422 reçoit 250 000 $ aux mêmes fins.

[17]        Le 24 octobre 2006, par acte de vente sous seing privé, Sopra vend à 422 une unité de copropriété divise dont le montant de la contrepartie est de 400 000 $, aux fins de la détermination des droits de mutation. Aucun prix de vente n’est prévu.

[18]        À cet acte, il est fait référence à quatre hypothèques légales de la construction publiées, de même qu’à deux hypothèques conventionnelles. De plus, l’acte prévoit :

« 23. La présente vente est faite dans le but d’acquitter en partie une dette due par le vendeur (Sopra) à l’acquéreur (422). Le vendeur donne à l’acquéreur quittance totale et finale pour le paiement du prix de vente. »

 

 

[19]        PUSM est un fabricant de portes et le fournisseur pour les trois projets. Un solde de 35 740,99 $ lui est dû par Sopra. Le représentant de PUSM, M. Fabien Tremblay, rencontre M. Milani à la fin juin ou au début juillet 2006 afin d’être payé. Malgré les promesses de M. Milani, il n’entend plus parler de lui.

[20]        Ceci étant, à la fin octobre 2006, PUSM entreprend devant la Cour du Québec des procédures en réclamation du solde de 35 740,99 $ (dossier numéro 500-22-128399-063).

[21]        Sopra conteste cette réclamation et produit une demande reconventionnelle.

[22]        Un mois avant la date prévue pour le procès dans ce dossier, les 5 et 6 décembre 2007, les avocats de Sopra informent ceux de PUSM avoir reçu des instructions de ne pas présenter de défense et de demande reconventionnelle.

[23]        PUSM procède donc par défaut et le 27 décembre 2007, la Cour du Québec condamne Sopra à payer à PUSM 35 740,99 $ avec intérêts et dépens.

[24]        À la suite du jugement rendu en sa faveur, PUSM entreprend les procédures d’exécution et constate l’insolvabilité de Sopra, en plus d’apprendre le transfert à 422 d’une unité de copropriété divise intervenu en octobre 2006, qui fait l’objet de son action en inopposabilité.

                                                                                                          [Renvois omis]

LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

[3]          Appliquant la présomption légale de l'article 1632 C.c.Q., le juge conclut dans un premier temps que le contrat de vente du condominium du 24 octobre 2006 est réputé fait avec l’intention de frauder parce que 422 connaissait l’insolvabilité de Sopra[2].

[4]          À la lumière de l’arrêt rendu par notre Cour dans Banque Nationale du Canada c. S.(S.)[3],le juge statue ensuite que « la connaissance de l’insolvabilité du débiteur par les tiers n’empêche pas ce débiteur de faire la preuve de sa bonne foi »[4] Et, le juge de conclure que 422 est de bonne foi lorsqu’elle acquiert de Sopra ledit condominium. Ses motifs sont les suivants :

[38]        Bien que 422 ait connaissance de l’insolvabilité de Sopra, cet acte est fait « dans le cours ordinaire des affaires », pour reprendre les termes du juge Forget dans Banque Nationale du Canada. Il en est ainsi puisque cet acte fait suite à un investissement réel de 700 000 $ dont une partie est remboursée par chèques en juin et août 2006, alors que le solde est payé par le transfert de l’unité de copropriété divise visée par cet acte.

[39]        PUSM peut reprocher à M. Despatie le manque de diligence dans la gestion de ses affaires et l’absence d’écrit dans ses relations d’affaires avec François Milani et ses compagnies. Cependant, ces reproches n’établissent pas la mauvaise foi de M. Despatie.

[40]        En fait, l’acte attaqué est la dernière étape de la terminaison des relations d’affaires entre 422 et Sopra. Pour reprendre une expression connue dans le monde des affaires, par cet acte, M. Despatie et sa famille reprennent leurs « billes », correspondant à l’investissement initial.

[41]        En conséquence, vu l’absence de preuve de mauvaise foi de la part de 422 et de son président, Pierre Despatie, le Tribunal rejette l’action en inopposabilité de PUSM. Cependant, exerçant sa discrétion judiciaire, le Tribunal n’impose aucuns frais.

ANALYSE

[5]          Mis à part les interrogatoires après défense de M. Pierre Despatie qui ont été déposés devant le juge de première instance avec le consentement des avocats au dossier, Sopra n’a fait aucune preuve en première instance pour repousser la présomption de l’article 1632 C.c.Q. Or, à moins de tourner cet article en dérision, la Cour a énormément de difficulté à cautionner cette façon de procéder. 422 devait renverser la présomption et faire la preuve de sa bonne foi. Elle ne pouvait pas simplement se contenter de plaider que la vente du condominium était la résultante de l’entente de remboursement du 4 août 2005, car rien n’est moins sûr. Voici pourquoi.

[6]          En vertu de cette entente, Sopra se reconnaît endettée envers Pierre Despatie pour la somme de 700 000 $. Le scénario de remboursement envisagé est le suivant : Sopra s’engage à rembourser 400 000 $ à 422 en autorisant le transfert d’un condominium. Quant au solde, il sera remboursé au plus tard le 30 septembre 2006. Or, ce n’est pas de cette façon que Sopra et 422 ont procédé.

[7]          Sopra a tout d’abord remis deux chèques à 422 totalisant 390 000 $. Elle lui a ensuite livré un condominium (incluant le stationnement) évalué en 2007 à 441 000 $. Si on additionne le tout, Sopra a donc remis 831 400 $ à 422 alors qu’elle n’est endettée envers cette dernière que pour 700 000 $. Comme c’est 422 qui a le fardeau de démontrer sa bonne foi, il lui incombait de fournir au juge des explications, les chiffres ne concordant pas.

[8]          Une autre chose aurait dû également préoccuper le juge de première instance. L’entente de remboursement stipulant la vente du condominium intervient le 4 avril 2005. L’acte de vente porte la date du 24 octobre 2006, soit près de 18 mois plus tard. De plus, l’acte de vente, chose rare, n’a été publié que le 9 janvier 2007, et ce, après qu’une notaire, le jour précédent, eût attesté de la validité de cette vente. Étant donné que le recours de St-Michel contre Sopra pour être payée des sommes qui lui sont dues à l’époque a été intenté le 30 octobre 2006, 422 aurait dû être amenée à fournir des explications tant sur le délai entre l’entente de remboursement et la vente que sur celui entre la vente et sa publication, de manière à écarter la possibilité que la date apparaissant à l’acte de vente ait été inscrite par les parties dans le but de faire obstacle au recours entrepris par l'appelante.

[9]          Il appert également que Pierre Despatie, toujours en vertu de ladite entente, devait remettre et endosser les certificats d’actions que 422 détient dans Sopra. Or, il appert du registre du CIDREQ concernant Sopra que 422 était toujours actionnaire de cette dernière en date du 24 avril 2008. Avant de conclure que la vente du condominium est dans la foulée de cette entente, le juge aurait dû, encore une fois, exiger plus d’explications de la part de 422.

[10]       En bref, 422 ne pouvait pas assister passivement au déroulement de l’instance et, le juge, se contenter de référer à l’entente de remboursement pour conclure en la bonne foi de 422. Il y avait trop d’éléments qui méritaient d’être expliqués et qui sont demeurés sans réponse.

[11]       Il importe de rappeler que 422 était bel et bien au courant de l’insolvabilité de Sopra lors de la vente du condominium, laquelle est alors réputée frauduleuse. Le juge ne pouvait donc pas conclure que la présomption de l’article 1632 C.c.Q. a été repoussée et que 422 a établi sa bonne foi en présence d’autant de zones grises.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[12]       ACCUEILLE l’appel;

[13]       DÉCLARE inopposable à l’appelante l’acte de vente conclu entre Construction Sopra inc. et 4229177 Canada inc., le 24 octobre 2006 et publié le 9 janvier 2007 sous le numéro 13 926 156.

[14]       Avec dépens.

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD,     J.C.A.

 

 

 

MANON SAVARD,     J.C.A.

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR,     J.C.A.

 



[1]     3087-4036 Québec inc. (Portes Unies St-Michel 1993) c. 4229177 Canada inc., 2013 QCCA 4349.

[2]     Ibid., paragr. 31-32.

[3]     [2000] R.J.Q. 658.

[4]     Supra, note 1, paragr. 33-35.

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