Composites VCI Matane inc. et Bouffard |
2008 QCCLP 7349 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE QUESTION PRÉALABLE
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[1] Le 10 janvier 2008, l'entreprise Composites VCI Matane inc. (l'employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 5 décembre 2008 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu'elle a initialement rendue le 31 mai 2007 et déclare que monsieur Sébastien Bouffard (le travailleur) a subi une lésion professionnelle le 20 mars 2007, et ce, en regard des diagnostics de psoriasis aggravé et d'intolérance aux produits chimiques.
[3] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Matane le 19 novembre 2008 en présence des parties et de leur représentant.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que monsieur Bouffard n'a pas subi de lésion professionnelle le 20 mars 2007.
QUESTION PRÉALABLE
[5] En raison de l'évolution du diagnostic d'une des lésions subies par monsieur Bouffard, le tribunal a soulevé une question préalable concernant l'application des dispositions particulières aux maladies professionnelles pulmonaires prévues par les articles 226 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
L’AVIS DES MEMBRES
[6] La membre issue des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d'avis que le dossier doit être retourné à la CSST.
[7] Compte que tenu que les diagnostics posés par le docteur Goulet et celui retenu par le docteur Drouin concernent une maladie pulmonaire, ils estiment que la CSST doit diriger monsieur Bouffard à un comité des maladies professionnelles pulmonaires pour qu'il soit évalué conformément aux dispositions des articles 226 et suivants de la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] Aux fins de la présente décision, il convient de rappeler les éléments suivants du dossier.
[9] Le 12 mars 2007, monsieur Bouffard est embauché par l'employeur pour occuper un emploi de journalier au laminage. Son travail l'expose à des produits chimiques liquides ce qui l'oblige à porter un équipement de sécurité.
[10] Le 22 mars 2007, il présente à la CSST une réclamation pour faire reconnaître une maladie professionnelle qui a entraîné un arrêt de travail le 20 mars 2007 à la suite de la manifestation des symptômes suivants :
Au début : mal de tête - et par la suite plus intense avec des toussottements de plus en plus fréquents et intenses avec léger mal de coeur jusqu'au vômissement et légère diarrhée. [sic]
[11] Le docteur Michel Jacques qu'il consulte le 20 mars 2007 pose le diagnostic suivant : « Psoriasis et intolérance aux produits chimiques entraînant vomissement ». Il prescrit un arrêt de travail et recommande l'affectation de monsieur Bouffard à une autre tâche. Ce dernier présentait un léger psoriasis avant cet épisode.
[12] L'employeur affecte monsieur Bouffard à une autre tâche, soit à la découpe, où il est exposé à des poussières solides de produits chimiques. Cette situation l'amène à connaître une seconde réaction encore plus sévère.
[13] Le 31 mai 2007, après avoir entendu les explications de monsieur Bouffard et avoir pris connaissance des fiches techniques des produits chimiques auxquels il était exposé, l'agent d'indemnisation estime que les circonstances dans lesquelles sont apparues les lésions permettent de conclure à la survenance d'un accident du travail. Une décision en ce sens est rendue par la CSST pour les diagnostics de psoriasis aggravé et d'intolérance aux produits chimiques.
[14] L'employeur conteste cette décision et sa demande de révision est rejetée par la CSST le 5 décembre 2007 à la suite d'une révision administrative. La réviseure ne prend en considération que les diagnostics de psoriasis aggravé et d'intolérance aux produits chimiques. Or, ce dernier diagnostic a été modifié par les médecins qui ont examiné monsieur Bouffard après le docteur Jacques.
[15] Le 25 avril 2007, le docteur Claude Lamoureux du Centre hospitalier de Matane s'interroge sur la présence d'un asthme professionnel. Le 29 juin 2007, le docteur Charles Drouin produit un rapport médical « CSST » dans lequel il diagnostique un asthme professionnel probable. Il dirige monsieur Bouffard vers un pneumologue.
[16] Dans une lettre datée du 13 novembre 2008 qui a été déposée à l'audience, le docteur Drouin explique que monsieur Bouffard a été examiné le 5 septembre 2007 par le docteur Steve Goulet, interniste-pneumologue du Centre hospitalier régional de Rimouski. Ce dernier a retenu qu'il pouvait s'agir d'un RADS («Reactive Airways Dysfunction Syndrome ») secondaire à une exposition aux résines d'époxy.
[17] Le docteur Drouin poursuit ses explications comme suit :
[…] Il fut revu en consultation le 30 janvier 2008 et le Dr Goulet nous mentionnait alors que les symptômes s'étaient beaucoup améliorés et qu'il était redevenu asymptomatique du point de vue respiratoire. Les tests de fonction respiratoire, effectués le même jour, sont redevenus normaux et le test de provocation bronchique à l'histamine, était également négatif. À la lecture des rapports de consultation et d'examens, il n'y a pas eu de test de provocation bronchique aux résines d'époxy mais bien à l'histamine; ce qui élimine un asthme sous-jacent. Le Dr Goulet a donc conclu qu'il n'y a pas de séquelle au point de vue respiratoire à son exposition.
Je crois donc, après révision de tout le dossier et des symptômes du patient, que le patient a développé une réaction bronchique secondaire à son exposition à des produits chimiques dans son milieu de travail, mais sans qu'il n'y ait de séquelle respiratoire. Séquelle respiratoire inexistante surtout due au fait que le patient a été retiré de son travail.
[18] Les diagnostics d'asthme, de« Reactive Airways Dysfunction Syndrome » et de réaction bronchique réfèrent tous à des maladies pulmonaires.
[19] Lorsque le travailleur prétend être atteint d'une maladie pulmonaire, les articles 226 et suivants de la loi prévoient qu'il doit être examiné par un comité des maladies professionnelles pulmonaires composé de trois pneumologues et que la CSST est liée par le diagnostic et les autres constatations établies par un comité spécial composé de trois pneumologues qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles (le Comité spécial des présidents). Ces articles se lisent comme suit :
226. Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.
227. Le ministre forme au moins quatre comités des maladies professionnelles pulmonaires qui ont pour fonction de déterminer si un travailleur est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire.
Un comité des maladies professionnelles pulmonaires est composé de trois pneumologues, dont un président qui est professeur agrégé ou titulaire dans une université québécoise.
228. Ces pneumologues sont nommés pour quatre ans par le ministre, à partir d'une liste fournie par l'Ordre des médecins du Québec et après consultation du Conseil consultatif du travail et de la main-d'œuvre.
Ils demeurent en fonction, malgré l'expiration de leur mandat, jusqu'à ce qu'ils soient nommés de nouveau ou remplacés.
229. Dans les 10 jours de la demande de la Commission, un établissement au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2), malgré l'article 19 de cette loi, ou au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5), selon le cas, transmet au président du comité des maladies professionnelles pulmonaires que la Commission lui indique, les radiographies des poumons du travailleur que la Commission réfère à ce comité.
230. Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.
Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.
231. Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.
Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.
Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.
232. Un membre d'un comité des maladies professionnelles pulmonaires ou d'un comité spécial ne peut être poursuivi en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de ses fonctions.
233. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial en vertu du troisième alinéa de l'article 231 .
[20] Compte tenu de l'évolution du diagnostic de la lésion subie par monsieur Bouffard, le dossier doit être renvoyé à la CSST pour que celle-ci le transmette au Comité des maladies professionnelles pulmonaires, conformément à la procédure établie par les articles 226 et suivants de la loi, et qu'elle rende une nouvelle décision sur le bien-fondé de réclamation à partir des conclusions du Comité spécial des présidents.
[21] Le tribunal estime qu'il n'y a pas lieu d'annuler la décision qui fait l'objet du présent litige parce qu'elle demeure en vigueur tant que la CSST n'a pas rendu une nouvelle décision à la suite de l'avis du comité spécial des présidents et parce que le volet « psoriasis » n'est pas affecté par la présente décision.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
RENVOIE le dossier à la CSST pour qu'elle l'achemine au Comité des maladies professionnelles pulmonaires conformément à la procédure prévue aux articles 226 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
CONVOQUERA à nouveau les parties à une audience portant sur la contestation déposée par Composites VCI Matane inc. le 10 janvier 2008 et toute autre contestation qui pourra être déposée à l'encontre de la décision qui sera rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite de l'avis du Comité spécial des présidents.
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Claude-André Ducharme |
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Me Jean-François Dufour |
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Groupe AST inc. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Jean-Michel Delaunais |
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Delaunais, Langlois |
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Représentant de la partie intéressée |
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AVIS :
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