[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 10 juillet 2012 par la Cour supérieure du district de Montréal (l’honorable Louis-Paul Cullen), qui a accueilli la requête en révision judiciaire de l'intimé quant à une décision rendue par une formation de la Commission des relations de travail (2011 QCCRT 0373), a cassé cette décision et a rétabli la décision rendue par le commissaire Michel Denis (2011 QCCRT 0023) rejetant la plainte déposée par l'appelante, contre l'intimé, aux termes de l'article 47.2 du Code du travail;
[2] Pour les motifs de la juge St-Pierre, auxquels souscrit le juge André Rochon, LA COUR :
[3] REJETTE l'appel, mais sans frais dans les circonstances;
[4] De son côté, pour d'autres motifs, la juge Bélanger aurait accueilli l'appel, infirmé le jugement de première instance et rétabli la décision CRT-2, pour ainsi autoriser l’appelante à soumettre sa réclamation à un arbitre.
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MOTIFS DE LA JUGE ST-PIERRE |
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[5] Le Syndicat des Cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301) (le Syndicat) a conclu une lettre d'entente avec l'employeur pour accélérer et faciliter la titularisation dans diverses fonctions. Dans le cadre des négociations ayant mené à la conclusion de cette entente, il a consenti à une demande de l'employeur voulant que certains salariés, dont l'appelante (Beauchesne), ne puissent s'en prévaloir. La clause d'exclusion résultant de cette négociation est au cœur du litige qui oppose les parties.
[6] Malgré la clause d'exclusion, Beauchesne a tenté d'obtenir une titularisation aux termes de la lettre d'entente. L'employeur a refusé sa demande. Beauchesne a voulu que le Syndicat poursuive jusqu'au bout un grief, mais ce dernier a refusé de le faire. Elle a donc entrepris un recours contre lui, pour défaut de représentation, selon l'article 47.2 du Code du travail.
[7] Un premier commissaire de la Commission des relations du travail (CRT) a rejeté le recours de Beauchesne (décision CRT-1).
[8] Une formation de trois commissaires est intervenue sur révision (décision CRT-2), aux termes de l'article 127(3) du Code du travail, d'avis que la décision du premier commissaire était entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider.
[9] Le Syndicat a entrepris un recours en révision judiciaire qui a été accueilli par jugement de la Cour supérieure (l'honorable Louis-Paul Cullen), d'où l'appel.
[10] À mon avis, le juge Cullen (le juge) a eu raison d'intervenir, de casser la décision CRT-2 et de rétablir la décision CRT-1 de sorte que je propose le rejet de l'appel.
[11] Voici pourquoi.
[12] En tout temps pertinent, une convention collective conclue entre le Syndicat et la Ville de Montréal (la Ville) régit les relations de travail des salariés de l'arrondissement Rivière-des-Prairies/Pointe-aux-Trembles (l'Arrondissement).
[13] Le 30 janvier 2009 et le 17 février 2009, à la suite d'assemblées de salariés tenues par le Syndicat, l'Arrondissement et le Syndicat concluent deux lettres d'entente concernant la dotation de certaines fonctions.
[14] L'entente du 30 janvier 2009, une entente ponctuelle, permet de combler un ensemble de postes permanents : en raison du nombre insuffisant de titulaires dans certaines fonctions dans deux divisions, dont la Division de la voirie, la Ville et le Syndicat conviennent d'accélérer le processus de titularisation en réduisant notamment le nombre d'heures de travail nécessaires pour accéder à une fonction supérieure.
[15] Cette entente est conclue « [n]onobstant toute disposition contraire ou inconciliable prévue à la convention collective ». Elle permet notamment « [d]'accorder aux employés titulaires de la Division de la voirie, un choix de fonction équivalente ou supérieure à leur fonction titulaire actuelle et ce, jusqu'à concurrence des besoins identifiés ». En raison de restrictions permanentes ne leur permettant pas d'effectuer une fonction, certains employés nommés, dont Beauchesne, ne sont pas éligibles.
[16] D'autres modalités sont prévues à la lettre d'entente. En voici une liste non exhaustive :
· les besoins seront affichés durant le mois de février 2009;
· le choix des employés se fera « par ordre d'ancienneté générale jusqu'à concurrence des besoins »;
· les employés « devront être aptes à effectuer la fonction qui leur aura été accordée »;
· pour les fonctions de chauffeurs, les employés doivent posséder le permis provincial requis et réussir les examens de la Ville pour toutes les licences exigées par l'employeur (selon la liste insérée à l'entente).
[17] Par l'entente du 17 février 2009, dans le cadre de la négociation locale prévue à l'article 49.2(5) de la Charte de la Ville de Montréal (la Charte de la Ville), le Syndicat et l'Arrondissement conviennent de remplacer l'article 19 de la convention collective (rubrique « Ancienneté »). De façon générale, ils adaptent la clause d'ancienneté à la réalité de l'Arrondissement. Toutefois, dans le cas du facteur déterminant à prendre en compte lorsque deux ou plusieurs employés ont la même date d'ancienneté générale, le Syndicat et l'Arrondissement apportent un changement substantiel en convenant de remplacer la date de naissance par le numéro matricule (ce changement n'est pas pertinent au présent débat). Il convient de reproduire, en tout ou en partie, le texte des clauses 19.07, 19.08 et 19.22 de la Convention collective conclue entre le Syndicat et la Ville de même que celui des clauses 19.07, 19.08 et 19.23 à 19.25 de la lettre d'entente du 17 février 2009.
Extrait de la convention collective
19.07 Pour chaque service central, une liste d'ancienneté des employés est affichée avant le 15 juillet de chaque année. Cette liste contient les informations suivantes : le nom de l'employé, le titre de sa fonction, sa date d'ancienneté générale et sa date d'ancienneté titulaire. L'information est transmise au Syndicat.
19.08 L'employé d'un service central ayant le plus d'ancienneté titulaire a la préférence pour travailler régulièrement dans sa fonction sur l'horaire de son choix. Une fois assigné à l'équipe de son choix, aucune demande de l'employé pour être assigné à une nouvelle équipe ne sera prise en considération avant l'expiration de six (6) mois à compter du dernier choix.
19.22 Au moment de s'inscrire sur la liste d'admissibilité, l'employé d'un service central a la responsabilité de déposer tous les documents démontrant qu'il possède les qualifications requises pour rencontrer les exigences normales de la fonction.
En tout temps, la Ville peut administrer tout genre d'examen. Si l'employé échoue, son nom est retiré de la liste d'admissibilité.
L'employé dont le nom est inscrit sur la liste d'admissibilité pour une fonction doit exécuter ladite fonction lorsque requis.
Extraits de la lettre d'entente du 17 février 2009
19.07 Une liste d'ancienneté des employés de l'Arrondissement est affichée avant le 15 juillet de chaque année. Cette liste contient les informations suivantes : le nom de l'employé, le titre de sa fonction, sa date d'ancienneté générale et sa date d'ancienneté titulaire. L'information est transmise au Syndicat.
19.08 L'employé de l'Arrondissement ayant le plus d'ancienneté titulaire a la préférence pour travailler régulièrement dans sa fonction sur l'horaire de son choix dans sa section en fonction des besoins de l'employeur. Une fois assigné à l'horaire de son choix, aucune demande de l'employé pour être assigné à un nouvel horaire ne sera prise en considération avant l'expiration de l'activité saisonnière. Si l'employé est absent lors du choix d'horaire, il exerce son choix à son retour.
Nonobstant ce qui précède, si des besoins demeurent non comblés sur l'un ou l'autre des horaires en vigueur, l'employé inscrit sur la liste d'admissibilité qui est apte à exécuter la fonction est assigné par ordre inverse d'ancienneté générale. Cet article ne doit pas être interprété comme ayant pour effet de permettre à un titulaire de demeurer sur l'horaire de son choix en surplus des besoins exprimés.
Malgré le premier paragraphe, les choix d'horaire et d'installation pour les employés d'arénas se font par ordre d'ancienneté titulaire lors de la fermeture des installations. L'employé absent, dont le retour est prévisible pour la prochaine réouverture, est contacté afin qu'il exerce ses choix.
19.23 Au moment de s'inscrire sur la liste d'admissibilité, l'employé de l'Arrondissement a la responsabilité de déposer tous les documents démontrant qu'il possède les qualifications requises pour rencontrer les exigences normales de la fonction.
19.24 L'Arrondissement dresse les listes d'admissibilité pour mise en application :
- à la Voirie : aux changements d'horaire (à l'automne pour l'inscription du 1er octobre et au printemps pour celle du 1er mars);
- à l'Horticulture et parcs et aux Sports et loisirs : le 15 octobre (inscription du 1er octobre) et le 1er avril (inscription du 1er mars);
les listes sont valables tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les suivantes. Copies de ces listes sont transmises au Syndicat.
19.25 Lorsque le nom de l'employé de l'arrondissement a été inscrit sur la liste d'admissibilité, il le demeure jusqu'à la prochaine mise à jour, date à laquelle il peut se désister, ou jusqu'à ce qu'il échoue un examen que l'Arrondissement peut administrer en tout temps.
Nonobstant ce qui précède, un employé qui se qualifie pour une fonction après la date d'inscription prévue à l'alinéa 19.22, voit son nom ajouté à ladite liste si celle-ci est épuisée et que des besoins subsistent à l'Arrondissement.
L'employé dont le nom est inscrit sur la liste d'admissibilité pour une fonction doit, à son rang d'ancienneté, exécuter ladite fonction à moins qu'il n'occupe déjà une fonction supérieure à celle requise.
[18] Depuis 1994, Beauchesne est à l'emploi de la Ville. Au moment où surviennent les faits donnant lieu au présent litige, début 2009, elle travaille au sein de la Division de la voirie de l'Arrondissement.
[19] Beauchesne est titulaire à la fonction Préposé aux travaux généraux (114C), mais depuis 2008, malgré la fonction dont elle est titulaire, Beauchesne est généralement assignée dans une fonction supérieure (celle de Chauffeur opérateur d'appareil motorisé « B » (502C)) et elle est rémunérée en conséquence.
[20] En raison des soins qu'elle doit prodiguer à son fils atteint de fibrose kystique, Beauchesne n'est disponible que la semaine, durant le quart de jour. Ainsi, bien que la fonction supérieure 502C comprenne des quarts de soir et de fin de semaine, en plus du quart de jour, Beauchesne ne travaille que de jour et que durant la semaine.
[21] En raison de ses restrictions d'horaire (ne pas effectuer de travail sur les quarts de soir et de fin de semaine), le nom de Beauchesne se trouve sur la liste d'exclusion de l'entente du 30 janvier 2009 négociée entre le Syndicat et l'Arrondissement.
[22] Beauchesne fait malgré tout une demande de titularisation dans une fonction supérieure aux termes de l'entente conclue.
[23] Le 2 mars 2009, elle reçoit une lettre de refus de l'Arrondissement.
[24] Beauchesne demande alors à un premier représentant syndical de déposer un grief : ce dernier lui répond qu'il est impossible de le faire étant donné le contenu de l'entente. Elle réitère sa demande auprès d'un second représentant syndical, avec succès. Un grief est donc déposé en avril 2009, mais il est rapidement abandonné.
[25] Le 9 juin 2009, insatisfaite du Syndicat, Beauchesne dépose une plainte à la Commission des relations de travail (CRT) en vertu de l'article 47.2 du Code du travail.
[26] Le 17 janvier 2011, le commissaire Michel Denis rejette sa plainte (la décision CRT-1)[1].
[27] Se prévalant du recours prévu à l'article 127(3) du Code du travail, Beauchesne demande la révision de la décision CRT-1.
[28] Le 4 août 2011, une formation de trois commissaires accueille sa demande de révision et l'autorise à soumettre sa réclamation à un arbitre (la décision CRT-2).
[29] Le Syndicat se pourvoit en révision judiciaire devant la Cour supérieure. La Ville et l'Arrondissement soutiennent sa démarche.
[30] Le 10 juillet 2012, le juge accueille partiellement la requête en révision judiciaire du Syndicat : il y fait droit dans le cas de Beauchesne alors qu'il rétablit la décision CRT-1 dans ce cas et confirme le rejet de la plainte.
[31] Le 30 juillet 2012, Beauchesne dépose une requête pour permission d'appeler à notre Cour.
[32] Le 13 septembre 2012, la permission d'appel lui est accordée par mon collègue le juge Clément Gascon.
[33] Le mis en cause (Martin) est à l'emploi de la Ville depuis 1987.
[34] En début 2009, Martin est titulaire de la fonction 502C. Toutefois, comme c'est le cas pour Beauchesne, il travaille la majorité du temps dans une fonction supérieure (celle d'Opérateur d'appareils motorisés « A » (540C)) malgré une limitation physique qui l'empêche d'opérer un certain type de souffleuse.
[35] Le nom de Martin se trouve également sur la liste d'exclusion de l'entente du 30 janvier 2009.
[36] Comme Beauchesne, il tente tout de même d'obtenir une titularisation dans une fonction supérieure. Sa demande subit le même sort que celle de Beauchesne.
[37] Le 16 septembre 2009, Martin dépose sa plainte à la CRT.
[38] La plainte de Martin est entendue en même temps que celle de Beauchesne. Dans son jugement du 17 janvier 2011, le commissaire Michel Denis rejette également la plainte de Martin (la décision CRT-1)[2].
[39] Se prévalant du recours prévu à l'article 127(3) du Code du travail, tout comme Beauchesne, Martin demande la révision de la décision CRT-1.
[40] Le 4 août 2011, dans le même jugement que celui qui concerne la demande de Beauchesne, une formation de trois commissaires accueille la demande de révision de Martin et l'autorise à soumettre sa réclamation à un arbitre (la décision CRT-2).
[41] Le Syndicat se pourvoit en révision judiciaire devant la Cour supérieure.
[42] Le 10 juillet 2012, le juge rejette la requête en révision judiciaire du Syndicat dans le cas de Martin, alors qu'il l'accueille dans celui de Beauchesne.
[43] Il n'y a pas eu de demande de permission d'appeler, ni d'appel de cette partie du jugement de la Cour supérieure.
[44] En premier lieu, le commissaire Michel Denis note la nature des recours dont il est saisi : des recours exercés par Beauchesne et Martin, contre le Syndicat, aux termes de l'article 47.2 du Code du travail.
[45] En second lieu, il identifie la nature du reproche que chacun d'eux adresse au Syndicat : avoir convenu avec l'Arrondissement d'une entente les privant de postes supérieurs alors que cette entente déroge à la convention collective, à la Charte de la Ville et à la Charte des droits et libertés de la personne (la Charte québécoise).
[46] Le commissaire reproduit ensuite les articles 45, 49.1, 49.2(5) et 56.1 de la Charte de la Ville ainsi rédigés :
45. La ville est l'employeur de tous ses fonctionnaires et employés, qu'ils exercent leurs fonctions ou exécutent leur prestation de travail dans le cadre des responsabilités qui relèvent de la ville ou de celles qui relèvent d'un conseil d'arrondissement.
Sous réserve de l'article 49.2, la négociation des conditions de travail des fonctionnaires et employés qui sont des salariés au sens du Code du travail (chapitre C-27)... (relève) du conseil de la ville.
...
49.1. Le conseil de la ville définit le plan de classification des fonctions et des traitements qui s'y rattachent ainsi que les règles de dotation utilisées pour combler les emplois et il fixe les conditions et les modalités pour l'identification, la mise en disponibilité et le placement des fonctionnaires et employés permanents qui sont en surplus.
Dans le respect des règles prévues au premier alinéa, la dotation des emplois dans un arrondissement doit se faire en accordant la priorité aux employés de cet arrondissement parmi ceux qui satisfont à ces règles et, le cas échéant, aux dispositions prévues par une convention collective.
49.2. Le conseil d'arrondissement négocie et agrée les stipulations d'une convention collective portant sur les matières suivantes :
...
5° sous réserve des règles établies par le conseil de la ville, le comblement des postes et les mouvements de main-d'œuvre à l'intérieur d'un arrondissement;
...
56.1. Un conseil d'arrondissement et une association accréditée peuvent, en tout temps, négocier et agréer le remplacement, la modification, l'addition ou l'abrogation d'une stipulation de la convention collective portant sur une matière visée à l'article 49.2.
...
[47] Aux paragraphes 5 et 6 de sa décision, il décrit l'entente contestée :
[5] Le syndicat et le conseil d’arrondissement Rivière-des-Prairies — Pointe-aux-Trembles (l’arrondissement) ont négocié deux lettres d’entente (l’entente) visant à accélérer le processus prévu à la convention collective pour pourvoir à de nombreux postes vacants et la titularisation de salariés aux fonctions concernées par ces postes.
[6] Principalement, l’entente diminuait le nombre d’heures requis pour la période d’essai pour devenir titulaire d’une fonction, limitait les candidatures aux salariés de l’arrondissement et établissait une liste de personnes qui, compte tenu de leurs restrictions permanentes, ne pouvaient postuler à des fonctions.
[9] L’entente et la convention collective stipulent que l’ancienneté générale ou titulaire a prévalence dans la mesure où le salarié satisfait aux exigences normales du poste.
[10] La ville considère comme une restriction permanente, l’incapacité continue de l’employé de faire tous les quarts de travail nécessaires à sa fonction.
[11] L’entente et la convention collective prévoient que le choix de l’horaire de travail se fait en respectant l’ancienneté acquise à titre de titulaire dans la fonction. Ce choix d’horaire a lieu deux fois l’an.
[12] La restriction de la plaignante, de ne travailler que de jour pendant la semaine, l’a privée d’être titularisée à une fonction supérieure, ceci pour éviter de brimer les autres salariés ayant plus d’ancienneté à cette fonction quant à leur choix d’horaire, notamment celui de jour.
[13] La ville accommode déjà, dans leurs fonctions respectives, les titulaires qui ont des restrictions. Leur permettre de devenir titulaires d’une fonction supérieure peut entraîner des situations indésirables pour la ville parce qu’ils vont gonfler le nombre de personnes avec restrictions dans cette dernière fonction.
[…]
[18] Le syndicat a, par le passé, contesté le refus de la ville de titulariser une salariée à cause de limitations médicales. L’arbitre Jean Denis Gagnon, dans le Syndicat des Cols bleus regroupés de Montréal c. la Ville de Montréal, décision du 14 septembre 2009, a rejeté ce grief. Le paragraphe 45 de la décision mentionne :
La Direction devait-elle faire davantage? Était-elle tenue de modifier les tâches relevant des chauffeurs (Poste 502-C), en éliminant certaines, afin de permettre à la demanderesse de devenir titulaire de cette fonction? Le soussigné ne saurait endosser un tel point de vue. Parmi les nombreux jugements ou décisions portant sur le devoir d’accommodement, il n’en est aucun à ma connaissance, qui oblige un employeur à modifier toute fonction à laquelle aspire un salarié affecté de limitations pour des raisons médicales, et à le dégager de certaines des tâches qu’elle comporte, afin qu’il puisse y accéder.
[19] Quant à la plaignante, elle est titulaire de la fonction de journalier à l’arrondissement, mais œuvre presque toujours à des fonctions supérieures.
[20] L’état de santé de son enfant nécessite sa présence les soirs et la fin de semaine et la ville lui accorde un horaire respectant cette obligation.
[…]
[27] Le syndicat soutient que les restrictions de la plaignante ne constituent pas un handicap au sens de la Charte des droits et libertés […]
[49] Le commissaire conclut que les plaignants ne se sont pas déchargés de leur fardeau de prouver que le Syndicat n'avait pas assumé son devoir de représentation et il rejette les plaintes.
[50] Il convient de reproduire intégralement ses motifs :
Dérogation de la Charte de la ville
[33] Les articles précités de la Charte de la ville indiquent que l’arrondissement peut négocier avec le syndicat une entente portant sur le comblement des postes et qu’elle peut « agréer le remplacement, la modification, l'addition ou l'abrogation d'une stipulation de la convention collective portant sur une telle matière ».
[34] Conséquemment, les dispositions de l’entente convenue entre l’arrondissement et le syndicat respectent la lettre et l’esprit de la Charte de la ville, notamment quant à l’établissement d’une liste de salariés qui ne pouvaient, étant donné leurs restrictions, postuler pour les postes offerts.
Dérogation à la convention collective
[35] Les plaignants prétendent que cette liste constitue de la discrimination; ils n’en ont, cependant, pas fait la démonstration. La preuve est plutôt au contraire.
[36] En effet, même si l’entente n’avait pas été conclue et que le processus de comblement des postes s’était fait en vertu de la convention collective, ils ne satisfaisaient pas aux exigences normales du poste convoité, quant à l’horaire, pour la plaignante, quant à la capacité de conduire tous les appareils, notamment la souffleuse, pour le plaignant.
[37] La liste, qui a fait l’objet de corrections suivant les informations reçues des employés, apparaît donc comme un moyen de célérité utilisé par l’employeur et le syndicat pour pourvoir aux nombreux postes, ce qui était à l’avantage des salariés.
Dérogation à la Charte des droits et libertés de la personne
[38] La plaignante réclame un accommodement à cause du handicap de son fils. Ce handicap n’est pas le sien et l’accommodement réclamé est plutôt lié à sa situation parentale. Cette situation n’est pas un motif de discrimination interdit par la Charte des droits et libertés comme l’a mentionnée la Cour d’appel dans Syndicat des intervenantes et intervenants de la santé Nord-Est québécois (SIISNEQ) (CSQ) c. Centre de santé et de services sociaux de la Basse-Côte-Nord, 2010 QCCA 497 :
[23] La condition ou la situation parentale, qui n'est pas formellement définie dans la convention collective, ni prévue par la Charte, pourrait l'être très facilement par les termes suivants, c'est-à-dire le fait d'être parent. En soi, ce n'est rien de plus que ce fait. Il ne s'agit ni d'un droit ni d'un état identifié en soi par quelque acte civil que ce soit. Si les enfants s'identifient par référence à leurs parents, dans un acte de naissance formel, tel n'est pas le cas dans le cas de paternité.
...
[25] L'erreur de base du Syndicat est de faire une adéquation de nécessité qui n'existe pas entre congé parental, condition parentale et condition d'état civil. C'est pour cette raison que, à mon avis, et avec égards pour l'opinion contraire, je suis incapable de conclure que le congé parental relève de l'état civil ou qu'il relèverait, comme conséquence nécessaire, de l'état de grossesse, seul prévu expressément comme condition interdite de discrimination en vertu de l'article 10 de la Charte, de caractère limitatif.
...
[27] En droit, il y a lieu de souligner que ni le législateur fédéral, dans la Charte canadienne des droits et libertés, ni le législateur provincial, à l'article 10, n'ont jugé à propos d'ériger la situation parentale, l'état parental et, encore moins, le congé parental au rang de droits fondamentaux bénéficiant de la protection des chartes. Évidemment, les motifs énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés ne sont pas limitatifs. Par ailleurs, comme cette Charte n'a jamais été plaidée devant nous, il me paraît inopportun, n'étant pas saisi d'une telle question, de déterminer, ni même d'émettre quelque opinion que ce soit à ce sujet, si le fait de la « parentalité » pourrait ou non être assimilé à la condition sociale ou à l'état civil en vertu de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, dans des circonstances de discrimination réelle fondée sur un motif de situation parentale.
(Renvois omis.)
[39] De ce fait, la plaignante ne peut invoquer un droit fondé sur la Charte des droits et libertés pour l’accommodement qu’elle réclame pour son horaire de travail.
[40] Quant au plaignant, l’accommodement qu’il recherche apparaît comme une contrainte excessive pour la ville. Elle risque, malgré un nombre de titulaires suffisant dans une fonction, de ne pas pouvoir satisfaire les besoins du service à cause des restrictions de certains et de devoir recourir à des titulaires de fonctions inférieures, alors rémunérés au taux de la fonction supérieure, pour cette satisfaction.
La conduite du syndicat
[41] Le syndicat s’est bien conduit en négociant une entente qui est dans le meilleur intérêt de ses membres, en affichant ladite entente, en tenant des assemblées pour sa ratification et en rencontrant les salariés visés par des restrictions permanentes.
[42] S’il avait accepté l’accommodement pour favoriser le plaignant pour l’obtention du poste d’opérateur d’appareils motorisés “A”, le syndicat aurait fait preuve de discrimination allant à l’encontre de son devoir de représentation. En effet, un autre employé, qui lui satisfait aux exigences du poste, aurait vu sa candidature rejetée.
[43] La conduite adoptée par le syndicat est confortée par la décision précitée de l’arbitre Jean Denis Gagnon[4].
[51] Les trois commissaires décrivent ainsi le litige dont ils sont saisis :
[1] Les requérants demandent la révision de la décision de la Commission rendue le 17 janvier 2011 (2011 QCCRT 0023). Dans cette dernière, la Commission décide que le Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, 301) (le syndicat) n’a pas manqué à son devoir de représentation en vertu des articles 47.2 et suivants du Code du travail, L.R.Q., c. C-27 (le Code) en concluant une entente avec l’Arrondissement de Rivière-des-Prairies - Pointe-aux-Trembles (l’Arrondissement) pour combler des postes permanents.
[2] La demande de révision s’appuie sur le paragraphe 3° du premier alinéa de l’article 127 du Code, selon lequel la Commission peut réviser une décision qu’elle a rendue « lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à l’invalider ».
[52] Cela fait, ils reprennent la trame factuelle du présent litige puis résument les prétentions des requérants quant aux motifs de révision.
[53] Après avoir reproduit l'article 47.2 du Code du travail qui interdit au Syndicat d'agir de façon discriminatoire, les commissaires écrivent :
[37] La Cour suprême, dans l’arrêt Noël c. Société d’énergie de la Baie James, [2001] 2 R.C.S. 207, définit la notion de discrimination :
[49] (…) Ceux-ci comprennent toutes les tentatives de défavoriser un individu ou un groupe sans que le contexte des relations de travail dans l’entreprise ne le justifie. Ainsi, une association ne saurait refuser de traiter le grief d’un salarié ou de le mener de façon différente au motif qu’il n’appartient pas à l’association, ou pour toute autre raison extérieure aux relations de travail avec l’employeur [...].
[52] Mauvaise foi et discrimination impliquent toutes deux un comportement vexatoire de la part du syndicat. L’analyse se concentre alors sur les motifs de l’action syndicale. (…)
[38] Dans Landry c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôtel Dieu du Sacré-Coeur de Jésus de Québec, [1993] T.T. 528, 534 (requête en révision judiciaire rejetée), le juge Morin en donne une définition qui va dans le même sens :
La discrimination se caractérise par le traitement différent. Agir sans discrimination, c’est agir de la même façon pour tous et chacun, ne pas favoriser quelqu’un au détriment d’un autre, ne pas tenir compte de la race, du sexe, des croyances politiques, religieuses, etc.
[39] La notion de discrimination s’intéresse aux motifs de la conduite syndicale. Le syndicat a-t-il favorisé un groupe au détriment d’un autre pour un motif étranger aux relations du travail? L’exercice ne se termine pas là si le salarié se dit victime de discrimination au sens de la Charte dans l’application des conditions de travail qui le régissent, comme en l’espèce.
[40] La Commission a en effet reconnu à maintes reprises que le syndicat ne pouvait se satisfaire de la stricte application d’une disposition de la convention collective à l’endroit d’un salarié affecté dans ses droits fondamentaux. Il a l’obligation de mettre en œuvre le droit à l’égalité que l’on retrouve à l’article 10 de la Charte en envisageant des mesures d’accommodement sous réserve de la contrainte excessive (Roy c. Syndicat de la fonction publique du Québec inc., 2004 QCCRT 0359; Maltais c. Section locale 22 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), 2006 QCCRT 0316 (requête en révision rejetée, 2007 QCCRT 0257); Dumais c. Syndicat des Métallos, section locale 9441, 2011 QCCRT 0228).
[41] Dans ce cas, l’analyse de la conduite syndicale porte sur les démarches du syndicat pour assouplir la disposition de la convention collective à l’égard du salarié qui a démontré prima facie que la disposition a un effet préjudiciable en raison d’un motif de discrimination prévu à la Charte.
[42] Cela étant, le rôle de la Commission n’est cependant pas de substituer son opinion à celle du syndicat sur l’opportunité de conclure et de mettre en œuvre l’entente dans la mesure où il respecte son obligation de juste représentation à l’endroit des requérants et des autres salariés qu’il représente. Il ne lui appartient pas non plus de déterminer si l’employeur pouvait être tenu de composer avec les caractéristiques personnelles des requérants, visées ou non par la Charte, afin qu’ils puissent être promus à la place de l’arbitre de griefs.
[54] Les commissaires procèdent ensuite à l'analyse des motifs retenus dans la décision CRT-1 afin de déterminer s'il s'y trouve un vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider.
[55] En premier lieu, ils identifient ce qu'ils considèrent être des erreurs dans la décision CRT-1 : une première erreur résultant de la conclusion voulant que Beauchesne et Martin ne satisfaisaient pas aux exigences normales des postes et une seconde résultant de celle voulant qu'il n'y ait pas de traitement discriminatoire.
[56] Au sujet de la première erreur (ne pas satisfaire aux exigences normales des postes), les commissaires écrivent, aux paragraphes 50 et 51 de leur décision :
[50] La Commission aurait dû conclure que les qualités exigées pour remplacer un poste permanent en vertu de l'entente ne sont pas les mêmes que celles prévues à la convention collective en ce que les titulaires doivent pouvoir exercer l'ensemble des tâches de la fonction demandée, sans qu'il soit possible d'assouplir cette norme pour ceux qui se trouvent sur la liste en raison de caractéristiques personnelles visées par la Charte. La présence nécessaire de la requérante auprès de son fils le soir, la nuit et les fins de semaine est assimilée à une telle restriction physique permanente dans l'entente.
[51] Finalement, la Commission ne pouvait certes pas conclure que les requérants ne satisfont pas aux exigences normales des postes à combler, sans considérer que les requérants sont aptes à exercer la fonction supérieure selon l’article 19.22 de la convention collective et y sont assignés la plupart du temps selon l’article 19.29 de la même convention. Les contremaîtres attribuent, en effet, les affectations temporaires par ordre d’ancienneté générale selon le même critère d’aptitude que les promotions en vertu de l’article 19.28 de la convention collective, soit « l’employé rencontre les exigences normales du poste pour accomplir le travail requis ».
(Le caractère gras se trouve à l'original.)
[57] Quant à la seconde erreur, les trois commissaires retiennent que les témoignages de représentants syndicaux ne semblent pas avoir été pris en compte, comme il se doit, alors qu'ils révèleraient que le Syndicat a favorisé « les titulaires des fonctions supérieures au détriment des titulaires exclus qui aspirent à ces fonctions en se fondant sur "des attitudes incompatibles avec les droits de la personne" (…) et sans examen sérieux de la situation personnelle des requérants, peu importe que la requérante bénéficie ou non de la protection relative à la discrimination fondée sur l'état civil ou le handicap. » Or, écrivent les commissaires, le Syndicat est tenu à une obligation d'accommodement dont il ne se serait peut-être pas déchargée.
[58] La nature et la portée du devoir d’accommodement du syndicat ne peuvent être fonction de la cause des limitations fonctionnelles ni du contexte dans lequel un salarié veut exercer son droit à l’égalité. Le syndicat a une obligation d’accommodement aussi bien à l’endroit du titulaire de la fonction supérieure menacé de perdre son emploi en raison de limitations fonctionnelles que du requérant qui, en raison de ses limitations fonctionnelles, peut avoir besoin d’un traitement différent, c’est-à-dire de mesures d’accommodement raisonnables, pour exercer son droit d’être promu à la fonction supérieure en toute égalité avec ses collègues de travail.
[58] Les commissaires se demandent ensuite si les erreurs identifiées (commises selon eux par le commissaire Denis - CRT-1) constituent un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision. Ils retiennent que c'est le cas. À ce propos, ils s'expriment ainsi :
[62] En l’espèce, la Commission a erronément conclu que la liste n’est pas discriminatoire en ce que les mêmes règles s’appliquent à tous les salariés en matière de promotion et que les requérants n’y satisfont pas.
[63] Elle ignore une preuve évidente et déterminante selon laquelle les requérants sont aptes à exercer la fonction supérieure et y sont assignés selon les règles prévues à la convention collective, avant comme après le comblement des postes permanents à l’été 2009.
[64] Cette erreur fait en sorte qu’elle ne retient pas la preuve selon laquelle le syndicat a favorisé les titulaires des fonctions à combler au détriment des salariés inscrits sur la liste pour un motif incompatible avec les droits de la personne et sans faire une évaluation sérieuse de leurs droits avant de prendre la décision de consentir à leur inscription sur la liste.
[65] Finalement, en ne décidant pas que l’exigence d’être en mesure d’effectuer l’ensemble des tâches reliées à une fonction sans possibilité de mesures d’accommodement raisonnables avait prima facie un effet discriminatoire à l’endroit du requérant, la Commission n’évalue pas la conduite syndicale en fonction de la suffisance des efforts que le syndicat a déployés pour s’acquitter de son obligation d’accommodement à son endroit.
[66] Les erreurs sur ces questions ont un effet important sur l’issue des plaintes parce qu’elles sont au centre du raisonnement juridique qui amène la Commission à conclure que le syndicat n’a pas manqué à son devoir de représentation. Ces erreurs constituent des vices de fond de nature à invalider une décision.
[59] Finalement, ils concluent que le renvoi à l’arbitrage est le moyen le plus approprié pour permettre à Beauchesne et à Martin de faire valoir leurs droits, de façon efficace, à l’encontre du rejet de leur demande respective de titularisation.
[60] Le juge Cullen expose les faits du litige ainsi que le contenu des décisions CRT-1 et CRT-2.
[61] Il identifie la norme de contrôle applicable : celle de la décision raisonnable.
[62] Aux paragraphes 46 à 50 de son jugement, il énonce les balises de l'exercice auquel il doit se livrer :
[46] Puisque la norme de contrôle de la raisonnabilité s'applique, la Cour supérieure doit faire preuve de retenue envers la décision CRT-2 et se garder d'intervenir si celle-ci est raisonnable, ce qui tient « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
[47] Cela dit, en vertu de l'article 127 C.tr., les commissaires ne pouvaient réviser la décision CRT-1 que si cette dernière comportait un vice de fond de nature à l'invalider.
[48] La jurisprudence précise à cet égard que « l'erreur identifiée » devait « être substantielle au point de rendre invalide la décision sous examen : "it must be more than merely "substantive". It must be serious and fundamental" ».
[49] Dans l'arrêt Tribunal administratif du Québec c. Godin, le juge Fish décrivait le rôle de la formation du Tribunal administratif du Québec siégeant en révision d'une décision d'une première formation du même tribunal, et ce, en vertu d'une disposition dont le libellé pertinent est identique à celui du troisième paragraphe de l'article 127 C. tr. :
[73] For the reasons given, I have concluded that section 154(3) does not empower one TAQ panel to set aside the decision of another TAQ panel merely because the latter took a different view of the facts - or, for that matter, of the law.
[74] Moreover, section 154(3) does not create a right of appeal to the second panel against a finding of fact or of law by the first. It provides, rather, for the revocation or review by the Tribunal of its own earlier decision - not because it took a different though sustainable view of the facts or the law, but because its conclusions rest on an unsustainable finding in either regard.
[50] En somme, la décision CRT-2 ne doit être révisée que si les commissaires ne pouvaient pas raisonnablement conclure que la décision CRT-1 était entachée d'une erreur sérieuse et fondamentale, c'est-à-dire qu'un fondement essentiel de celle-ci était insoutenable au regard des faits ou du droit.
(Références omises.)
[63] Aux paragraphes 53 à 59, il examine la portée du devoir de représentation du Syndicat, plus particulièrement l'interdiction d'agir de manière discriminatoire. Il convient de reproduire ces paragraphes du jugement :
[53] Comme l'indiquent les commissaires dans la décision CRT-2, la Cour suprême du Canada s'est prononcée dans l'arrêt Noël c. Société d'énergie de la Baie James sur la portée du devoir de représentation que la loi impose aux syndicats.
[54] L'article 47.2 C. tr., qui codifie partiellement ce devoir, « interdit quatre types de conduite : la mauvaise foi, la discrimination, le comportement arbitraire et la négligence grave ».
[55] Dans l'arrêt Noël, le juge LeBel signale au nom de la Cour que les comportements discriminatoires « comprennent toutes les tentatives de défavoriser un individu ou un groupe sans que le contexte des relations de travail dans l'entreprise ne le justifie ».
[56] Puisque la discrimination interdite en vertu de l'article 47.2 C.tr. implique un comportement vexatoire, l'analyse se concentre sur les motifs de l'action syndicale et tient compte de plusieurs facteurs dont l'importance de l'enjeu pour le salarié, les chances de succès de ses prétentions et le traitement par le syndicat de celles-ci. L'intensité du devoir de représentation varie ainsi selon les circonstances.
[57] Cela dit, l'évaluation de la conduite du syndicat s'effectue à la lumière d'un facteur additionnel que le juge LeBel qualifie d'« important », à savoir les intérêts concurrents des autres salariés dans l'unité de négociation :
55 Les intérêts concurrents des autres salariés dans l’unité de négociation constituent un facteur important dans l’évaluation de la conduite syndicale. Cet élément reflète la nature collective des relations de travail, y compris dans l’administration de la convention collective. Les intérêts de l’ensemble de l’unité pourront justifier des comportements du syndicat par ailleurs désavantageux pour certains salariés en particulier. Un syndicat peut décider de faire des concessions ou de développer une politique d’application de la convention pour ne pas nuire à d’autres salariés ou pour maintenir de bonnes relations avec l’employeur en vue de négociations futures. (référence omise.)
(Le Tribunal souligne.)
[58] Dans l'arrêt Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP) c. Gauvin, la juge Dutil rappelle que lorsque la Commission est saisie d'une plainte contre un syndicat en vertu de l'article 47.2 C.tr., cette dernière doit « exercer sa compétence en considérant que celui-ci possède un pouvoir discrétionnaire dans l'exercice de son rôle de porter ou non un grief à l'arbitrage. Ce n'est que si le syndicat a agi de mauvaise foi, de manière arbitraire ou discriminatoire ou encore qu'il a fait preuve de négligence grave que la CRT peut intervenir ».
[59] Bref, les tribunaux font preuve de retenue lors de l'examen de la conduite d'un syndicat dans le cadre d'une analyse en vertu de l'article 47.2 C.tr.
(Références omises.)
[64] Cela dit, dans l'hypothèse où un dossier révèle qu'un syndicat « participe à la formulation d'une condition de travail discriminatoire en violation de la Charte québécoise », le juge rappelle que les tribunaux ne doivent faire preuve d'aucune retenue.
[65] Par la suite, le juge analyse la situation particulière de Beauchesne (aux paragraphes 62 à 73 de son jugement), puis celle de Martin (aux paragraphes 74 à 86 de son jugement).
[66] Le juge reconnaît que les ententes établissent une disparité de traitement entre les employés, mais il note que CRT-1 « a conclu que cette distinction était justifiée en raison de l'indisponibilité occasionnelle de madame Beauchesne, motif relié aux relations de travail. »
[67] Selon le juge, cette conclusion trouve appui dans la preuve et elle est compatible avec les termes de la convention collective pertinente. Conséquemment, l'exclusion de Beauchesne ne constitue pas de la discrimination en vertu du Code du travail.
[68] Le juge rappelle que les commissaires signataires de la décision CRT-2 sont intervenus dans le cas de Beauchesne au motif que le commissaire Denis (CRT-1) avait erronément omis de retenir la preuve voulant que le Syndicat ait favorisé des employés au détriment de Beauchesne pour un motif incompatible avec les droits de la personne.
[69] Or, dit le juge, ce motif d'intervention est insoutenable car l'exclusion de Beauchesne n'est pas discriminatoire en vertu de la Charte québécoise.
[70] Le juge ajoute que les commissaires signataires de CRT-2 confondent l'aptitude à l'assignation et l'aptitude à la titularisation. À ce propos, il écrit au paragraphe 72 du jugement :
[72] La première, soit l'aptitude à exécuter une partie des tâches reliées à une fonction ou à exécuter toutes les tâches mais seulement pendant une partie de l'horaire de travail normal n'établit pas nécessairement la seconde, soit l'aptitude à exécuter toutes les tâches reliées à la fonction durant la totalité de l'horaire.
[71] Bref, dans le cas de Beauchesne, il était déraisonnable pour CRT-2 de conclure à un vice de fond de nature à invalider la décision CRT-1. Le juge accueille la requête en révision judiciaire et rétablit la décision CRT-1.
[72] Le juge enchaîne avec l'examen du cas de Martin.
[73] Dans ce cas, il note que le commissaire Denis (CRT-1) « a conclu implicitement à une disparité de traitement pour un motif que la Charte québécoise interdit (le handicap) » et que les commissaires signataires de la décision CRT-2 lui reprochent de ne pas avoir évalué la conduite du Syndicat en fonction de l'obligation d'accommodement dont il est alors redevable.
[74] Notant que le commissaire Denis (CRT-1) n'avait pas vraisemblablement procédé à cette analyse, le juge conclut que les commissaires signataires de la décision CRT-2 pouvaient raisonnablement retenir que la décision CRT-1 était entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider et intervenir.
[75] Ainsi, dans le cas de Martin, le juge rejette la requête en révision judiciaire.
[76] À son mémoire, aux fins de décider de son appel, Beauchesne propose l'examen des quatre questions suivantes :
A) Le tribunal de première instance est-il bien fondé à soutenir que la décision (CRT-2) est à la fois raisonnable et déraisonnable?
B) Le tribunal de première instance est-il bien fondé à conclure que l’intimé n’a pas violé son obligation de juste représentation à l’égard de l’Appelante?
C) L’Appelante bénéficie-t-elle du droit à l’égalité prévu à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne ou à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?
D) L’entente conclue entre l’intimé et l’employeur est-elle invalide car contraire à la Charte de la Ville de Montréal?
[77] Je conviens que les réponses à certaines de ces questions peuvent être utiles et pertinentes à l'analyse de l'affaire, mais ce ne sont pas celles auxquelles il nous faut répondre pour résoudre le débat.
[78] À mon avis, les deux questions qui se posent sont celles-ci :
Première question : Le juge a-t-il correctement identifié la norme de contrôle applicable?
Deuxième question : Dans l'hypothèse où le juge identifie correctement la norme de contrôle, qu'en est-il de son application aux faits du cas Beauchesne?
[79] Toutes les parties proposent la norme de la décision raisonnable et le juge la retient. Je partage leur avis.
[80] Cela étant, que fallait-il que le juge vérifie ou qu'il analyse sous cette norme?
[81] Le juge était saisi d'une demande de révision judiciaire à l'encontre d'une décision de la CRT (CRT-2) comportant révision d'une décision préalable (CRT-1) à la suite d'un recours exercé aux termes de l'article 127(3) du Code du travail.
[82] Cet article est ainsi rédigé :
127. La Commission peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
(…)
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à l'invalider.
Dans le cas visé au paragraphe 3° du premier alinéa, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu. Une telle décision, un tel ordre ou une telle ordonnance ne peut être révisé ou révoqué que par une formation de trois commissaires, dont au moins un est avocat ou notaire et la préside.
[83] Le juge devait donc examiner une décision rendue par une formation de trois commissaires qui n'étaient saisis ni d'un appel[6], ni d'un procès de novo, ni d'une reprise complète des débats, ni d'une occasion de substituer leur opinion à celle du décideur précédent[7]. L'exercice portait sur la décision d'une formation (CRT-2) qui ne pouvait intervenir qu'en présence d'un vice de fond ou de forme de nature à invalider[8] la décision antérieure (CRT-1).
[84] En présence d'une intervention de la formation, le juge devait se demander si cette intervention était raisonnable ou déraisonnable. Il ne pouvait intervenir qu'après avoir conclu au caractère déraisonnable de l'intervention de la formation. En d'autres mots, il devait vérifier s'il était déraisonnable pour cette formation de conclure que la décision CRT-1 était entachée d'un vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider.
[85] À la lecture du paragraphe 50 de son jugement, je constate que le juge a bien compris l'exercice auquel il devait se livrer :
[50] En somme, la décision CRT-2 ne doit être révisée que si les commissaires ne pouvaient pas raisonnablement conclure que la décision CRT-1 était entachée d'une erreur sérieuse et fondamentale, c'est-à-dire qu'un fondement essentiel de celle-ci était insoutenable au regard des faits ou du droit.
(Référence omise.)
[86] Beauchesne affirme que le juge n'a pas correctement appliqué la norme de contrôle identifiée. Au soutien de cette position, elle propose quatre moyens que j'énonce dans un ordre différent du sien pour la logique de mes propos portant sur la discrimination en vertu des chartes ou du droit du travail.
[87] Premier moyen : Beauchesne affirme que l'analyse du juge le conduit à un résultat incongru : qualifier une même décision de raisonnable dans un cas (celui de Martin) et de déraisonnable dans l'autre (le sien). À son avis, un tel résultat découle des erreurs qu'il commet en substituant son interprétation de la preuve à celle des commissionnaires dans CRT-2, en ajoutant à la convention collective, en considérant que l'aptitude à l'assignation et l'aptitude à la titularisation sont deux réalités distinctes et en affirmant que sa titularisation aurait pour effet de brimer des salariés ayant plus d'ancienneté qu'elle.
[88] Deuxième moyen : les chartes québécoise et canadienne sont pertinentes puisque ses contraintes d'horaire de travail découlent directement et exclusivement de ses obligations parentales à l'endroit de son fils. Selon Beauchesne, trois motifs de discrimination prévus à l'article 10 de la Charte québécoise s'appliquent (l'état civil, le handicap et le moyen pour pallier un handicap); il en est de même de l'article 15 de la Charte canadienne, alors que son employeur est une municipalité, puisque la situation familiale ou l'état de parentalité constitue un motif analogue au sens de cet article.
[89] Troisième moyen : Beauchesne soutient que le Syndicat n'a pas agi dans l'intérêt collectif, ce que le contenu des témoignages des représentants syndicaux démontrerait clairement. À tout événement, s'il fallait conclure autrement, Beauchesne argue que le Syndicat a tout de même violé son devoir de représentation à son égard, aux termes de l'article 47.2 du Code du travail, puisqu'il a omis d'examiner sa situation personnelle.
[90] Quatrième moyen : citant les articles 49.1, 49.2(5) et 57 de la Charte de la Ville, Beauchesne soutient que l'entente y est contraire et est donc ultra vires.
[91] Malgré le respect et l'empathie que mérite Beauchesne, je suis d'avis que ces moyens sont mal fondés et qu'ils doivent être rejetés.
[92] Beauchesne a tort de soutenir que le résultat différent retenu par le juge dans son cas et dans celui de Martin (résultat qu'elle qualifie d'incongru) fait preuve, en lui-même, que le juge commet une ou plusieurs erreurs.
[93] Alors que et puisque les situations factuelle et juridique sont différentes dans l'un et l'autre cas, malgré certaines similitudes, sa plainte et celle de Martin ont été décidées par les mêmes personnes, au sein d'une même décision (CRT-1, CRT-2 ou jugement du juge, selon le cas), mais indépendamment l'une de l'autre dans tous les cas. Ainsi, en lui-même, un résultat différent n'est ni choquant ni importun. L'impact de la Charte québécoise, applicable dans un cas, mais pas dans l'autre est source de différence.
[94] Pour déterminer s'il était raisonnable ou déraisonnable pour la formation de trois commissaires (CRT-2) d'intervenir à l'égard de la décision du premier commissaire (CRT-1) dans le cas de Beauchesne, le juge devait analyser les constats factuels du premier commissaire. En effet, à moins de pointer une erreur de fait manifeste et déterminante du premier commissaire, la formation de trois commissaires ne pouvait réévaluer les faits dans l'exercice du pouvoir de révision prévu à l'article 127(3) du Code du travail. Ainsi, en procédant à une analyse de la situation de Beauchesne depuis les faits retenus par le premier commissaire, qu'il compare au contenu de la preuve administrée et aux erreurs prétendument identifiées dans la décision CRT-2, le juge ne substitue pas son interprétation des faits à celle de la formation signataire de la décision CRT-2. Ce reproche de Beauchesne est aussi mal fondé.
[95] En distinguant l'aptitude à l'assignation de l'aptitude à la titularisation, le juge n'ajoute pas à la convention collective puisque cette distinction en est partie intégrante, implicitement à tout le moins :
· L'assignation et la titularisation comportent des conséquences distinctes;
· La titularisation impacte directement le choix des horaires, ce qui n'est pas le cas de la simple assignation;
· La titularisation recherchée par Beauchesne l'était à l'égard d'une fonction comportant trois quarts de travail - de jour, de soir et de fin de semaine;
· Le processus de choix des horaires est prévu, de façon explicite et détaillée, à la convention collective;
· Ce processus de choix des horaires repose essentiellement sur l'ancienneté, notamment l'ancienneté titulaire;
· La convention prévoit nommément qu'un employé doit être en mesure d'exécuter la fonction lorsque requis (sur l'un ou l'autre des quarts de travail, le cas échéant).
[96] Finalement, le juge ne commet pas d'erreur lorsqu'il conclut, au paragraphe 66 du jugement, que la preuve soutient l'affirmation du premier commissaire (CRT-1) voulant que la titularisation de Beauchesne dans la fonction recherchée soit de nature à brimer d'autres employés. Tenant compte des dispositions de la convention collective portant sur le processus de choix d'horaire, et comme le révèle notamment le contenu du contre-interrogatoire du représentant syndical Claude Lamarche effectué par le procureur de Beauchesne, il s'agit d'une conséquence à envisager en raison de sa titularisation et effectivement susceptible de se matérialiser.
[97] Beauchesne affirme que les chartes québécoise et canadienne s'appliquent en l'espèce. À mon avis, ce n'est pas le cas.
[98] Aucune des trois instances (CRT-1, CRT-2 et le juge) n'a d'ailleurs affirmé devoir appliquer l'une ou l'autre des chartes à la situation de Beauchesne ou devoir retenir, dans son cas, l'un ou l'autre des motifs de discrimination y énoncés.
[99] Dans ses relations avec ses membres, le Syndicat est assujetti à la Charte québécoise, mais pas à la Charte canadienne.
[100] Aux termes de la Charte québécoise, il n'y a de discrimination qu'en présence d'une distinction, exclusion ou préférence résultant de l'un ou l'autre des motifs énoncés à l'article 10. Beauchesne en propose trois (état civil, handicap et moyen pour pallier au handicap), mais aucun d'eux ne s'applique.
[101] Beauchesne propose que sa situation familiale est incluse dans le motif « état civil ». Elle prend appui notamment sur trois décisions du Tribunal des droits de la personne[9] où le fait d'être parent a permis de conclure à de la discrimination fondée sur l'état civil. Dans ces trois cas, un service avait été refusé au plaignant parce qu'il était parent, parce qu'il avait de jeunes enfants. Ces décisions ne s'appliquent pas en l'espèce, car Beauchesne n'a pas été exclue parce qu'elle est parent (parce qu'elle a un fils), mais en raison de sa non-disponibilité à occuper la fonction sur tous les quarts de travail.
[102] Les propos suivants de notre Cour, dans l'un de ses arrêts de 2010, s'appliquent en l'espèce en y faisant les adaptations qui s'imposent :
[25] L'erreur de base du Syndicat est de faire une adéquation de nécessité qui n'existe pas entre congé parental, condition parentale et condition d'état civil. C'est pour cette raison que, à mon avis, et avec égards pour l'opinion contraire, je suis incapable de conclure que le congé parental relève de l'état civil ou qu'il relèverait, comme conséquence nécessaire, de l'état de grossesse, seul prévu expressément comme condition interdite de discrimination en vertu de l'article 10 de la Charte, de caractère limitatif.
[26] Je suis effectivement incapable de voir comment les inconvénients susceptibles de découler d'un congé parental, au niveau de la rémunération, pourraient constituer une discrimination par effet préjudiciable pour un des motifs interdits par cet article 10, lequel énonce :
[…]
[27] En droit, il y a lieu de souligner que ni le législateur fédéral, dans la Charte canadienne des droits et libertés, ni le législateur provincial, à l'article 10, n'ont jugé à propos d'ériger la situation parentale, l'état parental et, encore moins, le congé parental au rang de droits fondamentaux bénéficiant de la protection des chartes. […]
(Référence omise, soulignage ajouté.)
[103] Beauchesne n'est pas handicapée et elle ne fait pas usage d'un moyen pour pallier un handicap. C'est son fils qui est handicapé et pour qui sa présence représente un moyen de pallier. Or, comme le plaide le Syndicat et dans l'état actuel des choses, la Charte québécoise ne permet pas à une personne d'invoquer pour elle-même le handicap d'une autre ou le fait d'être le moyen utilisé par cette autre personne, le cas échéant, pour pallier son handicap.
[104] Il n'est pas requis de décider l'argument du motif analogue au sens de l'article 15 de la Charte canadienne, car elle ne s'applique pas au Syndicat en l'espèce[10]. Le présent litige ne met pas en cause le comportement de la Ville ou de l'Arrondissement ni leur relation avec le Syndicat : il concerne exclusivement la relation du Syndicat et de l'un de ses membres (Beauchesne) aux termes de l'article 47.2 du Code du travail. Seul le refus du Syndicat de porter le grief de Beauchesne à l'arbitrage est en cause et non pas des moyens liés à l'examen du grief lui-même, le cas échéant. Ni le premier commissaire, ni la formation de trois commissaires, ni le juge n'avaient à se prononcer sur le grief, seul l'examen du comportement du Syndicat à l'égard de Beauchesne était en cause.
[105] Ainsi, comme l'a retenu le juge, il était déraisonnable pour la formation de trois commissaires (CRT-2) d'intervenir à l'égard de la décision du premier (CRT-1) au motif que le Syndicat « a favorisé les titulaires des fonctions à combler au détriment des salariés inscrits sur la liste pour un motif incompatible avec les droits de la personne ».
[106] Beauchesne affirme que le Syndicat a manqué à son devoir de représentation aux termes de l'article 47.2 du Code du travail puisqu'il n'a pas recherché l'intérêt collectif et qu'il a agi de manière discriminatoire à son égard. Elle lui reproche notamment de ne pas avoir tenu compte de sa situation particulière.
[107] Je ne partage pas ce point de vue.
[108] À mon avis, la preuve établit que le Syndicat a agi dans l'intérêt collectif et sans faire preuve de discrimination à l'égard de Beauchesne malgré qu'il ait accepté d'inscrire son nom sur la liste d'exclusion prévue à l'entente conclue.
[109] Cet élément est retenu par le premier commissaire, il trouve appui dans la preuve et il ne pouvait raisonnablement donner prise à une conclusion voulant que, pour cette raison, sa décision soit entachée d'un vice de fond aux termes de l'article 127(3) du Code du travail.
[110] Au sujet du devoir de juste représentation d'un syndicat à l'égard de ses membres, je rappelle les propos suivants du juge Chouinard, souvent cités et toujours pertinents malgré la codification de ce devoir depuis qu'ils ont été énoncés :
1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.
2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.
3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.
4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.
5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.[11]
[111] L'article 47.2 du Code du travail, fondement juridique de la plainte de Beauchesne donnant lieu aux décisions en litige (CRT-1, CRT-2 et le jugement dont appel), est ainsi rédigé[12] :
47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l'endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu'elle représente, peu importe qu'ils soient ses membres ou non.
[112] L'arrêt Noël[13] en a précisé les contours. Quatre types de comportement susceptibles de donner lieu à un manquement à ce devoir y sont décrits : agir de mauvaise foi, agir de manière arbitraire, agir de manière discriminatoire ou faire preuve de négligence grave.
[113] Au présent dossier, il n'est pas question de mauvaise foi, d'agir arbitraire ou de négligence grave. Beauchesne reproche un agir discriminatoire.
[114] Comme je l'ai souligné précédemment, les faits ne sont visés par aucun des motifs de discrimination prévus à l'article 10 de la Charte québécoise et la Charte canadienne ne s'applique pas.
[115] Cela dit, comme le concept de discrimination au sens du Code du travail est plus large que celui énoncé à la Charte québécoise ou à la Charte canadienne des droits[14], je poursuis l'analyse, mais en ce sens uniquement.
[116] Aux fins de l'article 47.2 du Code du travail, une disparité de traitement non justifiée par le contexte de la représentation syndicale et, plus largement, par les relations du travail, peut constituer de la discrimination. À ce propos, le juge LeBel écrit dans Noël :
[49] La loi interdit aussi les comportements discriminatoires. Ceux-ci comprennent toutes les tentatives de défavoriser un individu ou un groupe sans que le contexte des relations de travail dans l’entreprise ne le justifie. Ainsi, une association ne saurait refuser de traiter le grief d’un salarié ou de le mener de façon différente au motif qu’il n’appartient pas à l’association, ou pour toute autre raison extérieure aux relations de travail avec l’employeur.[15]
[117] Beauchesne se plaint de ne pouvoir rechercher une titularisation selon les conditions agréées à l'entente du 30 janvier, moins contraignantes que celles prévues à la convention collective, et du fait que son grief n'ait pas été poursuivi jusqu'au bout.
[118] Le refus du Syndicat de déposer un grief ou sa décision subséquente d'y mettre fin par entente avec l'employeur, une fois un grief déposé, découle directement, nécessairement et exclusivement de l'entente du 30 janvier 2009 : ainsi, le contexte de la négociation et de la conclusion de cette entente est pertinent alors que le devoir de juste représentation s'y applique également.
[119] Il y a lieu de faire preuve d'une grande retenue à l'égard de la discrétion exercée par un syndicat dans l'analyse de son obligation de juste représentation à l'étape de la négociation d'une convention collective ou d'une lettre d'entente collective y relative.
Si la jurisprudence reconnaît une certaine discrétion syndicale dans la décision de formuler ou non un grief et de le porter ou non à l'arbitrage, cette discrétion est encore plus grande lorsqu'il s'agit d'analyser l'obligation de représentation à l'étape de la négociation d'une convention collective.[16]
(Référence omise.)
[120] Beauchesne soutient que le Syndicat n'a pas recherché l'intérêt collectif. Elle affirme qu'il aurait favorisé l'intérêt de certains membres au détriment de celui des autres.
[121] Je ne partage pas ce point de vue.
[122] Les salariés membres d'un syndicat n'ont pas toujours le même intérêt. Représenter un ensemble de membres requiert souvent la prise en compte d'intérêts divergents[17]. Comme l'écrit le juge LeBel dans l'affaire Noël « [l]es intérêts de l’ensemble de l’unité pourront justifier des comportements du syndicat par ailleurs désavantageux pour certains salariés en particulier » alors qu'« un syndicat peut décider de faire des concessions ou de développer une politique d’application de la convention pour ne pas nuire à d’autres salariés ou pour maintenir de bonnes relations avec l’employeur en vue de négociations futures.[18] »
[123] Pour résoudre un différend ou faire avancer la cause commune des salariés représentés, un syndicat peut devoir faire des choix. Comme l'écrit la Cour suprême dans l'arrêt Gendron, « [l]orsque les employés ont des intérêts opposés, le syndicat peut choisir de défendre un ensemble d'intérêts au détriment d'un autre pourvu que sa décision ne découle pas des motifs irréguliers et pourvu qu'il examine tous les facteurs pertinents. »[19].
[124] Le Syndicat devait s'assurer qu'il existait un certain équilibre entre le préjudice subi par certains salariés et les effets bénéfiques obtenus pour l'ensemble des salariés représentés[20].
[125] À mon avis, dans le cas de Beauchesne, et comme l'a décidé le premier commissaire, la preuve révèle que le Syndicat a fait tout ce qui précède et qu'il a agi dans l'intérêt collectif.
[126] Au présent dossier, il n'est pas question de favoritisme, d'intention de nuire, de comportement malicieux, frauduleux, malveillant ou hostile.
[127] L'entente du 30 janvier comporte une différence de traitement à l'égard de certains salariés, dont Beauchesne, mais elle comporte d'importants effets bénéfiques pour l'ensemble des membres du Syndicat.
[128] Contrairement à ce qu'affirme Beauchesne, le Syndicat a analysé chacune des situations. Pour conclure l'entente du 30 janvier 2009 permettant la titularisation accélérée de nombreux employés dans des fonctions supérieures, notamment, mais pas exclusivement à la Division de la Voirie, il lui a fallu faire certains compromis. Rien ne permet de conclure qu'il a exercé sa discrétion, à ce propos, de manière capricieuse, arbitraire ou discriminatoire.
[129] Cet argument a été explicitement rejeté par le premier commissaire (CRT-1) et la formation de trois commissaires n'a pas retenu qu'il s'agissait d'un vice de fond de nature à invalider la décision. Le juge n'en a pas traité et, dans le contexte du recours en révision judiciaire entrepris, il n'avait pas à le faire.
[130] Le point en litige devant toutes les instances n'était pas celui de la validité de l'entente négociée. Ce qui était en débat, c'était le respect ou non par le Syndicat de son devoir de représentation à l'égard de certains salariés.
[131] Ainsi, compte tenu des conclusions auxquelles j'en arrive à l'égard des trois moyens qui précèdent, alors que le fondement de la plainte de Beauchesne était un agir discriminatoire de la part du Syndicat, il ne me paraît pas utile de discuter plus longuement de ce quatrième moyen.
[132] Je propose donc de rejeter l'appel, mais sans frais dans les circonstances.
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MARIE ST-PIERRE, J.C.A. |
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MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER |
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[133] Le juge ne devait intervenir à l'égard de CRT-2 que si cette décision était déraisonnable. Or, bien qu'il ait identifié la bonne norme de contrôle, je suis d'avis que le juge a simplement substitué son opinion à celle de CRT-2, sans véritablement expliquer en quoi cette décision est déraisonnable. Son raisonnement, que l'on retrouve aux paragraphes 63 à 72 de son jugement, nous indique qu'il a plutôt effectué un choix entre le raisonnement de CRT-2 et celui de CRT-1 et qu'il a décidé d’adhérer à ce dernier, en ce qui concerne le cas de l'appelante.
[134] D'entrée de jeu, la Commission des relations du Travail (CRT) peut réviser l'une de ses décisions lorsqu'un vice de fond est de nature à l'invalider. Dans un tel cas, la première décision, généralement rendue par un seul commissaire, peut être révisée par une formation de trois commissaires[21], ce qui a été le cas ici. Il en découle qu'une grande déférence doit être accordée à CRT-2 dans son examen de ce qui constitue ou non un vice de fond, vu le caractère spécialisé des questions qui lui sont soumises et sa compétence exclusive pour en décider.
[135] CRT-2 a décidé que CRT-1 a erronément conclu que la liste annexée à l'entente et excluant nommément certaines personnes du bénéfice de celle-ci n'est pas discriminatoire et qu’elle a ignoré une preuve évidente et déterminante : l'appelante est apte à exercer la fonction supérieure et elle y est assignée selon les règles prévues à la convention collective, tant avant qu'après l'entente.
[136] CRT-2 retient que de cette erreur en découle une autre : CRT-1 n’a pas retenu la preuve démontrant que le syndicat a favorisé certains salariés pour un motif incompatible avec les droits de la personne, sans avoir fait une évaluation sérieuse des droits des gens exclus de l'entente. De plus et en conséquence, elle n'a pas évalué la conduite syndicale en fonction de la suffisance des efforts déployés par le syndicat :
[62] En l’espèce, la Commission a erronément conclu que la liste n’est pas discriminatoire en ce que les mêmes règles s’appliquent à tous les salariés en matière de promotion et que les requérants n’y satisfont pas.
[63] Elle ignore une preuve évidente et déterminante selon laquelle les requérants sont aptes à exercer la fonction supérieure et y sont assignés selon les règles prévues à la convention collective, avant comme après le comblement des postes permanents à l’été 2009.
[64] Cette erreur fait en sorte qu’elle ne retient pas la preuve selon laquelle le syndicat a favorisé les titulaires des fonctions à combler au détriment des salariés inscrits sur la liste pour un motif incompatible avec les droits de la personne et sans faire une évaluation sérieuse de leurs droits avant de prendre la décision de consentir à leur inscription sur la liste.
[65] Finalement, en ne décidant pas que l’exigence d’être en mesure d’effectuer l’ensemble des tâches reliées à une fonction sans possibilité de mesures d’accommodement raisonnables avait prima facie un effet discriminatoire à l’endroit du requérant, la Commission n’évalue pas la conduite syndicale en fonction de la suffisance des efforts que le syndicat a déployés pour s’acquitter de son obligation d’accommodement à son endroit.
(Je souligne - accentuation prononcée)
[137] De façon plus précise, j'identifie trois problèmes quant au jugement à l’étude.
[138] Premièrement, CTR-2 a conclu que, selon la convention collective, l'appelante est apte à exercer la fonction supérieure, car la disponibilité sur tous les quarts de travail n'est pas une condition pour devenir titulaire d’une fonction :
[47] Par ailleurs, l’exigence de disponibilité sur tous les quarts de travail n’est pas prévue à l’article 3 de la convention collective comme condition pour devenir titulaire dans une fonction. Elle ne figure pas non plus parmi les critères de promotion. Les articles 19.25 et 19.28 de la convention collective renvoient à l’aptitude à accomplir le travail requis et à l’ancienneté générale du salarié. On ne peut certes conclure qu’un salarié perd l’aptitude à accomplir un travail du fait qu’il ne peut travailler que sur le quart de jour.
[139] Sans préciser en quoi la décision CRT-2 est déraisonnable sur cette question, le juge estime simplement que cette dernière s'est trompée et il apporte sa propre interprétation voulant que la convention collective ne reconnaisse pas le droit à la titularisation pour une personne qui n'est pas disponible sur tous les quarts de service[22].
[140] À mon avis, le juge ne pouvait faire cette affirmation qu'en démontrant le caractère déraisonnable de l'interprétation apportée par CRT-2. Non seulement ne l'a-t-il pas démontré, mais il apparaît que le directeur syndical a admis que cette exigence n'est pas dans la convention collective. Aussi, pourquoi l'employeur et le syndicat prendraient-ils la peine d'exclure nommément l'appelante du bénéfice de l'entente, si elle n'a pas le droit de formuler une demande de titularisation, parce que la convention collective ou même la nouvelle entente l'en empêche?
[141] Par ailleurs, et cela est reconnu par tous, l'appelante est certainement apte à exercer la fonction supérieure, car, dans les faits, elle exerçait cette fonction avant l'entente conclue par le syndicat et elle exerce toujours cette fonction supérieure, même après que l'entente lui a spécifiquement enlevé la possibilité d'être titularisée dans les fonctions qu'elle exerce de facto.
[142] Deuxièmement, le juge a aussi préféré la détermination de CRT-1, selon laquelle « la restriction de la plaignante, de ne pas travailler de jour pendant la semaine, l'a privée d'être titularisée à une fonction supérieure, ceci pour éviter de brimer les autres salariés ayant plus d'ancienneté à cette fonction quant à leur choix d'horaire », décidant ainsi que la preuve soutient cette affirmation, alors que CRT-2 a précisément retenu le contraire.
[143] Le juge retient que madame Beauchesne a admis le fait qu'elle serait le chauffeur comptant le moins d'ancienneté dans l'arrondissement si elle était titularisée. Pourtant, la preuve à laquelle réfère CRT-2 révèle qu'un titulaire de la fonction à laquelle aspire la requérante, ayant moins d’ancienneté générale que celle-ci, travaille maintenant à la cueillette des déchets, de jour, depuis qu’il a été promu. Le fait est que l'appelante a témoigné que les chauffeurs ne veulent pas travailler à la cueillette des déchets, de jour.
[144] CRT-2 a donc retenu que le processus d'affectation se fait selon les préférences des salariés et de l'ancienneté :
[48] De plus, au chapitre de l’horaire de travail, l’article 19.08 de la convention collective prévoit que l’affectation aux différents quarts de travail se fait selon la préférence des salariés et l’ancienneté titulaire. Les titulaires travaillent sur l’horaire de leur choix. En été, tous travaillent de jour. Si des besoins demeurent non comblés sur l’un ou l’autre des horaires en vigueur, le contremaître assigne, par ordre inverse d’ancienneté générale, des employés inscrits sur la liste d’admissibilité qui sont aptes à exécuter la fonction, selon l’article 19.08 de la lettre d’entente sur la dotation. La preuve révèle, par ailleurs, qu’un titulaire de la fonction 502C,ayant moins d’ancienneté générale que la requérante, travaille de jour, à la cueillette des déchets, depuis qu’il a été promu :
Claude Lamarche interrogé par le procureur des requérants :
Q. [149] O.k. Donc, actuellement, depuis deux (2) ans, elle n’aurait pas brimé personne.
R. Il faudrait que je vérifie. Je n’ai pas… mais comme je vous dis, ça c’est une question qui se repose à tous les six (6) mois. Donc, s’il y a un employé de soir, que dans six (6) mois il décide qu’il veut y aller de jour, là il y aurait peut-être eu des problèmes.
Q. [150] Je comprends qu’il y a également monsieur […] qui a été titularisé 502, qui aurait été plus jeune en ancienneté que madame, qui travaille également de jour depuis sa date de titularisation. Vous êtes au courant de ça?
R. Oui.
Q. [151] Alors je comprends qu’il y a des postes disponibles depuis deux (2) ans sur, de jour, pour des 502 plus jeunes que madame Beauchesne, donc elle n’aurait pas brimé personne au cours des deux (2) dernières années?
R. Peut-être pas au cours des deux (2) dernières années, mais peut-être dans six (6) mois.
Q. [152] O.k. Donc ce que vous nous dites, c’est que peut-être, possiblement qu’il y aurait possiblement quelqu’un qui pourrait être brimé, peut-être. C’est ça que vous…
R. Je vous dirais fort probablement, oui. Parce que, comme j’ai dit tantôt, la majorité des employés, ce qu’ils veulent, c’est avoir un horaire du lundi au jeudi.
(Transcription des notes sténographiques, journée du 1er septembre 2010, p. 52-53, nom omis, caractères gras ajoutés)
(Je souligne)
[145] Finalement, CRT-2 est arrivée à la conclusion que le syndicat n'a pas fait un examen sérieux des droits de l'appelante, peu importe qu'elle bénéficie ou non de la protection relative à la discrimination fondée sur l'état civil ou le handicap :
[53] Dans ces circonstances, le syndicat favorise les titulaires des fonctions supérieures au détriment des titulaires exclus qui aspirent à ces fonctions en se fondant sur « des attitudes incompatibles avec les droits de la personne » (Central Okanagan School District n. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970 , 988) et sans examen sérieux de la situation personnelle des requérants, peu importe que la requérante bénéficie ou non de la protection relative à la discrimination fondée sur l’état civil ou le handicap.
(Je souligne)
[146] Le juge n'explique pas en quoi la décision CRT-2 est déraisonnable lorsqu'elle conclut que le syndicat n'a pas fait les efforts raisonnables pour s'acquitter de son obligation d'examiner sérieusement la situation de l'appelante. Son jugement est complètement muet sur cette question. Son étude sur le caractère discriminatoire de l'exclusion se limite à décider que l'exclusion de l'appelante n'est pas discriminatoire en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise), éliminant tout l’aspect de la discrimination au sens de l’article 47.2 du Code du Travail, sur lequel s’est prononcé CRT-2.
[147] CRT-2 a donc estimé, et je n'y vois rien de déraisonnable, que le syndicat n'a pas procédé à un examen sérieux de la situation de l'appelante.
[148] Comme le souligne avec raison ma collègue St-Pierre, le concept de discrimination au sens du Code du travail est plus large que celui énoncé à la Charte québécoise. Dans ses motifs, la juge St-Pierre estime que le syndicat a accepté de signer l'entente dans le but de favoriser l'intérêt collectif, en accélérant le processus de titularisation pour une majorité des salariés. En s'appuyant sur diverses décisions, ma collègue retient que le syndicat pouvait exclure certains salariés pour faire avancer la cause commune.
[149] Je ne suis pas en désaccord avec cette affirmation. Il est vrai que l'on doit laisser au syndicat une large marge de manœuvre dans l'exercice de son devoir de représentation. Cependant, lorsque, nommément, on exclut un salarié de la possibilité d’obtenir des avantages négociés pour tous, le fardeau de démontrer le bien-fondé de l'exclusion doit, à mon avis, reposer sur les épaules du syndicat. Or, les trois commissaires qui ont rendu CRT-2 n'ont pas été convaincus que le syndicat a rempli son devoir de représentation, parce qu'il n'a pas démontré avoir sérieusement étudié la situation de l'appelante. À mon avis, une grande déférence devait être accordée à CRT-2.
[150] Je conçois mal qu'un syndicat et un employeur puissent conclure une entente qui exclut nommément telle ou telle personne, consacrant le fait qu'elle ne pourra bénéficier de cette entente, sans que cela soulève la question de déterminer si un tel geste n'est pas en soi discriminatoire. L'effet est clair, l'appelante est exclue des bénéfices de l'entente et on lui enlève toute possibilité d'en contester les effets. En l'excluant d'emblée, on l'empêche ainsi de tenter d'obtenir un poste qu'elle occupe de facto depuis quelques années, et on la prive de tout droit de contestation.
[151] Ce qui est déterminant, à mon avis, c'est que ce n'est pas en fonction de caractéristiques générales et communes d’un groupe que l'on a exclu certains employés de l'entente, mais c’est en fonction de caractéristiques personnelles, tels un handicap ou encore une situation personnelle plus difficile que la moyenne.
[152] Sur le simple plan du droit à la juste représentation, il y a là matière à requérir du syndicat qu’il fasse la démonstration claire des raisons de cette exclusion et des démarches effectuées en vue d'éviter ce malheureux résultat. C'est cette démonstration qui n'a pas convaincu CRT-2.
[153] Sans même me prononcer sur la question de savoir si la parentalité ou encore la situation d'aidant naturel peut engendrer un motif de discrimination au sens des Chartes, je suis d'avis qu'il y aurait lieu d'accueillir l'appel, d'infirmer le jugement de première instance et de rétablir la décision CRT-2, pour ainsi autoriser l’appelante à soumettre sa réclamation à un arbitre.
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DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A. |
[1] Beauchesne et Martin c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, 301), 2011 QCCRT 0023.
[2] Beauchesne et Martin c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, 301), 2011 QCCRT 0023.
[3] Beauchesne et Martin c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, 301), 2011 QCCRT 0023.
[4] Le Commissaire réfère à une décision du 14 septembre 2009 dans Syndicat des Cols bleus regroupés de Montréal c. la Ville de Montréal et dont il cite un extrait au paragraphe 18 de sa décision (reproduit au paragraphe [48] des présents motifs).
[5] Beauchesne et Martin c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, 301), 2011 QCCRT 0373.
[6] Compagnie Wal-Mart du Canada c. Commission des relations du travail, 2006 QCCA 422, paragr. 36. Requête en révision judiciaire rejetée (C.S., 2006-04-06), no 500-17-024474-051, 2006 QCCS 1886, SOQUIJ AZ-50367331.
[7] Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4707 c. Val-David (Municipalité du Village de), 2007 QCCA 950, paragr. 7, autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée, 24 janvier 2008, 32276.
[8] Sur la notion de vice de fond de nature à invalider, voir notamment : Compagnie Wal-Mart du Canada c. Commission des relations du travail, 2006 QCCA 422; Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine, 2005 QCCA 775; Québec (Procureur général) c. Forces motrices Batiscan inc. J.E. 2004-112, autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2004-04-29), 30164; Tribunal administratif du Québec c. Godin, J.E. 2003-1695.
[9] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Lambert, J.E. 2000-1660 (T.D.P.Q.), REJB 2000-19794, (T.D.P.Q.) (refus d'une chambre dans un bed and breakfast en raison de la présence d'un enfant - voir les paragraphes 15 et 16); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec c. Thi Van, [2001] R.J.Q. 2039, désistement d'appel (C.A., 2001-07-04), no 500-09-010947-018, REJB 2001-23693 (T.D.P.Q.) (refus de conclure un bail de logement en raison du fait que les plaignants ont trois enfants voir les paragraphes 9, 12 et 18); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Grandmont, J.E. 2007-161 (T.D.P.Q.), 2006 QCTDP 22, EYB 2006-112073 (T.D.P.Q.) (refus de conclure un bail de logement en raison de la présence du fils mineur de la plaignante - voir les paragraphes 1, 43 et 65).
[10] Christian Brunelle, Discrimination et Obligation d’accommodement en milieu de travail syndiqué, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001, p. 115-121.
[11] Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509, 527.
[12] Article mis en vigueur en 1977 et jamais modifié depuis.
[13] Noël c. Société d'énergie de la Baie James, [2001] 2 R.C.S. 207, 2001 CSC 39.
[14] Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, Le droit de l'emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 1592.
[15] Noël c. Société d'énergie de la Baie James, [2001] 2 R.C.S. 207, 2001 CSC 39, paragr. 49.
[16] Nancy Martel et Pierre E. Moreau, Le devoir de juste représentation, Montréal, LexisNexis, 2009, p. 120. Voir aussi Robert P. Gagnon (Yann Bernard, André Sasseville et Bernard Cliche), Le droit du travail du Québec, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, paragr. 520, p. 414-415.
[17] Centre hospitalier régina ltée c. Tribunal du travail, [1990] 1 R.C.S. 1330, 1347.
[18] Noël c. Société d'énergie de la Baie James, [2001] 2 R.C.S. 207, 2001 CSC 39, paragr. 55.
[19] Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l'alliance de la fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298, 1300.
[20] Métras c. Québec (Tribunal du travail), D.T.E. 2002T-317 (C.A.), 2002 CanLII 26313 (QC CA).
[21] Art. 127 Code du travail.
[22] Jugement frappé d’appel, paragr. 65.
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