Décision

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R. c. Raphaël-Fontaine

2020 QCCQ 1232

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D’ABITIBI

 

LOCALITÉ DE CHIBOUGAMAU

 

« Chambre criminelle et pénale »

Nos :

170-01-000062-207 et 170-01-000063-205

 

DATE :

25 mars 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU

JUGE

PIERRE LORTIE

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LA REINE

Poursuivante

c.

DARREN RAPHAËL-FONTAINE

Accusé

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JUGEMENT SUR DEMANDE DE REMISE DE LA POURSUITE

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[1]           Vu que l'accusé est inculpé de voies de fait graves et de bris d’engagement.

[2]           Vu le procès fixé depuis plusieurs semaines devant le juge soussigné à Chibougamau le mardi 31 mars 2020.

[3]           Vu que l'accusé est détenu judiciairement depuis le 21 février 2020 dans l’attente de son procès.

[4]           Vu que les avocats résident dans le secteur de Roberval et que le juge soussigné réside à Chicoutimi, le tout dans la même région du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

[5]           Vu qu’il y a un établissement de détention à Roberval mais pas à Chibougamau.

[6]           Vu que l'accusé serait présentement à l’établissement de Québec.

[7]           Vu, le vendredi 20 mars, la demande de remise formulée par la poursuite en raison de la pandémie du coronavirus au Québec.

[8]           Vu la conférence téléphonique avec les avocats le 20 mars où le juge soussigné a décidé de tenir le procès mais avec diverses consignes sanitaires : 1) avec le consentement des avocats, procès à Roberval pour éviter les déplacements de divers intervenants (le district de Roberval a une compétence concurrente avec le district d’Abitibi dans lequel se trouve Chibougamau); 2) témoignage d’un policier et d’un civil par visioconférence à Chibougamau; 3) témoignage de l'accusé par visioconférence à l’établissement de détention de Roberval avec possibilités de suspensions pour des entretiens avec son avocat; 4) nombre restreint de personnes dans les salles d’audience; 5) mesures de distanciation; 6) personnel réduit; 7) toute autre mesure appropriée.

[9]           Vu, le 24 mars, la nouvelle demande de remise de la poursuite pour les motifs suivants :

Considérant les modifications au plan de continuité de la Cour du Québec datées du 23 mars 2020, il est indiqué que les procès détenus doivent recevoir le même traitement que les autres dossiers, c’est-à-dire d’être remis, sauf si un juge détermine qu’il y a urgence de procéder. Je souhaite donc réitérer qu’il n’y a pas d’urgence de procéder dans les dossiers de [l'accusé] et que par conséquent ceux-ci devraient être remis. Premièrement, je tiens à souligner que la seule détention n’est pas suffisante pour justifier l’urgence. Deuxièmement, la seule question des délais ne doit pas non plus influencer le tribunal. Troisièmement, comme je l’ai mentionné la semaine dernière, monsieur est détenu judiciairement depuis le 17 février 2020 seulement. Celui-ci est aussi détenu judiciairement dans un autre dossier prévu de procéder le 24 avril 2020 à Roberval. Quatrièmement, et ce sans soutenir que les délais devraient être une préoccupation principale, des dates sont disponibles à Chibougamau en mai. Ces dates sont avant l’expiration du délai Myers dans ce dossier (16 mai 2020). Cinquièmement, compte tenu du traitement qui doit être accordé à ce genre de dossier (détenu) c’est à la défense de soulever l’urgence et non à la poursuite de prouver le contraire. Sixièmement, la protection du public, des témoins, des procureurs, du personnel du greffe et des juges doivent primer face à la situation actuelle. Par conséquent, il faut éviter de faire déplacer tous ces gens lorsqu’il n’y a pas d’urgence. Le contexte actuel de la pandémie fait en sorte que notre système de justice et les services qu’il offre sont limités et que nous nous devons de cibler les urgences seulement. Finalement, je répète que la seule détention n’équivaut pas à l’urgence.

 

[10]        Vu la réponse de l’avocat de l'accusé, mentionnant qu’un transport entre établissements de détention de Québec à Roberval est possible pour la tenue du procès, et  « que l’arrêt Myers oblige la tenue d’un procès d’un détenu dans le délai le plus rapide possible, le délai MAXIMUM étant de 90 jours. Les procédures concernant des détenus étant jugées comme urgentes, je souhaite que le procès se déroule comme prévu d’autant plus que nous avons convenu d’une manière de procéder sécuritaire pour tous ».

[11]        Vu la réplique de la poursuite :

Je conçois que des mesures plus sécuritaires ont été prises mais c’était avant la modification du plan de continuité. Bien que ça soit plus sécuritaire pour le détenu et les autres détenus, il faut aussi considérer qu’il y aura des témoins qui devront se déplacer au Palais de Chibougamau en plus de nous tous qui devront aller au Palais de Roberval. Nous ne pouvons faire abstraction de ces risques. Ensuite, j’ai aussi parlé à [la greffière] et tant que votre décision ne sera pas prise monsieur ne sera pas transféré. Le tout est en suspens. Concernant les délais, encore une fois, ceux-ci ne devraient pas être une préoccupation à ce stade-ci.

 

[12]        Vu, pour des raisons d’efficacité, compte tenu de la date rapprochée du procès, que les représentations des avocats sur la demande de remise ont été faites par écrit le 24 mars.

[13]        Vu, par ailleurs, l'article 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés prévoyant que tout inculpé a le droit d’être jugé dans un délai raisonnable.

[14]        Vu l’arrêt Myers[1] de la Cour suprême, rappelant qu’il faut accélérer le procès des individus qui se trouvent en détention provisoire.

[15]        Vu que, tel qu’énoncé par le juge Iacobucci de la Cour suprême dans l’arrêt Hall[2], une liberté perdue est perdue à jamais, ne serait-ce que pour une seule journée.

[16]        Vu que le gouvernement du Québec ordonne de réduire au minimum, à compter du mercredi 25 mars à 00:01 et jusqu’au 13 avril 2020, l’ensemble des services et activités qui ne sont pas prioritaires.

[17]        Vu, toutefois, la liste des services gouvernementaux prioritaires, dont les tribunaux judiciaires pour les affaires qu’ils ont jugées urgentes

[18]        Vu la liste des emplois et des services essentiels donnant droit à des services de garde d’urgence, dont les agents correctionnels et les constables spéciaux.

[19]        Vu que, d’une part, selon le Plan de continuité des services de la Cour du Québec dans le contexte de la COVID-19 [le Plan] et, d’autre part, selon les directives régionales du juge coordonnateur pour le Saguenay-Lac-Saint-Jean et Chibougamau, les procès avec détenus peuvent être tenus tout en suspendant les services réguliers.

[20]        Vu qu’il est possible de tenir le présent procès au Palais de justice de Chibougamau avec visioconférence 1) au Palais de justice de Roberval, 2) dans un établissement de détention, 3) le cas échéant, aux bureaux du DPCP, dans tous les cas en prévoyant des mesures sanitaires.

[21]        Vu que si le gouvernement permet l’opération de certains services publics et de certains commerces avec des consignes sanitaires, il serait étonnant qu’un procès avec détenu ne puisse se dérouler avec des consignes sanitaires.

[22]        Vu que, dans le présent cas, on ne signale aucune personne (juge, avocats, personnel du greffe, témoins) avec des symptômes de la COVID-19.

[23]        Vu que la position de la poursuite ne fait que reporter le problème des accusés détenus, compte tenu de la durée du Plan jusqu’au 31 mai 2020 et du risque d’engorgement des rôles en raison de nombreux reports.

[24]        PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[25]        REJETTE la demande de remise de la poursuite.

[26]        DÉCLARE qu’il s’agit d’une affaire urgente.

[27]        DÉCLARE que le procès se déroulera à Chibougamau avec visioconférence à Roberval (présence du juge en salle d’audience) et dans un établissement de détention de préférence à Roberval si le transport de Québec est possible compte tenu du contexte d’urgence sanitaire.

[28]        DÉCLARE que diverses mesures sanitaires préventives seront prises au procès.

 

 

PIERRE LORTIE

Juge à la Cour du Québec

 

 

Me Marie-Michelle Boulianne-Otis

Procureur aux poursuites criminelles et pénales

 

Me Sébastien Talbot

Avocat de l’accusé

 

Représentations écrites :

24 mars 2020

 



[1]       R c. Myers, 2019 CSC 18, par. 4.

[2]       R. c. Hall, [2002] 3 R.C.S. 309, 2002 CSC 64 par. 47.

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