Décision

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Construction LFG inc.

2010 QCCLP 7674

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Rimouski

21 octobre 2010

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

Dossier :

397399-01C-0912

 

Dossier CSST :

126404284

 

Commissaire :

Manon Séguin, juge administrative

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Construction L.F.G. inc.

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 10 décembre 2009, l’entreprise Construction L.F.G. inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 1er décembre 2009 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 23 juin 2009. Elle déclare que l’employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle dont est atteint monsieur Marcellin Godbout (le travailleur).

[3]           L’employeur est représenté à l’audience tenue le 18 mai 2010 à Sainte-Anne-des-Monts.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande au tribunal de déclarer qu’il a droit à un transfert de l’imputation du coût des prestations en lien avec le diagnostic d’algodystrophie reconnu dans le présent dossier pour la période allant du 24 mars 2005 au 17 octobre 2006 et ce, conformément au premier alinéa de l’article 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           Le 9 novembre 2004, le travailleur subit une lésion professionnelle. Le diagnostic retenu est celui de tunnel carpien bilatéral.

[6]           Le 31 janvier 2005, le docteur Simon Mercier, orthopédiste, procède à une chirurgie de décompression pour un tunnel carpien droit.

[7]           Le 24 mars 2005, le docteur Mercier pose un nouveau diagnostic, il note dans son rapport une algodystrophie légère à modérée post-tunnel carpien droit. Cette lésion sera reconnue à titre de lésion professionnelle le 5 mai 2005 par la CSST.

[8]           Le 22 août 2005, le docteur Paul-O. Nadeau examine le travailleur à la demande de la CSST. Il conclut de son examen qu’à la suite du diagnostic retenu par la CSST soit celui de tunnel carpien bilatéral, le diagnostic d’algodystrophie sympathique réflexe doit également être accepté à titre de complication.

[9]           Le 17 octobre 2006, le docteur Claude Rouleau, orthopédiste, évalue le travailleur à la demande de la CSST. Il considère les diagnostics de tunnel carpien et d’algodystrophie comme consolidés en date de son examen, il lui accorde une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[10]        Le 26 octobre 2006, dans un rapport complémentaire, le docteur Mercier indique être en accord avec les conclusions du docteur Rouleau quant à la date de consolidation et les pourcentages du déficit anatomo-physiologique octroyés.

[11]        Le 2 avril 2007, le travailleur est examiné par le docteur André Léveillé, chirurgien plastique, en sa qualité de membre du Bureau d’évaluation médicale quant au volet lié à aux limitations fonctionnelles. Ce dernier conclut à l’existence de limitations fonctionnelles et en fait une description.

[12]        Le 23 juin 2009, la CSST rejette la demande de partage formulée préalablement par l’employeur en vertu de l’article 329 de la loi au motif que celui-ci n’a pas démontré que le travailleur présentait déjà un handicap lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle. Cette décision est confirmée le 1er décembre 2009 à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.

[13]        Devant le tribunal, l’employeur demande à ce que le diagnostic d’algodystrophie soit reconnu comme une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi. Par conséquent, il demande un transfert des coûts engendrés par cette lésion, tel que le permet l’article 327 de la loi.

[14]        D’entrée de jeu, le tribunal considère qu’il a le pouvoir de se prononcer sur la demande de transfert de l’employeur même si elle n’a pas été présentée à la CSST. La jurisprudence majoritaire reconnaît qu’en vertu du caractère « de novo » du processus de contestation devant le tribunal, celui-ci peut se prononcer tant sur les demandes de transfert que sur les demandes de partage de l’imputation du coût résultant d’une lésion professionnelle[2].

[15]        Le tribunal estime également qu’il a le pouvoir de reconnaître que l’algodystrophie constitue une lésion au sens de l’article 31 de la loi. En effet, la jurisprudence[3] nous enseigne que l’absence d’une décision explicite de la CSST qualifiant une lésion professionnelle en vertu de l’article 31 de la loi, ne constitue pas une fin de non-recevoir à une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi.

[16]        En l’espèce toutefois, la CSST reconnaît, que le diagnostic d’algodystrophie constitue une lésion professionnelle. Plus précisément, elle conclut dans sa décision du 5 mai 2005 qu’il existe une relation entre l’algodystrophie et la maladie professionnelle du travailleur.

[17]        À cet égard, la soussignée fait siens les propos tenus par la juge Diane Lajoie dans l’affaire Pharmacie Jean Coutu 30[4]. Après avoir passé en revue la jurisprudence sur la question, elle écrit ce qui suit :

[62]      Le tribunal estime qu’il faut distinguer les situations où la CSST ne rend aucune décision spécifique concernant la lésion que l’on prétend survenue à l’occasion ou par le fait de soins ou l’omission de soins, de celles où la CSST rend une décision dans laquelle elle déclare que le nouveau diagnostic est en lien avec la lésion initiale et, enfin, de celles où la CSST déclare que le nouveau diagnostic est en lien avec l’événement initial.

 

[63]      De l’avis du tribunal, le fait de reconnaître un lien entre l’événement initial et le nouveau diagnostic, par exemple l’algodystrophie comme c’est le cas en l’espèce,  exclut un lien entre ce nouveau diagnostic et les soins ou l’omission de soins.

 

[64]      Dans le cas où la CSST reconnaît plutôt que l’algodystrophie est en lien avec la lésion initiale, la relation entre cette lésion distincte et les soins ou l’omission de soins n’est pas nécessairement exclue. Cette relation n’est pas non plus exclue lorsque la CSST indemnise le travailleur pour le nouveau diagnostic sans pour autant rendre de décision d’admissibilité spécifique à ce diagnostic. Dans ces deux situations, on peut valablement prétendre que la CSST considère la nouvelle lésion comme étant de nature professionnelle, ce qui n’exclut pas qu’elle soit survenue à l’occasion de soins ou l’omission de soins puisqu’elle ne relie pas la lésion avec l’événement initial.

 

[65]      C’est donc dans ces deux dernières situations que l’on peut prétendre à l’absence de décision en vertu de l’article 31 de la loi, ce qui donne ouverture à l’examen d’une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi.  Dans les cas où la CSST déclare que le nouveau diagnostic, en l’occurrence l’algodystrophie, est en lien avec l’événement initial, elle reconnaît implicitement que cette lésion distincte n’est pas en lien avec les soins ou l’omission de soins, mais bien avec l’événement.

 

 

[18]        Ceci étant dit, le tribunal doit décider si l’employeur a droit d’obtenir un transfert de l’imputation du coût des prestations reliées à une lésion professionnelle subie par le travailleur, tels que le prévoient les articles 31 et 327 de la loi, lesquels sont ainsi édictés  :

31.  Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :

 

1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;

 

2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.

 

Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).

__________

1985, c. 6, a. 31.

 

 

327.  La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :

 

1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;

 

2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.

__________

1985, c. 6, a. 327.

[19]        Dans l’affaire Couche-Tard inc. (Dépanneurs)[5], la juge Carole Lessard rappelle les conditions requises pour que les articles 31 et 327 de la loi trouvent application :

[15]      Et, aux fins de l’application de l’article 327 de la loi, il doit être démontré la survenance d’une nouvelle blessure ou maladie bien identifiée dont l’existence même doit être attribuable aux soins ou à l’absence de soins reçus par la travailleuse3. Il y a donc lieu de distinguer une condition qui est inhérente à la lésion initiale et celle qui est attribuable aux conséquences de son traitement.

 

[16]      En effet, selon la jurisprudence4, le libellé du premier paragraphe de l’article 31 de la loi vise la survenance d’une blessure ou d’une maladie bien précise qui doit être attribuable aux soins ou à l’omission de soins reçus par la travailleuse, à la suite de sa lésion professionnelle. Il ne vise donc nullement l’évolution ou les complications de la lésion initiale, référant plutôt à une relation directe entre une nouvelle pathologie et les soins reçus.

 

[17]      Le constat qui se dégage donc de la jurisprudence, quant aux critères généralement acceptés pour conclure à l’applicabilité des articles 31 et 327 de la loi, fait en sorte que l'on doit être en présence d'une nouvelle blessure, d’une maladie ou pathologie qui s’est développée à l’occasion de soins reçus, d'une complication survenue lors d'un traitement ou d'une lésion proprement attribuable à un traitement.

 

[18]      Ainsi, il faut distinguer la lésion professionnelle pour laquelle les soins sont reçus, soit la lésion professionnelle initiale, de celle qui survient, le cas échéant, par le fait ou à l’occasion de ces soins.

 

[19]      De plus, dans les cas d’algodystrophie, la jurisprudence5 a retenu que l’élément le plus significatif, pour que cette lésion soit considérée secondaire à des soins, est la proximité de ces soins.

__________

            3              Abattoirs R. Roy inc. et Fleury, [1993] C.A.L.P. 1140 ; Commission scolaire Châteauguay et CSST, 105037-72-9807, 29 avril 1999, D. Lévesque; Structure Derek inc., [2004] C.L.P. 902 .

4              Commission scolaire de la Capitale et C.S.S.T., 339835-31-0802, 4 août 2008, M.-A. Jobidon.

                5              Nico Métal inc., 222093-04-0312, 23 avril 2004, S. Sénéchal; Commission scolaire de la Capitale et C.S.S.T., précitée note 4; C.H.U.Q. (Pavillon C.H.U.L.), 357521-31-0809, 23 septembre 2009, H. Thériault.

 

 

[20]        En l’espèce, le tribunal constate l’absence d’antécédent d’algodystrophie au dossier. La thèse selon laquelle le travailleur aurait déjà été atteint d’algodystrophie avant sa lésion professionnelle du 9 novembre 2004 ne peut donc être envisagée.

[21]        Le tribunal est plutôt d’avis que la preuve médicale prépondérante est à l’effet que l’algodystrophie a été occasionnée par l’intervention chirurgicale intervenue le 31 janvier 2005. La preuve démontre qu’elle a commencé à se manifester quelques semaines après l’intervention chirurgicale, soit le 1er mars 2005, pour ensuite être officiellement diagnostiquée le 24 mars 2005. C’est ce que révèlent le suivi médical du docteur Mercier ainsi que ses notes cliniques.

[22]        Le tribunal retient également les conclusions de la docteure Caroline Séguin, radiologiste, à la suite de l’examen par résonance magnétique du poignet droit effectué le 28 février 2006. Selon cette dernière, l’examen révèle l’existence d’un léger épaississement régulier du rétinaculum palmaire vraisemblablement en relation avec la chirurgie de décompression pour un tunnel carpien. De même, le tribunal s’appuie sur l’opinion du médecin conseil de la CSST, qui considère qu’une intervention pour un tunnel carpien peut occasionner une algodystrophie.

[23]        Ainsi, le tribunal est d’avis que la preuve prépondérante est à l’effet que l’algodystrophie constitue une nouvelle pathologie, distincte et dissociable de la lésion professionnelle initiale.

[24]        Conséquemment, le tribunal considère que l’algodystrophie est une lésion visée par l’article 31 de la loi, puisqu’il s’agit d’une lésion survenue par le fait ou à l’occasion des soins que le travailleur a reçus pour sa lésion professionnelle initiale.

[25]        Pour ce qui est du transfert des coûts en vertu de l’article 327 de la loi, le tribunal est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête de l’employeur et d’accorder ce transfert pour la période allant du 24 mars 2005 au 17 octobre 2006.

[26]        En effet, de toute évidence, le coût des prestations versées entre le 24 mars 2005 et le 17 octobre 2006 ne sont attribuables qu’à la lésion prévue à l’article 31 de la loi, soit au diagnostic d’algodystrophie. En effet, la preuve prépondérante démontre que du 24 mars 2005, date où l’algodystrophie a été diagnostiquée, et ce, jusqu’au 17 octobre 2006, soit la date retenue à titre de date de consolidation, il n’est fait aucunement mention du diagnostic de tunnel carpien dans les rapports médicaux.

[27]        En outre, comme le transfert est accordé pour le coût des prestations reliées au diagnostic d’algodystrophie, il y a lieu de distinguer l’indemnité pour atteinte permanente en relation avec l’algodystrophie de celle liée avec le tunnel carpien.

[28]        Dans son expertise médicale du 17 octobre 2006, le docteur Rouleau évalue le déficit anatomo-physiologique à 12,30 %. De ce pourcentage, 2 % sont attribués à l’algodystrophie, pour une atteinte des tissus mous avec séquelles, et 8,30 % aux ankyloses observées.

[29]        Quant aux ankylose notées, le tribunal s’en remet à l’opinion du docteur Mercier qui précise dans ses notes cliniques du 16 juin 2005, que l’ankylose et les signes de changements trophiques sont des symptômes classiques d’une algodystrophie.

[30]        Ainsi, le tribunal est d’avis qu’il y a lieu de transférer le coût des prestations pour la période allant du 24 mars 2005 au 17 octobre 2006, soit celles reliées à l’algodystrophie, à l’ensemble des employeurs, en plus du 10,30 % accordé au travailleur à titre de déficit anatomo-physiologique, relié au diagnostic d’algodystrophie.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Construction L.F.G. inc., l’employeur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 1er décembre 2009, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’agoldystrophie diagnostiquée le 24 mars 2005 constitue une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

DÉCLARE que le coût des prestations pour la période allant du 24 mars 2005 au 17 octobre 2006, soit celui relié à l’algodystrophie, doit être transféré à l’ensemble des employeurs conformément à l’article 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, en plus des 10,30 % accordés à monsieur Marcellin Godbout, le travailleur, à titre de déficit anatomo-physiologique en lien avec le diagnostic d’algodystrophie.

 

 

 

 

Manon Séguin

 

 

 

 

Me Nadia Lavigne

BOURQUE, TÉTREAULT & ASSOCIÉS

Représentante de la partie requérante

 



[1]     L.R.Q., c. A-3.001.

[2]     Pâtisserie Chevalier inc., C.L.P. 215643-04-0309, 28 mai 2004, S. Sénéchal; Commission Scolaire de la Rivière-du-Nord et Hudon, C.L.P. 242754-64-0409, 6 décembre 2004, R. Daniel; Achille de la Chevrotière ltée et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 188200-08-0207-C, 6 juillet 2005, M. Carignan (décision sur requête en révision), requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Rouyn-Noranda, 600-17-00191-057, j. Guertin; Canneberges Atoka inc., C.L.P. 286701-04B-0604, 21 août 2006, J.-F. Clément.

[3]     Ministère de la Solidarité sociale (Programme expérience travail extra), C.L.P. 117998-72-9906, 25 janvier 2000, M. Lamarre; Construction R. Bélanger inc., C.L.P. 303100-05-0611, 31 octobre 2007, M. Allard.

[4]     C.L.P. 372445-04-0903, 26 février 2010.

[5]     C.L.P. 355215-31-0808, 5 octobre 2009.

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