Décision

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Gabarit EDJ

Lours c. Montréal (Ville de)

2016 QCCS 4770

 

JG 2270

 
 COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 MONTRÉAL

 

 

N° :

500-17-095764-166

 

 

DATE :

Le 5 octobre 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LOUIS J. GOUIN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

ODETTE LOURS

et

SOCIÉTÉ CANADIENNE POUR LA PRÉVENTION DE LA CRUAUTÉ ENVERS LES ANIMAUX

Demanderesses

c.

VILLE DE MONTRÉAL

Défenderesse

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

Mise en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(sur la demande de sursis de l’entrée en vigueur de certains articles du Règlement sur le contrôle des animaux)

______________________________________________________________________

 

1.         MISE EN CONTEXTE

[1]           Le Tribunal est saisi d’une «Demande de pourvoi en contrôle judiciaire et sursis» (la «Demande») aux termes des articles 529 et 530 du Code de procédure civileC.p.c.»), présentée par Odette Lours («Mme Lours») et la Société canadienne pour la prévention de la cruauté envers les animaux (la «SPCA») (Mme Lours et la SPCA collectivement appelées les «Demanderesses») à l’encontre de la Ville de Montréal (la «Ville»), afin d’obtenir, dans un premier temps, le sursis de l’entrée en vigueur de certaines dispositions du Règlement sur le contrôle des animaux (le «Règlement»)[1], soit celles reliées spécifiquement aux «chiens de type Pit bull» (les «Dispositions litigieuses»), lesquelles sont énumérées au paragraphe [71] de ce jugement.

[2]           La Procureure générale du Québec est mise en cause, mais elle n’était pas présente lors de l’audition, ni représentée par avocat.

[3]           Le Règlement, adopté par le Conseil municipal de la Ville le 27 septembre 2016, est entré en vigueur le 3 octobre 2016, à 0h01.

[4]           Par la Demande, déposée le 28 septembre 2016, les Demanderesses demandent au Tribunal de déclarer les Dispositions litigieuses illégales, ultra vires, nulles, inconstitutionnelles, invalides et inopérantes et, d’ici à ce qu’il soit décidé du mérite d’une telle demande, elles demandent au Tribunal de surseoir à l’entrée en vigueur des Dispositions litigieuses, d’où l’audition du 3 octobre 2016 devant le Tribunal.

[5]           À la fin de cette audition, le Tribunal a indiqué aux parties qu’il prendrait quelques heures pour rédiger son jugement, et qu’il serait rendu, au plus tard, le 5 octobre 2016, à 17h00. Les Demanderesses ont alors suggéré à la Ville de consentir à suspendre, d’ici là, l’entrée en vigueur des Dispositions litigieuses, mais la Ville a refusé, vu son opposition à la demande de sursis.

[6]           Dans ces circonstances, les Demanderesses ont alors demandé au Tribunal, séance tenante, d’émettre une ordonnance de sauvegarde ordonnant, d’ici là, le sursis des Dispositions litigieuses.

[7]           Considérant les commentaires du Tribunal formulés tout au long de l’audition quant aux Dispositions litigieuses, le Tribunal a effectivement émis l’ordonnance de sauvegarde demandée, pour valoir jusqu’au jugement du Tribunal sur la demande de sursis des Demanderesses soit, au plus tard, jusqu’à 17h00 le 5 octobre 2016.

[8]           Voici le jugement du Tribunal sur la demande de sursis des Demanderesses.

2.         DROIT

[9]           La Demande s’inscrit dans le cadre des articles 529 et 530 C.p.c., lesquels prévoient, entre autres, ce qui suit :

529.  La Cour supérieure saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire peut, selon l’objet du pourvoi, prononcer l’une ou l’autre des conclusions suivantes:

1°  déclarer inapplicable, invalide ou inopérante une disposition d’une loi du Québec ou du Canada, un règlement pris sous leur autorité, un décret gouvernemental ou un arrêté ministériel ou toute autre règle de droit;

[…]

Ce pourvoi n’est ouvert que si le jugement ou la décision qui en fait l’objet n’est pas susceptible d’appel ou de contestation, sauf dans le cas où il y a défaut ou excès de compétence.

Le pourvoi doit être signifié dans un délai raisonnable à partir de l’acte ou du fait qui lui donne ouverture.

530.  La demande de pourvoi en contrôle judiciaire est présentée à la Cour supérieure à la date indiquée dans l’avis de présentation qui y est joint, laquelle ne peut être fixée à moins de 15 jours de la signification de la demande. Elle est instruite par priorité.

La demande n’opère pas sursis des procédures pendantes devant une autre juridiction ou l’exécution d’un jugement rendu ou d’une décision prise par une personne ou un organisme assujetti à ce contrôle à moins que le tribunal n’en décide autrement. S’il y a lieu, le tribunal ordonne que les pièces du dossier qu’il détermine soient transmises sans délai au greffier.

Le jugement qui fait droit à la demande est signifié aux parties s’il ordonne d’accomplir ou de ne pas accomplir un acte.

(le Tribunal souligne)

[10]        Tel que mentionné précédemment, à l’étape d’une demande de sursis, le Tribunal n’a pas à décider du mérite des prétentions des Demanderesses, soit celles relatives à la nullité des Dispositions litigieuses, mais seulement s’il y a lieu, pour l’instant, d’en suspendre leur entrée en vigueur, et ce, jusqu’à l’audition au mérite desdites prétentions et une décision finale à cet égard.

[11]        Les critères applicables à une telle demande de sursis, un recours exceptionnel, s’apparentent à ceux applicables à une demande d’injonction interlocutoire provisoire et, à cette fin, le Tribunal doit appliquer avec rigueur les critères suivants[2] :

a.            Les Demanderesses doivent démontrer une urgence réelle et immédiate;

et

b.            Les Demanderesses doivent démontrer une apparence de droit clair, ainsi qu’un préjudice sérieux ou irréparable, ou qu’il sera créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement au fond inefficace,

ou

c.             Les Demanderesses doivent démontrer une apparence de droit possible [en l’occurrence, l’existence d’une «question sérieuse»[3]], ainsi qu’un préjudice sérieux ou irréparable, ou qu’il sera créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement au fond inefficace, mais tout en prenant alors en considération aussi le préjudice pouvant être subi par la Ville, et ce, en fonction de la prépondérance des inconvénients [y inclus, dans les circonstances, l’intérêt public[4]].

[12]        Dans ce cadre, l’analyse du Tribunal se limite aux allégations de la Demande et aux pièces et déclarations sous serment déposées à son soutien, ainsi qu’à toute déclaration sous serment déposée par la Ville en réponse à la demande de sursis des Demanderesses.

[13]        À la lumière de ces documents, les allégations factuelles de la Demande sont alors tenues pour avérées par le Tribunal.

[14]        Dans ce contexte, les Demanderesses ont déposé les déclarations sous serment suivantes :

a.            Deux déclarations de Me Sophie Gaillard, avocate pour les départements de Défense des animaux et d’Enquêtes et inspections à la SPCA, soit l’une datée du 28 septembre 2016 et l’autre datée du 2 octobre 2016;

b.            Une déclaration de Mme Lours, coordinatrice aux événements à la SPCA, datée du 28 septembre 2016;

c.            Une déclaration de la Dre Gabrielle Carrière, vétérinaire en chef de la SPCA, datée du 28 septembre 2016 (la «Déclaration-Carrière»); et

d.            Une déclaration de Patrice Robert, directeur des soins animaliers à la SPCA, datée du 21 [sic] septembre 2016 (la «Déclaration-Robert»).

[15]        De son coté, la Ville n’a déposé qu’une seule déclaration sous serment, soit celle de Guylaine Brisson, Directrice du Service de la concertation des arrondissements au sein de la Ville, datée du 30 septembre 2016.

[16]        Dès à présent, le Tribunal tient à souligner que son analyse de la Demande et des autres documents déposés par les parties l’a satisfait que les Demanderesses ont l’intérêt suffisant pour présenter la Demande, ce qui, d’ailleurs, n’a fait l’objet d’aucune objection de la part de la Ville.

3.         DÉCISION

[17]        Le Tribunal ordonnera le sursis de l’entrée en vigueur des Dispositions litigieuses, et ce, jusqu’à la décision finale à être rendue dans le cadre de l’audition au mérite de la Demande, laquelle devrait être fixée très rapidement.

[18]        En effet, le Tribunal est d’avis que les Demanderesses ont rencontré les critères mentionnés précédemment, en démontrant une urgence réelle et immédiate, une apparence de droit possible, soit l’existence d’au moins une «question sérieuse», et un préjudice sérieux ou irréparable, la balance des inconvénients penchant définitivement en leur faveur.

[19]        Cette «question sérieuse» vise plus précisément la compétence même de la Ville car, en adoptant les Dispositions litigieuses, lesquelles semblent inconciliables avec d’autres dispositions législatives, la Ville pourrait avoir outrepassé le cadre de sa compétence.

[20]        Aussi, par l’emploi de mots vagues et ambigus, la Ville a amplifié le sérieux du problème, au point où certaines des Dispositions litigieuses soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses.

4.         DISCUSSION

4.1       Urgence réelle et immédiate

[21]        Le Tribunal est d’avis que le critère de l’urgence est rencontré du seul fait que le Règlement soit entré en vigueur le 3 octobre 2016, à 0h01, le jour même de l’audition de la demande de sursis, obligeant dès lors les Demanderesses à respecter les Dispositions litigieuses, alors qu’elles soulèvent de sérieux arguments pour contester leur validité.

[22]        Tel que mentionné précédemment, le Règlement fut adopté par la Ville le 27 septembre 2016 et, dès le 28 septembre 2016, les Demanderesses déposaient la Demande afin d’être présentée pour adjudication le 29 septembre 2016.

[23]        Malheureusement, aucun juge n’était alors disponible pour procéder à l’audition de la Demande, et elle fut donc reportée au lundi 3 octobre 2016, à 9h00.

[24]        Il est définitivement approprié pour le Tribunal d’intervenir, du moins sur une base provisoire, par l’émission d’une ordonnance de sursis, vu l’obligation des Demanderesses de respecter, depuis 0h01 le 3 octobre 2016, les Dispositions litigieuses.

[25]        Le défaut d’ainsi surseoir à l’entrée en vigueur des Dispositions litigieuses pourrait d’ailleurs rendre le débat plutôt académique, vu que les Demanderesses devraient alors respecter les Dispositions litigieuses d’ici au jugement final sur la Demande, et ce, avec toutes les conséquences que cela implique, et le fait que certaines des Dispositions litigieuses sont vagues et ambigües, et donc difficilement applicables.

4.2       Apparence de droit (question sérieuse sur la compétence de la Ville)

4.2.1    Dispositions législatives

[26]        En 2015, le législateur québécois a adopté la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal[5] (la «LBSA»), prévoyant, d’entrée de jeu, ce qui suit :

«4. Toute disposition d’une loi accordant un pouvoir à une municipalité ou toute disposition d’un règlement adopté par une municipalité, inconciliable avec une disposition de la présente loi ou d’un de ses règlements, est inopérante.

Il en est de même pour les dispositions des normes ou codes de pratiques dont l’application est rendue obligatoire par le gouvernement conformément au paragraphe 3° de l’article 64.»

(le Tribunal souligne)

[27]        La LBSA prévoit diverses dispositions afin d’assurer le bien-être et la sécurité de l’animal, incluant les soins propres à ses impératifs biologiques[6].

[28]        Ainsi, il est défendu de faire en sorte qu’un animal soit en détresse[7]et, afin d’éviter qu’il en soit ainsi, des obligations sont imposées, entre autres, à tout propriétaire ou gardien d’un animal[8], et à un médecin vétérinaire qui a des motifs raisonnables de croire qu’il en est ainsi[9].

[29]        Parallèlement, l’article 898.1 du Code civil du QuébecC.c.Q.») prévoit ce qui suit :

«Les animaux ne sont pas des biens. Ils sont des êtres doués de sensibilité et ils ont des impératifs biologiques. Outre les dispositions des lois particulières qui les protègent, les dispositions du présent code et de toute autre loi relatives aux biens leur sont néanmoins applicables.»

[30]        Par ailleurs, l’article 63 de la Loi sur les compétences municipales[10] (la «LCM») prévoit ce qui suit :

Toute municipalité locale peut mettre en fourrière, vendre à son profit ou éliminer tout animal errant ou dangereux. Elle peut aussi faire isoler jusqu’à guérison ou éliminer tout animal atteint de maladie contagieuse, sur certificat d’un médecin vétérinaire.

Elle peut également conclure une entente avec toute personne pour l’autoriser à appliquer un règlement de la municipalité concernant les animaux. La personne avec laquelle la municipalité conclut une entente ainsi que ses employés ont les pouvoirs des employés de la municipalité aux seules fins de l’application du règlement de la municipalité.

Le présent article s’applique malgré une disposition inconciliable de la loi sur les abus préjudiciables à l’agriculture (chapitre A-2).

(le Tribunal souligne)

[31]        Dans le cadre de l’exercice des pouvoirs qui lui sont attribués, il était donc important pour la Ville de s’assurer que les dispositions du Règlement ne soient pas inconciliables avec, entre autres, celles de la LBSA et du C.c.Q.

[32]        Or, tel que nous le verrons ci-après, la Ville, par les définitions des mots «chien de type Pit bull» et «chien interdit» prévues dans le Règlement, et sous prétexte de faire de la prévention en matière de sécurité, vise clairement, par les Dispositions litigieuses, une catégorie très large de chiens qui, pour la plupart, ne sont pas dangereux, selon le véritable sens de ce terme.

[33]        Par le Règlement, la Ville a choisi d’interdire, ou presque, cette catégorie de chiens, soit les «chiens de type Pit bull», imposant le respect de conditions contraignantes et l’élimination par euthanasie dans certaines situations. Elle a fait de cette catégorie une «nuisance»[11], ou presque.

[34]        Est-ce qu’un tel choix et les mesures adoptées à cette fin sont inconciliables avec les dispositions, entre autres, de la LBSA et du C.c.Q.?

[35]        Cette question justifie à elle seule qu’il y ait un sursis de l’entrée en vigueur des Dispositions litigieuses, et ce, jusqu’à la décision finale à être rendue dans le cadre de l’audition au mérite de la Demande, afin de vider cette question et, par le fait même, les autres questions soulevées par les Demanderesses dans la Demande.

 

4.2.2    Dispositions litigieuses

4.2.2.1                         «Chien de type Pit bull»

[36]        Le Règlement définit un «chien de type Pit bull»[12] comme suit :

 «chien de type Pit bull»

1°       un chien de race Pit bull terrier américain («American pit bull terrier»), Terrier américain du Staffordshire («American Staffordshire terrier») ou Bull terrier du Staffordshire («Staffordshire bull terrier»);

2°       un chien issu d’un croisement entre l’une des races énumérées au paragraphe 1° et un autre chien;

3°       un chien qui présente plusieurs caractéristiques morphologiques de races et croisements énumérés aux paragraphes 1° et 2°;

(le Tribunal souligne)

[37]        Cette définition, par l’inclusion des mots «chien issu d’un croisement», sans définir le degré ou niveau du croisement, et par l’inclusion des mots «chien qui présente plusieurs caractéristiques morphologiques», sans définir ces caractéristiques, surtout à la lumière du fait qu’il est aussi fait référence aux caractéristiques morphologiques d’un chien issu d’un croisement, fait en sorte que beaucoup plus de chiens qu’on peut le penser sont inclus dans la définition de «chien de type Pit bull».

[38]        Selon toute probabilité, dans un tel contexte, il y a tout lieu de croire que de nombreux propriétaires ou gardiens de chiens ne savent même pas qu’ils sont propriétaires ou gardiens de «chiens de type Pit bull».

[39]        La Ville a alors répliqué au Tribunal qu’il ne s’agissait que d’une question de «bon sens» et que «if it looks like a duck, walks like a duck, quacks like a duck, it’s gotta be a duck».

[40]        Sauf, que ce n’est pas aussi simple que la Ville le prétend, surtout avec une définition de «chien de type Pit bull» qui fait appel à toute une multitude de croisements et, en plus, aux caractéristiques morphologiques des chiens issus de tous ces croisements.

[41]        Difficile de comparer lorsque l’on ne sait pas exactement avec quoi comparer!

[42]        Au surplus, la preuve révèle que :

«15. L’identification de la race d’un chien en fonction de ses caractéristiques physiques est très peu fiable, et ce même quand l’identification est effectuée par des personnes ayant une expertise dans le domaine animalier, dont notamment les vétérinaires, […]

[…]

29.              Or, pour les raisons exposées au paragraphe 15, il est impossible pour un vétérinaire de la SPCA de déterminer avec un degré satisfaisant de certitude si un chien donné appartient à la race Pit bull terrier américain, Terrier américain du Staffordshire ou Bull terrier du Staffordshire et encore plus difficile de déterminer si un chien croisé est issu d’un croisement de l’une de ces trois races;»[13]

[43]        Bref, le défi est de réussir à bien cerner les limites de la définition très élastique de «chien de type Pit bull», et le Tribunal a été à même de constater, lors de l’audition, que même la Ville ne réussit pas à la cerner. C’est tout dire!

4.2.2.2                         «Chien à risque»

[44]        Le Règlement définit un «chien à risque»[14] comme suit :

«chien à risque» : un chien qui tente de mordre ou d’attaquer, qui mord ou attaque, qui commet un geste susceptible de porter atteinte à la sécurité d’une personne ou d’un animal d’une espèce permise conformément à l’article 3;

[45]        Tout chien peut donc être visé par la définition de «chien à risque».

4.2.2.3                         «Chien dangereux»

[46]        Le Règlement définit un «chien dangereux»[15] comme suit :

«chien dangereux»

1°         un chien qui a causé la mort d’une personne ou d’un animal d’une espèce permise conformément à l’article 3;

2°         un chien à risque ayant été déclaré dangereux par l’autorité compétente;

[47]        Ainsi, la définition de «chien dangereux» est réservée aux chiens qui sont effectivement dangereux, selon le vrai sens du terme.

4.2.2.4                         «chien interdit»

[48]        Le Règlement définit un «chien interdit»[16] comme suit :

«chien interdit» :

1°       un chien dangereux;

2°       un chien de type Pit bull dont le gardien ne possède pas de permis spécial de garde d’un chien de type Pit bull conformément au présent règlement;

3°       un chien hybride;

4°       un chien non stérilisé au 31 décembre 2019, à l’exception d’un chien qui ne peut être stérilisé sur avis écrit d’un médecin vétérinaire ou d’un chien reproducteur dont le gardien détient une preuve d’enregistrement d’une association de races reconnue;

5°       un chien non muni d’une micropuce au 31 décembre 2019;

(le Tribunal souligne)

[49]        Par ailleurs, le Règlement prévoit l’interdiction «à toute personne de posséder, d’être en possession ou de garder en captivité à quelque fin que ce soit un «chien interdit»»[17].

[50]        Ainsi, il est interdit de garder un «chien de type Pit bull», à moins de détenir, dans un certain délai, un permis spécial de garde à cet effet, sujet aux conditions contraignantes des articles 16 à 18 du Règlement.

[51]        À défaut d’ainsi obtempérer, le chien en question sera considéré au même titre qu’un «chien dangereux», et il sera interdit, et ce, même s’il ne représente aucun danger.

[52]        Est-ce conciliable avec les dispositions, entre autres, de la LSBA et du C.c.Q.?

[53]        La Ville soumet que le pouvoir qui lui est attribué par l’article 63 de la LCM[18] d’«éliminer tout animal […] dangereux» lui permet de définir la portée et l’étendue de cette mission, ce qui inclurait, selon elle, le pouvoir d’éliminer ou interdire un animal qui n’est pas dangereux, mais qui pourrait éventuellement devenir dangereux.

[54]        Mais, tout animal peut devenir dangereux!

[55]        C’est, selon la Ville, de la prévention en matière de sécurité, et elle prend donc des mesures, jugées appropriées selon elle, à l’encontre des chiens qu’elle considère les plus susceptibles de devenir dangereux, soit les «chiens de type Pit bull».

[56]        Ces mesures comprennent, entre autres, les suivantes :

a.            Depuis l’entrée en vigueur du Règlement, tout «chien de type Pit bull» doit être muselé en tout temps, peu importe où il se trouve, et ce, jusqu’à l’obtention d’un permis de garde d’un «chien de type Pit bull»[19].

Suite à un commentaire du Tribunal à ce sujet, la Ville a reconnu que cette disposition ne devrait pas s’appliquer lorsque l’animal se trouve à l’intérieur d’un bâtiment. Par inadvertance, les mots «lorsque l’animal se trouve à l’extérieur d’un bâtiment» n’ont pas été incorporés à cet article, comme ils l’ont été à l’article 17, 1er alinéa du Règlement.

La Ville a confirmé que cette situation sera corrigée à la première occasion et, d’ici là, des instructions et directives auraient été données à qui de droit.

Par ailleurs, la preuve révèle que le musellement n’est pas sans risque et qu’il cause souvent des problèmes de comportement[20], surtout lorsqu’un chien n’a jamais été muselé.

b.            Depuis l’entrée en vigueur du Règlement, il est interdit de faire l’acquisition d’un «chien de type Pit bull»[21].

c.            Il est interdit de garder un «chien de type Pit bull» sans permis spécial de garde[22]. Il semble que cette disposition soit en vigueur depuis l’entrée en vigueur du Règlement, et ce, même si un délai est prévu pour l’obtention dudit permis.

Des conditions contraignantes[23] sont imposées pour l’obtention d’un tel permis, incluant le musellement en tout temps lorsque l’animal se trouve à l’extérieur d’un bâtiment[24].

Aussi, un permis spécial de garde est incessible et non transférable, sauf dans le cas de décès du gardien et à certaines conditions[25].

Si le permis spécial de garde est révoqué, l’animal doit être euthanasié[26].

d.            Depuis l’entrée en vigueur du Règlement, la mise en adoption d’un «chien de type Pit bull» est interdite et l’autorité compétente peut même ordonner que l’animal soit euthanasié[27].

e.            Depuis l’entrée en vigueur du Règlement, la reprise de possession par les propriétaires de «chiens de type Pit bull» errants ou perdus est interdite[28] et, vu que la mise en adoption est interdite, ils devront alors être euthanasiés[29].

[57]        Tout aussi louable que puisse être l’objectif de la Ville de prévention en matière de sécurité, le Tribunal a eu la nette impression que certains articles du Règlement avaient été rédigés à la hâte, en réaction à un récent événement malheureux, et que cet empressement avait fait perdre de vue un autre objectif, tout aussi louable, global, soit la sécurité de tous, face à tout chien, et ce, peu importe sa race ou sa catégorie.

[58]        C’est ce qui a d’ailleurs poussé le Tribunal à suggérer à la Ville qu’un retour à la table à dessin serait peut-être à envisager afin de revoir la formulation de certains articles du Règlement.

[59]        Ce serait aussi l’occasion d’éliminer les aspects vagues et ambigus qui ont été notés et qui mettent davantage en évidence la question reliée à la compétence de la Ville à adopter de telles Dispositions litigieuses.

[60]        Tel que mentionné précédemment, il s’agit d’une question sérieuse à être décidée, non dans le cadre de la présente demande de sursis, mais plutôt dans le cadre d’une audition au mérite de la Demande, laquelle devrait être fixée le plus rapidement possible.

[61]        À cette occasion, les autres questions soulevées par les Demanderesses dans leur Demande pourront alors être débattues.

 

 

4.3       Préjudice sérieux ou irréparable, et balance des inconvénients

[62]        Le Tribunal est d’avis que si l’ordonnance de sursis n’est pas émise et que les Demanderesses doivent respecter les Dispositions litigieuses, alors il sera créé un état de fait ou de droit de nature à rendre inefficace le jugement au fond relativement à la validité de telles dispositions.

[63]        Même s’il y a sursis de l’entrée en vigueur des dispositions du Règlement visant spécifiquement les «chiens de type Pit bull», il n’en demeure pas moins que tout tel type de chien est quand même un chien, visé par les autres dispositions du Règlement, comme tout autre chien.

[64]        La Ville a soumis que tout préjudice pouvant être subi par les Demanderesses pourrait être compensé, le cas échéant, par l’octroi de dommages, et qu’il était essentiel de maintenir, pour l’instant, l’entrée en vigueur des Dispositions litigieuses, autrement, il pourrait y avoir des événements malheureux causés par des «chiens de type Pit bull».

[65]        Le Tribunal ne partage nullement cette position.

[66]        Si la présente situation existe, elle résulte du texte même des Dispositions litigieuses que la Ville a adoptées, et ce, peut-être sans en avoir la compétence et en contravention des dispositions, entre autres, de la LSBA et du C.c.Q.

[67]        Il est donc primordial et essentiel que cette question sérieuse soit tranchée, avant d’obliger toute personne à respecter les Dispositions litigieuses.

[68]        L’octroi de dommages n’a même pas à être envisagé dans de telles circonstances.

[69]        Le Tribunal est donc d’avis que la prépondérance des inconvénients au niveau du préjudice sérieux ou irréparable penche définitivement en faveur des Demanderesses.

5.         CONCLUSION

[70]        Le Tribunal maintiendra donc le sursis de l’entrée en vigueur des Dispositions litigieuses ordonné par l’ordonnance de sauvegarde du 3 octobre 2016, et ce, pour valoir jusqu’à la décision finale sur la Demande.

[71]        Les Dispositions litigieuses sont les suivantes :

a.            la définition des mots «chien de type Pit bull» de l’article 1, 10ième alinéa;

b.            le paragraphe 2° de la définition des mots «chien interdit» de l’article 1, 12ième alinéa;

c.             la SOUS-SECTION 1 (PERMIS SPÉCIAL DE GARDE D’UN CHIEN DE TYPE PIT BULL) de la SECTION IV (PERMIS SPÉCIAUX DE GARDE);

d.            la référence aux mots «ou d’un chien de type Pit bull» du paragraphe 5° du 2ième alinéa de l’article 19;

e.            la référence aux mots «ou de type Pit Bull [sic]» du 2ième alinéa de l’article 27;

f.              la référence aux mots «de type Pit Bull [sic]» du 3ième alinéa de l’article 44;

g.            la référence aux mots «de type Pit Bull [sic]» de l’article 45;

h.             l’article 55; et

i.              de façon générale, et ce, afin de pallier à tout oubli dans l’énumération des Dispositions litigieuses, toute référence dans le Règlement aux mots «chien de type Pit bull».

[72]        Vu l’urgence, le Tribunal ordonnera aussi l’exécution provisoire de ce jugement nonobstant appel.

[73]        Enfin, le Tribunal invite les parties et leurs procureurs à convenir d’un échéancier serré pour le déroulement des prochaines étapes de ce dossier, afin qu’il soit procédé le plus rapidement possible à l’audition au mérite de la Demande.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[74]        ACCUEILLE en partie la demande de sursis des Demanderesses;

[75]        MAINTIENT l’ordonnance de sauvegarde du 3 octobre 2016;

[76]        ORDONNE le sursis de l’entrée en vigueur des Dispositions litigieuses suivantes du Règlement sur le contrôle des animaux (le «Règlement»)[30], pour valoir jusqu’à la décision finale sur la Demande :

a.            la définition des mots «chien de type Pit bull» de l’article 1, 10ième alinéa;

b.            le paragraphe 2° de la définition des mots «chien interdit» de l’article 1, 12ième alinéa;

c.             la SOUS-SECTION 1 (PERMIS SPÉCIAL DE GARDE D’UN CHIEN DE TYPE PIT BULL) de la SECTION IV (PERMIS SPÉCIAUX DE GARDE);

d.            la référence aux mots «ou d’un chien de type Pit bull» du paragraphe 5° du 2ième alinéa de l’article 19;

e.            la référence aux mots «ou de type Pit Bull [sic]» du 2ième alinéa de l’article 27;

f.              la référence aux mots «de type Pit Bull [sic]» du 3ième alinéa de l’article 44;

g.            la référence aux mots «de type Pit Bull [sic]» de l’article 45;

h.             l’article 55; et

i.              de façon générale, et ce, afin de pallier à tout oubli dans l’énumération des Dispositions litigieuses, toute référence dans le Règlement aux mots «chien de type Pit bull»;

[77]        ORDONNE l’exécution provisoire de ce jugement nonobstant appel;

[78]        LE TOUT, frais de justice à suivre.

 

 

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LOUIS J. GOUIN, J.C.S.

 

Mes Sibel Ataogul et Marie-Claude St-Amant

Melançon Marceau Grenier et Sciortino

Procureurs des Demanderesses

 

Mes René Cadieux et Justina Di Fazio

Blake, Cassels & Graydon

et

Me Ghislain Ouimet

Dagenais, Gagnier, Biron

Procureurs de la Défenderesse

 

Date d’audience :

3 octobre 2016

 



[1] R.R.V.M., c. C-10.

[2] Société de développement de la Baie James c. Kanatewat, [1975] C.A. 169, pp. 183 - 184; Grand Council of the Crees (Eeyou Istchee) c. Québec (Procureur général), 2009 QCCA 810, par. 27; Zaria c. Gignac, 2016 QCCS 85, par. [11] - [13]; Groupe CRH Canada inc. (Demix Construction) c. Montréal (Ville de), 2016 QCCS 1183, par. [35].

[3] Manitoba (Procureur général) c. Metropolitain Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, par. 34; RJR - MacDonald inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 (pp. 333 - 349); Harper c. Canada (Procureur général), [2000] 2 R.C.S. 764 (pp. 768 - 771).

[4] Idem.

[5] RLRQ, c. B-3.1.

[6] LBSA, art. 5.

[7] LBSA, art. 6.

[8] LBSA, art. 8.

[9] LBSA, art. 14.

[10] RLRQ, c. C-47.1.

[11] Règlement, art. 28, 1er alinéa, par. 12°.

[12] Règlement, 10ième alinéa.

[13] Déclaration-Carrière, et Pièces P-17, P-18, P-20 et P-22.

[14] Règlement, 13ième alinéa.

[15] Règlement, 9ième alinéa.

[16] Règlement, 12ième alinéa.

[17] Règlement, art. 3, 1er alinéa, par. 1°.

[18] Par. [30] de ce jugement.

[19] Règlement, art. 55.

[20] Déclaration-Carrière, par. 35 - 37; Déclaration-Robert, par. 53 - 55.

[21] Règlement, art. 16, 2ième alinéa, par. 7° a).

[22] Règlement, art. 28, 1er alinéa, par. 12.

[23] Règlement, SOUS-SECTION 1, art. 16 - 18.

[24] Règlement, art. 17, alinéa 1, par. 1°.

[25] Règlement, art. 16, 5ième et 6ième alinéa.

[26] Règlement, art. 17, 2ième alinéa.

[27] Règlement, art. 44, 1er et 3ième alinéa.

[28] Règlement, art. 45, 1er alinéa.

[29] Déclaration-Carrière, par. 39 et 40.

[30] R.R.V.M., c. C-10.

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