Décision

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N'Drin Beugré c. R.

2014 QCCA 2002

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-004892-111 et 500-10-005025-117

(500-01-005334-088 SEQ. ACC. 003)

 

DATE :

5 février 2015

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

 

SERGE N’DRIN BEUGRÉ

APPELANT - accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE - poursuivante

 

 

ARRÊT RECTIFICATIF

 

 

[1]           Dans l’arrêt déposé le 3 novembre 2014, une erreur s’est glissée au paragraphe [6] du dispositif de l’arrêt. Il est écrit :

[6]        MODIFIE les peines imposées, à être purgées concurremment, pour qu’elles soient de 72 mois pour les chefs de fraude perpétrés après le 15 septembre 2004 (chefs 2 à 66) et de 54 mois pour les chefs de fabrication de faux documents (chefs 168 à 172) et de fraude perpétrés avant le 15 septembre 2004 (chefs 67 à 78, 80 à 102 et 104 à 112), desquelles devra être créditée une période de 14 mois en raison de la détention provisoire, pour une peine globale résiduelle de 58 mois à compter de son incarcération.

[2]           Ce paragraphe aurait dû se lire ainsi :

[6]        MODIFIE les peines imposées, à être purgées concurremment, pour qu’elles soient de 72 mois pour les chefs de fraude perpétrés après le 15 septembre 2004 (chefs 67 à 78, 80 à 102 et 104 à 112) et de 54 mois pour les chefs de fabrication de faux documents (chefs 168 à 172) et de fraude perpétrés avant le 15 septembre 2004 (chefs 2 à 66), desquelles devra être créditée une période de 14 mois en raison de la détention provisoire, pour une peine globale résiduelle de 58 mois à compter de son incarcération.

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

 

 

 

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

Me Pierre Panaccio

Pierre Panaccio, avocat

Pour l’appelant

 

Me Kathleen Caron et Me Juan Manzano

Directeur des poursuites criminelles et pénales

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

9 avril 2014


N'Drin Beugré c. R.

2014 QCCA 2002

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-004892-111 et 500-10-005025-117

(500-01-005334-088 SEQ. ACC. 003)

 

DATE :

3 NOVEMBRE 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

 

SERGE N’DRIN BEUGRÉ

APPELANT - accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE - poursuivante

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelant se pourvoit contre 114 verdicts de culpabilité prononcés le 7 mars 2011, à l’issue d’un procès tenu devant jury ainsi que contre des peines que lui a infligées l’honorable Marc David de la Cour supérieure du district judiciaire de Montréal.

[2]           Pour les motifs du juge Gagnon, auxquels souscrivent les juges Dalphond et St - Pierre, LA COUR :

[3]           REJETTE l’appel des verdicts de culpabilité;

[4]           ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler des peines;

[5]           ACCUEILLE l’appel des peines;

 

[6]           MODIFIE les peines imposées, à être purgées concurremment, pour qu’elles soient de 72 mois pour les chefs de fraude perpétrés après le 15 septembre 2004 (chefs 2 à 66) et de 54 mois pour les chefs de fabrication de faux documents (chefs 168 à 172) et de fraude perpétrés avant le 15 septembre 2004 (chefs 67 à 78, 80 à 102 et 104 à 112), desquelles devra être créditée une période de 14 mois en raison de la détention provisoire, pour une peine globale résiduelle de 58 mois à compter de son incarcération.

[7]           ORDONNE à l’appelant de se livrer aux autorités carcérales au plus tard le 7 novembre 2014, à 16 h 30.

 

 

 

 

PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

 

 

 

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

Me Pierre Panaccio

Pierre Panaccio, avocat

Pour l’appelant

 

Me Kathleen Caron et Me Juan Manzano

Directeur des poursuites criminelles et pénales

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

9 avril 2014


 

 

MOTIFS DU JUGE GAGNON

 

 

[8]           L’appelant a interjeté appel des verdicts de culpabilité prononcés le 7 mars 2011 par le jury qui l’a reconnu coupable de 109 chefs d’accusation de fraude (art. 380(1) a) C.cr.) et de 5 chefs de fabrication de faux documents (art. 367(a) C.cr.) ainsi que des peines concurrentes de 96 mois pour les chefs de fraude commis après le 15 septembre 2004, de 72 mois pour les chefs de fraude commis avant cette date et pour les chefs de fabrication de faux documents que lui a infligées le juge de la Cour supérieure (l’honorable Marc David).

[9]           Tous les crimes reprochés ont été commis aux dépens des investisseurs des fonds communs gérés par Norbourg. L’appelant était connu comme étant le bras droit de Vincent Lacroix, l’architecte et principal bénéficiaire d’une fraude d’environ 95 000 000 $.

[10]        Je suis d’avis qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi des verdicts de culpabilité et d’accueillir la requête pour permission d’appeler de la peine et de réduire la sentence prononcée pour les motifs qui suivent.

1.         LE CONTEXTE

[11]        La Commission des valeurs mobilières du Québec [CVMQ], remplacée en 2004 par l’Autorité des marchés financiers [AMF], avait, en 2001, autorisé Norbourg Services Financiers inc. [NSF] à vendre des fonds communs de placement.

[12]        NSF était une société constituée en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions depuis 1998 dont Vincent Lacroix était actionnaire et administrateur. La société a changé de nom le 15 avril 2003 pour devenir Norbourg Gestion d’actifs inc. [NGA].

[13]        L’appelant, qui s’était lié d’amitié avec Vincent Lacroix depuis leurs études universitaires, entre en fonction chez NSF au début de l’année 2002. Son contrat d’embauche porte toutefois la date du 30 juin 2002. Il devient, à la même époque, vice-président et directeur général adjoint de NSF et subséquemment de NGA.

[14]        Les rapports annuels 2003-2004, au chapitre intitulé « Comité de gestion », décrivent l’appelant comme ayant acquis une maîtrise en finances, un baccalauréat en administration des affaires en plus de détenir le titre d’analyste financier agréé (CFA).

[15]        Tous les fonds communs de placement provenant d’investisseurs sollicités par NSF ou NGA étaient confiés au gardien des valeurs, Northern Trust [NT]. Entre 2001 et 2005, seuls Vincent Lacroix et David Simoneau avaient l’autorité pour effectuer des retraits auprès de NT. Après cette période, Jean Cholette et David Cloutier ont également été autorisés à rapatrier les actifs gardés par NT.

[16]        Déjà en octobre 2002, la valeur des actifs des investisseurs détenus chez NT ne correspondait pas à ce qu’elle devait être en raison des détournements effectués par Lacroix. Simoneau et Lacroix transmettaient en effet à NT des ordres de retraits de fonds à l’insu de leur propriétaire, que le gardien des valeurs exécutait. Les fonds retournés n’étaient pas comptabilisés dans le système de gestion informatisé (Octan) de NSF de façon à laisser la fausse impression qu’ils étaient toujours intacts entre les mains du gardien des valeurs.

[17]        Ces sommes étaient par la suite acheminées vers des comptes bancaires détenus par des entités corporatives dans lesquelles Lacroix et l’appelant étaient des dirigeants autorisés à transiger. Les fonds étaient alors utilisés pour servir les fins personnelles de Lacroix.

[18]        La réception, le 15 octobre 2002, d’un avis émanant de la CVMQ annonçant une inspection imminente et exigeant la production d’une liste de documents crée un vent de panique chez NSF. L’entreprise a alors un urgent besoin d’un informaticien habile pour mettre en place le camouflage destiné à leurrer l’organisme réglementaire et à masquer les retraits et détournements frauduleux des fonds communs de placement.

[19]        L’appelant, qui connaît déjà Félicien Souka, le présente à Lacroix comme étant celui qui peut les aider à réaliser la facette informatique de ce travail délicat, notamment en créant un gabarit servant à fabriquer de faux rapports périodiques de NT démontrant que l’argent des investisseurs est demeuré dans les coffres du gardien des valeurs.

[20]        Le temps presse, Lacroix embauche Souka et l’opération « falsification » est aussitôt déclenchée. Les acteurs travaillent en équipe la nuit et les fins de semaine à l’insu des autres employés de la société. L’appelant s’y affaire en compagnie de Souka. Leur contribution est particulièrement significative sur la création des faux rapports périodiques de NT.

[21]        En apparence du moins, la CVMQ n’y a vu que du feu et a semblé satisfaite de la gestion des fonds de placement de NSF. Aussitôt l’inspection terminée, Lacroix et ses complices reprennent leurs activités comme si de rien n’était, si ce n’est que la contrefaçon est désormais intégrée aux pratiques courantes de la société pour camoufler au fur et à mesure le pillage des fonds des investisseurs.

[22]        Ainsi, chacun des 109 chefs de fraude pour lesquels l’appelant a été déclaré coupable correspond à un retrait de fonds obtenu de NT sous un faux prétexte et sans que l’investisseur l’ait voulu ou autorisé.

[23]        Ces exactions sont toutes maquillées pour leur donner une image légitime alors qu’en réalité des sommes d’argent considérables vont se retrouver momentanément dans un compte bancaire de NSF, tenu à l’écart de la comptabilité de la société et exempt de toute vérification. L’argent est ensuite détourné vers les coffres de Norbourg International inc. [NI], de Norbourg Gestion Financière inc. [NGF] ou de Société immobilière Norbourg [SIN] qui sont des entités corporatives contrôlées par Lacroix et dans lesquelles l’appelant est administrateur.

[24]        Lacroix y puisera, avec l’aide ou l’approbation de l’appelant, des millions de dollars pour satisfaire ses besoins personnels extravagants et pour acquérir des biens qui enjolivent son image publique.

[25]        C’est ainsi que l’appelant signera quatre chèques tirés entre les mois de mars et juin 2005 sur le compte de NI, au bénéfice de Lacroix, totalisant plus de 1,5 million de dollars et qu’il approuvera l’acquisition, avec l’argent des investisseurs, au coût de 6,55 millions de dollars du restaurant le Grand Café et de Investissement BBA inc. au prix de 6 millions de dollars.

[26]        L’appelant ne demeure pas en reste pour autant. Son contrat d’embauche prévoit une rémunération annuelle de 140 000 $ et son employeur met de plus à sa disposition une voiture luxueuse. Une société dont il est l’âme dirigeante, Ivoire Finance inc., touchera, de plus, entre les mois de novembre 2004 et juillet 2005, 400 000 $ provenant de fonds détournés frauduleusement.

[27]        Le 10 septembre 2004, AMF annonçait à NGA son intention de procéder à une seconde inspection le 21 septembre puis, le 28 octobre 2004, AMF institue une enquête sur les activités du conseiller en valeurs NGA.

[28]        La même année, Lacroix a approché la firme PricewaterhouseCoopers pour exécuter une déclaration volontaire auprès des autorités fiscales par laquelle il entend justifier, au moyen de revenus de placement fictifs, le financement des activités de NSF et NGA (s’élevant à 28 800 000 $) et un accroissement de ses actifs personnels (d’une somme avoisinant les 20 000 000 $).

[29]        Les faussaires sont à nouveau mis à contribution pour créer de faux états de compte d’une banque suisse, UBS Wealth Management, et de faux rapports de NT pour des comptes de placement ouverts par Lacroix.

[30]        Ce dernier avait, le 27 avril 2005, demandé à son cousin et employé David Simoneau d’ouvrir deux comptes de placement à son nom chez NT (VLX et VLA) dans lesquels il n’effectuera aucune transaction, mais grâce auxquels les contrefaçons exécutées par Souka et l’appelant donneront une apparence d’activités financières soutenues et surtout très rentables.

[31]        Ces fabrications de faux documents donneront lieu au prononcé de cinq verdicts de culpabilité (chefs 168 à 172) contre l’appelant.

[32]        En octobre 2004, NGA avait par ailleurs retenu les services de Jean Hébert pour assurer le respect des politiques de placement de la société. Celui-ci fut par la suite promu vice-président aux finances et commença à s’interroger sur la provenance des importantes sommes d’argent transitant dans les comptes bancaires de la société. Il en discute avec un compagnon de travail, Éric Asselin, et décide de pousser ses recherches plus loin. C’est alors qu’il découvre que Lacroix puise l’argent directement dans les fonds de placement des investisseurs pour les détourner à son bénéfice personnel.

[33]        Au moment où il s’apprête à dénoncer la situation aux policiers, Éric Asselin lui apprend qu’il s’est déjà adressé à AMF et à la Gendarmerie Royale du Canada. Il rencontre néanmoins les enquêteurs au début du mois d’août 2005.

[34]        La perquisition au siège social des sociétés du groupe Norbourg, le 25 août 2005, met un terme aux activités frauduleuses de Lacroix et de ses associés.

[35]        L’enquête policière subséquente révélera que les investisseurs avaient été floués d’environ 95 000 000 $ qui avaient été confiés au gardien des valeurs, mais qui avaient été retirés sans droit par Lacroix et ses complices pour être ensuite dilapidés.

[36]        Il appert que de cette somme, 28,8 millions de dollars ont transité dans un compte occulte de NSF et NGA et que 37 millions de dollars se sont retrouvés dans celui de NI avant d’aboutir entre les mains des auteurs de cette fraude gigantesque.

2.         LES PROCÉDURES

[37]        Conjointement avec quatre autres accusés (Jean Renaud, Félicien Souka, Jean Cholette et Rémi Deschambault), l’appelant a subi un procès devant jury qui a nécessité 103 jours d’audition répartis sur une période d’environ 7 mois, la présentation de 68 témoins et le dépôt de plus de 2 798 pièces. Il s’agissait pour lui d’un second procès relativement à ce qui était communément qualifié d’« affaire Norbourg », le premier s’étant terminé par un désaccord du jury le 26 janvier 2010.

[38]        Après avoir délibéré durant 14 jours, les jurés ont acquitté Jean Renaud et Félicien Souka, reconnu coupable l’appelant sur 109 chefs d’accusation et Jean Cholette sur 126 chefs d’accusation, mais n’ont pu s’entendre sur des verdicts unanimes en ce qui concerne Rémi Deschambault.

[39]        La peine fut prononcée le 30 septembre 2011. Le juge de la Cour supérieure a imposé à l’appelant 58 mois de détention sur les 65 chefs de fraude commis avant le 15 septembre 2004 (date à laquelle la peine maximale pour l’accusation de fraude est passée de 10 ans à 14 ans) de même que sur les 5 chefs de fabrication de faux documents et 82 mois de détention sur les 44 chefs de fraude perpétrés après le 15 septembre 2004, après lui avoir crédité l’équivalent d’une période de 14 mois de réclusion en raison de la détention provisoire.

[40]        Le 3 avril 2011, il interjette appel des verdicts de culpabilité prononcés contre lui.

[41]        Le même jour, sa requête pour mise en liberté provisoire est accueillie et l’appelant recouvre sa liberté après avoir souscrit un engagement de respecter certaines conditions.

[42]        Le 27 octobre 2011, un juge de la Cour a déféré à la formation désignée pour entendre l’appel des verdicts de culpabilité la requête pour être autorisé à appeler de la peine.

3.         QUESTIONS LITIGIEUSES

[43]        L’appelant énonce dans son mémoire ses moyens d’appel sous la forme des sept questions suivantes :

1)            L’interprétation de la théorie de l’ignorance volontaire livrée par le Juge d’instance, aux membres du Jury, est erronée. Plus particulièrement, en ce que cette interprétation occulte complètement la notion de l’actus reus spécifiquement dans l’application de l’art. 21(1)b) du C.cr.;

2)            Le Juge d’instance a erré en droit en rejetant la requête pour verdict imposé présentée par l’Appelant, et ce, plus particulièrement quant aux chefs 2 à 112 de l’acte d’accusation;

3)            Lors d’une mise en garde quant au témoin délateur David Simoneau, le Juge d’instance prévient les membres du Jury contre l’utilisation d’un tel témoignage sans faire la contrepartie, à savoir que ledit témoin peut, entre autres, être cru en partie;

4)            Le Juge d’instance ne mentionne pas lors de son exposé sur la preuve circonstancielle que la culpabilité de l’Appelant doit être la seule conclusion logique à tirer des circonstances;

5)            Le Juge d’instance a erré en droit en permettant le dépôt comme pièce, et ce, dès le début du procès, des documents non issus de la preuve;

6)            L’exposé du Juge d’instance ne tient pas compte de la spécificité chronologique des accusations de fraude;

7)            Le verdict est déraisonnable.

[44]        Après avoir ainsi énoncé ces sept moyens d’appel, son argumentation rassemble plutôt ces moyens sous deux volets intitulés « jury » et « preuve ».

[45]        Je crois utile dans ces circonstances de reformuler ainsi les questions soulevées par le pourvoi :

1)            L’appelant a-t-il été privé de son droit à un procès juste et équitable?

2)            Les directives du juge au jury sont-elles à ce point erronées qu’elles justifient une ordonnance de nouveau procès?

3)            Le juge a-t-il erré en rejetant la requête de l’appelant pour un verdict imposé relativement aux chefs d’accusation de fraude?

4)            Les verdicts sont-ils déraisonnables?

5)            Les peines infligées sont-elles raisonnables et indiquées?

4.         L’APPELANT A-T-IL ÉTÉ PRIVÉ DE SON DROIT À UN PROCÈS JUSTE ET     ÉQUITABLE?

            4.1       Prétentions de l’appelant

[46]        En permettant au jury d’avoir accès aux pièces avant que chacune d’entre elles ne soit validement admise en preuve, le juge aurait accentué le risque que les jurés tirent des conclusions prématurées et néfastes à la thèse de l’appelant.

[47]        L’objectif poursuivi en autorisant cet accès aurait facilité la tâche du poursuivant en augmentant les risques d’erreurs et de confusion au détriment des droits de l’appelant.

[48]        D’ailleurs, les notes et les demandes des jurés démontreraient qu’ils ont effectivement scruté la preuve avant qu’elle ne soit validement admise.

[49]        Le juge aurait par ailleurs erronément cru que des directives appropriées à cet égard suffiraient à assurer l’équité du procès. Or, certains jurés auraient été irrespectueux à l’égard des consignes du juge. L’attitude récalcitrante de ceux-ci démontrerait que justice n’apparaît pas avoir été rendue, notamment lorsque l’un d’eux a discuté avec l’épouse d’un des procureurs de la poursuite à l’extérieur de la salle d’audience et qu’un autre aurait encouragé un journaliste à continuer d’écrire des articles qui lui étaient très utiles pour comprendre la preuve.

            4.2       L’accès prématuré aux pièces

[50]        Pour faciliter le travail des jurés et assurer un procès ordonné et efficace, les parties avaient, en juin 2010, consenti au dépôt des pièces P-181[1] et P-182[2], sous réserve des objections à l’introduction subséquente en preuve de leur contenu qui pourraient, le cas échéant, être formulées et de directives interdisant aux jurés de prendre connaissance des pièces avant leur production.

[51]        Au début du procès, le 20 septembre 2010, les pièces P-181 et P-182 furent donc remises aux jurés par le juge avec instructions de ne consulter que les documents effectivement reçus en preuve :

À cet effet, j’ai demandé que la preuve documentaire électronique soit mise à votre disposition dès le début du procès. Vous recevrez donc deux (2) CD de la preuve documentaire électronique. De cette façon, vous pourrez consulter la preuve documentaire dans votre salle de délibéré au fur et à mesure durant le procès. Par contre, les documents qui sont contenus dans les CD seront déposés en preuve individuellement, tout au long du procès. Madame la Greffière tiendra un registre des documents qui sont mis en preuve chaque jour. Avant qu’un document ne soit déposé en preuve dans la salle de Cour, il ne constitue pas de la preuve. Je répète. Avant qu’un document ne soit déposé en preuve dans la salle de Cour, il ne constitue pas de la preuve. Vous ne devez donc consulter que les documents qui portent une cote dans le dossier de la Cour. À moins qu’un document ne soit coté, il n’est pas en preuve et il vous est interdit de les consulter.

Cette directive est importante car ce sont uniquement les avocats qui décident des éléments de preuve que vous avez à considérer dans un procès. Ce sont les avocats qui contrôlent la preuve, et c’est donc important que vous ayez accès aux seuls éléments de preuve qui portent une cote de la Cour. D’autre part, il se pourrait qu’un document contenu dans votre CD soit déclaré inadmissible selon une décision que je rendrais. À ce moment, vous n’auriez pas le droit de consulter ou de prendre en considération ce document contenu dans votre CD, et je serai contraint de vous demander de ne pas en tenir compte… de ne pas tenir compte d’un tel document. C’est une des raisons pour lesquelles vous ne devez pas consulter les documents sur votre CD avant qu’ils ne soient déposés formellement en preuve en salle de Cour, avec une cote précise.

                                                                                                            [Je souligne]

[52]        Or, cette directive répond à toutes les préoccupations soulevées par l’avocate qui représentait l’appelant lors de la conférence préparatoire et constitue des instructions on ne peut plus claires sur la façon d’utiliser les pièces P-181 et P-182.

[53]        L’appelant soutient que le jury n’a pas respecté cette directive et qu’il « circulait allègrement » dans la preuve comme le démontreraient les notes J-2 et J-3 que les jurés ont fait parvenir au juge.

[54]        La note J-2, qui est datée du 25 octobre 2010, indique au juge :

Il nous est impossible d’ouvrir les fichiers .doc et .xls, la suite de logiciels Word et Excel n’est pas installée sur nos ordinateurs.

[55]        Pourtant, les logiciels mentionnés ne sont pas requis pour consulter les pièces P-181 et P-182, mais le sont pour visualiser des documents contenus dans deux autres pièces déjà produites en preuve, mais qui n’apparaissent pas dans P-181 et P-182.

[56]        Ce n’est donc pas pour « circuler allègrement » dans P-181 et P-182 que les jurés adressent cette demande au juge, mais pour avoir accès à des pièces déjà admises en preuve. D’ailleurs, dans les minutes précédant la transmission de la note J-2, les jurés avaient assisté au témoignage de Veda Nancoo qui avait commenté des documents contenus dans la pièce INF-3 dont la consultation nécessitait l’utilisation du logiciel Word.

[57]        Le texte de la note J-3 que les jurés font parvenir au juge le 26 octobre 2010 mentionne par ailleurs ce qui suit :

Il manque les pages 434 et 435 de la pièce P-182 (cartable noir qui est la liste de pièces).

[58]        Les pages manquantes (434 et 435 de P-182) énumèrent des documents relatifs au chef de fraude n° 51 et, plus particulièrement, les pièces P-51.5 et P-51.6 qui avaient été discutées le 14 octobre précédent à l’occasion du témoignage de Ginette Rouleau.

[59]        Il était en conséquence tout à fait légitime et conforme aux instructions du juge que les jurés consultent P-182 et remarquent que des pages pertinentes étaient manquantes.

[60]        L’argument de l’appelant selon lequel les jurés ont fait fi des directives du juge relativement à la consultation des pièces P-181 et P-182 est en conséquence sans aucun fondement.

            4.3       L’indiscipline du jury et sa fragilité à l’influence extérieure

[61]        Tel que souligné précédemment, l’argument de l’appelant prend appui sur deux incidents survenus à l’extérieur de l’enceinte du tribunal lors desquels :

1.            Le juré #11 rencontre une dame Labrecque qui déambule sur le trottoir et qu’il voit régulièrement dans la salle d’audience. Il lui demande alors si elle est journaliste et celle-ci lui répond qu’elle est l’épouse du procureur de la poursuite. Après avoir échangé quelques mots sur l’expérience d’être juré, l’épouse du substitut lui dira qu’elle espère que le procès ne se terminera pas comme le premier;

2.            Alors que le juré #2 est en compagnie du juré #7, il croise dans un corridor du Palais de justice le journaliste Yvon Côté et lui dit : « Continuez à écrire sur votre blogue car sans vous je ne comprends plus rien ». Lorsque interrogé à ce sujet, le juré #2 dira qu’il s’agissait d’une blague de mauvais goût faite parce que ce qu’il avait lu dans le blogue ne correspondait pas à la preuve entendue en salle d’audience.

[62]        Dès qu’il en fut avisé, le juge a aussitôt institué une enquête sur chacun de ces incidents et a interrogé sous serment les personnes impliquées. Il en ressort que (1) le commentaire fait par l’épouse du procureur n’a pas été partagé avec les autres jurés, (2) le juré #11 conserve, malgré les événements, sa capacité de juger l’appelant en toute impartialité, (3) les propos du juré #2 constituent une mauvaise blague et (4) ce dernier a toujours la capacité de décider du sort de l’appelant en toute impartialité.

[63]        Appliquant le critère du « danger réel que les accusés ne subissent plus un procès juste et équitable », le juge conclut que ces deux jurés peuvent continuer d’agir, mais ordonne que l’épouse du procureur s’absente du Palais de justice jusqu’à la fin du procès.

[64]        Dans R. c. Pan, la juge Arbour rappelle à cet égard :

Il y a également des limites à la possibilité de recourir à l’art. 644 du Code comme mécanisme de libération des jurés au cours d’un procès. Cet article ne permet la libération d’un juré au cours du procès que dans les cas où surgit un problème sérieux quant à son aptitude à agir comme juré. Il n’a pas pour objet d’encourager les jurés à se plaindre au juge de faits anodins au sujet de leurs collègues au cours du procès, pas plus qu’il ne prévoit la libération de jurés pour des problèmes mineurs. Il appartient au juge du procès de décider de la meilleure façon d’instruire le jury de ces questions. […] Les jurés doivent également comprendre que le juge du procès est là pour leur venir en aide s’ils éprouvent, au cours de leurs délibérations, quelque difficulté sérieuse qu’ils sont incapables de résoudre. [3]

                                                                        [Référence omise]      [Je souligne]

[65]        La Cour d’appel d’Ontario, reprenant dans l’affaire Giroux les critères d’intervention établis dans R. c. Hanna[4], écrit :

Each case must be tackled in the context of its own factual dynamics, and a trial judge should be afforded a high degree of flexibility in grappling with what is at best a delicate and difficult situation. This will better serve the course of justice. As noted by Wood J.A., in Hanna at 313, “the discretion exercised by a trial judge under s. 644(1) ought to be respected unless the record discloses a reasonable possibility that the accused’s right to a fair trial was precluded”.[5]

                                                                        [Référence omise]      [Je souligne]

[66]        Dans R. c. Jolivet, le juge Baudouin définit ainsi le critère à appliquer en exerçant les pouvoirs prévus à l’article 644(1) C.cr. :

Le pouvoir discrétionnaire du juge de libérer un juré au terme de l’article 644 C.cr. ou de mettre fin au procès doit donc être exercé judiciairement et en fonction du critère de l’existence d’un danger réel.[6]

                                                                        [Référence omise]      [Je souligne]

[67]        En somme, le juge a conduit l’enquête appropriée, appliqué un critère d’analyse reconnu et exercé judiciairement sa discrétion. Sa conclusion selon laquelle le droit de l’appelant à un procès juste et équitable n’a pas été compromis a droit à beaucoup de déférence.

[68]        Ce moyen d’appel doit, en conséquence, échouer.

5.         LES DIRECTIVES DU JUGE AU JURY CONTIENNENT-ELLES DES ERREURS JUSTIFIANT UNE ORDONNANCE DE NOUVEAU PROCÈS

            5.1       Prétentions de l’appelant

[69]        L’appelant soutient que les directives du juge aux jurés sont lacunaires et insuffisantes sous cinq aspects : (1) il aurait dû préciser au jury que la pièce P-181 ne constituait pas un élément de preuve, (2) en présence d’une preuve essentiellement indirecte, le juge devait instruire les jurés de la nécessité que la culpabilité soit la seule conclusion logique émanant de la preuve, (3) il n’aurait pas dû qualifier de « suspect » le témoignage de David Simoneau qui disculpait l’appelant, (4) le juge se devait de spécifier qu’un verdict de culpabilité nécessitait pour chaque chef d’accusation une preuve hors de tout doute raisonnable de la coexistence d’un actus reus et d’une intention coupable aux dates spécifiées dans les chefs d’accusation et, finalement, (5) le juge n’aurait pas dû instruire les jurés de la théorie de l’ignorance volontaire.

            5.2       La pièce P-181

[70]        En plus de la directive spécifique donnée au début du procès, au moment de la remise de la pièce P-181 aux jurés et dont j’ai traité plus tôt, le juge ajoute lors des directives finales :

Conformément à mes directives en cours de procès, je vous rappelle que tous les outils de travail préparés pour votre attention ne constituent pas de la preuve, que cet outil de travail provienne des avocats, des accusés ou des témoins. Vous y référez selon vos besoins et selon votre discrétion. Vous n’êtes d’aucune façon liés au contenu de ces outils. Ils peuvent vous être utiles ou pas utiles du tout. C’est vous qui décidez.

[71]        L’ensemble constitue, à mon avis, des instructions claires, tant en ce qui concerne la nature de la pièce P-181 que de l’usage que pouvaient en faire les jurés.

[72]        J’estime que le reproche fait au juge à cet égard est sans aucun fondement.

5.3       La preuve circonstancielle

[73]        L’appelant soutient également que la directive relative à la preuve indirecte est inadéquate malgré sa demande au juge de la préciser davantage, voire de la corriger. Or, aucune suite n’aurait été donnée à sa requête par le juge.

[74]        Ce moyen cible l’extrait suivant de la directive qui, selon l’appelant, limiterait erronément l’assise factuelle de la déduction pouvant être tirée de la preuve :

Vous en tant que juges des faits, vous présumez d’un fait à partir d’indices de faits prouvés dont vous appréciez la valeur probante. Pour les juges des faits que vous êtes, ce qu’il retient devient la seule conclusion logique possible et c’est le propre de notre dossier présentement.

[75]        Dans l’arrêt Hay, la Cour suprême reprend le principe applicable à l’examen d’un exposé au jury par une cour d’appel :

[47]      Lors de l’examen d’un exposé fait au jury, « [u]ne cour d’appel doit examiner l’erreur alléguée dans le contexte de l’ensemble de l’exposé au jury et du déroulement général du procès »; R. c. Jaw, 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26, par. 32. Si, dans un exposé au jury, un passage contesté pris isolément peut amener à conclure qu’il renferme une erreur de droit, une cour d’appel n’interviendra pas s’il est évident, compte tenu de l’exposé complet, que le jury a reçu les directives appropriées; ibid., par. 3 et 24.

[48]      En outre, bien que des directives au jury inadéquates entraînent l’intervention des cours d’appel, le juge du procès doit jouir d’une certaine latitude sur la façon de donner ses directives; voir R. c. Avetysan, 2000 CSC 56, [2000] 2 R.C.S. 745, par. 9. Ainsi, le juge du procès n’est pas tenu de recourir à [traduction] « une formulation particulière » pour attirer l’attention du jury sur les faiblesses de la preuve par témoin oculaire; il faut, au contraire, lui accorder une latitude considérable dans le choix de la meilleure façon d’informer les jurés de ces faiblesses; Turnbull, p. 552; R. c. Candir, 2009 ONCA 915, 257 O.A.C. 119, par. 110.[7]

[76]        La Cour rappelle, dans l’arrêt Delisle[8], la nécessité de procéder à une analyse fonctionnelle des directives données au jury :

[35]      Il est acquis que ces directives doivent être évaluées d’un point de vue fonctionnel plutôt que littéral, c’est-à-dire que le tribunal d’appel doit procéder à « une analyse fonctionnelle des directives qui ont été données, et non pas [à] une analyse idéalisée des directives qui auraient pu être données ». Une cour d’appel doit aborder l’exposé dans son ensemble et dans le contexte du procès en vue de déterminer si les directives sont appropriées, et non pas parfaites, en ce qu’elles ont permis au jury de juger des faits conformément aux principes de droit applicables. La Cour suprême récapitule ces principes dans R. c. Daley :

      [30]      En déterminant si le juge du procès a donné des directives adéquates sur ces éléments dans son exposé au jury, le tribunal d’appel ne doit pas oublier ce qui suit. La règle cardinale veut que ce qui importe soit le message général que les termes utilisés ont transmis au jury, selon toutes probabilités, et non de savoir si le juge a employé une formule particulière. Le choix des mots et l’ordre des différents éléments relèvent du pouvoir discrétionnaire du juge et dépendront des circonstances.

      [31]      Pour établir le message général qui a vraisemblablement été transmis au jury par les termes utilisés, le tribunal d’appel considérera l’exposé dans son ensemble. Le juge du procès n’est pas tenu à la perfection dans la formulation de ses directives. L’accusé a droit à un jury qui a reçu des directives appropriées, et non des directives parfaites : voir Jacquard, par. 2. C’est l’effet global de l’exposé qui compte.

[77]        D’autre part, depuis les décisions Griffin[9] et Mayuran[10], il est acquis qu’aucune directive spéciale n’est requise lorsque la preuve est, comme en l’espèce, essentiellement circonstancielle. Il suffit que les jurés soient informés de la façon dont ils peuvent l’utiliser « pour établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable » ou conclure à l'innocence.

[78]        En l’espèce, le juge a adéquatement défini et distingué la preuve directe et la preuve circonstancielle. Il a également instruit les jurés sur la façon d’utiliser ces deux types de preuve et a surtout rappelé que chacun des éléments essentiels de chacune des infractions reprochées devait, à partir de l’ensemble de la preuve, être démontré hors de tout doute raisonnable :

La preuve directe établit directement un fait, le témoin d’un événement déclare ce qu’il a vu, ce qu’il a constaté ou ce qu’il a entendu.

La preuve indirecte ou circonstancielle découle indirectement de la preuve directe. Un fait non constaté, donc à déterminer, peut se déduire d’un fait établi par preuve directe. Le juge des faits, par un processus d’inférence ou de déduction, tire une conclusion de fait à partir d’un fait connu qu’il accepte en preuve.

[…]

La déduction ou l’inférence que le jury peut faire doit être fondée cependant sur la preuve que les juges des faits, soit vous-mêmes, considérez fiable et crédible. Cette preuve doit être raisonnable sans être purement spéculative, hypothétique ou (inaudible).

On peut présumer de quelque chose en s’appuyant sur des indices fiables dans la preuve que l’on accepte comme probante. On ne peut s’appuyer sur de simples conjectures. Le fait à déterminer doit s’inférer logiquement du fait connu. Le fait inconnu à être déterminé doit découler forcément du fait connu sans relever de la pure hypothèse ou de la spéculation.

[…]

Ensemble, ces faits doivent tendre à établir la conclusion qu’il faut tirer. Chacun des faits ou indices, lorsque considérés de façon isolée, peut ne pas suffire en soi à justifier la conclusion recherchée. Cependant, l’ensemble de ces faits, lorsque réunis, peut, par preuve circonstancielle, établir l’existence d’un fait présumé, soit la conclusion de fait que l’on tire de ces circonstances.

À cet égard, nous donnons souvent comme exemple le casse-tête dont chacune des pièces ne représente rien, mais dont l’ensemble permet de voir une image. Le juge des faits ne doit évidemment pas se limiter à examiner chaque élément de preuve séparément; il doit plutôt se demander, à partir des faits qu’il retient, s’il y a lieu de tirer l’inférence ou la déduction qu’une partie lui demande d’en tirer.

[…]

La conclusion de faits tirés de la preuve circonstancielle, lorsqu’elle porte en soi sur l’existence d’un élément essentiel à la commission d’une infraction, doit être établie au-delà de tout doute raisonnable. À défaut, cet élément essentiel n’est pas prouvé en fonction du fardeau de preuve de la Poursuite.

[…]

Pour que la preuve circonstancielle puisse entraîner un verdict de culpabilité, vous devez être convaincu au-delà ou hors de tout doute raisonnable de l’existence du fait qu’il en déduit, relatif à un élément essentiel de l’infraction, lequel émane de l’ensemble des indices mis en preuve.

                        [Reproduit tel que transcrit]    [Références omises]  [Je souligne]

[79]        Examiné à la lumière du contexte de l’ensemble de l’exposé au jury et du déroulement du procès, l’extrait contesté ne m’apparaît pas être erroné au point de justifier une intervention.

[80]        Le juge n’avait pas non plus, dans ces circonstances, l’obligation de répondre positivement à la demande de correction de l’exposé que lui formulait l’avocat de l’appelant.

5.4       La directive Vetrovec

[81]        Pour l’appelant, il n’existait aucune raison valable de mettre en garde le jury contre le danger de prêter foi au témoignage de David Simoneau en l’absence de preuve confirmative. Le préjudice est, à son avis, d’autant plus important que ce témoin de la poursuite le disculpait.

[82]        Bien qu’il n’en ait pas lui-même témoigné, l’appelant soutenait que la preuve de la poursuite démontrait qu’il ignorait que Vincent Lacroix et ses complices bernaient et flouaient les investisseurs du groupe Norbourg. L’argument ciblait particulièrement le témoignage de David Simoneau dont la version confirmerait son ignorance des malversations de Lacroix.

[83]        Bien que très jeune et sans antécédents judiciaires, David Simoneau était le principal instrument dont s’était servi Lacroix pour rapatrier, sous de faux prétextes, l’argent des investisseurs confié au gardien des valeurs, pour ensuite le détourner à son propre bénéfice.

[84]        Lorsque l’arnaque a été mise à jour, Simoneau, dont la participation aux actes criminels commis était importante, a conclu une entente d’immunité complète en échange de sa collaboration et de son témoignage contre Lacroix et ses complices.

[85]        La mise en garde de type Vetrovec ne s’impose pas uniquement dans les cas de témoin au lourd passé criminel, mais est appropriée pour tous les témoins à charge dont la crédibilité peut être suspecte ou problématique.

[86]        L’arrêt Khela nous rappelle à cet égard :

… tous les témoins qui, en raison de leur amoralité, de leur mode de vie criminel, de leur malhonnêteté par le passé ou de leur intérêt qu’ils ont dans l’issue du procès, ne peuvent être présumés dire la vérité - même s’ils se sont engagés par serment ou affirmation à le faire. [11]

[87]        D’autre part, le témoignage de Simoneau n’est pas uniquement disculpatoire, comme le sous-entend l’appelant. Il comporte aussi des passages qui sont pour lui très accablants, notamment en ce qui concerne l’automatisation de fausses données intégrées dans les rapports trafiqués de NT à laquelle a substantiellement collaboré l’appelant en compagnie de Félicien Souka.

[88]        De plus, il faut rappeler que l’appelant subissait son procès conjointement avec quatre autres accusés dont certains attaquaient la crédibilité de Simoneau et réclamaient que les jurés soient informés du danger de prononcer un verdict de culpabilité sur la foi d’un tel témoignage non confirmé.

[89]        Je suis d’avis que le juge a correctement éveillé l’attention du jury au danger que pouvait représenter le témoignage de Simoneau.

[90]        Quant à la nécessité pour le juge de réitérer que le témoignage pouvait être cru en partie, comme il l’avait fait lors des directives préliminaires et finales, je suis d’avis que la répétition de ce qui avait déjà été dit à quatre reprises ne s’imposait pas.

[91]        Ce moyen d’appel est en conséquence sans fondement.

5.5       Coexistence de l’actus reus et de la mens rea de la participation criminelle avant ou aux dates spécifiées dans l’acte d’accusation

[92]        L’appelant propose que le choix de la poursuivante de porter une accusation de fraude pour chaque retrait de fonds effectué auprès du gardien des valeurs, à l’insu des investisseurs concernés et d’attribuer à chacun des chefs la date du retrait comme étant la date approximative de la perpétration, rendait nécessaire une directive spécifique portant sur l’exigence que le geste accompli pour aider à la commission de la fraude soit antérieur ou concomitant au retrait frauduleux.

[93]        Il pointe alors un court extrait des directives finales où le juge précise aux jurés qu’ils doivent pouvoir conclure hors de tout doute raisonnable de la preuve que l’appelant « n’a pas été un spectateur passif de la fraude de Vincent Lacroix » et en tire l’argument qu’ainsi formulée la directive porte à confusion en ne précisant pas adéquatement le moment des gestes reprochés et en ne distinguant pas entre la participation à l’infraction et la complicité après le fait.

[94]        Cette vision des choses omet de considérer les directives au jury dans leur ensemble et de prendre en compte que la fraude est, en l’espèce, constituée d’étapes débutant par le retrait des fonds détenus par le gardien des valeurs à l’insu des investisseurs et passant par la réception des sommes par des entités corporatives administrées par Lacroix et l’appelant, d’où elles sont détournées pour le bénéfice personnel de l’un ou de l’autre.

[95]        Sur le chemin qu’emprunte l’argent des investisseurs, plusieurs manœuvres dolosives sont mises en œuvre pour masquer le détournement, notamment les faux prétextes avancés au gardien des valeurs pour qu’il libère les fonds, la fabrication de faux documents pour confondre l’AMF et les investisseurs et l’utilisation de comptes de banque occultes et de sociétés non assujetties à l’AMF pour dissimuler ces exactions.

[96]        Tout le stratagème servait à maintenir l’image que NSF, NGA et leurs dirigeants respectaient les règles de l’industrie ainsi qu’à berner la confiance des investisseurs qui croyaient bien candidement que leurs économies étaient en sûreté auprès du gardien des valeurs, alors qu’en réalité leur argent était entre les mains de Lacroix et de ceux qu’il avait initiés à sa combine.

[97]        Je retiens des motifs concordants du juge Dickson dans l’arrêt Bell[12] que ce n’est pas parce que les éléments essentiels de l’infraction sont réunis que la perpétration de celle-ci prend fin à ce moment :

Les éléments constitutifs de l’infraction d’importation sont réunis dès que les marchandises franchissent la frontière, mais la perpétration de cette infraction ne prend fin que lorsqu’elles sont arrivées à leur destination finale prévue au Canada. Par conséquent, une accusation pourrait être portée relativement au lieu d’entrée, à la destination ou à un endroit quelconque entre les deux. En l’espèce la preuve indique que la destination prévue et la destination réelle du Canada était Saint-Hubert, mais qu’il y avait des arrêts en chemin à Toronto et à Mirabel. À mon avis, le ministère public pouvait porter une accusation d’importation à Toronto, à Mirabel ou à Saint-Hubert.

                                                                                                            [Je souligne]

[98]        Dans R. c. Vu[13], la Cour suprême conclut que, même si tous les éléments constitutifs de l’acte criminel d’enlèvement (prévu à l’article 279(1) C.cr.) sont réunis dès le rapt initial et son déplacement, la perpétration se continue tant que dure la séquestration de la victime (prévue à l’article 279(2) C.cr.) :

Par conséquent, même si le crime d’enlèvement peut être complet en droit lorsque la victime est capturée initialement et déplacée, le crime ne sera complet en fait qu’à la libération de la victime.[14]

[99]        L’actus reus de la fraude est constituée de deux éléments : (1) un acte malhonnête établi par la preuve d’une supercherie, d’un mensonge ou d’un autre moyen dolosif et (2) une privation démontrée par la preuve qu’en raison de l’acte malhonnête, les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un préjudice ou qu’il existe un risque de préjudice à leur égard.

[100]     L’élément mental de l’infraction sera démontré si l’accusé était subjectivement conscient des conséquences de l’acte prohibé ou qu’il était insouciant de ces conséquences.

[101]     En l'espèce, même si les éléments constitutifs de la fraude étaient réunis dès le retrait sous un faux prétexte des fonds appartenant aux investisseurs détenus jusque-là par Northern Trust, j'estime que la perpétration de la fraude s’est continuée tant que des actes malhonnêtes ont été posés pour causer, aggraver ou perpétuer le préjudice ou le risque de préjudice subi par les investisseurs.

[102]     Dans R. c. Vu, le juge Moldaver souligne au sujet de la participation criminelle à une infraction dont la perpétration n’a pas pris fin :

[58]      Aux termes du par. 21(1), encourt une responsabilité criminelle comme participant à une infraction la personne qui accomplit un des trois actes décrits - commettre, aider ou encourager - en ayant l’intention requise. Quel que soit le rôle joué, la responsabilité criminelle est la même : R. c. Thatcher, [1987] 1 R.C.S. 652, p. 689-690. Comme notre Cour l’a récemment expliqué dans R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, une personne participe à l’infraction lorsqu’elle accomplit (ou, dans certaines circonstances, omet d’accomplir) quelque chose qui aide ou encourage l’auteur principal d’une infraction à la commettre, en ayant connaissance de l’intention de ce dernier de commettre le crime et en ayant l’intention de l’aider (par. 14-18).

[59]      Les principes bien établis de la responsabilité criminelle au sens du par. 21(1) s’appliquent selon moi avec la même force aux infractions continues qui sont complètes en droit, mais non en fait. Plus particulièrement, la responsabilité en tant que participant est établie lorsqu’un accusé, connaissant l’intention de l’auteur principal de mener une infraction continue à son terme, accomplit quelque chose (ou omet de l’accomplir), en vue d’aider ou d’encourager la perpétration de l’infraction continue en question.

[60]      Lorsqu’on applique ce principe en l’espèce, dès lors qu’on considère l’enlèvement comme une forme aggravée de la séquestration - qui se poursuit jusqu’à la libération de la victime - il n’existe aucune raison d’ordre juridique ou logique justifiant de ne pas reconnaître la responsabilité à titre de participant à l’infraction d’enlèvement par application du par. 21(1) du Code, d’une personne qui, sachant que la victime a été enlevée, décide néanmoins de participer à l’entreprise d’enlèvement.

[61]      Des arrêts de juridictions d’appel sont instructifs à cet égard. Les cours d’appel de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse ont statué, après avoir conclu que l’importation de stupéfiants constituait une infraction continue, qu’une personne pouvait être accusée en tant que participant à l’infraction, en application du par. 21(1), à l’égard d’un acte ou d’une omission survenant à tout moment entre l’entrée des marchandises au Canada et leur arrivée à la destination finale, même si l’infraction pouvait être considérée comme complète en droit dès lors que les marchandises avaient traversé la frontière : R. c. Hijazi (1974), 20 C.C.C. (2d) 183 (C.A. Ont.); R. c. Whynott (1975), 12 N.S.R. (2d) 231 (C.S. (Div. app.)); Dans Bell, l’interprétation étroite du mot « importer » de l’art. 5 de la Loi sur les stupéfiants formulée par les juges majoritaires a fait naître un doute à l’égard de ces arrêts. Cependant, l’opinion majoritaire ne s’écarte pas du principe général établi par la jurisprudence selon lequel une personne qui est pleinement au courant d’une infraction continue et qui décide d’y prendre acte peut être tenue criminellement responsable en tant que participant à cette infraction en application du par. 21(1) du Code.

[62]      Dans l’opinion concordante qu’il a formulée dans Bell, le juge Dickson s’est appuyé sur les arrêts précités pour conclure que l’infraction d’importation n’avait pas « pr[is] fin » et que la responsabilité criminelle pouvait être retenue tant que la perpétration se poursuivait dans les faits. Comme l’a exposé le juge Dickson :

Pour qu’on puisse dire qu’il « commet réellement » l’infraction d’importation, un accusé doit introduire ou faire introduire au Canada des marchandises provenant d’un pays étranger; cela nécessite par définition qu’elles franchissent la frontière canadienne. Quelqu’un dont la participation ne commence qu’après cette étape peut toutefois être coupable d’avoir aidé et encouragé une personne à faire venir des marchandises de l’extérieur du Canada à une destination à l’intérieur du Canada. [Je souligne; p. 478-479]

En conséquence, une personne qui n’est pas partie à une infraction lorsque l’auteur principal commence à la commettre peut le devenir tant que la perpétration de l’infraction n’a pas « pr[is] fin ».

                                                                                                            [Je souligne]

[103]     Appliqué au contexte de la présente affaire - étant entendu que la fraude se poursuit tant que des actes malhonnêtes sont posés pour maintenir la victime dans l’ignorance du préjudice financier qu’elle subit ou risque de subir - celui qui, comme l’appelant, décide d’aider l’auteur principal après avoir appris l’existence des retraits frauduleux engage sa responsabilité criminelle à l’égard des infractions en cours même s’il n’était pas partie à celles-ci lorsque les auteurs principaux (Vincent Lacroix et David Simoneau) ont commencé à les commettre.

[104]     Selon la preuve, l’appelant avait participé activement à la création d’un gabarit de formulaire destiné à créer de faux rapports, en tous points similaires à ceux produits par le gardien des valeurs. Cette preuve, combinée à celle de la connaissance des retraits frauduleux commandés par Lacroix et à l’intention d’aider l’auteur principal à commettre les fraudes, permettait à un jury ayant reçu les directives appropriées de conclure à sa culpabilité pour les infractions postérieures commises en utilisant ce gabarit pour berner les détenteurs de fonds communs.

[105]     La preuve relative à l’aide que l’appelant a procurée à Lacroix pour commettre la fraude ne se limite toutefois pas uniquement à sa participation à l’opération de falsification de documents d’octobre 2002 déclenchée par la vérification annoncée par l’AMF. Les témoignages et les documents déposés lors du procès révèlent notamment que l’appelant :

-               a recruté Félicien Souka, à la demande de Lacroix, l’informaticien à l’origine des falsifications;

-               est un administrateur des entités corporatives du groupe Norbourg où ont transité les fonds subtilisés aux investisseurs;

-               a signé des chèques tirés sur le compte de banque de NI, une société qui a engrangé 38,5 millions de dollars prélevés illégalement des fonds de placement Norbourg et Évolution, à l’ordre de Vincent Lacroix (1 550 000 $) et à des créanciers personnels de ce dernier (9 064 $);

-               a autorisé l’achat et est intervenu à l’acte d’acquisition par SIM, une entité contrôlée par Lacroix, d’un immeuble abritant le restaurant « Le Grand Café » pour lesquels 6 550 000 $ appartenant aux investisseurs ont été dilapidés;

-               a, en tant qu’administrateur de NGF, autorisé l’achat de Gestion BBA inc. au coût de 6 000 000 $ avec des fonds provenant des économies des investisseurs gardés par Northern Trust.

[106]     Chaque retrait frauduleux auprès de NT était masqué au moyen d’un document falsifié pour le soustraire des vérifications de l’AMF et pour paver la voie à l’acquiescement de NT au retrait subséquent. L’argent des investisseurs transite alors dans un compte de banque de NSF ou de NGA, tenu à l’écart de la comptabilité et du regard des non-initiés, avant d’être acheminé vers des sociétés contrôlées par Vincent Lacroix, Jean Cholette et l’appelant et non soumises à l’autorité de l’AMF où ils pourront en disposer à leur guise.

[107]     Ce n’est qu’au terme de ce stratagème que l’infraction de fraude sera complète en fait. L’aide, consentie par l’appelant à l’auteur principal durant ce processus, qui contribue à la privation causée aux investisseurs, survient dans le cours de la perpétration de la fraude et engage sa responsabilité criminelle en tant que participant.

[108]     Examinées à la lumière de ce contexte, les directives au jury relatives à l’élément matériel de la participation criminelle ne sont pas lacunaires. Elles comprennent l’obligation pour le jury d’examiner si, pour chacun des chefs d’accusation de fraude, l’appelant a, par un acte ou une omission, aidé Vincent Lacroix à commettre des fraudes aux dépens des investisseurs. L’insistance du juge sur le fait qu’un spectateur ou un témoin passif d’une infraction n’est pas partie à celle-ci mettait, de façon appropriée, l’accent sur l’exigence que la conduite de l’accusé procure une aide à l’auteur principal de l’infraction.

[109]     Un examen de l’ensemble des directives révèle que le juge a répété à plusieurs reprises que la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable que, par sa conduite, l’appelant avait aidé l’auteur principal à commettre l’infraction et qu’il avait l’intention d’en faciliter la commission. Les instructions données au jury sont clairement à l’effet que l’aide doit être antérieure ou concomitante à la perpétration de la fraude comme le démontrent les extraits suivants :

Vous devez donc vérifier et décider si un acte de chacun des accusés se voulait une aide à Vincent Lacroix, si chacun des accusés, par sa conduite, a assisté ce dernier, s’il a contribué à ou a facilité la commission des fraudes.

[…]

Vous pouvez conclure que la conduite de chacun des accusés a aidé Vincent Lacroix, même si ce dernier, seul et sans aucune aide, était en mesure de commettre l’infraction. Il suffit que chacun des accusés, par sa conduite, ses gestes, ses actes en lien avec la fraude, ait voulu assister, ait voulu faciliter la commission de l’infraction par Vincent Lacroix pour que cet élément essentiel soit prouvé.

Je vous signale que le fait d’aider exige plus qu’une conduite passive et désintéressée, exige plus que d’être simplement présent et regarder quelqu’un commettre une infraction. La simple présence d’une personne sur les lieux d’un crime ne suffit pas en soi pour constituer une participation. Le témoin passif d’un événement n’est pas un participant, il n’est pas un complice.

[…]

Vous avez remarqué que l’acte d’accusation reproche aux accusés des fraudes à des dates déterminées. Vous aurez également compris que les dates des fraudes sont les dates auxquelles Vincent Lacroix a effectivement effectué des retraits des fonds. Puisque les accusés devant vous sont accusés de ces mêmes fraudes, en raison de leur complicité dans celles-ci, les dates à l’acte d’accusation ne reflètent pas nécessairement les dates auxquelles les accusés devant vous ont posé certains gestes, mais celles où Vincent Lacroix a posé des gestes.

Un complice peut poser des gestes en vue d’aider l’auteur réel à commettre l’infraction, même si l’auteur réel ne commet pas l’infraction à la même date que l’aide apportée par le complice. Vous pouvez penser, par exemple, à un projet élaboré d’importation de stupéfiants s’échelonnant sur plusieurs mois.

La question n’est donc pas de savoir si, aux dates mentionnées à l’acte d’accusation, les accusés ont à ces dates précises posé un geste en vue d’aider Vincent Lacroix, mais si les gestes qu’ils ont posés en vue d’aider Vincent Lacroix ont aidé Vincent Lacroix à commettre l’infraction à la date visée à l’acte d’accusation.

[110]     Au surplus, les exemples choisis par le juge pour illustrer son propos à cet égard expriment également la nécessité que l’aide soit antérieure ou concomitante à la perpétration de l’infraction.

[111]     L’argument de l’appelant, selon lequel la directive relative à l’élément matériel de la participation criminelle est inadéquate ou insuffisante, est en conséquence infondé.

5.6       La théorie de l’ignorance volontaire

[112]     L’appelant soutient que le juge n’aurait pas dû instruire les jurés de la théorie de l’ignorance volontaire puisque la stratégie des auteurs principaux visait justement à lui cacher l’existence des retraits de fonds gardés par NT.

[113]     L’argument qui prend appui sur le témoignage de David Simoneau tient pour acquis que la commission de chacune des fraudes est complète dès que le retrait des fonds est exécuté. Or, cette prémisse est, comme je l’exprimais plus tôt, inexacte.

[114]     Le juge a, par ailleurs, adéquatement instruit les jurés des deux composantes de l’élément mental de la participation à la fraude : (1) la connaissance que l’auteur principal a l’intention requise pour commettre l’infraction et (2) l’intention spécifique de l’aider à la commettre.

[115]     Le juge a aussi correctement souligné que la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable chacune des deux composantes de la mens rea :

[…] Ce qui compte et ce que la Poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable, c’est que l’acte ou la conduite de chacun des accusés a voulu aider Vincent Lacroix à commettre les fraudes reprochées.

[…]

Quatrième élément. La connaissance des accusés que Vincent Lacroix a l’intention de frauder. Pour trouver les accusés coupables de fraude parce qu’ils ont aidé Vincent Lacroix à frauder les investisseurs, il faut que la Poursuite démontre hors de tout doute raisonnable qu’ils connaissaient l’intention de Vincent Lacroix de frauder ces investisseurs.

[116]     Il était alors tout à fait pertinent d’indiquer aux jurés que l’existence de l’élément lié à la connaissance de l’intention de frauder les détenteurs de fonds communs Norbourg pouvait découler de la doctrine de l’ignorance volontaire qui permet d’imputer une connaissance à un accusé qui, malgré les doutes qu’il entretient quant à l’intention criminelle de l’auteur principal au point de vouloir se renseigner davantage, choisit délibérément de ne pas le faire.

[117]     Le juge, qui avait préalablement exigé des jurés qu’ils procèdent pour chaque accusé et pour chaque chef d’accusation à une analyse distincte et spécifique de la preuve, leur rappelle à nouveau cette obligation au moment de clore les directives relatives à l’article 21(1) b) C.cr. :

Chaque accusé doit recevoir une évaluation séparée et individuelle pour chaque chef d’accusation. Chaque accusé doit être jugé sur la base de sa propre conduite et de son propre état d’esprit selon la preuve qui s’applique uniquement à lui, comme s’il s’agissait de cinq (5) procès séparés.

[118]     Je suis d’opinion que les directives relatives à la mens rea de la participation criminelle de l’appelant étaient suffisantes et qu’il n’était pas inapproprié d'instruire le jury de la doctrine de l’ignorance volontaire.

[119]     Ce moyen d’appel doit en conséquence échouer.

6.         LE JUGE A-T-IL ERRÉ EN REJETANT LA REQUÊTE DE L’APPELANT POUR UN VERDICT IMPOSÉ RELATIVEMENT AUX CHEFS D’ACCUSATION DE FRAUDE?

[120]     La Cour suprême définit ainsi le critère à appliquer pour déterminer s’il y a lieu d’imposer un verdict à un jury :

[21]      La question que doit se poser le juge présidant l’enquête préliminaire aux termes du par. 548(1) du Code criminel est identique à celle que doit se poser le juge du procès saisi d’une requête de la défense en vue d’obtenir un verdict imposé, savoir « [s]’il existe ou non des éléments de preuve au vu desquels un jury équitable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité » : Shephard, précité, p. 1080; voir également R. c. Monteleone, 1987 CanLII 16 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 154, p. 160. Selon ce critère, le juge présidant l’enquête préliminaire doit renvoyer la personne inculpée pour qu’elle subisse son procès « chaque fois qu’il existe des éléments de preuve admissibles qui pourraient, s’ils étaient crus, entraîner une déclaration de culpabilité » : Shephard, p. 1080.

[22]      Le critère demeure inchangé qu’il s’agisse d’une preuve directe ou circonstancielle : voir Mezzo c. La Reine, 1986 CanLII 16 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 802, p. 842-843; Monteleone, précité, p. 161. La nature de la tâche qui incombe au juge varie cependant selon le type de preuve présenté par le ministère public. Lorsque les arguments du ministère public sont fondés entièrement sur une preuve directe, la tâche du juge est claire. Par définition, la seule conclusion à laquelle il faut arriver dans une affaire comme l’espèce, concerne la véracité de la preuve : voir Watt’s Manual of Criminal Evidence (1998), §8.0 ([traduction] « [l]a preuve directe est celle qui, si elle était crue, tranche la question en litige »); McCormick on Evidence (5e éd. 1999), p. 641; J. Sopinka, S.N. Lederman et A.W. Bryant, The law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), §2.74 (la preuve directe s’entend de la déposition d’un témoin quant au [traduction] « fait précis qui est au cœur du litige »). Il incombe au jury de dire s’il convient d’accorder foi à la preuve et jusqu’à quel point il faut le faire : voir Shephard, précité, p. 1086-1087. Donc, si le juge est d’avis que le ministère public a présenté une preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction reprochée, son travail s’arrête là. Si une preuve directe est produite à l’égard de tous les éléments de l’infraction, l’accusé doit être renvoyé à procès.

[23]      La tâche qui incombe au juge devient un peu plus compliquée lorsque le ministère public ne produit pas une preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction. Il s’agit alors de savoir si les autres éléments de l’infraction - soit les éléments à l’égard desquels le ministère public n’a pas présenté de preuve directe - peuvent raisonnablement être inférés de la preuve circonstancielle. Pour répondre à cette question, le juge doit nécessairement procéder à une évaluation limitée de la preuve, car la preuve circonstancielle est, par définition, caractérisée par un écart inférentiel entre la preuve et les faits à être démontrés - c’est-à-dire un écart inférentiel qui va au-delà de la question de savoir si la preuve est digne de foi : voir Watt’s Manual of Criminal Evidence, op. cit., §9.01 (la preuve circonstancielle s’entend de [traduction] « tout élément de preuve, qu’il soit de nature testimoniale ou matérielle, autre que le témoignage d’un témoin oculaire d’un fait important. Il s’agit de tout fait dont l’existence peut permettre au juge des faits d’inférer d’un fait en cause »); McCormick on Evidence, op. cit., p. 641-642 ([traduction] « la preuve circonstancielle […] peut être de nature testimoniale, mais même si les circonstances décrites sont tenues pour vraies, il faut que le raisonnement soit plus poussé afin qu’il puisse mener à la conclusion souhaitée »). Par conséquent, le juge doit évaluer la preuve, en ce sens qu’il doit déterminer si celle-ci est raisonnablement susceptible d’étayer les inférences que le ministère public veut que le jury fasse. Cette évaluation est cependant limitée. Le juge ne se demande pas si, personnellement, il aurait conclu à la culpabilité de l’accusé. De même, le juge ne tire aucune inférence de fait, pas plus qu’il apprécie la crédibilité. Le juge se demande uniquement si la preuve, si elle était crue, peut raisonnablement étayer une inférence de culpabilité.[15]

[121]     Or, c’est précisément ce critère qu’utilise le juge pour rejeter les demandes pour que des verdicts d’acquittement soient imposés au jury chargé de déterminer le sort de l’appelant :

[22]      De la preuve déjà énumérée, un jury bien instruit en droit pourrait également conclure rapidement que les accusés savaient ou ignoraient volontairement que Vincent Lacroix se livrait à des fraudes répétées et systématiques au détriment des investisseurs et que leurs gestes lui facilitaient la tâche. Qu’il suffise de mentionner, à titre d’exemple, la fabrication répétée de faux documents dont l’utilisation ne pouvait être légitime.

[23]      Le Tribunal est donc d’avis qu’il existe des éléments de preuve au vu desquels un jury équitable, raisonnable et ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité des accusés sur tous les chefs de fraude.

[122]     La décision repose, en l’espèce, sur des principes bien établis et sur une appréciation de la preuve raisonnable, juste et équitable. Il n’y a donc pas lieu d’intervenir à cet égard.

7.         LES VERDICTS SONT-ILS DÉRAISONNABLES?

[123]     L’appelant plaide que la preuve ne supporte aucun des verdicts de culpabilité qui ont été prononcés.

[124]     L’article 686(1)a)i) C.cr. prévoit que la Cour peut, lors d’un appel d’une déclaration de culpabilité, accueillir l’appel et infirmer le verdict pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut s’appuyer sur la preuve.

[125]     Le caractère raisonnable du verdict est une question de droit[16] pour laquelle les tribunaux d’appel doivent faire preuve de grande déférence en limitant leur intervention à des cas d’interprétation déraisonnable de la preuve.

[126]     La Cour doit alors déterminer si, au regard de l’ensemble de la preuve, le verdict est l’un de ceux qu’un jury qui a reçu des directives appropriées et qui agit de façon judiciaire aurait pu rendre. Pour ce faire, elle doit réexaminer la preuve et, dans une certaine mesure, la réévaluer.

[127]     La juge McLachlin (alors juge puînée) écrivait en 1992 dans R. c. W.(R.) :

Il est donc clair que, pour déterminer si le juge des faits aurait pu raisonnablement conclure à la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, la Cour d’appel doit réexaminer et du moins, dans une certaine mesure, réévaluer l’effet de la preuve.[17]

[128]     La Cour suprême rappelle dans l’arrêt Biniaris que cette analyse oblige une cour d’appel à déterminer quel verdict un jury raisonnable bien informé en droit et agissant de façon judiciaire aurait pu rendre. Pour ce faire, elle doit évaluer et examiner l’importance et la suffisance de la preuve[18].

[129]     Je retiens également des arrêts plus récents de la Cour suprême dans R. c. Sinclair[19], R. c. R.P.[20] et R. c. W.H.[21], les enseignements suivants :

1.            Le tribunal d’appel doit d’abord déterminer si le verdict est un de ceux qu’un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant de manière judiciaire aurait rendus au vu de l’ensemble de la preuve;

2.            Le verdict est déraisonnable si le juge des faits a tiré une inférence essentielle au verdict qui est clairement contredite par la preuve invoquée à l’appui de l’inférence;

3.            Le verdict est déraisonnable si le raisonnement qui le soutient est à ce point irrationnel ou incompatible avec la preuve qu’il a pour effet de vicier le verdict;

4.            Il faut faire preuve d’une grande déférence dans l’appréciation de la crédibilité faite en première instance lorsqu’il s’agit de déterminer si le verdict est déraisonnable;

5.            La cour d’appel qui se prononce sur un verdict de culpabilité prononcé par un jury doit dûment prendre en compte la position privilégiée des juges des faits qui ont assisté au procès et entendu les témoignages et ne doit pas conclure au verdict déraisonnable pour le seul motif qu’elle entretient un doute raisonnable après l’examen du dossier.

[130]     Enfin, je citerai un passage de l’arrêt Pardi[22], jugement unanime de notre Cour sous la plume du juge Yves-Marie Morissette, au sujet de la norme d’intervention en cette matière :

[28]      À cette étape, je résume ce qui précède, afin de bien situer dans leur cadre les questions à résoudre. Un verdict déraisonnable ou qui ne peut s’appuyer sur la preuve est réformable en appel, et la question de savoir s’il peut être qualifié de tel en est une de droit. Il sera ainsi qualifié s’il s’agit d’un verdict qu’un jury qui aurait reçu les directives appropriées et aurait agi de manière judiciaire n’aurait pu raisonnablement rendre. Dans le cas d’un verdict prononcé par un juge seul, une cour d’appel peut tenir compte des motifs exprimés par le juge pour statuer sur le caractère raisonnable de son verdict, ce qui accroît quelque peu la portée de l’examen à effectuer. Ainsi, une inférence ou une conclusion de fait essentielle au verdict, mais qui est clairement contredite par la preuve à son appui, ou dont on démontre l’incompatibilité avec une preuve qui n’est ni contredite par d’autres éléments de preuve ni rejetée par le juge, autorise une cour d’appel à casser le verdict qu’elle sous-tend au motif qu’il est déraisonnable. Cela ne va pas jusqu’à permettre aux juges d’une cour d’appel de considérer qu’ils ont « le droit d’avoir une perception subjective de la preuve et [le droit] de se demander s’ils sont convaincus du caractère inattaquable du verdict ». Un doute persistant peut justifier un examen plus approfondi de la preuve pour déterminer si, en effet, le verdict est déraisonnable selon la norme que je viens de rappeler. Cela vaut pour le verdict d’un jury comme pour celui d’un juge siégeant seul mais examiné dans ce second cas à la lumière des motifs prononcés par le juge. En tout état de cause, cependant, une cour d’appel n’apporte rien de particulier à l’évaluation de la preuve lorsque le juge expose des motifs de jugement détaillés.

                                                                                    [Référence omise]

[131]     Tel que discuté précédemment, l’argument selon lequel les verdicts de culpabilité pour les chefs de fraude seraient déraisonnables en raison d’une absence de preuve de la connaissance de l’existence d’une fraude commise par Lacroix et de l’aide qu’il aurait fournie à ce dernier pour faciliter la commission des infractions est dénué de tout fondement.

[132]     En l’espèce, la preuve de l’actus reus de la participation de l’appelant aux fraudes commises par Vincent Lacroix est essentiellement circonstancielle et ne se limite pas, comme le suggère l’appelant, aux seules fabrications de faux documents, mais comprend un ensemble d’actes posés par lui en tant que dirigeant des sociétés du groupe Norbourg qui ont servi à détourner, à véhiculer, à distribuer et à dilapider les fonds détournés appartenant aux investisseurs. Est-il besoin de rappeler à cet égard qu’Ivoire Finance inc., une société dans laquelle l’appelant est un actionnaire et un dirigeant, a empoché 400 000 $ provenant de ces exactions?

[133]     Or, chacune des composantes d’une preuve circonstancielle n’a pas à être prouvée selon le standard de preuve applicable en matière criminelle; il suffit que l’ensemble constitue une preuve hors de tout doute raisonnable du ou des éléments essentiels de l’infraction qu’elle tend à démontrer.

[134]     Ainsi, la fabrication d’un faux rapport périodique de NT peut constituer un des éléments d’une preuve circonstancielle conduisant à une condamnation de fraude, sans pour autant être prouvée hors de tout doute raisonnable de façon à soutenir ou à justifier un verdict de culpabilité à une accusation sanctionnée par l’article 467a) C.cr.

[135]     Les verdicts de culpabilité relatifs aux accusations de fraude ne sont en conséquence pas déraisonnables du seul fait que l’appelant a été acquitté des chefs de fabrication de faux documents liés aux retraits des fonds gardés par NT.

[136]     En ce qui concerne les condamnations pour fabrication de faux documents (chefs 168 à 172), il faut rappeler que lorsque Lacroix a commencé à se sentir épié et soupçonné, il a inventé de toutes pièces des revenus fictifs totalisant environ 50 000 000 $ en provenance de placements inexistants dans des comptes lui appartenant, dans des institutions bancaires européennes, et chez NT. De faux rapports périodiques ont été fabriqués de toutes pièces par son équipe de contrefacteurs pour justifier auprès des autorités fiscales des bénéfices d’exploitation de NSF et de NGA (s’élevant à 28 800 000 $) et un accroissement de ses actifs personnels (s’élevant à 20 000 000 $).

[137]     Le jury pouvait, en l’espèce, raisonnablement inférer la participation de l’appelant aux fabrications des faux documents faisant état de ces placements factices des faits prouvés suivants :

-               les nombreux courriels échangés entre l’appelant, Félicien Souka, Vincent Lacroix et Jean Cholette au sujet des comptes de placement ouverts chez Northern Trust et à la Banque UBS;

-               les fichiers et tableaux concernant ces comptes de placement retrouvés dans le bureau et dans l’ordinateur de l’appelant;

-               les pièces déposées au soutien des chefs 168, 170, 171 et 172 dont les contenus révèlent l’existence de travaux effectués par l’appelant relativement aux comptes VLX et VLA dans le but de démontrer un accroissement progressif des placements fictifs, alors qu’en réalité ces comptes sont inactifs depuis leur ouverture par Vincent Lacroix.

[138]     Ce n’est pas parce que chacun des éléments d’une preuve circonstancielle n’est pas à lui seul concluant que l’ensemble ne peut constituer une preuve hors de tout doute raisonnable. Il appartenait au jury d’en décider et son appréciation à cet égard a droit à beaucoup de déférence.

[139]     Les verdicts de culpabilité prononcés relativement aux chefs d’accusation de fabrication de faux documents (168 à 172) font partie de ceux qu’un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant judiciairement pouvait rendre.

[140]     En conclusion, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’intervenir pour infirmer les verdicts de culpabilité au motif qu'ils sont déraisonnables.

8.         LES PEINES SONT-ELLES DÉRAISONNABLES?

[141]     Après qu’un jury eut, le 7 mars 2011, prononcé des verdicts de culpabilité relativement à 109 chefs d’accusation de fraude (article 380(1)a) C.cr.) et à 5 chefs de fabrication de faux documents (article 367a) C.cr.), l’appelant a été condamné à purger une peine globale de 8 ans d’emprisonnement de laquelle a été déduite une période de 14 mois en raison de la détention provisoire.

[142]     Des 109 chefs d’accusation de fraude, 55 chefs ont été perpétrés avant le 15 septembre 2004 (date à laquelle la peine maximale prévue pour l’infraction prévue à l’article 380(1)a) C.cr. est passée de 10 ans à 14 ans d’emprisonnement).

[143]     Désormais désignée comme étant « l’affaire Norbourg », cette gigantesque escroquerie a permis à ses auteurs de dépouiller quelque 9 200 détenteurs de fonds communs Norbourg d’une somme d’environ 95 000 000 $ entre octobre 2002 et juin 2005.

[144]     Vincent Lacroix, l’instigateur du détournement frauduleux et celui qui en a principalement tiré profit, avait quant à lui écopé, le 9 octobre 2009, d’une peine totale de 13 ans d’emprisonnement[23] après avoir plaidé coupable à 200 chefs d’accusation de complot, de fraude, de fabrication de faux documents et de recyclage de produits de la criminalité.

[145]     En prononçant la peine de l’appelant et celle de son coaccusé Jean Cholette, que le jury avait trouvé coupable de 112 chefs d’accusation de fraude et de 14 chefs d’accusation de fabrication de faux documents, le juge de la Cour supérieure décrivait ainsi leurs rôles et l’importance de leur implication dans « l’affaire Norbourg » :

[51]      Le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas lieu de différencier la culpabilité morale de Beaugré comparée à celle de Cholette pour les motifs invoqués par le ministère public. Il n’y a pas lieu d’imposer une peine plus lourde à Beugré comparée à celle de Cholette.

[52]      Premièrement, la preuve ne permet pas de différencier de façon déterminante le degré de participation entre Cholette et Beugré dans l’entreprise frauduleuse de Lacroix. Tous deux ont joué des rôles distincts mais nécessaires dans la perpétration des fraudes sur une aussi longue période de temps. Il n’y a pas lieu, du point de vue pénologique, de différencier entre les agirs dans les couleurs visibles de l’entreprise frauduleuse des agirs en coulisse retiré.

[53]      De l’avis du Tribunal, Beugré et Cholette occupent le même rang dans la complicité offerte à Lacroix. La preuve du procès convainc le Tribunal que ce rang est inférieur à celui qu’occupait David Simoneau et Éric Asselin, des joueurs de deuxième rang après Lacroix.

[54]      Deuxièmement, le lien entre la visibilité de Beugré et l’appât d’investisseurs floués est ténu sinon inexistant. Aucune preuve n’existe à cet effet. Il en va de même relativement au fait qu’il aurait indûment tiré profit de sa réputation d’intégrité. La preuve démontre que cela est un considérant fondé pour Lacroix, mais pas pour Beugré. La « tornade » Norbourg ne se rattachait qu’à l’image de Lacroix véhiculée dans le milieu financier.

[55]      Troisièmement, Cholette était outillé pour constater les fraudes au fur et à mesure que les transferts de fonds illégaux s’effectuaient. Il avait un accès direct à la comptabilité frauduleuse de Norbourg et de Lacroix. Il était confronté quotidiennement à la preuve des fraudes par cet accès direct à la comptabilité. D’ailleurs, Jean Hébert, vice-président à la conformité engagé en octobre 2004 chez Norbourg, a découvert le pot aux roses en quelques minutes lorsqu’il consulte les relevés de comptes bancaires en 2005.

[56]      Dans ces circonstances, comment dire que Beugré mérite une peine plus sévère que celle de Cholette. Il n’y a pas de différences fondamentales quant aux rôles joués par Beugré et Cholette pour justifier des peines différentes. La divergence est minime si elle existe. Chacun à sa façon a aidé Lacroix à dérober d’honnêtes gens. Le rôle de Beugré n’a pas été plus significatif dans la façon dont on volait les investisseurs.

[146]     Loin de mettre de côté ce constat du juge d’instance, la formation de la Cour saisie du pourvoi sur la peine déposé par Jean Cholette, l’a plutôt réitéré :

[5]        De fait, le requérant agissait au troisième niveau de la structure mise en place par Vincent Lacroix :

[53]            De l’avis du Tribunal, Beugré et Cholette occupent le même rang dans la complicité offerte à Lacroix. La preuve du procès convainc le Tribunal que ce rang est inférieur à celui qu’occupait David Simoneau et Éric Asselin, des joueurs de deuxième rang après Lacroix.[24]

[8]        En l’espèce, force est de constater que le requérant, contrairement aux accusés dans les arrêts Chicoine et Charbonneau, n’était pas l’instigateur de la fraude, ni non plus son principal bénéficiaire. Il a plutôt tenu le rôle d’un acteur de troisième rang en agissant comme l’instrument des basses œuvres de Vincent Lacroix. C’est là une différence qui cause une distorsion importante avec les peines infligées dans ces deux arrêts (7 ans pour Chicoine et Charbonneau, les instigateurs et principaux bénéficiaires de la fraude, 8 ans pour le requérant, simple exécutant).

                                                                        [Référence omise]      [Je souligne]

[147]     Le profil des deux hommes était relativement similaire. L’appelant, un individu de 47 ans sans antécédents judiciaires, était décrit par ses proches comme un père attentif, un homme de foi impliqué dans sa communauté et une personne loyale, généreuse et entière.

[148]     Concluant que la peine de huit ans d’emprisonnement imposée à Jean Cholette heurtait le principe d’harmonisation des peines édicté à l’article 718.2(b) C.cr. et contrevenait à celui de la proportionnalité prévu à l’article 718.1 C.cr., notre Cour souligne au moment de réduire sa peine :

[12]      Le juge écarte l’absence d’antécédents judiciaires du requérant, à titre de facteur atténuant, étant d’avis que les fraudes sont souvent commises par des personnes au passé sans tache qui se servent de cet avantage pour mieux leurrer leurs victimes. À cela, on pourra ajouter la durée de la fraude qui s’est étendue, en l’espèce, sur 3 ans.

[13]      Reste que, et ceci dit avec égards, le juge de première instance, tout en faisant état de la situation particulière du requérant, a omis d’en tenir compte. Il n’a appliqué que les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale, faisant ainsi en sorte de compromettre la réinsertion sociale du requérant alors que son isolement, pour une période de 8 ans, était loin d’être justifié.

[14]      Il ne fait aucun doute que l’affaire Norbourg constitue un scandale financier sans précédent dans les annales canadiennes et que le juge pouvait considérer cet élément en imposant une peine exemplaire. Le prononcé d’une peine étant un processus individualisé, le juge devait cependant, du moins minimalement, soupeser les conséquences pour l’accusé d’être privé de sa liberté pendant une période aussi longue, ce qu’il n’a pas fait. Aussi, tout en concédant que le juge était justifié de faire prévaloir la dissuasion générale sur la réhabilitation, il ne pouvait pour autant ignorer ce dernier facteur pour identifier la peine appropriée aux circonstances. Cette omission constitue une erreur de principe en ce qu’un aspect important de la preuve, favorable au requérant, est complètement évacué.

[15]      Sur le tout, la Cour en vient à la conclusion que la peine infligée au requérant n’est pas adaptée aux actions, certes frauduleuses, qu’il a commises ni à sa situation personnelle, contrevenant ainsi au principe fondamental de proportionnalité en vertu de l’article 718.1 C.cr. Une peine de 6 ans (72 mois) sera donc substituée à la peine de 8 ans (96 mois) imposée pour les chefs de fraude perpétrés après le 15 septembre 2004. De même, une peine de 54 mois sera substituée à la peine de 72 mois pour les fraudes commises après le 15 septembre 2004 ainsi que pour les chefs de fabrication de faux.[25]

                                                                        [Références omises]  [Je souligne]

[149]     Ces commentaires s’appliquent avec la même pertinence au cas de l’appelant.

[150]     Dans R. c. Roks, la Cour d’appel d’Ontario rappelle relativement à l’harmonisation des peines :

[15]      The principle of parity expressed in s. 718.2(b) of the Criminal Code requires us to take into consideration that a sentence should be similar to sentences imposed on similar offenders for similar offences committed in similar circumstances.

[16]      Parity is not equivalence, nor is similar, identical. Crucial to the parity principle expressed in s. 718.2(b) are the cumulative requirements of

·         similar offences

·         similar offenders

·         similar circumstances

Similar offenders should receive similar sentences for similar offences committed in similar circumstances. When the similarities begin to fall away, however, so does the principle. Offenders may be at different ages and stages, have different antecedents and realistic prospects for rehabilitation, and greater or lesser involvement in or responsibility for an offence. Some plead guilty and co-operate with authorities. A discount may follow in their cases. Others plead not guilty and have a trial. They don’t get the discount.[26]

[151]     La situation personnelle de l’appelant est comparable à celle de Jean Cholette. Leur rôle dans le stratagème frauduleux imaginé par Vincent Lacroix est d’égale importance, ils ont agi de concert et sont tous deux des acteurs de troisième niveau. Ils partagent de plus la même responsabilité morale et ils ont été reconnus coupables des mêmes infractions, à la différence que pèsent sur Cholette trois verdicts de culpabilité de fraude et neuf verdicts de culpabilité de fabrication de faux documents additionnels. Bref, il est difficile de concevoir deux cas plus semblables.

[152]     L’intimée plaide que la peine de huit ans d’emprisonnement imposée à l’appelant se situe à l’intérieur de la fourchette des peines (6 à 10 ans d’emprisonnement) imposées au Canada pour des fraudes d’envergure et qu’en raison du fait qu’elle n’est pas déraisonnable, il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir afin de la réduire.

[153]     Faire droit à cet argument créerait une disparité entre les peines de ces deux coaccusés que ne justifient pas les circonstances de l’affaire. Un écart aussi marqué et substantiel impose une intervention de la Cour[27] conformément au principe de l’harmonisation des peines.

[154]      Étant donné que la peine infligée à l’appelant contrevient de plus au principe de la proportionnalité en ce que le juge a omis de soupeser les conséquences d’une privation de liberté aussi importante, je suis d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête pour autorisation d’appeler et le pourvoi pour réduire les peines sur les chefs de fraudes perpétrées après le 15 septembre 2004 à 72 mois d’emprisonnement et celles sur les autres chefs de fraude et de fabrication de faux documents à 54 mois d’emprisonnement, tout en précisant qu’une période de 14 mois devra être créditée en raison de la détention provisoire, toutes ces peines étant concurrentes entre elles.

 

 

 

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

 



[1]     P-181, 2 CD contenant 2 700 documents électroniques comprenant 24 000 pages que la poursuite entendait produire, ainsi qu’un logiciel permettant de localiser et de visualiser chacun d’entre eux.

[2]     P-182, liste de tous les documents contenus dans P-181.

[3]     R. c. Pan; R. c. Sawyer, 2001 CSC 42, paragr. 97.

[4]     R. c. Hanna, (1993) 80 C.C.C. (3d) 289, 312 - autorisation de pourvoi à la CSC refusée le 27 mai 1994, n° 24174.

[5]     R. c. Giroux, (2006) 207 C.C.C. (3d) 512, paragr. 34 (C.A. Ont.) - autorisation de pourvoi à la CSC refusée le 12 juin 2006, no° 31429.

[6]     R. c. Jolivet, (1998) 125 C.C.C. (3d) 210, 236 - confirmé par [2000] 1 R.C.S. 751.

[7]     R. c. Hay, 2013 CSC 61, paragr. 47 et 48.

[8]     Delisle c. R., 2013 QCCA 952, paragr. 35, requête pour permission d’appeler à la CSC refusée, (2003) C.S.C.R. n° 323.

[9]     R. c. Griffin, 2009 CSC 28.

[10]    R. c. Mayuran, 2012 CSC 31.

[11]    R. c. Khela, 2009 CSC 4, paragr. 3.

[12]    Bell c. R., [1983] 2 R.C.S. 471.

[13]    R. c. Vu, 2012 CSC 40.

[14]    Ibid., paragr. 6.

[15]    R. c. Arcuri, 2001 CSC 54.

[16]    R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, paragr. 19, 24, 27; R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168; Mahoney c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 834.

[17]    R. c. W. (R.), [1992] 2 R.C.S. 122, p. 131.

[18]    R. c. Biniaris, précité, note 16, paragr. 36.

[19]    R. c. Sinclair, 2011 CSC 40.

[20]    R. c. R.P., 2012 CSC 22.

[21]    R. c. W.H., 2013 CSC 22.

[22]    Pardi c. R., 2014 QCCA 320.

[23]    R. c. Lacroix, 2009 QCCS 4519.

[24]    Cholette c. R., 2013 QCCA 273, paragr. 5 et 8.

[25]    Ibid., paragr. 12 à 15.

[26]    R. c. Roks, 2011 ONCA 618.

[27]    R. c. Antonelli, 2008 QCCA 1573; Paré c. R., 2011 QCCA 2047; R. c. Chav, 2012 QCCA 354.

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