DÉCISION
Dossier noº 109869-72-9902
[1] Le 1er février 1999, madame France Lefebvre (la travailleuse) loge une requête contestant la décision rendue le 20 janvier 1999 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dans le cadre de la révision administrative (la révision administrative) qui confirme trois décisions de première instance en date des 7 et 13 août 1998 et 11 janvier 1999.
[2] Mais voici d’abord la décision de première instance du 27 mars 1998, non contestée :
« Comme nous en avons discuté au cours de notre dernière conversation téléphonique, il est actuellement impossible de déterminer un emploi que vous seriez capable d’exercer à temps plein.
En conséquence, nous continuerons à vous verser une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que vous ayez 68 ans. Cependant, à compter de votre 65e anniversaire de naissance, elle diminuera progressivement : de 25% la première année, de 50% l’année suivante, de 75% la dernière année.
Si toutefois vous recommencez à travailler, même à raison de quelques heures par semaine, veuillez nous en aviser, car nous devrons tenir compte de votre revenu d’emploi et ajuster votre indemnité en conséquence. »
[3] Voici les décisions de première instance confirmées par la révision administrative :
- la décision du 7 août 1998 :
« Suite à de nouvelles informations, nous reconsidérons notre décision du 27 mars 1998.
En effet, vous travaillez depuis le 15 décembre 1997 comme chauffeur et/ou chauffeur-accompagnateur; vous avez donc démontré que vous êtes apte à exercer cet emploi depuis le 15 décembre 1997.
Par conséquent, nous déterminons que votre emploi convenable est chauffeur et/ou chauffeur accompagnateur et que vous êtes capable de l’exercer depuis le 15 décembre 1997. »
- la décision du 13 août 1998 :
« Suite à la détermination de l’emploi convenable de chauffeur et/ou chauffeur/accompagnateur, la base salariale annuelle de cet emploi s’estime à 15 246,00 $ c’est-à-dire le salaire minimum.
Comme ce salaire est équivalent ou supérieur à ce que vous gagniez au moment de votre accident de travail, vous ne subissez aucune perte salariale.
Par conséquent, aucune indemnité réduite de remplacement du revenu ne vous sera versée.
De plus, depuis le 15 décembre 1997 vous n’aviez pas droit aux indemnités de remplacement du revenu puisque vous travailliez. »
- la décision du 11 janvier 1999 :
« Nous vous avisons que des sommes vous ont été versées en trop par suite de votre réclamation pour la lésion professionnelle du 21 avril 1992. En effet, vous avez reçu des indemnités de remplacement du revenu jusqu’au 30 juillet 1998, alors que vous étiez capable d’exercer votre emploi à compter du 15 décembre 1997. On vous a ainsi versé des indemnités pendant 228 jours de trop. Vous devez donc 6,504.60$ à la CSST.
Cependant, cette somme sera exigible seulement à la fin du délai de contestation. Nous vous informerons plus tard des modalités de remboursement. »
Dossier noº 133590-72-0003
[4] Le 8 mars 2000, la travailleuse loge une requête contestant la décision de la révision administrative rendue le 29 février 2000, laquelle confirme, entre autres, la décision de première instance du 18 juin 1999 ainsi libellée :
« Nous avons reçu les documents concernant la réclamation pour une rechute, récidive ou aggravation survenue le 20 mai 1999. Nous vous informons que nous ne pouvons accepter cette réclamation pour la raison suivante :
- Il n’y a pas de lien entre le diagnostic de trouble d’adaptation et l’événement du 21 avril 1992.
- En conséquence, aucune indemnité ne vous sera versée. »
L'OBJET DES REQUÊTES
La travailleuse est présente et
représentée lors de la conférence préparatoire tenue le 19 mai 2000 et lors des
audiences tenues les 18, 21 et 23 août 2000.
Infirmières Plus enr (l’employeur) est absent. La CSST, partie intervenante conformément à l’article
Dossier noº 109869-72-9902
[5] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la révision administrative du 20 janvier 1999, de déclarer que l’emploi de chauffeur et/ou chauffeur accompagnateur n’est pas un emploi convenable, que la travailleuse est incapable d’effectuer tout travail, qu’elle a toujours droit à l’indemnité de remplacement du revenu et qu’en conséquence la réclamation d’un trop-perçu est devenue caduque.
Dossier noº133590-72-0003
[6] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la partie de la décision de la révision administrative portant sur le refus de la relation causale entre le diagnostic de trouble d’adaptation, la lésion du 20 mai 1999, et l’événement du 21 avril 1992.
REMARQUES PRÉLIMINAIRES
[7] La preuve documentaire et testimoniale révèle les noms et renseignements personnels au sujet de personnes ayant requis des services de transport pour se rendre dans un centre hospitalier de Montréal afin de recevoir des soins. Pour les fins de la présente décision, il n’est pas utile de dévoiler le nom de ces personnes, non plus que des renseignements trop précis qui permettraient de les identifier. Il apparaît suffisant d’utiliser leurs initiales et de nommer le secteur de leur domicile afin d’évaluer le trajet effectué lors du transport. En outre, la preuve révèle, en raison de l’enquête effectuée par la CSST, plusieurs renseignements personnels concernant la travailleuse qu’il n’est pas utile de dévoiler dans la présente décision. D’ailleurs, l’exactitude de ces renseignements contenus au rapport d’enquête ne fut pas mise en doute par la travailleuse, particulièrement quant à l’adresse de son domicile, l’immatriculation du véhicule automobile qu’elle conduisait, l’institution financière où elle faisait affaire et son numéro de compte.
LES FAITS
[8] Le 21 avril 1992, madame Lefebvre subit une lésion professionnelle, dans l’exercice de ses fonctions d’auxiliaire familiale, en levant une bénéficiaire de son lit. Elle s’inflige une hernie discale au niveau L4-L5 avec fragment qui migre vers le bas et entraîne une radiculopathie au niveau L5-S1 à droite. Cette lésion, traitée de façon conservatrice, est consolidée le 12 juillet 1993 avec atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique (atteinte permanente) et limitations fonctionnelles, selon l’avis du médecin qui a charge de la travailleuse, le docteur Roland Proulx, physiatre. Ce dernier reconnaît un déficit anatomo-physiologique de 2% pour hernie discale L4-L5 non opérée; de 3% pour perte de flexion antérieure (70º à 80º); de 5% pour atteinte motrice de 25% dans le territoire de L5 à droite; de 3% pour atteinte motrice de 25% dans le territoire de S1 à droite; de 1% pour atteinte sensitive de 25% dans le territoire de S1. Le 22 octobre 1993, la CSST reconnaît un pourcentage d’atteinte permanente de 16,80%. Le 23 novembre 1993, elle conclut à l’impossibilité pour la travailleuse d’un retour au travail dans l’emploi pré-lésionnel. La travailleuse bénéficie d’un processus de réadaptation et le 3 mars 1994, la CSST conclut qu’elle est capable d’exercer l’emploi convenable de gardien de sécurité. Dans les faits, la travailleuse n’occupera pas cet emploi.
[9] Le 16 août 1994, la travailleuse subit une récidive, rechute ou aggravation. La symptomatologie est bilatérale. Cette lésion est consolidée le 12 décembre 1994. Le 13 mars 1995, le docteur André L. Desjardins, orthopédiste, produit un rapport d’évaluation médicale. Il augmente à 5% le déficit anatomo-physiologique concernant la perte de flexion antérieure qu’il mesure à 50º. Il accorde 1% pour perte de flexion latérale 20º à droite, de même qu’à gauche. Il accorde aussi 1% pour perte de rotation 20º à gauche. Le 23 mars 1995, la CSST reconnaît un pourcentage d’atteinte permanente de 6,00%. Les limitations fonctionnelles étant peu modifiées, la conseillère en réadaptation, madame Nicole Dionne écrit aux notes évolutives du 7 avril 1995 que la travailleuse est encore capable d’exercer l’emploi convenable de gardien de sécurité mais le dossier ne contient aucune décision formelle portant sur cet objet.
[10] Par ailleurs, la conseillère écrit :
« […] D’ailleurs elle se perçoit incapable de retourner sur le marché du travail à cause de son dos et aussi à cause d’une condition asthmatique importante qui lui complique l’existence dans ses activités quotidiennes et qui selon elle l’invalide totalement sur le plan professionnel. Je lui explique notre responsabilité qui est reliée aux conséquences de son accident de travail i.e son hernie L4-L5. » (sic)
[11] Le 11 mai 1995, la travailleuse subit une récidive, rechute ou aggravation de lombosciatalgie gauche. Cette lésion est consolidée le 11 janvier 1996 par le docteur Desjardins. Le rapport d’évaluation médicale est rédigé le 20 février 1996 par le docteur Rock Banville qui ajoute un déficit anatomo-physiologique de 2% pour hernie discale L5-S1, de 1% pour perte d’extension à 20º. Il augmente le déficit anatomo-physiologique à 6% pour l’atteinte motrice de S1, maintenant à 50%. Le docteur Banville émet l’opinion que la travailleuse est « incapable de vaquer de façon régulière à tout travail vraiment rémunérateur » et détermine les limitations fonctionnelles suivantes :
« Madame France LEFEBVRE est porteuse d’une pathologie qui impose des limitations fonctionnelles qui se lisent comme suit; elle devra éviter :
- d’exécuter des mouvements répétitifs de flexion, d’extension ou de torsion au niveau de la colonne dorso-lombaire;
- de soulever, porter, pousser ou tirer des charges dont le poids excède 5 kilos et ce, de façon répétitive à l’intérieur d’un travail quotidien;
- d’exercer des activités en position penchée, accroupie ou instable;
- de garder la même posture plus de 20 minutes;
- de monter ou descendre des escaliers de façon constante et prolongée;
- de marcher sur des terrains accidentés ou glissants;
- de subir des vibrations ou des contrecoups à la colonne; »
[12] Depuis février-mars 1996, la travailleuse se plaint de douleurs cervicales et de douleurs aux épaules, condition pour laquelle elle réclamera à titre de récidive, rechute ou aggravation. Cette réclamation sera refusée par la CSST le 4 décembre 1997.
[13] Le 25 avril 1996, selon le rapport d’évaluation médicale du docteur Banville pour la lésion du 11 mai 1995, la CSST reconnaît un pourcentage d’atteinte permanente de 7,50%. Les pourcentages d’atteinte permanente attribués totalisent alors 30,30%.
[14] Le 29 mai 1996, une conseillère en réadaptation, madame Nguyen rencontre la travailleuse et lui explique qu’en ce qui concerne la recommandation du docteur Banville, la CSST ne peut la déclarer invalide. Elle écrit aux notes évolutives que la travailleuse aimerait retourner au travail mais ne sait pas ce qu’elle est capable de faire. Elle a peur de poser des gestes susceptibles d’aggraver sa condition et se perçoit comme étant invalide.
[15] En juillet 1996, la travailleuse est hospitalisée à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont pour un problème de maladie pulmonaire obstructive chronique et d’asthme chronique.
[16] Le 30 octobre 1996, à la suite d’une discussion sur le cas de la travailleuse, la conseillère en réadaptation, madame Nicole Dionne, écrit qu’il est convenu de demander à la travailleuse de « documenter ses conditions médicales (pulmonaire et dos) par d’autres évaluations afin d’établir l’invalidité de Tr ».
[17] Le 5 décembre 1996, la conseillère écrit :
« Rencontre avec Tr :
Tr élabore encore sur sa condition de dos qui l’invalide dans ses activités quotidiennes; selon elle, il est impensable qu’elle puisse retourner sur le marché du travail; tjrs selon ses dires, la condition de son dos aggrave sa condition pulmonaire; en plus de la région lombaire qui lui occasionne douleurs et restrictions, il y a le cou et l’épaule droite qui sont maintenant hypothéqués.
J’explique à la Tr qu’avant de pouvoir la déclarer invalide, elle doit obtenir d’autres évaluations pour ses poumons, son dos (lombaire et cervicale), son épaule droite. Elle doit donc revoir ses mds, ainsi que d’autres mds qui documenteront sa condition médicale. » (sic)
[18] À cette fin, la travailleuse produit un rapport rédigé le 12 décembre 1996 par le docteur Roch Banville concernant sa condition cervicale. Plutôt que de rédiger un rapport d’expertise médicale, il produit un rapport d’évaluation médicale, lequel ne sera pas considéré à ce titre par la CSST qui n’a jusqu’alors reconnu aucune lésion cervicale en relation avec la lésion professionnelle du 21 avril 1992. Le docteur Banville retient le diagnostic de hernie cervicale, évalue les séquelles et conclut que la travailleuse « est incapable de vaquer régulièrement à tout travail rémunérateur et devrait être considérée comme invalide ».
[19] La travailleuse produit aussi une lettre du docteur Martin Légaré, pneumologue, en date du 20 décembre 1996 :
« Mme Lefebvre souffre d’une MPOC modérée et d’un asthme avec labilité bronchique significative ayant même nécessité un séjour aux soins intensifs. Elle requiert également un traitement à long terme avec corticostéroïdes. Pour cette raison (et de plus en raison de ses nombreux problèmes musculo-squelettiques), il m’apparaît contre-indiqué de soumettre cette dame à des programmes de réadaptation et de retour au travail. »
[20] Le 4 décembre 1997, la CSST rend une décision refusant de reconnaître l’existence d’une relation causale entre le diagnostic de hernie cervicale, posé par le docteur Banville dans son rapport du 12 décembre 1996, et la lésion professionnelle reconnue. La révision administrative confirmera cette décision le 16 décembre 1998. La travailleuse se désistera de son recours devant la Commission des lésions professionnelles.
[21] Le 27 mars 1998, la CSST rend la décision suivante :
« Comme nous en avons discuté au cours de notre dernière conversation téléphonique, il est actuellement impossible de déterminer un emploi que vous seriez capable d’exercer à temps plein.
En conséquence, nous continuerons à vous verser une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que vous ayez 68 ans. Cependant, à compter de votre 65e anniversaire de naissance, elle diminuera progressivement : de 25% la première année, de 50% l’année suivante, de 75% la dernière année.
Si toutefois vous recommencez à travailler, même à raison de quelques heures par semaine, veuillez nous en aviser, car nous devrons tenir compte de votre revenu d’emploi et ajuster votre indemnité en conséquence. »
(les soulignés sont de la Commission des lésions professionnelles)
[22] Le 29 juillet 1998, madame Sophie Trudel, agente d’indemnisation, écrit aux notes évolutives :
« Reçu Tél T
elle a tombé par terre, à la maison le 98-07-20. Elle ne faisait rien et a tombé. Est allé à l’Hopital, a le nerf sciatique coincé.
Son dos s’est aggravé.
Elle a RV avec Dr Tremblay le 98-08-21.
Elle m’affirme avoir beaucoup de douleur depuis 2 à 3 ans.
Son médecin lui a dit qu’elle doit toujours utiliser sa canne pour se déplacer
à la maison comme à l’extérieur.
Je lui envoie RTR.
Elle me dit qu’elle ne peut plus bouger, sortir… à cause de la douleur. » (sic)
[23] Le 3 août 1998, la travailleuse signe un formulaire de réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation en date du 20 juillet 1998 où elle inscrit la description suivante :
« J’ai beaucoup mal à la tête aussi une douleur atrosse et insuportable ces manifesté dans le bas du dos et le haut de la colonne les jambes on relaché et je suis tombé par terre. J’avais les deux jambe engourdie et je ne peu me suporte j’ai mal aux deux fesses. » (sic)
[24] Les documents médicaux font état de « Jambe qui s’est dérobée lundi (3 jours) », d’un pincement L5-S1, d’ostéoporose et de lombosciatalgie. Cette réclamation sera refusée le 12 novembre 1998 par la CSST et le 17 mars 1999 par la révision administrative. La travailleuse se désistera de sa requête devant la Commission des lésions professionnelles.
[25] Peu avant, soit en juin 1998, la CSST reçoit un appel téléphonique d’une personne de l’extérieur, l’informant que madame Lefebvre « travaillerait comme accompagnatrice 6 jrs/sem. » tel que relaté aux notes évolutives des 16 juin 1998 et 7 août 1998.
[26] La CSST mandate alors monsieur Carmel Desjardins, enquêteur à la Direction des enquêtes spéciales de la CSST, afin de vérifier le bien-fondé de cette information. Son rapport d’enquête daté du 5 octobre 1998 ainsi que des documents obtenus au cours de cette enquête sont versés au dossier. Une vidéocassette et une cassette audio seront produites à l’audience.
[27] On peut lire à ce rapport d’enquête que monsieur Desjardins procède d’abord à une surveillance au domicile de la travailleuse les 26 juin, 2 et 3 juillet 1998. Il observe qu’elle est « assez active, allant et venant à son domicile à des heures différentes. » Elle circule au volant d’une Toyota Corolla blanche, portant à l’avant une plaque au nom de « Location Jean Légaré ».
[28] Les services d’une entreprise de filature, Filature Expert Investigation, sont retenus. Cette entreprise procède à une filature de la travailleuse les 7, 9, 16 et 18 juillet 1998 ainsi que le 4 août 1998 et produit rapports et vidéocassettes.
[29] Parallèlement, monsieur Desjardins poursuit son enquête, recueille des déclarations et obtient différents documents. Il rencontre « l’employeur présumé » madame Monique Lussier, à la place d’affaires de son entreprise, Transport Médical Isabella. Il rencontre monsieur Jean Légaré, propriétaire de Location Jean Légaré Ltée. Il communique avec Environnement Canada-Climatologie et obtient le rapport des températures et de l’humidité relative pour le mois de juillet 1998 pour la région de Montréal-Dorval. Il rencontre la responsable des services aux membres de l’institution financière où la travailleuse possède un compte. Il rencontre la travailleuse ainsi que madame Ginette Bélair. Monsieur Desjardins ainsi que messieurs Paul-André Pharand et Bernard Couture, enquêteurs du même service, rencontrent des « clients » du service de transport et recueillent leur déclaration.
[30] En conclusion de son rapport d’enquête, monsieur Desjardins écrit :
« L’enquête effectuée dans ce dossier révèle que Mme France LEFEBVRE a effectivement occupé un emploi depuis le ou vers le 15 décembre 1997 jusqu’à notre rencontre avec son employeur le 5 août 1998. Au cours de cette période, elle a perçu un revenu brut d’emploi pour la somme de 12 031,80 $ sans en informer la CSST qui lui payait alors pleine IRR depuis un événement en date du 92-04-21. »
[31] Le 7 août 1998, différents intervenants de la CSST se réunissent en équipe multidisciplinaire afin de prendre connaissance et de discuter des résultats de la filature et des éléments recueillis à date lors de l’enquête.
[32] Le 7 août 1998, la CSST rend l’une des décisions en litige, confirmée par la révision administrative :
« Suite à de nouvelles informations, nous reconsidérons notre décision du 27 mars 1998.
En effet, vous travaillez depuis le 15 décembre 1997 comme chauffeur et/ou chauffeur-accompagnateur; vous avez donc démontré que vous êtes apte à exercer cet emploi depuis le 15 décembre 1997.
Par conséquent, nous déterminons que votre emploi convenable est chauffeur et/ou chauffeur accompagnateur et que vous êtes capable de l’exercer depuis le 15 décembre 1997. »
(les soulignés sont de la Commission des lésions professionnelles)
[33] Le 13 août 1998, la CSST statue quant au salaire estimé de l’emploi convenable et l’absence d’indemnité réduite de remplacement du revenu. Cette décision confirmée en révision administrative est aussi en litige devant la Commission des lésions professionnelles.
[34] Rappelons que le 12 novembre 1998, la CSST refuse la réclamation pour récidive, rechute ou aggravation du 20 juillet 1998.
[35] Par lettre datée du 27 novembre 1998, le procureur de la travailleuse fait parvenir à la CSST un rapport d’expertise médicale, rédigé le 10 novembre 1998, par le docteur Richard Lambert, physiatre, dont voici des extraits :
« […]
DESCRIPTION DE L’EMPLOI DE CHAUFFEUR :
Cet emploi comporte la conduite d’une automobile ou d’une limousine. On mentionne toutefois diverses tâches qui peuvent être connexes dont faire des courses et on donne l’exemple de prendre ou déposer le courrier dans un bureau de poste. Faire des voyages de nuit ou des voyages prolongés comportant des heures de travail variables. On mentionne également que la travailleuse pourrait à avoir à effectuer l’entretien et le nettoyage du véhicule, faire les réparations et mises au point ordinaires. Dans certaines situations, lorsqu’elle est au service d’une famille, divers travaux autour de la maison peuvent être effectués.
Fonction principale
On retrouve également dans la description de la fonction principale qu’il faut aider les passagers à transporter leurs bagages et à monter dans le véhicule.
IMPRESSIONS DIAGNOSTIQUES :
Hernie discale L4-L5 et L5-S1 avec radiculopathie L5 et S1 droite.
DISCUSSION :
A la lecture du dossier, il semble clair que la patiente présente 2 hernies discales tel que le prouve la résonance magnétique soit aux niveaux L4-L5 et L5-S1 avec radiculopathie L5 et S1 droite. Ce diagnostic a été accepté par la CSST. Des limitations fonctionnelles de même qu’une APIPP ont été accordées par les différents médecins traitants et il ne semblait pas y avoir non plus de contestation pour ces 2 items.
Les dernières limitations fonctionnelles émisent en rapport avec la rechute de 1995 sont celles qui ont été inscrites dans la REM du docteur Banville du 20 février 1996. Elles sont les suivantes :
[…]
Il semble que ces limitations aient été acceptées par la CSST. Une évaluation en réadaptation a rapporté que la patiente ne pouvait accomplir de travail suite à ces limitations.
Une enquête aurait rapporté que la patiente a accompagné une personne handicapée durant plusieurs mois, soit de février à juillet 1998. La patiente ne faisait que conduire cette personne et était dans son automobile tout au plus 15 minutes pour l’aller et 15 minutes pour le retour. Elle n’avait de plus aucun effort physique à fournir.
Donc ce bénévolat qu’effectuait la patiente respectait en tous points les limitations imposées par le docteur Banville.
De plus, lorsque nous révisons la définition du travail de chauffeur telle que fournie par la CSST, cette patiente a des limitations qui lui interdisent d’être identifiée comme étant apte à effectuer cet emploi. En effet, la patiente ne peut demeurer assise de façon prolongée tel que le demande cet emploi, elle ne peut aider les passagers à manipuler les bagages, elle ne peut veiller à différents travaux comme l’entretien ou les réparations du véhicule et elle ne peut également faire des courses ou divers travaux ménagers pour un employeur éventuel.
En conclusion, cette patiente a en tout temps respecté les limitations fonctionnelles qui lui ont été imposées et de plus, elle a des limitations fonctionnelles qui ne correspondent pas à la définition de chauffeur telle que fournie par la CSST. Il n’y a donc pas lieu de considérer que cette patiente peut occuper le travail de chauffeur et/ou chauffeur accompagnateur.
CONCLUSIONS :
[…]
4. Lorsque je revise l’ensemble du dossier, c’est-à-dire lorsque nous additionnons l’atteinte pulmonaire et musculo-squelettique, il devient évident que la patiente devient très difficilement employable. » (sic)
[36] Voici les descriptions de postes de chauffeurs contenues aux notes évolutives de la CSST et au sujet desquelles le docteur Lambert émet l’opinion précitée :
- d’abord un extrait de la description du poste 9173-114 « chauffeur (trans. auto.) » retrouvée à la Classification canadienne descriptive des professions (CCDP) :
« Conduit une automobile ou une limousine pour transporter le personnel et les visiteurs d’entreprises, de corps publics, d’organismes d’État ou autres, ainsi que les familles :
Met le véhicule en marche, l’arrête, en contrôle la vitesse et la direction. Passe prendre les voyageurs ou va à leur rencontre sur demande, sur rendez-vous ou selon un horaire. Fait diverses courses, en allant par exemple prendre ou déposer le courrier au bureau de poste. Fait des voyages de nuit ou des voyages prolongés comportant des heures de travail variables. Entretient et nettoie le véhicule, fait les réparations et mises au point ordinaires.
Peut être au service d’une famille, être responsables de plusieurs voitures, et rendre d’autres services, tels que s’occuper du jardinage, promener les animaux de la maison, ou faire divers travaux d’intérieur. Peut rendre service aux clients des restaurants, des grands magasins et autres établissements en conduisant leur automobile au terrain de stationnement et en le ramenant ensuite devant l’établissement. Peut être employé par un fabricant d’automobiles, ou une agence de louage, à aller prendre ou livrer les voitures neuves ou les voitures de louage, ou à conduire les clients qui demande une limousine avec chauffeur.
Peut être désigné selon l’employeur, par exemple :
Chauffeur d’entreprise
Chauffeur de pompes funèbres
Chauffeur privé » (sic)
- ensuite un extrait de la description du poste 7413 « chauffeur de taxi, de limousine et chauffeur » à la Classification nationale des professions (CNP) :
« Les chauffeurs de taxi et les chauffeurs de limousine conduisent des automobiles et des limousines pour transporter des passagers. Les chauffeurs conduisent des automobiles et des limousines pour transporter le personnel et les visiteurs d'entreprises, d’organismes gouvernementaux ou d’autres organismes ou des membres des familles de leur employeur. Les chauffeurs de taxi et les chauffeurs de limousine travaillent dans des stations de taxis et d’autres entreprises de transport, ou ils peuvent être des travailleurs indépendants. Les chauffeurs sont employés dans des entreprises, des organismes gouvernementaux ou d’autres organismes ou par des individus ou des familles.
[…]
Fonctions principales
Les chauffeurs de taxi, les chauffeurs de limousine et les chauffeurs remplissent une partie ou l’ensemble des fonctions suivantes :
Chauffeurs de taxi et de limousine
- prendre des passagers et les conduire à destination en taxi ou en limousine;
- aider les passagers à transporter leurs bagages et à monter dans le véhicule;
- encaisser le prix de la course indiqué au taximètre ou le prix convenu;
- inscrire la recette dans un livre de bord;
- rester en contact avec le répartiteur.
Chauffeurs
- passer prendre l’employeur ou aller à sa rencontre sur demande, sur rendez-vous ou selon un horaire;
- conduire l’employeur à destination en automobile ou en limousine;
- faire diverses courses personnelles et d’affaires pour l’employeur, soit prendre ou déposer au bureau de poste le courrier, les colis et les documents d’affaires;
- nettoyer et faire des réparations mineures ou faire réparer le véhicule dans un garage.
[…] »
[37] Le 16 décembre 1998, il est écrit aux notes évolutives :
« Envoyé copie des cassettes vidéo de la filature à l’avocat de la T, tel que demandé par celui-ci le 98-12-09. »
[38] Par ailleurs rappelons que le 16 décembre 1998, la révision administrative confirme la décision refusant de reconnaître une relation causale entre le diagnostic de hernie cervicale et la lésion professionnelle du 21 avril 1992.
[39] Le 11 janvier 1999, la CSST réclame à la travailleuse un surpayé de 6 504,60$ pour l’indemnité de remplacement du revenu versée entre le 15 décembre 1997 et le 30 juillet 1998. Cette décision, confirmée en révision administrative, est aussi en litige devant la Commission des lésions professionnelles.
[40] Le 20 janvier 1999, la CSST émet un constat d’infraction dont voici le libellé :
« Entre le 15 décembre 1997 et le 5 août 1998, en tant que travailleuse, a omis d’informer sans délai la Commission de la santé et de la sécurité du travail, d’un changement dans sa situation qui peut influer sur un droit ou une indemnité que lui confère la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., ch. A-3.001), contrevenant à l’article 278 de cette Loi et commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 462 de cette même loi. »
[41] Le 4 février 1999, la travailleuse signe un plaidoyer de non-culpabilité. En date de l’audience, selon l’information fournie par les procureurs, ces procédures sont toujours pendantes devant le Tribunal du Travail.
[42] Le 20 mai 1999, la travailleuse réclame auprès de la CSST pour la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation, à savoir une lésion psychologique. Au soutien de cette réclamation, la travailleuse produit l’opinion suivante rédigée le 16 avril 1999 par le docteur Christophe Nowakowski, psychiatre :
« Madame Lefebvre est une dame de 48 ans, qui a œuvré pendant de longues années comme accompagnatrice auprès de personnes âgées et handicapées. Suite à un accident de travail elle s’est retrouvée sur la CSST. Pendant qu’elle recevait ses prestations de remplacement du revenu, elle est venue en aide à une personne qu’elle ne connaissait pas antérieurement, qu’elle a hébergée chez elle, et cette dernière aurait déposé des plaintes contre elle à l’effet qu’elle fraude la CSST. Une filature a été organisée, des accusations ont été portées contre madame Lefebvre, ses indemnités de remplacement de revenu ont été suspendues, et elle se trouve donc actuellement dans une situation financière extrêmement précaire.
Cette situation précaire, ainsi que les diverses difficultés administratives auxquelles elle doit faire face, entraînent chez elle certains symptômes de décompensation psychologique : insomnie, difficultés de concentration, pensées envahissantes au sujet de ses problèmes actuels avec incapacité de penser de façon soutenue et motivée à autre chose, anxiété, affect dépressif et anhédonie.
Je crois que cette condition psychiatrique, qui correspond à un diagnostic de trouble d’adaptation, va se résorber graduellement à partir du moment où les problèmes administratifs de madame Lefebvre seront résolus. Toutefois, en attendant, madame Lefebvre pourrait certainement bénéficier d’un support psychothérapeutique. La résolution administrative de son dossier demeure cependant un remède plus important que la psychothérapie.
Actuellement, ce trouble d’adaptation entraîne des limitations fonctionnelles rendant madame Lefebvre inapte à tout emploi. » (sic)
[43] Le 18 juin 1999, la CSST rend l’une des décisions en litige, soit le refus de cette réclamation pour récidive, rechute ou aggravation du 20 mai 1999 au motif d’absence de relation causale entre le diagnostic de trouble d’adaptation et l’événement du 21 avril 1992.
[44] Le 5 juillet 1999, madame Anne-Marie Ouellet, ergothérapeute chez Consultation S.A.P.A. inc, rédige à la demande du procureur de la travailleuse, un rapport d’évaluation des capacités fonctionnelles de cette dernière, après évaluation clinique le 16 juin 1999. Voici un extrait du rapport-synthèse :
« Niveau de demande physique
Madame Lefebvre a démontrée qu’elle a les capacités de faire un travail de type sédentaire1.
Profil
comportemental
Madame Lefebvre a démontrée certains signes d’exagération des symptômes. Elle se perçoit comme étant invalide et nous pouvons noter une inconsistance entre la perception qu’elle a de ses capacités avec ses capacités réelles telles qu’évaluées.
Limitations fonctionnelles
émises par le Dr Banville en date du 20 février 1996
[…]
En réponse au
mandat
Définir quelles sont les limitations fonctionnelles (incapacités) de
madame
Les résultats des tests objectifs nous indiquent les incapacités suivantes (toutefois les capacités peuvent être supérieures puisqu’on note une auto limitation dans plusieurs tests) :
· Incapacité de soulever du sol une charge supérieure à 10 lb
· Incapacité de soulever de la taille au niveau des yeux, une charge supérieure à 10 lb
· Incapacité de transporter de façon bilatérale une charge supérieure à 10 lb
· Incapacité de transporter de façon unilatérale une charge supérieure à 10 lb
· Incapacité totale pour pousser et tirer une charge
· Incapacité de demeurer en position assise plus de 30 minutes consécutives
· Incapacité de demeurer en position debout plus de 30 minutes consécutives
· Incapacité de marcher plus de 30 minutes consécutives
· Incapacité de maintenir la position penchée vers l’avant
· Incapacité de demeurer en position agenouillée
· Incapacité de demeurer en position accroupie
· Incapacité de s’accroupir de façon répétée
· Incapacité de monter/descendre plus de 40 marches
· Incapacité d’atteindre au-dessus de la tête
2. Définir quelle est la description des tâches
de l’emploi convenable.
La Classification canadienne des professions nous a permis de constater que le poste se rapprochant le plus du poste proposé par la CSST est le poste de « chauffeur » (annexe II, #9173-114). Il s’agit ainsi d’un travail qualifié de léger.
3. Compte tenu des incapacité et des exigences de l’emploi convenable, déterminer la capacité de madame d’exercer l’emploi convenable.
Les exigences de l’emploi convenable correspondent à la capacité d’occuper un emploi de type léger. Les résultats de notre évaluation nous indiquent que madame a la capacité d’occuper un emploi de type sédentaire. De plus, il nous est difficile de statuer sur sa capacité à maintenir un niveau de travail sédentaire huit heures par jour.
Conclusion
Malgré la bande vidéo, les résultats de notre évaluation nous ont permis de définir des incapacités chez Mme Lefebvre qui ne lui permettent pas d’occuper un travail de type léger comme celui de « chauffeur ».
_______________________
1 Dictionnary of Occupationnal
Titles, Fourth Edition Supplement. U.S. Department of Labor, Employment and
Training Administration, 1986.
Travail sédentaire : soulever un poids maximum de 10 livres et soulever ou porter, à l’occasion, des choses telles que registres juridiques ou autres, et de petits outils. Bien qu’on définisse un emploi sédentaire comme un emploi pour lequel on est généralement assis, il peut s’avérer nécessaire de marcher ou de rester debout afin de remplir certaines tâches. On considère qu’un emploi est sédentaire si la marche et la position debout n’y sont nécessaire qu’à l’occasion, et s’il répond aux autres conditions de cette catégorie. » (sic)
[45] Le 26 octobre 1999, le docteur Lambert rédige un complément d’expertise médicale dont voici un extrait :
« VISIONNEMENT D’UNE BANDE VIDÉO SUITE À UNE ENQUÊTE EFFECTUÉE PAR LA CSST :
Nous y voyons madame Lefebvre effectuer des transports en automobile pour des patients devant se présenter à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont pour des traitements. Lorsque nous analysons cette bande vidéo en rapport avec les limitations imposées par ses médecins traitants, nous voyons que cette patiente ne déroge pas aux limitations imposées. Concernant les poids à soulever, la patiente ne soulève et ne manipule aucune charge. Elle a peut-être eu à l’occasion à déplacer un sac mais ce dernier ne semblait pas lourd. Le seul effort physique qui a pu être fait était lorsqu’elle poussait un fauteuil roulant en descendant une pente et lorsqu’elle remontait cette pente, le fauteuil roulant était vide. Elle ne travaillait pas en flexion antérieure lorsqu’elle descendait les patients et il y avait une pente qui était facilement négociable. La patiente ne semblait pas faire d’efforts. Il est important de rappeler que la patiente n’a poussé des fauteuils roulants lourds que lorsqu’elle était dans une pente descendante. Pour une même patiente, nous l’avons vue à plusieurs reprises aider cette patiente à gravir des marches et les redescendre par la suite à l’aide du fauteuil roulant. Il y a donc eu un souci de la part de madame Lefebvre de ne pas faire d’efforts pour monter une pente avec un fauteuil roulant occupé par un patient et ainsi éviter de travailler en flexion antérieure. Lorsqu’elle était debout, la patiente semblait bouger assez fréquemment. Elle n’effectuait pas de mouvements répétitifs de flexion, extension ou rotation de la colonne dorsolombaire et ne travaillait pas de façon soutenue dans la même position.
DISCUSSION :
Cette patiente présente un examen physique assez similaire à ce que nous avions obtenu près d’un an auparavant.
Lors de l’évaluation de novembre 1998, la patiente rapportait utiliser une canne uniquement si elle marchait plus de 5 minutes et lors du vidéo, nous ne l’avons pas vue marcher plus de 5 minutes consécutives.
Le visionnement de la bande vidéo n’a pas démontré que la patiente dérogeait aux limitations imposées par le docteur Banville.
Le rapport de l’ergothérapie confirme que cette patiente ne peut occuper toutes et chacune des tâches de chauffeur ou de chauffeur/accompagnateur.
CONCLUSION :
Les conclusions émises en novembre 1998 demeurent inchangées et nous concluons toujours que cette patiente ne peut occuper l’emploi de chauffeur ou chauffeur/accompagnateur. Nous nous référons toujours à la définition de l’emploi de chauffeur et chauffeur/accompagnateur.
[46] Le 22 novembre 1999, le docteur Serge Lecours, spécialiste en santé communautaire et toxicologie, rédige une opinion (pièce T-1) portant sur l’incidence, sur la condition musculo-squelettique de la travailleuse, de la prise de corticostéroïdes en raison de sa condition pulmonaire. À cette fin, il collige des données provenant des dossiers de la travailleuse à l’Hôpital Ste-Jeanne d’Arc et à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont.
[47] Le 14 février 2000, le docteur Marc Beauchamp, chirurgien-orthopédiste, rédige un rapport d’expertise médicale après avoir examiné la travailleuse à la demande de la CSST. En voici les conclusions :
« CONCLUSION :
Les diagnostics qui ont été retenus ici ont été hernie discale L4-L5 et L5-S1. Toutes les limitations qui ont été émises ont rapport avec cette atteinte. Aujourd’hui à l’examen physique, nous semblons avoir un peu d’inflammation au niveau lombaire avec encore une légère radiculopathie de la racine S1 droite. Les mouvements que nous avons au niveau du rachis cependant, que ce soit au niveau lombaire ou au niveau dorsal, excèdent nettement ce que nous retrouvons dans le dossier.
En marge de problème au niveau du disque L5-S1, cette dame présente aussi une discopathie au niveau L4-L5 et enfin une discopathie multi-étagée. Elle présente donc de l’arthrose au niveau de toute la colonne dorso-lombaire et au niveau cervical. Cependant les mouvements cervicaux aujourd’hui, ainsi que la fonction cervicale, sont complètement normaux. Aussi les mouvements lombaires ne sont pas complètement disparus, il n’y a pas d’ankylose importante à ce niveau. Enfin, nous avons les ankyloses que nous attendrions en fonction d’une arthrose multi-étagée comme celle que nous avons.
Finalement madame Lefebvre présente des signes de légère arthrose à d’autres articulations comme ses mains ou encore son genou et ses hanches. C’est ainsi qu’après avoir considéré ceci, il était mon impression après l’examen physique, bien que j’ai noté une très forte discordance entre les signes objectifs et les plaintes subjectives de madame Lefebvre, qu’il y avait une certaine incapacité qui était liée surtout à la lésion L5-S1, ceci couplé à de l’arthrose dégénérative multi-étagée.
Ainsi, du point de vue objectif, son système locomoteur lui permet d’occuper un emploi selon moi où elle ne soulève pas ou transporte pas de charges supérieures à 10 kg. Elle ne devrait pas effectuer un travail non plus avec des flexions, extensions et rotations répétitives du rachis lombaire. Elle devrait aussi éviter de garder la même position, c’est-à-dire assise ou debout pour plus de 45 minutes. Elle ne devrait pas non plus être exposée à des vibrations de basses fréquences pour plus de 30 à 40 minutes (tel par exemple, être assise dans un véhicule automobile).
Considérant l’examen physique que nous avons aujourd’hui, je crois qu’il n’y a pas de limitation en rapport avec sa condition cervicale.
Pour ce qui est de l’endurance à la marche, je crois que cette dame peut marcher à son rythme pour 10 à 15 minutes consécutives. Je crois que la seule chose qui pourrait diminuer son périmètre de marche serait un problème pulmonaire, dans lequel cas un avis d’un pneumologue serait nécessaire.
J’ai pu visionner, après mon expertise, une bande vidéo qui date de 1998 dans laquelle on voit madame Lefebvre. J’ai regardé cette bande avec attention et plusieurs informations très pertinentes en ressortent. La première est qu’on voit madame Lefebvre effectuer des trajets en voiture où elle est conductrice et où elle marche sans l’utilisation d’une canne. Il n’y a pas de boiterie significative. Les mouvements sont relativement souples lorsqu’elle se déplace dans sa voiture et lorsqu’elle se relève. Il n’y a pas de précautions particulières qui sont prises à ce moment. Nous la voyons aussi monter et descendre les escaliers à plusieurs reprises et elle n’utilise pas la rampe pour s’aider ni de canne ou de béquilles. Elle semble porter de petits sacs légers avec elle. Nous la voyons aider à plusieurs reprises, ce qui semble être un patient, à descendre les escaliers. Nous la voyons pousser un fauteuil roulant, notamment dans des pentes descendantes. Nous la voyons à plusieurs reprises se pencher vers l’avant et latéralement sans qu’il y ait d’inconfort particulier.
Ce qui ressort du visionnement de cette bande vidéo, est que madame Lefebvre est capable d’effectuer des tâches impliquant la force et la mobilité des membres inférieurs et du rachis. En plus de la voir capable d’effectuer ces tâches, ce qui est surtout impressionnant, c’est de la voir effectuer plusieurs fois ces tâches dans la même journée et surtout de la voir s’exécuter sans apparent inconfort. La force qui est nécessaire pour retenir un fauteuil roulant dans la pente descendante que nous avons vue est relativement importante et nécessite la contraction de tout l’appareil musculaire dorso-lombaire, ainsi que des grands fessiers. Il serait faux de prétendre que maîtriser un fauteuil roulant dans une pente descendante avec une charge est une activité facile. Ce ne serait le cas que si on laissait le fauteuil roulant descendre de lui-même.
J’ai pris connaissance de la note du docteur Richard Lambert, physiatre, qui commentait la même bande vidéo disant que ceci était compatible avec des limitations fonctionnelles qui avaient déjà été émises et maintenait l’opinion d’invalidité totale. Ce constat est pour le moins surprenant alors que de façon très manifeste et très claire nous voyons madame Lefebvre tout à fait capable d’effectuer un travail léger qui satisfont aux limitations qui ont été émises en 1993. »
[48] Le 17 mai 2000, le docteur Nowakowski rédige un second rapport (pièce T-2) :
« DIAGNOSTIC
Trouble d’adaptation avec affect anxieux et dépressif.
DISCUSSION
Madame Lefebvre est une femme de 49 ans, sans antécédents psychiatriques, au tempérament sociable, et qui travaillait antérieurement comme accompagnatrice et préposées aux soins à domicile pour les personnes âgées et handicapées. Elle aimait beaucoup son travail.
Elle a présenté une douleur lombaire chronique et accessoirement une douleur cervicale depuis un accident survenu en 1992. Suite à l’évolution de sa condition, elle a été jugée inapte à retourner sur le marché du travail à partir de mars 1998. Cependant, cette situation n’a pas entraîné de perturbation psychologique.
En juillet 1998, une filature a été organisée, et on a documenté que madame Lefebvre faisait un certain bénévolat en transportant certaines personnes âgées et handicapées à l’hôpital. On a donc considéré qu’elle était capable de travailler, et capable de faire le travail de chauffeur/accompagnateur. Ses prestations ont été coupées, et on lui a demandé de rembourser une certaine somme correspondant à des prestations déjà versées antérieurement.
Madame Lefebvre s’est donc retrouvée dans une situation financière difficile, et c’est cette situation financière difficile qui a entraîné une décompensation sur le plan psychologique. Cette décompensation s’est manifestée à partir de août ou septembre 1998, et était très évidente lorsque je l’ai vue en avril et en juillet 1999, et en particulier il y avait une anxiété importante et incapacitante. La capacité de concentration en était perturbée.
Il s’agit donc d’une réaction psychologique face à un élément stresseur, et qui est tout à fait cohérente. En effet, les stress que madame Lefebvre a eu à vivre dans ce contexte sont suffisants pour justifier une telle réaction.
Aucun traitement curatif n’est applicable à cette condition, bien que madame Lefebvre pourrait bénéficier d’un certain support psychologique. Cependant, un règlement définitif de ses difficultés administratives avec la CSST serait beaucoup plus productif qu’une quelconque thérapie pour permettre à madame Lefebvre de revenir à une certaine stabilité psychique. » (sic)
[49] Voici maintenant la preuve présentée à l’audience :
PREUVE DE LA TRAVAILLEUSE
Témoignage de madame France Lefebvre, la travailleuse
[50] En décembre 1997, la travailleuse héberge madame Ginette Bélair qu’elle a connue en 1981 au camping de St-Jean Baptiste de Rouville. Madame Bélair s’engage à lui verser la moitié du loyer et des frais de subsistance. Auparavant, elle vivait chez madame Pierrette Lachance avec qui elle s’est brouillée. Pour lui rendre service, la travailleuse l’accueille donc chez elle. Elle affirme que finalement durant toute la période où elle l’héberge, soit jusqu’en mars 1998, madame Bélair ne lui paie pas sa part du loyer et des frais de subsistance.
[51] En décembre 1997, madame Bélair exerce des activités de transport pour Transport médical Isabella. La dirigeante de cette entreprise est madame Monique Lussier. Il s’agit principalement de transporter en automobile, aller-retour, des personnes qui reçoivent des soins médicaux, de leur domicile au centre hospitalier.
[52] Lorsque madame Bélair vivait chez madame Lachance, le fils de cette dernière, monsieur André Sauriol, recevait dans son compte bancaire des sommes d’argent déposées par madame Lussier à l’intention de madame Bélair pour les fins de ses activités de transport. S’étant brouillée avec madame Lachance, madame Bélair ne pouvait plus procéder ainsi.
[53] Pour rendre service, la travailleuse accepte que les sommes d’argent, destinées à madame Bélair, soient versées dans son propre compte. Lorsqu’une somme d’argent est déposée, la travailleuse la retire et la remet à madame Bélair en conservant parfois un certain montant pour les frais de subsistance. Elle affirme que madame Bélair recevait des payes bimensuelles de 900,00 $ et même 1 000,00 $.
[54] Pour effectuer ces transports, madame Bélair louait une automobile. À la suite de plusieurs accidents, il lui est devenu impossible, en décembre 1997, d’en louer une. Pour lui rendre service, la travailleuse lui prête sa propre automobile et l’accompagne dans ses activités de transport.
[55] En outre, madame Bélair utilise un téléphone cellulaire. Une somme d’environ 650 $ pour frais d’utilisation de cet appareil est réclamée à madame Lussier qui fait pression sur madame Bélair. Pour lui rendre service, la travailleuse avance la somme à madame Bélair afin de rembourser madame Lussier.
[56] En mars 1998, la travailleuse se brouille avec madame Bélair et la met à la porte. Elle n’hésite pas à qualifier madame Bélair de fraudeuse. Cette dernière lui doit 1 300,00 $. Elle la poursuit à la Cour du Québec, division des Petites créances, et obtient jugement le 3 mai 1999 pour la somme de 1 232,00 $ avec dépens et frais de signification (pièce T-7). Elle témoigne avoir été entièrement remboursée depuis juillet 2000.
[57] Tel qu’il sera relaté plus loin, des enquêteurs de la CSST recueilleront les déclarations de clients des services de transport. En contre-interrogatoire, la travailleuse est questionnée en rapport avec la déclaration de madame D.D., une cliente du service de transport qui affirme que madame Bélair et la travailleuse ont eu une chicane en janvier 1998 et qu’à compter de la fin de ce mois, la travailleuse a continué seule le transport. La travailleuse reconnaît le conflit, nie avoir continué seule à partir de la fin janvier et prétend que madame Bélair est restée jusqu’en février 1998.
[58] Après le conflit, la travailleuse continue les activités de transport avec sa propre automobile. Elle précise qu’elle le fait à titre bénévole. La travailleuse fait d’ailleurs état de ses expériences antérieures de bénévolat (pièces T-4, T-5). Madame Lussier continue de verser à la travailleuse des montants d’argent dans son compte bancaire. Cette dernière affirme que c’est pour couvrir les paiements de sa voiture.
[59] Elle exerce ces activités de transport et d’accompagnement de personnes qui reçoivent des traitements à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Elle exerce ces activités durant six jours par semaine et affirme effectuer un maximum de 10,5 heures de conduite automobile par semaine. Les lundis, mercredis et vendredis, elle transporte un client domicilié à Pointe-aux-Trembles. Les mardis, jeudis et samedis, les journées les plus occupées, elle transporte six clients domiciliés à Pointe-aux-Trembles, Montréal-Nord, Rosemont. La tâche qu’elle considère la plus fatigante est celle de demeurer en position assise « à long terme x dans son auto, comme par exemple lorsque doit attendre les clients qui ont des complications après leur traitement.
[60] En mai 1998, son automobile doit être réparée. Parce qu’elle fait du bénévolat et pour l’aider, madame Lussier offre de lui payer les réparations. Au garage, l’automobile de la travailleuse est montée sur un « lift », le plancher défonce, elle tombe et est finalement déclarée perte totale. Le 11 mai 1998, elle est mise au rancart (pièce T-8). Pour que la travailleuse puisse continuer son bénévolat, madame Lussier lui fournit une automobile qu’elle loue chez Location Jean Légaré Ltée. Le contrat de location est fait au nom de madame Lussier. La travailleuse est la conductrice déclarée. Le numéro de la carte de crédit de madame Lussier est fourni en garanti de paiement.
[61] La travailleuse jouit alors de l’utilisation à temps plein de cette automobile, tant pour les fins de son bénévolat qu’à ses fins personnelles. La travailleuse affirme que tous les frais de location, d’assurance, d’essence sont payés par madame Lussier qui dépose des montants d’argent dans le compte de la travailleuse. Cette dernière utilise sa carte débit - ce qui est équivalant à de l’argent comptant - pour payer Location Jean Légaré Ltée selon une entente intervenue entre ce locateur et madame Lussier qui n’a pas suffisamment de fonds disponibles sur sa carte de crédit. La travailleuse affirme toutefois que lorsqu’elle paye Location Jean Légaré Ltée, il manque toujours de l’argent dans son compte, de sorte que le locateur doit prélever la différence sur la carte de crédit de madame Lussier. Elle affirme que lorsqu’elle reçoit de l’argent des clients, elle le remet à madame Lussier.
[62] La travailleuse confirme que le 20 juillet 1998, jour de la récidive, rechute ou aggravation pour laquelle elle réclame le 3 août 1998, elle effectue du transport et de l’accompagnement de personnes toute la journée, de même que le 21, 22, 23 juillet 1998. Pour son anniversaire de naissance, le 25 juillet, elle prend une pause et va quelque jour au camping. Le 3 août 1998, elle formule sa réclamation auprès de la CSST.
[63] La travailleuse affirme qu’elle ressent des malaises depuis juillet et qu’elle avise alors madame Lussier qu’elle veut cesser ces activités. Cette dernière ne veut pas que la travailleuse la laisse tomber. Finalement, la travailleuse affirme qu’elle cesse ces activités de transport et d’accompagnement le 8 août 1998.
[64] Cependant madame Lussier lui laisse l’usage de l’automobile louée et en paye les frais jusqu’à la fin du mois d’août 1998. La travailleuse dépose une copie d’un contrat de Location Jean Légaré Ltée (pièce T-10) mentionnant le 14 août 1998 comme date de « retour réel » du véhicule. Cependant elle explique avoir conservé le véhicule jusqu’au 27 août 1998 et qu’il en a coûté 1 800,00 $ à madame Lussier. Elle reconnaît avoir parcouru durant la période du 5 juin au 3 juillet 1998, 4 901 kilomètres et pour la période inscrite du 3 au 31 juillet 1998 avec retour réel de l’automobile en août 1998, 7 502 kilomètres. Ceci inclut des déplacements personnels, la travailleuse reconnaissant que l’automobile fut conduite par elle.
[65] En contre-interrogatoire, la travailleuse est interrogée concernant certaines déclarations. La travailleuse confirme l’estimation de madame L.O. à l’effet qu’elle la transporte depuis mars 1998. La travailleuse nie la véracité de l’affirmation de madame P.G. à l’effet qu’elle la connaît depuis un an et demi. Elle l’a connaît depuis janvier 1998 à l’époque où madame Bélair utilisait son automobile. La travailleuse nie la véracité de l’affirmation de madame J.D. à l’effet qu’elle a procédé au transport de sa mère, madame G.C. le 10 septembre 1998. La travailleuse nie aussi la véracité de l’affirmation de madame N.R responsable d’une résidence où loge monsieur G.G. à l’effet qu’elle transporte ce dernier depuis janvier 1998.
Témoignage du Dr Christophe Nowakowski, psychiatre, témoin-expert de la
travailleuse
[66] Le docteur Nowakowski témoigne avoir pris connaissance du dossier de la travailleuse, l’avoir rencontrée en avril et juillet 1999 ainsi qu’en février 2000. Elle présente alors un tableau cohérent, une symptomatologie - insomnie, difficulté de concentration, contenu mental centré sur les stresseurs, difficulté de décrocher, affect anxieux et dépressif, anhédonie - compatible avec un trouble d’adaptation en relation avec des éléments stresseurs.
[67] Le docteur Nowakowski identifie les éléments stresseurs suivants : au premier plan, la filature organisée par la CSST et ses conséquences, soit la cessation du versement des indemnités ainsi que le sentiment d’injustice ressenti par la travailleuse, ce sentiment prenant une telle place qu’il noie le reste; au second plan, les difficultés vécues avec madame Bélair; en arrière plan, la douleur et les limitations fonctionnelles empêchant la travailleuse d’exercer un emploi alors qu’elle aime travailler et a besoin du contact avec les gens.
[68] Le docteur Nowakowski précise que ce dernier élément stresseur - la douleur et les limitations fonctionnelles - dont la travailleuse semble s’être accommodée au fils des ans n’est pas générateur de pathologie. Par contre en 1998, ses capacités adaptatives se sont effondrées face aux deux premiers éléments stresseurs. Il s’agit toutefois d’une symptomatologie ponctuelle qui devrait se résorber avec le règlement des problèmes résultant des deux premiers stresseurs.
[69] Le docteur Nowakowski explique que, pour les fins de son rapport d’expertise médicale déposé sous la cote T-2, il a rencontré la travailleuse en février 2000 et a rédigé son rapport le 17 mai 2000 sans avoir pris connaissance du rapport d’expertise médicale du 14 février 2000 rédigé par l’expert de la CSST, le docteur Beauchamp, ni avoir visionné la vidéocassette de la filature. Le docteur Nowakowski affirme avoir visionné depuis cette vidéocassette dont le contenu portant sur le plan physique ne modifie pas ses conclusions d’un point de vue psychique.
[70] Lors des examens pratiqués, le docteur Nowakowski a constaté le sentiment d’injustice vécue par la travailleuse, à la suite de la filature. Elle a le sentiment qu’à partir du moment où on est déclaré invalide, on ne peut plus rien faire, on doit rester terrer chez-soi et on n’a plus le droit de rien faire. Le docteur Nowakowski estime que la travailleuse a du tempérament : elle a fait, après la détermination de ses limitations fonctionnelles, ce que l’on essaie d’enseigner aux autres, c’est-à-dire faire le deuil et « faire avec » ses limitations fonctionnelles. Et elle l’a fait sans l’aide d’un psychologue. Par la filature et ses conséquences, on la punit d’avoir utilisé ses capacités résiduelles au lieu de l’aider à les faire valoir.
[71] Le docteur Nowakowski croit que, dans cette affaire, la travailleuse est de bonne foi et que, par naïveté, elle s’est fait « embarqué » dans une situation à la suite de laquelle elle ramasse les pots cassés. Elle décide de faire du bénévolat. Elle est embarquée là-dedans par mesdames Bélair et Lussier. Elle est incapable de dire « non », est confrontée à des difficultés avec une personne ayant des comportements louches, est prise et coincée là-dedans d’où le sentiment d’injustice.
[72] Le docteur Nowakowski affirme n’avoir pas noté, au cours des examens pratiqués, la présence d’un diagnostic différentiel, d’une autre pathologie au niveau psychique, non plus que la présence de d’autres stresseurs, la travailleuse n’ayant aucun antécédent, n’ayant jamais consulté auparavant en psychiatrie. Quant au bénéfice de gains secondaires chez un patient qui, de façon consciente ou inconsciente, exploite sa maladie, le docteur Nowakowski affirme n’avoir jamais perçu chez la travailleuse l’élément permettant de poser une telle conclusion, à savoir que la situation engendrée par la maladie convient à la travailleuse. Il note qu’au contraire elle aimait travailler et a besoin de contacts interpersonnels.
Témoignage de madame Monique Lussier
[73] Madame Lussier est propriétaire de l’entreprise Transport Médical Isabella qu’elle dirige. Le 5 août 1998, sa déclaration fut recueillie par un enquêteur de la CSST, monsieur Desjardins. Cette déclaration sera rapportée au chapitre du témoignage de monsieur Desjardins concernant l’enquête qu’il a menée. À cette date, madame Lussier déclare, qu’au mois de décembre 1997, une de ces chauffeures, madame Bélair a un accident d’automobile, ne peut se procurer une autre automobile et est remplacée par la travailleuse qui est encore l’une de ces chauffeures actives.
[74] À l’audience, madame Lussier témoigne dans le cadre de la preuve présentée par la travailleuse. Madame Lussier explique que ses 20 chauffeurs sont des travailleurs autonomes. Ils fournissent leur automobile pour faire le transport. De façon générale, madame Lussier reçoit des clients le paiement des frais de transport. Elle verse de 70 à 75% de ces sommes aux chauffeurs et conserve la différence. Si les chauffeurs reçoivent de l’argent comptant des clients, ils le lui remettent. S’ils ne lui remettent pas, elle le soustrait de la somme qu’elle leur verse.
[75] Le système qu’elle utilise pour les payer est simple : elle fait affaire avec une institution financière et exige de ses chauffeurs qu’ils aient un compte dans la même institution. Elle procède ainsi par dépôts d’argent dans les comptes des chauffeurs. Sauf le cas de la travailleuse, ils utilisent tous leur propre automobile.
[76] Elle affirme que madame Bélair fut chauffeure pour son entreprise de juillet 1997 à mars 1998. Jusqu’au 15 décembre 1997, madame Lussier effectue les dépôts destinés à madame Bélair dans le compte de monsieur Sauriol. Puis, à la demande de madame Bélair, elle effectue ces dépôts dans le compte de la travailleuse.
[77] Madame Bélair utilise l’automobile de la travailleuse jusqu’en mars 1998, époque où cette dernière la met à la porte. À la même époque, madame Lussier ne veut plus des services de madame Bélair. Madame Lussier et la travailleuse font donc un « arrangement ». La travailleuse demande à continuer de conduire les clients de madame Bélair et madame Lussier qui a besoin d’un chauffeur lui demande de l’aider bénévolement et temporairement. Elle reconnaît lui verser dans son compte des sommes similaires à ce qu’un chauffeur devrait gagner et ce, pour couvrir les frais d’automobile qui sont supérieurs.
[78] En mai 1998, l’automobile vieille et usée de la travailleuse est montée sur un lift, le plancher défonce et l’automobile tombe. C’est alors que madame Lussier procède à la location d’une automobile pour l’usage de la travailleuse. De plus, elle continue de lui déposer des montants d’argent « du même ordre que ceux versés aux autres chauffeurs » que la travailleuse utilise pour payer les frais d’automobile, lesquels reconnaît, madame Lussier, s’avèrent supérieurs aux montants déposés. Madame Lussier doit donc rembourser l’excédent.
[79] En juillet 1998, la travailleuse demande à madame Lussier de pouvoir cesser les activités de transport mais cette dernière lui demande de continuer. La travailleuse termine vers le 4, 7 ou le 8 août 1998. Lorsqu’elles vont chez Location Légaré pour remettre l’automobile en date du 14 août 1998, elles s’aperçoivent qu’il en coûterait le même prix de la remettre à la fin du mois. C’est pourquoi la travailleuse conserve l’automobile jusqu’à la fin du mois.
[80] Appelée à qualifier le type de collaboration entre elles, madame Lussier explique qu’il s’agit d’un échange de services : en échange du temps dispensé par la travailleuse, madame Lussier lui fournit une automobile. Il s’agit de bénévolat, d’entraide. Par ailleurs, elle reconnaît que madame Bélair n’étant plus chauffeure depuis mars 1998, la travailleuse l’ayant remplacée avec sa propre automobile de mars à mai 1998, cette dernière n’est pas bénévole durant cette période et doit être considérée travailleuse autonome au même titre que ses autres chauffeurs.
PREUVE DE LA CSST
Témoignage de madame Nicole Dionne, conseillère en réadaptation
[81] Au moment où elle témoigne devant la Commission des lésions professionnelles, madame Dionne est enquêteure à la CSST. Cependant à l’époque pertinente aux présentes, elle occupe un poste de conseillère en réadaptation.
[82] Elle témoigne être intervenue pour la première fois au dossier de la travailleuse en 1994 alors qu’elle discute avec l’employeur de la possibilité pour madame Lefebvre d’un retour au travail dans son entreprise. Cette démarche s’avère infructueuse et un emploi convenable de gardien de sécurité est déterminé.
[83] Puis la travailleuse subit une rechute qui est consolidée le 7 avril 1995. Madame Dionne rencontre la travailleuse pour l’informer qu’en l’absence d’augmentation des limitations fonctionnelles, l’emploi d’agent de sécurité est encore un emploi convenable. La travailleuse réagit en verbalisant que cela n’a aucun sens, qu’elle est incapable d’exercer cet emploi, qu’elle a de la difficulté à se déplacer. Madame Dionne affirme que, selon son souvenir, la travailleuse se déplace avec difficulté avec une canne, qu’elle tousse et souffre d’un problème d’asthme.
[84] En octobre 1996, madame Dionne est de retour au travail à la suite d’un congé de maternité. Le cas de la travailleuse est discuté en comité. Pour qu’une étude en invalidité soit faite, le dossier doit être davantage documenté au niveau médical. En décembre 1996, madame Dionne rencontre la travailleuse pour l’informer qu’avant de la considérer invalide, la condition pulmonaire doit être documentée. Elle croit alors avoir été bien comprise de la travailleuse mais cette dernière documente d’abord son dossier musculo-squelettique.
[85] Le temps s’écoule, madame Dionne ne priorise pas le traitement de ce dossier qui, selon son appréciation, ne demande qu’à être complété d’un point de vue administratif. Elle priorise plutôt ses interventions en réadaptation dans d’autres dossiers. Durant cette période, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à la travailleuse est poursuivi.
[86] Le 5 décembre 1997, madame Dionne rencontre la travailleuse pour qui un retour au travail est impensable. Comme il est impensable de se déplacer ou de faire autre chose au quotidien. Madame Dionne affirme que la travailleuse ne lui a jamais signifié sa volonté ou un intérêt à reprendre une activité de travail. Lors de ces rencontres elle n’a pas questionné la travailleuse ou été informée par elle de sa capacité de se déplacer en automobile.
[87] Le 27 mars 1998, au nom de la CSST, madame Dionne rend la décision concluant à l’impossibilité actuelle de déterminer un emploi convenable que la travailleuse serait capable d’occuper et concluant en conséquence à son droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
Témoignage de monsieur Carmel Desjardins, enquêteur à la CSST
[88] Au moment de son témoignage devant la Commission des lésions professionnelles, monsieur Desjardins est à la retraite depuis janvier 1999. À l’époque pertinente aux présentes, il occupe un poste d’enquêteur à la Direction des enquêtes spéciales à la CSST.
[89] Il témoigne avoir reçu mandat le 18 juin 1998 de la Direction régionale de Montréal-3 afin d’enquêter dans le cas de madame Lefebvre qui reçoit alors une indemnité de remplacement du revenu et se dit incapable de travailler alors que la CSST a reçu une information à l’effet qu’elle a un emploi.
[90] En juin-juillet 1998, monsieur Desjardins identifie le domicile de la travailleuse. Le 26 juin 1998, il voit, pour la première fois, stationné devant le domicile une automobile de marque Toyota Corolla, de couleur blanche portant une plaque mentionnant « Location Jean Légaré ». Le 3 juillet 1998, vers 8 h 45, il aperçoit la travailleuse pour la première fois. Elle sort de son domicile et descend les marches, sans l’usage d’une canne, ni appui à la rampe. Elle se dirige allègrement vers l’automobile sans boiter ni avoir l’air souffrante.
[91] Monsieur Desjardins demande alors les autorisations nécessaires auprès de la CSST afin de mandater une agence de filature pour enquêter sur les allées et venues de la travailleuse. Le mandat est confié à Filature Expert Investigation à qui il fournit une description de la travailleuse ainsi que les éléments nécessaires pour entreprendre la filature. Cette agence a non seulement pour mandat de vérifier les allées et venues de la travailleuse mais aussi d’observer si elle démontre des signes de souffrance ou des difficultés à se déplacer.
[92] Monsieur Desjardins reçoit ensuite les rapports de la filature effectuée en date des 7, 9, 16, 18 juillet et 4 août 1998, ce qui lui permet de constater que la travailleuse fait du transport de personnes. Puisque cette filature révèle que la travailleuse effectue quotidiennement un kilométrage important dans la circulation à Montréal alors que le temps est chaud et humide et que la travailleuse souffre de problèmes respiratoires, monsieur Desjardins obtient de Environnement Canada le sommaire météorologique pour juillet 1998 dans la région de Montréal-Dorval :
- 7 juillet : température max 24.8º, min 14.2º, moyenne 19.5º; humidité max 95%, min 48%
- 9 juillet : température max 26.1º, min 16.6º, moyenne 21.4º; humidité max 100 %, min 61%
- 16 juillet : température max 3?.7º, min 20.5º, moyenne 26.1º; humidité max 93%, min 59%
- 18 juillet : température max 26.9º, min 16.4º, moyenne 21.7º; humidité max 95%, min 35%.
[93] Monsieur Desjardins témoigne que le 6 août 1998, il se rend aussi chez Location Jean Légaré Ltée et obtient les documents de location de la Toyota Corolla blanche à madame Lussier et dont la conductrice inscrite aux documents est la travailleuse. Il constate qu’à cette date le contrat est toujours en cours et l’automobile en circulation.
[94] Il obtient aussi la procuration signée par madame Monique Lussier autorisant la travailleuse à utiliser sa carte de crédit pour les fins de la location de l’automobile chez Location Jean Légaré Ltée.
[95] Monsieur Desjardins témoigne que les documents remis par Location Jean Légaré Ltée permettent de constater qu’un total de 9 400 kilomètres furent effectués durant trois mois, soit une moyenne d’environ 945 km/semaine. Il rappelle que le rapport de filature permet d’évaluer que la travailleuse effectuait trois jours/semaine de transport à raison de 300 km/jour.
[96] À partir des adresses relevées lors de la filature, monsieur Desjardins retrace le nom des personnes recevant les services de transport. La déclaration de certaines de ces personnes sera recueillie par lui ainsi que par deux autres enquêteurs, collègues de travail, messieurs Pharand et Couture. Afin de recueillir la déclaration de madame Monique Lussier et de quelques « clients » avant qu’ils ne puissent communiquer entre eux, les trois enquêteurs agiront en même temps le 5 août 1998. D’autres déclarations seront recueillies plus tard. Les déclarations écrites, signées par l’enquêteur et par les déclarants, accompagnent le rapport d’enquête de monsieur Desjardins.
[97] Le 5 août 1998, à 12 h 15, monsieur Desjardins recueille la déclaration de madame Monique Lussier. Il témoigne s’être présenté sur les lieux vers 10 h45. Après un certain temps, madame Lussier est venue répondre. Il lui a déclaré être un enquêteur du Gouvernement du Québec. Elle l’a fait entrer puis est allée s’habiller. Lorsqu’elle est revenue, il lui a dit que son entreprise n’était pas inscrite à la CSST. C’est alors qu’elle lui a déclaré que ses chauffeurs étaient tous des travailleurs autonomes et elle lui a montré ses documents comptables, insistant sur le fait qu’aucun chèque ne leur était remis :
« Je suis propriétaire de Transport Médical Isabella que j’ai enregistré en date du 30 juillet 1997. J’emploi entre 20-25 chauffeurs pour effectuer le transport de patients qui vont à des rendez-vous médicaux. Ces chauffeurs doivent s’enregistrer comme travailleurs autonomes et faire leur propre déclarations fiscales. Donc, je ne fais aucune retenue à la source. J’exige aussi que les chauffeurs aient une licence de transport commercial.
La clientèle de mon entreprise m’est référée par les hôpitaux, CLSC et de bouche à oreille. Chaque transport est facturé et payé soit au chauffeur soit par un agent payeur à la semaine ou au mois.
Au mois de décembre 1997, j’avais une conductrice du nom de Ginette Bélair qui a eue un accident d’auto. France Lefebvre, son amie ou connaissance l’aidait dans ses transports jusqu’au moment où Mme. Bélair ne pouvant se procurer une autre voiture, c’est France Lefebvre qui a continué pour moi à sa place et en date de ce jour elle est encore active pour mon entreprise.
La rémunération de Mme Lefebvre est effectuée à tous les 2 jeudi directement dans son compte de [l’institution financière], compte […] le tout via une liste et somme que je dépose à [l’institution financière]. [L’institution financière] effectue les transferts au compte de la conductrice selon la liste fournie. Je ne fais pas de chèques au nom des chauffeurs.
La paie des chauffeurs, incluant France Lefebvre, est répartie selon une formule que je comptabilise et dont j’ai remis copie à l’enquêteur Carmel Desjardins.
J’ignorais que France Lefebvre recevait des bénéfices de la CSST. Elle m’avait dit déjà qu’elle s’était fait mal dans le dos comme préposée ou aide à des patients dans le domaine médical. Elle m’a dit que ce domaine là l’intéressait et que si jamais cà devenait difficile elle arrêterait. J’ai su par elle il y a environ 2 semaines que son genou a comme manqué et qu’on lui a dit que cà dépendait de son dos. Mais elle ne m’a pas dit qu’elle voulait arrêter et elle a continuée.
J’ai fait cette déclaration volontairement et au meilleur de ma connaissance. » (sic)
[98] Monsieur Desjardins témoigne que lors de cette déclaration, madame Lussier lui remet la liste de ses chauffeurs où apparaît le nom de la travailleuse, qu’elle considère travailleuse autonome au même titre que les autres chauffeurs. À ce moment, il n’est absolument pas question de bénévolat. Madame Lussier lui déclare plutôt que la travailleuse a pris la relève de madame Bélair en fin décembre 1997. À cette époque, madame Lussier considère la travailleuse comme la chauffeure des anciens clients de madame Bélair.
[99] Madame Lussier remet aussi à monsieur Desjardins la comptabilité qui concerne la travailleuse pour la période du 31 décembre 1997 au 8 août 1998. Pour chaque période identifiée, l’on retrouve le nom des clients, les dates des transports effectués et la somme d’argent à laquelle cela correspond. De cette somme est soustrait un « crédit ». Le montant final correspond à celui inscrit sur une liste de dépôts effectués dans les jours suivants dans le compte bancaire de la travailleuse. Les relevés bancaires obtenus de l’institution financière concernée par monsieur Desjardins, dans le cours de son enquête, au sujet du compte bancaire de la travailleuse pour la période du 29 décembre 1997 au 31 juillet 1998 montrent des « dépôts sans livret » totalisant 4 425,45 $ effectués dans ce compte aux mêmes dates et aux mêmes montants que ceux inscrits à la liste de dépôts de madame Lussier, sauf pour la date du 13 août 1998.
[100] Monsieur Desjardins témoigne avoir eu une conversation téléphonique le 12 août 1998 avec la travailleuse. Il dépose l’enregistrement qu’il a fait de cette conversation (pièce I-2) en raison du fait que quelques jours auparavant il parle à la travailleuse et l’a trouve agressive. Il décide donc d’enregistrer cette conversation dans un but de protection. Il n’informe pas la travailleuse au début de la conversation mais lui confirme à la fin qu’elle est enregistrée. Le but de son appel est de fixer rendez-vous avec la travailleuse en présence de son avocat. Cependant la travailleuse se met à parler et à révéler certains faits. Le contenu de cet enregistrement fut transcrit par une secrétaire du Service des enquêtes spéciales de la CSST en présence de monsieur Desjardins et versé au dossier avec son rapport. Monsieur Desjardins fait valoir au cours de son témoignage que lors de cette conversation, la travailleuse ne parle pas de bénévolat mais plutôt de ses problèmes financiers pour lesquels elle doit faire quelque chose. Il souligne que tantôt elle dit qu’elle travaille, tantôt que c’est juste pour arriver.
[101] L’écoute de cette cassette audio permet de constater que la transcription écrite, versée au rapport, est fidèle. Lors de cette conversation, la travailleuse nomme madame Ginette Bélair qu’elle sait être sa dénonciatrice auprès de la CSST. La travailleuse affirme avoir voulu lui rendre service, qu’elle recevait pour madame Bélair des dépôts d’argent dans son propre compte jusqu’en janvier-février 1998. Après elle reconnaît que les dépôts d’argent lui sont destinés. Elle a fait cela parce qu’elle n’arrivait plus financièrement avec le coût des médicaments et un retard de paiement de loyer d’environ six mois.
[102] Le 13 août 1998, monsieur Desjardins recueille la déclaration de madame Ginette Bélair. N’ayant rien retrouvé dans les documents bancaires démontrant que madame Bélair était autorisée à retirer de l’argent du compte de la travailleuse, monsieur Desjardins veut l’interroger à ce sujet. En outre, elle lui déclare qu’après son accident d’automobile, la compagnie d’assurance lui fournit une automobile jusqu’au 22 décembre 1997, que du 23 décembre au 25 janvier 1998, la travailleuse passe ses journées avec elle et prête son automobile. Madame Bélair collecte alors l’argent des clients mais le remet à la travailleuse. Le 25 janvier 1998, il y a rupture entre elles et la travailleuse prend la relève du transport :
« J’ai été à l’emploi de transport Médical Isabella propriété de Mme Monique Lussier du 15 juillet 1997 jusqu’à ou vers le 23 décembre 1997. J’effectuais le transport de clients de leur résidence à leurs rendez-vous médicaux à raison de 6 jours par semaine. Au moment où j’ai dû laisser cet emploi, mes horaires de travail étaient les suivants :
lundi : 06 :00 @ 19 :30 de manière non-continue mais comprenant 3 à 4 heures de route
mardi : 06 :30 @ 21 :30 de manière presque continue, c.à.d. avec seulement 4 heures de relache
mercredi : même horaire que le lundi
jeudi : même que le mardi
vendredi : même que les lundi et mercredi
samedi : même que les mardi et jeudi.
Les lundi, mercredi et vendredi, j’effectuais entre 100 et 125 km par jour en ville. Les mardi, jeudi et samedi, je conduisais entre 275 km à 325 km par jour, en ville. J’étais payée à raison de 75% du travail exigé de Mme Lussier à ses clients, c.à.d. une moyenne de 400$ par semaine. Cependant, je payais moi-même mes dépenses d’automobile.
Le 8 décembre 1997, j’ai eu un accident avec ma voiture et mon assurance m’a fourni une voiture gratuitement pour une période de 15 jours, soit jusqu’au 22 décembre. Durant ces deux semaines, j’étais accompagnée par une amie France Lefebvre qui passait ses journées avec moi. A compter du 23 décembre, c’est France qui fournissait la voiture et c’est à ce moment que Mme Lussier a commencé à faire les paies à son nom. Du 23 décembre 1997 au 25 janvier 1998, c’est moi qui collectait de certains clients mais je devais remettre cet argent à France Lefebvre. Le 25 janvier 1998, il y a eu une rupture complète entre France et moi et c’est elle qui a pris la relève de l’emploi avec Transport Médical Isabella car moi je n’avais plus de véhicule. Je n’ai plus rien retiré de cet emploi après le 23 décembre 1997.
Il est faux de prétendre que j’aie pu retirer des argents du compte de France Lefebvre à [institution financière]. Je n’avais ni compte conjoint ni procuration pour retirer aucun argent.
J’ai fait cette déclaration de bonne foi et au meilleur de ma connaissance. » (sic)
Témoignage de madame Ginette Bélair
[103] À l’audience, madame Bélair témoigne qu’en décembre 1997, elle effectue des activités de transport pour Transport médical Isabella durant six jours/semaine, les jours les plus occupés étant les mardis, jeudis et samedis. Les noms des clients qu’elle énumère sont sensiblement les mêmes que ceux que transportera la travailleuse. Madame Bélair reçoit sa rémunération de madame Lussier qui dépose l’argent dans le compte bancaire de monsieur Sauriol. Elle procède ainsi parce qu’elle reçoit en même temps des prestations d’aide sociale. Pour effectuer ces activités de transport, elle se sert d’une automobile louée pour son usage mais au nom de monsieur Sauriol.
[104] Le 8 décembre 1997, elle fait un accident d’automobile et se blesse à un genou. La compagnie d’assurance lui fournit une automobile jusqu’au 22 décembre 1997. Durant cette période, la travailleuse l’accompagne dans ses tâches de transport. Les jours les plus occupés, elles font de 8 à 10 heures de route par jour. Par exemple de 6 h 30 à 21 h 30 avec 4 heures de relâche. Entre les transports, elles vont se reposer chez la travailleuse. Sa paye bimensuelle est d’environ 300,00 $ à 500,00 $. Lorsqu’elle reçoit un paiement en argent d’un client, elle le garde et le crédit soustrait par madame Lussier dans sa comptabilité correspond à ce montant.
[105] Le 23 décembre 1997, madame Bélair avise par téléphone madame Lussier qu’elle cessera le 26 décembre 1997 de faire du transport pour son entreprise, n'ayant plus d'automobile. Le 25 décembre 1997, madame Bélair va vivre chez la travailleuse.
[106] Madame Bélair affirme par ailleurs qu’à compter de ce moment c’est la travailleuse qui prend la relève. Elle fournit son automobile et c’est elle qui est rémunérée. Madame Bélair nie avoir reçu des sommes d’argent versées par madame Lussier dans le compte bancaire de la travailleuse. Elle affirme avoir remis à la travailleuse les dépôts en argent reçus des patients. Elle reconnaît avoir accompagné la travailleuse en janvier 1997 parce qu’elle était attachée à ses patients. Lors de ces transports, la travailleuse conduisait son automobile et madame Bélair était assise côté passager. Madame Bélair nie avoir travaillé en tant que chauffeure en 1998.
Témoignage de madame Pierrette Lachance
[107] Madame Lachance témoigne demeurer au […] depuis 6 ans avec madame Ginette Bélair, sauf pour une période d’un mois où cette dernière est partie demeurer chez la travailleuse, soit du 25 décembre 1997 au 25 janvier 1998.
Témoignage de monsieur Carmel Desjardins, enquêteur à la CSST (suite)
[108] Pour une meilleure compréhension des faits, les témoignages de mesdames Bélair et Lachance furent intercalés. Voici maintenant la suite du témoignage de monsieur Desjardins.
[109] Le 25 août 1998, monsieur Desjardins recueille la déclaration de madame D.D., une personne âgée affaiblie physiquement mais qui lui semble très lucide. Il souligne que madame D. D. relate avoir d’abord été transportée par madame Ginette Bélair conduisant une automobile louée. En janvier 1998, cette dernière est accompagnée de la travailleuse. De la mi-janvier à la fin janvier 1998, elles utilisent l’automobile de la travailleuse. À la suite d’une chicane survenue à la fin du mois de janvier 1998, la travailleuse continue seule le transport:
« Je dois suivre des traitements […] 3 fois par semaine à la clinique de l’hôpital Maisonneuve Rosemont. Je recois une subvention au transport pour [traitements] de la part de […].
Mon transport est effectué par la Compagnie de Transport Médical Isabella qui m’envoie une voiture avec chauffeur au coût de 28$ aller retour pour un total de 84$ par semaine. La Cie me remets une facture en 2 copies vers la fin de chaque mois et je remets la copie blanche à la réception de l’hôpital. C’est eux qui prépare le chèque et on me le donne pour le remettre au chauffeur de Isabella après que je l’ai signé, et le chauffeur doit le donner à Monique Lussier, propriétaire de la Cie.
J ‘ai eu mes premiers transports avec la Cie Isabella à l’automne 1997. C’est une dame du nom de Ginette qui me conduisait avec une auto de marque Néon, louée.
Au mois de janvier 1998, Ginette m’a donnée la carte d’affaires de Transport Isabella et elle m’a écrit son numéro de pagette […] et le no. de tél de la résidence de son amie France où elle était allée restée depuis peu de temps soit le No. […]. C’est à peu près vers ce temps-là que son amie France a commencée à l’accompagner pour mon transport. Ensuite, vers la mi-janvier 1998, Ginette et France me conduisait avec l’auto de France car Ginette avait eu des problèmes avec son auto. Ensuite, peu après vers la fin de janvier 1998 Ginette et France se sont chicannées et c’est France qui a continué seule.
J’ai eue France comme conductrice jusqu’à environ le début d’août 1998. J’ai demandé de changer de conducteur car il arrivait que France soit en retard pour mon retour chez moi. J’ai attendu jusqu’à une (1) dans un état de grande fatigue et France, dans un premier temps niait qu’elle m’obligeait à attendre plus que raisonnable et en d’autres temps elle disait avoir été retardée par d’autres patients. Maintenant ca va bien avec mon nouveau chauffeur.
Personnellement, je me déplacais seule sans soutien excepté une fois France m’a pris le bras pour m’aider à cause d’une faiblesse.
J’ai fait cette déclaration volontairement et au meilleur de ma connaissance.» (sic)
[110] Le 10 septembre 1998, monsieur Desjardins recueille la déclaration de madame J. D., fille de madame G. C., domiciliées dans le quartier Rosemont à Montréal. Monsieur Desjardins souligne que madame J.D. est une dame dans la jeune quarantaine, active et dynamique. L’entrevue s’est passé à son bureau. Sa mère demeure avec elle et c’est elle qui la prépare avant de partir recevoir les traitements. C’est madame J. D. qui remet l’argent à la travailleuse et elle atteste que le matin même du 10 septembre 1998, elle a vu la travailleuse venir chercher sa mère:
« Q Connaissez-vous Mme G. C.
R C’est ma mère, elle est agée de […] et elle habite chez moi depuis plus d’une année.
Q Pouvez-vous me parler de la condition de votre mère
R Ma mère est en traitement […] 3 fois par semaine, les mardi, jeudi et samedi à l’hôpital Maisonneuve-Rosemeont à MTL. Elle est véhiculée par la Cie Transport Médical Isabella aller retour, c. a. d. qu’on vient la chercher à la maison à 08 :30 et elle est ramenée vers 13 :15
Q Par qui et dans quel type de véhicule
R En voiture conduite par une dame, prénom France, au volant d’une auto blanche. Elle avait une voiture plus ancienne auparavant mais je ne me rappelle plus ce qu’elle m’a raconté à ce sujet.
Q Combien coûte ces déplacements et qui en effectue le paiement
R Le coût est de 12$ par jour, aller/retour et c’est ma mère qui paie la conductrice avant chaque déplacement. En fait, c’est moi-même qui remets ces sommes à la conductrice à chaque matin mais c’est avec l’argent de ma mère. France m’a déjà remis des reçus au début, elle signait seulement des initiales F. M., mais depuis le mois d’avril, les recus avec chacune des dates de transport sont préparés par Transport médical Isabella et signés M. Lussier
Q Est-ce que les recus en question sont ceux que vous me présentez
R Oui, et même les recus M. Lussier me sont apportés à chaque mois par France.
Q Est-ce toujours France qui véhicule votre mère
R Il y a eu plusieurs chauffeurs dont une dame Louise et Ginette. Je crois me rappeler avoir vu Ginette et France ensemble au début de 1998. Mais je ne peux certifier le tout considérant le nombre de personnes impliquées.
Q Votre mère doit-elle être aidée ou supportée pour se déplacer.
R De façon générale elle se déplace seule à l’aide d’une canne, sauf, vu son âge et condition, en d’autres occasions où elle prends France par le bras, elle l’aide à s’asseoir dans l’auto et elle attache sa ceinture. Quand elle est moins en condition, il s’agit de ma mère, c’est ma sœur F. ou moi-même qui l’aidont pour se rendre au véhicule. J’ai connaissance que c’est France qui s’occupe d’aider ma mère à l’arrivée à l’hôpital et lors du retour à la maison car ni ma sœur ni moi-même ne sommes là à l’exception du samedi.
Q Pouvez-vous me faire la description de France
R Elle mesure environ 5' 5", elle a un poids moyen, les cheveux pâles, elle porte toujours un pantalon. Elle est serviable vis à vis notre mère.
Q Je vous montre ici quelques photos, pouvez-vous identifier ces personnes.
R Je reconnais France sur une photo du 4 août 1998 qui tient une chaise roulante. La personne assise est, je crois, Mme F. que j’ai déjà rencontré à l’hôpital. Je reconnais France aussi sur 2 autres photos qui sont marquées respectivement 1 :0435 PM et 1 :02 :31 PM. Sur cette dernière c’est ma mère qui est assise dans la chaise roulante conduite par France.
Q Quand avez-vous vu France la dernière fois.
R Ce matin même lorsqu’elle est venue chercher ma mère.
Q Après avoir relue cette déposition, acceptez-vous de la signer
R Oui » (sic)
[111] Avec cette déclaration sont produites des copies de reçus émis entre le 10 janvier et le 31 juillet 1998.
[112] Le 14 septembre 1998, à 14 h 20, monsieur Desjardins recueille la déclaration de monsieur P.P. Monsieur Desjardins souligne au cours de son témoignage que monsieur P.P. lui a déclaré être habituellement transporté par la travailleuse pour recevoir ses traitements. La dernière fois qu’il fut transporté par elle est en date du 12 septembre 1998 :
« Je dois suivre des traitements de […] les mardis, jeudi et samedi à l’Hôpital Maisonneuve Rosemont à MTL.
Depuis environ le mois de juin 1998 c’est la Cie de Transport Médical Isabella qui effectue mon transport aller/retour 3 fois par semaine.
Q. Quel est le nom de la personne à qui vous parlez à la Cie.
R. C’est à Isabelle
Q. Quel est le nom du ou des chauffeurs qui vous amènent à l’hôpital
R. Je connais France, D. [prénom masculin] et un homme d’origine […] dont je ne connais pas le nom.
Q. Pouvez-vous me faire la description de France.
R. Elle mesure environ 5’, grassette, cheveux courts, agée d’environ 46 ou 48 ans.
Q. Pourriez-vous la reconnaître
R. Oui. C’est France qui apparaît sur 3 des 4 photos, dont l’une qui porte l’inscription 1 :02 :31 PM et l’autre 1 :04 :35 PM
et aussi sur celle en date du 4 août 1998 - 12 :59 :02 PM.
Q. Devez-vous être aidé ou supporté pour vos déplacements
R. Non, je suis autonome. Cependant, il arrive que j’aie [symptôme] et on me garde pour la nuit à l’hôpital. Le lendemain je rappelle Isabelle et on m’envoie le premier chauffeur disponible.
Q. Combien coûte chacun de vos transports.
R. Je l’ignore car ces coûts sont payés directement à travers mon […]. C’est la Cie qui lui envoie les comptes et je n’ai rien à signer.
Q. Pouvez-vous me donner la description de la voiture conduite par France.
R. Je crois que c’est une Toyota de couleur blanche.
Q. Quand France vous a-t-elle conduit la dernière fois.
R. Samedi dernier le 12 septembre.
Q. France vous a-t-elle déjà parlé qu’elle était souffrante.
R. Non, je m’assoie à l’arrière et je parle rarement.
Q. Après avoir relue cette déclaration acceptez-vous de le signer
R. C’est ma femme T.M. qui va me la relire. Après lecture, oui, j’accepte. » (sic)
Témoignage de monsieur P. P., client du service de transport
[113] À l’audience, monsieur P.P. témoigne dans le cadre de la preuve présentée par la CSST. Il affirme connaître la travailleuse et l’identifie. Elle le conduisait à ses traitements à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, trois fois/semaine (mardi, jeudi, samedi). Il affirme que cette dernière partait de Ville d’Anjou ou peut-être de St-Léonard et venait le chercher à Pointe-aux-Trembles vers 17 h 30. Le trajet jusqu’à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont durait de 20 à 30 minutes s’il n’y avait pas de trafic. La travailleuse revenait ensuite le chercher pour le reconduire chez-lui vers 22 h 30 ou 23 h 00. S’il présentait certains symptômes après le traitement, elle l’attendait parfois durant 30 minutes ou une heure. Il affirme avoir été transporté par elle durant environ un an mais ne se souvient pas de la date du dernier transport.
Témoignage de monsieur Paul-André Pharand, enquêteur à la CSST
[114] Monsieur Pharand est enquêteur au Service des enquêtes spéciales de la CSST. Il est intervenu dans le dossier de la travailleuse à la demande de monsieur Desjardins afin que des déclarations soient recueillies en même temps auprès de différentes personnes.
[115] Le 5 août 1998, à 10 h 30, monsieur Pharand recueille la déclaration de madame N. R. intervenante responsable d’une résidence située à Pointe-auxTrembles où réside monsieur G.G. Monsieur Pharand témoigne que cette dame lui déclare alors que monsieur G.G. reçoit des traitements trois fois par semaine à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, qu’il est conduit par la travailleuse qu’elle reconnaît sur une photographie. Madame N.R. déclare remettre 45 $ en argent à la travailleuse qui lui donne un reçu. Madame N.R. déclare que c’est la travailleuse qui effectue ce transport depuis janvier 1998 sauf pour une fois où elle fut remplacée :
« […]
Q. Connaissez vous M. G.G. ?
R. Oui c’est un résident.
Q. Savez vous si M. G.G. doit se rendre à l’hôpital Maisonneuve Rosemont pour des traitements?
R. Oui 3 fois par semaines les Mardis, Jeudis et samedis. Il se rend à l’hopital par taxis conduits par Mme France, nom de famille inconnue. Elle vient le chercher vers 11.45 A.M. et elle le ramène entre 6.00 et 7.00 P.M. A tous les mardis je lui remet $ 45.00 pour les 3 transports de la semaine. Je la paye en argent et elle me remet un recu. Les recus qu’elle me remet sont marqués Transport Médical Isabella […]. Elle signe les recus des Lettres F.M.
Q. Savez-vous si c’est toujours la même personne qui effectue les transports depuis janvier 1998 ?
R. Oui mais une fois je pense qu’elle a été remplacée par une autre femme.
Q. Savez-vous à qui appartient le véhicule
R. Je pense que c’est à elle. Elle a changé de véhicule il y a quelques mois.
Q. Est-ce que la conductrice aide le patient à se déplacer lors de ces transports
R. Oui quelques fois. Elle le tient par le bras pour descendre les marches et monter dans le véhicule. Je la vois partir mais je ne la vois pas au retour car je termine mon travail avant son retour.
Q. Connaissez vous la personne apparaissant sur la photo que je vous exhibe?
R. Oui c’est elle qui pousse la chaise roulante
Q. Savez vous si d’autres personnes sont transportées par le même taxi
R. Habituellement il est le premier à monter mais je sais qu’elle doit prendre d’autres passagers parce qu’elle l’a mentionné à l’occasion.
Q. Qui paye le transport de M. G.G
R. Depuis le mois de mars 1998 le transport est remboursé par le Centre […]
Q. Quand avez vous vu la conductrice effectuée le transport pour la dernière fois?
R. C’était hier soit Mardi le 04 aout 1998.
Q. Pouvez vous me fournir une copie des recus que vous avez obtenus pour le transport de M. G.G. ?
R. oui
Q. Avez vous autre chose a ajouter a cette déclaration?
R. Non
Q. Après l’avoir lue voulez vous signer cette déclaration?
R. oui » (sic)
[116] Avec cette déclaration sont produites des copies de reçus émis entre le 7 mars et le 18 juillet 1998 pour la somme totale de 720,00 $
Témoignage de monsieur Bernard Couture, enquêteur à la CSST
[117] Monsieur Couture est aussi enquêteur au Service des enquêtes spéciales de la CSST. De la même façon, il est intervenu dans le dossier de la travailleuse, à la demande de monsieur Desjardins, afin que des déclarations soient recueillies en même temps auprès de différentes personnes. Monsieur Couture rencontre alors deux personnes.
[118] Le 5 août 1998, à 10 h 55, monsieur Couture recueille la déclaration de madame L.O. domiciliée à Pointe-aux-Trembles. Il témoigne que cette dame lui déclare qu’elle reçoit des traitements à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, trois fois/semaine (mardi, jeudi, samedi), que la travailleuse l’y conduit depuis 4-5 mois, qu’elle est très assidue, qu’elle dit souvent qu’elle a mal dans le dos mais qu’elle doit travailler pour gagner sa vie :
« Connaissez-vous France Lefebvre?
Depuis 4 à 5 mois, je la connais.
Dans quelles circonstances avez-vous eu à faire affaires avec France Lefebvre?
Je fais affaire avec Transport Médical Isabella depuis (illisible) ans environ. Je dois recevoir des traitements […] à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Or, j’appelle Monique Lussier au […] pour qu’on me fournisse le transport à l’hôpital.
Lorsque vous avez eu recours aux services de France Lefebvre, expliquez-nous le processus que vous utilisiez pour obtenir ses dits services.
Après avoir appelé le Transport Médical, Monique Lussier m’envoie un chauffeur. Au début c’était Ginette qui me conduisait. Je ne me rappelle pas de son nom. Depuis 4 à 5 mois, c’est France qui me conduit, je ne connais pas son nom mais je reconnais celle-ci sur la photo (pièce P1).
Depuis quand utilisez-vous les services de France Lefebvre?
Comme je l’ai mentionné antérieurement France fait mon transport depuis 4 à 5 mois. Elle conduit un char blanc, 4 portes.
Décrivez-nous les différents services que vous offrent France Lefebvre lorsque celle-ci vous accompagne à l’hôpital?
Elle vient me chercher vers 07 :45 tous les mardi, jeudi et samedi matin. Elle vient me chercher (seule) et me conduit à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Par la suite, dans l’après-midi de chacune de ces journées, elle vient me chercher à l’hôpital pour me ramener chez moi. Au retour, France, en même temps que moi ramène mde G.C. et mde F. Je débarque la première et j’ignore où demeure les autres.
Combien avez-vous débourser pour chacun de ces voyages? A qui? Comment et vous donne-t-on un reçu suite à ces paiements?
Je suis […] , je ne paie rien. Elle ne me fait signer aucun document ni ne me remet aucun document. Elle ne m’a jamais parlé des coûts. Tout ce qu’elle m’a dit c’est qu’elle travaillait pour Transport Médical Isabella. Concernant les services que France m’a offert, c’est seulement de m’amener à l’hôpital et de me surveiller pour ne pas tomber. Elle ne me supporte pas, sauf que rendu à l’hôpital elle me place sur une chaise roulante et me monte au 1er étage.
Est-ce que vous recevez un remboursement d’un ministère, d’une cie d’assurance ou autres en rapport avec ces montants que vous versez à France Lefebvre et/ou à la cie de Monique Lussier?
Aucun remboursement de quiconque. C’est […] qui paie directement la compagnie.
A quand remonte votre dernier voyage avec France Lefebvre?
Mardi de cette semaine, soit hier, le 4-8-98.
Est-ce que France Lefebvre vous a fait part qu’elle recevait des indemnités de remplacements de revenus suite à des blessures que cette dernière auraient subies?
Jamais. Elle m’a dit qu’elle était malade, qu’elle faisait de l’arthrose et travaillait pour le Transport Médical Isabella.
France Lefebvre vous a-t-elle déjà mentionné qu’elle avait des problèmes de dos, en rapport avec ses différentes activités? Se serait-elle plainte de ces problèmes en votre présence?
Oui, elle dit souvent qu’elle a mal dans le dos mais qu’elle doit tout de même travailler pour gagner sa vie.
A quelle heure France Lefebvre allait-elle vous chercher? A quelle heure vous ramenait-elle?
07 :45 tous les mardi, jeudi et samedi (retour) 13 :00 les mêmes jours.
Doit-on vous aider à marcher dans vos déplacements? Expliquez?
Non, je suis capable de me déplacer seule.
Est-ce que France, depuis janvier 1998, s’est déjà "absentée" pour venir vous chercher
Elle n’a jamais manqué de rendez-vous.
Qui d’autres que vous reçoit les mêmes services de la part de France?
Mde G.C. [âge], Mde F. [âge], Mde Y. qui demeure à la même adresse que moi à […].
Est-ce que France est bien connu des infirmières qui s’occupent de vous a l’hôpital Maisonneuve-Rosemont?
Oui, elle est très bien connu. Les infirmières J., C., H.[prénoms féminins] savent très bien que c’est France qui nous conduit. D’ailleurs, France parle régulièrement avec ces infirmières. » (sic)
[119] Avec cette déclaration sont produites des copies de reçus émis entre le 6 mars et le 15 août 1998. Les dates des transports sont inscrites mais non les montants.
[120] Le 5 août 1998, à 12 h 25, monsieur Couture recueille la déclaration de madame P.G. domiciliée à Montréal-Nord, laquelle affirme recevoir des traitements à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont trois fois/semaine (mardi, jeudi, samedi) et que la travailleuse qu’elle connaît depuis 1 an ou 1½ an, soit début 1997, l’y conduit à l’aller seulement :
« Connaissez-vous France Lefebvre?
Oui, depuis 1 an et demi environ. Depuis cette période c’est toujours France qui vient me chercher le matin seulement pour me conduire à l’hôpital.
Dans quelle circonstance avez-vous eu affaires avec France Lefebvre?
J’ai des traitements […] depuis 2½ ans environ. Depuis 2½ (…) je dois me rendre à l’hôpital Maisonneuve Rosemont pour recevoir les traitements. Au début de mes traitements j’avais appelé la cie de Transport Médical Isabella. Au début c’est L.L. (nom masculin) qui venait me chercher.
Lorsque vous avez eu recours aux services de France Lefebvre, expliquez-nous le processus que vous utilisiez pour obtenir ses dits services.
Après L.L., c’est France qui venait me chercher. Je n’avais pas à appeler tous les jours puisqu’elle savait que j’allais à l’hôpital les mardi, jeudi et samedi. Donc depuis 1 an environ c’est toujours elle qui venait me chercher vers 11 :45. En même temps, elle ramassait monsieur G. à Pointe-aux-Trembles.
Depuis quand utilisez-vous les services de France Lefebvre?
Depuis 1 an, 1½ an. Elle conduisait un auto blanche. Sur la photo (P1) je reconnais France; C’est elle qui pousse la chaise roulante. Je ne me rappelle pas de son nom.
Décrivez-nous les différents services que vous offrent France Lefebvre lorsque celle-ci vous accompagne à l’hôpital?
Elle vient me conduire seulement. En aucun moment, elle doit me supporter et/ou me conduire en chaise roulante. Elle vient me conduire jusqu’au DEPT de […]. Elle connaît bien les infirmières puisqu’elle leur parle régulièrement. Je dois dire que France ne vient jamais me chercher à l’hôpital pour me ramener. C’est toujours G. (prénom masculin) qui fait ce travail vers 18 :00.
Combien avez-vous débourser pour chacun de ces voyages? A qui? Comment et vous donne-t-on un reçu suite à ces paiements ?
Je suis […] et c’est eux qui paient directement la cie Transport Médical Isabella. Au début L.L. me faisait signer un papier à toutes les fois qu’il m’amenait à l’hôpital. France faisait aussi la même chose au début puis à l’hiver 98, France a cessé de me faire signer le papier en question. Je sais que […] payait directement la cie, sauf qu’en mai et juin 98, […] s’était trompé et m’avais envoyé les chèques (234.$ chaque mois) à moi. Je les ai ensuite remis à la cie.
Est-ce que vous recevez un remboursement d’un ministère, d’une cie d’assurance ou autre en rapport avec ces montants que vous versez à France Lefebvre et/ou à la cie de Monique Lussier?
C’est […] seulement qui paie et je ne reçois aucun autre montant.
A quand remonte votre dernier voyage avec France Lefebvre?
Hier, le 4 août 98.
Est-ce que France Lefebvre vous a fait part qu’elle recevait des indemnités de remplacement du revenu suite à des blessures que cette dernière auraient subies?
Jamais
France Lefebvre vous a-t-elle déjà mentionné qu’elle avait des problèmes de dos en rapport avec ses différentes activités? Se serait-elle plainte de ces problèmes en votre absence?
Jamais
A quelle heure France Lefebvre allait-elle vous chercher? A quelle heure vous ramenait-elle?
A 11 :45 le matin
Elle ne venait jamais me chercher le soir pour me ramener chez moi.
Doit-on vous aider à marcher dans vos déplacements? Expliquez?
Non » (sic)
[121] En contre-interrogatoire, monsieur Couture peut affirmer que l’une de ces deux dames est plus maigre, plus faible physiquement et a un fils. L’autre est plus en chair, sans être grassette. Il ne peut cependant les nommer, faire correspondre le nom et la description physique. Cependant il affirme avoir constaté que ces deux personnes étaient lucides et aptes à témoigner. Les déclarations furent rédigées par lui en français et signées par les déclarantes.
Témoignage de monsieur Bernard Desgagnés, enquêteur chez Filature
Expert Investigation
[122] Monsieur Desgagnés témoigne être enquêteur chez Filature Expert Investigation qui reçoit des mandats d’enquête de différents clients dont la CSST laquelle, dans la présente affaire, les mandate pour suivre la travailleuse dans ses allées et venues. La filature est effectuée les 7, 9, 16, 18 juillet 1998 et 4 août 1998. Monsieur Desgagnés y participe à titre d’enquêteur principal tous les jours, sauf le 9 juillet 1998. Le 7 juillet 1998, il est assisté de monsieur Michel Grégoire. Le 9 juillet 1998, la filature est faite par messieurs Gaétan Fortier et Michel Grégoire. Le 16 juillet 1998 et le 4 août 1998, monsieur Desgagnés est assisté de monsieur Ghislain Mercier, le 18 juillet 1998, de monsieur Gaétan Fortier.
[123] Chaque jour de la filature, deux enquêteurs se déplacent dans leur véhicule respectif et possèdent chacun une caméra vidéo. Ils sont en constante communication par radio. Ils suivent à distance le sujet et se positionnent à proximité de manière à voir sans être vus. Près du domicile de la travailleuse ou des clients du service de transport, ils stationnent dans la rue. À l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, ils utilisent le stationnement de l’hôpital ou des stationnements adjacents. S’il est impossible de stationner à proximité sans être vus, ils effectuent un blocage, de façon à voir la travailleuse lorsqu’elle passe. Lorsqu’il est inscrit au rapport que pour des raisons de sécurité il est impossible de voir, cela signifie qu’il est impossible de s’approcher sans être vus. Ils ne quittent pas leur véhicule sauf quelques minutes nécessaires de temps à autre. Ils prennent leur repas à bord.
[124] Toutes les séquences filmées dans le cas de la travailleuse le sont à l’extérieur. Les enquêteurs n’entrent ni ne filment dans le domicile de la travailleuse ou dans un établissement. Les enquêteurs filment sur pellicule 8 mm. Parfois, en raison des circonstances ou du positionnement, un seul des enquêteurs est en mesure d’observer la travailleuse. C’est alors lui qui filme. Chacun des enquêteurs remet ses cassettes au bureau chez Filature Expert Investigation qui les transfert sur vidéocassette VHS. Le fait que les enquêteurs ne travaillent pas nécessairement avec la même marque de caméra explique que sur certaines séquences la chronométrie montre ou non les secondes. Un montage est effectué, des commentaires narratifs sont ajoutés. Monsieur Desgagnés confirme que les photographies intégrées au rapport de filature et dont de meilleures copies furent produites à l’audience (quatre reproductions de photographies A-B-C-D produites en liasse sous I-1) sont des séquences de la vidéocassette.
[125] Monsieur Desgagnés confirme que tous les matins, la température est notée et que tout au long de la filature, il prend des notes qui lui serviront à la rédaction du « Rapport de filature » quotidien. Ces rapports quotidiens sont intégrés à un rapport global d’enquête adressé par Filature Expert Investigation à la CSST, à l’attention de monsieur Desjardins. Ainsi un premier rapport pour la filature effectuée les 7, 9, 16 et 18 juillet 1998 porte la mention à l’effet qu’il fut remis le 29 juillet 1998. Le second rapport, pour la filature du 4 août 1998, porte la mention de remise le 6 août 1998.
[126] Durant la prochaine partie de son témoignage, monsieur Desgagnés relate la filature effectuée et fait visionner au tribunal des extraits de la vidéocassette (pièce I-3) qu’il commente.
[127] Le 7 juillet 1998, le premier jour, monsieur Desgagnés se positionne près du domicile de la travailleuse à 6 h 00 du matin. L’adresse, la description physique de la travailleuse et les coordonnées de l’automobile lui sont fournies. Toute la journée, il la suit et constate que son emploi du temps, tout au long de cette journée comme des autres jours de la filature, est le transport de personnes qu’elle va chercher pour les conduire à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Ce jour-là, la travailleuse rentre chez elle à 19 h 30 et 21 h 00 n’en est pas ressortie lorsque monsieur Desgagnés cesse son observation.
[128] Durant cette journée, monsieur Desgagnés n’a pas remarqué de difficultés physiques apparentes chez la travailleuse au cours de ses déplacements. Elle n’utilise pas de canne et ne se sert pas nécessairement de la rampe pour descendre l’escalier. Il commente des séquences de la vidéocassette et affirme avoir vu la travailleuse pousser le fauteuil roulant d’une dame dans une rampe d’accès en pente. Il affirme l’avoir vue aider certaines personnes à se déplacer, à porter leur paquet, à embarquer ou débarquer de l’automobile. Il affirme avoir vu la travailleuse, debout près de la portière ouverte, côté passager, se pencher par-dessus la personne assise pour lui attacher sa ceinture de sécurité.
[129] Une séquence de la journée du 9 juillet 1998 est présentée au tribunal sans commentaire puisque monsieur Desgagnés ne participe pas à la filature ce jour-là.
[130] Monsieur Desgagnés précise que, le 16 juillet 1998, la travailleuse quitte son domicile à 6 h 46. Dans ses déplacements elle ne montre pas de difficultés apparentes. Elle aide une personne à s’asseoir, se penche pour lui attacher sa ceinture de sécurité. La travailleuse descend les escaliers sans tenir la rampe, elle soutient une personne.
[131] Il témoigne que le 18 juillet 1998, la travailleuse débute sa journée à 7 h 04. Monsieur Desgagnés souligne qu’il est possible de voir la travailleuse fermer énergiquement la portière avec la main droite en faisant dos à l’ouverture de la porte et aussi de la voir descendre de son véhicule sans difficultés apparentes.
[132] Concernant le kilométrage effectué par la travailleuse, il ne peut être noté par l’enquêteur mais son propre kilométrage donne des indications. Monsieur Desgagnés explique que les deux enquêteurs utilisent des techniques connues de filature. Par exemple, lorsqu’ils suivent la travailleuse et qu’elle tourne, le premier enquêteur ne tourne pas mais le second tourne et continue de la suivre. Pendant ce temps le premier tourne sur une rue parallèle et effectue pratiquement le même trajet, s’immobilisant à la même hauteur.
[133] Monsieur Desgagnés rapporte son propre kilométrage à partir de son odomètre, noté quotidiennement lors de la filature, du domicile de la travailleuse à l’abandon de la filature. Le 7 juillet 1998, de 6 h 00 à 21 h 00 : 220 km. Le 16 juillet 1998, de 6 h 00 à 20 h 00 : 264 km. Le 18 juillet 1998, de 6 h 00 à 16 h 00 : 146 km. Le 4 août 1998 de 6 h 00 à 15 h 00 : 121km.
Témoignage du Dr Marc Beauchamp, chirurgien- orthopédiste,
témoin-expert de la CSST
[134] Le docteur Beauchamp témoigne que le 14 février 2000, il rédige un rapport d’expertise médicale, à la demande de la CSST, après examen de la travailleuse deux semaines auparavant. Le but est alors de vérifier le status de son système locomoteur, la présence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.
[135] Le docteur Beauchamp explique que lors de l’entrevue qui dure 45 minutes, il demande d’abord à la travailleuse d’expliquer l’histoire de sa maladie. Cette dernière se plaint de douleurs incapacitantes importantes au rachis cervical, dorsal et lombaire et aux genoux avec difficulté à se déplacer et besoin d’utiliser une canne. Déjà à l’observation durant cette partie de l’entrevue, le docteur Beauchamp note de la discordance chez une travailleuse qui allègue des douleurs importantes, notamment au niveau du cou, et qui bouge en parlant. La travailleuse allègue avoir de la difficulté à demeurer en position assise durant 10 minutes mais ne semble pas ressentir une telle difficulté lors de l’entrevue.
[136] Au moment de pratiquer l’examen objectif, il demande à la travailleuse de se lever. Elle le fait en grimaçant et en boitant. À la demande de bouger la tête, elle diminue volontairement l’amplitude des mouvements que le médecin affirme avoir vu de plus grande amplitude lors de l’entrevue. Ensuite, le docteur Beauchamp note qu’à l’examen palpatoire, la travailleuse allègue des douleurs diffuses un peu partout. Il lui demande de se pencher et les mouvements qu’elle exécute sont limités. Par contre, en position assise, alors que le médecin provoque une angulation de 90º avec les deux membres inférieurs, la travailleuse ne formule aucune plainte. Les mouvements passifs sont de plus grande amplitude que les mouvements actifs.
[137] Il constate que la travailleuse ne présente pas d’amyotrophie au niveau des membres inférieurs, la force motrice est présente mais le réflexe achilléen droit est absent. Le docteur Beauchamp explique que ce phénomène se rencontre lorsqu’une personne a souffert d’une hernie discale provoquant l’abolition du réflexe achilléen et qu’ensuite elle récupère de cette condition. La racine nerveuse peut récupérer sans que le réflexe ne revienne. Après cette récupération, s’il n’y a pas d’amyotrophie et que la force motrice est revenue, l’abolition du réflexe n’a pas de conséquence.
[138] Il conclut que la travailleuse présente de l’arthrose mais qu’elle se penche et est fonctionnelle. À l’examen clinique, il perçoit que les deux côtés du rachis ne sont pas pareils, qu’il s’est déjà passé quelque chose mais il estime que la racine nerveuse a récupéré puisque l’examen ne révèle pas d’évidence d’atteinte radiculaire. Selon lui, la travailleuse exagère ses symptômes. Les examens radiologiques révèlent la présence d’arthrose multi-étagée mais la travailleuse a une amplitude articulaire complète et est apte à exécuter un travail léger à temps plein, un travail adapté à sa condition.
[139] Le docteur Beauchamp témoigne n’avoir pas visionné la vidéocassette de la filature avant de pratiquer l’examen clinique de février 2000. Il relate que le visionnement subséquent renforce son impression de dissociation importante entre l’examen subjectif et objectif.
[140] Il constate que la travailleuse présente une capacité de déplacement fluide avec absence de douleurs apparentes à la marche, dans les escaliers ainsi qu’en embarquant et débarquant de son automobile. Ainsi, il note que la travailleuse lui déclare avoir besoin de sa canne pour marcher alors que sur la vidéocassette, elle marche sans canne. Son patron de marche montre des pas normaux, bien cadencés sans boiterie et non de petits pas comme chez une personne souffrante. Il souligne que sur la vidéocassette, la travailleuse ne s’appuie pas aux rampes alors qu’il est possible de le faire. Elle soutient les clients du service de transport dans leurs déplacements, ce qui est incompatible avec une condition inflammatoire rendant une personne fragile et incapable de soutenir ainsi les autres. Elle ne présente pas de difficulté à descendre et monter un fauteuil roulant sur une pente. Or, le docteur Beauchamp explique que, pour retenir une charge en descendant une pente, il faut contracter la musculature para-spinale.
[141] La vidéocassette est ensuite visionnée et le docteur Beauchamp commente plusieurs séquences en décrivant les mouvements effectués par la travailleuse et leur incidence quant à son status musculo-squelettique et sa capacité de travail.
[142] La vidéocassette montre la travailleuse aidant des clients du service de transport à s’asseoir dans l’automobile. Lorsque la personne est assise, par exemple côté passager à l’avant, la travailleuse prend la boucle de la ceinture de sécurité, tire la ceinture et se penche au-dessus du client, en entrant la moitié supérieure de son corps dans l’automobile de manière à pouvoir boucler la ceinture. Le docteur Beauchamp évalue que ce geste demande pour le rachis lombaire un mouvement de flexion antérieure (80ºà 90º) combiné à un mouvement de rotation.
[143] La vidéocassette montre la travailleuse qui s’assoit dans son automobile à la place du conducteur. Le docteur Beauchamp évalue qu’elle exécute cette manœuvre de façon « standard », avec des mouvements fluides, sans temps d’arrêt ni précautions.
[144] La vidéocassette montre la travailleuse qui sort de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont en poussant la chaise roulante d’un client qui revient d’un traitement. Elle descend la rampe d’accès, dans une pente descendante en poussant la chaise roulante occupée pour l’approcher de l’automobile. Le docteur Beauchamp explique qu’en descendant la pente, la travailleuse doit nécessairement retenir le fauteuil occupé, sinon il part. La travailleuse doit exercer de la force contre la gravité pour maintenir son rachis à la verticale sinon il plie vers l’avant. Pour ce faire, elle doit contracter ses muscles para-spinaux et ses muscles grands fessiers, érecteurs de la colonne. Or, il soutient qu’une personne ayant une condition inflammatoire active au niveau du dos est incapable de faire cela. C’est même dangereux. Pour être en mesure de faire cette activité la personne doit avoir une musculature para-vertébrale capable de le supporter, un rachis stable et pouvoir contrôler sa colonne. De plus, les pas exécutés de façon régulière impose un impact à la colonne lors du contact du talon au sol.
[145] La vidéocassette montre la travailleuse qui fait elle-même le plein d’essence dans une station libre-service. Le docteur Beauchamp fait valoir qu’habituellement les patients qui ont des problèmes lombaires ne vont pas dans des stations libre-service mais dans des stations où ils reçoivent le service, préférant demeurer assis dans leur automobile, se faire servir et éviter les efforts.
[146] La vidéocassette montre la travailleuse qui revient de faire des courses avec des sacs et qui se penche pour les déposer dans son automobile. Elle demeure en position penchée vers l’avant et s’étire pour chercher ou placer à bout de bras. Le docteur Beauchamp commente que cette séquence montre que la travailleuse est non seulement capable d’exécuter une flexion antérieure du rachis mais aussi de garder cette position longtemps. Cette position sollicite la musculature para-spinale, est inconfortable et difficile à maintenir. Il explique que lorsqu’elle se penche vers l’avant, d’un point de vue biomécanique, le bras de levier augmente et la force doit augmenter pour maintenir la position, ce qui sollicite la musculature et se reflète sur l’appareil osseux, ligamentaire et discal.
[147] Le docteur Beauchamp est ensuite appelé à visualiser et commenter des extraits filmés le 4 août 1998 mais avant, il lui est rappelé que la travailleuse a formulé auprès de la CSST une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation en date du 20 juillet 1998. Le formulaire signé par la travailleuse le 3 août 1998 fut reçu à la CSST le 5 août 1998. Voici la description qu’il contient :
« J’ai beaucoup mal à la tête aussi. Une douleur atrosse et insuportable ces manifesté dans le bas du dos et le haut de la colonne les jambes on relaché et je suis tombé par terre. J’avais les deux jambes engourdies. Je ne peu me supporte j’ai mal au deux fesse. » (sic)
[148] Le docteur Beauchamp décrit que la travailleuse descend un escalier en faisant des mouvements fluides. Elle marche en balançant les bras de façon symétrique et n’accuse aucune boiterie. Elle se penche en flexion antérieure à 45º, puis à 90º avec rotation pour attacher la ceinture de sécurité d’un client. Tous ces mouvements sont exécutés de façon fluide. Elle s’assoit rapidement à la place du conducteur.
[149] Plus tard, elle se penche longuement dans le véhicule en effectuant une flexion antérieure, ce qui est inconfortable pour le dos.
[150] Elle se penche ensuite dans l’automobile, effectuant une flexion antérieure de 60º avec rotation. Elle fait un pivot en penchant son épaule gauche et en levant la jambe droite, impliquant une rotation du tronc, le tout effectué de façon fluide.
[151] Ensuite, elle est penchée pour aider un client dans l’auto mais voit une personne à l’extérieur et se redresse rapidement en lui envoyant un signe de la main droite levée au-dessus de la tête. Le docteur Beauchamp explique que lorsqu’elle voit la personne la travailleuse exécute rapidement une extension du rachis pour saluer et ce, sans aucune précaution.
[152] Le docteur Beauchamp relève ensuite que la travailleuse peut monter et descendre au centre de l’escalier sans appui. Il affirme que lorsqu’une personne monte un escalier en s’occupant d’autre chose, c’est un signe qu’elle n’a pas de problème pour exécuter cette manœuvre. Ceux qui ont des problèmes à le faire se concentrent sur la montée.
[153] Il note ensuite qu’elle ouvre la porte d’une institution financière en prenant la poignée de loin, à bout de bras. Cette façon de faire n’est pas celle qu’utilisent les gens qui ont mal dans le dos. Ceux-là se rapprochent de la porte et tirent en utilisant tout le rachis.
[154] Le docteur Beauchamp note que la travailleuse ne montre pas de fatigabilité : la vidéocassette montre qu’elle débute ses transports vers 7 h 00 et qu’à 12 h 50, elle est encore capable de descendre des clients en chaise roulante. Elle est même capable, vers 12 h 59 de le faire d’une seule main. Sur cette séquence, la travailleuse tient à deux mains la chaise roulante occupée et emprunte la rampe d’accès en pente descendante. Elle replace son chandail et/ou son sac à la taille avec sa main gauche tout en continuant la descente et en tenant la chaise roulante de sa seule main droite.
[155] À la suite de la visualisation de la vidéocassette, le docteur Beauchamp émet l’opinion que son status locomoteur de la travailleuse lui permet de faire des gestes normaux en quantité et en fluidité. Ces images ne permettent pas de constater que cette travailleuse était symptomatique mais plutôt que sa capacité de travail approche la normale.
[156] En contre-interrogatoire, le docteur Beauchamp confirme avoir pris connaissance du dossier de la CSST pour rédiger son rapport d’expertise médicale. Dans son étude, il n’a pas noté spécifiquement les limitations fonctionnelles retenues pour cette travailleuse, sachant qu’elle était considérée invalide. Ce qui lui semblait important était de déterminer l’état actuel de la travailleuse selon son propre examen clinique. Il reconnaît ne pas utiliser les signes de Waddel dans sa pratique. Il énumère les signes cliniques objectifs pour un examen du rachis lombaire. Certains dépendent de la collaboration de la personne examinée mais des manœuvres de diversion permettent de vérifier la crédibilité des résultats obtenus.
[157] Concernant les éléments qui permettent de poser le diagnostic de hernie discale lombaire, le docteur Beauchamp explique qu’une hernie lombaire avec radiculopathie provoque habituellement une fonte musculaire du territoire devant être innervé, avec perte des réflexes ostéo-tendineux et perte de sensibilité chez un patient fiable. L’imagerie radiologique montre une compression mécanique sur la racine nerveuse et l’ÉMG objective cette radiculopathie en identifiant le site de compression. Le diagnostic de hernie peut être écarté, d’un point de vue clinique, lorsqu’il n’y a plus d’atteinte sensitive et motrice, fonctions utiles pour la personne, car une petite fasciculation à l’ÉMG, l’abolition d’un réflexe n’a pas de répercussion clinique. Le docteur Beauchamp rappelle que l’amélioration clinique l’emporte toujours sur l’image radiologique.
[158] Quant à l’évaluation des douleurs, le docteur Beauchamp convient que la douleur ne se mesure pas, qu’elle varie d’une personne à l’autre mais que, par observation il est possible de la déceler, notamment par la façon de la personne de se déplacer, de bouger, de fonctionner. Le fait que la personne prenne des précautions, protège la zone douloureuse, évite les gestes sollicitant la zone douloureuse.
[159] À la question à savoir si la travailleuse simule ses douleurs, le docteur Beauchamp répond que son impression générale est que la travailleuse exagère ses douleurs, ce qu’il observe étant différent de ce qu’elle allègue.
[160] Pour ses propres patients, le docteur Beauchamp doit compléter, lorsque le cas se présente, des rapports déclarant une personne invalide. En regard de sa spécialité, il reconnaît l’invalidité d’une personne lorsque son système locomoteur n’est pas en mesure de soutenir une activité rémunératrice à temps plein. Dans le cas de la travailleuse, compte tenu de son dossier, de l’examen pratiqué et des données observées lors du visionnement de la vidéocassette, le docteur Beauchamp est en mesure d’affirmer que la travailleuse est capable de faire ce travail d’accompagnatrice.
[161] Questionné par le tribunal, le docteur Beauchamp estime que, lors de l’examen de la travailleuse, le questionnaire orientait la condition vers une classe IV selon la classification de l’IRSST alors qu’après l’examen clinique, la condition correspond plutôt à une classe I. Il ne considère pas équivalentes les mises en tension radiculaire provoquées par le fait d’être assis les jambes tendues et le fait d’être debout et penché en flexion antérieure. Par contre, lorsqu’une personne peut faire ces deux manœuvres, cela démontre que la mise en tension n’est pas symptomatique et qu’il n’y a pas d’inflammation importante au niveau des racines. En contexte inflammatoire, la racine nerveuse serait incapable de le supporter.
[162] Plus tôt lors de la visualisation, le docteur a utilisé l’expression de façon répétitive pour qualifier le nombre de fois que la travailleuse se penche. Il corrige cette affirmation en précisant qu’il voulait plutôt dire qu’elle se penche souvent sur une courte période.
[163] Finalement, le docteur Beauchamp conclut que même si l’image radiologique montre une hernie discale, l’examen clinique ne montre pas de compression radiculaire. La hernie est donc inactive mais elle peut récidiver et dans un tel cas, il recommande au patient d’éviter le soulèvement de poids, les mouvements répétitifs du rachis, les compressions provoquées par les chutes, les sauts et recommande de varier les positions.
CONTRE-PREUVE DE LA TRAVAILLEUSE
La travailleuse
[164] Concernant le fait que sur la vidéocassette elle n’utilise pas de canne, la travailleuse précise qu’à cette époque aucun médecin ne l'oblige à utiliser une canne.
[165] Concernant sa condition le 4 août 1998, alors qu’elle a fait une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation, elle dit s’être blessée le 26 juillet et que le 4 août 1998, elle avait pris des anti-inflammatoires et de la codéine, ce qui fait qu’elle ne ressentait plus sa douleur. Différents médicaments lui sont prescrits depuis plusieurs années, par plusieurs médecins qu’elle énumère, pour soulager ses douleurs.
[166] Elle relate qu’elle ne faisait pas du transport toute la journée mais bénéficiait de périodes inoccupées durant lesquelles elle revenait à la maison faire ses traitements pour l’asthme. Elle affirme après s’être informée que le kilométrage maximum pour une grosse journée est de 80km.
L'AVIS DES MEMBRES
Dossier noº 109869-72-9902
[167] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis que les conditions d’ouverture à la reconsidération sont respectées en ce qui concerne l’existence d’un fait essentiel inconnu au moment de la prise de décision le 27 mars 1998 et le respect du délai de 90 jours pour l’exercice de ce pouvoir.
[168] Toutefois le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête au motif que bien que la travailleuse conserve une capacité résiduelle à accomplir des activités, la preuve ne démonte pas de façon probante une capacité d’exercer un travail à temps plein puisque dès juillet 1998, la travailleuse qui doit prendre des médicaments et aviser madame Lussier qu’elle ne peut continuer à exercer ces activités.
[169] Pour sa part, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête au motif que l’exécution par la travailleuse de cet emploi de chauffeure et/ou chauffeure-accompagnatrice sur de longues périodes et de son propre chef constitue la meilleure preuve qu’elle a la capacité d’exercer cet emploi, lequel doit être considéré convenable au sens de la loi et, au surplus peut être considéré comme un nouvel emploi. Il rejetterait la requête.
Dossier noº133590-72-0003
[170] Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête au motif que la condition psychologique dont souffre la travailleuse résulte des tracasseries administratives en relation avec sa lésion professionnelle.
[171] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête aux motifs que la condition psychologique de la travailleuse qui pourrait, selon l’avis de son médecin, être consolidée par le règlement des problèmes administratifs avec la CSST n’est pas une condition indemnisable puisque non reliée directement à la lésion professionnelle.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
Dossier noº 109869-72-9902
[172] À l’issue d’une enquête, la CSST reconsidère sa décision du 27 mars 1998 par laquelle elle concluait qu’il était impossible, à l’époque, de déterminer un emploi que la travailleuse, alors âgée de 47 ans, serait capable d’exercer à temps plein. La CSST l’informait alors qu’elle continuerait de lui verser son indemnité de remplacement du revenu jusqu’à l’âge de 68 ans avec diminution progressive à compter de 65 ans.
[173] En tenant compte des informations obtenues par le biais de cette enquête et après analyse, la CSST détermine un emploi convenable et la capacité de la travailleuse d’occuper cet emploi à compter du 15 décembre 1997. La CSST estime que le revenu que la travailleuse pourrait tirer de cet emploi convenable correspond au salaire minimum, soit 15 246,00 $. Puisqu’il est équivalent ou supérieur au revenu gagné lors de l’événement, la CSST conclut que la travailleuse n’a pas droit à une indemnité réduite de remplacement du revenu. De plus, la CSST réclame à la travailleuse un trop-perçu de 6 504,60 $ correspondant à l’indemnité de remplacement du revenu reçue du 15 décembre 1997 au 30 juillet 1998.
[174] À l’audience, la CSST n’invoque pas la fraude mais plaide essentiellement que la preuve démontre la capacité de travail de madame Lefebvre, justifiant la reconsidération de la décision du 27 mars 1998 et les décisions prises en conséquence.
Reconsidération
Critères d’ouverture
[175] D’abord,
la Commission des lésions professionnelles doit vérifier si, lors de la prise
de décision du 7 août 1998, les critères d’ouverture à l’exercice du pouvoir
de reconsidération sont rencontrés. Ce
pouvoir est conféré à la CSST par l’article
365. La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle - ci n'a pas fait l'objet d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, pour corriger toute erreur.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.
Avant de reconsidérer une décision, la Commission en informe les personnes à qui elle a notifié cette décision.
Le présent article ne s'applique pas à une décision rendue en vertu du chapitre IX.
________
1985, c. 6, a. 365; 1992, c. 11, a. 36; 1997, c. 27, a. 21; 1996, c. 70, a. 43.
[176] Il s’agit plus particulièrement, en l’espèce, de vérifier l’application du second alinéa de cet article, soit l’existence d’un fait essentiel inconnu de la CSST au moment de la première décision, celle du 27 mars 1998, ainsi que le délai de 90 jours pour exercer ce pouvoir.
[177] La preuve révèle que, vers le 16 juin 1998, la CSST reçoit un appel téléphonique d’une personne de l’extérieur l’informant que madame Lefebvre travaille comme accompagnatrice à raison de six jours par semaine.
[178] Un enquêteur de la CSST, monsieur Desjardins, est mandaté pour vérifier l’exactitude de cette information. Il mène enquête lui-même, constate certains éléments de fait qui l’incitent à demander autorisation pour mandater une firme externe afin d’effectuer une filature, poursuit son enquête et se fait aider de ses collègues enquêteurs à la CSST.
[179] Le 6 août 1998, le dernier rapport de filature est remis à la CSST. Le 7 août 1998, tel qu’en font foi les notes évolutives, une réunion multidisciplinaire a lieu à la CSST. Les résultats de l’enquête effectuée jusqu’à cette date sont discutés. La CSST évalue qu’elle dispose d’éléments suffisants lui permettant de conclure que la travailleuse exerce des activités de chauffeure et/ou chauffeure-accompagnatrice depuis le 15 décembre 1997.
[180] À cet égard, la Commission des lésions professionnelles estime qu’effectivement l’exercice d’activités de transport et d’accompagnement de personnes est un fait essentiel à considérer dans la prise de décision concernant la capacité de la travailleuse d’exercer un emploi. Or, ce fait essentiel existait au moment où la CSST a pris sa décision du 27 mars 1998 quant à l’impossibilité à cette époque de déterminer un emploi convenable que la travailleuse serait capable d’occuper à temps plein. Cependant ce fait essentiel n’était pas connu de la CSST. D’ailleurs, la travailleuse ne nie pas l’exercice de ces activités à cette époque - une des questions en litige est plutôt la qualification de ces activités - ni le fait de ne pas l’avoir déclaré à la CSST. Le critère de l’existence d’un fait essentiel inconnu de la CSST lors de la prise de décision est donc rencontré.
[181] En
ce cas, le délai d’exercice du pouvoir de reconsidération est-il respecté? La
preuve révèle que la CSST est d’abord informée, par un appel téléphonique d’une
personne de l’extérieur, que la travailleuse exerce des activités de transport
et d’accompagnement. La Commission des lésions professionnelles est d’opinion
que le délai de 90 jours de la connaissance d’un fait essentiel ne saurait
commencer à courir à ce stade puisqu’il ne s’agit alors que d’allégations. En
effet, en tant qu’organisme chargé de l’application d’une loi d’ordre public,
tel qu’édicté à l’article
La preuve permet-elle de reconsidérer la décision du 27 mars 1998?
[182] Afin de décider s’il y a matière à reconsidération, il importe de revoir le contexte lors de la prise de la décision du 27 mars 1998 qui conclut qu’il est impossible à cette date de déterminer un emploi que la travailleuse serait capable d’occuper à plein temps.
[183] Rappelons que lors de l’événement initial du 21 avril 1992, la travailleuse exerce un emploi d’auxiliaire familiale. Elle subit une hernie discale au niveau L4-L5 qui laisse des séquelles. Un emploi convenable de gardien de sécurité est déterminé.
[184] Le 16 août 1994, elle subit une récidive, rechute ou aggravation avec augmentation des séquelles. Toutefois, elle est considérée encore capable d’exercer son emploi convenable de gardien de sécurité.
[185] Le 11 mai 1995, elle subit une seconde récidive, rechute ou aggravation avec augmentation des séquelles. Une hernie discale L5-S1 est alors compensée. Le pourcentage d’atteinte permanente global atteint 30,30%. Des pourcentages de déficit anatomo-physiologique pour atteinte motrice de la racine L5 à droite ainsi que pour atteinte sensitive et motrice de la racine S1 à droite sont reconnus. Des limitations fonctionnelles sont émises le 20 février 1996 par le médecin ayant charge, le docteur Banville.
[186] Deux années s’écoulent avant que la CSST ne rende la décision du 27 mars 1998. Durant cette période un processus de réadaptation est entrepris par une autre conseillère que madame Dionne, signataire de la décision du 27 mars 1998. Entre-temps, la travailleuse réclame auprès de la CSST pour une condition cervicale, laquelle est refusée. Elle est hospitalisée pour une maladie pulmonaire obstructive chronique ainsi que de l’asthme.
[187] Dès 1996, il est question de documenter le dossier de la travailleuse afin de la « déclarer invalide ». Aux intervenants de la CSST, la travailleuse affirme se sentir incapable de travailler. La prise de décision est retardée par le fait qu’à son retour de congé, la conseillère en réadaptation ne priorise pas ce dossier. Toutefois, durant cette période, la travailleuse continue de recevoir son indemnité de remplacement du revenu.
[188] La décision du 27 mars 1998 est finalement prise, principalement sur la base de la condition lombo-sacrée avec séquelles importantes et de la condition pulmonaire sérieuse. Ce que la CSST ne sait pas à l’époque et que l’enquête révélera par la suite, c’est que la travailleuse au même moment exerce des activités de chauffeure-accompagnatrice.
Recevabilité de la preuve obtenue par enregistrement vidéo et audio
[189] À ce stade, et malgré l’absence d’objection formulée par le procureur de la travailleuse, la Commission des lésions professionnelles considère opportun de se prononcer sur la recevabilité de la preuve produite par la CSST, obtenue par enregistrement vidéo et audio.
[190] La Commission des lésions professionnelles s’en réfère, pour cette analyse, aux principes élaborés par l’Honorable juge Louis Crête dans l’affaire Eppelé c. Commission des lésions professionnelles et CSST[2], déposée par le procureur de la CSST appliquant, la jurisprudence développée par la Cour d’appel du Québec dans Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone Firestone de Joliette (CSN) c. Trudeau[3] et dans Ville de Mascouche c. Houle[4] et par la Cour Suprême du Canada dans Aubry c. Éditions Vice-Versa inc [5].
[191] Mais voici d’abord les dispositions législatives pertinentes.
[192] L’article 5 de la Charte des droits et liberté de la personne[6] (la Charte) garantit le droit au respect de la vie privée :
5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.
________
1975,c.6, a.5.
[193] L’article 9.1 de la Charte porte sur l’exercice des libertés et droits fondamentaux :
9.1 Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.
La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.
________
1982, c. 61,a.2.
[194] Ainsi
les articles
3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de la personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.
Ces droits sont incessibles.
________
1991, c. 64, a.3.
35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou sans que la loi l’autorise.
[195] L’article
36. Peuvent être notamment considérés comme atteintes à la vie privée d’une personne les actes suivants :
1° Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;
2° Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;
3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu’elle se trouve dans des lieux privés;
4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;
5° Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l’information légitime du public;
6° Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.
________
1991, c. 64, a. 36.
[196] L’article
2858. Le tribunal doit, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
Il n’est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu’il s’agit d’une violation du droit au respect du secret professionnel.
________
1991, c. 64, a. 2858.
[197] L’article
11. L’organisme est maître, dans le cadre de la loi, de la conduite de l’audience. Il doit mener les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction.
Il décide de la recevabilité des éléments et des moyens de preuve et il peut, à cette fin, suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile. Il doit toutefois, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. L’utilisation d’une preuve obtenue par la violation du droit au respect du secret professionnel est réputée déconsidérer l’administration de la justice.
________
1996, c.54, a.11.
[198] Le droit à la vie privée est un droit fondamental reconnu à l’article 5 de la Charte. Le droit à la solitude, à l’intimité, à l’anonymat en sont des composantes. L’exercice de ce droit n’est pas limité d’un point de vue territorial mais suit la personne.
[199] La
surveillance de la vie privée d’une personne par quelque moyen que ce soit est
susceptible de porter atteinte à sa vie privée, selon le paragraphe 4 de
l’article
[200] De prime abord, la procédure de surveillance et de filature d’une personne ainsi que l’enregistrement et l’utilisation d’une communication privée semblent être des atteintes à la vie privée. Néanmoins, les libertés et droits fondamentaux s’exercent, selon l’article 9.1 de la Charte, dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens. Ces atteintes peuvent être admises si elles sont justifiées par des motifs rationnels et conduites par des moyens raisonnables. Ces motifs raisonnables, sérieux, doivent exister avant d’entreprendre la mesure portant atteinte à la vie privée. Les moyens d’exécution de la mesure ne doivent pas être abusifs ni porter atteinte à la dignité de la personne en cause.
[201] En l’espèce, lorsque la CSST est informée en juin 1998, par l’appel d’une personne de l’extérieur, que madame Lefebvre travaille six jours/semaine, elle est justifiée de vérifier l’exactitude de cette information puisqu’elle verse à la travailleuse sa pleine indemnité de remplacement du revenu, selon sa décision du 27 mars 1998 qui conclut qu’il est alors impossible de déterminer un emploi que la travailleuse serait capable d’accomplir à temps plein.
[202] Encore une fois, il y a lieu de préciser que puisque la CSST est un organisme chargé de l’application d’une loi d’ordre public et qui verse des indemnités, le fait de recevoir une telle information constitue un motif rationnel et sérieux d’entreprendre une enquête à l’insu de la travailleuse et d’utiliser la surveillance afin de vérifier l’exactitude de l’information. Par ailleurs, les moyens à prendre pour ce faire ne doivent pas être abusifs.
[203] Dans la présente affaire, la CSST agit de façon progressive en mandatant d’abord un enquêteur interne pour s’assurer qu’il y a matière à enquête. Cet enquêteur, monsieur Desjardins, procède lui-même à une surveillance qui lui permet de constater des indices laissant croire que la travailleuse exerce effectivement des activités de transport et d’accompagnement.
[204] Le mandat est par la suite donné, à Filature Expert Investigation, de suivre la travailleuse durant quelques jours et de filmer ses allées et venues. Il s’agit d’un moyen raisonnable de vérifier la situation et proportionné aux circonstances apparaissant sérieuses.
[205] Cette firme procède d’abord en juillet 1998 à une filature de quatre jours non consécutifs, toujours à l’extérieur, dans des lieux publics. Cette mesure n’est abusive, indiscrète ou envahissante. Un second mandat est donné pour une cinquième journée, le 4 août 1998, à la suite de la réception par la CSST d’une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation. La réception par la CSST d’une réclamation, complétée le 3 août 1998, alléguant des malaises incapacitants dans le contexte de la possibilité de l’exercice simultané d’activités de transport et d’accompagnement, constitue un motif raisonnable justifiant la CSST de demander un complément de filature, laquelle sera effectuée dans les mêmes conditions non abusives.
[206] Concernant l’enregistrement audio fait par monsieur Desjardins lors de la conversation téléphonique du 12 août 1998 avec la travailleuse, ce dernier témoigne que son geste fut motivé par le fait que lors d’une conversation précédente, la travailleuse s’est montrée agressive et que dans un but de protection il valait mieux enregistrer la conversation. Compte tenu des éléments obtenus à date lors de l’enquête, la CSST possède alors des motifs sérieux pour procéder de la sorte. Il s’agit de l’enregistrement d’une conversation où la travailleuse s’exprime librement à un enquêteur de la CSST alors qu’elle se sait sous enquête. Le fait que la conversation soit enregistrée n’apparaît pas une mesure abusive dans les circonstances de cette affaire.
[207] Par ailleurs, le dépôt de ces pièces fut fait par des témoins habiles à témoigner quant à leur fabrication et leur contenu. La travailleuse a reçu copie de ces pièces et a pu contre-interroger ces témoins.
[208] En conséquence de ce qui précède, l’admission de ces pièces qui constituent des éléments de preuve pertinents ne saurait déconsidérer l’administration de la justice.
Capacité de travail
[209] La
conclusion, dans la décision du 27 mars 1998, à l’effet qu’il est impossible de
déterminer un emploi que la travailleuse serait capable d’occuper à temps plein,
justifiant de lui verser son indemnité de remplacement du revenu, en
application de l’article
[210] La preuve établit de façon probante que la travailleuse a exercé des activités de transport et d’accompagnement de personnes qui reçoivent des traitements à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Ces activités sont exercées durant au moins huit mois, six jours/ semaine. Même si la travailleuse bénéficie de pauses entre certains transports, les activités, pour au moins trois jours de la semaine, débutent très tôt et se terminent tard. Ceci dénote de l’endurance chez cette travailleuse.
[211] Le visionnement de la vidéocassette lors de la filature effectuée durant cinq jours en juillet et août 1998 permet effectivement de constater - comme le témoigne l’expert de la CSST, le docteur Beauchamp - une fluidité dans les mouvements exécutés, qu’ils s’agissent de flexions antérieures, d’extensions et de rotations du tronc, de même qu’un patron de marche sans boiterie, sans précautions et une allure générale non souffrante malgré les longues heures et la chaleur.
[212] Cette observation des mouvements exécutés naturellement par la travailleuse non seulement permet de constater qu’ils ne correspondent pas au tableau clinique d’une personne souffrant d’atteinte motrice au niveau L5-S1 mais sont ceux d’une personne fonctionnelle qui conserve certainement une capacité de travail.
[213] D’ailleurs le docteur Lambert, expert de la travailleuse reconnaît dans ses rapports d’expertise médicale des 10 novembre 1998 et 26 octobre 1999 que l’activité de transport et d’accompagnement qu’a fait la travailleuse et qu’il qualifie de « bénévolat » respecte les limitations fonctionnelles reconnues. En faisant abstraction de la qualification à donner à ces activités, il n’en demeure pas moins que le docteur Lambert ne nie pas que la travailleuse soit capable de les faire.
[214] L’ergothérapeute, madame Ouellet mandatée par la travailleuse pour évaluer ses capacités fonctionnelles conclut, dans son rapport du 5 juillet 1999, que cette dernière a la capacité d’exercer un travail sédentaire. Nous expliquerons pourquoi nous écartons cette qualification de travail sédentaire lorsque nous traiterons des limitations fonctionnelles. Il n’en demeure pas moins que madame Ouellet constate une capacité de travail.
[215] Le docteur Beauchamp, expert de la CSST, reconnaît aussi dans son rapport d’expertise médicale du 14 février 2000 et au cours de son témoignage où il commente plusieurs séquences de la vidéocassette, que la travailleuse a une capacité de travail.
[216] Cette preuve prépondérante démontrant une capacité de travail permet donc de reconsidérer la décision du 27 mars 1998.
Détermination unilatérale d’un emploi convenable
[217] La CSST doit dès lors reprendre le processus
de réadaptation. L’article
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en œuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
________
1985, c. 6, a. 146.
[218] En l’espèce, en même temps qu’elle reconsidère la décision du 27 mars 1998, la CSST détermine unilatéralement l’emploi de chauffeure et/ou chauffeure-accompagnatrice comme emploi convenable, ce que le procureur de la travailleuse lui reproche.
[219] La Commission des lésions professionnelles estime, après analyse de l’ensemble de la preuve, que la CSST était amplement justifiée d’agir ainsi. Alors qu’une décision reconnaît qu’il est impossible de lui déterminer un emploi qu’elle serait capable d’occuper à temps plein et qui lui accorde le droit à l’indemnité de remplacement du revenu, la travailleuse occupe à temps plein pendant de longs mois des activités qu’elle qualifie de « bénévolat ». La Commission des lésions professionnelles expliquera plus loin, pourquoi elle n’accrédite pas cette thèse et accorde peu de crédibilité aux prétentions invraisemblables de la travailleuse.
[220] Cette
dernière a manqué à son devoir, prévu à l’article
278. Un bénéficiaire doit informer sans délai la Commission de tout changement dans sa situation qui peut influer sur un droit que la présente loi lui confère ou sur le montant d'une indemnité.
________
1985, c. 6, a. 278.
[221] Dans les circonstances, il apparaît tout à fait justifié pour la CSST d’agir unilatéralement.
Emploi convenable
[222] La
notion d’emploi convenable est définie à l’article
« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion ;
[223] Afin de déterminer si un emploi constitue effectivement un emploi convenable pour un travailleur, la Commission des lésions professionnelles doit, entre autres, s’assurer du respect des limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle avec les exigences de cet emploi.
[224] En
l’espèce, la CSST n’a jamais reconsidéré ou remis en cause par tout autre
recours les limitations fonctionnelles émises le 20 février 1996 par le médecin
ayant charge, le docteur Banville. En conséquence, en vertu des articles
[225] Avant d’entreprendre cette analyse, il est utile de préciser que les prétentions quant à la capacité de la travailleuse d’occuper un travail léger ou sédentaire ne sont pertinentes puisque d’aucune façon le docteur Banville ne mentionne cette précision dans l’énoncé des limitations fonctionnelles qu’il émet :
« Madame France LEFEBVRE est porteuse d’une pathologie qui impose des limitations fonctionnelles qui se lisent comme suit; elle devra éviter :
- d’exécuter des mouvements répétitifs de flexion, d’extension ou de torsion au niveau de la colonne dorso-lombaire;
- de soulever, porter, pousser ou tirer des charges dont le poids excède 5 kilos et ce, de façon répétitive à l’intérieur d’un travail quotidien;
- d’exercer des activités en position penchée, accroupie ou instable;
- de garder la même posture plus de 20 minutes;
- de monter ou descendre des escaliers de façon constante et prolongée;
- de marcher sur des terrains accidentés ou glissants;
- de subir des vibrations ou des contrecoups à la colonne; »
[226] La preuve révèle que, dans ses tâches de chauffeure-accompagnatrice, la travailleuse exécute à plusieurs reprises des flexions et rotations du tronc, par exemple pour prendre place et sortir de son véhicule, pour boucler la ceinture de sécurité des clients, pour déposer des paquets dans le véhicule. Malgré que ces mouvements soient peu compatibles avec la condition lombaire décrite lors de l’évaluation des séquelles, ils ne sont pas exécutés de façon répétitive et ne sont donc pas incompatibles avec les limitations fonctionnelles.
[227] La tâche de retenir les chaises roulantes des clients dans une pente descendante, laquelle implique une manipulation de poids qui excède 5 kilos, est un geste qui sollicite de façon importante la musculature para-spinale, incompatible avec la condition lombaire décrite lors de l’évaluation des séquelles. Cependant, cette tâche n’est pas exécutée de façon répétitive et n’est donc pas incompatible avec les limitations fonctionnelles.
[228] Le fait que la travailleuse ait à se pencher pour l’exécution de ces tâches lorsque, par exemple, elle aide un client à s’asseoir dans l’automobile ou à monter un escalier, n’implique pas qu’elle exerce des activités en position penchée, cette expression sous-tendant un élément de durée dans la position. Les tâches mises en preuve n’impliquent pas davantage des activités en position accroupie ou instable.
[229] La travailleuse doit monter et descendre des escaliers dans l’exécution de ses tâches mais la preuve ne révèle pas qu’elle doive le faire de façon constante et prolongée. La preuve ne révèle pas qu’elle marche sur des terrains accidentés ou glissants, ni qu’elle subit des vibrations ou contrecoups à la colonne.
[230] Par contre, la conduite de son automobile dans le trafic de Montréal, à faire différents trajets entre St-Léonard, Pointe-aux-Trembles, Rosemont, Montréal-Est, totalisant un kilométrage important, au cours de longues journées, implique de garder la même posture assise plus de 20 minutes et est contraire à la limitation fonctionnelle émise par le docteur Banville.
[231] À elle seule, cette dérogation aux limitations fonctionnelles oblige à conclure que cet emploi de chauffeure-accompagnatrice ne répond pas à la définition d’emploi convenable. Par ailleurs, dans sa décision, la CSST retient aussi l’emploi de chauffeure tel que défini au CCDP et au CNP. Or, certaines des tâches énumérées sont susceptibles d’être incompatibles avec les limitations fonctionnelles, comme par exemple faire des voyages prolongés ou transporter des bagages.
[232] En conséquence de ce qui précède, il n’est pas nécessaire de statuer quant à la capacité résiduelle de la travailleuse et de disposer des requêtes formulées par le procureur de la travailleuse lors de son argumentation quant à la production du dossier hospitalier de sa cliente.
[233] L’emploi de chauffeure et/ou chauffeure-accompagnatrice ne constitue pas un emploi convenable pour la travailleuse. Toutefois, la preuve révèle de façon probante que la travailleuse a une capacité de travail et la CSST devra lui déterminer un emploi convenable.
[234] Conformément
à l’article
47. Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.
________
1985, c. 6, a. 47.
Bénévolat ou emploi
[235] La travailleuse prétend que ces activités de transport et d’accompagnement de personnes, exercées en collaboration avec madame Lussier de Transport Médical Isabella, sont des activités de bénévolat et ne relèvent pas d’un emploi rémunéré.
[236] Les
articles
13. Est considérée un travailleur, la personne qui effectue bénévolement un travail aux fins d'un établissement si son travail est fait avec l'accord de la personne qui utilise ses services et si cette dernière transmet à la Commission une déclaration sur :
1º la nature des activités exercées dans l'établissement;
2º la nature du travail effectué bénévolement;
3º le nombre de personnes qui effectuent bénévolement un travail aux fins de l'établissement ou qui sont susceptibles de le faire dans l'année civile en cours;
4º la durée moyenne du travail effectué bénévolement; et
5º la période, pendant l'année civile en cours, pour laquelle la protection accordée par la présente loi est demandée.
La présente loi, à l'exception du droit au retour au travail, s'applique aux personnes qui effectuent bénévolement un travail aux fins de cet établissement pour la période indiquée dans cette déclaration.
________
1985, c. 6, a. 13.
14. La personne qui transmet à la Commission la déclaration prévue par l'article 13 doit, sur demande de la Commission, tenir à jour une liste des travailleurs bénévoles visés par cette déclaration et les informer, au moyen d'un avis affiché dans un endroit facilement accessible de son établissement, qu'ils bénéficient, pour la période qu'elle indique, de la protection accordée par la présente loi, à l'exception du droit au retour au travail.
________
1985, c. 6, a. 14.
[237] Il s’agit des conditions d’admissibilité au régime d’indemnisation et ces dispositions sont peu utiles en l’espèce puisque la question que le tribunal doit trancher n’est pas le statut de la travailleuse aux fins de l’admissibilité d’une réclamation mais celle de savoir si les activités de transport et d’accompagnement de personnes, activités qu’elle exerce en même temps qu’elle reçoit une indemnité de remplacement du revenu, constituent un emploi plutôt que du bénévolat, ce qui est susceptible d’influer sur son droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Puisque les dispositions précitées ne définissent pas le terme « bénévolement » et que la LATMP ne définit pas davantage le terme « emploi », il est utile de référer aux dictionnaires.
[238] Le Petit Larousse illustré [9] définit le bénévolat comme la « Situation d’une personne qui accomplit un travail bénévole » et le bénévole comme celui « Qui fait qqch sans être rémunéré, sans y être tenu » alors que la rémunération est le « Prix d’un travail, d’un service rendu ».
[239] Le Dictionnaire canadien des relations de travail [10] donne les définitions suivantes : le bénévolat est un « Travail volontaire qui ne rapporte à celui qui l’effectue aucune rémunération ni avantage pécuniaire ». Au terme bénévole, l’on précise en plus que « Le travailleur bénévole n’est pas lié par un contrat de louage de services ». La rémunération est définie comme le « Prix versé à quelqu’un en nature ou en espèce pour un travail qu’il a exécuté ou pour un service qu’il a rendu. La rémunération est un terme d’une portée plus large que le salaire qui s’emploie lorsque le taux de la rémunération est convenu d’avance et que celle-ci constitue le paiement du travail fourni par l’employé. Tout salaire est une rémunération, mais non le contraire. On peut classifier les types de rémunérations sous bien des aspects. Les expressions qui suivent peuvent se regrouper selon le mode de calcul : à l’acte, au rendement, primaire; selon le mode de paiement; en nature, en espèces, forfaitaire, participatoire, brute. » La rémunération en nature « est versée sous forme de biens matériels ou autres avantages non pécuniaires ». Finalement, un emploi est le « Travail rémunéré d’une personne ».
[240] Dans la présente affaire, l’ensemble de la preuve ne permet pas d’accréditer la thèse de la travailleuse quant au caractère bénévole de ses activités.
[241] D’abord cette thèse n’est apparue qu’au stade de l’audience devant la Commission des lésions professionnelles, les déclarations recueillies par l’enquêteur de la CSST, monsieur Desjardins, auprès de la travailleuse et de madame Lussier de Transport médical Isabella, ne comportent aucune mention de ce caractère bénévole.
[242] Au contraire, la travailleuse qui connaît à cette époque des difficultés financières exerce ces activités pour s’en sortir, donc pour la rémunération. Quant à madame Lussier, elle considère alors la travailleuse comme l’une de ses chauffeurs qu’elle qualifie de travailleurs autonomes et non de bénévoles. Sans qualifier l’entité juridique qu’est Transport médical Isabella, la Commission doit tout de même constater, pour les fins de la présente, qu’aucune preuve ne démontre qu’il s’agit par exemple d’un organisme ou d’une société sans but lucratif où œuvrent des bénévoles. La preuve démontre clairement que madame Lussier tire elle-même des revenus de ces activités et que les chauffeurs reçoivent une rémunération pour leurs activités de transport et d’accompagnement.
[243] Madame Lussier vient prétendre à l’audience que, durant une certaine période du moins, la travailleuse serait bénévole, la seule d’ailleurs parmi tous ses chauffeurs. Cette histoire est invraisemblable et la Commission des lésions professionnelles n’y croit pas.
[244] Comme la Commission des lésions professionnelles ne croit pas les explications laborieuses de la travailleuse qui se dit embarquée malgré elle dans cette histoire, victime du sort. Elle prétend vouloir rendre service à madame Bélair sans toit, sans automobile pour son travail, sans compte bancaire pour recevoir sa rémunération et sans argent pour payer ses dettes. Elle prétend ensuite vouloir rendre service à madame Lussier qui a besoin d’un chauffeur et à cette fin, elle exerce des activités durant de longues heures quotidiennement, six jours/semaine. La Commission des lésions professionnelles estime plutôt que, conformément à la déclaration contemporaine de la travailleuse, cette dernière est endettée, selon son propre aveu, et tente de tirer avantage de ces situations pour s’en sortir financièrement.
[245] En effet, la preuve démontre de façon probante que ces activités de transport et d’accompagnement de personnes constituent un travail rémunéré. La travailleuse reçoit, à l’époque, une rémunération qui totalise 12 031,80 $ selon les documents comptables obtenus par monsieur Desjardins auprès de madame Lussier.
[246] La travailleuse s’adonne à ces tâches, impliquant un kilométrage important, durant de longues heures quotidiennement, à raison de six jours/semaine. Ce qui apparaît peu compatible avec du bénévolat. Madame Lussier lui verse, dans son compte bancaire, comme aux autres chauffeurs, sa rémunération calculée à partir du kilométrage effectué et en y soustrayant le montant reçu des clients en argent comptant par la travailleuse. Il s’agit-là d’une rémunération en espèces. Peu importe que la travailleuse choisisse d’utiliser en tout ou en partie cet argent pour payer les frais de location d’une automobile. Les frais excédentaires pour cette location sont assumés par madame Lussier qui « fournit » à la travailleuse une automobile non seulement à l’usage de son travail mais aussi à des fins personnelles. Il s’agit-là d’une rémunération en nature et d’un avantage non pécuniaire qui constitue de la rémunération.
[247] La
Commission des lésions professionnelles estime donc que ces activités de
transport et d’accompagnement de personnes constituent un nouvel emploi occupé par
la travailleuse au sens de l’article
52. Malgré les articles 46 à 48 et le deuxième alinéa de l'article 49, si un travailleur occupe un nouvel emploi, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il tire de son nouvel emploi.
________
1985, c. 6, a. 52.
[248] Un
« emploi » est un travail rémunéré. L’intention du législateur à l’article
[249] Le
procureur de la travailleuse soumet que le revenu d’entreprise n’est pas
couvert par l’article
[250] Tel
que précédemment conclu, la travailleuse a droit, depuis 31 juillet 1998, à
l’indemnité de remplacement du revenu, conformément à l’article
Réclamation d’un surpayé
[251] La Commission des lésions professionnelles dispose d’une preuve probante permettant de conclure que la travailleuse commence à recevoir, le 15 décembre 1997, une rémunération pour ses activités de transport et d’accompagnement de personnes. Dans sa décision datée du 11 janvier 1999, confirmée en révision administrative le 20 janvier 1999, la CSST réclame à la travailleuse un surpayé correspondant à l’indemnité de remplacement du revenu depuis cette date. Puisque, par la présente décision, la Commission des lésions professionnelles infirme la décision portant sur la détermination de l’emploi convenable et rétablit le droit de la travailleuse à l’indemnité de remplacement du revenu, ce n’est pas sans droit que l’indemnité fut reçue à compter de cette date. Le surpayé tel que réclamé dans cette décision doit être annulé.
[252] Cependant
de la même façon, pour cette période, l’article
Dossier noº133590-72-0003
[253] La travailleuse réclame auprès de la CSST pour une lésion du 20 mai 1999, soit un trouble d’adaptation développé à la suite de l’enquête faite par la CSST, de la cessation du versement de ses indemnités et de la situation financière précaire que cela entraîne. C’est en substance ce qu’explique le docteur Nowakowski dans ses deux rapports d’expertise médicale et lors de son témoignage. Le médecin précise que le trouble d’adaptation se résorbera avec le règlement des problèmes administratifs et que la condition douloureuse sous-jacente n’est pas génératrice de pathologie psychologique.
[254] En tout respect, la Commission des lésions professionnelles estime que la travailleuse invoque sa propre turpitude. Son comportement est à l’origine de ses déboires. N’eût été de ces activités de transport rémunérées, exercées à l’insu de la CSST, alors que cette dernière a reconnu qu’il est alors impossible de lui déterminer un emploi qu’elle serait capable d’exercer à temps plein, la travailleuse n’aurait vraisemblablement pas eu à vivre cette enquête et à en subir les conséquences, soit la prise des décisions qu’elle décide de contester par la suite.
[255] Les lésions psychologiques développées à la suite de tracasseries administratives ou d’agissements de la part de la CSST envers un travailleur ne sont pas indemnisables selon la jurisprudence[13] puisque ces lésions ne découlent pas directement de la lésion professionnelle reconnue.
[256] Aucune
preuve probante n’établit qu’il s’agit d’une condition psychiatrique développée
en raison de douleurs chroniques ressenties à la suite d’une lésion
professionnelle, ni en raison d’une conséquence directe d’une lésion
professionnelle. Malgré les arguments
soumis en ce sens par le procureur de la travailleuse, la preuve médicale
disponible n’appuie pas cette prétention. En dernier lieu, il invoque
l’application du premier paragraphe de l’article
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A‑25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C‑20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I‑6).
________
1985, c. 6, a. 31.
[257] Encore une fois, la Commission des lésions professionnelles constate que la preuve médicale disponible n’appuie pas cette prétention.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier noº 109869-72-9902
ACCUEILLE en partie la requête de la travailleuse du 1er février 1999;
INFIRME en partie la décision de la révision administrative du 20 janvier 1999;
DÉCLARE que la CSST était justifiée de reconsidérer sa décision du 27 mars 1998;
INFIRME la décision déterminant l’emploi convenable de chauffeure et/ou chauffeure-accompagnatrice, celle portant sur le revenu net retenu de cet emploi et sur l’absence d’indemnité réduite de remplacement du revenu;
DÉCLARE que la
travailleuse conserve une capacité de travail, que la CSST doit lui déterminer
un emploi convenable et que, depuis le 31 juillet 1998 - date où le versement
de son indemnité de remplacement du revenu fut cessé - elle a droit à
l’indemnité de remplacement du revenu, conformément à l’article
ANNULE le surpayé de 6 504,60 $ réclamé pour l’indemnité de remplacement du revenu reçue du 15 décembre 1997 au 30 juillet 1998 puisque, par la présente décision, l’emploi de chauffeure et/ou chauffeure-accompagnatrice n’est pas reconnu comme convenable et qu’en conséquence la travailleuse avait droit au versement de cette indemnité;
DÉCLARE
cependant que l’article
Dossier noº 133590-72-0003
REJETTE la requête de la travailleuse du 8 mars 2000;
CONFIRME la décision de la révision administrative du 29 février 2000 refusant sa réclamation pour récidive, rechute ou aggravation du 20 mai 1999, comportant un diagnostic de trouble d’adaptation.
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Me Lina Crochetière |
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Commissaire |
Me Sylvain Lamarche
9000, rue Lionel-Groulx
Saint-Léonard (QUÉBEC)
H1R 3K9
Représentant de la partie
requérante
PANNETON LESSARD (MTL - 3)
Me Pierre Arguin
1199, rue De Bleury
Montréal (QUÉBEC)
H3B 3J1
Représentant de la partie
intervenante
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2]
[3]
[4]
[5]
[6] L.R.Q., c.C-12.
[7] L.Q. 1991, c. 64.
[8] L.Q. 1996, c. 54.
[9] Le petit Larousse illustré, Paris, Librairie Larousse, HER 1999.
[10] DION, Gérard, Dictionnaire canadien des relations de travail, 2e
édition, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 1986.
[11]
Dubé et Produits American Bilbrite Canada ltée, C.L.P.E. 99 LP-81.
[12]
Gariépy et Canadien Pacifique
[13] Petit et Société canadienne des Postes
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