Décision

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Commissaire à la déontologie policière c. Gauthier

2015 QCCDP 57

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION ET DE NON-DIFFUSION

 

COMITÉ DE DÉONTOLOGIE POLICIÈRE

MONTRÉAL

DOSSIERS :

C-2014-4009-3  (14-0006-1, 14-0008-1, 14-0010-1, 14-0012-1, 14 - 0014-1, 14-0016-1, 14-0018-1, 14-0020-1, 14-0050-1)

C-2014-4010-3  (14-0050-2)

LE 19 OCTOBRE 2015

SOUS LA PRÉSIDENCE DE Me PIERRE GAGNÉ

le commissaire à la déontologie policière

c.

L’agent PIERRE-LUC GAUTHIER, matricule 5726

L’agent VINCENT MARCOTTE, matricule 6661

Membres du Service de police de la Ville de Montréal

DÉCISION SUR SANCTION

 

[1]           Le 22 juillet 2015, le Comité de déontologie policière (Comité) rend une décision sur le fond dans le présent dossier et statue :

« C-2014-4009-3

[...]

Chef 2

[156]   QUE l’agent PIERRE-LUC GAUTHIER, matricule 5726, membre du Service de police de la Ville de Montréal, le 2 janvier 2014, à Montréal, ne s’est pas comporté de manière à préserver la confiance et la considération que requièrent ses fonctions à l’égard de M. F.P. en lui manquant de respect ou de politesse et que, en conséquence, sa conduite constitue un acte dérogatoire à l’article 5 du Code de déontologie des policiers du Québec;

[...]

Chef 4

[158]   QUE l’agent PIERRE-LUC GAUTHIER, matricule 5726, membre du Service de police de la Ville de Montréal, le 2 janvier 2014, à Montréal, a abusé de son autorité à l’égard de M. F.P. en l’intimidant et que, en conséquence, sa conduite constitue un acte dérogatoire à l’article 6 du Code de déontologie des policiers du Québec;

[...]

C-2014-4010-3

[...]

Chef 3

[162]   QUE l’agent VINCENT MARCOTTE, matricule 6661, membre du Service de police de la Ville de Montréal, le 2 janvier 2014, à Montréal, n’a pas respecté l’autorité de la loi à l’égard de M. F.P. en n’intervenant pas face aux manquements déontologiques de l’agent Pierre-Luc Gauthier, matricule 5726, et que, en conséquence, sa conduite constitue un acte dérogatoire à l’article 7 du Code de déontologie des policiers du Québec. »

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION ET DE NON-DIFFUSION

[2]           Dans sa décision du 22 juillet 2015, conformément à l’article 229 de la Loi sur la police[1] (Loi), le Comité a ordonné que le nom de la personne visée par l’intervention ne fasse l’objet d’aucune publication ou diffusion et qu’aucune information permettant de l’identifier ne soit divulguée de quelque façon que ce soit.

[3]           De plus, le Comité a ordonné que les pièces C-13 et C-14 soient mises sous scellés et que la pièce C-22 soit caviardée afin de garder confidentielles des informations nominatives de proches de M. F.P.

RAPPEL DES FAITS

[4]           Le 2 janvier 2014, vers 15 h, un citoyen, M. Adis Simidzija, est témoin d’une intervention policière aux abords de la station de métro Jean-Talon à Montréal.

[5]           Il remarque un policier qui parle à une personne, soit M. F.P. Ce dernier semble être en situation d’itinérance.

[6]           Son attention est attirée par le fait que M. F.P. n’est pas habillé convenablement pour la période de l’année. En effet, il est vêtu d’un bermuda et d’un t-shirt.

[7]           Pourtant, ce jour-là, il règne un froid glacial puisque, selon les relevés des stations d’Environnement Canada, à 15 h, il fait - 24,9 oC avec un refroidissement éolien de - 37 oC à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau et - 25,7 oC avec un refroidissement éolien de - 40 oC à l’aéroport de Saint-Hubert.

[8]           M. Simidzija entend le policier, l’agent Pierre-Luc Gauthier, dire à M. F.P. que ce n’est pas bien de demander de l’argent aux gens qui travaillent. Pendant ce temps, l’autre policier, l’agent Vincent Marcotte, est assis dans la voiture de patrouille du côté passager.

[9]           Le policier continue en mentionnant à M. F.P. que, s’il persiste, il va l’attacher à un poteau pendant une heure pour lui faire comprendre.

[10]        M. Simidzija interpelle le policier pour lui demander s’il n’est pas possible de faire son intervention à l’intérieur. Au même moment, une dame s’arrête un peu en retrait de la scène.

[11]        L’agent Gauthier répond à M. Simidzija qu’il s’agit d’une intervention policière et il lui demande de circuler.

[12]        M. Simidzija recule, sort son téléphone cellulaire et filme la scène.

[13]        Pendant qu’il filme, M. Simidzija entend l’agent Gauthier répéter à M. F.P. qu’il l’attachera à un poteau s’il n’arrête pas de mendier.

[14]        M. Simidzija affirme que l’agent Marcotte, à bord de la voiture de patrouille, riait de la scène.

[15]        L’agent Marcotte lui demande d’arrêter de filmer, ce qu’il fait.

[16]        Peu après, les agents Gauthier et Marcotte quittent les lieux.

[17]        La dame et M. F.P. rentrent dans l’édicule du métro, suivis par M. Simidzija.

[18]       M. Simidzija lui donne quelques vêtements qu’il avait dans son sac.

[19]       Le Comité en est venu à la conclusion que l’agent Gauthier ne s’était pas comporté de manière à préserver la confiance et la considération que requièrent ses fonctions en manquant de respect ou de politesse à l’égard de M. F.P.

[20]       Le Comité a également conclu que l’agent Gauthier avait abusé de son autorité en intimidant M. F.P.

[21]       Le Comité a finalement conclu que l’agent Marcotte n’avait pas respecté l’autorité de la loi à l’égard de M. F.P. en n’intervenant pas face aux manquements déontologiques de l’agent Gauthier.

ARGUMENTATION DES PARTIES

[22]       Le procureur des policiers produit des appréciations de rendement pour les agents Gauthier et Marcotte[2].

[23]       D’autre part, il est admis que les agents Gauthier et Marcotte n’ont pas d’antécédents déontologiques.

[24]       La procureure du Commissaire souligne que, au moment des faits, l’agent Gauthier était un policier de plus de neuf ans d’expérience et que l’agent Marcotte était  un policier de plus de cinq ans d’expérience.

[25]       Elle rappelle que l’agent Gauthier a manqué de respect et a intimidé M. F.P., une personne en situation d’itinérance au moment des événements. Elle affirme que la société doit protéger ses éléments les plus faibles et que l’attitude des agents Gauthier et Marcotte à l’endroit de M. F.P. constitue un facteur aggravant dans les circonstances.

[26]       Elle ajoute que le comportement des agents Gauthier et Marcotte a gravement déconsidéré la fonction policière. Enfin, elle mentionne qu’il a fallu l’intervention du directeur Marc Parent et du Service de police de la Ville de Montréal pour retrouver M. F.P.

[27]       Pour ces raisons, elle suggère au Comité l’imposition d’une suspension sans traitement de dix jours sur chacun des chefs, le tout à être purgé concurremment.

[28]       À l’appui de ses prétentions, elle soumet une série de décisions du Comité[3].

[29]       Pour sa part, le procureur des policiers est d’avis que la proposition du Commissaire ne s’appuie pas sur la jurisprudence du Comité.

[30]       Plus précisément, il rappelle que dans les cas de manque de respect, les sanctions imposées par le Comité sont généralement de un ou de deux jours de suspension sans traitement.

[31]       Les sanctions imposées par le Comité pour les cas d’intimidation sont du même ordre, soit de un ou de deux jours de suspension.

[32]       Quant au présent dossier, il plaide qu’il est important de retenir que les propos de l’agent Gauthier n’étaient pas destinés à humilier M. F.P. Il a utilisé un stratagème maladroit certes, mais il n’était pas animé par de la malice.

[33]       Quant à l’omission d’intervenir de l’agent Marcotte, il précise que les événements se sont déroulés rapidement, de sorte qu’il était difficile pour celui-ci d’intervenir. À tout événement, la gravité de l’inconduite se situe au bas de l’échelle.

[34]       Il propose donc d’imposer de façon concurrente à l’agent Gauthier un ou deux jours de suspension sans traitement et d’imposer un blâme ou un avertissement à l’agent Marcotte.

[35]       Il réfère le Comité à une série de décisions à l’appui de ses prétentions[4].

MOTIFS DE LA DÉCISION

[36]       Les dispositions de l’article 235 de la Loi précisent que, au moment de la détermination de la sanction, le Comité doit prendre en considération la gravité de l’inconduite, compte tenu de toutes les circonstances, ainsi que la teneur du dossier de déontologie des policiers.

[37]       Dans son rôle de gardien du respect des normes et des conduites prescrites à l’ensemble des policiers du Québec que lui a confié le législateur, il incombe au Comité de tenir compte de l’objectif premier mentionné à l’article 3 du Code de déontologie des policiers du Québec[5] (Code). L’article 3 du Code se lit comme suit :

« Le présent Code vise à assurer une meilleure protection des citoyens et citoyennes en développant au sein des services policiers des normes élevées de services à la population et de conscience professionnelle dans le respect des droits et libertés de la personne dont ceux inscrits dans la Charte des droits et libertés de la personne. »

[38]       C’est donc à la lumière de cet objectif que le Comité évaluera la justesse et le caractère raisonnable de la sanction qu’il doit imposer aux policiers dans le présent dossier.

[39]       De plus, la sanction doit répondre aux critères de dissuasion et d’exemplarité et s’harmoniser avec la jurisprudence.

[40]       En somme, la sanction doit être juste, appropriée et proportionnée à la faute[6].

[41]        En l’espèce, les policiers n’ont pas d’antécédents déontologiques.

C-2014-4009-3

Chef 2 - Manque de respect

[42]       Le Comité rappelle que le policier doit en tout temps faire preuve de courtoisie et de réserve à l’endroit d’un citoyen qu’il côtoie alors qu’il est dans l’exercice de ses fonctions et être en pleine maîtrise de soi, à plus forte raison lorsque le citoyen est une personne vulnérable.

[43]       Le Comité est d’avis que la teneur des propos de l’agent Gauthier, un policier de neuf ans d’expérience, est inadmissible, déplacée, inacceptable et de nature à jeter un sérieux discrédit sur la fonction policière.

[44]       Cependant, la preuve n’a pas démontré que l’agent était animé par la malice.

[45]       L’inconduite commise dans le présent dossier milite en faveur d’une suspension comme sanction.

[46]       Toutefois, pour les raisons ci-haut mentionnées, le Comité est d’avis que la recommandation du Commissaire d’imposer une suspension de dix jours est trop sévère et qu’une suspension de deux jours ouvrables sans traitement est une sanction juste, appropriée et proportionnée.

Chef 4 - Intimidation

[47]       Le Comité rappelle les paragraphes 124 et 125 de sa décision du 22 juillet 2015 :

« [124] Pour le Comité, les propos visaient à inspirer de la crainte et de la peur chez M. F.P. pour qu’il arrête de quêter dans le métro.

[125] Dans le présent dossier, le Comité considère que les propos de l’agent Gauthier étaient nettement excessifs et inappropriés et constituent un abus d’autorité. Il sera donc fait droit à ce chef de la citation. »

[48]       Les sanctions imposées par le Comité dans des cas d’intimidation sont en majeure partie de l’ordre d’une suspension sans traitement de quelques jours.

[49]       Après avoir considéré la gravité de l’inconduite, la jurisprudence soumise par les parties et l’absence de dossier déontologique, le Comité est d’avis qu’une suspension sans traitement de deux jours ouvrables est juste et appropriée. De plus, la présente sanction sera purgée concurremment à celle imposée pour le chef 2.

C-2014-4010-3

Chef 3 - Ne pas être intervenu

[50]       Dans sa décision au fond, le Comité souligne que pour l’agent Marcotte les propos de l’agent Gauthier n’étaient pas inadéquats et qu’il avait avalisé la conduite de ce dernier alors qu’il avait le devoir d’intervenir et qu’il ne l’a pas fait.

[51]       L’omission de l’agent Marcotte est donc à l’opposé de la norme de conduite exigeant des policiers qu’ils se comportent de manière à respecter l’autorité de la loi et des tribunaux et qu’ils collaborent à l’administration de la justice. De plus, elle dénote une absence de conscience professionnelle impardonnable de la part d’un policier comptant plus de cinq ans d’expérience au moment des événements.

[52]       Par ailleurs, le Comité constate, comme l’a souligné le procureur des policiers, que les événements se sont déroulés rapidement et qu’il ne pouvait évidemment pas intervenir avant que l’agent Gauthier ait prononcé les paroles qui lui sont reprochées.

[53]       Toutefois, il aurait été loisible à l’agent Marcotte de modérer, même après coup, l’impétuosité de l’agent Gauthier à l’égard de M. F.P., ce qu’il n’a pas fait. Il a même plutôt ri au moment où l’agent Gauthier a tenu ces propos.

[54]       Pour ces raisons, le Comité est d’avis qu’une suspension sans traitement d’un jour ouvrable constitue une sanction juste, appropriée et proportionnée dans les circonstances.

SANCTIONS

[55]       POUR CES MOTIFS, après avoir pris en considération la gravité des inconduites, la teneur des dossiers de déontologie ainsi que l’argumentation des parties, le Comité IMPOSE les sanctions suivantes :

C-2014-4009-3

Chef 2

[56]        À l’agent PIERRE-LUC GAUTHIER, matricule 5726, membre du Service de police de la Ville de Montréal :

[57]        une suspension sans traitement de deux jours ouvrables de huit heures pour avoir dérogé à l’article 5 du Code de déontologie des policiers du Québec, en manquant de respect ou de politesse à l’égard de M. F.P.;

Chef 4

[58]        une suspension sans traitement de deux jours ouvrables de huit heures à être purgée concurremment pour avoir dérogé à l’article 6 du Code de déontologie des policiers du Québec, en intimidant M. F.P.

C-2014-4010-3

Chef 3

[59]        À l’agent VINCENT MARCOTTE, matricule 6661, membre du Service de police de la Ville de Montréal :

[60]        une suspension sans traitement d’un jour ouvrable de huit heures pour avoir dérogé à l’article 7 du Code de déontologie des policiers du Québec, en n’intervenant pas face aux manquements déontologiques de l’agent Pierre-Luc Gauthier, matricule 5726.

 

Pierre Gagné, avocat

Me Christiane Mathieu

 

Procureure du Commissaire

 

Me Pierre E. Dupras

 

Procureur de la partie policière

 

Lieu de l’audience :    Montréal

 

Date de l’audience :   2 octobre 2015

 



[1]       RLRQ, c. P-13.1.

[2]       Pièces SP-1 (Gauthier) et SP-2 (Marcotte).

[3]       Commissaire c. Lapointe, 2001 CanLII 27881 (QC CDP); Commissaire c. Bilodeau, C.D.P., C-94-1412-1, 15 novembre 1995; Commissaire c. Langlais, 2013 QCCDP 3; Commissaire c. Gagnon, 2008 CanLII 29837 (QC CDP); Commissaire c. Marenger, 2010 CanLII 6395 (QC CDP); Commissaire c. Plante, C.D.P., C-92-1207-2, 30 septembre 1993; Commissaire c. Martin, C.D.P., C-92-1170-2, 9 novembre 1993; Commissaire c. Masson, C.D.P., C-93-1247-2, 18 mars 1994; Commissaire c. Girard, C.D.P., C-94-1428-2, 12 juin 1995; Commissaire c. Girard, C.D.P., C-94-1507-2, 24 mars 1997; Commissaire c. St-Germain, C.D.P., C-97-2307-2, 11 septembre 1998; Commissaire c. Delsame, 2004 CanLII 59920 (QC CDP); Commissaire c. Duquette, 2003 CanLII 57307 (QC CDP); Commissaire c. Franco, 2008 CanLII 6717 (QC CDP); Commissaire c. Guèvremont, 2010 CanLII 51378 (QC CDP); Commissaire c. Guénette, 2013 QCCDP 8; Commissaire c. Locas, 2015 QCCDP 23; Commissaire c. De Cuyper, C.D.P., C-95-1746-1, 26 septembre 1996; Commissaire c. Lepage, C.D.P., C-98-2678-2, 21 juillet 2000; Commissaire c. Archambault, C.D.P., C-99-2806-1, 31 mai 2001; Commissaire c. Boulay, 2007 CanLII 82493 (QC CDP); Commissaire c. Dextradeur, 2014 QCCDP 17 et Commissaire c. Mayrand, 2014 QCCDP 53.

 

[4]       Commissaire c. Labbé, 2005 CanLII 59877 (QC CDP); Commissaire c. Meunier, 2002 CanLII 49278 (QC CDP); Commissaire c. Martineau, 2000 CanLII 22196 (QC CDP); Commissaire c. Bonneau, 2000 CanLII 22239 (QC CDP); Commissaire c. Labrèche, 2005 CanLII 59874 (QC CDP); Commissaire c. Hovington, 2009 CanLII 22044 (QC CDP); Commissaire c. Tulliani, 2009 CanLII 57597 (QC CDP); Commissaire c. Audette, 2006 CanLII 81638 (QC CDP); Commissaire c. Éthier, 2006 CanLII 81648 (QC CDP); Commissaire c. Locas, 2015 QCCDP 23; Commissaire c. Bigras, 2002 CanLII 49247 (QC CDP); Champagne c. Simard, 2013 QCCQ 1412; Commissaire c. Champagne, 2012 CanLII 11052 (QC CDP) et Commissaire c. Jérémie, 2014 QCCDP 45.

[5]       RLRQ, c. P-13.1, r. 1.

[6]       Commissaire c. Bonneau, précitée note 4, p. 6.

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