MISE EN GARDE : Une ordonnance de non-publication s’applique au présent dossier, interdisant la diffusion de toute information susceptible d’identifier les victimes au dossier.
[1] La requérante souhaite se pourvoir en appel d’un jugement de la Cour du Québec, district de Bedford, du 20 février 2020 (l’honorable Érick Vanchestein)[1], lequel condamne l’intimé à une peine de 22 mois d’emprisonnement, une période de probation de trois ans ainsi qu’à certaines autres ordonnances particulières. Sa requête pour permission d’appeler a été déférée à la formation.
[2] La Cour est également saisie de la question de la recevabilité d’une preuve nouvelle de la requérante dont le dépôt a été antérieurement autorisé par la Cour[2].
* * *
[3] L’intimé et J… S… (« la plaignante ») ont formé un couple pendant six ans. De leur union naissent X, le [...] 2015, et Y, le [...] 2018. La violence à l’endroit de la plaignante commence environ un mois après le début de leur relation, en juin 2014.
[4] Le 2 juillet 2018, alors qu’il est en liberté sous condition pour un autre dossier, l’intimé se livre à des voies de fait à l’endroit de la plaignante en utilisant un bâton de baseball et en lui proférant des menaces de mort. À cette occasion, il menace également d’endommager son véhicule automobile et de tuer ses animaux de compagnie. De même, il conduit un véhicule avec les facultés affaiblies alors que X, son fils de trois ans, se trouve sur la banquette arrière non attaché.
[5] L’intimé comparait le 3 juillet 2018 pour six chefs d’accusation découlant de ces évènements et demeure détenu jusqu’au 28 septembre 2018, date où il obtient une mise en liberté sous condition (dossier 460-01-034272-181, ci-après « 34272 »).
[6] Le 6 mai 2019, brisant ses engagements, l’intimé consomme de l’alcool en compagnie de la plaignante et menace de la frapper. Il comparait le 7 mai 2019 pour des chefs d’accusation de bris de conditions (dossier 460-01-035533-193, ci-après « 35533 ») ainsi que de menace et de vol (dossier 460-01-035535-198, ci-après « 35535 »). Il demeure détenu par la suite.
[7] Le 9 mai 2019, lors d’un interrogatoire vidéo, la plaignante fait état de la violence, de la consommation et des insultes qui affligent la vie familiale. Au total, elle relate six évènements de violence la concernant et deux concernant leur fils X, qui se seraient déroulés entre le 1er juin 2014 et le 6 mai 2019.
[8] Ces évènements font l’objet de deux dénonciations pour lesquelles l’intimé comparait le 21 mai 2019 pour trois chefs d’accusation de bris de conditions (dossier 460-01-035571-193, ci-après « 35571 »), trois chefs de voies de fait et un chef d’harcèlement (dossier 460-01-035572-191, ci-après « 35572 »).
[9] Le 13 décembre 2019, le tribunal déclare l’intimé coupable de tous les chefs dans le dossier 34272 dans le cadre duquel, au moment du procès, celui-ci admettait les faits et ne contestait plus que le chef 4 sur une question de droit.
[10] Le 23 janvier 2020, un jugement sur culpabilité est rendu dans tous les autres dossiers. À cette occasion, les parties s’entendent sur une liste d’admissions sur les faits. En conséquence de celle-ci, le seul chef d’accusation pour lequel l’intimé ne plaide pas coupable ou qui ne fait pas l’objet d’un arrêt conditionnel est celui de vol de véhicule (dossier 35535). L’intimé en est acquitté.
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[11] Au moment de l’audience sur la sentence, le ministère public demande une peine d’emprisonnement de 50 mois réduite à 43 mois afin de tenir compte du principe de proportionnalité et de totalité de la peine. L’intimé, quant à lui, suggère une peine correspondant à la détention préventive, soit 19 mois.
[12] Dans son jugement, le juge de première instance constate l’ampleur de l’agressivité déployée par l’intimé à l’égard de la plaignante de même que l’importance de l’impact qu’ont eu sur elle les divers évènements dont elle demeure traumatisée. Le juge note également que le rapport présentenciel n’est pas très positif. Selon celui-ci, l’intimé se positionne en victime et reconnait difficilement ses torts. Le pronostic n’est donc pas très favorable et le risque de récidive est présent. Lors de son témoignage, l’intimé admet avoir une « tête de cochon », mais dit vouloir changer. Sur ce point, le juge note le fait qu’il a facilité la résolution du litige matrimonial relativement à la garde des enfants.
[13] Comme facteurs atténuants, le juge retient les plaidoyers de culpabilité de l’intimé de même que son admission des faits, le support familial sur lequel il peut compter ainsi qu’une amorce de prise de conscience. Quant aux facteurs aggravants, il note d’abord le contexte familial de la violence pour lequel le Code criminel impose au tribunal d’accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. Le juge prend ensuite en compte le nombre d’évènements, qu’il tempère toutefois par le fait que les accusations ont été regroupées dans le chef 1 du dossier 35572 et qu’il y a eu un délai de cinq ans entre certains évènements et la mise en accusation. Enfin, le juge considère les multiples bris d’engagement.
[14] Quant aux objectifs à privilégier, le juge note celui de la dénonciation. Pour ce qui est de la dissuasion, il propose que la détention préventive a eu l’effet escompté. Le juge est d’avis que l’intimé n’est pas « irrécupérable » et qu’il faut donc considérer l’objectif de réinsertion sociale et de réparation des torts.
[15] Le juge conclut donc à une peine globale de 22 mois construite autour de deux blocs distincts, un premier pour les évènements du 2 juillet 2018 et un second pour les autres. Voici donc la ventilation de la peine :
Pour le premier bloc, soit le dossier 34272, une peine totale de 12 mois :
- Chef 4 (voie de fait armée, culpabilité) : peine de huit mois d’emprisonnement;
- Chefs 1, 2, 3 (menace, culpabilité) : peines concurrentes de trois mois d’emprisonnement;
- Chef 5 (facultés affaiblies) : peine consécutive de quatre mois d’emprisonnement;
- Chef 6 (conduite-interdiction, culpabilité) : peine de quatre mois d’emprisonnement concurrente au chef 5;
Pour le second bloc, soit celui concernant les autres évènements, une peine totale de 10 mois :
Dossier 35572
- Chef 1 (voie de fait à l’égard de la plaignante, plaidoyer de culpabilité) : peine de 10 mois d’emprisonnement consécutifs au dossier 34272;
- Chef 2 (voie de fait armée, arrêt conditionnel des procédures);
- Chef 3 (harcèlement criminel, arrêt conditionnel des procédures);
- Chef 4 (voie de fait simple à l’égard de X, plaidoyer de culpabilité) : peine concurrente de deux mois d’emprisonnement;
Dossier 35535
- Chef 1 (menace de mort, plaidoyer de culpabilité) : peine concurrente de quatre mois d’emprisonnement;
- Chef 2 (vol d’un véhicule à moteur, acquittement);
Dossier 35571
- Chef 1 (bris d’engagement, arrêt conditionnel des procédures);
- Chefs 2 et 3 (bris d’engagement, plaidoyer de culpabilité) : deux peines de trois mois d’emprisonnement concurrentes entre elles et au dossier 34272;
Dossier 35533
- Chef 1 (bris d’engagement, plaidoyer de culpabilité) : peine d’un mois d’emprisonnement concurrente au dossier 34272;
Soit pour un total de 22 mois, de laquelle le juge retranche les 19 mois de détention préventive.
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[16] Il convient d’abord de trancher la requête pour preuve nouvelle.
[17] Le ministère public demande de produire au dossier de la Cour un jugement de la Cour du Québec du 25 février 2021, lequel condamne l’intimé à une peine globale de 36 mois pour différents chefs d’accusation de menaces de mort à l’égard de la plaignante, de bris de conditions, d’évasion d’une garde légale et de consommation d’alcool. Les faits à l’origine de ces chefs d’accusations ont eu lieu entre le 1er avril et le 7 mai 2020, alors que l’intimé sortait tout juste de prison. Pour le ministère public, ces évènements postérieurs sont pertinents afin d’évaluer la justesse de la peine en appel, dans la mesure où elle établit que la consommation et le comportement violent de l’intimé sont des habitudes ancrées, que la rédactrice du rapport présentenciel avait vu juste quant au risque de récidive et que le juge a surévalué la potentialité de réhabilitation.
[18] Bien que la Cour suprême reconnaisse une plus grande souplesse de la preuve en matière de sentence, elle établit, dans l’arrêt Lévesque[3], que l’admissibilité d’une preuve nouvelle en cette matière doit procéder par le test posé dans l’arrêt Palmer[4], lequel repose sur la diligence de la partie qui l’invoque ainsi que sur la pertinence, la crédibilité et l’incidence de la preuve sur le résultat.
[19] En l’espèce, la preuve recherchée porte sur des faits postérieurs au jugement entrepris. Si cette caractéristique évacue la question de la diligence raisonnable dans la cueillette de la preuve, elle soulève toutefois un autre type de difficulté qui met sous tension des valeurs opposées : d’une part, la nécessité de prendre en compte la réalité au moment où l’appel est tranché ; d’autre part, celle du caractère définitif des jugements[5]. Comme le rappelait la Cour suprême, il est impossible en ce domaine de formuler des règles absolues ou définitives et tout repose sur une appréciation contextuelle[6].
[20] C’est ainsi que la Cour suprême a pu, dans l’affaire Lacasse[7], conclure à l’admissibilité d’une preuve de deux bris d’engagements antérieurs au jugement sur la peine, mais dont le plaidoyer de culpabilité lui était postérieur. Pour les juges majoritaires de la Cour suprême, cette preuve était pertinente en ce qu’elle témoignait d’un manque de respect à l’endroit des ordonnances des tribunaux[8] et qu’elle était déterminante dans la mesure où elle aurait pu influencer le poids à donner au rapport présentenciel[9].
[21] Ces enseignements s’arriment bien au présent dossier en ce que le ministère public souhaite produire la nouvelle preuve afin d’évaluer l’exactitude des conclusions du rapport présentenciel et la justesse de l’utilisation qu’en fait le juge, de même que de mettre dans une perspective juste et bien ancrée dans la réalité d’aujourd’hui les expectatives que le juge avait dans la réhabilitation de l’intimé.
[22] Notre dossier se présente toutefois sous un angle légèrement différent. Dans l’affaire Lacasse, il s’agissait de prendre en compte un dossier pendant, c’est-à-dire dont les faits étaient antérieurs au jugement sur la peine, mais dont le plaidoyer de culpabilité était postérieur à celui-ci[10]. Alors qu’ici, la requérante invite la Cour à considérer des faits qui, eux-mêmes, ne s’étaient pas encore produits lors du jugement entrepris. Si cette nuance semble avoir convaincu la Cour d’appel de la Saskatchewan de rejeter une requête pour preuve nouvelle visant des bris de conditions postérieurs au jugement entrepris[11], elle ne semble pas, au contraire, avoir empêché la Cour d’appel de l’Ontario de le faire[12].
[23] À cela s’ajoute que les faits postérieurs visés par la présente requête ont fait l’objet d’accusations et ont été sanctionnés au terme d’un jugement où il est pris explicitement en compte les multiples récidives de l’intimé. Il importe donc de s’assurer que cette preuve nouvelle n’ait pas pour effet de punir l’intimé deux fois pour les mêmes actes.
[24] En définitive il n’est pas nécessaire, en l’espèce, de trancher la question, car la preuve nouvelle recherchée n’a aucune incidence sur le résultat, la lecture des motifs et l’évaluation des éléments que le juge avait devant lui étant suffisants pour que la Cour puisse trancher la question.
[25] Pour ces motifs, la requête pour preuve nouvelle sera rejetée.
***
[26] Qu’en est-il maintenant du fond de l’appel?
[27] Dans sa requête pour permission d’appeler, la requérante soulève quatre moyens d’appel : 1) le juge commet une erreur de principe lorsqu’il qualifie certaines peines de concurrentes plutôt que consécutives; 2) le juge commet une erreur de principe lorsqu’il tempère le caractère aggravant de la répétition d’infractions de violence en raison du délai entre la commission de celles-ci et leur dénonciation; 3) le juge commet une erreur de principe lorsqu’il insiste indûment sur les objectifs de réhabilitation et de réinsertion sociale au détriment de ceux de dissuasion générale et spécifique prépondérants en matière de violence conjugale; et 4) le juge rend une peine manifestement non indiquée.
[28] Dans son exposé, la requérante réunit ces quatre moyens sous deux questions. Abordons-les successivement.
1) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur de principe en imposant certaines peines de manière concurrente plutôt que consécutive?
[29] Quant à ce premier moyen, la requérante fait valoir que le juge s’écarte des enseignements de l’arrêt Guerrero Silva[13] selon lesquels les crimes constituant des transactions distinctes doivent entrainer, en principe, des peines consécutives sous réserve des principes de la totalité et de la proportionnalité des peines. De même, toujours selon la requérante, le juge ne suit pas la méthode suggérée dans cet arrêt, comme dans celui rendu dans l’affaire Desjardins[14], rendant sa décision inintelligible dans la mesure où l’on ne peut pas savoir s’il conclut que les peines sont concurrentes par nature ou s’il les rend telles au motif des principes de la totalité et de la proportionnalité de la peine.
[30] La requérante ajoute que, sans égard à l’intelligibilité de la décision, la qualification des peines pour les voies de fait envers X et les bris de conditions constituent en soi une erreur de principe. En effet, quant aux voies de fait, le juge omet ainsi, tout à la fois, les enseignements de l’arrêt Friesen selon lesquels des infractions distinctes doivent en principe donner lieu à des peines consécutives[15], le fait que la violence sur un mineur constitue un fait aggravant selon l’alinéa 718.2a)ii.1) du Code criminel et que ces voies de fait ont été commises, alors que l’intimé était en bris de conditions. Quant à ces derniers, il s’agit d’évènements postérieurs visant la protection d’intérêts sociaux distincts.
[31] La norme d’intervention en appel relativement à la qualification d’une peine comme concurrente ou consécutive est élevée. Notre Cour doit faire preuve à l’égard de celle-ci de la même déférence que pour la détermination de la peine elle-même[16] et n’intervenir qu’exceptionnellement[17].
[32] En l’espèce, la requérante a raison de faire valoir que la méthode utilisée par le juge n’est pas à l’abri de tout reproche et qu’il est difficile de connaitre les motifs exacts pour lesquels il prononce des peines concurrentes pour les voies de fait à l’égard de X et pour les bris de conditions. Même s’il est vrai que la méthode proposée dans l’affaire Guerrero Silva ne constitue pas une formule sacrée dont la violation emporte une erreur de principe automatiquement révisable, un juge pouvant légitimement partir son raisonnement en fixant la peine globale[18], il demeure que la difficulté de saisir précisément son raisonnement peut diminuer d’autant la déférence dont notre Cour doit faire preuve à son égard[19].
[33] C’est le cas ici.
[34] Certes, le juge précise pour chaque chef si la peine est concurrente ou consécutive, mais il ne s’explique pas quant aux raisons qui le motivent à rendre concurrentes les peines pour les voies de fait à l’égard de X et pour les bris de conditions. Même si la référence à la globalité de la peine peut laisser penser qu’il s’agit d’une réduction de la peine à la fin du processus, le juge ne s’explique pas plus sur ce qui rendait cela nécessaire, si tel était bien le cas. Or, à l’analyse, une telle conclusion est difficilement justifiable.
[35] En ce qui concerne d’abord les voies de fait à l’égard de X, contrairement à ce que soutient l’intimé lorsqu’il fait valoir, de manière vague, que « les gestes s’entrecoupent dans le temps », il s’agit là d’évènements distincts qui, de surcroit, impliquent une autre victime. Si on ajoute à cela que la victime est un enfant, soit une personne particulièrement vulnérable, de même que les enseignements de l’arrêt Friesen, l’on ne peut que conclure qu’il s’agit ici de transactions criminelles différentes et qu’il existait un facteur aggravant au sens de l’arrêt Guerrero-Silva[20]. Rien ne justifiait d’écarter le principe des peines consécutives dans un tel contexte. Il y a donc lieu d’intervenir.
[36] Il en va de même pour les bris de conditions qui, toujours selon les principes de l’arrêt Guerrero Silva, visent la protection d’intérêts sociétaux différents des infractions de voie de fait ou de menaces. Il est vrai que l’un de ces chefs concerne le fait d’avoir violé une interdiction de consommer de l’alcool. À cela, l’intimé fait valoir sa problématique à ce niveau et invoque les enseignements de l’arrêt Zora[21]. Il demeure que l’autre chef pour bris de condition repose sur le fait que l’intimé a communiqué avec la victime, ce qui lui était interdit. En prenant en compte les bris répétitifs de conditions antérieurs et postérieurs au jugement entrepris, le contexte de violence familiale, les récidives multiples et le maintien par l’intimé d’un climat de crainte et de contrôle, le juge se devait ici, aussi, de conclure au caractère consécutif de la peine.
2) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur de principe en diminuant le caractère aggravant de la répétition des infractions de violence en raison du délai entre la commission des infractions et leur dénonciation?
[37] Au soutien de ce second moyen d’appel, le ministère public fait valoir de nombreux arguments, notamment que le juge a surévalué les chances de réhabilitation de l’intimé compte tenu de ses antécédents, de son caractère violent et agressif, du fait que certains crimes ont été commis en violation d’engagements ou encore du rapport présentenciel peu favorable. Pour la requérante, la présence de ces erreurs empêche le jugement de dénoncer suffisamment le caractère inacceptable de la violence conjugale.
[38] De manière plus ciblée, la requérante relève une phrase spécifique du jugement entrepris qu’il convient de reproduire : « De plus, le nombre d'évènements, [comme facteur aggravant] mais, à ce sujet, c'est tempéré par le fait que les accusations ont été regroupées et que les évènements sont sortis en 2019 et qu'il n'a pas pu y avoir d'intervention auparavant »[22]. Selon elle, cette phrase contient deux erreurs de droit.
[39] Elle a raison.
[40] D’abord, le juge ne pouvait pas prendre en compte le fait que l’acte d’accusation réunissait, sous un seul chef, plusieurs évènements distincts. Voici ce que la Cour suprême écrivait dans l’arrêt Friesen dans le cadre de crimes sexuels envers des enfants[23] :
[132] Il faut accorder du poids à la durée et à la fréquence de la violence sexuelle lors de la détermination de la peine. Les juges ne doivent pas réduire la peine au motif que la fréquence ou la durée des agressions démontre que le délinquant ne peut se maîtriser (R. c. Stuckless (1998), 41 O.R. (3d) 103 (C.A.), p. 120 (« Stuckless (1998) »); Bauman, p. 365). La cour ne doit pas non plus réduire la peine simplement parce que plusieurs incidents de violence sexuelle sont visés par une accusation unique plutôt que par des accusations multiples. Si la déclaration de culpabilité résultant d’une seule accusation vise des incidents de violence sexuelle multiples, le juge de la peine doit accorder du poids à ce facteur et se garder d’établir une analogie avec les affaires portant sur un incident unique simplement parce que ces autres affaires mettent en cause une accusation unique. Dans les ressorts où l’on utilise des points de départ, les tribunaux ne doivent pas se contenter d’appliquer le point de départ, mais doivent plutôt être disposés à s’écarter de celui-ci afin de donner effet à la durée et à la fréquence de la violence sexuelle (voir L.V., par. 100-101).
[41] Ces propos peuvent se transposer dans le contexte de la violence conjugale et familiale qui, bien souvent, se caractérise malheureusement aussi par la constance et la récurrence. Chaque évènement crée un nouveau traumatisme et accentue le contrôle sur la victime. Pour paraphraser la Cour suprême, l’on ne peut ramener la répétition qu’à une simple statistique.
[42] Ensuite, le juge ne devait pas prendre en compte le délai entre certaines infractions et leur dénonciation. Ce constat du juge repose en premier lieu sur une inexactitude factuelle puisque si certains des évènements de violence faisant l’objet du dossier 35572 ont bien eu lieu dès 2014, d’autres l’ont été à l’automne 2018 ou au printemps 2019, c’est-à-dire après la comparution de l’intimé pour les évènements du dossier 34272.
[43] Mais, surtout, en tempérant ainsi l’importance du nombre d’évènements, le juge commet une erreur de droit. Il est bien connu que les victimes de crimes de violence conjugale, familiale ou sexuelle, hésitent à dénoncer ceux-ci pour de multiples raisons. La peur est l’une de celles-ci, tout spécialement lorsque, comme ici, les évènements sont multiples, constants et qu’ils s’inscrivent dans un contexte de contrôle. L’intimé ne peut donc bénéficier du délai de la dénonciation[24], car non seulement cela reviendrait-il à donner effet au climat de crainte imposé par celui-ci, mais cela risquerait de susciter un obstacle supplémentaire au dévoilement ou à la dénonciation de ce type d’infractions.
[44] Il est indéniable que ces deux erreurs ont aussi eu une incidence sur la peine prononcée.
[45] Il convient donc d’intervenir en corrigeant les erreurs commises par le juge de première instance et ainsi prononcer la peine qui aurait dû l’être. C’est ainsi que la peine globale sera augmentée à 31 mois par le cumul des trois modifications suivantes : 1) la peine du chef 1 du dossier 355572 sera portée à 14 mois, tel que le suggérait le ministère public ; 2) la peine sur le chef 4 du dossier 35572 sera consécutive au chef 1; 3) la peine du chef 3 du dossier 35571 sera consécutive au dossier 34272.
[46] Enfin, lors de l’audience, le ministère public a soulevé la question de la réincarcération de l’intimé en fonction des critères de l’arrêt R. c. Versey[25] de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick repris depuis par notre Cour[26]. Puisque l’intimé est actuellement incarcéré, la question se pose ici de manière légèrement différente. De toute manière, comme en convient d’ailleurs la procureure de l’intimé, aucun des critères posés dans l’arrêt Versey n’est rempli. Il en va ainsi tout particulièrement de la nécessité que la peine additionnelle ne compromette pas la réhabilitation déjà entreprise. En l’espèce, nous sommes malheureusement contraints de constater qu’il n’y a encore aucune réhabilitation en cours. Il n’y a donc pas lieu de surseoir à la peine supplémentaire.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[47] REJETTE la requête pour preuve nouvelle;
[48] ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler du jugement sur la peine prononcé le 20 février 2020 dans les dossiers 460-01-034272-181, 460-01-035533-193, 460-01-035535-198, 460-01-035571-193, 460-01-035572-191;
[49] ACCUEILLE en partie l’appel;
[50] INFIRME la peine dont appel;
[51] MODIFIE, dans le dossier 460-01-035572-191, la peine sur le chef 1 pour la faire passer à 14 mois d’emprisonnement consécutifs à la peine dans le dossier 460-01-034272-181 et la peine sur le chef 4 à la seule fin de la rendre consécutive à celle du chef 1;
[52] MODIFIE, dans le dossier 460-01-035571-193, la peine du chef 3 à la seule fin de la rendre consécutive à la peine dans le dossier 460-01-034272-181;
[53] SUBSTITUE ainsi à la peine globale de 22 mois d’emprisonnement une peine globale de 31 mois, à laquelle sont déduits 22 mois de détention préventive et de peine déjà purgés;
[54] MAINTIENT toutes les autres ordonnances prononcées le 20 février 2020;
[55] INFORME les autorités carcérales que la peine déterminée par le présent arrêt est celle s’appliquant à compter du 20 février 2020.
[1] Jugement oral sur la peine rendu par l’honorable Érick Vanchestein, j.c.q. le 20 février 2020, [Jugement entrepris].
[2] R. c. N.L., 2021 QCCA 451.
[3] R. c. Lévesque, 2000 CSC 47.
[4] Palmer c. R., [1980] 1 R.C.S. 759.
[5] R. c. Sipos, 2014 CSC 47, paragr. 30.
[6] Id., paragr. 31.
[7] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64.
[8] Id., paragr. 118.
[9] Id., paragr. 120.
[10] La Cour suprême note d’ailleurs que les « […] plaidoyers de culpabilité, s’ils avaient été faits plus tôt auraient certes figuré au rapport présentenciel, […]».
[11] R. c. Wapass, 2020 SKCA 90, paragr. 6.
[12] R. c. Lis, 2020 ONCA 551, paragr. 51.
[13] R. c. Guerrero Silva, 2015 QCCA 1334 [Guerrero Silva].
[14] Desjardins c. R., 2015 QCCA 1774 [Desjardins].
[15] R. c. Friesen, 2020 CSC 9, paragr. 155 [Friesen].
[16] R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948, paragr. 46; R. c. Rayo, 2018 QCCA 824, paragr. 50.
[17] R. c. Bisson, 2019 QCCA 2012, paragr. 8.
[18] R. c. Rayo, 2018 QCCA 824, paragr. 54.
[19] R. c. Cardinal, 2012 QCCA 1838, paragr. 38.
[20] Guerrero Silva, supra, note 13, paragr. 59.
[21] R. c. Zora, 2020 CSC 14, paragr. 92.
[22] Jugement entrepris, E.A., p. 18, lignes 16-20.
[23] Friesen, supra, note 15, paragr. 132.
[24] R. c. Poulin, 2019 CSC 47, paragr. 97 ; R. c. L. (J.J.), 1998 CanLII 12722 (QC CA), p. 14 et suiv.
[25] 2006 NBCA 55.
[26] Notamment : R. c. Foster, 2020 QCCA 1172 ; R. c. Davidson, 2021 QCCA 545.
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