Section des affaires sociales
En matière de régime des rentes
Référence neutre : 2015 QCTAQ 04668
Dossier : SAS-Q-202321-1406
YVAN LE MOYNE
LORRAINE BÉGIN
c.
[1] Le Tribunal est saisi d’un recours à l’encontre d’une décision rendue après révision par l’intimée, la Régie des rentes du Québec, le 9 juin 2014, confirmant une décision du 6 novembre 2013 refusant de reconnaître la requérante invalide au sens de la loi.
[2] La Régie intimée considère que la requérante n’est pas admissible à des prestations de rente d’invalidité s’appliquant aux personnes âgées de moins de 60 ans pour le motif que sa condition de santé ne l’empêche pas d’occuper régulièrement tout travail rémunérateur. Par ailleurs, la requérante n’est pas davantage admissible à des prestations de rente d’invalidité s’appliquant aux personnes âgées de 60 à 65 ans, en raison de l’insuffisance de sa période de cotisation au régime de rentes du Québec.
[3] De l’ensemble de la preuve fournie, le Tribunal retient les éléments pertinents suivants.
[4] La Régie reçoit la demande de rente d’invalidité de la requérante le 25 juin 2013. La requérante, qui a atteint 60 ans le jour de sa demande, mentionne avoir cessé de travailler comme technicienne en droit le 20 mars 2009, sur la recommandation de son médecin, en raison de sa condition mentale.
[5] Dans un rapport médical complété le 18 juin 2013[1], transmis à la Régie à l’appui de la demande d’invalidité, son médecin traitant, le Dr Serge Paradis, retient les diagnostics de maladie affective bipolaire stable, dépression majeure antérieure et trouble d’anxiété généralisée qui évolue. Le médecin indique que sa patiente est, à son avis, inapte à tout travail depuis 2009. Il identifie comme suit les problèmes qui sont de nature à entraîner une incapacité de travailler : patiente incapable de se concentrer, anxiété importante, patiente se sent très nerveuse.
[6] Le 1er mai 2014, la requérante est expertisée par le Dr Denis Jobidon, psychiatre, à la demande de la Régie intimée[2]. Dans son expertise, ce dernier passe d’abord en revue, de façon détaillée, la preuve médicale relative à la requérante depuis 1993. Différents diagnostics ont été portés au fil des ans : syndrome anxio-dépressif, trouble d’adaptation, dépression majeure, trouble affectif bipolaire. Madame rapporte avoir vécu cinq ou six épisodes dépressifs au cours de sa vie, occasionnant des arrêts de travail répétés. Elle a subi une agression sexuelle au travail en 1996. Au moment de l’expertise, la requérante n’est suivie ni en psychologie ni en psychiatrie. Elle a cessé toute médication antidépressive et psychotrope en 2009; elle utilise plutôt la luminothérapie. Son moral est normal, elle n’éprouve aucune tristesse. Elle se dit par ailleurs anxieuse et perfectionniste. Sa dernière dépression remonterait à 2005. Elle a voyagé à l’extérieur du Québec au cours des dernières années (Floride, Cuba, République dominicaine, entre autres). Enfin, elle se dit incapable de reprendre son travail habituel, qu’elle décrit comme très stressant.
[7] Au terme de l’examen mental, le psychiatre pose le diagnostic de dépression majeure récurrente (dernier épisode 2005). Il évalue l’EGF à 80. Il doute que Madame ait eu une maladie affective bipolaire, cette pathologie n’ayant pas engendré chez elle la nécessité d’hospitalisation psychiatrique ni de séjour en centre de jour psychiatrique. En l’absence de pathologie psychiatrique objectivable, le Dr Jobidon ne propose aucun traitement. Par ailleurs, l’anxiété présentée par Madame n’est pas désorganisante ni invalidante. Selon lui, la requérante apparaît stabilisée mentalement et le pronostic est excellent. Il émet une seule limitation fonctionnelle à sa capacité de travailler à temps plein : ne pas travailler de nuit.
[8] Témoignant à l’audience, la requérante fait valoir essentiellement que son médecin traitant depuis plus de vingt ans, le Dr Paradis, la considère invalide. De plus, elle ne s’explique pas pourquoi, si elle ne pouvait pas être reconnue invalide en vertu des dispositions en vigueur le 1er janvier 2013, la Régie a exigé qu’elle se soumette à une expertise médicale en mai 2014.
[9] Elle conteste quelques énoncés contenus à l’expertise du Dr Jobidon. Ainsi, elle aurait eu un épisode de coma après un accouchement, contrairement à ce qui est rapporté. Elle nie faire « beaucoup » de bénévolat et garder les enfants de sa fille (c’est arrivé à une seule occasion, dit-elle). Elle nie également l’affirmation selon laquelle elle n’aurait jamais eu de problème de comportement. Elle fait remarquer que l’affirmation de l’expert suivant laquelle sa concentration est objectivement normale contredit l’opinion de son médecin traitant qui dit qu’elle est incapable de se concentrer. Enfin, elle n’est pas d’accord avec le pronostic de l’expert fondé sur le fait qu’elle serait stabilisée mentalement.
[10] Le présent recours met en cause l’application des articles 95, 95.4, 96 et 106 de la Loi sur le régime de rentes du Québec[3] qui se lisent comme suit :
« 95. Une personne n’est considérée comme invalide que si la Régie la déclare atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée.
Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
En outre, dans le cas d’une personne âgée de 60 ans ou plus, une invalidité est grave si elle rend cette personne régulièrement incapable d’exercer l’occupation habituelle rémunérée qu’elle détient au moment où elle cesse de travailler en raison de son invalidité.
Une invalidité n’est prolongée que si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment. »
« 95.4. La Régie n’a pas à évaluer l’invalidité d’une personne à qui est payable une indemnité visée à l’article 96.1 ou qui ne satisfait pas aux conditions de cotisation prévues aux articles 106 et 106.1 pour l’admissibilité à la rente d’invalidité. »
« 96. La Régie fixe, en fonction de la preuve présentée, la date à laquelle une personne est devenue invalide ou cesse de l'être.
Toutefois, la date du début de l'invalidité d'une personne, aux fins de la rente d'invalidité ou du montant additionnel pour invalidité après la retraite, ne peut être fixée avant la dernière des dates suivantes:
a) le premier jour du douzième mois qui précède la date à laquelle la demande de prestation a été faite;
b) (paragraphe abrogé);
c) la date du soixantième anniversaire de naissance du cotisant, si ce dernier est déclaré invalide aux termes du troisième alinéa de l’article 95;
[…] »
« 106. Un cotisant n'est admissible à une rente d'invalidité que s'il est âgé de moins de 65 ans, est invalide et a versé des cotisations pour l'un des groupes d'années suivants:
a) deux des trois dernières années comprises entièrement ou partiellement dans sa période cotisable ou deux années, si cette période ne comprend que deux années;
b) cinq des 10 dernières années comprises entièrement ou partiellement dans sa période cotisable;
c) la moitié du nombre total des années comprises entièrement ou partiellement dans sa période cotisable, mais au moins deux années.
Toutefois, un cotisant âgé de 60 ans ou plus visé au troisième alinéa de l’article 95 n’est admissible à une rente d'invalidité que s’il a versé des cotisations pour au moins quatre des six dernières années comprises entièrement ou partiellement dans sa période cotisable.
Pour l'application du premier alinéa, la période cotisable du cotisant se termine à la fin du mois où il est devenu invalide. »
(Nos soulignements)
[11] Le Tribunal rappelle que la requérante avait le fardeau de démontrer par une preuve prépondérante, à caractère médical, le bien-fondé de ses prétentions.
[12] Or, la preuve au dossier ne permet pas au Tribunal de conclure que la requérante devait être considérée comme invalide au sens de la loi.
[13] Malgré que la requérante souffre depuis de nombreuses années d’anxiété, et qu’elle a connu des épisodes de dépression majeure, dont le dernier remonte à 2005, force est de constater que le dernier psychiatre consulté s’est prononcé sur l’aptitude de cette dernière à occuper un emploi rémunérateur qui respecterait la limitation fonctionnelle qu’il a identifiée comme étant celle de ne pas travailler de nuit. Il persiste donc chez la requérante un potentiel de retour au travail dans un emploi de jour, ce qui est incompatible avec la reconnaissance d’une invalidité totale.
[14] Aussi, le Tribunal estime que la condition mentale de la requérante, n’étant ni grave ni prolongée, au point d’empêcher celle-ci d’effectuer tout type de travail, ne satisfait pas aux critères d’invalidité de la loi.
[15] Reste la question de l’admissibilité aux prestations d’invalidité en fonction de la période de cotisation au régime de rentes du Québec à l’égard d’une cotisante âgée de plus de 60 ans.
[16] La preuve au dossier[4] révèle que la dernière année de cotisation de la requérante est 2009. En vertu des dispositions en vigueur depuis le 1er janvier 2013, pour pouvoir être reconnue invalide, une personne doit avoir cotisé au moins quatre ans au cours des six dernières années de la période de cotisation. Puisque la requérante a atteint l’âge de 60 ans en juin 2013, sa période de cotisation se termine en juillet 2013. Il lui faudrait donc avoir cotisé au moins quatre ans depuis 2007, ce qui n’a pas été le cas.
[17] Enfin, tel qu’indiqué dans la décision de révision de l’intimée, les modifications entrées en vigueur le 1er janvier 2013 affectent toutes les personnes ayant atteint l’âge de 60 ans à compter du mois de décembre 2012 et ce, même à l’égard des personnes qui auraient cessé de travailler pour raison de santé avant janvier 2013. La requérante est donc visée par ces modifications législatives.
[18] Malheureusement, le Tribunal ne peut pas modifier la période de cotisation exigée de manière à la faire rétroagir à une date antérieure, et ainsi permette à la requérante de satisfaire à l’exigence d’avoir cotisé au moins quatre années au cours des six dernières. Le libellé de l’article 96 de la loi s’oppose à un tel exercice.
[19] POUR CES MOTIFS, le Tribunal :
REJETTE le recours.
Me Michel Bélanger
Procureur de la partie intimée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.