Beaurivage et Agence canadienne d'inspection des aliments |
2010 QCCLP 8112 |
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Dossier : 378986
[1] Le 22 mai 2009, madame Jannick Beaurivage (la travailleuse) dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 22 avril 2009, à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST infirme celle rendue initialement le 27 novembre 2008 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de rechute, récidive ou aggravation le 9 mai 2008.
Dossier : 388361
[3] Le 8 septembre 2009, la travailleuse dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la CSST le 27 août 2009, à la suite d'une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision logée par la travailleuse le 4 mai 2009 à l’encontre de la décision rendue par la CSST le 29 septembre 2006, statuant sur son emploi convenable.
[5] Lors de l’audience tenue à Québec, le 23 septembre 2010, les parties et leurs procureurs respectifs étaient présents.
[6] Les dossiers ont été pris en délibéré le 7 octobre 2010 sur réception d’un complément de preuve transmis par la procureure de l’employeur et un complément d’argumentation.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
[7] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle a subi, en date du 9 mai 2008, une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle du 10 décembre 2003.
[8] Subsidiairement, la travailleuse demande d’être relevée de son défaut d’avoir contesté la décision du 29 septembre 2006 ayant pour objet la détermination d’un emploi convenable.
[9]
La soussignée a soulevé, en début d’audience, la question de
l’application de l’article
LES FAITS
[10] La travailleuse est actuellement âgée de 39 ans et travaillait comme technicienne de laboratoire depuis 1994. Son travail consistait à effectuer des analyses sur des aliments et sur des échantillons d’animaux.
[11] En janvier 2003, elle commence à présenter des symptômes de type sinusites chroniques, éternuements, congestion nasale et maux de tête.
[12] En décembre 2003, elle passe des tests d’allergie, lesquels s’avèrent positifs. Son employeur prend alors des mesures pour éliminer ces allergènes de son environnement dès janvier 2004.
[13] Malgré cela, ses symptômes persistent et elle produit, le 22 août 2005, une réclamation pour maladie professionnelle auprès de la CSST avec référence à la date d’apparition de ses symptômes, soit le 10 décembre 2003.
[14] Dans une décision, rendue le 3 mars 2006 à la suite d’une révision administrative, la CSST déclare que la travailleuse avait un motif raisonnable pour ne pas avoir respecté le délai de six mois pour déposer sa réclamation et reconnaît, par ailleurs, que celle-ci a subi une maladie professionnelle, soit une rhinite chronique, sur la base des motifs suivants :
Les éléments au dossier démontrent que la sensibilité et les symptômes de la travailleuse augmentent avec le temps d’exposition à diverses substances. Cette exposition constitue des facteurs de risques déterminants dans l’apparition de la rhinite chronique.
[15] La lésion est consolidée le 3 avril 2006 avec une atteinte permanente de 2,20 %, telle que déterminée par le docteur Michel Dubuc dans son rapport d'évaluation médicale daté du 29 mai 2006. De même, celui-ci émettait les limitations fonctionnelles suivantes : « éviter tout contact avec les mammifères et éviter tout contact avec les solvants organiques ».
[16] Le 29 septembre 2006, la CSST retient l’emploi convenable d’inspectrice des produits frais et détermine que la travailleuse est capable d’occuper cet emploi à compter du 11 septembre 2006.
[17] Dans les faits, il appert toutefois que la travailleuse a commencé à occuper cet emploi le 3 mars 2008. En effet, du 11 septembre 2006 à la mi-novembre 2006, elle a utilisé des congés auxquels elle avait droit en vertu de la convention collective.
[18] Par la suite, elle a été mise en arrêt de travail en raison de problèmes reliés à sa grossesse, puis elle a pris un congé de maternité de 52 semaines, suivi d’un congé sans solde de huit semaines pour prendre soin d’un proche parent.
[19] Le 9 mai 2008, la travailleuse produit une réclamation pour une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale, objet du présent litige.
[20] Lors de son témoignage, la travailleuse a relaté son retour au travail le 3 mars 2008. Ainsi, elle précise que durant les deux premières semaines, elle a reçu une formation théorique. Durant deux autres semaines, elle a exploré le territoire couvert par la M.R.C. de Napierville[2], où elle était affectée pour faire l’inspection de produits maraîchers destinés à l’exportation.
[21] Elle a véritablement commencé ses tâches vers la mi-mars 2008 et ses symptômes sont réapparus aussitôt. Son travail consistait à visiter les entreprises situées sur son territoire, à identifier, au hasard, des sacs qu’elle désirait inspecter et à procéder à l’inspection sur place.
[22] La travailleuse explique que son territoire étant très rural, les entreprises visitées sont essentiellement des fermes sur lesquelles vivent les animaux, la majorité étant des mammifères : chiens, chats, souris, chevaux, moutons, volailles, oiseaux, etc.
[23] Elle précise qu’il lui arrivait souvent que les animaux domestiques vivant sur une ferme circulent en toute liberté dans son environnement immédiat, ce qui est suffisant, pour elle, pour développer des symptômes. Même un contact avec une personne ayant des poils d’animaux sur elle est susceptible de déclencher des symptômes.
[24] La travailleuse précise également que les entreprises visitées sont des fermes où la propreté n’est évidemment pas celle d’un laboratoire. Ainsi, lorsqu’elle vide un sac de pommes de terre à inspecter sur sa table d’inspection, un nuage de poussière de terre et de moisissure l’enveloppe durant quelques secondes, ce qui était aussi très irritant.
[25] Bref, ses symptômes ont repris très rapidement et elle a recommencé à prendre des antihistaminiques. Le 9 mai 2008, après une journée où les contacts ont été très fréquents avec les animaux, elle a dû retourner consulter son médecin de famille, le docteur Poulin, qui l’avait suivie déjà en 2003.
[26] Sur l’attestation médicale, datée du 9 mai 2008, le docteur Poulin fait état de diagnostics de rhinite et d’asthme d’origine professionnelle et mentionne ce qui suit : décompensés avec exposition (mots illisibles) lors de l’inspection des aliments. Il met sa patiente en arrêt de travail.
[27] En juin 2008, la travailleuse redevient enceinte et son employeur l’affecte à l’inspection des aliments dans les grands magasins de la région de Québec afin qu’elle fasse moins de route.
[28] Le 8 janvier 2009, elle a dû cesser de travailler en raison de complications reliées à une deuxième grossesse.
[29] Le 2 février 2009, le docteur Girard complète un rapport final établissant la date de consolidation et réfère sa patiente au docteur Roger Roy pour un rapport d'évaluation médicale.
[30] Le 16 février 2009, le docteur Roy complète un rapport d'évaluation médicale dans lequel il affirme ce qui suit :
L’exposition à des poussières de terre et la présence d’animaux lors de l’inspection de pommes de terre et d’oignons (avec présence de moisissures) chez les producteurs maraîchers a exacerbé la rhinite allergique (hyperexcitabilité) et est à l’origine de la réclamation de la patiente pour rechute, récidive ou aggravation.
[31] Le docteur Roy recommande les limitations fonctionnelles suivantes, en plus de celles déjà décrites le 23 mai 2006 : « cette travailleuse ne doit plus être exposée à des environnements où il y a présence de particules en suspension dans l’air (fumées, poussières, vapeurs, gaz, aérosols) ».
[32] Le docteur Roy évalue l’atteinte permanente supplémentaire à 1 % pour trouble du flot aérien de la narine droite (code 308697).
[33] Le 11 septembre 2009, le docteur Georges Demers, oto-rhino-laryngologiste (ORL) effectue une expertise, à la demande du procureur de la travailleuse.
[34] Après avoir fait la revue du dossier et procédé à son examen clinique, le docteur Demers confirme le diagnostic de rhinite allergique. Il recommande d’orienter la travailleuse vers un travail qui ne l’expose nullement aux animaux, aux moisissures ou à la poussière.
[35] Le docteur Demers se dit d’avis qu’il est très clair que « le milieu de travail ne convenait absolument pas à madame Beaurivage vu l’importance de la récidive de la symptomatologie ». Il suggère d’évaluer sa fonction pulmonaire pour s’assurer que la composante d’asthme ne diminue pas sa fonction pulmonaire.
[36] Lors de l’audience, le docteur Demers a été entendu comme témoin expert. Le docteur Demers rappelle qu’une réaction allergique au mammifère peut se faire même sans toucher : la seule présence de l’animal dans l’environnement suffit. Ainsi, le fait que des animaux circulaient dans les fermes visitées était suffisant pour provoquer la réaction allergique. Il ajoute que la réaction se fera aussi si la travailleuse est en contact avec une personne portant des poils d’animaux sur elle.
[37] Le docteur Demers est catégorique pour affirmer que le meilleur traitement dans le cas de la travailleuse est d’éviter les allergènes. Il souligne en effet que les complications découlant de chaque exposition peuvent être graves : elles peuvent entraîner des infections avec complications pulmonaires. Il suggérait d’ailleurs, dans son expertise, d’évaluer la fonction pulmonaire de la travailleuse afin de s’assurer de son intégrité, à la suite de la rechute du 9 mai 2008.
[38] En contre-interrogatoire, le docteur Demers convient que la travailleuse présentait une composante personnelle la prédisposant à développer une rhinite allergique.
[39] Toutefois, il rappelle que depuis 2003, à chaque fois que la travailleuse a été retirée du travail, notamment durant ses congés de maternité, elle ne présente aucun symptôme, ce qui prouve la nocivité de son milieu de travail.
[40] Le procureur de la travailleuse avait également transmis, en décembre 2009, une expertise réalisée le 4 novembre 2009 par le docteur John Osterman, spécialiste en santé communautaire et santé au travail.
[41] Le docteur Osterman prend note que la travailleuse lui explique que sa nouvelle affection d’inspectrice des aliments dans les grands magasins dans la région de Québec constitue un milieu de travail fort convenable pour elle puisqu’il s’agit d’endroits propres, non poussiéreux et où il n’existe aucune exposition à des animaux, aux solvants ni à d’autres allergènes qui pourraient l’irriter. Sa condition de sinusite est donc en rémission et elle ne présente aucun problème d’asthme.
[42] Après avoir revu le dossier et avoir procédé à son examen clinique, le docteur Osterman confirme le diagnostic de rhinite allergique provoquée par son nouvel emploi d’inspectrice de produits frais qu’elle occupait depuis le 8 mars 2008.
[43] Le docteur Osterman s’exprime ainsi :
En mars 2008, après son congé de maternité, madame Beaurivage a été affectée à un poste d’inspectrice de produits frais ce qui comportait des visites chez les cultivateurs dans la région de la Montérégie. Lors de ces visites, elle a été à nouveau exposée à différents animaux auxquels elle est allergique. De plus, elle était exposée à des irritants sous forme de poussière de terre, souvent dans des conditions insalubres, soit dans de petits bureaux non ventilés. Cette nouvelle exposition a aggravé sa condition et a provoqué un nouvel arrêt de travail pour une rechute, récidive ou aggravation.
[44] Le docteur Osterman suggère de nouvelles limitations fonctionnelles, soit d’éviter l’exposition aux allergènes et aux irritants des voies nasales. Notamment, elle devrait éviter l’exposition à des mammifères, aux solvants et autres produits organiques et aux poussières irritantes.
[45] La procureure de l’employeur a déposé, pour sa part, le curriculum vitae du docteur Small. Il ressort de ce document que le docteur Peter Small est professeur au Département de médecine de l’Université McGill et est chef du Département d’allergie et d’immunologie à l’Hôpital général Juif depuis 1977.
[46] Le résultat des tests d’allergies que le docteur Small a fait passer à la travailleuse, le 10 mars 2010, est déposé en complément de preuve.
[47] La procureure de l’employeur se réfère à une expertise réalisée par le docteur Peter Small le 16 mars 2010, à la demande de l’employeur. Après avoir fait la revue du dossier, le docteur Small en arrive aux conclusions suivantes :
My diagnosis at this time is primarily non allergic rhinosinusitis with a possible element of allergy if she is exposed to animals.
It is possible that her diagnosis of allergic rhinosinusitis could have been provoked when she was working as an inspector exposed to animals in the past. However, I believe that her allergies developed before she began this job.
It is possible that her symptoms of chronic rhinosinusitis provoked by non specific noxious elements could have been associated with the fruits and vegetables exposure if there was a lot of dust associated with these bags.
I believe that if she works in an environment relatively free of noxious elements she should not have significant symptoms.
I believe the allergic rhinitis antedated her current job and has been present for many years.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[48] Le procureur de la travailleuse soumet que la preuve est nettement prépondérante pour conclure que lors de l’exercice de son emploi convenable, en mars 2008, la travailleuse a été exposée aux mammifères, contrairement à ses limitations fonctionnelles émises en 2006.
[49] Selon la preuve médicale prépondérante, l’exposition a été suffisante pour déclencher une réaction allergique, soit une rhinite allergique. Sa réclamation pour rechute, récidive ou aggravation devrait donc être acceptée.
[50] En ce qui concerne sa demande d’être relevée de son défaut d’avoir contesté dans les délais la décision du 29 septembre 2006 déterminant son emploi convenable, le procureur de la travailleuse soumet qu’elle n’avait pas intérêt à produire une demande de révision avant d’avoir essayé l’emploi convenable. Selon la jurisprudence du tribunal, ceci constitue un motif raisonnable lui permettant d’être relevée de son défaut.
[51]
En ce qui concerne l’application de l’article
[52] La procureure de l’employeur, pour sa part, discute de la valeur probante des expertises réalisées par les docteurs Demers et Osterman. Dans le cas de ce dernier, elle remet en cause sa qualification d’expert pour le présent litige, vu sa spécialité en médecine du travail.
[53] La procureure de l’employeur s’en remet à l’expertise du docteur Small qui confirme le diagnostic mais souligne qu’il s’agit d’une condition personnelle antérieure à une exposition professionnelle.
[54] Elle réfère également à l’opinion du docteur Guérin Dorval, allergiste, qui indiquait, dans une note de consultation datée du 14 septembre 2005 qu’il évaluait la composante professionnelle à 25 % alors que la composante personnelle représentait 75 %.
[55] En ce qui concerne la question du délai de production de la demande de révision, la procureure de l’employeur soumet que la travailleuse savait dès mars 2008 qu’elle voulait contester l’emploi convenable, ce qu’elle n’a fait qu’en mai 2008. Donc, même en retenant l’argument du procureur de la travailleuse, sa demande de révision est hors délai.
[56]
La procureure de l’employeur ajoute, dans son argumentation écrite que,
selon elle, l’article
L’AVIS DES MEMBRES
[57]
Les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont d'avis
que les deux litiges soumis au tribunal peuvent se résoudre par l’application
de l’article
[58] En conséquence, la travailleuse récupère son droit aux indemnités de remplacement du revenu prévues à la loi tant qu’elle a besoin de réadaptation pour redevenir capable d’exercer un emploi convenable.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[59] La Commission des lésions professionnelles est saisie d’un litige impliquant l’admissibilité d’une rechute, récidive ou aggravation survenue le 9 mai 2008 et, subsidiairement, de savoir si la travailleuse présente un motif raisonnable pour être relevée de son défaut d’avoir contesté la décision rendue le 29 septembre 2006 déterminant son emploi convenable.
[60]
Avec respect, le tribunal considère que les litiges soumis doivent être
analysés en fonction de l’article
51. Le travailleur qui occupe à plein temps un emploi convenable et qui, dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l'exercer, doit abandonner cet emploi selon l'avis du médecin qui en a charge récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.
Le premier alinéa ne s'applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d'avis que celui-ci n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur.
__________
1985, c. 6, a. 51.
[61] Le tribunal tient d’abord à préciser qu’il possède la compétence pour procéder à cette analyse même si le litige concerne l’admissibilité d’une rechute, récidive ou aggravation[3].
[62]
En effet, en vertu de l’article
[63]
Dans une décision fouillée et appuyée par la jurisprudence[4],
la juge administratif Desbois indiquait que le tribunal avait compétence pour
se prononcer sur l’article
[64] C’est donc ce que la soussignée se propose de faire, les parties ayant eu l’occasion de faire valoir leurs prétentions à ce sujet.
[65]
L’article
- occuper à plein temps un emploi convenable;
- abandonner cet emploi dans les deux ans suivant le début d’exercice;
- abandonner cet emploi suivant l’avis du médecin qui a charge;
- obtenir un avis du médecin qui a charge à l’effet que le travailleur n’est pas raisonnablement en mesure d’occuper l’emploi convenable ou que celui-ci comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur.
[66] Dans le présent dossier, les deux premières conditions sont établies. En effet, la travailleuse a occupé durant deux mois son emploi convenable, soit entre le 8 mars 2008 et le 9 mai 2008.
[67] Elle a donc abandonné cet emploi dans les deux ans du début de son exercice. Il est à noter que le délai de deux ans doit se computer à partir du moment où le travailleur exerce son emploi convenable et non pas à partir du moment où l’emploi convenable est déterminé.
[68]
En ce qui concerne les deux autres conditions, le tribunal considère que
la preuve permet de conclure qu’elles sont rencontrées. Il importe de préciser
que l’avis du médecin qui a charge doit reposer sur une connaissance des
antécédents médicaux et des limitations fonctionnelles de son patient ainsi que
sur la connaissance des exigences de l’emploi convenable exercé. Son avis sera
dès lors « motivé » au sens de l’article
[69] La juge administratif Nadeau précisait en outre ce qui suit :
[54] Sans faire preuve de formalisme et sans avoir à reprendre les termes exacts de l’article 51, le médecin doit tout de même fournir les éléments essentiels à son application. Un parallèle peut être fait avec l’opinion demandée au médecin traitant pour une assignation temporaire (art. 179). Il doit être informé de l’emploi proposé afin de rendre son avis.
[70] À la lumière de ces précisions, le tribunal retient de la preuve que c’est le docteur Poulin qui a complété le rapport médical du 9 mai 2008. Le docteur Poulin avait suivi la travailleuse depuis 2003 et connaissait donc très bien l’état de sa patiente.
[71] Dans son rapport du 9 mai 2008, le docteur Poulin pose le diagnostic de rhinite allergique d’origine professionnelle et d’asthme d’origine professionnelle et ajoute qu’il y a eu décompensation en raison d’exposition lors de l’inspection des aliments. Il suggère un meilleur contrôle environnemental pour la travailleuse.
[72]
Le tribunal considère que cet avis est suffisamment motivé et qu’il
respecte les exigences de l’article
[73] Le tribunal ne peut passer sous silence le fait que l’avis du docteur Poulin a été corroboré par une preuve médicale largement prépondérante. En effet, la conclusion selon laquelle la condition de la travailleuse s’est aggravée par une exposition nocive lorsqu’elle a occupé son emploi convenable à partir du 8 mars 2008 est reprise par le docteur Roger Roy dans son rapport d'évaluation médicale daté du 16 février 2009.
[74] Cette conclusion est également reprise et étayée par le docteur Georges Demers, ORL, dans le cadre de son expertise réalisée le 11 septembre 2011 et dans le cadre de son témoignage à l’audience.
[75] Cette conclusion est reprise et étayée par le docteur Paul Osterman, spécialisé en médecine du travail, dans son expertise réalisée le 5 novembre 2009. En réponse à l’argument soulevé par la procureure de l’employeur à l’effet que le docteur Osterman n’est pas spécialiste en allergie, le tribunal considère que son opinion est probante dans la mesure où le docteur Osterman se prononce sur la relation entre le travail exercé comme inspectrice de produits maraîchers et le déclenchement de sa réaction allergique.
[76] Il s’agit là d’une question mixte, médicale et factuelle, sur laquelle le docteur Osterman s’est prononcé de façon très rigoureuse. Il complétait ainsi l’opinion émise par le médecin traitant de la travailleuse qui n’avait pas eu le loisir, dans le cadre d’une consultation clinique, d’écrire les tenants et aboutissants de la problématique à laquelle la travailleuse a été exposée, dans une expertise d’une longueur de huit pages.
[77] La valeur probante de l’expertise du docteur Osterman ne fait aucun doute dans ce contexte et ajoute à la prépondérance de la preuve.
[78] Finalement, le tribunal constate que même le docteur Small, expert de l’employeur, est d’accord pour reconnaître l’exposition nocive que la travailleuse a pu avoir lorsqu’elle a occupé l’emploi convenable tout en insistant sur le fait qu’elle avait des prédispositions personnelles bien avant.
[79] Bref, le tribunal en vient à la conclusion que la preuve médicale très majoritaire permet de corroborer l’avis émis par le médecin traitant de la travailleuse à l’effet que son emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique de la travailleuse.
[80] La preuve démontre d’ailleurs que l’emploi convenable, exercé dans les conditions décrites par la travailleuse, contrevenait aux limitations fonctionnelles émises en 2006, soit d’éviter tout contact avec les mammifères.
[81] Le tribunal retient, des propos du docteur Demers, que les conséquences résultant d’une telle exposition pouvaient aggraver son état, dans la mesure où la personne devient de plus en plus hypersensible. Ainsi, les risques de développer des infections et de porter atteinte à sa fonction pulmonaire sont bien présents.
[82] C’est également l’avertissement que lançait le docteur Martin Desrosiers, ORL, dès le 3 juin 2004 :
En résumé, je crois que cette patiente souffre d’une rhinite allergique d’origine professionnelle, secondaire à une nouvelle sensibilité aux chevaux et aux porcs. J’estime que l’exposition régulière et continue à ces substances, qui peuvent être présentes sur les échantillons et dans l’immeuble lui-même, même en faible quantité, contribue à aggraver et entretenir sa maladie. D’ailleurs je crains que cette dernière s’aggrave davantage pour développer une maladie pulmonaire professionnelle.
Je recommande donc que madame Beaurivage soit déplacée dans une autre bâtisse que celle où elle œuvre actuellement, afin de minimiser tout contact avec les porcs et les chevaux, et ceci de façon urgente, pour éviter la progression de la maladie et le développement de symptômes pulmonaires.
[83]
Dans ces circonstances, il apparaît évident que la travailleuse était
justifiée de cesser d’occuper son emploi convenable sur recommandation de son
médecin traitant et bénéficier, par le fait même, des avantages prévus à
l’article
[84] Le tribunal souligne, en terminant que la travailleuse a été affectée à de nouvelles fonctions à titre d’inspectrice d’aliments dans les grands magasins d’alimentation à partir de juin 2008 et qu’elle ne présente aucun problème à ce poste puisque l’environnement est propre, non poussiéreux et où la travailleuse n’est pas exposée à des animaux ou autres allergènes qui l’incommodent, selon l’avis émis par le docteur Osterman.
[85] Étant donné la conclusion à laquelle en vient le tribunal, il devient inutile de se prononcer sur l’admissibilité d’une rechute, récidive ou aggravation subie le 9 mai 2008 et sur la contestation de la travailleuse à l’encontre de l’emploi convenable déterminé en 2006.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE pour d’autres motifs les requêtes déposées par madame Jannick Beaurivage, la travailleuse;
DÉCLARE que madame Jannick Beaurivage récupère, en date du 9 mai 2008, son droit aux indemnités de remplacement du revenu et aux autres prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Marie-Andrée Jobidon |
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Me Marc Bellemare |
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Bellemare, avocats |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Amy Jospin-Beisner |
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Min. Justice, Serv. Contentieux |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Description des municipalités situées dans la MRC de Napierville : Pièce T-1.
[3] Auger et Jenko Newman & Fils,
[4] Grenier et Grands Travaux Sauter Inc., 150478-01B-011, 14 janvier 2003, L. Desbois.
[5] Michel La rivière et Produits d’acier Hanson Inc., 142509-63-0003, 30 avril 2003, L. Nadeau.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.