Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Jubinville et Garderie Les Petits Farfadets

2013 QCCLP 1517

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Hyacinthe

7 mars 2013

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

478160-62B-1207

 

Dossier CSST :

139366025

 

Commissaire :

Guylaine Henri, juge administratif

 

Membres :

Normand Bédard, associations d’employeurs

 

Pierre Jutras, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Jean-Yves Dansereau, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Chantal Jubinville

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Garderie les Petits Farfadets

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 24 juillet 2012, Madame Chantal Jubinville (la travailleuse) dĂ©pose Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles une requĂŞte par laquelle elle conteste une dĂ©cision de la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail (la CSST) rendue le 20 juin prĂ©cĂ©dent Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative.

[2]           Par cette dĂ©cision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 14 mai 2012 et dĂ©clare que la travailleuse n’a pas subi de lĂ©sion professionnelle le 18 avril prĂ©cĂ©dent.

[3]           Une audience est tenue le 5 dĂ©cembre 2012 Ă  Saint-Hyacinthe en prĂ©sence de la travailleuse, son reprĂ©sentant et la Garderie Les Farfadets (l’employeur).

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La travailleuse demande de dĂ©clarer qu’elle a dĂ©veloppĂ© une maladie professionnelle dans l’exercice de son emploi de prĂ©posĂ© Ă  l’entretien mĂ©nager.

[5]           Plus spĂ©cifiquement, la travailleuse soutient qu’elle bĂ©nĂ©ficie de la prĂ©somption de maladie professionnelle prĂ©vue Ă  l’article 29 de la loi puisqu’elle souffre d’une maladie Ă©numĂ©rĂ©e Ă  l’annexe I de la loi et qu’elle effectue des mouvements rĂ©pĂ©titifs sur des pĂ©riodes de temps prolongĂ©es.

[6]           Si le tribunal conclut que la prĂ©somption de maladie professionnelle est inapplicable, la travailleuse soutient que sa rĂ©clamation doit ĂŞtre accueillie Ă  titre de maladie reliĂ©e aux risques particuliers de son travail conformĂ©ment Ă  l’article 30 de la loi.

LES FAITS

[7]           La travailleuse est âgĂ©e de 41 ans et prĂ©posĂ©e Ă  l’entretien mĂ©nager pour l’employeur depuis onze mois lorsque, le 20 avril 2012, elle soumet une rĂ©clamation Ă  la CSST. Elle soutient que, le 18 avril prĂ©cĂ©dent, elle a subi une lĂ©sion professionnelle qu’elle dĂ©crit ainsi :

Mardi ou mercredi passé, j’ai commencé à ressentir un inconfort à l’épaule droite en travaillant surtout quand je balayais ou lavait les planchers. Plus les jours passait plus ça s’intensifiait. Mardi le 17 avril, c’est devenu une douleur intense, avec sensation de brûlure donc j’ai été consulter un médecin à l’urgence. [sic]

[8]           La travailleuse tĂ©moigne Ă  l’audience. Elle explique qu’elle a commencĂ© Ă  ressentir des douleurs Ă  l’épaule droite au cours de la première moitiĂ© d’avril 2012. Ces douleurs Ă©taient situĂ©es Ă  la rĂ©gion supĂ©rieure de la portion latĂ©rale de l’épaule droite, ainsi qu’à la rĂ©gion antĂ©rieure de l’épaule droite.

[9]           Au dĂ©but, la travailleuse ne ressentait qu’un inconfort qui s’estompait après son retour Ă  la maison et rĂ©apparaissait au travail, particulièrement lorsqu’elle passait la « moppe Â». Elle se soigne avec une crème « chaleur Â» et des analgĂ©siques en vente libre, mais la douleur s’amplifie avec le temps et ne disparaĂ®t pas au repos.

[10]        La travailleuse consulte le Dr DeschĂŞnes, le 18 avril 2012, qui retient le diagnostic de cervico-brachialgie droite. Il prescrit un traitement conservateur et un arrĂŞt de travail.

[11]        La douleur persiste et la travailleuse consulte son mĂ©decin de famille, la Dre Grou, le 24 mai 2012 qui retient les diagnostics de tendinite Ă©paule droite et de cervicalgie. Ce mĂ©decin maintient l’arrĂŞt de travail et prescrit des traitements de physiothĂ©rapie. Elle note que la travailleuse est en attente d’une imagerie par rĂ©sonance magnĂ©tique. Le mĂ©decin consultĂ© le 30 avril 2012 retient Ă©galement ces diagnostics.

[12]        La travailleuse reçoit des traitements de physiothĂ©rapie jusqu’à ce que la CSST refuse sa rĂ©clamation, le 14 mai 2012. Cette dĂ©cision est confirmĂ©e par une dĂ©cision rendue Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative qui fait l’objet du prĂ©sent dossier.

[13]        Le 15 mai 2012, la Dre Grou retient le diagnostic de tendinite de l’épaule droite et prescrit une infiltration. Elle rĂ©itère ce diagnostic sur les rapports mĂ©dicaux des 4 juillet et 30 aoĂ»t 2012. Dans les notes de consultation du 30 aoĂ»t, la Dre Grou note les diagnostics de tendinite de l’épaule droite et de cervicalgie et recommande une consultation avec le Dr Arsenault, orthopĂ©diste. Dans les notes de la consultation avec la Dre Grou, le 26 septembre 2012, ce mĂ©decin note que le Dr Arsenault est d’opinion que les problèmes de la travailleuse ne rĂ©sultent pas d’une hernie et qu’il a prescrit une Ă©lectromyographie.

[14]        Une imagerie par rĂ©sonance magnĂ©tique du rachis cervical est rĂ©alisĂ©e le 17 mai 2012. Le radiologiste qui analyse les rĂ©sultats de cet examen conclut Ă  la prĂ©sence d’un complexe disco-ostĂ©ophytique postĂ©rieur latĂ©ral droit Ă  prĂ©dominance osseuse au niveau C5-C6 qui entraĂ®ne une dĂ©formation de l’hĂ©mimoĂ«lle droite, dans sa portion antĂ©rieure qui cause vraisemblablement une compression de la racine antĂ©rieure sortant de cette hĂ©mimoĂ«lIe. Il ajoute qu’il y a possiblement compression radiculaire au niveau foraminal droit associĂ© et qu’il y a peu de changement avec l’examen effectuĂ© le 4 dĂ©cembre 2008.

[15]        La travailleuse reçoit une infiltration vers le mois de juin 2012 qui entraĂ®ne une diminution de la douleur après quelques jours, sans toutefois la faire disparaĂ®tre complètement.

[16]        Dans une rĂ©clamation remplie pour l’assurance collective, le 26 septembre 2012, la Dre Grou retient le diagnostic de tendinite Ă  l’épaule secondaire Ă  des mouvements rĂ©pĂ©titifs au travail et Ă  une surutilisation. Elle mentionne que la travailleuse prĂ©sente un diagnostic secondaire de cervicalgie et ajoute que son Ă©tat est attribuable aux mouvements rĂ©pĂ©titifs du membre supĂ©rieur droit au travail avec charges. Dans cette rĂ©clamation, la Dre Grou mentionne que la travailleuse a Ă©tĂ© suivie pour une hernie cervicale en 2008 par le Dr Arsenault. La travailleuse explique Ă  l’audience qu’à cette Ă©poque, elle a pris des mĂ©dicaments un certain temps et que la douleur est disparue et n’est pas revenue.

[17]        L’horaire de travail de la travailleuse est de sept heures par jour, cinq jours par semaine, du lundi au vendredi. Elle commence sa journĂ©e entre 7 h et 7 h 30 et la termine entre 14 h 30 et 15 h 30 et bĂ©nĂ©ficie d’une pause de 30 minutes pour le dĂ®ner.

[18]        Environ 80 enfants, de 3 mois Ă  4 ans, frĂ©quentent la garderie et une quinzaine d’adultes y travaillent.

[19]        La travailleuse est gauchère. Elle affirme n’avoir jamais consultĂ© pour des douleurs Ă  l’épaule avant avril 2012.

[20]        La travailleuse prĂ©cise qu’elle n’a pas de routine imposĂ©e. Elle dispose d’autonomie dans l’ordre d’exĂ©cution de ses tâches, mais elle doit s’assurer que son travail soit effectuĂ©.

[21]        Une journĂ©e type de la travailleuse implique l’exĂ©cution des tâches suivantes.

[22]        La travailleuse commence sa journĂ©e par une « brassĂ©e de lavage Â». Elle estime qu’elle en fait, en moyenne, cinq par jour, de façon discontinue. Pour faire une brassĂ©e de lavage, la travailleuse doit aller chercher les chaudières de linge humide Ă  laver (bavettes, dĂ©barbouillettes, chiffons et, l’hiver, des pantoufles), au 3e Ă©tage. Elle les prend Ă  bout de bras, une dans chaque main, descend une douzaine de marches et les apporte Ă  la salle de lavage. Elle estime que les chaudières pèsent environ 5 livres, mĂŞme si elle mentionne qu’il lui est difficile d’évaluer leur poids. La travailleuse met les vĂŞtements dans la laveuse Ă  chargement frontal : elle est penchĂ©e et ses bras vont et viennent des chaudières Ă  la laveuse dans un mouvement de flexion antĂ©rieure allant jusqu’à environ 90°. Une fois lavĂ©s, la travailleuse les transfère dans la sĂ©cheuse, en effectuant le mĂŞme mouvement de flexion antĂ©rieure des bras. De plus, deux ou trois fois par semaine, s’ajoute une brassĂ©e de lavage d’animaux en peluche ou de poupĂ©es. La travailleuse doit plier les vĂŞtements qu’elle a lavĂ©s : elle s’installe la plupart du temps debout devant la sĂ©cheuse : ses bras sont en flexion d’environ 25 Ă  30°. Pendant le lavage et le sĂ©chage, la travailleuse vaque Ă  d’autres occupations.

[23]        La travailleuse dĂ©sinfecte les jouets. Les jouets de chaque local de la garderie sont dĂ©sinfectĂ©s au moins une fois par semaine, de sorte qu’elle nettoie ce qu’elle estime Ă  environ quatre bacs et leur contenu par jour. Elle transporte les bacs de jouets Ă  la cuisine dans ses mains, en vide le contenu dans le lave-vaisselle et y ajoute le bac, lorsque c’est possible. Elle dĂ©sinfecte Ă  la main les bacs qui ne peuvent ĂŞtre dĂ©posĂ©s dans le lave-vaisselle : elle tient alors le bac de la main droite contre elle, vaporise le dĂ©sinfectant de la main gauche alors que le bras gauche est dans une position de 60 Ă  70° d’abduction et essuie le bac de la main gauche. Une fois les jouets dĂ©sinfectĂ©s, la travailleuse les sort du lave-vaisselle, les essuie et les dĂ©pose dans le bac propre. Elle essuie les jouets, la plupart du temps en position assise Ă  la table de la cuisine.

[24]        La travailleuse doit balayer et laver avec la moppe tous les jours. Elle effectue cette tâche en deux temps : pendant le dĂ®ner, elle nettoie la section avant de la garderie, soit un des vestiaires, les escaliers et l’entrĂ©e principale et, plus tard, pendant la sieste des enfants, dans les locaux des groupes d’enfants, les toilettes, l’autre vestiaire. La travailleuse estime que balayer et laver Ă  la moppe dans la première section dure environ 20 minutes pour chacune de ces opĂ©rations, sauf l’étĂ© oĂą il faut environ 30 minutes pour balayer et passer la moppe, Ă  cause du sable qui provient de l’aire de jeux extĂ©rieure, soit un total maximum d’une heure. La travailleuse estime que la tâche de balayage et de nettoyage Ă  la moppe de l’autre section est d’environ deux heures au total, soit environ trois heures Ă  trois heures trente par jour pour la tâche de balayage et de nettoyage Ă  la moppe.

[25]        Lorsqu’elle balaie, la travailleuse tient son balai, un petit balai domestique de type « oscar Â», avec ses deux mains, le bras gauche Ă©tant plus haut que le droit. La travailleuse dĂ©crit le mouvement pour balayer Ă  l’audience : il s’agit d’un mouvement de rotation du tronc, de pro/supination des avant-bras et de flexion/extension des poignets. Les Ă©paules sont sollicitĂ©es, mais dans des mouvements de flexion antĂ©rieure de peu d’amplitude[1]. Elle ramasse les rĂ©sidus avec un ramasse-poussière. Quand elle nettoie le dessous des petits bancs des vestiaires, le mouvement est diffĂ©rent : la travailleuse doit se pencher, lever quelques paires de souliers de la main droite, passer le balai de la main gauche sous les bancs et remettre les souliers. La travailleuse explique que passer le balai est plus long l’étĂ© parce qu’elle doit donner plusieurs coups de balai au mĂŞme endroit pour ramasser le sable.

[26]        Dans les escaliers qui comptent une quinzaine de marches, la travailleuse balaie chaque marche dans le mĂŞme mouvement que celui des planchers, mais elle le fait en descendant les marches Ă  reculons. Les pieds sont sur la marche infĂ©rieure Ă  celle qu’elle nettoie et ses bras sont en flexion antĂ©rieure d’environ 50 Ă  60°. Elle ramasse les rĂ©sidus balayĂ©s d’une marche Ă  l’autre Ă  la fin de l’escalier.

[27]        Après avoir balayĂ©, la travailleuse lave les planchers et les marches avec une moppe de type domestique qu’elle trempe dans un seau d’eau savonneuse et tord au moyen du mĂ©canisme installĂ© dans la chaudière. La travailleuse tient la moppe comme elle tient le balai, soit avec ses deux mains, le bras gauche dirige la moppe et est plus haut que le droit. La travailleuse effectue un mouvement de flexion et d’extension des poignets pour tordre la moppe et, comme pour le balayage, ses bras sont en lĂ©gère flexion antĂ©rieure, sauf pour les marches oĂą ses bras sont en flexion antĂ©rieure d’environ 50 Ă  60°. Pour laver le dessous des bancs dans les vestiaires, la travailleuse adopte la mĂŞme position que pour les balayer.

[28]        La travailleuse ne balaie et ne lave Ă  la moppe qu’une fois par semaine dans les deux bureaux, la joujouthèque, la salle Ă  manger et la chambre froide, de sorte qu’elle nettoie gĂ©nĂ©ralement un de ces locaux par jour. Il arrive qu’elle ne puisse respecter cette sĂ©quence parce qu’elle a plus de travail parfois Ă  cause du sable en Ă©tĂ©, parfois parce qu’en raison d’activitĂ©s il y a plus de va-et-vient et de saletĂ©. Le nettoyage de ces lieux implique Ă©galement la dĂ©sinfection dĂ©crite pour les autres locaux. Quant Ă  l’escalier de secours, elle ne le nettoie qu’une fois par mois.

[29]        La travailleuse doit dĂ©sinfecter les lieux, soit laver fenĂŞtres, rampes d’escalier, portes, cadres et poignĂ©es de porte. Elle vaporise le dĂ©sinfectant qu’elle tient de la main gauche et elle essuie avec le chiffon qu’elle tient de la main droite. Pour les portes et les cadres de porte, la travailleuse mime d’abord un mouvement d’abduction antĂ©rieure pouvant aller jusqu’à 140° afin d’atteindre, avec le chiffon, la partie supĂ©rieure des portes et le dessus des cadres de portes. InvitĂ©e Ă  prĂ©ciser la manière dont elle s’y prend pour nettoyer le haut et le dessus des portes qui sont bien plus hautes qu’elle, elle prĂ©cise finalement qu’avec le chiffon, elle nettoie la partie Ă  sa hauteur et passe un plumeau sur la partie supĂ©rieure.

[30]        La travailleuse prĂ©cise qu’il y a sept portes et six demi-portes (qui font la moitiĂ© de la hauteur d’une porte) dans la garderie, mais qu’elle ne les nettoie pas tous les jours ni en une seule sĂ©quence : elle nettoie les portes de la section avant tous les jours alors que les portes des locaux ne sont nettoyĂ©es que lorsqu’elle nettoie le local correspondant.

[31]        La travailleuse nettoie les fenĂŞtres en effectuant un mouvement inverse au reste du nettoyage : elle vaporise de la main droite et essuie de la main gauche parce qu’il faut frotter.

[32]        La travailleuse nettoie au moins un local de groupe d’enfants par jour et deux, si possible. Cela implique de nettoyer les cadres de portes, les portes, les fenĂŞtres et les gros jouets de plastique, le cas Ă©chĂ©ant, de ce local selon la technique dĂ©crite prĂ©cĂ©demment. Dans un de ces locaux se trouvent des dĂ©corations suspendues au plafond sur lesquelles la travailleuse doit passer, une fois par semaine, un plumeau Ă  court manche de type « swifer Â» qu’elle tient avec la main gauche alors qu’elle retient la dĂ©coration de la main droite. Pour ce faire, la travailleuse monte sur un escabeau de deux marches : les bras sont en flexion antĂ©rieure de plus de 90°. Elle nettoie de la mĂŞme façon divers animaux en peluche accrochĂ©s au mur dans les locaux et doit, pour ce faire, effectuer un mouvement de flexion antĂ©rieure de plus de 90° du bras droit.

[33]        La travailleuse nettoie les deux vestiaires de la garderie chaque jour : elle balaie le plancher, passe la moppe, dĂ©sinfecte les fenĂŞtres, les cadres de portes et le dessus des tablettes sur lesquelles sont posĂ©s une soixantaine de bacs qui contiennent les effets personnels des enfants (tuque, mitaines.). Pour nettoyer les tablettes, elle monte dans l’escabeau de deux marches, soulève un ou deux bacs de la main droite et nettoie la tablette avec un chiffon qu’elle tient dans la main gauche, dans un geste de flexion antĂ©rieure du bras droit d’environ 110° alors que l’avant-bras est en extension. La travailleuse estime la durĂ©e totale de l’opĂ©ration nettoyage (balai, moppe, dĂ©sinfection des tablettes et des crochets des vestiaires) Ă  quinze Ă  vingt minutes par vestiaire. Ă€ l’exception des tablettes qu’elle lave de la main gauche parce qu’elle tient les bacs de la main droite, elle lave le reste des vestiaires de la main droite.

[34]        La travailleuse nettoie Ă©galement les 5 salles de bain tous les jours. Elle nettoie les miroirs, lavabos, cadres de portes et portes et les six cuvettes de la garderie avec un dĂ©sinfectant. Elle vaporise de la main droite et nettoie de la main gauche le dessus des cuvettes avec le chiffon. Elle s’accroupit ensuite et lave chaque cĂ´tĂ© des cuvettes avec ses deux mains.

[35]        La travailleuse affirme que les tâches les plus exigeantes Ă©taient celles de laver avec la moppe et de balayer, surtout en raison du sable l’étĂ©.

[36]        La travailleuse suppose qu’elle a dĂ©veloppĂ© une pathologie au membre supĂ©rieur droit alors qu’elle est gauchère en raison du fait que, lorsqu’elle balaie et lave avec la moppe, c’est la main d’en bas, la droite, qui dirige et est donc plus sollicitĂ©e.

[37]        L’employeur ne prĂ©sente pas de preuve.

L’AVIS DES MEMBRES

[38]        Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requĂŞte de la travailleuse. Bien qu’il estime qu’elle n’a pas fait la preuve des Ă©lĂ©ments permettant d’appliquer la prĂ©somption prĂ©vue Ă  l’article 29 de la loi, Ă  son avis elle a dĂ©montrĂ© que, comme le prĂ©voit l’article 30 de la loi, la tendinite de l’épaule gauche est reliĂ©e directement aux risques particuliers de son travail de prĂ©posĂ©e Ă  l’entretien mĂ©nager chez l’employeur. Il est par ailleurs d’avis que la travailleuse n’a pas dĂ©montrĂ© que le diagnostic de cervicalgie est reliĂ© Ă  ses tâches de prĂ©posĂ©e Ă  l’entretien mĂ©nager ni qu’il rĂ©sulte d’un accident du travail.

[39]        Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requĂŞte de la travailleuse. Ă€ son avis, elle n’a pas fait la preuve des Ă©lĂ©ments constitutifs de l’application de la prĂ©somption prĂ©vue Ă  l’article 29 de la loi. De plus, il estime que la travailleuse n’a pas dĂ©montrĂ© qu’elle souffre d’une maladie professionnelle au sens de l’article 30 de la loi.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[40]        La Commission des lĂ©sions professionnelles doit dĂ©terminer si la travailleuse a subi une lĂ©sion professionnelle, le 18 avril 2012.

[41]        La « lĂ©sion professionnelle Â» est dĂ©finie ainsi Ă  l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

[42]        La travailleuse n’allègue pas que sa lĂ©sion est survenue après un Ă©vĂ©nement particulier, ni qu’elle rĂ©sulte d’une rĂ©cidive, rechute ou aggravation. La preuve ne permet d’ailleurs pas de conclure Ă  la survenance de ce type de lĂ©sion professionnelle. La travailleuse soutient plutĂ´t qu’elle est survenue Ă  force de faire son travail. Il convient donc d’analyser sa rĂ©clamation sous l’angle de la maladie professionnelle.

[43]        En premier lieu, il convient de statuer sur le diagnostic de la lĂ©sion. Il appert des rapports mĂ©dicaux au dossier que les mĂ©decins ont retenu que la travailleuse a prĂ©sentĂ© une pathologie au niveau cervical et Ă  l’épaule droite. Concernant l’épaule droite, le seul diagnostic posĂ© est celui de tendinite. Concernant la lĂ©sion au niveau cervical, le diagnostic de cervico-brachialgie, d’abord posĂ© par le Dr DeschĂŞnes, a ensuite Ă©tĂ© remplacĂ© par celui de cervicalgie posĂ© par la Dr Grou, Ă  compter du 24 mai 2012. Dans ces circonstances, il convient de retenir le diagnostic de cervicalgie aux fins de dĂ©terminer si la travailleuse a subi une lĂ©sion professionnelle au niveau cervical. La Commission des lĂ©sions professionnelles a, en effet, reconnu que le diagnostic peut Ă©voluer au cours du suivi mĂ©dical, de sorte qu’il est parfois nĂ©cessaire de le prĂ©ciser[2].

[44]        En vertu de l’article 224 de la loi, le tribunal est liĂ© par l’opinion des mĂ©decins de la travailleuse concernant le diagnostic de la lĂ©sion professionnelle puisqu’elle n’a pas Ă©tĂ© contestĂ©e au Bureau d’évaluation mĂ©dicale.

[45]        Le tribunal doit donc dĂ©terminer si la travailleuse a dĂ©montrĂ©, par une preuve prĂ©pondĂ©rante, que la tendinite de l’épaule droite et la cervicalgie constituent une maladie professionnelle.

[46]        La maladie professionnelle est ainsi dĂ©finie Ă  l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

[47]        Afin de faciliter la preuve de maladie professionnelle, l’article 29 de la loi Ă©tablit une prĂ©somption, notamment Ă  l’égard des lĂ©sions musculo-squelettiques Ă©numĂ©rĂ©es Ă  la Section IV de l’annexe I de la loi :

29.  Les maladies Ă©numĂ©rĂ©es dans l'annexe I sont caractĂ©ristiques du travail correspondant Ă  chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliĂ©es directement aux risques particuliers de ce travail.

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

ANNEXE I

MALADIES PROFESSIONNELLES

(Article 29)

[…]

SECTION IV

MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES

MALADIES

GENRES DE TRAVAIL

1.Lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, ténosynovite):

 

un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées;

 

[48]        Dans les cas oĂą cette prĂ©somption est inapplicable, la loi Ă©nonce, Ă  l’article 30, les Ă©lĂ©ments essentiels de la preuve d’une maladie professionnelle :

30.  Le travailleur atteint d'une maladie non prĂ©vue par l'annexe I, contractĂ©e par le fait ou Ă  l'occasion du travail et qui ne rĂ©sulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causĂ©e par un tel accident est considĂ©rĂ© atteint d'une maladie professionnelle s'il dĂ©montre Ă  la Commission que sa maladie est caractĂ©ristique d'un travail qu'il a exercĂ© ou qu'elle est reliĂ©e directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

985, c. 6, a. 30.

[49]        Pouvoir bĂ©nĂ©ficier de la prĂ©somption de maladie professionnelle en matière de lĂ©sion musculo-squelettique, la travailleuse doit faire la preuve de deux Ă©lĂ©ments. D’une part, le diagnostic retenu doit en ĂŞtre un de bursite, tendinite ou de tĂ©nosynovite. D’autre part, la preuve doit dĂ©montrer qu’elle exerce un travail impliquant des rĂ©pĂ©titions de mouvements ou de pressions sur des pĂ©riodes de temps prolongĂ©es.

[50]        Le diagnostic de cervicalgie n’est pas Ă©numĂ©rĂ© Ă  la section IV de l’annexe I de la loi. Le caractère professionnel de cette condition ne sera donc retenu qu’à la condition que la travailleuse fasse la preuve des Ă©lĂ©ments prĂ©vus Ă  l’article 30 de la loi, ce que nous analyserons plus loin.

[51]        Il en va autrement du diagnostic de tendinite : cette condition Ă©tant prĂ©vue Ă  la section IV de l’annexe I de la loi, la première condition d’application de la prĂ©somption est remplie. Cela Ă©tant, il faut donc dĂ©terminer si les autres conditions d’application de la prĂ©somption en matière musculo-squelettique sont remplies, Ă  savoir que le travail de prĂ©posĂ©e Ă  l’entretien mĂ©nager implique des « rĂ©pĂ©titions de mouvements ou de pressions sur des pĂ©riodes de temps prolongĂ©es Â» au sens de l’annexe I de la loi.

[52]        La travailleuse soutient que tel est le cas.

[53]        Le lĂ©gislateur n’a pas dĂ©fini la notion de « rĂ©pĂ©titions de mouvements ou de pressions sur des pĂ©riodes de temps prolongĂ©es Â». Cependant, la jurisprudence du tribunal retient[3] que ces termes rĂ©fèrent Ă  des mouvements ou de pressions semblables, sinon identiques, qui doivent se succĂ©der de façon continue, pendant une pĂ©riode de temps prolongĂ©e et Ă  une cadence assez rapide, avec pĂ©riodes de rĂ©cupĂ©ration insuffisantes. Les mouvements ou pressions doivent nĂ©cessairement impliquer la structure anatomique visĂ©e par la lĂ©sion identifiĂ©e. Une multitude de gestes, quoique variĂ©s, s'ils sollicitent la mĂŞme structure anatomique, peuvent ĂŞtre considĂ©rĂ©s comme des rĂ©pĂ©titions de mouvements ou de pressions sur des pĂ©riodes de temps prolongĂ©es, car leur cumul est susceptible d'entraĂ®ner une pathologie au mĂŞme site[4].

[54]        La jurisprudence retient Ă©galement que l'expression « pĂ©riodes de temps prolongĂ©es Â», rĂ©fère Ă  la pĂ©riode de travail quotidiennement consacrĂ©e aux gestes rĂ©pĂ©titifs[5] plutĂ´t qu'au nombre d'annĂ©es, de mois ou de jours durant lesquelles les tâches ont Ă©tĂ© exercĂ©es, bien que ces Ă©lĂ©ments puissent Ă©galement ĂŞtre analysĂ©s comme tout autre Ă©lĂ©ment de preuve[6].

[55]        Une fois dĂ©montrĂ© qu’un travail implique des rĂ©pĂ©titions de mouvements ou de pressions sur des pĂ©riodes de temps prolongĂ©es, la prĂ©somption s’applique : la travailleuse n’a pas Ă  faire la preuve d’autres facteurs de risque[7] qui seront plutĂ´t analysĂ©s dans le cadre du renversement de la prĂ©somption de maladie professionnelle[8].

[56]        Dans le prĂ©sent dossier, le tribunal estime que les tâches de la travailleuse n’impliquent pas des « rĂ©pĂ©titions de mouvements ou de pressions Â» impliquant l’épaule droite « sur des pĂ©riodes de temps prolongĂ©es Â» au sens de l’annexe I de la loi.

[57]        Le tribunal constate que la travailleuse effectue une multitude de tâches diverses dans une journĂ©e de travail :

·        Elle effectue les tâches affĂ©rentes au lavage de linge : elle transporte les chaudières de linge sale Ă  la salle de lavage, dĂ©pose les vĂŞtements et animaux de peluche dans la laveuse et la sĂ©cheuse, les retire et plie les vĂŞtements;

·        Elle dĂ©sinfecte les jouets ce qui implique de transporter les bacs de jouets Ă  la cuisine, vider le contenu dans le lave-vaisselle, dĂ©sinfecter certains bacs de jouets Ă  la main, sortir, essuyer et remettre les jouets dans les bacs;

·        Elle balaie les planchers et les nettoie avec la moppe et une chaudière d’eau savonneuse;

·        Elle dĂ©sinfecte les locaux, leurs fenĂŞtres, portes, modules de jeux et les dĂ©corations accrochĂ©es aux murs et aux plafonds;

·        Elle nettoie les vestiaires, leurs tablettes, leurs crochets, etc.;

·        Elle nettoie toutes les salles de bain, leurs cuvettes, miroirs, lavabos, portes, etc.

[58]        Il appert de la description des tâches de la travailleuse que son emploi de prĂ©posĂ©e Ă  l’entretien mĂ©nager implique qu’elle pose plusieurs gestes plus d’une fois. Mais ce n’est pas parce que ces gestes sont « rĂ©pĂ©tĂ©s Â» qu’il y a « rĂ©pĂ©tition de mouvements ou de pressions Â» au sens de l’annexe I de la loi.

[59]        Le tribunal retient en effet que, tel qu’il appert de la description fournie par la travailleuse, les mouvements qu’elle accomplit sont variĂ©s sur le plan physiologique en ce sens qu’ils ne sollicitent pas toujours les mĂŞmes structures anatomiques de sorte qu’ils ne peuvent ĂŞtre qualifiĂ©s « d’identiques Â» ou de « semblables Â».

[60]        Le tribunal retient Ă©galement qu’aucune cadence n’est imposĂ©e Ă  la travailleuse dans l’exĂ©cution de ses tâches et qu’elle contrĂ´le son rythme de travail. Le tribunal retient notamment que, si elle n’a pas le temps, une journĂ©e, de nettoyer un des locaux qui doit ĂŞtre nettoyĂ© hebdomadairement, elle ne le fait pas.

[61]        La preuve dĂ©montre de plus que les mouvements impliquant l’épaule droite de la travailleuse sont entrecoupĂ©s par d’autres activitĂ©s qui, elles, sollicitent d’autres muscles, d’autres tendons et l’autre Ă©paule, lesquelles constituent autant de micropauses permettant de reposer son Ă©paule droite. On ne peut donc conclure que les mouvements ou pressions sollicitant l’épaule se succèdent de façon continue.

[62]        Dans ces circonstances, le tribunal estime que les tâches de prĂ©posĂ©e Ă  l’entretien mĂ©nager de la travailleuse ne comportent pas de rĂ©pĂ©titions de mouvements sur des pĂ©riodes de temps prolongĂ©es, au sens de l’article 29 de la loi. En consĂ©quence, la prĂ©somption de maladie professionnelle ne trouve pas application en l’espèce.

[63]        Ă€ dĂ©faut de bĂ©nĂ©ficier de la prĂ©somption, la travailleuse doit donc dĂ©montrer qu’elle satisfait aux conditions de l’article 30 de la loi si elle veut voir sa rĂ©clamation accueillie.

[64]        En vertu de l’article 30 de la loi, la travailleuse doit dĂ©montrer, par une preuve prĂ©pondĂ©rante, que sa maladie est caractĂ©ristique de son travail ou qu’elle est directement reliĂ©e Ă  ses risques particuliers.

 

[65]        Le tribunal constate qu’aucune preuve ne lui a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e lui permettant de conclure que la cervicalgie de la travailleuse est « caractĂ©ristique du travail Â» de prĂ©posĂ©e Ă  l’entretien mĂ©nager ou « directement reliĂ©e Ă  ses risques particuliers Â». L’affirmation du reprĂ©sentant de la travailleuse voulant que ce travail entraĂ®ne une sollicitation de son cou est insuffisante Ă  cet Ă©gard. Il n’y a au surplus aucune preuve mĂ©dicale Ă©tablissant une relation entre la cervicalgie de la travailleuse et ses tâches. Le tribunal ne peut donc retenir que la cervicalgie est une maladie professionnelle au sens de l’article 30 de la loi.

[66]        Concernant la tendinite de l’épaule, la travailleuse n’allègue pas que cette pathologie est « caractĂ©ristique Â» de l’emploi qu’elle occupe. De plus, aucune preuve de nature Ă©pidĂ©miologique ou statistique n’a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e au tribunal lui permettant de conclure que la cervicalgie de la travailleuse est « caractĂ©ristique du travail Â» de prĂ©posĂ©e Ă  l’entretien mĂ©nager.

[67]        Le tribunal doit donc dĂ©terminer si la tendinite Ă  l’épaule droite de la travailleuse est reliĂ©e directement aux risques particuliers de son travail de prĂ©posĂ©e Ă  l’entretien mĂ©nager.

[68]        Eu Ă©gard au diagnostic de tendinite, la travailleuse a produit des extraits de l’ouvrage Pathologie mĂ©dicale de l’appareil locomoteur[9] oĂą l’on dĂ©crit ainsi les risques de tendinopathie Ă  l’épaule :

Le risque de tendinopathie à l’épaule serait principalement lié à des activités nécessitant le maintien de postures statiques, la manutention de charges et l’exécution répétée de mouvements de l’épaule ou de la main (tableau 11.3).

[…]

Tableau 11.3

Principaux facteurs de risque professionnels associés à la tendinopathie de la coiffe des rotateurs

·         Postures rĂ©pĂ©tĂ©es ou maintenues >60 Âş de flexion antĂ©rieure ou d’abduction

·         Travail avec mouvements rĂ©pĂ©titifs des poignets ou des mains

·         Travail avec les mains plus haut que l’épaule

·         Travail nĂ©cessitant des mouvements de rotation ou d’extension du bras.

[69]        La travailleuse a, par ailleurs, soumis des extraits d’une autre section de la Pathologie mĂ©dicale de l’appareil locomoteur, celle concernant les troubles musculo-squelettiques reliĂ©s au travail. Aux fins de disposer du prĂ©sent litige, il est utile de retenir que, selon cet ouvrage, les principaux facteurs de risque biomĂ©caniques associĂ©s aux troubles musculo-squelettiques (TMS) sont les suivants[10] :

Tableau 33.2

Principaux facteurs de risque associés aux TMS

 

Facteurs bio-mécaniques

·         Force/effort

·         Postures

·         RĂ©pĂ©titivitĂ©/temps de rĂ©cupĂ©ration

[…]

[70]        La travailleuse allègue qu’elle effectue des gestes dans une posture contraignante pour son Ă©paule de façon rĂ©pĂ©titive et que plusieurs d’entre eux impliquent l’usage de la force ou qu’elle fournisse un effort.

[71]        Le tribunal constate d’abord que la grande majoritĂ© des tâches de la travailleuse sont effectuĂ©es avec les deux mains et qu’elle est gauchère alors qu’elle prĂ©sente une tendinite Ă  l’épaule droite. La preuve dĂ©montre Ă©galement que la grande majoritĂ© des mouvements qui impliquent l’épaule droite de la travailleuse sont effectuĂ©s dans une position qui combine des flexions antĂ©rieures et des abductions de l’épaule droite de moins de 45°.

[72]        Pour certaines tâches de durĂ©e plus courte, l’épaule de la travailleuse est Ă  plus de 60°. Il en est ainsi lorsqu’elle nettoie le dessus des tablettes des deux vestiaires et qu’elle doit lever, de la main droite, les bacs qui y sont posĂ©s pendant qu’elle passe un chiffon de la gauche. Cependant, la charge levĂ©e par le bras droit concerne un bac dont la travailleuse n’a pas prĂ©cisĂ© le poids, mais qui est de toute Ă©vidence lĂ©ger puisque la travailleuse peut en soulever deux Ă  la fois. De plus, la travailleuse ne soutient pas les bacs Ă  bout de bras, puisqu’elle est montĂ©e sur un escabeau, et cette opĂ©ration dure au total 15 Ă  20 minutes pour chaque vestiaire, ce qui inclut les autres opĂ©rations de nettoyage des vestiaires. Lorsque la travailleuse transfère le linge dans la laveuse et la sĂ©cheuse, ses bras sont Ă©galement en flexion antĂ©rieure d’environ 90 Âş, mais lĂ  encore, il s’agit d’activitĂ©s de courte durĂ©e et entrecoupĂ©es d’autres activitĂ©s de nettoyage. Il en est de mĂŞme de la dĂ©sinfection des jouets qui implique une flexion des bras entre 60° et 70°, mais pour des pĂ©riodes de courte durĂ©e, sans utilisation de force ou d’effort.

 

[73]        De mĂŞme, la dĂ©sinfection des portes, cadres de portes et fenĂŞtres implique des flexions antĂ©rieures qui peuvent aller jusqu’à des amplitudes assez Ă©levĂ©es, quoique moindres que celles de 140° d’abord dĂ©crites par la travailleuse avant de prĂ©ciser qu’elle utilisait un plumeau pour les hauteurs. Le tribunal constate toutefois que cette tâche est brève, sans contrainte de poids et n’est effectuĂ©e que quelques fois par jour. Il en est de mĂŞme de l’époussetage des dĂ©corations aux murs et aux plafonds qui implique des mouvements avec les deux bras en flexion antĂ©rieure de plus de 90°, pour de très courtes pĂ©riodes et quelques fois par jour.

[74]        Lorsqu’elle balaie et nettoie avec la moppe, la travailleuse effectue des mouvements rĂ©pĂ©tĂ©s de rotation du tronc, de flexion/supination et de flexion/extension des poignets. Les Ă©paules de la travailleuse sont Ă©galement sollicitĂ©es, mais Ă  de faibles amplitudes et sans poids notable puisqu’elle utilise un balai et une moppe domestiques. La travailleuse a Ă©valuĂ© la première activitĂ© de balayage et de nettoyage Ă  la moppe Ă  une durĂ©e de 20 Ă  30 minutes pour chaque opĂ©ration et Ă  environ une heure pour chaque opĂ©ration lors de la seconde sĂ©quence.

[75]        Compte tenu des durĂ©es d’exĂ©cution de ces deux tâches qui sollicitent son Ă©paule droite, la travailleuse soutient notamment qu’elles sont « rĂ©pĂ©titives Â» et mĂŞme « hautement rĂ©pĂ©titives Â» au sens oĂą l’entendent les auteurs du chapitre sur les troubles musculo-squelettique de la Pathologie l’appareil locomoteur, de sorte que, sur le seul critère de « rĂ©pĂ©titivitĂ© Â», la tendinite dont elle souffre serait reliĂ©e directement aux risques particuliers de son travail.

[76]        Le tribunal ne peut retenir cette prĂ©tention.

[77]        Le tribunal constate en effet que la notion de tâche « rĂ©pĂ©titive Â» retenue dans l’ouvrage Pathologie de l’appareil locomoteur[11] fait rĂ©fĂ©rence Ă  une tâche dont les « cycles de travail Â» sont exĂ©cutĂ©s pendant au moins une heure ininterrompue. Or, la tâche de la travailleuse ne peut ĂŞtre qualifiĂ©e de tâches impliquant des « cycles de travail Â» au sens oĂą l’entendent ces auteurs qui donnent comme exemple de travail « non cyclique Â» ou « Ă  taches variĂ©es Â» prĂ©cisĂ©ment le travail de prĂ©posĂ© Ă  l’entretien mĂ©nager qui exĂ©cute plusieurs tâches. D’autre part, les auteurs de cet ouvrage mentionnent que plusieurs experts estiment qu’une tâche est hautement rĂ©pĂ©titive lorsqu’elle est exĂ©cutĂ©e Ă  plus de 50 % du temps[12], ce qui n’est manifestement pas le cas de la travailleuse. Dans ces circonstances, le tribunal ne peut conclure de la preuve prĂ©sente que la travailleuse effectue des tâches rĂ©pĂ©titives.

 

[78]        De plus, la preuve ne permet pas non plus de conclure que la travailleuse est exposĂ©e aux autres facteurs de risque de troubles musculo-squelettiques mentionnĂ©s dans Pathologie de l’appareil locomoteur, soit les contraintes de posture[13] ou celles rĂ©sultant de l’usage de la force/d’efforts[14] lors de l’exĂ©cution de ses tâches.

[79]        Le tribunal conclut donc que la tendinite de la travailleuse ne peut ĂŞtre reliĂ©e directement aux risques particuliers de son travail de prĂ©posĂ©e Ă  l’entretien mĂ©nager parce que, mĂŞme si ses tâches comportent des rĂ©pĂ©titions de plusieurs mouvements impliquant son Ă©paule droite, ceux-ci ne sont pas particulièrement contraignants pour cette Ă©paule compte tenu de la variation dans les mouvements, structures anatomiques et membre supĂ©rieur sollicitĂ©s et des micro-pauses possibles en tout temps.

[80]        Dans le formulaire du 26 septembre 2012, la Dre Grou semble Ă©tablir une relation entre le diagnostic de tendinite de la travailleuse et les mouvements rĂ©pĂ©titifs avec charge et une « surexposition Â» Ă  son travail. Toutefois, dans la mesure oĂą la preuve ne permet pas de conclure Ă  des mouvements rĂ©pĂ©titifs avec ou sans charge de nature Ă  entraĂ®ner une tendinite ni Ă  une surexposition, le tribunal ne peut accorder de force probante Ă  l’opinion de la Dre Grou relativement Ă  l’existence d’une telle relation.

[81]        En terminant, il convient de prĂ©ciser que le tribunal ne s’estime pas liĂ©, en regard de l’application des articles 29 et 30 de la loi par les mentions contenues dans le document Analyse de la profession - PrĂ©posĂ©e Ă  l’entretien mĂ©nager dans les Ă©tablissements d’hĂ©bergement touristiques[15], produit par la travailleuse, et voulant que la fonction de prĂ©posĂ©e Ă  l’entretien mĂ©nager dans les Ă©tablissements touristiques implique des « mouvements rĂ©pĂ©titifs Â». La lecture de ce document ne permet pas de savoir si les auteurs dĂ©tiennent une quelconque expertise en matière d’évaluation des risques de dĂ©velopper des troubles musculo-squelettiques au travail d’autant plus qu’il n’y est nullement question des risques de souffrir d’une tendinite dans l’exĂ©cution du travail de prĂ©posĂ© Ă  l’entretien mĂ©nager. Ce document est d’ailleurs prĂ©sentĂ© comme « une analyse de profession qui servira de base Ă  l’élaboration d’une norme professionnelle pour les prĂ©posĂ©s et prĂ©posĂ©es Ă  l’entretien mĂ©nager dans les Ă©tablissements touristiques du QuĂ©bec Â» et non comme une Ă©tude des risques professionnels que cette tâche comporte. Au surplus, ce document concerne la tâche de prĂ©posĂ© Ă  l’entretien mĂ©nager telle qu’elle est effectuĂ©e dans des Ă©tablissements touristiques, laquelle diffère, Ă  la lecture mĂŞme du document, de celle dĂ©crite par la travailleuse lors de l’audience.

[82]        Pour tous ces motifs, le tribunal est d’avis que la travailleuse n’a pas dĂ©montrĂ© qu’elle a subi une lĂ©sion professionnelle le 18 avril 2012.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requĂŞte de Madame Chantal Jubinville, la travailleuse;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 20 juin 2012 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 18 avril 2012.

 

 

__________________________________

 

Guylaine Henri

 

 

 

 

Monsieur Michel Julien

G.M.S. CONSULTANTS

Représentant de la partie requérante

 



[1]           Il convient de prĂ©ciser que les photographies soumises par la travailleuse reprĂ©sentant des individus effectuant des tâches d’entretien mĂ©nager similaires aux siennes (pièce T-4) ne reprĂ©sentent pas adĂ©quatement la position adoptĂ©e par la travailleuse lorsqu’elle balaie : d’une part, Ă  l’audience, la travailleuse mime un mouvement de flexion antĂ©rieure de peu d’amplitude contrairement Ă  ce qui apparaĂ®t sur ces photographies ce qui s’explique probablement par le fait que, d’autre part, sur ces dernières, l’employĂ©e utilise un balai de type industriel, de toute Ă©vidence beaucoup plus long que le petit balai domestique de type « oscar Â» utilisĂ© par la travailleuse dans le prĂ©sent dossier.

[2]           Voir notamment MEP Technologies inc. et Lefebvre, 115818-61-9904, 26 octobre 2000, L. Nadeau.

[3]           Foster-Ford et Catelli (1989) inc., 56830-61-9402, 12 octobre 1995, B. Lemay; Frigon et Arboriculture de Beauce inc., 330347-04-0710, 15 juin 2010, D. Lajoie.

[4]           Bouchard et C. H. Notre-Dame de Montréal, [1997] C.A.L.P. 195 ; Galura et Technicolor Canada inc., [2003] C.L.P. 355 ; Cossette et Vêtements S. & F. (Canada) ltée, 352056-64-0806, 20 janvier 2009, M. Montplaisir.

[5]           Leduc et Général Motors du Canada ltée, [2002] C.L.P. 714 ; Lebel et Commission scolaire de Montréal, 389757-62-0909, 27 août 2010, L. Couture.

[6]           Charron et Héma-Québec, 175611-64-0112, 3 janvier 2003, J.-F. Martel, (02LP-170); Cadieux et B.O.L.D., 216395-64-0309, 1er juin 2004, R. Daniel; Bermex International inc. et Rouleau, [2005] C.L.P. 1574 , révision rejetée, 233846-04-0405, 19 mars 2007, L. Nadeau, (06LP-287); Rossi et Société Diamond Tea Gown inc., 220900-72-0311, 7 mai 2004, Anne Vaillancourt.

[7]           Boivin et Les industries Maibec inc., 357588-03B-0809, 4 octobre 2010, A. Quigley.

[8]           Gray et Service Distri-Bouffe DD inc., 324307-61-0707, 12 mars 2008, G. Morin.

[9]           André ROY et al.,chap. 11 : « Épaule », dans Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE (dir.), Pathologie médicale de l'appareil locomoteur, 2e éd., Saint-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 2008, pp. 561-638, 579.

[10]         Martine BAILLARGEON et Louis PATRY, chap. 33 : « Travailleur. 1re partie : Le travailleur et les troubles musculo-squelettiques liés au travail », dans Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE (dir.), Pathologie médicale de l'appareil locomoteur, 2e éd., Saint-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 2008, pp. 1263-1282, p. 1269.

[11]         Id., p. 1272-1273.

[12]         Id., p. 1273.

[13]         Paragraphe 69 de la présente décision.

[14]         Martine BAILLARGEON et Louis PATRY, chap. 33 : « Travailleur. 1re partie : Le travailleur et les troubles musculo-squelettiques liés au travail », dans Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE (dir.), Pathologie médicale de l'appareil locomoteur, précitée, note 10, p. 1269.

[15]         Conseil québécois des ressources humaines en tourisme (CQRHT), Mars 2009.

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