Rodrigues et Victoria Précision |
2011 QCCLP 5432 |
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[1] Le 12 avril 2011, monsieur José Rodrigues (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 23 février 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision déclare irrecevables les demandes de révision du travailleur, parce que les avis de paiement des 5 novembre 2009 et 4 novembre 2010 ne constituent pas des décisions mais des applications d’une décision initiale rendue le 9 août 2006. Cependant, se prononçant quand même au mérite, la révision administrative dispose que la méthode de calcul utilisée par la CSST pour l’application de l’article 56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) est conforme au texte de cette disposition législative.
[3] L’audience de la présente requête a lieu le 19 juillet 2011 à Laval. Le travailleur est présent. La compagnie Victoria Précision (l’employeur) est absente ayant cessé ses activités. La CSST a retiré son intervention la veille de l’audience. Le délibéré a débuté à cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer ses demandes de révision recevables et, au mérite, d’adopter une méthode de calcul différente de celle utilisée par la CSST lorsqu’elle réduit son indemnité de remplacement du revenu les deuxième et troisième années, en application du premier paragraphe de l’article 56 de la loi.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales partagent le même avis.
[6] D’abord, ils sont d’opinion que les avis de paiement des 5 novembre 2009 et 4 novembre 2010 constituent des décisions au sens de la loi puisqu’elles portent sur un sujet différent de celui traité dans la décision initiale datée du 9 août 2006. Par cette décision, la CSST avise le travailleur qu’il recevra des indemnités de remplacement du revenu en conformité avec l’article 56 de la loi, alors que pour chaque année subséquente, le travailleur est avisé de la somme réelle qui lui sera versée pour l’année à venir à titre d’indemnités de remplacement du revenu. Pour le membre issu des associations syndicales, il serait prématuré, pour le travailleur, de contester la décision initiale puisqu’il n’a pas intérêt à le faire à ce moment. Son intérêt naît au moment où il est informé de la somme réelle qui lui sera versée.
[7] Quant au mérite, les membres sont d’avis de rejeter les prétentions du travailleur. La méthode de calcul utilisée par la CSST en application de l’article 56 de la loi est celle qui respecte le mieux cette disposition législative.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord décider si les avis de paiement des 5 novembre 2009 et 4 novembre 2010 constituent des décisions dont le travailleur peut demander la révision au sens de l’article 358 de la loi :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .
Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2 .
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[9] En 1995 et en 2003, le travailleur est victime d’accidents du travail impliquant la région lombaire. Par décision datée du 24 février 2006, la Commission des lésions professionnelles[2] déclare que le travailleur est incapable de reprendre son emploi d’assistant contremaître et qu’il a droit à la poursuite du versement de son indemnité de remplacement du revenu après le 13 mai 2005. Le dossier est retourné à la CSST pour la mise en place d’un programme de réadaptation professionnelle.
[10] En 2006, le travailleur est âgé de 63 ans. Après étude de son dossier, la CSST décide d’appliquer le premier paragraphe de l’article 56 de la loi :
56. L'indemnité de remplacement du revenu est réduite de 25 % à compter du soixante-cinquième anniversaire de naissance du travailleur, de 50 % à compter de la deuxième année et de 75 % à compter de la troisième année suivant cette date.
Cependant, l'indemnité de remplacement du revenu du travailleur qui est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans est réduite de 25 % à compter de la deuxième année suivant la date du début de son incapacité, de 50 % à compter de la troisième année et de 75 % à compter de la quatrième année suivant cette date.
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1985, c. 6, a. 56.
[11] Une décision en ce sens est transmise au travailleur le 9 août 2006. À son soixante-cinquième anniversaire de naissance, en octobre 2008, son indemnité est réduite de 25 %, conformément à l’article 56 de la loi. Puis, dans un avis de paiement daté du 5 novembre 2009, il est avisé que son indemnité de remplacement du revenu est réduite de 50 %. Enfin, par avis de paiement daté du 4 novembre 2010, il est avisé que son indemnité de remplacement du revenu est réduite de 75 %.
[12] Le travailleur demandera la révision de ces deux avis de paiement, dans les délais prévus à la loi. Par décision datée du 23 février 2011, la révision administrative rend la décision contestée en l’instance.
[13] La révision administrative décide d’abord que les avis de paiement des 5 novembre 2009 et 4 novembre 2010 ne constituent pas des décisions au sens de la loi. La Commission des lésions professionnelles, après analyse, est d’opinion contraire.
[14] Un avis de paiement de la CSST constitue une décision au sens de la loi s’il satisfait aux critères prévus à l’article 354 de la loi :
354. Une décision de la Commission doit être écrite, motivée et notifiée aux intéressés dans les plus brefs délais.
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1985, c. 6, a. 354.
[15] En l’instance, les avis de paiement des 5 novembre 2009 et 4 novembre 2010 sont écrits et notifiés au travailleur. Sont-ils motivés? Oui, parce qu’ils contiennent toutes les informations pertinentes ou essentielles permettant au travailleur d’apprécier la somme d’indemnités de remplacement du revenu qui lui sera versée au cours de l’année à venir.
[16] En somme, les avis de paiement des 5 novembre 2009 et 4 novembre 2010 atteignent le but recherché par l’article 354 de la loi, c’est-à-dire permettre au travailleur de bien comprendre ce qui a été décidé de sorte qu’il puisse prendre le parti de s’en estimer satisfait ou non.
[17] Pour la révision administrative, les avis de paiement des 5 novembre 2009 et 4 novembre 2010 ne sont pas des décisions. La seule décision rendue en application de l’article 56 l’a été le 9 août 2006 et c’est cette seule décision dont le travailleur pouvait se plaindre. Les 5 novembre 2009 et 4 novembre 2010, la CSST ne fait qu’appliquer la décision déjà rendue le 9 août 2006.
[18] La Commission des lésions professionnelles n’est pas d’accord. La décision du 9 août 2006 avise le travailleur qu’il bénéficiera de ce que prévu à l’article 56 de la loi, mais ce dernier ignore, à ce moment, quel montant réel lui sera versé les deuxième et troisième années. Seuls les avis de paiement des 5 novembre 2009 et 4 novembre 2010 contiennent les informations nécessaires pour comprendre ce qui a été décidé en regard de la somme à être versée à titre d’indemnités de remplacement du revenu.
[19] Puisque les avis de paiement constituent des décisions dont le travailleur peut demander la révision au sens de l’article 358 de la loi, ses demandes de révision sont donc recevables. La révision administrative ayant épuisé sa compétence à ce titre, la Commission des lésions professionnelles entend disposer de l’affaire au mérite.
[20] Au soutien de ses contestations, le travailleur allègue que la CSST fait erreur dans sa façon de calculer les réductions de 25 % par année de ses indemnités de remplacement du revenu en vertu de son âge. Il soumet qu’à chacun de ses anniversaires de naissance, à partir de 66 ans, ce n’est pas une coupure de 25 % du montant initial qui devrait être faite, mais plutôt une coupure de 25 % du montant précédent chaque coupure. Enfin, il indique qu’il sait que la manière de calculer qu’il propose ne résulterait pas en une fin de versement d’indemnités à compter de l’âge de 68 ans. Cependant, il est d’accord pour que cesse complètement le versement de toute indemnité de remplacement du revenu à cet âge.
[21] Selon les chiffres fournis par le travailleur à l’audience, en 2006, son indemnité de remplacement du revenu était établie à 1 129,38 $ par 14 jours. En octobre 2008, en y retranchant 25 %, cette indemnité était ramenée à 847 $ par 14 jours. En octobre 2009, en y retranchant 50 % selon le calcul de la CSST, l’indemnité était établie à 41,42 $ par jour. En utilisant le calcul proposé par le travailleur, ladite indemnité aurait été établie à 46,60 $ par jour. En octobre 2010, la différence serait de 14,11 $ en faveur du travailleur.
[22] Bien évidemment, cette façon de calculer est à l’avantage du travailleur. Cependant, elle est contraire au texte non équivoque de l’article 56 de la loi.
[23] En effet, il ressort du texte clair de l’article 56 que c’est l’indemnité du remplacement du revenu établie et versée au travailleur avant son 65e anniversaire de naissance qui est réduite chaque année et non pas l’indemnité de remplacement du revenu résiduelle ou qui précède la coupure, qui est réduite les deuxième et troisième années.
[24] Au surplus, la méthode de calcul telle que proposée par le travailleur viendrait à l’encontre de ce que prévu au troisième alinéa de l’article 57 de la loi, à savoir que l’indemnité de remplacement du revenu cesse au 68e anniversaire de naissance :
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48 ;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
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1985, c. 6, a. 57.
[25] Ainsi, au premier paragraphe de l’article 56 de la loi, le législateur prévoit qu’à partir de 65 ans, l’indemnité de remplacement du revenu déjà établie et versée avant cet âge sera réduite de 25 % par année. Puis, au troisième alinéa de l’article 57 de la loi, le législateur prévoit que cette indemnité s’éteindra au 68e anniversaire de naissance. Il y a là cohérence dans l’application de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur José Rodrigues;
CONFIRME, pour d’autres motifs, la décision rendue le 23 février 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE recevables les demandes de révision du travailleur à l’encontre des avis de paiement datés des 5 novembre 2009 et 4 novembre 2010;
DÉCLARE que la méthode de calcul utilisée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail dans ses avis de paiement des 5 novembre 2009 et 4 novembre 2010 est conforme à celle prévue à l’article 56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Louise Boucher |
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